L'assurance maladie de la sécurité sociale
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Association internationale de la sécurité sociale Conférence régionale de l'AISS pour l'Afrique Lusaka, Zambie, 9-12 août 2005 L'assurance maladie de la sécurité sociale La sécurité sociale et le VIH/SIDA Xenia Scheil-Adlung Spécialiste principale de la santé Département de la sécurité sociale Bureau international du Travail ISSA/AFRICA/RC/LUSAKA-3(c)
L'assurance maladie de la sécurité sociale La sécurité sociale et le VIH/SIDA Xenia Scheil-Adlung Spécialiste principale de la santé Département de la sécurité sociale Bureau international du Travail 1. Introduction En 2004, 2,3 millions de personnes sont mortes du SIDA en Afrique subsaharienne, et l’on estime que 3,1 millions d’autres personnes ont été contaminées. 60 pour cent des séropositifs de la planète se trouvent en Afrique subsaharienne. Ce sont en majorité des femmes. ONUSIDA estime que, dans un avenir proche, dans certains pays, un enfant de moins de cinq ans sur deux pourrait mourir1. Le VIH/SIDA a un effet dévastateur sur les économies du continent: il a des répercussions sur la productivité et le revenu par habitant ainsi que sur le nombre d’années de travail rémunéré, qui diminue de pair avec l’espérance de vie et avec la dégradation de l’état de santé. Selon les estimations, la population active se verra réduite de 10 pour cent sous l’effet du VIH/SIDA, dans les pays les plus touchés d’Afrique, en 2006; quant au produit intérieur brut (PIB), il devrait perdre, dans ces pays, 18 pour cent de sa croissance potentielle à cause du VIH/SIDA, et ce, jusqu’en 20202. L’impact financier du VIH/SIDA sur la sécurité sociale est dramatique, particulièrement eu égard aux régimes maladie et de pension, qui pourraient atteindre leurs limites dans un avenir très proche. Les finances publiques devront alors assumer la charge financière de la pandémie, alors que, dans de nombreux pays, celles-ci sont déjà fortement déficitaires. Mais le VIH/SIDA est avant tout une tragédie humaine. Son impact est ressenti par des millions d’individus et de foyers. Les décès, l’affaiblissement physique causés par le VIH/SIDA et les dépenses de santé précipitent des familles entières dans la pauvreté. Les personnes séropositives ou souffrant du SIDA doivent souvent assumer le poids financier de leur état de santé ainsi que la perte de revenus et d’épargne qui en découle. Si elles sont dépourvues de protection sociale, elles risquent fort, à cause des dépenses de santé, de tomber dans la pauvreté ou de passer de la pauvreté à l’extrême pauvreté: selon 1 ONUSIDA. 2005. Global Task Team on improving AIDS coordination among multilateral donors and international donors, Rapport final, Genève. 2 BIT. 2004. "HIV/AIDS and work: Global estimates, impact and responses", Genève. Xenia Scheil-Adlung
2 les estimations de l’OMS, environ 100 millions de personnes, chaque année, sont jetées dans la misère à cause du coût des soins de santé3. Dans ce contexte, le VIH/SIDA rend extrêmement préoccupante la recherche d’actions appropriées, dans le cadre de la sécurité sociale, pour réagir face à cette maladie et à la pauvreté qu’elle engendre. 2. Nature des problèmes En Afrique, le VIH/SIDA concerne des pays qui sont confrontés à une croissance économique très basse ou modeste. En Afrique subsaharienne, le PIB par habitant a décliné d’environ 20 pour cent depuis 1990: il n’est plus, désormais, que de USD 460, environ4. De plus, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne se caractérisent par un fort taux de pauvreté, une faible capacité organisationnelle et des ressources publiques très limitées. Dans cette partie d’Afrique, en 1993, 40 pour cent de la population5, environ, vivait déjà avec moins de USD 1,00 par jour, et nombreux sont les pauvres touchés par le VIH/SIDA. En fait, le VIH/SIDA ne fait pas que coïncider simplement avec la pauvreté: fréquemment la pauvreté est la cause du VIH/SIDA et s’en nourrit, par exemple lorsque la pauvreté pousse les femmes à avoir des rapports sexuels non protégés, cause des mouvements migratoires ou aboutit à un manque d’informations sur les campagnes de lutte contre le VIH qui sont en cours. C’est la pauvreté qui, en réduisant les options qu’ont les gens pour faire face aux risques de contamination par le VIH, mène à la diffusion du virus. En outre, la protection sociale, notamment dans la branche maladie, est très réduite; même quand elle existe, il est rare qu’elle assure une couverture complète6. Ces caractéristiques se reflètent dans les secteurs de la santé des pays concernés. L’efficacité des systèmes de santé souffre souvent d’un manque de financement et d’une allocation inefficiente des ressources. Il en résulte, fréquemment, une absence d’équipements dans les zones rurales, un manque de qualité des services et une pénurie de médicaments essentiels. L’efficacité des systèmes de santé se trouve particulièrement réduite par les inégalités de revenus et les disparités géographiques, qui aboutissent à une sous utilisation des services de soins et des mesures de prévention relatifs au VIH/SIDA. La majorité de la population de nombreux pays africains se trouvent exclus de l’accès aux soins à cause d’un obstacle financier. Cette inégalité d’accès se fait souvent au détriment des populations rurales, des femmes, des travailleurs de l’économie non structurée, des travailleurs indépendants et des sans-emploi. Ces groupes incluent souvent des personnes vivant avec le VIH/SIDA. 3 OMS. 2005. World Health Survey, Genève (non publié). 4 Banque mondiale. Indicateurs de développement, www.workdbank.org. 5 Banque mondiale. Indicateurs de développement, www.workdbank.org. 6 Plamadon, P.; Cichon, M.; Annycke, P. 2004. "Financial effects of HIV/AIDS on national social protection schemes", dans Hacker, M., Macroeconomics of of HIV/AIDS, Fonds monétaire international, Washington, pp 259 286. Xenia Scheil-Adlung
3 Dans la plupart des pays d’Afrique, le faible remboursement, voire l’absence de remboursement des frais médicaux, constitue le principal obstacle à l’accès aux soins. Les paiements à la charge du patient représentent plus de 40 pour cent de la totalité des dépenses de santé dans des pays comme le Sénégal ou le Kenya. C’est l’équivalent des dépenses globales de l’Etat en matière de santé. Dans le même temps, le taux de protection de la population par l’assurance maladie, destinée à atténuer le poids des dépenses de santé pour les plus démunis, va seulement de 7 pour cent, au Kenya, à 11,4 pour cent au Sénégal et 17 pour cent en Afrique du Sud (voir tableau 1). Tableau 1. Le financement des systèmes de soins de santé au Kenya, au Sénégal et en Afrique du Sud Paiements à la Dépenses de l’Etat Couverture de la Dépenses totales charge du patient (en % des population (en % du PIB) (en % des dépenses totales) (en %) dépenses totales) 7 Kenya 4,9 44 44,8 (NHIF) 11.4 Sénégal 5,1 45,2 43,6 (IPM et Ministère de la santé) Afrique du 17 Sud 8,7 40,6 12,4 (tous régimes maladie) Source: Scheil-Adlung, X.; Carrin, G.; Jütting, J.; Xu, K. et al. 2005. "What is the impact of social health protection on access to health care, health expenditure and impoverishment" A comparative analysis of three African countries ("L’impact de la protection maladie de la sécurité sociale sur l’accès aux soins de santé, les dépenses de santé et l’appauvrissement", analyse comparative de trois pays africains), Document de travail, non publié. Même quand il existe un certain degré de protection maladie, il est rare que les prestations soient adéquates face aux besoins les plus élémentaires en matière de soins, en particulier quand il s’agit de personnes infectées du VIH/SIDA. Il en résulte que la maladie peut avoir des conséquences financières dévastatrices, en dépit de l’existence d’une protection sociale. Le VIH/SIDA, en se traduisant par une augmentation de la demande de soins, a des répercussions importantes sur le montant global des dépenses de santé7. On trouvera, dans le tableau 2, des estimations du nombre d’adultes séropositifs dans les pays d’Afrique subsaharienne. La proportion d’adultes séropositifs varie d’un pays à l’autre, allant de 38,8 pour cent au Swaziland à 0,8 pour cent au Sénégal; elle atteint des sommets dépassant les 20 pour cent dans des pays comme le Botswana, le Lesotho, la Namibie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe. Elle s’élève à 7,5 pour cent sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. A ce chiffre, il faut ajouter le nombre, élevé, d’enfants séropositifs. 7 Plamadon, P.; Cichon, M.; Annycke, P. 2004. "Financial effects of of HIV/AIDS on national social protection schemes", dans Hacker, M., Macroeconomics of HIV/AIDS, Fonds monétaire international, Washington, pp .259 286. Xenia Scheil-Adlung
4 Tableau 2. Estimations du nombre d’adultes* séropositifs dans les pays d’Afrique subsaharienne, en 2003 Pays Proportion d'adultes (%) Afrique du Sud 21,5 Angola 3,9 Bénin 1,9 Botswana 37,3 Burkina Faso 4,2 Burundi 6,0 Cameroun 6,9 Congo 4,9 Côte d'Ivoire 7,0 Djibouti 2,9 Erythrée 2,7 Ethiopie 4,4 Gabon 8,1 Gambie 1,2 Ghana 3,1 Guinée 3,2 Kenya 6,7 Lesotho 28,9 Libéria 5,9 Madagascar 1,7 Malawi 14,9 Mali 1,9 Mauritanie 0,6 Mozambique 12,2 Namibie 21,3 Niger 1,2 Nigéria 5,4 Ouganda 4,1 République centraficaine 13,5 République démocratique du Congo 4,2 République-Unie de Tanzanie 8,8 Rwanda 5,1 Sénégal 0,8 Swaziland 38,8 Tchad 4,8 Togo 4,1 Zambie 16,5 Zimbabwe 24,6 Ensemble de l’Afrique subsaharienne 7,5 *Par adulte, on entend un homme ou une femme âgés de 15 à 49 ans. Source: ONUSIDA. 2004. Rapport sur l’épidémie mondiale de SIDA, Genève. En l’absence de données précises, il est difficile de quantifier l’impact financier du VIH/SIDA. Le coût du VIH/SIDA englobe des facteurs qui débordent largement le secteur de la santé. L’offre de main d’oeuvre et la qualité de celle-ci se trouvent modifiées, ce qui se traduit par une baisse de la productivité et des compétences. Le VIH/SIDA a également une incidence sur les régimes maladie et de pension de la sécurité sociale, en fragilisant la base des cotisants. Il faut, de plus, s’attendre, à court terme, à une réduction du nombre de bénéficiaires d’une pension de retraite, et à une augmentation simultanée de la demande de Xenia Scheil-Adlung
5 prestations maladie. Ces tendances iront de pair avec une hausse du nombre d’orphelins ayant besoin de prestations sociales. Le Bureau international du Travail (OIT) a mis au point un modèle pour quantifier l’impact du VIH/SIDA sur les dépenses de santé, en se concentrant, dans un premier temps, sur la situation du Botswana8. Réalisant une projection de l’impact du programme de lutte globale contre le VIH/SIDA au Botswana (NSF), ce modèle se veut une contribution au débat sur le financement des dépenses relatives au VIH/SIDA. Ce modèle tient compte de nombreuses variables, comme • La taille de la population, en fonction des taux de mortalité et de fécondité. • Le recours aux services de santé. • Le taux de pauvreté, le nombre de demandes de pension et d’autres prestations. • La croissance économique, la taille de la population active, la productivité, l’épargne et l’investissement. • Les finances publiques. La simulation de ces éléments passe par le recours à des modules distincts pour la population, l’incidence du VIH/SIDA, les actions de prévention et de lutte contre le SIDA, les soins de santé, l’économie et l’équilibre des finances publiques. L’analyse des dépenses de santé s’appuie sur les habitudes d’utilisation, le coût unitaire des traitements, des hypothèses sur l’inflation des coûts médicaux, par exemple eu égard aux salaires du personnel ou au progrès technique. De plus, on distingue entre dépenses publiques et privées, les régimes d’assurance maladie professionnelle entrant dans la seconde catégorie (voir synthèse 1). Synthèse 1: Budget maladie construit par le BIT pour le Botswana - L’impact du VIH/SIDA: modèle de soins de santé Modèle de soins de santé Entrée Sortie Statistiques sur les malades hospitalisés, Consultations externes, par âge&catégorie par âge (durée moyenne d’hospitalisation, (VIH -, VIH +, anti-rétroviraux, patients du ,1995-2001) SIDA) (2001-2003) Consultations externes par âge (1996-2001) Hospitalisations, par âge et catégorie, Données sur les dépenses (publiques) (VIH -, VIH +, anti-rétroviraux, sidéens) de santé (2001-2030) Données sur les dépenses (privées) de Dépenses de soins de santé du régime santé (2000-2005) public maladie (2004 - 2030) Résultats du modèle portant sur la population, le SIDA, la prévention et Dépenses des assurances maladie l’économie d’entreprise (2004 - 2030) Source: Renner, T. 2004. "Health Budget for Botswana - The impact of HIV/AIDS" ("Budget maladie pour le Botswana: l’impact du VIH/SIDA"), BIT, Service du financement, de l'actuariat et des statistiques, Genève, document de travail non publié. 8 Renner, T. 2004. "Health Budget for Botswana - The impact of HIV/AIDS" ("Budget maladie pour le Botswana: l’impact du VIH/SIDA"), BIT, Service du financement, de l'actuariat et des statistiques, Genève, document de travail non publié. Xenia Scheil-Adlung
6 Ce modèle permet de calculer, pour chaque année, le nombre de nouveaux porteurs du virus, le nombre de séropositifs, le nombre de personnes souffrant du SIDA, les décès causés par le SIDA et le nombre d’enfants nés séropositifs. Le modèle repose sur les hypothèses suivantes: période moyenne de 7 ans entre la contamination par le virus et la déclaration de la maladie, espérance de vie de deux ans pour les patients souffrant du SIDA (en l’absence de traitement anti-rétroviral), allongement considérable de l’espérance de vie des séropositifs bénéficiaires d’un traitement anti- rétroviral (conformément au Cadre de stratégie nationale, on suppose une augmentation de la proportion des séropositifs bénéficiant de médicaments anti-rétroviraux au cours des prochaines années, jusqu’à ce qu’elle atteigne environ 80 pour cent d’ici 2012), scénarios optimiste, neutre et pessimiste d’évolution du prix des traitements et, enfin, recours aux services de santé en fonction de l’âge. On suppose, par ailleurs, un frein au développement économique du Botswana, dû à l’impact du VIH/SIDA sur la population active et sur les dépenses publiques et privées. Les résultats qui suivent proviennent du scénario de base du modèle. Tout écart par rapport à ces hypothèses de départ, que ce soit en matière d’espérance de vie, de médicaments anti-rétroviraux et de leur prix, de passage du secteur non structuré au secteur structuré, de construction d’infrastructures, de soutien des donateurs, etc. modifierait sensiblement ces résultats. L'analyse faite révèle que, par rapport au scénario sans SIDA: • Le montant total des dépenses des actions de lutte contre le VIH/SIDA culminera en 2015. Dans les prochaines années, la prise en charge des orphelins représentera environ 30 pour cent de ce montant. Les soins à domicile connaîtront, eux aussi, une forte augmentation (voir graphique 1). Graphique 1. Projection des dépenses dans le cadre de programmes de lutte contre le VIH/SIDA au Botswana 2'500 2'000 en mio. Pula (prix courants) 1'500 1'000 500 0 2002 2007 2012 2017 2022 2027 Traitement ARV PMTCT Soins aux orphelins Autres mesures de prévention Soins à domicile Source: Renner, T. 2004. "Health Budget for Botswana - The impact of HIV/AIDS" ("Budget maladie pour le Botswana: l’impact du VIH/SIDA"), BIT, Service du financement, de l'actuariat et des statistiques, Genève, document de travail non publié. Xenia Scheil-Adlung
7 • Les dépenses publiques de santé et de lutte contre le SIDA passeront de 2,2 pour cent en 2000 à presque 6 pour cent en 2009, sous l’effet du financement, majoritairement public, des actions de lutte contre le SIDA. • La part publique des dépenses liées au VIH/SIDA ne sera plus que de 2 pour cent en 2030, grâce à l’accroissement du rôle des assurances maladie professionnelles ainsi qu’à la réduction du coût du VIH/SIDA après 2015. L’extension de la protection assurée par des régimes par cotisation, comme les assurances maladie professionnelles, suppose une migration du secteur non structuré vers le secteur structuré. • Le montant total des dépenses récurrentes de santé (dépenses publiques et privées confondues, ces dernières comprenant tant les paiements à la charge du patient que les régimes d’assurance privés) continuera d’augmenter, pour passer de moins de 4 pour cent du PIB actuellement à 9 pour cent en 2011 (voir graphique 2). Graphique 2. Ensemble des dépenses de santé (publiques, individuelles, assurances Tota l E xpe nditure for H ealth professionnelles) - en pour cent du PIB (P ublic, O cc upa tio nal H ea lth, P riva te) - in perce nt o f G D P - 12.0 10.0 8.0 6.0 4.0 TDépense otal H ealthtotale de santé(R(récurrente) E xpenditure ecurrent) 2.0 0.0 200 0/0 1 200 4/0 5 200 8/0 9 201 2/1 3 201 6/1 7 202 0/2 1 202 4/25 202 8/2 9 Source: Renner, T. 2004. "Health Budget for Botswana - The impact of HIV/AIDS" ("Budget maladie pour le Botswana: l’impact du VIH/SIDA"), BIT, Service du financement, de l'actuariat et des statistiques, Genève, document de travail non publié. La charge énorme que le VIH/SIDA fait peser, appelle des solutions réalisables, qui conviennent à une situation et à des caractéristiques spécifiques de prédominance du VIH et de diminution des ressources publiques. Quels mécanismes instaurer pour minimiser l’exclusion vis-à-vis des services de santé, tout en tenant compte des contraintes financières des systèmes de santé? Il ne semble pas qu’on puisse s’attaquer au VIH/SIDA sans s’intéresser au contexte de pauvreté dans lequel il se développe. Etant donné son impact attendu sur les dépenses publiques, il faudra chercher des sources de financement supplémentaires, qui n’alourdissent pas le fardeau financier pesant sur les pauvres. Des dispositifs par cotisation, comme des régimes sociaux d’assurance maladie plus efficients et plus effectifs allégeront- ils la charge financière des pauvres atteints de maladie et auront-ils un rôle à jouer dans l’avenir? Xenia Scheil-Adlung
8 3. Quelles options? Ces dernières années, de nombreux pays ont manifesté un intérêt accru pour les régimes par cotisation comme l’assurance maladie de la sécurité sociale ou les organisations mutuelles pour la santé. La protection sociale pour la santé apparaît comme un instrument majeur pour faire face à la pauvreté liée à la maladie et réduire les obstacles financiers mis à l’accès aux services de santé. Elle passe généralement par un dispositif financier de mutualisation des risques, qu’il s’agisse d’un régime public d’assurance maladie, de mutuelles, de régimes d’entreprise, de compagnies d’assurance privées, de micro assurance à l’échelle locale ou de services publics de santé. Des pays, tels que le Ghana ou le Kenya, ont élaboré le cadre d’une assurance maladie de la sécurité sociale ou s’efforcent d’accroître l’étendue de la protection de leur régime d’assurance par des réformes. L’Afrique du Sud, elle aussi, est en train de s’appliquer à imaginer comment étendre aux plus démunis les services de santé existants. Parmi les réformes envisagées figure l’extension de la protection maladie dans les secteurs, tant privé que public, de la santé. Au Sénégal, l’échec des dispositifs existants pour fournir des services de santé a mené au développement de "mutuelles de santé", par exemple dans la région de Thiés. Malgré l’intérêt suscité par l’assurance maladie de la sécurité sociale, on manque actuellement de chiffres pour mesurer l’impact de la couverture par une assurance maladie sur l’accès aux soins de santé et sur la pauvreté. On en sait également peu au sujet des répercussions qu’ont sur la pauvreté les stratégies de protection par une assurance maladie pour faire face aux dépenses de santé. Ces aspects ont été abordés dans le cadre des activités du Consortium du BIT, de l’OMS et du GTZ sur l’assurance sociale maladie. Ce Consortium a été l’occasion de lancer un projet de recherche majeur, mené conjointement par le BIT, l’OMS et le Centre de développement de l’OCDE9. Leur étude comparative visait à quantifier et à analyser l’impact de la protection de l’assurance maladie, au Kenya, au Sénégal et en Afrique du Sud, sur le recours aux services de santé, la répartition des dépenses catastrophiques, les stratégies de financement des soins de santé et la pauvreté. Cette étude s’appuyait sur des données représentatives, par pays, à l’échelle des ménages et des individus, émanant de l’Enquête sur la santé dans le monde, en ce qui concerne le Sénégal et l’Afrique du Sud, et de l’Enquête sur les dépenses et les consommations de santé, pour le Kenya. L’étude en question a consisté à appliquer un modèle de régression logistique multiple, en utilisant la définition que donne l’OIT de la protection sociale contre la maladie: y sont inclus divers types de régimes, qu’ils soient institués par la loi ou non, officiels ou informels, publics, privés, à but lucratif ou non. Pour l’étude, on a également retenu la définition donnée par l’OMS des dépenses catastrophiques: dépenses de santé qui excèdent 40 pour cent des capacités de paiement du ménage. Comme on peut le voir dans la figure 1, il ressort de cette étude que, dans les trois pays étudiés, les assurés consultent davantage que les non-assurés. On peut en conclure que 9 Scheil-Adlung, X.; Jütting, J.; Xu, K., et al, 2005. "What is the impact of social health protection on access to health care, health expenditure and impoverishment?" A comparative analysis of three African countries ("L’impact de la protection maladie de la sécurité sociale sur l’accès aux soins de santé, les dépenses de santé et l’appauvrissement", analyse comparative de trois pays africains), Document de travail présenté au 5ème Congrès mondial sur l’économie de la santé de Barcelone, non publié. Xenia Scheil-Adlung
9 l’assurance maladie permet de surmonter les obstacles financiers à l’accès aux services de santé. Figure 1. Recours à la consultation externe en Afrique du Sud, au Kenya et au Sénégal 100% 80% 60% 40% 20% 0% A fr iq u e d u S u d K enya Sénégal n o n a s s u ré s a s s u ré s Source: Scheil-Adlung, X.; Jütting, J.; Xu, K., et al, 2005. Qui plus est, au Sénégal, si le coût inabordable des services de santé constitue un obstacle majeur pour un tiers des assurés, cette proportion s’élève à deux tiers dans le cas des non- assurés. Quant aux médicaments prescrits, alors que plus de 63 pour cent des non-assurés ont mentionné leur prix inabordable, aucun non-assuré n’a soulevé la question (voir figure 2). Figure 2. Le recours aux soins de santé selon le statut vis-à-vis de l’assurance, au Sénégal, en 2002 100.00 80.00 N on-assu rés 60.00 A ssurés 40.00 % 20.00 0.00 A été A eu N 'a p as pu N 'a p as pu A été inc ap a ble incap a ble bes oin en tro uver se le d'ac h eter d'ac h eter de soins perm ettre to us les qu elq ue fina ncière- m édicam en ts m édicam en t m ent qu e c e soit Source: Scheil-Adlung, X.; Jütting, J.; Xu, K., et al, 2005. De l’analyse de l’impact de l’assurance maladie sur la pauvreté, il ressort que les ménages assurés ont moins de chances d’être confrontés à des coûts de santé catastrophiques dépassant leurs capacités de paiement (voir figure 3). Toutefois, les régimes sociaux d’assurance maladie demeurent loin d’être parfaits, puisque même certains de leurs assurés Xenia Scheil-Adlung
10 se sont avérés incapables de recevoir ou de se permettre tous les soins dont ils avaient besoin et se trouvaient confrontés à un coût catastrophique des soins de santé. Figure 3. Pourcentage de ménages confrontés à un coût catastrophique des soins de santé 25% 20% n o n a s s u ré s a s s u ré s 15% 10% 5% 0% A friq u e d u S u d K e n ya Sénégal Source: Scheil-Adlung, X.; Jütting, J.; Xu, K., et al, 2005. Pour pouvoir assumer le poids financier de la maladie, les ménages ont recours à diverses stratégies, comme emprunter auprès des proches, des amis ou des institutions financières ou encore vendre des éléments de patrimoine comme du bétail ou des terres, si leur épargne monétaire est insuffisante. Ces stratégies ne sont pas sans conséquences en termes d’appauvrissement et de dégradation des revenus. L’affiliation à une assurance maladie semble rendre moins nécessaire la vente de patrimoine en cas de difficultés financières. Au Sénégal, 15,4 pour cent des ménages non assurés ont dû vendre des éléments de patrimoine pour financer des dépenses de santé, contre seulement 4,4 pour cent des ménages assurés. De plus, en cas d’affiliation à une assurance maladie, les probabilités de recourir à l’emprunt se trouvent réduites, excepté au Kenya. Figure 4. Sénégal: modes de financement des soins de santé menaçant le bien-être des ménages % de ménages 0.600 0.400 Assurés Non-assurés 0.200 0.000 Vente de Emprunt Emprunt Vente de Emprunt Emprunt patrimoine à la famille à d’autres patrimoine à la famille à d’autres ou aux sources ou aux sources amis amis 1er quintile 5e quintile Source: Scheil-Adlung, X.; Carrin, G.; Jütting, J.; Xu, K., et al, 2005, "What is the impact of social health protection on access to health care, health expenditure and impoverishment", A comparative analysis of three African countries ("L’impact de la protection maladie de la sécurité sociale sur l’accès aux soins de santé, les dépenses de santé et l’appauvrissement", analyse comparative de trois pays africains), Document de travail, non publié. Xenia Scheil-Adlung
11 Les résultats de cette étude confirment que l’assurance maladie permet de surmonter les obstacles financiers à l’accès aux services de santé. Il en ressort également que les ménages demeurent exposés à des conséquences financières désastreuses, même s’ils sont assurés, lorsque l’offre de prestations est incomplète. C'est pourquoi les prestations devraient au moins avoir pour objet de préserver les pauvres des montants de dépenses catastrophiques. Or, souvent, l’assurance maladie ne couvre que les personnes en mesure de cotiser financièrement. C’est pourquoi l’Etat devrait assumer ses responsabilités, et se charger d’assurer une couverture maladie adéquate à l’ensemble de la population, y compris, notamment, les séropositifs et les plus démunis. Cela passe par l’élaboration d’un cadre législatif universel, garantissant l’adéquation du financement et l’intégralité des prestations. Qui plus est, étant donné l’énormité du montant des fonds nécessaires pour faire face aux difficultés à venir, il importera de combiner, dans un même ensemble, toutes les formes de régimes de protection maladie avec les formes de sécurité sociale classiques, comme l’assistance sociale ciblée ou des prestations universelles pour les séropositifs et les pauvres. 4. Quelles politiques mener, au vu de ces résultats? Malgré l’énormité des problèmes socioéconomiques et médicaux des pays en voie de développement, des lueurs d’espoir sont perceptibles. Selon le dernier rapport d’ONUSIDA, la diffusion du VIH/SIDA et l’augmentation du taux de mortalité pourraient connaître un coup d’arrêt dans un nombre modeste, mais croissant, de pays, où la lutte contre le SIDA et la pauvreté constitue une priorité politique. Les problèmes et les options esquissés ci-dessus soulignent l’importance qu’il y a, pour les stratégies politiques, à donner la priorité à l’extension des régimes de protection sociale aux séropositifs et aux pauvres ainsi qu’à un effort d’investissement dans la branche maladie de la protection sociale, dans le but de réaliser l’universalité de l’accès aux soins. Dans sa Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous10, l’OIT ne préconise aucun modèle social unique de protection maladie, qui serait valable pour tous les pays. Au contraire, il existe bien des manières de répondre aux besoins en la matière: introduction ou amélioration de dispositifs publics d’assurance maladie, universalité des services de soins ou actions d’aide sociale. Tous ces mécanismes ont prouvé, pour ce qui est d’assurer l’universalité de l’accès aux soins, leur efficacité et leur efficience dans les pays développés, à revenu intermédiaire et en transition. Mais il existe d’autres démarches possibles, comme de soutenir des dispositifs novateurs, tels que les régimes de micro assurance à l’échelle locale, en particulier dans les pays dont les capacités administratives et financières sont faibles et où une protection par le régime public n’est pas envisageable dans l’immédiat. Dans ce contexte, il sera essentiel d’établir des liens efficients entre régimes publics, régimes novateurs et également dispositifs d’aide sociale, afin d’améliorer la viabilité de tous ces régimes et d’appuyer l’introduction d’un éventail complet de prestations. 10 Il a été décidé de lancer cette Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous dans le cadre du nouveau consensus sur la sécurité sociale, fruit de la Conférence internationale du Travail de Genève en 2001. Xenia Scheil-Adlung
12 Si elle ne préconise nullement une démarche spécifique, de préférence à une autre, l’OIT milite pour la prise en compte de certaines valeurs et de certains principes généraux quand il s’agit de développer la protection sociale maladie. Citons, notamment, la dignité humaine, la justice sociale, l’équité et l’égalité ainsi que la solidarité. Il en découle qu’il faut garantir l’accès à une protection maladie de base et établir un écran protecteur contre les coûts catastrophiques des soins de santé. La pérennité sociale et financière des régimes, une bonne gouvernance ainsi qu’une administration efficiente et effective constituent d’autres facteurs sine qua non de réussite. Il faut donc s’attaquer aux problèmes de non-respect de la législation, tout en s’appliquant à renforcer les capacités et à satisfaire les besoins en formation. Aux yeux de l’OIT, il est également crucial que soit instaurée une gestion transparente et démocratique et que les partenaires sociaux et les autres parties prenantes soient encouragés à contribuer au développement de protection sociale maladie. On entend par là une approche participative de la gestion des régimes et une gouvernance fondée sur le dialogue social et des prises de décision informées. Hormis accroître l’étendue de la protection des régimes de protection sociale, il est impératif d’offrir un éventail complet de prestations, qui réponde aux besoins de la population, notamment des personnes séropositives ou soufrant du SIDA. Cela ne signifie pas que, plus les prestations seront nombreuses, meilleures elles seront, mais qu’il faut réaliser un équilibre entre les coûts et la protection contre les risques. Il faudra établir des priorités, pour répondre aux besoins des pauvres et des personnes infectées du VIH/SIDA. Dans de nombreux cas, il est essentiel de rechercher des compléments de financement, par exemple auprès de donateurs comme le Fonds mondial de lutte contre le VIH/SIDA. En outre, l’extension des régimes sociaux de protection maladie devrait être soutenue par des actions efficientes de santé publique et de lutte contre le VIH/SIDA, comme la fourniture de médicaments gratuits aux personnes séropositives ou souffrant du SIDA. Comme exemple de meilleure pratique en la matière, on peut citer le Brésil, où l’on a assisté à un recul considérable de la mortalité des malades du SIDA, depuis que le traitement contre le SIDA est gratuit11. Enfin, il est important de mettre en oeuvre des politiques concernant les aspects qui dépassent le cadre strict de la santé. La pauvreté et le VIH/SIDA ont un rapport étroit avec la croissance économique, l’emploi, la productivité, les finances publiques et de nombreux autres secteurs de l’action publique. Pour être efficiente et effective, une politique en faveur des pauvres et de la santé devrait viser à coordonner ces secteurs. Ce serait faire un pas en avant important que réaliser des synergies avec des actions existantes de réduction de la pauvreté et de lutte contre le VIH/SIDA, qu’il s’agisse, par exemple, du processus PRSP (Stratégie de réduction de la pauvreté) ou de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. En bénéficieraient tant le développement général des pays que les personnes séropositives, les malades du SIDA et les pauvres, ces derniers ne pouvant produire des revenus que s’ils sont en (relativement) bonne santé. 11 ONUSIDA. 2005. Global task team on improving AIDS coordination among multilateral donors, Rapport final, Genève. Xenia Scheil-Adlung
13 Bibliographie Banque mondiale. Indicateurs de développement, www.workdbank.org. BIT. 2004. "HIV/AIDS and work: Global estimates, impact and responses", Bureau international du Travail, Genève. ONUSIDA. 2005. Global Task Team on improving AIDS coordination among multilateral donors and international donors, Rapport final, Genève. ͟. 2004. Rapport sur l'épidémie mondiale du SIDA, Genève. Organisation mondiale de la Santé. 2005. World Health Survey, Genève, non publié. Plamadon, P.; Cichon, M.; Annycke, P. 2004. "Financial effects of HIV/AIDS on national social protection schemes", dans Hacker, M., Macroeconomics of HIV/AIDS, Fonds monétaire international, Washington, pp .259 286. Renner, T. 2004. "Health Budget for Botswana - The impact of HIV/AIDS", ("Budget maladie pour le Botswana: l’impact du VIH/SIDA"), BIT, Service du financement, de l'actuariat et des statistiques, Genève, document de travail, non publié. Scheil-Adlung, X.; Jütting, J.; Xu, K., et al. 2005, "What is the impact of social health protection on access to health care, health expenditure and impoverishment?", A comparative study on three African countries, ("L’impact de la protection maladie de la sécurité sociale sur l’accès aux soins de santé, les dépenses de santé et l’appauvrissement", analyse comparative de trois pays africains), Document de travail présenté au 5ème Congrès mondial sur l’économie de la santé de Barcelone, non publié Xenia Scheil-Adlung
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