L'évolution du mouvement associatif montréalais : un retour au territoire programmé par l'État ? The evolution of the community movement in ...

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Lien social et Politiques

III Quand la société civile brandit le territoire pour l’action publique

L’évolution du mouvement associatif montréalais : un retour
au territoire programmé par l’État ?
The evolution of the community movement in Montreal: A state
orchestrated focus on space?
Annick Germain, Richard Morin and Gilles Sénécal

Number 52, Fall 2004                                                            Article abstract
Le territoire, instrument providentiel de l’État social                         Over time the Montreal community movement acquired a significant capacity
                                                                                for co-ordinating local actors and designing co-operation at neighbourhood
URI: https://id.erudit.org/iderudit/010595ar                                    level. This mandate was in large part the result of the state’s redefinition of the
DOI: https://doi.org/10.7202/010595ar                                           role of civil society in social affairs, with the neighbourhood identified as the
                                                                                relevant spatial unit. Based on three case studies of local-level community
                                                                                action—eco-neighbourhoods; cross-sectoral neighbourhood consultations;
See table of contents
                                                                                non-governmental public consultations—we observe the emergence of
                                                                                place-based community action as well as the redeployment of government
                                                                                programmes towards the local level. These processes tend to encourage an
Publisher(s)                                                                    institutionalization of the community movement, and thereby reinforce the
                                                                                logic of concerted action in networks and via partnerships. The game of
Lien social et Politiques
                                                                                constraints and possibilities thereby implied will not be left untouched by the
                                                                                newly designed municipal power structure, however. Following from
ISSN                                                                            municipal mergers and de-mergers, new levels of urban governance have
1204-3206 (print)                                                               appeared. Will they give rise to a redefinition of the territorial action frame
1703-9665 (digital)                                                             that has been developed over the last years?

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Germain, A., Morin, R. & Sénécal, G. (2004). L’évolution du mouvement
associatif montréalais : un retour au territoire programmé par l’État ? Lien
social et Politiques, (52), 129–138. https://doi.org/10.7202/010595ar

Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2004                         This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                               This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                               Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                               Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                               promote and disseminate research.
                                                                               https://www.erudit.org/en/
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         L’évolution du mouvement associatif montréalais :                                                                                   †

         un retour au territoire programmé par l’État ?                                                                            †

         Annick Germain, Richard Morin et Gilles Sénécal

            Le débat politique et social au                  pelons que le premier, axé sur le plein             études de cas, centrées chacune sur les
         Québec est dominé depuis quelque                    emploi, aborde la gestion du social de              formes principales prises par l’action
         temps par la crise ou la survivance du              manière centralisée par la demande et               associative au niveau local, à savoir les
         modèle québécois, c’est-à-dire un                   soutient une consommation de masse                  instances de concertation intercommu-
         régime marqué par l’image d’un État                 en protégeant les droits sociaux, alors             nautaire que sont les tables de concer-
         de bien-être encore proche de l’État                que le second, soucieux de flexibilité,             tation intersectorielle de quartier et les
         keynésien. Anomalie dans un pay-                    voit l’État se restructurer et coopter les          corporations de développement écono-
         sage international où domine un                     principales forces de la société civile             mique communautaire, les associa-
         régime post-fordiste accompagné                     en les impliquant dans des procédures               tions mises sur pied dans le cadre du
         d’un nouveau modèle de l’action                     de coordination-concertation. La part               programme Éco-quartier instauré par
         publique dans la gestion du social,                 réservée à l’État dans la gestion du                la ville de Montréal, et enfin des opé-
         ou effet de discours porté par des                  social varie selon les types de société.            rations non gouvernementales de
         logiques politiques dont la question                Mais ce qui importe ici, c’est de noter             consultation publique ayant mobilisé
         nationale n’est pas tout à fait                     que si l’observation de la scène locale             citoyens et associations autour de
         absente ? À moins que le Québec ne
                  †
                                                             témoigne bien d’une redéfinition des                controverses d’aménagement. Chaque
         représente une configuration particu-               rapports entre le secteur associatif et             étude de cas portait sur deux arrondis-
         lière, donc hybride, combinant un                   l’État, dans le cas montréalais, cette              sements différents de l’ancienne ville
         État encore maître du jeu bien que                  redéfinition semble s’être jouée en                 de Montréal (avant la fusion des 28
         dans une situation de gouvernance                   partie autour de la définition d’un                 municipalités de l’île de Montréal en
         où dorénavant son action doit épou-                 territoire local, à savoir le quartier et           une nouvelle ville de Montréal en
         ser les chemins du partenariat ?     †
                                                             (ou) l’arrondissement. C’est du                     2002); six des neufs arrondissements
                                                             moins ce que l’on peut dégager                      ont donc été couverts 2.†

            Selon Bob Jessop (1999), il y a de               d’une large enquête 1 menée à†

         multiples variantes au modèle keyné-                Montréal en 1999-2000 sur l’évolu-                     Nous voudrions puiser dans les
         sien ou à celui qui lui succède, le                 tion de la vie associative montréalaise             résultats de cette enquête (auxquels
         régime schumpétérien (Schumpeterian                 concernant l’aménagement du cadre                   nous ajouterons ceux d’une étude sur
         Workfare Postnational Regime). Rap-                 de vie. L’enquête reposait sur trois                la participation des associations

         Lien social et Politiques – RIAC, 52, Le territoire, instrument providentiel de l’État social. Automne 2004, pages 129 à 138.
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         LIEN   SOCIAL ET    POLITIQUES–RIAC, 52       d’une relecture que nous en faisons à          Elle a en effet reçu plusieurs déno-
                                                       la lumière d’un questionnement par-         minations au cours des quarante der-
         L’évolution du mouvement associatif
         montréalais : un retour au territoire
                         †
                                                       fois différent de celui qui a présidé à     nières années : aux « comités de
                                                                                                                          †           †

         programmé par l’État ?      †                 leur collecte, ou du moins plus géné-       citoyens » du début des années 1960
                                                                                                           †

                                                       ral. Si la problématique de la territo-     succèdent les « groupes populaires »
                                                                                                                              †                               †

                                                       rialisation et de l’institutionnalisation   du tournant des années 1970; à leur
                                                       des associations était bien au cœur de      tour ceux-ci font place aux « orga-                †

                                                       nos recherches, il est évident que          nismes communautaires » du milieu  †

                                                       l’actualité leur donne une résonance        des années 1970, qui sont soumis à
                                                       particulière. Qu’il s’agisse de l’actua-    une relative institutionnalisation au
                                                       lité toute montréalaise, puisqu’il          milieu des années 1980, avant de
                                                       semble bien qu’une nouvelle donne           voir le qualificatif « autonomes » pro-
                                                                                                                                  †               †

   130                                                 territoriale se mette en place avec les     longer leur nom, à la fin des années
                                                       fusions municipales décrétées par le        1990. À travers cette succession de
                                                       gouvernement québécois en 2002, ou          terminologies accompagnant les
         s’occupant de populations immi-
                                                       qu’il s’agisse du débat sur le modèle       mutations du mouvement associatif,
         grantes aux instances de concertation
                                                                                                   se modifie également le rapport au
         communautaire de quartier 3 et ceux           québécois et sur la redéfinition des
                                                                                                   territoire local, comme on va le voir.
                                                   †

         d’un projet de recherche portant sur          liens entre État et société civile
         le développement économique com-              locale. On ne saurait donc boucler la          Les « comités de citoyens » qui se
                                                                                                            †                                 †

         munautaire 4) pour montrer, dans les
                             †                         réflexion sans évoquer au moins briè-       sont multipliés à Montréal de 1963 à
         lignes qui suivent, que, dans un pre-         vement, mais à nos risques et périls,       1968 sont définis, selon Godbout et
         mier temps, le rapport au territoire          l’actualité récente.                        Collin (1977 : 23), comme « des
                                                                                                                  †                                       †

         local n’a pas toujours été un principe                                                    groupes de pression locaux qui tra-
         structurant de l’action associative,
                                                       Le milieu associatif montréalais            vaillent en milieu urbain, à l’échelon
         comme pourrait le laisser entendre le         et le rapport au territoire :  †
                                                                                                   du quartier, dans les zones dites défa-
         label « communautaire » générale-
                     †                      †
                                                       mariage de nature ou de raison ?       †
                                                                                                   vorisées, et qui ont pour objectif
         ment utilisé au Québec pour désigner                                                      principal l’amélioration des équipe-
                                                          En principe, les organismes dits
         cette action. Nous verrons ensuite                                                        ments collectifs et la non-détériora-
                                                       communautaires se distinguent des
         que la territorialisation de l’action                                                     tion de leur milieu de vie ». Cette
                                                       institutions publiques par leur enra-
                                                                                                                                          †

         dite communautaire accompagne un                                                          multiplication est étroitement asso-
                                                       cinement dans un milieu local : ils
                                                                                                   ciée à un contexte sociopolitique en
                                                                                          †

         recentrage de plusieurs programmes            émanent de la communauté locale à
         gouvernementaux autour du terri-                                                          transformation : c’est la Révolution
                                                                                                                      †

                                                       laquelle les lie un sentiment d’appar-
         toire local, et plus particulièrement                                                     tranquille, période de rattrapage en
                                                       tenance, ils sont en symbiose avec          matière de régulation étatique des
         autour du quartier et de l’arrondisse-
                                                       elle. À la limite, écriront Jacques T.      dynamiques socio-économiques et
         ment à partir du milieu des années
                                                       Godbout et Jérôme Guay, il n’y a pas        axée sur la planification et la partici-
         1980. Cette territorialisation renforce
                                                       de différences entre celui qui donne        pation. Elle est associée également à
         une institutionnalisation de l’action
                                                       un service dit communautaire et             une nouvelle approche du travail
         communautaire qui finira par inter-
                                                       celui qui le reçoit, puisqu’ils appar-      social largement inspirée du courant
         peller l’autonomie de cette dernière.
                                                       tiennent tous les deux à la même            de l’animation sociale aux États-
         Mais on insistera davantage sur les
                                                       communauté (Godbout et Guay,                Unis, formalisé par Saul Alinsky
         atouts et les contraintes d’une
                                                       1989). Or au Québec, contrairement          (Blondin, 1967). Mais cette mou-
         logique de territoire à l’heure où les
                                                       à ce qui se passe dans d’autres pays        vance contestataire est largement
         associations sont de plus en plus
                                                       (Blockland, 2003), cette notion de          nourrie aussi par les coups de force
         mobilisées par des logiques de
                                                       communauté n’a pas nécessairement           d’une administration municipale
         concertation.
                                                       de connotation territoriale, comme le       autoritaire déterminée à moderniser
            On aura donc compris que les               montrera ci-dessous un aperçu histo-        la ville, par l’implantation d’infra-
         matériaux de recherche utilisés dans          rique de la dynamique associative           structures, notamment autoroutières,
         le cadre de cet article participent           montréalaise.                               et par l’élimination des taudis, à la
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         faveur d’opérations de rénovation           cul politique pour dénoncer les iné-         À l’élection de 1986, un nouveau
         urbaine visant les vieux quartiers          galités sociales engendrées par le        régime politique s’installe à Montréal :
                                                                                                                                      †

         industriels. Des comités de citoyens,       système capitaliste ? Toujours est-il
                                                                                †              le Rassemblement des citoyens de
         soutenus par des animateurs sociaux,        que les actions menées ne concernent      Montréal met en place une politique
         revendiqueront non seulement la pré-        plus les quartiers (même si certaines     de consultation qui vise à démocrati-
         servation mais aussi l’amélioration         appellations demeurent), mais bien        ser la gestion municipale (Hamel,
         de leur cadre de vie (construction de       les services à la personne (Godbout       1999). Elle s’articule notamment
         logements sociaux, aménagement de           et Collin, 1977 : 24).
                                                                    †                          autour de la création de comités-
         parcs, réfection d’écoles, ouverture                                                  conseils d’arrondissement (l’arrondis-
         de centres « communautaires »)
                              †                  †
                                                         La troisième période, dans cette      sement couvre de trois à cinq
         (Favreau, 1989). Ce quasi-« syndica-        histoire abrégée de l’associatif          quartiers; c’est un nouveau découpage
         lisme du cadre de vie » (Bélanger et
                                  †
                                                     montréalais, coïncide avec l’avène-       territorial conçu dans une perspective
         Lévesque, 1987 : 255) se déploie à
                          †
                                                     ment d’un parti d’opposition sur la       de décentralisation des services) et        131
         l’échelle des paroisses, périmètre de       scène municipale, le Rassemblement        d’un bureau de consultation publique,
         référence des équipements collectifs        des citoyens de Montréal, qui repré-      qui seront par exemple mis à contribu-
         concernés et qui correspond à ce            sente le tiers des conseillers munici-    tion pour sonder l’opinion des
         qu’on va appeler un quartier.               paux en 1974, et l’élection du Parti      citoyens et des groupes organisés sur
                                                     québécois sur la scène provinciale.       l’élaboration du premier plan d’urba-
            Ces groupes de pression vont,            Alors que s’achève la période des
         pour certains, tenter de se muer en                                                   nisme de la ville. C’est aussi dans le
                                                     Trente Glorieuses, que s’amorce un        milieu des années 1980 que naît,
         « agents de transformation de la
          †

                                                     long et pénible processus de restruc-
         société », dans le sillage de la contes-                                              autour des questions d’emploi, la pre-
                                                     turation de l’économie et que s’ac-
                †

         tation étudiante de 1968 et d’un rap-                                                 mière corporation de développement
                                                     cumulent, à droite comme à gauche,        économique communautaire (CDEC),
         prochement avec le mouvement
                                                     les critiques contre l’État provi-        qui se construit sur un partenariat entre
         syndical, ce qui conduira à la créa-
                                                     dence, le gouvernement du Parti           organismes communautaires, organi-
         tion d’un parti politique de gauche
                                                     québécois mise notamment sur la           sations      syndicales,     institutions
         sur la scène municipale, le Front
                                                     concertation et le partenariat avec       publiques et milieux d’affaires
         d’action politique (FRAP). On passe
                                                     les acteurs du mouvement syndical         (Morin, 1994-1995). Les premiers
         donc des comités de citoyens aux
                                                     et populaire, ainsi que sur une rela-     financements gouvernementaux se
         groupes populaires, définis comme
         des regroupements de personnes qui          tive décentralisation vers le local et    transformeront bientôt en un finance-
         s’identifient aux classes populaires et     le régional (Morin, 1998b). La com-       ment tripartite accompagnant la
         remettent en question la société glo-       binaison des exigences de démocra-        reconnaissance d’une série de CDEC.
         bale. Le référent du quartier ou de la      tie manifestées par les groupes           Alors que les premières CDEC inter-
         paroisse est donc évacué au profit de       populaires et des contraintes de réor-    venaient à l’échelle des quartiers, le
         celui des classes populaires. Par           ganisation de l’action publique va        nouveau protocole de financement des
         ailleurs, tout en se radicalisant sur le    propulser sur le devant de la scène       CDEC signé au début des années 1990
         plan du discours, les groupes popu-         les « organismes communautaires »,
                                                           †                             †
                                                                                               contraint ces dernières à adopter un
         laires se lancent dans l’offre de ser-      regroupements de personnes s’iden-        nouveau référent territorial, à savoir
         vices aux classes défavorisées dans         tifiant à une « communauté d’inté-
                                                                        †
                                                                                               l’arrondissement. En conséquence, les
         les domaines du logement, de l’ali-         rêt » qui s’organisent collectivement
                                                       †                                       organismes communautaires œuvrant
         mentation, de la consommation, de la        pour se donner des services. Il n’est     dans le domaine de l’emploi et dont le
         garde des enfants, des soins de santé,      cependant pas question de référence       soutien financier passera de plus en
         etc. Or les comités logement, asso-         au territoire du quartier. Ce n’est que   plus par les CDEC devront aussi ajus-
         ciations coopératives d’économie            vers le milieu des années 1980 que        ter leurs actions au territoire de l’ar-
         familiale, comptoirs alimentaires,          plusieurs initiatives, tant gouverne-     rondissement, alors que plusieurs
         garderies et cliniques médicales            mentales que « communautaires »,
                                                                            †            †     d’entre eux se référaient à des com-
         populaires seront mis sur pied en           vont ramener le quartier comme ter-       munautés d’intérêts (jeunes, femmes,
         partie grâce à des financements             ritoire de référence; et au quartier      immigrants, etc.) plutôt qu’à des com-
         octroyés par l’État. Paradoxe ou cal-       s’ajoutera l’arrondissement.              munautés locales. Puis la ville cherche
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         LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES–RIAC, 52          munautaires au sein de conseils com-         signe avec la ville de Montréal une
                                                         munautaires ou l’équivalent, en les          entente pour confier à cette dernière la
         L’évolution du mouvement associatif
         montréalais : un retour au territoire
                       †
                                                         élargissant de manière à pouvoir             gestion d’un Plan d’action visant
         programmé par l’État ?       †                  inclure des organismes parapublics et        l’accueil et l’intégration en français
                                                         publics. Ces tables, dont la configura-      des immigrants dans les quartiers.
                                                         tion est variée (Maheu, 2002), vont          Cette entente est une première dans la
                                                         inciter de nombreux organismes               mesure où elle reconnaît le rôle du
                                                         communautaires à se territorialiser à        municipal dans l’intégration des
                                                         l’échelle du quartier alors que cer-         immigrants, et c’est l’échelle du quar-
                                                         tains avaient l’habitude de fonction-        tier qui est retenue pour programmer
                                                         ner avec des populations cibles. Par         les activités d’intégration 8.
                                                                                                                                †

                                                         ailleurs, le nouveau maire, se faisant
                                                                                                         Voyons plus en détail comment
   132                                                   le chantre d’une ville propre, suscite
                                                                                                      ces nouvelles instances locales ins-
                                                         la mise sur pied d’un nouveau type
                                                                                                      taurent une nouvelle gouvernance
                                                         d’organisme à l’échelle du district
         à doter chaque quartier d’une table                                                          locale qui va reposer sur de nouveaux
                                                         électoral 6, l’éco-quartier, doté d’une
                                                                  †

         intersectorielle de concertation dans                                                        liens entre État, organismes commu-
                                                         mission de propreté, d’embellisse-
         le cadre du programme « Vivre                                                                nautaires et milieux d’affaires.
                                                         ment et de récupération des matières
                                                    †

         Montréal en santé ». Ce programme
                                                         recyclables ancrée dans les milieux
                                          †

                                                                                                      La mise en place d’une
         s’inspire de l’expérience des healthy
                                                         locaux. Enfin, 17 conseils de quartier       gouvernance locale
         cities (Duhl et Handcock, 1986), qui,           succèdent aux neuf comités-conseils
         d’une certaine façon, vise à dévelop-           d’arrondissement.                               Le premier pas dans la création
         per, dans les quartiers, des expé-                                                           d’une gouvernance locale 9 (Le Galès,
                                                                                                                                    †

         riences d’évaluation des besoins et                 Il y a donc au niveau municipal          1995) est fait avec la création des cor-
         de mesure des conditions de l’envi-             renforcement de l’action collective à        porations de développement écono-
         ronnement naturel et construit (Ville           l’échelon du district électoral, du          mique communautaire (CDEC) à
         de Montréal, 1993). En d’autres                 quartier et de l’arrondissement. Mais        partir du milieu des années 1980. Les
         termes, les associations sont invitées          le territoire local est aussi au centre du   CDEC ont pour mission l’aide à la
         à prendre le pouls du territoire, à s’y         virage qui s’amorce avec les orga-           réinsertion sur le marché du travail
         investir et, à terme, à mobiliser l’en-         nismes ethno-culturels qui s’occupent        des individus qui en sont exclus, le
         semble de la communauté.                        des personnes immigrantes. Pour se           soutien aux entreprises dans le but de
                                                         détacher d’une philosophie par trop          maintenir et de créer des emplois, et
            L’objectif général poursuivi par ce          multiculturaliste au nom de laquelle         la mobilisation des acteurs locaux en
         programme est de réaliser des por-              l’État soutenait les dynamiques asso-        vue de mettre de l’avant des projets
         traits de quartier dans un contexte             ciatives monoethniques, le gouverne-         de développement local (Morin,
         participatif et, par la suite, d’en assu-       ment provincial cherche à encourager         1994-1995). Ces organismes favori-
         rer localement le suivi et l’évaluation.        des pratiques communautaires moins           sent la coopération d’acteurs asso-
         Le programme est bientôt remplacé,              différencialistes en subventionnant          ciés non seulement à la société civile
         après l’arrivée du parti Vision                 davantage des organismes qui accep-          (groupes communautaires et syndi-
         Montréal à l’Hôtel de ville, en 1994,           tent de s’afficher comme multieth-           cats) mais aussi au marché (gens
         à la fois par le programme Éco-quar-            niques ou universels (Helly et al.,          d’affaires) et à l’État (diverses insti-
         tiers pour la portion environnemen-             2000). Surtout, le ministère des             tutions publiques qui offrent des ser-
         tale et par le programme conjoint des           Relations avec les citoyens et de            vices locaux) (Morin, 1998a). Les
         tables de concertation de quartier              l’Immigration repense son approche           différents acteurs locaux regroupés
         pour la portion concertation. Ces 20            pour la prestation des services d’ac-        au sein des CDEC partagent un
         tables intersectorielles de concerta-           cueil et d’établissement et privilégie       objectif commun, soit la revitalisa-
         tion de quartier 5 viennent, dans de
                                  †                      une base territoriale en instituant des      tion socio-économique du territoire
         nombreux cas, formaliser des expé-              carrefours locaux d’intégration 7. Par
                                                                                            †         local (Morin, 1995). Le cadre de vie
         riences plus ou moins longues de                ailleurs, en 1999 le ministère provin-       est alors pris en compte sous l’angle
         concertation entre organismes com-              cial responsable de l’immigration            des fonctions urbaines qu’il
LSP 52   24/02/05      12:17      Page 133

         recouvre : résidentielles, indus-
                   †                                des stratégies de développement éco-        concertation particulièrement effi-
         trielles, commerciales, publiques.         nomique et de repenser ainsi le déve-       cace, comme en témoignent les dos-
                                                    loppement local (Fontan et al.,             siers de développement local et
            Les tables intersectorielles de         2003b). En matière d’aménagement            d’aménagement du cadre de vie dans
         concertation de quartier regroupent        urbain, elles sont intervenues, soit        lesquels elles sont intervenues. Mais
         elles aussi une diversité d’acteurs        directement, notamment à l’occasion         ce qui les distingue aussi lorsqu’on
         locaux et sont souvent assorties de        des consultations publiques sur les         compare leurs logiques d’action avec
         tables consacrées à des domaines           plans d’urbanisme d’arrondissement          celles des organismes communau-
         précis : l’aménagement, les jeunes, le
               †

                                                    et en faisant la promotion de projets       taires des périodes précédentes, c’est
         loisir, etc., le tout variant d’un quar-   de développement industriel sur des         le pragmatisme de leurs interventions.
         tier à l’autre. La concertation inter-     terrains convoités à des fins résiden-      En effet, sur des dossiers concrets de
         communautaire est en effet une             tielles, soit indirectement, par le biais   court terme, elles parviennent à mobi-
         opération à géométrie variable et le       de leur participation à des tables          liser les acteurs locaux, à faciliter les   133
         programme municipal « Vivre          †
                                                    d’aménagement. Par exemple, dans            solutions négociées et à opérer les
         Montréal en santé » avait cherché à
                             †
                                                    le Centre-Sud, la table d’aménage-          médiations nécessaires en cas de
         respecter les dynamiques associa-          ment animée par une professionnelle         conflit. Ce pragmatisme a cependant
         tives locales plutôt qu’à imposer un       payée par la CDEC locale (regrou-           un coût. Elles opèrent en effet beau-
         format unique pour amadouer les            pant des représentants d’organismes         coup moins sur le registre des luttes
         tables existantes. Dans certains quar-     communautaires, du milieu culturel          urbaines ou sur le renouvellement des
         tiers, ce qui fait office de table de      et du secteur commercial) est interve-      visions du social.
         concertation (par exemple, un              nue dans plusieurs dossiers urbains
         conseil communautaire) se définit          en faisant prévaloir le point de vue de        C’est le cas également des éco-
         exclusivement au service du déve-          ses adhérents : localisation de la
                                                                    †
                                                                                                quartiers, organismes d’un type nou-
         loppement social, alors que, dans          Grande Bibliothèque, reconfiguration        veau uniques au Canada 11, mis sur
                                                                                                                            †

         d’autres quartiers, l’arrimage avec le     de l’édicule d’une station de métro,        pied par la ville de Montréal comme
         développement économique local est         revitalisation d’une rue commerciale,       organismes locaux d’éco-civisme
         plus fort. Certaines tables ne regrou-     etc. (Morin et al., 2000). Quant aux        (Sénécal et Saint-Laurent, 1999). Ils
         pent que des organismes communau-          tables intersectorielles de concerta-       sont lancés en 1995 afin d’accompa-
         taires alors que d’autres ont un           tion de quartier, elles ont aussi été       gner la généralisation de la cueillette
         membership beaucoup plus varié.            impliquées dans différents dossiers         sélective des matières résiduelles. Nés
                                                    urbains et ce, avec un certain succès.      sous les pressions des groupes envi-
            Ces formes de gouvernance locale                                                    ronnementaux inscrits aux niveaux
                                                    Par exemple, dans le quartier Pointe-
         marquées par une forte présence des                                                    québécois ou montréalais, notamment
                                                    Saint-Charles, la table locale s’est
         associations ont un impact certain sur                                                 Action Rebuts, qui milite pour le
                                                    engagée dans le dossier de l’aména-
         le terrain en ce qui concerne notam-                                                   recyclage, les éco-quartiers sont mis
                                                    gement d’un parc-école, dans celui
         ment le développement local et                                                         en place à l’échelle des districts élec-
                                                    de la décontamination de sols et dans
         l’aménagement urbain. Les diverses                                                     toraux. Les associations sectorielles
                                                    celui de la vocation du canal de
         évaluations portant sur les CDEC qui                                                   en environnement, qui militent géné-
                                                    Lachine (ibid.). Bien que les petites
         assument depuis 1998 un mandat de                                                      ralement sur des thématiques très pré-
                                                    victoires aient été nombreuses, il y a
         centre local de développement 10 (par                                                  cises, comme la lutte contre la
                                                    tout de même eu quelques défaites,
                                          †

         exemple Leduc, 1994; SQDM, 1996;                                                       pollution ou la valorisation des
                                                    notamment durant le deuxième man-
         Fauteux, 1999 et 2001) ont montré                                                      matières résiduelles, n’auront pas,
                                                    dat (1998-2002) du parti Vision
         que ces dernières ont contribué à la                                                   sauf exception, de liens privilégiés
                                                    Montréal, qui, retrouvant au conseil
         création d’emplois en appuyant des                                                     avec les éco-quartiers. D’ailleurs, ce
                                                    municipal la majorité confortable
         entreprises d’économie de marché et                                                    programme tranche aussi avec les ini-
                                                    qu’il avait perdue durant son premier
         d’économie sociale ainsi qu’à la                                                       tiatives précédentes, notamment Vivre
                                                    mandat, se montra moins à l’écoute
         requalification pour le marché du tra-                                                 Montréal en santé, en valorisant les
                                                    des organismes communautaires.
         vail d’individus qui en étaient exclus                                                 actions directes, suivant une liste
         Les CDEC ont aussi permis d’inté-            Ensemble, les CDEC et les tables          d’activités déterminées à l’avance, par
         grer des préoccupations sociales à         constituent donc une matrice de             la Ville. Les activités types sont les
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         LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES–RIAC, 52      la Ville, sans chercher à en étendre la       Mais si le réseau associatif territo-
                                                     portée, ni à développer des partena-       rialisé, inscrit à l’intérieur de la pro-
         L’évolution du mouvement associatif
         montréalais : un retour au territoire
                       †
                                                     riats avec les organismes communau-        grammation étatique, apparaît comme
         programmé par l’État ?     †                taires. Ils ont limité leur champ          un canal privilégié de régulation des
                                                     d’action à l’éco-civisme et à la pro-      tensions sociales et de gestion de pro-
                                                     motion du recyclage. Dans un arron-        blèmes locaux, on peut se demander si
                                                     dissement péricentral, où la vie           l’institutionnalisation qui en est le
                                                     associative de type communautaire          corollaire ne vient pas mettre en péril
                                                     est plus dense, les organismes ont plu-    l’autonomie du secteur associatif, et
                                                     tôt cherché à étendre la portée de leurs   donc sa capacité à monter au front en
                                                     interventions, et pas seulement dans       matière de défense collective des
                                                     le domaine de l’environnement, mais        droits. C’est bien ce qu’ont compris
   134                                               aussi en répondant à des appels            les organismes communautaires qui
                                                     d’offres pour la lutte contre la pau-      ont négocié avec le gouvernement
                                                     vreté, pour la sécurité alimentaire ou     provincial une politique de soutien à
         corvées de ruelle ou le fleurissement
                                                     pour l’intégration des nouveaux            l’action communautaire dite auto-
         de rues. Les résidants immédiats du
                                                     immigrants. Ces organismes ont cher-       nome 12. Cette politique a été adoptée
         lieu de la corvée sont appelés à parti-
                                                                                                     †

                                                     ché davantage à s’inscrire dans les        en 2001 et doit être évaluée. L’analyse
         ciper de manière bénévole. L’appel
                                                     réseaux associatifs locaux dans une        de cette politique pourrait faire l’objet
         d’offres lancé par la Ville pose
                                                     logique d’empowerment local.               d’un article en soi, car la définition
         comme condition d’admissibilité que
         l’organisme soit sans but lucratif et                                                  même de l’action communautaire
                                                        Nos analyses montrent donc que
         impliqué dans le milieu, mais aucune                                                   autonome laisse entrevoir les contra-
                                                     ces éco-quartiers (et ceux étudiés
         obligation n’est faite de participer aux                                               dictions inhérentes à l’encadrement
                                                     ultérieurement) ont davantage œuvré
         réseaux de concertation de quartier                                                    gouvernemental de l’action associa-
                                                     sur les questions de recyclage et de
         voire d’établir des partenariats avec                                                  tive revendicatrice (ou dite de défense
                                                     propreté que sur les questions envi-
         d’autres organismes communautaires.                                                    collective des droits). Qu’il suffise ici
                                                     ronnementales plus larges et de
         La Ville privilégie ainsi la communi-                                                  de noter que si les associations ont
                                                     développement durable. Par contre,
         cation directe avec le citoyen, sans                                                   développé une expertise désormais
                                                     certains d’entre eux ont réussi à se
         intermédiaire ni obligation de déve-        faire une place dans les dynamiques        incontournable au chapitre du cadre de
         lopper une référence au quartier. Les       communautaires locales, encore             vie et du développement local, elles se
         éco-quartiers s’acquittent fort bien de     qu’ils suscitent à l’occasion les          sont aussi professionnalisées. Les
         ce mandat limité, à faible portée envi-     méfiances des organismes lorsqu’ils        postes de direction, de coordination ou
         ronnementale, à faible incidence sur        s’aventurent à l’extérieur du champ        d’agent de développement sont de
         l’empowerment collectif. La subven-         de l’environnement pour rivaliser          plus en plus occupés par des per-
         tion de base est de 50 000 dollars par      avec des organismes spécialisés dans       sonnes engagées pour leurs compé-
         district électoral et elle peut être dou-   les domaines visés mais pouvant            tences et leur expérience plus que pour
         blée voire triplée pour tout organisme      bénéficier d’une logistique moindre.       leur engagement militant. On
         chargé de deux ou trois districts. Les      Enfin, plusieurs éco-quartiers sont        s’éloigne donc des fonctions purement
         éco-quartiers peuvent ainsi bénéficier      parvenus à déjouer le choix d’une          revendicatives qui ont été à l’origine
         d’un budget de fonctionnement suffi-        échelle spatiale peu commune, le           de bien des associations.
         sant pour s’affranchir du mandat            district électoral, et à interagir à       Les atouts et les contraintes
         étroit et envisager d’élargir leur          l’échelle du quartier, en accaparant la    d’une logique de territoire
         champ d’action. Dans deux arrondis-         subvention de deux ou trois districts.
         sements étudiés, il se dégage en effet      Récemment, le redécoupage de la               À première vue, c’est bien autour
         deux modèles d’éco-quartiers. Dans          carte électorale de l’ancienne ville de    du territoire local que s’organise la
         un arrondissement du nord de                Montréal a permis de constituer des        concertation de l’action communau-
         Montréal, les organismes mandatés           districts élargis, donnant ainsi une       taire, mais un territoire local à géo-
         par la Ville ont poursuivi sans relâche     portée territoriale accrue aux éco-        métrie variable. Ainsi, l’échelle
         la réalisation des activités prévues par    quartiers qui y travaillent.               d’intervention des CDEC ne corres-
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         pond guère à celle des tables de            les immigrants qui composent la           éviter l’« émigration » des popula-
                                                                                                                       †

         concertation, puisqu’il s’agit de l’ar-     majorité du personnel de ces orga-        tions qui sont en fait leur clientèle ?  †

         rondissement pour les premières, du         nismes. Ce faisant, la concertation       L’exaltation du sentiment d’apparte-
         quartier pour les secondes. Quant           communautaire de quartier renforce        nance relève de la même stratégie de
         aux éco-quartiers, en dépit de leur         le clivage qui existe depuis toujours     fixation… et d’allégeance à ceux qui
         nom, ils fonctionnent à une échelle         dans les milieux communautaires           représentent le quartier.
         encore plus petite, le district électo-     entre les associations ethnocultu-
                                                                                                  Sans nier l’existence d’un senti-
         ral. Ces décalages spatiaux induisent       relles et celles de la majorité (ou
                                                                                               ment d’appartenance, il faut recon-
         d’ailleurs certaines frictions, lorsque     mainstream). Il faut dire que ces der-
                                                                                               naître que la réalité de nombreux
         par exemple les quartiers regroupés         nières redoutent particulièrement de
                                                                                               quartiers s’est fortement complexi-
         dans une CDEC sont par trop diffé-          voir les premières introduire dans la
                                                                                               fiée, révélant parfois de forts
         rents, ou lorsque la tâche de concer-       dynamique des tables le point de vue
                                                                                               contrastes entre groupes de popula-
         tation devient lourde et complexe           de communautés culturelles spéci-                                                       135
                                                                                               tion et par extension entre les besoins
         quand les territoires ne se superpo-        fiques (Germain et Sweeney, 2001).
                                                                                               qu’ils commandent. Quoi de commun
         sent pas. Dans tous les cas on a
                                                        Pour les tables de concertation, le    entre les populations homosexuelles
         cependant bien à faire à une logique
                                                     territoire est un atout, la base d’une    et les familles pauvres dans Centre-
         de territoire : c’est sur cette base
                        †

                                                     solidarité intersectorielle. C’est la     Sud ? Quoi de commun entre les habi-
         qu’on définit les solidarités, qu’on
                                                                                                   †

                                                     condition du dialogue entre les sec-      tants enracinés dans un quartier et les
         établit des objectifs communs, c’est
                                                     teurs publics, privés et communau-        nombreux usagers qui y passent pour
         sur un territoire que l’on construit
                                                     taires. Cette solidarité confère à son    travailler, consommer, flâner ? L’État
         une matrice de confiance qui traverse
                                                                                                                                †

                                                     tour une existence au territoire du       serait-il en train de traiter les quartiers
         les secteurs d’intervention et les
                                                     quartier. Des morceaux de territoire      comme des communautés respon-
         types d’organismes. Mais un second
                                                     comme le Centre-Sud ou le Sud-            sables de leurs membres et les orga-
         regard révèle les contraintes asso-
                                                     Ouest ont pu construire une image         nismes communautaires comme les
         ciées à ce genre de logique.
                                                     publique et fédératrice en tirant parti   opérateurs de ces communautés ?      †

            La concurrence à laquelle plu-           de cette dynamique. Mais la fluctua-         Mais les organismes fonctionnent
         sieurs éco-quartiers se sont livrés         tion dans les appellations révèle         aussi selon une logique réticulaire qui
         pour obtenir des mandats sur plu-           aussi un opportunisme qui profite         ne coïncide pas avec celle du terri-
         sieurs districts témoignait de l’inadé-     d’une réalité ambiguë. Ainsi, le Sud-     toire. Les CDEC ont créé une Inter-
         quation du choix de leur emprise            Ouest apparaît comme un territoire        CDEC pour être plus fortes face à
         territoriale initiale. Par ailleurs, plu-   homogène alors que tout sépare            l’État. Le réseau des éco-quartiers
         sieurs organismes communautaires            notamment la Petite-Bourgogne (for-       voulait s’unir face à la Ville décrite,
         n’hésitent pas à offrir des services à      tement multiethnique et stigmatisée       par certains, comme coupée de la
         des résidants d’autres quartiers que        par des problèmes raciaux) et Pointe-     base et autocratique. Les tables inter-
         le leur. Enfin, les organismes qui          Saint-Charles (bilingue mais majori-      sectorielles de concertation de quar-
         s’occupent des personnes immi-              tairement blanche).                       tier se sont également regroupées afin
         grantes ont souvent des « clientèles »
                                                                                               de défendre des positions communes,
                                     †          †

         qui sont de plus en plus dispersées            La logique de territoire a aussi ses
                                                                                               notamment face aux modalités d’éva-
         sur plusieurs quartiers. Il leur est        effets pervers, dont celui de la tenta-
                                                                                               luation que leurs bailleurs de fonds
         donc difficile de participer aux ins-       tion de rendre captif. Le non-enraci-
                                                                                               voulaient leur imposer. Si l’offre de
         tances de concertation communau-            nement de certaines catégories
                                                                                               services suppose une territorialisation
         taire dans plusieurs quartiers, et ce       d’habitants, leur mobilité peut déran-
                                                                                               de leur action, les missions davantage
         d’autant plus que plusieurs orga-           ger les stratégies de fixation des
                                                                                               revendicatives, voire politiques exi-
         nismes ethnoculturels sont relative-        populations sur un territoire. Si la
                                                                                               gent qu’ils s’en affranchissent,
         ment modestes et ne peuvent pas             mixité travail-habitat est un principe
                                                                                               comme l’ont noté Ion et Ravon dans
         compter sur de nombreux perma-              ardemment défendu par certains
                                                                                               le contexte français (1998).
         nents. Notre enquête a aussi montré         organismes, c’est bien sûr pour ses
         que la « culture de concertation »
                    †                           †    vertus pour la revitalisation des quar-     Le territoire peut devenir une res-
         n’est pas universelle et désarçonne         tiers. Mais n’est-ce pas aussi pour       source politique redoutable. Les
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         LIEN   SOCIAL ET    POLITIQUES–RIAC, 52           se « délocaliser » pour formuler des
                                                                †           †                          communautaire ne sont pas fré-
                                                           enjeux de société. Au total, le secteur     quentes dans les anciennes banlieues
         L’évolution du mouvement associatif
         montréalais : un retour au territoire
                         †
                                                           communautaire s’avèrerait éminem-           au chapitre de l’aménagement urbain.
         programmé par l’État ?      †                     ment post-moderne : il pratiquerait le
                                                                                †

                                                                                                           Ensuite, les réformes municipales
                                                           « je, ici, maintenant » plutôt que le
                                                            †                       †

                                                                                                       engagées induisent déjà des dyna-
                                                           « nous, dans le monde, demain ».
                                                            †                               †

                                                                                                       miques multi-échelles de reposition-
                                                              Par ailleurs, on ne peut conclure        nement des acteurs politiques comme
                                                           cette analyse sans évoquer le fait          de la société civile. Car on n’a pas seu-
                                                           que, dans le sillage des fusions muni-      lement fusionné toutes les municipali-
                                                           cipales décrétées par le gouverne-          tés de l’île pour en faire une seule
                                                           ment du Québec au début des années          municipalité. Le gouvernement a aussi
   136                                                     2000, ou plus exactement de la              mis sur pied une Communauté métro-
                                                           reconfiguration des institutions            politaine de Montréal couvrant la
                                                           municipales, une nouvelle donne             région, et une décentralisation est
         tables de concertation de quartier                semble se jouer même s’il est bien          venue conférer des pouvoirs significa-
         tendent à être reconnues par les                  difficile d’en prédire l’impact sur les     tifs aux arrondissements de l’ancienne
         acteurs publics comme des interlocu-              dynamiques décrites jusqu’à présent.        ville de Montréal (y compris la créa-
         teurs qui représentent le quartier et                                                         tion de mairies d’arrondissement) en
         ses besoins, comme si le quartier                    Tout d’abord, la fusion de toutes        plus de créer de nouveaux arrondisse-
         parlait alors d’une seule voix. Cette             les municipalités de l’île de Montréal      ments correspondant aux anciennes
         reconnaissance tant souhaitée par les             vient accentuer des traditions diffé-       banlieues. Il est aussi question de créer
         groupes communautaires est parfois                renciées au chapitre de la vie associa-     un conseil d’agglomération puisque
         reçue avec réticence par les orga-                tive. En effet, ce modèle de                certaines anciennes banlieues ont
         nismes de concertation qui représen-              concertation établi dans les quartiers      décidé de défusionner. Cette nouvelle
         tent leurs membres mais non                       péricentraux de Montréal est surtout        architecture municipale va, au moins
         l’ensemble du quartier (Germain et                propre aux anciens quartiers indus-         pour un temps, canaliser les énergies
         Sweeney, 2001). On touche ici aux                 triels de la ville centrale. Certes, des    politiques sur la négociation des
         dilemmes de la démocratie de parti-               expériences plus ou moins similaires        niveaux où seront traités les différents
         cipation : où finit la participation, où
                     †                                     existent à Verdun ou à Lachine depuis       dossiers. Cela aura-t-il un impact sur
         commence la représentation ?              †       un certain temps. D’autres débutent à       les stratégies des associations ? Dans
                                                                                                                                       †

                                                           Montréal-Nord ou à Saint-Laurent.           un sens, on pourrait penser que les
         Des territoires ou des niveaux ?              †

                                                           Mais il reste une sorte de clivage cul-     niveaux vont remplacer, momentané-
            Au total, si l’on tente d’apprécier            turel entre les pratiques des quartiers     ment, les territoires dans la structura-
         les effets de la territorialisation des           de l’ancienne ville de Montréal et          tion des dynamiques associatives.
         organismes communautaires, on                     celles des arrondissements de l’an-         Mais il est encore trop tôt pour évaluer
         notera qu’elle a induit un certain                cienne banlieue. Une recension des          les effets réels que ces restructurations
         pragmatisme lié au fait de traiter de             pratiques communautaires et locales         municipales auront sur le référent ter-
         problèmes locaux concrets. Mais                   de revitalisation urbaine et sociale sur    ritorial dans les dynamiques associa-
         cette territorialisation peut comporter           le territoire de l’île de Montréal a jus-   tives. À suivre donc !
                                                                                                                            †

         deux pièges. Dans la mesure où elle               tement mis en évidence l’absence de
         incite les organismes communau-                   mouvement associatif autonome pour                             Annick Germain
         taires à promouvoir la défense du ter-            tout ce qui touche les questions            INRS-Urbanisation, Culture et société
         ritoire local, elle peut conduire, avec           d’aménagement ou d’environnement
                                                                                                                           Richard Morin
         le temps, au développement d’une                  urbains dans la plupart des anciennes
                                                                                                          Département d’études urbaines et
         identité de repli, ou si l’on veut à une          banlieues de l’île (Sénécal, Germain
                                                                                                                              touristiques
         forme de localisme. D’un autre côté,              et Bénard, 2002). Dans ces dernières,
                                                                                                          Université du Québec à Montréal
         les organismes sont accaparés par des             le rôle des municipalités était par
         problèmes locaux en nombre crois-                 contre décisif. Dans la même veine,                              Gilles Sénécal
         sant et ont en corollaire bien du mal à           les pratiques de concertation inter-        INRS-Urbanisation, Culture et société
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                                                                une démarche qui lui permettra de s’ap-
         Notes                                                  proprier les réseaux de sociabilité de son    Bibliographie
                                                                quartier, le réseau des services publics
         1
             Annick Germain, Richard Morin et                   gouvernementaux et municipaux et les          BÉLANGER, Paul R., et Benoît
             Gilles Sénécal, L’évolution récente du             réseaux scolaires ». Extrait de l’allocu-
                                                                                  †                             LÉVESQUE. 1987. « Le mouvement           †

             mouvement associatif montréalais : un†             tion de Robert Perreault, ministre des          social au Québec : continuité et rupture
                                                                                                                                                 †

             retour au territoire programmé, un prag-           Relations avec les citoyens et de               (1960-1985) », dans P. R. BÉLANGER,
                                                                                                                                             †

             matisme renouvelé, Rapport, Secrétariat            l’Immigration, 1er novembre 1999.               B. LÉVESQUE, R. MATHIEU et F.
             Urbanisme, construction et architecture,                                                           MINDY, dir. Animation et culture en
             Ministère des Équipements, des
                                                           8
                                                                On peut sans doute établir un lien entre        mouvement. Fin ou début d’une
             Transports et du Logement (France),                ce virage territorial et une vaste étude        époque ? Sillery, Presses de l’Université
                                                                                                                         †

             INRS-Urbanisation, 2000, 30 p.                     financée par le ministère et la ville           du Québec : 253-266.     †

                                                                quelques années auparavant, sur la coha-
         2
             Dans le cas des éco-quartiers, la plupart          bitation interethnique et la vie de quar-     BLOCKLAND, Talja. 2003. Urban Bounds.
             des arrondissements ont été couverts par           tier (Germain et al., 1995). Cette étude        Social Relationships in an Inner City
             des études ultérieures.                                                                            Neighbourhood. Cambridge, Cambridge
                                                                                                                                                                                 137
                                                                montrait l’importance de la vie associa-
                                                                tive dans les quartiers multiethniques et       Polity Press.
         3
             Cette étude, commandée par la Ville de
                                                                la cohabitation somme toute relative-
             Montréal, examinait d’une part la pré-                                                           BLONDIN, Michel. 1967. « Notes sur                 †

             sence des associations ethnoculturelles            ment pacifique qui prévalait dans les           l’animation sociale en milieu urbain »,                      †

             sur les 20 tables de concertation intersec-        lieux publics.                                  Les cahiers de L’ICEA, 4-5 : 51-71.          †

             torielle de quartier, et analysait d’autre    9
                                                                Le Galès, pour mémoire, définit la gou-
             part en profondeur la participation (y                                                           DULH, Leonard, et Trevor HANDCOCK.
                                                                vernance locale comme « capacité à
                                                                                               †
                                                                                                                1986. Promoting Health in the Urban
             compris l’absence de participation) au             intégrer, à donner forme aux intérêts
             conseil communautaire des associations                                                             Context, « Healthy Cities Paper » No. 1.
                                                                                                                                     †                               †

                                                                locaux, aux organisations, groupes              Genève, Organisation mondiale de la
             ethnoculturelles dans un quartier donné
                                                                sociaux » (Le Galès, 1995 : 90).
                                                                        †                  †
                                                                                                                santé.
             (Germain et Sweeney, 2001).
                                                           10
                                                                Les centres locaux de développement           FAUTEUX, Martial. 2001. Les centres
         4
             Ce projet de recherche financé par le
                                                                (CLD) ont été créés par le gouverne-            locaux de développement (CLD) de l’île
             CRSH a débuté en 1998 pour se termi-
                                                                ment du Québec en 1998 et couvrent              de Montréal et de Laval. Bilan triennal
             ner en 2003 et a été mené sous la res-
                                                                l’ensemble du territoire québécois.             1998-2001. Québec, Ministère des
             ponsabilité de Richard Morin et la
             coresponsabilité de Jean-Marc Fontan,                                                              Affaires municipales et de la Métropole,
                                                           11
                                                                Le programme Éco-quartier est sans
             Pierre Hamel et Eric Shragge. Pour une                                                             Sous-ministériat au développement et
                                                                pareil au Canada, dans la mesure où la
             synthèse des résultats concernant                                                                  aux projets de la Métropole, Direction
                                                                municipalité délègue à une association
             Montréal, voir Fontan et al., 2003a.                                                               du développement local et régional.
                                                                autonome des fonctions habituellement
         5
             Ces tables, qui couvrent 20 des 24 quar-           réservées à sa fonction publique, dont la     FAUTEUX, Martial. 1999. Rapport d’acti-
             tiers de Montréal, seront financées                distribution des bacs de recyclage.             vité 1998-1999. Centre local de déve-
             conjointement par la ville, Centraide (un          Certains commentateurs y verront une            loppement (CLD) de Montréal. Québec,
             organisme qui centralise les dons de               forme de sous-traitance communautaire.          Ministère des Affaires municipales et de
             charité et les redistribue, notamment, à                                                           la Métropole.
                                                           12
                                                                Cette politique distingue l’action com-
             des organismes communautaires) et le               munautaire au sens large (pour être           FAVREAU, Louis. 1989. Mouvement popu-
             Gouvernement provincial (Régie régio-                                                              laire et intervention communautaire de
                                                                reconnu comme tel, un organisme com-
             nale de la santé et des services sociaux                                                           1960 à nos jours. Continuités et rup-
                                                                munautaire doit avoir un statut d’orga-
             de Montréal Centre).                                                                               tures. Montréal, Le Centre de formation
                                                                nisme à but non lucratif, démontrer un
         6
             Le district électoral couvre un territoire         enracinement dans la communauté,                populaire et Les Éditions du Fleuve.
             généralement plus petit que celui du               entretenir une vie associative dans la
                                                                communauté, être libre de déterminer sa       FONTAN, Jean-Marc, Pierre HAMEL,
             quartier, faisant en sorte qu’une associa-                                                         Richard MORIN et Eric SHRAGGE.
             tion doit gérer deux, parfois trois dis-           mission, ses orientations, ses approches,
                                                                                                                2003a. « The institutionalization of the
                                                                ses pratiques) et l’action communautaire
                                                                                                                             †

             tricts pour agir sur l’ensemble du                                                                 Montreal’s CDECs : From grass roots
                                                                autonome (l’organisme doit aussi avoir
                                                                                                                                                     †

             quartier. En de rares exceptions, comme                                                            organizations to the state apparatus ? »,                †   †

             dans Saint-Henri et Saint-Jacques, le              été constitué à l’initiative des gens de la
                                                                                                                Canadian Journal of Urban Research/
             district électoral regroupe deux ou trois          communauté, et poursuivre une mission
                                                                                                                Revue canadienne de recherches urbaines,
             quartiers différents.                              sociale propre à l’organisme et qui favo-
                                                                                                                12, 1 : 58-76.
                                                                                                                     †

                                                                rise la transformation sociale). Bien que
         7
             Le ministre déclare que « Toute la straté-
                                       †
                                                                centrale, la notion de communauté reste       FONTAN, Jean-Marc, Pierre HAMEL,
             gie d’intégration passera désormais par            vague, tout particulièrement lorsque            Richard MORIN et Eric SHRAGGE.
             la nécessité d’inscrire l’immigrant dans                                                           2003b. « Repenser le développement
                                                                appliquée au champ de l’immigration.                             †
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