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L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER n° 96 70 ANS D’AIDE AU LOGEMENT MAÎTRISER LES RISQUES LOCATIFS RÉSIDENTIELS BAROMÈTRE DE L’INVESTISSEMENT 2018
Multiplier les points de vue pour voir la situation sous le meilleur angle 19 implantations 282 collaborateurs 44,4 MILLIONS € de CA + de 30 000 BIENS VENDUS depuis 20 ans 1ER EXPERT DE FRANCE 17 559 actifs expertisés 1ER ÉVALUATEUR DE FRANCE 20 863 estimations Chiffres 2017 Crédit Foncier Immobilier, SA au capital de 1 499 999,91 € – 405 244 492 RCS. Paris – TVA Intracommunautaire FR 90 405 244 492 – Siège social : 19, rue des Capucines 75001 Paris Responsabilité Civile Professionnelle n°AN249200/25848, Generali Iard 2 rue Pillet-Will – 75009 Paris Carte Professionnelle Transaction sur Immeubles et Fonds de Commerce n° CPI 7501 2016 000 012 093 délivrée par la CCI de Paris Île-de-France – Garant : Compagnie Européenne de Garanties et Cautions – 16, rue Hoche Tour Kupka B – TSA 39999 – 92919 La Défense Cedex – Immatriculée à l’ORIAS (www.orias.fr) sous le numéro 11 061 592 en qualité de Conseiller en Investissement Financier (CIF), Mandataire d’intermédiaire d’assurance et Mandataire non exclusif en opérations de banque et services de paiement – Anacofi-CIF n° E003142 –
ÉDITORIAL D ans la codification de 1804, tous les biens sont nécessairement meubles ou immeubles (article 516). Face à une immobilisation tout aussi comptable que phy- sique de son capital, comment un investisseur peut-il désormais anticiper les chocs à venir ? Il lui faut suivre On les distingue les uns des autres par des taux d’intérêt tributaires d’un contexte économique des critères simples et intuitifs tirés mondialisé, guetter les évolutions réglementaires qui de leur nature, de leur destination, de impacteront demain son patrimoine, pister les ruptures l’objet auquel ils s’appliquent, etc. technologiques et sociétales qui déstructurent les modes de vie, surveiller sans relâche les politiques fiscales aux Mais en définitive, la principale distinction repose sur la effets puissants sur les marchés immobiliers. mobilité des biens : qu’il s’agisse d’un terrain ou d’un bâti- La bonne nouvelle vient de la technologie : dans un monde ment édifié sur un foncier, les biens « immeubles » sont plus mouvant, plus complexe à décrypter et à prédire que totalement immuables, tandis que les biens « meubles » se jamais, la data est un nouvel outil que l’investisseur peut transportent avec plus ou moins de facilité. désormais s’approprier. Car si les immeubles ne bougent Or, ce qui était vu autrefois comme un facteur de stabi- pas, les acteurs du monde immobilier sont bien les der- lité rassurant apparaît aujourd’hui comme un inconvénient niers à rester immobiles. dans une société qui bouge ! Victime de son immobilisme forcé, ancré dans son territoire, l’immeuble est désormais Tous ces sujets sont abordés dans les articles de ce nou- le jouet des aléas du progrès : si la ville ou le quartier évo- veau numéro de l’ODI, dont je vous souhaite une agréable lue, il en subira les évolutions ; si l’économie immobilière et profitable lecture. bouge, si les normes évoluent, si la demande se déplace, l’immeuble devra s’adapter à un nouveau contexte, à un marché aux équilibres différents, à une concurrence nouvelle. Technique ou économique, l’obsolescence devient le défi Anne-Marguerite Gascard majeur d’une industrie immobilière de longue période, Directeur Général dans une société de plus en plus court-termiste. Crédit Foncier Immobilier
4 L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER REVUE DU CRÉDIT FONCIER Crédit Foncier Immobilier 19, rue des Capucines – Paris 1er Adresse postale : 4, quai de Bercy 94224 Charenton Cedex Téléphone : 01 57 44 80 00 Télécopie : 01 57 44 86 85 Directeur de la publication : Anne-Marguerite Gascard. Rédacteur en chef : Emmanuel Ducasse. Comité de rédaction : Mirella Blanchard, Éric Buffandeau, Denis Burckel, Benoît Catel, Nicole Chavrier, Bernard Coloos, Emmanuel Ducasse, Christian de Kerangal, Marc Ménagé, Michel Mouillart, Nicolas Pécourt et Bernard Vorms. Abonnements : Karima Zerguit : 01 57 44 78 61 Mail : karima.zerguit@creditfoncierimmobilier.fr Changement d’adresse : prière de joindre la dernière étiquette-adresse en nous précisant votre nouvelle adresse. Prix abonnement au numéro : 30 € Prix abonnement 4 numéros : 100 € Crédit Foncier de France – S. A. au capital de 1 331 400 718,80 € – 542 029 848 RCS Paris. Maquette et réalisation : Crédits photo : IStock. Impression : Stipa. Dans le souci du respect de l’environnement, le présent document est réalisé par un imprimeur Imprim’Vert®, avec des encres bio à base d’huile végétale sur un papier certifié PEFC™ fabriqué à partir de fibres issues de forêts gérées durablement. N° de commission paritaire : 2026 AD – ISSN 0767– 6794. Dépôt légal : juin 2018. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96 94
5 SOMMAIRE ÉCONOMIE DIGITALISATION 1 L ’inflation à 2 % : 2 L es nouvelles technologies un dogme risqué ? > P. 8 et la disruption de l’économie > P. 14 Par Éric Buffandeau, Directeur Par Nicolas Tarnaud, Frics, économiste, n° 96 adjoint Études, Veille et Prospective, Directeur du MBA Immobilier International pôle Stratégie, BPCE. à Financia Business School et chercheur associé au laboratoire LAREFI Université Cet article questionne l’objectif de Bordeaux. des banques centrales du retour aux 2 % d’inflation et fait le point Un décryptage de la montée en puissance sur ses incidences dans l’économie. des Gafam et de leurs incidences sur le secteur économique, financier et immobilier. LOGEMENT 3 L es aides au logement en longue 4 Comment réduire les risques locatifs période (1948-2018) > P. 30 résidentiels ? > P. 46 Par Michel Mouillart, Professeur Par Emmanuel Ducasse, Mrics, Directeur d’économie à l’université Paris Ouest, des Études, Crédit Foncier Immobilier. Frics. Cet article fait le point sur l’estimation Un tour d’horizon des différentes et la réduction des risques locatifs politiques d’aide au logement en longue résidentiels avant investissement. période depuis 1948. INVESTISSEMENT 5 Les impacts de l’IFI 6 Le baromètre MSCI de l’investissement sur la détention d’immobilier immobilier français > P. 64 en direct et en indirect > P. 62 Par Carine Dassé, Vice-président et Par Cécile Blanchard, Directrice des Romain Batut, Consultant, MSCI Real Études micro-sectorielles, Crédit Foncier Estate France. Immobilier. Société internationale dédiée à la mesure Un éclairage sur les incidences du nouvel de performance et de risque pour l’immobilier impôt sur la fortune immobilière, prévu par institutionnel, MSCI, en partenariat avec la loi de finances 2018, sur les détenteurs Crédit Foncier Immobilier, nous livre les anticipations pour de biens immobiliers. 2018 des plus grandes sociétés d’investissement présentes en France et nous livre sa vision du marché pour 2019. NDLR : Les opinions exprimées dans les articles de cette revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la rédaction ou du Crédit Foncier.
7 ÉCONOMIE n° 96 L’INFLATION À 2 % : UN DOGME RISQUÉ ? Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint Études, Veille et Prospective, pôle Stratégie, BPCE.
8 1 L’INFLATION À 2 % : UN DOGME RISQUÉ ? Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint Études, Veille et Prospective, pôle Stratégie, BPCE. (Achevé de rédiger le 20 novembre 2017.) L es banques centrales font de l’objectif des 2 % d’infla- tion une quête insaisissable, alors que ce dogme ne repose sur aucun fondement théorique véritable et que la jusqu’au rebond inattendu du mois d’août : la coexistence, d’une part, d’une croissance sans inflation, et d’autre part, d’une faible inflation salariale, malgré un niveau désormais hausse des prix se loge dangereusement plutôt dans les beaucoup plus bas du taux de chômage, singulièrement outre- valorisations d’actifs. Ce retour tant espéré vers 2 % d’in- Atlantique. Ce phénomène renforce à court terme l’atten- flation n’est pourtant qu’un compromis artificiel à la fron- tisme relatif des banques centrales, avec le risque de créer tière subjective entre deux craintes opposées : l’émergence les conditions d’une spirale haussière sur les prix d’actifs, de l’inflation incontrôlable et du spectre déflationniste. elle-même susceptible de nuire dangereusement à terme à la stabilité financière. Il est cependant intéressant de rappe- ler que deux types de facteurs expliquent généralement les mouvements des prix : des causes exogènes et endogènes. 1.1 / POLITIQUE MONÉTAIRE Les premières sont des chocs externes de prix, comme les mouvements des prix du pétrole ou du taux de change mais ne débouchent pas directement sur un processus inflation- D e part et d’autre de l’Atlantique, les banques centrales, dont les politiques monétaires demeurent encore histo- riquement ultra-accommodantes en intensité (taux directeurs niste. Ce dernier ne peut en effet être entretenu que par des causes endogènes, issues de tensions renouvelées à la fois sur les marchés des biens et services (surchauffe des prix) et proches de zéro, voire négatifs pour la BCE et déversement les marchés du travail (hausse des salaires). L’inflation pétro- de liquidités à travers le quantitative easing (1)) comme en lière, si elle n’est pas relayée par un mécanisme endogène durée (plus de huit ans pour la Fed !), sont en quête d’un d’indexation des salaires sur les prix, n’est donc qu’un choc Graal, le retour apparemment insaisissable de l’inflation vers temporaire et exogène par les coûts : elle s’éteint naturelle- 2 %. Deux énigmes équivalentes ont donc émergé depuis l’été ment par l’effet récessif qu’elle porte en elle-même, toutes 2017, surtout aux États-Unis, où l’inflation de base a ralenti choses égales par ailleurs. (1) L’explosion du bilan de la BCE est le résultat de son programme d’achats d’actifs (le QE, quantitative easing) lancé en mars 2015 pour redresser l’inflation. La taille du bilan de la BCE a nettement dépassé son précédent pic. Elle atteint 39 % du PIB de la zone euro : cela représente 15 points de PIB de plus que ce que la Fed a jamais effectué. Ce ratio bilan/PIB continuera d’augmenter au minimum jusqu’en septembre 2018 : il ne pourra pas diminuer tant que le principal des titres arrivant à maturité est réinvesti. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
économie 9 1.2 / UN RECUL TEMPORAIRE L’emploi à faible niveau relatif de qualification et de salaire DU POUVOIR DE NÉGOCIATION se développerait davantage. De plus, l’impact du remplace- DES SALARIÉS ? ment des baby-boomers par des salariés jeunes et moins bien rémunérés se serait accru depuis le début des années 2010. L’inertie des salaires ne serait-elle pas un phénomène provi- P eut-on comprendre pourquoi aucune tension salariale ne semble émerger, en dépit de l’amélioration de la conjonc- ture et de la situation de l’emploi et du déversement de liqui- soire à mesure que l’activité gagne en robustesse ? dités ? Plusieurs explications conjointes, qui traduisent une limitation de la capacité de négociation des salariés, sont 1.3 / LA COURBE DE PHILLIPS : souvent proposées. L’existence de réserves de travail inem- UN REPÈRE DE PILOTAGE ? ployées serait mal identifiée par les statistiques de l’emploi : il faudrait en effet ajouter à la mesure habituelle du chômage la sous-utilisation de la main-d’œuvre, cette dernière compre- nant les personnes dotées d’un contrat à temps partiel dési- rant travailler davantage et les personnes souhaitant travailler C es deux énigmes renvoient à la célèbre courbe de Phillips, qui met en évidence une relation négative entre la hausse des salaires et le chômage, à partir d’une mais dissuadées par la conjoncture de rechercher un emploi. constatation empirique sur l’Angleterre entre 1867 et 1957 L’utilisation des capacités de production serait encore faible. menée par Phillips en 1958. En effet, au-delà d’un certain Sans parler du phénomène des déréglementations, la disci- niveau de chômage, les salariés ne sont plus en position de pline des prix imposée par l’ouverture internationale aurait force pour exiger une hausse de salaire, le partage des gains nettement augmenté et mettrait en concurrence les salariés de productivité s’effectuant alors en faveur de l’entreprise. du monde entier. Les bouleversements technologiques exer- Cette corrélation est ensuite (Lipsey, 1960) devenue une rela- ceraient une pression désinflationniste élevée, du fait notam- tion inverse entre inflation et chômage, comme s’il pouvait ment de l’automatisation de certaines tâches (développement exister un dilemme entre autoriser un peu plus d’inflation du numérique). Par ailleurs, une étude récente de la Fed de pour faire baisser le chômage et, inversement, accepter San Francisco a montré que la faible progression des salaires davantage de chômage pour réduire l’inflation. L’histoire aux États-Unis venait en partie du changement accéléré dans des années 1970-1980 a montré qu’on pouvait rencontrer à la la composition de la main-d’œuvre selon deux modalités. fois de l’inflation et du chômage, du fait de l’apparition d’un véritable choc d’offre par les coûts : les chocs pétroliers ont stimulé l’inflation, nourrie à l’époque par l’indexation des LA DISCIPLINE salaires sur les prix, ce qui a provoqué une obsolescence de l’appareil de production, induisant une perte de rentabilité, DES PRIX IMPOSÉE d’où la flambée du chômage. L’arbitrage à long terme entre PAR L’OUVERTURE inflation et chômage apparaît impossible, en raison du rôle primordial des anticipations (M. Friedman et E. Phelps). La INTERNATIONALE AURAIT clé doit en effet être recherchée dans les comportements NETTEMENT AUGMENTÉ des agents économiques, eux-mêmes déterminés par leur connaissance des mécanismes économiques, selon les cir- ET METTRAIT EN CONCURRENCE constances et les structures économiques dans un lieu spé- LES SALARIÉS DU MONDE ENTIER. cifique. Au-delà de la position conjoncturelle dans le cycle
10 L’INFLATION À 2 % : UN DOGME RISQUÉ ? de croissance, le taux de chômage (d’équilibre) dépend a alors qu’il pourrait avoir des effets économiques dangereux. priori fondamentalement des règles du marché du travail, Il tire sa légitimité d’une logique de bon sens, alliant le c’est-à-dire de l’importance des rigidités qui empêchent une pragmatisme du mieux maîtrisable au raisonnable, jusqu’à bonne adéquation entre l’offre et la demande de travail. Il la recherche d’un certain consensus, sans parler du prétexte ne découle donc pas à long terme de la politique monétaire, d’une mécanique très légèrement inflationniste d’ajuste- même s’il peut exister à court terme une corrélation négative ments de prix, qui serait nécessaire au bon fonctionnement entre les fluctuations conjoncturelles du chômage autour de d’une économie : viser 0 %, voire 1 % (trop proche de zéro !) son niveau d’équilibre et celles de l’inflation autour du point risquerait de guider les prix en territoire négatif, donc de d’ancrage des anticipations. C’est pourquoi les banques provoquer l’émergence d’un processus déflationniste ; tolé- centrales, par souci d’indépendance et de crédibilité, ont rer 3 %, voire 4 % pourrait mener à des dynamiques de déra- renoncé à utiliser l’inflation pour réduire à court terme le page non contrôlable des prix, voire à l’hyperinflation. En chômage, de manière à assurer la stabilité des prix à moyen appui de cette norme de 2 %, un rapport controversé pour terme au voisinage d’un objectif de 2 %. la commission des finances du sénat des États-Unis – le rap- port Boskin, publié en décembre 1996, dont les conclusions sont par ailleurs beaucoup moins transposables à la France, d’après l’Insee – a conclu que l’indice officiel des prix à 1.4 / UNE LOGIQUE DE BON SENS la consommation des ménages (Bureau of Labor Statistis) AUX APPARENCES DE BIEN-FONDÉ ? surestimait systématiquement l’inflation de 1,3 point pour les années antérieures à 1996 (depuis une décennie) et de 1,1 point pour celles à venir, en raison notamment des biais S elon le dogme monétaire des 2 % d’inflation, l’augmen- tation du niveau général des prix ne doit franchir ce seuil ni exagérément à la baisse, ni fortement à la hausse, liés à la substitution des produits. On affirmait néanmoins l’inverse dans les années 1970, lorsque les prix filaient à vive allure. L’inflation idéale (rêvée ou optimale ?) peut-elle sans que les autorités monétaires se sentent dans l’obliga- être décrétée ? tion d’intervenir, soit pour soutenir l’activité, soit pour la freiner. Ce but apparaît comme un compromis subjectif à la frontière entre deux craintes opposées, celle de l’inflation incontrôlable et celle du processus déflationniste de contrac- 1.5 / UNE QUESTION MAJEURE tion cumulative de l’ensemble des prix, de l’activité et de DE POUVOIR D’ACHAT DE LA MONNAIE l’emploi – qu’il ne faut pas confondre avec la désinflation, mouvement prolongé de ralentissement, voire de recul des prix. Cette vision interventionniste, qui tient implicitement d’une forme de constructivisme, se nourrit des expériences inflationnistes et déflationnistes traumatisantes vécues au C ette norme ne tient-elle pas aussi en partie à la prédo- minance trop souvent donnée au crédit comme mode privilégié de financement de l’économie – ce qui est d’ailleurs cours du XXe siècle : celles-ci ont parfois conduit à des réces- à l’origine des crises répétées d’excès d’endettement – aux sions extrêmement sévères, voire durables, à l’exemple des dépens du financement par les fonds propres ? De même, ne spectres de l’hyperinflation allemande de 1923-1924 ou de génère-t-elle pas un effet d’aubaine, qui réduit à court terme la crise de 1929. Cependant, cette cible, affichée spécifique- les tensions sociales, permet d’effacer les dettes, de faire ment par la BCE, reste artificielle, car ce niveau annuel de croître les recettes fiscales et de mieux équilibrer les budgets ? 2 % ne repose sur aucun fondement théorique véritable, Elle contredit pourtant singulièrement la mission de stabilité L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
économie 11 LE NIVEAU ANNUEL bulles spéculatives et d’une allocation inefficace, à terme, du capital à travers le maintien d’une politique monétaire trop DE 2 % NE REPOSE SUR longtemps laxiste, quand l’inflation ne se loge plus directe- AUCUN FONDEMENT ment dans l’élévation des prix des biens et services, via le relais des salaires, mais dans des valorisations d’actifs (obli- THÉORIQUE VÉRITABLE, ALORS gations, actions, immobilier, matières premières…). Certaines QU’IL POURRAIT AVOIR DES EFFETS banques centrales, telle la BCE – certes dans le but honorable de sauvegarder la zone euro –, ne sont-elles pas allées jusqu’à ÉCONOMIQUES DANGEREUX. inventer un concept infernal comme celui des taux négatifs, puisque ce type de « rendement » ne reflète plus une préfé- des prix (mandat principal de la BCE), c’est-à-dire d’inflation rence à la fois légitime et raisonnable pour le présent ? quasi nulle, qui est impérativement assignée à toute banque centrale, en raison même du monopole extraordinaire de création monétaire. En effet, cette cible induit une déprécia- tion perpétuelle – exponentielle ! – de la valeur de la devise 1.6 / UNE NORMALISATION MONÉTAIRE considérée, si elle était régulièrement atteinte, du fait de la INÉLUCTABLE relation biunivoque qui lie inflation et taux de change : une hausse continue de l’indice des prix de 2 % pendant dix ans altérerait de plus d’un cinquième (21,9 %) le pouvoir d’achat de ceux qui détiennent cette monnaie. Même si toutes les autres banques centrales appliquaient comme l’autorité monétaire L a fin du spectre de la déflation, la dérive dangereuse de l’endettement public et désormais privé, la forma- tion inévitable de bulles de prix d’actifs et le risque induit de la zone concernée le même objectif des 2 % avec autant de à terme de perte irrémédiable de crédibilité monétaire des succès, le résultat s’assimilerait toujours à un phénomène de banques centrales conduisent impérativement celles-ci à seigneuriage, privilège par lequel l’émetteur de la monnaie normaliser progressivement et le plus habilement possible (ou le « faussaire », s’il ne s’agit pas d’une banque centrale) (pour éviter le piège de la dette !) des politiques monétaires peut capter une partie des richesses de manière invisible. En toujours historiquement expansionnistes, tant aux États- effet, les acteurs économiques, qui ne produisent pas la mon- Unis (en avance sur le processus de normalisation) qu’en naie ou qui ne profitent pas de l’inflation ainsi engendrée – a zone euro (en retard). En particulier, le plan d’assouplis- contrario, les débiteurs ou l’État bénéficient de la réduction sement quantitatif, dont la stratégie de sortie ne peut se du coût réel de la dette passée aux dépens des créanciers –, référer à aucune expérience pratique, n’a jamais été utilisé doivent travailler davantage chaque année pour acquérir un dans l’histoire monétaire mondiale. La faiblesse observée même volume de biens et services, en raison de l’augmenta- des hausses de prix sous l’objectif des 2 % et le risque de tion continue des prix et du retard d’indexation des salaires. ralentissement économique ne sont pas suffisants pour blo- L’inflation, même faible, reste un impôt déguisé sans progres- quer ce tournant monétaire, même s’il demeure graduel sivité possible, qui n’est jamais indolore : il est économique- et prudent. Ne s’agit-il pas aussi de retrouver des marges ment inefficace (puisqu’il n’est pas le reflet d’une création de ultérieures de manœuvre monétaire en cas de nouvelles richesse), socialement inégalitaire (avec des gagnants et des crises, en retirant peu à peu ces moyens non convention- perdants) et profondément antidémocratique (sans existence nels disproportionnés et encore sans effets notables sur légale, car non voté par un parlement). L’autre danger, beau- l’inflation sous-jacente ? coup plus actuel, vient du risque de créer les conditions de
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13 DIGITALISATION n° 96 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE Par Nicolas Tarnaud, Frics, économiste, Directeur du MBA Immobilier International à Financia Business School et Chercheur associé au laboratoire LAREFI Université de Bordeaux.
14 2 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE Par Nicolas Tarnaud, Frics, économiste, Directeur du MBA Immobilier International à Financia Business School et chercheur associé au laboratoire LAREFI Université de Bordeaux. 2.1 / INTRODUCTION technologies, l’ensemble des activités économiques s’auto- matisent afin de rester compétitives au niveau mondial. Peter Thiel (4) souligne l’importance de la technologie au A ujourd’hui, l’épargne, le crédit et la consommation sont la clé de voûte d’une économie financiarisée, numérisée et mondialisée dont l’ensemble des secteurs sein de la mondialisation. Cette dernière représente un poids de plus en plus important au sein de la mondialisa- tion : « La plupart des gens pensent que la mondialisation deviennent interdépendants. Le système capitaliste ainsi définira l’avenir du monde, mais la vérité, c’est que la techno- que ses acteurs privés et publics ont évolué à l’échelle logie pèse encore davantage » (5). Qu’il s’agisse d’institutions internationale. L’hégémonie financière et technologique publiques ou privées, l’optimisation des moyens de pro- américaine, devant celle de la Chine, de l’Inde et de l’Eu- duction est souvent liée à des arbitrages financiers chro- rope, est plus que jamais présente sur la scène mondiale. nométrés. Avec la financiarisation et la transformation des Aujourd’hui, les leaders technologiques sont représen- modes de production via le numérique, les gouvernances tés par les Gafam (1) et les Natu (2). Ces entités ne sont ni d’entreprise doivent gérer deux paramètres essentiels : la européennes, ni indiennes, ni chinoises. Elles sont amé- performance et le temps. Nous sommes dans un monde ricaines. François Fouquet considère que « L’État améri- où tout va de plus en plus vite, ultra-compétitif et soumis cain n’est pas un État comme les autres, simplement plus aux impératifs économiques, et l’immobilier n’échappe pas gros que les autres : c’est l’état singulier du leader de l’éco- à la règle. En effet, ce secteur est amené à évoluer dans nomie mondiale. Il profite d’une surpuissance… Il tient lieu un environnement de data, d’algorithmes et de disruption. de régulateur en dernier ressort des marchés mondiaux, et Dans ces conditions, les Gafam seront-elles les gestion- notamment des marchés financiers » (3). Grâce aux nouvelles naires d’un monde qu’elles ont contribué à disrupter, ces (1) Gafam : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. (2) Natu : Netflix, Airbnb, Tesla, Uber. (3) François Fourquet, « Quarante-huit thèses sur le capitalisme », Revue du Mauss, n° 34, 2009, p. 189-207. (4) Peter Thiel est un entrepreneur américain. Il est confondateur de Paypal avec Max Levchin et Elon Musk. (5) Peter Thiel et Blacke Masters, De zéro à un – Comment construire le futur, JC Lattes, 2016. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
digitalisation 15 dernières années ? Enfin, pourrions-nous aborder l’immo- bilier de demain sans évoquer les Gafam, les nouvelles LE SECTEUR DE technologies, la disruption et l’ubérisation ? L’IMMOBILIER EST AMENÉ À ÉVOLUER DANS UN ENVIRONNEMENT 2.2 / DISRUPTION ET UBÉRISATION DE DATA, D’ALGORITHMES ET DE DISRUPTION. S ouvent à la une des médias nationaux et internatio- naux, les termes « disruption » et « ubérisation » ont fait leur entrée dans le langage quotidien. Le verbe disrupter secteurs d’activité est à l’origine du principe dit « d’ubérisa- tion ». Hier, Uber n’était qu’un moyen de transport indivi- exprime une rupture avec un système antérieur. La disrup- duel dans la majorité des villes mondiales. Aujourd’hui, sa tion est apparue avec l’outil informatique, comme le rap- filiale Ubereats livre des plats de restaurants partenaires pelle Peter Thiel : « La Silicon Valley est devenue obsédée par au travail ou à domicile, en centre-ville comme en périphé- la disruption. À l’origine, “disruption” était un terme tech- rie. Demain, Uber transportera des marchandises via des nique utilisé pour décrire comment une entreprise peut utili- camions, des bateaux, des avions et des drones partout dans ser les nouvelles technologies pour introduire un produit bas le monde grâce au perfectionnement des algorithmes. de gamme à bas prix, améliorer le produit au fil du temps, et éventuellement dépasser les produits haut de gamme offerts Par ailleurs, il n’est pas impossible que dans le futur, Uber, par les entreprises établies qui utilisent l’ancienne technolo- tout comme ses concurrents, utilise des voitures autonomes gie. C’est à peu près ce qui est arrivé quand l’avènement des sans chauffeur pouvant transporter aussi bien des personnes PC a disrupté le marché des ordinateurs avec unité centrale : le que des objets. Dans ces conditions, la voiture autonome premier PC ne semblait pas pertinent, il est devenu dominant. pourra remettre en question l’activité des 30 000 chauffeurs Les appareils mobiles d’aujourd’hui auront peut-être le même VTC parisiens et des 60 000 chauffeurs de taxi qui travaillent effet sur les PC » (cf. note 5, p. 14). actuellement en France. Les premières voitures partielle- ment autonomes pourraient circuler d’ici 2025. Cette auto- Ce terme indique le bouleversement de l’ordre établi d’un matisation va se réaliser dans des situations prévues en marché. Grâce à la digitalisation, la photo ne s’imprime amont telles que rouler sur l’autoroute, et durant la journée. plus, elle se stocke sur le cloud, se partage sur les réseaux Selon certains experts, l’autonomie intégrale des voitures sociaux et les blogs. Les centaines de boutiques physiques doit être envisagée à l’horizon 2040. de photos (Fnac photo, Fox...) ont fait place à de nouveaux Cette automatisation systématique disruptera, ainsi, de commerces. L’ubérisation s’inscrit quant à elle dans la conti- nombreux acteurs du transport individuel comme les taxis, nuité de la disruption. L’ubérisation est un néologisme qui les ambulanciers ou encore les dépanneurs. En déclarant trouve son origine dans les prépositions d’origine allemande au Financial Times en 2014 « Tout le monde a peur de se et anglo-saxonne « über ». Uber est également le nom donné faire ubériser. C’est l’idée que l’on se réveille brusquement en au groupe de covoiturage californien créé aux États-Unis en découvrant que son activité historique a disparu », Maurice 2009 par Garrett Camp, Travis Kalanick et Oscar Salazar, Lévy a rappelé que nous vivions une période de mutations valorisé 68 milliards de dollars lors de la dernière augmen- économiques et sociétales significatives. Nous allons donc tation de capital. L’extension du concept d’Uber à plusieurs connaître des lendemains qui pourront être à la fois stimu-
16 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE lants et perturbants économiquement. L’Observatoire de rique est portée par les Gafam, qui deviennent aujourd’hui l’ubérisation, né en 2015, définit l’ubérisation comme un les chefs d’orchestre de cette nouvelle économie. Ces entités « changement rapide des rapports de force grâce au numérique vont continuer à participer avec d’autres acteurs à la disrup- […] Au carrefour de l’économie du partage, de l’innovation tion de secteurs d’activité afin de conserver leur hégémonie numérique, de la recherche de compétitivité et de la volonté financière et technologique mondiale en stockant et en ana- d’indépendance des Français, ce phénomène est une lame de lysant des milliards de data quotidiennement. fond qui va petit à petit impacter tous les secteurs de l’écono- mie traditionnelle des services ». Cette mutation technolo- gique à grande vitesse est beaucoup plus profonde qu’on ne le pense et ses répercussions, tant au niveau professionnel 2.3 / LES DATA que personnel, sont déjà importantes. En effet, l’impact du numérique est aussi fort que celui de la radio et de la télévi- sion, à leur époque. Selon Jacques Lesourne, nous sommes entrés dans une nouvelle ère : « Celle de l’électronique, de l’informatique et des télécommunications qui, née des progrès E n 2017, le Worldwide revenues for big data and business analytics prévoyait que les revenus mondiaux liés au big data représenteraient 210 milliards de dollars dans le de la physique, a donné naissance au téléphone, à la télévi- monde, en 2020. Quel que soit le chiffre réel, il sera consé- sion, à l’ordinateur, à Internet, au robot, à l’intelligence arti- quent et évoluera dans le temps. L’homme a toujours pro- ficielle, et modifié de fond en comble le fonctionnement tech- duit, émis, reçu, puis mémorisé l’information, et enfin, s’est nique, économique, politique et social de toutes les collectivités appuyé sur les machines pour la stocker et la traiter grâce humaines, et débouche sur une révolution plus profonde que aux algorithmes, remarque l’académicien Michel Serres : « Je la révolution industrielle amorcée au XVIIIe siècle, la révolu- ne connais pas d’être vivant, de cellule, tissu, organe, indi- tion numérique » (6). Nous vivons une période de révolutions vidu et peut-être même espèce, dont on ne puisse pas dire qu’il simultanées liées les unes aux autres. Loin d’être achevées, stocke de l’information, qu’il traite de l’information, qu’il émet elles sont économiques, technologiques (intelligence artifi- et qu’il reçoit de l’information ». Sans que nous le sachions, cielle) et sociétales. Yann LeCun (7) déclarait dans une inter- le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus géré view en 2015 : « Je n’ai jamais vu une révolution aussi rapide. par les algorithmes. Ces instruments de calcul appuient la On est passé d’un système un peu obscur à un système uti- production de data afin d’accompagner les utilisateurs et lisé par des millions de personnes en seulement deux ans » (8). les consommateurs dans leurs décisions d’achats immédiats Les deux derniers siècles (XIXe et XXe) ont été les témoins et futurs. Tout est inscrit dans l’immédiateté, que l’on soit d’une succession d’inventions et d’innovations qui ont utilisateur ou producteur de produits et de services. En révolutionné notre quotidien. Dès le XIXe siècle, Friedrich 1989, selon John Mashey, directeur scientifique de Silicon Nietzsche affirmait : « La presse, la machine, le chemin de Graphics : « Ceux qui conservent les données nous disent qu’ils fer, le télégraphe sont des prémisses dont personne n’a encore le font pour le bénéfice du consommateur. Mais en réalité, les osé tirer la conclusion qui viendra dans mille ans » (9). Bien data pourraient très bien être utilisées dans des buts autres qu’étant à ses balbutiements, l’industrialisation du numé- que ceux dans lesquels elles ont initialement été collectées » (10). (6) Jacques Lesourne, Les chemins de l’avenir, Éditions Odile Jacob, 2017. (7) Yann LeCun, directeur scientifique et technique chez Facebook. (8) « Comment le “deep learning” révolutionne l’intelligence artificielle », Le Monde, juillet 2015. (9) Friedrich Nietzsche, Le voyageur et son ombre, 1879. (10) Gilles Babinet, Big data, penser l’homme et le monde autrement. Le Passeur éditeur, 2015. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
digitalisation 17 Adrien Basdevant et Jean-Pierre Mignard confirment que « cette masse de données double tous les deux ans et devrait atteindre 44 zettaoctets en 2020, soit plus de six fois la dis- tance séparant la Terre de la Lune » (11). Aussi, pour véhiculer l’information, il convient de souligner qu’il existe une aug- mentation du volume des données et de leur production, réalisée via un même réseau, Internet. Cette information est à la fois un contenu et une donnée. À chaque internaute correspond une succession de data que savent parfaitement optimiser les leaders du Web mondial, compensant ainsi l’accessibilité gratuite à leur plate-forme et à leurs services. L’essor de l’économie de gratuité freeconomics est alimenté par les technologies de l’ère numérique. « Selon la loi de Moore, le prix d’une unité de puissance de traitement dimi- nue de moitié tous les deux ans ; le prix de la bande passante et du stockage chute encore plus vite. L’Internet associe les trois, en renforçant la baisse des prix grâce à un trio techno- logique : processeurs, bande passante et stockage » (12). Ainsi, l’internaute qui publie gratuitement la vente de sa maison sur la market place se verra suggérer sur sa propre page, par Facebook, des publicités d’agents immobiliers, d’une part, et des offres de crédit immobilier, d’autre part. de likes et de métadata pour la data economy. Plus l’utilisa- Facebook offre des services gratuits à partir desquels il réa- teur sollicite les plates-formes, et plus celles-ci détiennent des lise, ipso facto, un chiffre d’affaires selon le profil de l’in- informations sur son profil grâce à toutes les traces qu’il laisse. ternaute. Ce dernier produit lui-même, sans le savoir, une Par ailleurs, aussi puissantes soient-elles, ces entités du Web valeur économique et ses données personnelles sont moné- se heurtent à des internautes de plus en plus réticents à confier tisées dans la commercialisation de bases de données agré- leurs données. En effet, ces géants de la “tech” stockent nos gées. En 2017, chaque utilisateur a rapporté plus de 20 dol- historiques dans les plus puissants data centers du monde, lars au réseau social de Menlo Park. Les annonceurs paient localisés aussi bien en Alaska que dans la Silicon Valley » (13). au prix fort l’accès à ces données. De ce fait, la valeur est La Silicon Valley a toujours permis aux talents de rencon- déterminée grâce à l’information que l’internaute fournit au trer des start-up et des locomotives technologiques depuis réseau social ou à la plate-forme. Plus l’utilisateur dispose plus de 60 ans. Malgré le développement de hubs technolo- d’un profil actif, plus la plate-forme le monétise et se valo- giques dans les grandes capitales mondiales, la Silicon Val- rise financièrement. Comme le rappelle Bernard Stiegler, ley demeure toujours un lieu d’émulation, de rencontre, de « nous sommes tous contributeurs et producteurs de cookies, création, de rachat et de financement. (11) Adrien Basdevant et Jean-Pierre Mignard, L’Empire des données, Don Quichotte éditions, 2018. (12) Chris Anderson, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, 2009, Pearson Education France. (13) Extrait d’interview du 17 septembre 2016, www.culturemobile.net.
18 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE 2.4 / LA SILICON VALLEY LES GAFAM PARTICIPENT AVEC T out a sa raison d’être, dans la Silicon Valley. Ce n’est pas un hasard si Google, Facebook et Apple ont choisi cette localisation pour leur siège social, berceau historique D’AUTRES ACTEURS DU CAPITAL RISQUE AU des nouvelles technologies, pour rejoindre un écosystème unique au monde. Ici, les leaders de la « tech » ont bénéficié FINANCEMENT DE NOMBREUSES d’un important tissu industriel, technologique et intellectuel START-UP. installé depuis plusieurs décennies, relève Peter Thiel : « Ces dernières décennies, les progrès rapides de la technologie de Mais est amorcée aujourd’hui une étape bien plus révolution- l’information ont transformé la Silicon Valley en capitale de la naire : celle des ordinateurs intelligents, qui non seulement “technologie” au sens général du terme. Mais rien n’impose que pilotent des systèmes techniques, mais peuvent dialoguer la technologie se limite aux ordinateurs. À proprement parler, entre eux ». La Silicon Valley a été le point de départ pour elle englobe tout procédé qui se révèle supérieur ou inédit » (14). Google, Facebook et Apple avant qu’ils ne conquièrent le La Silicon Valley n’aurait jamais connu un tel essor depuis reste du monde depuis une quinzaine d’années de manière les années 1950 sans la présence d’institutions académiques exponentielle. prestigieuses : les universités de Stanford, et de Berkeley avec leurs laboratoires, leurs chercheurs et leurs talents Bien que le World Wide Web (www) et les liens hyper- respectifs. Stanford, avec ses 18 prix Nobel actuellement en textes aient été inventés par Tim Berners-Lee (15) au Cern (16) activité, est devenue l’épicentre absolu de ce lieu, depuis à Genève, en 1989, ils se sont réellement développés dans plusieurs décennies. Les premiers algorithmes à l’origine de la Silicon Valley durant les années 1990 avec des structures la création de Google ont été inventés dans un laboratoire telles que Netscape et Yahoo. Dès lors, Google construira du célèbre campus de Palo Alto. L’informatique et les ordi- l’empire que nous connaissons, développé à partir de com- nateurs individuels apparaissent dès 1972. Quelques années pétences, de créativité et de réalisation de projets. C’est sou- plus tard naîtront l’Apple I de Mac et le PC de Microsoft. vent grâce à des situations vécues que naissent les réussites L’émergence des ordinateurs et des superordinateurs a fait dans cette région de la Californie. Par exemple, la pénurie partie du premier chapitre des nouvelles technologies aux d’hôtels à San Francisco a fait naître Airbnb en 2008 et celle États-Unis et au-delà de leurs frontières. De sa création à de taxis à Paris (aux heures de pointe) a donné naissance à nos jours, l’informatique n’a cessé d’évoluer en franchissant Uber en 2009 dont le siège se trouve aujourd’hui à Oakland, plusieurs étapes, comme le mentionne Jacques Lesourne : en face de San Francisco. Via leurs fonds d’investissement « L’informatique a traversé plusieurs phases : celle du calcul respectifs, les Gafam participent avec d’autres acteurs du scientifique et de la mise en ordre des données de gestion, capital risque au financement de nombreuses start-up qui celle de l’Internet avec la généralisation des courriels, l’ac- deviendront pour certaines d’entre elles les « licornes » (17) cès à des banques de données et à de multiples documents. de demain. (14) Peter Thiel et Blake Masters, De zéro à un – Comment construire le futur, JC Lattes, 2016. (15) Tim Berners-Lee est le principal inventeur du World Wide Web. (16) Organisation européenne pour la recherche nucléaire. (17) Start-up dont la valorisation atteint au moins 1 milliard de dollars. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
digitalisation 19 2.5 / LES GAFAM L a puissance des conglomérats américains tels que DuPont et General Electric a marqué l’histoire indus- trielle du XXe siècle. Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft ont pris le relais dans le leadership mondial grâce à leurs avancées technologiques et leur puissance financière. Les Gafam atteignent des niveaux de valorisation en Bourse jamais égalés par des entités privées. Au 21 mai 2018, ces géants des nouvelles technologies pèsent 3 726 milliards de dollars au Nasdaq, tandis que l’ensemble des entreprises du CAC 40 sont valorisées 1 887 milliards de dollars à la même date. Aujourd’hui, les multinationales de la « tech » ont des valorisations bien supérieures aux 211,7 milliards de dollars du PIB du Portugal ou des 491,7 milliards de dollars du PIB de la Belgique. Malgré leur puissance, les États essayent de les séduire afin qu’elles y installent leur siège social. Durant les années 2000, le secteur de la finance a profité des pro- grès informatiques et s’est parfaitement adapté aux nou- velles technologies. L’intégration des technologies de l’in- formation au sein des marchés financiers est si aboutie que leurs départements sont devenus de véritables entreprises de services informatiques entourés de serveurs et d’informa- ticiens. Ces salles des marchés ont été disruptées bien avant les agences bancaires. En 2000, plus de 600 traders actions mentation du nombre d’internautes dans le monde. Selon travaillaient pour la banque d’affaires Goldman Sachs à son l’agence We are social, début 2018, plus de quatre milliards siège new-yorkais. Deux cents ingénieurs informatiques ont d’internautes dans le monde et plus de 53 % de la popu- automatisé les tâches et réduit le nombre de traders à deux lation mondiale étaient connectés à Internet. Les leaders dans ce département. Aujourd’hui, la finance et le secteur de la « tech » américaine n’auraient jamais pu connaître des nouvelles technologies n’ont ni frontières ni limite. Ce un tel essor sans le développement des réseaux sociaux, la n’est pas un hasard si, pour Alan Greenspan (18), la technolo- généralisation du wifi, des smartphones, des tablettes et des gie de l’information a changé la façon dont se crée la valeur ordinateurs portables ultrapuissants en moins d’une quin- économique. Il n’est donc pas surprenant que les leaders de zaine d’années. L’émergence de Google avec 93 % de parts la « tech » continuent de se développer à un rythme effréné, de marché dans les moteurs de recherche, et de Facebook porté à la fois par la croissance des pays émergents et l’aug- avec 2,1 milliards d’utilisateurs dans le monde, a changé les (18) Alan Greenspan fut président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, du 11 août 1987 au 31 janvier 2016.
20 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE modèles traditionnels de consommation de l’information et coût dans les meilleurs délais. Les Gafam sont omniprésents la manière dont les marques communiquent sur leurs pro- dans nos usages quotidiens et le seront davantage demain duits. En raison d’enjeux financiers considérables, les inves- auprès des anciennes et des nouvelles générations. tisseurs ne raisonnent qu’avec l’Ebitda (19) pour mesurer la santé d’une entreprise. Dans un monde court-termiste, la rentabilité immédiate aura toujours le dernier mot. Dans cette logique financière, les industriels optimisent leurs 2.6 / LES NOUVEAUX CONSOMMATEURS coûts de conception, de production et de commercialisation tout en optimisant leur fiscalité. Ils vont donc s’appuyer notamment sur la technologie blockchain et sur l’intelligence artificielle pour disrupter les activités concernées et cibler le marché mondial, concurrence oblige. Cette automatisation L a consommation actuelle est à l’image de la mondiali- sation des produits et des services. Que nous soyons dans un environnement réel ou virtuel, nous consommons. répond directement aux défis des « millénials », ces nou- N’importe quel objet dans le monde, qu’il soit matériel ou veaux consommateurs désirant acheter mieux et à moindre immatériel, s’achète, se vend et se loue sur Internet. Ces échanges ont une finalité économique et procurent une satis- faction intrinsèque qui diffère d’un individu à l’autre. Depuis une quinzaine d’années, nous assistons à une modifi- cation profonde du comportement des consommateurs dans les pays industrialisés. De plus en plus impatients, ils sou- haitent consommer rapidement un produit et/ou un service avec un excellent rapport qualité-prix. Une majorité de per- sonnes considèrent aujourd’hui que gagner de l’argent ou faire des économies en faisant ses courses fait partie de leur quoti- dien. Ainsi, selon un sondage (Ipsos/Sopra et Steria/CA Assu- rances du 15 septembre 2015), 71 % des particuliers qui four- nissent une prestation de service via une plate-forme comme Airbnb, Chauffeur Privé, Drivy ou Blablacar sont motivés par un revenu ou la réalisation d’économies. L’homme moderne organise ses dépenses en temps réel grâce aux nombreuses applications mises à sa disposition. Une nouvelle génération de consommateurs connectés et volatils n’hésite pas à faire jouer la concurrence entre les produits vendus en boutique et ceux en ligne, qu’ils soient neufs ou de seconde main. En effet, les téléphones engendrent des gains d’opportunité de manière instantanée. Des services sur mesure sont utilisés afin de stoc- ker des données en réservant un restaurant, un hôtel ou un avion, tout en faisant du sport, et ce en quelques secondes. Les clients veulent à la fois les produits et les services les (19) Le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
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