L'OBSERVATEUR DE L'IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER - 70 ANS D'AIDE AU LOGEMENT MAÎTRISER LES RISQUES LOCATIFS RÉSIDENTIELS BAROMÈTRE DE ...

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L'OBSERVATEUR DE L'IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER - 70 ANS D'AIDE AU LOGEMENT MAÎTRISER LES RISQUES LOCATIFS RÉSIDENTIELS BAROMÈTRE DE ...
L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
n° 96

        70 ANS D’AIDE AU LOGEMENT

        MAÎTRISER LES RISQUES LOCATIFS
        RÉSIDENTIELS

        BAROMÈTRE DE L’INVESTISSEMENT 2018
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                                                                                                     282
                                                                                                     collaborateurs

                                                                                                     44,4 MILLIONS €
                                                                                                     de CA

                                                                                                     + de 30 000 BIENS VENDUS
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                                                                                                     1ER EXPERT DE FRANCE
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                                                                                                     1ER ÉVALUATEUR DE FRANCE
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                                                                                                     Chiffres 2017

Crédit Foncier Immobilier, SA au capital de 1 499 999,91 € – 405 244 492 RCS. Paris – TVA Intracommunautaire FR 90 405 244 492 – Siège social : 19, rue des Capucines
75001 Paris Responsabilité Civile Professionnelle n°AN249200/25848, Generali Iard 2 rue Pillet-Will – 75009 Paris Carte Professionnelle Transaction sur Immeubles et Fonds
de Commerce n° CPI 7501 2016 000 012 093 délivrée par la CCI de Paris Île-de-France – Garant : Compagnie Européenne de Garanties et Cautions – 16, rue Hoche Tour
Kupka B – TSA 39999 – 92919 La Défense Cedex – Immatriculée à l’ORIAS (www.orias.fr) sous le numéro 11 061 592 en qualité de Conseiller en Investissement Financier
(CIF), Mandataire d’intermédiaire d’assurance et Mandataire non exclusif en opérations de banque et services de paiement – Anacofi-CIF n° E003142 –
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ÉDITORIAL

                      D     ans la codification de 1804, tous
                            les biens sont nécessairement
                      meubles ou immeubles (article 516).
                                                                  Face à une immobilisation tout aussi comptable que phy-
                                                                  sique de son capital, comment un investisseur peut-il
                                                                  désormais anticiper les chocs à venir ? Il lui faut suivre
                      On les distingue les uns des autres par     des taux d’intérêt tributaires d’un contexte économique
                      des critères simples et intuitifs tirés     mondialisé, guetter les évolutions réglementaires qui
                      de leur nature, de leur destination, de     impacteront demain son patrimoine, pister les ruptures
                      l’objet auquel ils s’appliquent, etc.       technologiques et sociétales qui déstructurent les modes
                                                                  de vie, surveiller sans relâche les politiques fiscales aux
Mais en définitive, la principale distinction repose sur la       effets puissants sur les marchés immobiliers.
mobilité des biens : qu’il s’agisse d’un terrain ou d’un bâti-    La bonne nouvelle vient de la technologie : dans un monde
ment édifié sur un foncier, les biens « immeubles » sont          plus mouvant, plus complexe à décrypter et à prédire que
totalement immuables, tandis que les biens « meubles » se         jamais, la data est un nouvel outil que l’investisseur peut
transportent avec plus ou moins de facilité.                      désormais s’approprier. Car si les immeubles ne bougent
Or, ce qui était vu autrefois comme un facteur de stabi-          pas, les acteurs du monde immobilier sont bien les der-
lité rassurant apparaît aujourd’hui comme un inconvénient         niers à rester immobiles.
dans une société qui bouge ! Victime de son immobilisme
forcé, ancré dans son territoire, l’immeuble est désormais        Tous ces sujets sont abordés dans les articles de ce nou-
le jouet des aléas du progrès : si la ville ou le quartier évo-   veau numéro de l’ODI, dont je vous souhaite une agréable
lue, il en subira les évolutions ; si l’économie immobilière      et profitable lecture.
bouge, si les normes évoluent, si la demande se déplace,
l’immeuble devra s’adapter à un nouveau contexte, à
un marché aux équilibres différents, à une concurrence
nouvelle.

Technique ou économique, l’obsolescence devient le défi                                          Anne-Marguerite Gascard
majeur d’une industrie immobilière de longue période,                                                   Directeur Général
dans une société de plus en plus court-termiste.                                                Crédit Foncier Immobilier
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    L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER
    REVUE DU CRÉDIT FONCIER
    Crédit Foncier Immobilier
    19, rue des Capucines – Paris 1er
    Adresse postale : 4, quai de Bercy
    94224 Charenton Cedex
    Téléphone : 01 57 44 80 00
    Télécopie : 01 57 44 86 85
    Directeur de la publication :
    Anne-Marguerite Gascard.
    Rédacteur en chef : Emmanuel Ducasse.
    Comité de rédaction : Mirella Blanchard,
    Éric Buffandeau, Denis Burckel, Benoît Catel,
    Nicole Chavrier, Bernard Coloos, Emmanuel
    Ducasse, Christian de Kerangal, Marc Ménagé,
    Michel Mouillart, Nicolas Pécourt et Bernard Vorms.
    Abonnements : Karima Zerguit : 01 57 44 78 61
    Mail : karima.zerguit@creditfoncierimmobilier.fr
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    Prix abonnement au numéro : 30 €
    Prix abonnement 4 numéros : 100 €
    Crédit Foncier de France – S. A. au capital
    de 1 331 400 718,80 € – 542 029 848 RCS Paris.

    Maquette et réalisation :
    Crédits photo : IStock.
    Impression : Stipa.

                      Dans le souci du respect
                      de l’environnement, le présent
                      document est réalisé par
                      un imprimeur Imprim’Vert®,
                      avec des encres bio à base
                      d’huile végétale sur un papier
                      certifié PEFC™ fabriqué à
                      partir de fibres issues de forêts
                      gérées durablement.

    N° de commission paritaire :
    2026 AD – ISSN 0767– 6794.
    Dépôt légal : juin 2018.

                                                          L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
                                                                                                                94
L'OBSERVATEUR DE L'IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER - 70 ANS D'AIDE AU LOGEMENT MAÎTRISER LES RISQUES LOCATIFS RÉSIDENTIELS BAROMÈTRE DE ...
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SOMMAIRE
     ÉCONOMIE                                                        DIGITALISATION
 1   L
      ’inflation à 2 % :                                             2   L
                                                                           es nouvelles technologies
     un dogme risqué ? > P. 8                                             et la disruption de l’économie > P. 14
                       Par Éric Buffandeau, Directeur                                      Par Nicolas Tarnaud, Frics, économiste,

                                                                                                                                           n° 96
                       adjoint Études, Veille et Prospective,                              Directeur du MBA Immobilier International
                       pôle Stratégie, BPCE.                                               à Financia Business School et chercheur
                                                                                           associé au laboratoire LAREFI Université
                       Cet article questionne l’objectif
                                                                                           de Bordeaux.
                       des banques centrales du retour
                       aux 2 % d’inflation et fait le point                                Un décryptage de la montée en puissance
     sur ses incidences dans l’économie.                                  des Gafam et de leurs incidences sur le secteur économique,
                                                                          financier et immobilier.

     LOGEMENT
 3   L
      es aides au logement en longue                                 4   Comment réduire les risques locatifs
     période (1948-2018) > P. 30                                          résidentiels ? > P. 46
                       Par Michel Mouillart, Professeur                                    Par Emmanuel Ducasse, Mrics, Directeur
                       d’économie à l’université Paris Ouest,                              des Études, Crédit Foncier Immobilier.
                       Frics.
                                                                                           Cet article fait le point sur l’estimation
                       Un tour d’horizon des différentes                                   et la réduction des risques locatifs
                       politiques d’aide au logement en longue                             résidentiels avant investissement.
                       période depuis 1948.

     INVESTISSEMENT
 5   Les impacts de l’IFI                                            6   Le baromètre MSCI de l’investissement
     sur la détention d’immobilier                                        immobilier français > P. 64
     en direct et en indirect > P. 62                                                      Par Carine Dassé, Vice-président et
                        Par Cécile Blanchard, Directrice des                               Romain Batut, Consultant, MSCI Real
                        Études micro-sectorielles, Crédit Foncier                          Estate France.
                        Immobilier.
                                                                                           Société internationale dédiée à la mesure
                       Un éclairage sur les incidences du nouvel                           de performance et de risque pour l’immobilier
                       impôt sur la fortune immobilière, prévu par                         institutionnel, MSCI, en partenariat avec
                       la loi de finances 2018, sur les détenteurs        Crédit Foncier Immobilier, nous livre les anticipations pour
     de biens immobiliers.                                                2018 des plus grandes sociétés d’investissement présentes
                                                                          en France et nous livre sa vision du marché pour 2019.

NDLR : Les opinions exprimées dans les articles de cette revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement
l’opinion de la rédaction ou du Crédit Foncier.
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L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
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        ÉCONOMIE
n° 96

        L’INFLATION À 2 % :
        UN DOGME RISQUÉ ?
        Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint Études,
        Veille et Prospective, pôle Stratégie, BPCE.
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    L’INFLATION À 2 % :
    UN DOGME RISQUÉ ?
    Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint Études, Veille et Prospective, pôle Stratégie, BPCE.
    (Achevé de rédiger le 20 novembre 2017.)

    L    es banques centrales font de l’objectif des 2 % d’infla-
         tion une quête insaisissable, alors que ce dogme ne
    repose sur aucun fondement théorique véritable et que la
                                                                                                jusqu’au rebond inattendu du mois d’août : la coexistence,
                                                                                                d’une part, d’une croissance sans inflation, et d’autre part,
                                                                                                d’une faible inflation salariale, malgré un niveau désormais
    hausse des prix se loge dangereusement plutôt dans les                                      beaucoup plus bas du taux de chômage, singulièrement outre-
    valorisations d’actifs. Ce retour tant espéré vers 2 % d’in-                                Atlantique. Ce phénomène renforce à court terme l’atten-
    flation n’est pourtant qu’un compromis artificiel à la fron-                                tisme relatif des banques centrales, avec le risque de créer
    tière subjective entre deux craintes opposées : l’émergence                                 les conditions d’une spirale haussière sur les prix d’actifs,
    de l’inflation incontrôlable et du spectre déflationniste.                                  elle-même susceptible de nuire dangereusement à terme à
                                                                                                la stabilité financière. Il est cependant intéressant de rappe-
                                                                                                ler que deux types de facteurs expliquent généralement les
                                                                                                mouvements des prix : des causes exogènes et endogènes.
    1.1 / POLITIQUE MONÉTAIRE                                                                   Les premières sont des chocs externes de prix, comme les
                                                                                                mouvements des prix du pétrole ou du taux de change mais
                                                                                                ne débouchent pas directement sur un processus inflation-

    D     e part et d’autre de l’Atlantique, les banques centrales,
          dont les politiques monétaires demeurent encore histo-
    riquement ultra-accommodantes en intensité (taux directeurs
                                                                                                niste. Ce dernier ne peut en effet être entretenu que par des
                                                                                                causes endogènes, issues de tensions renouvelées à la fois
                                                                                                sur les marchés des biens et services (surchauffe des prix) et
    proches de zéro, voire négatifs pour la BCE et déversement                                  les marchés du travail (hausse des salaires). L’inflation pétro-
    de liquidités à travers le quantitative easing (1)) comme en                                lière, si elle n’est pas relayée par un mécanisme endogène
    durée (plus de huit ans pour la Fed !), sont en quête d’un                                  d’indexation des salaires sur les prix, n’est donc qu’un choc
    Graal, le retour apparemment insaisissable de l’inflation vers                              temporaire et exogène par les coûts : elle s’éteint naturelle-
    2 %. Deux énigmes équivalentes ont donc émergé depuis l’été                                 ment par l’effet récessif qu’elle porte en elle-même, toutes
    2017, surtout aux États-Unis, où l’inflation de base a ralenti                              choses égales par ailleurs.

    (1) L’explosion du bilan de la BCE est le résultat de son programme d’achats d’actifs (le QE, quantitative easing) lancé en mars 2015 pour redresser l’inflation. La taille du bilan
    de la BCE a nettement dépassé son précédent pic. Elle atteint 39 % du PIB de la zone euro : cela représente 15 points de PIB de plus que ce que la Fed a jamais effectué. Ce ratio
    bilan/PIB continuera d’augmenter au minimum jusqu’en septembre 2018 : il ne pourra pas diminuer tant que le principal des titres arrivant à maturité est réinvesti.

                                                                                                 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
L'OBSERVATEUR DE L'IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER - 70 ANS D'AIDE AU LOGEMENT MAÎTRISER LES RISQUES LOCATIFS RÉSIDENTIELS BAROMÈTRE DE ...
économie                                                                                                                             9

1.2 / UN RECUL TEMPORAIRE                                          L’emploi à faible niveau relatif de qualification et de salaire
DU POUVOIR DE NÉGOCIATION                                          se développerait davantage. De plus, l’impact du remplace-
DES SALARIÉS ?                                                     ment des baby-boomers par des salariés jeunes et moins bien
                                                                   rémunérés se serait accru depuis le début des années 2010.
                                                                   L’inertie des salaires ne serait-elle pas un phénomène provi-

P    eut-on comprendre pourquoi aucune tension salariale ne
     semble émerger, en dépit de l’amélioration de la conjonc-
ture et de la situation de l’emploi et du déversement de liqui-
                                                                   soire à mesure que l’activité gagne en robustesse ?

dités ? Plusieurs explications conjointes, qui traduisent une
limitation de la capacité de négociation des salariés, sont        1.3 / LA COURBE DE PHILLIPS :
souvent proposées. L’existence de réserves de travail inem-        UN REPÈRE DE PILOTAGE ?
ployées serait mal identifiée par les statistiques de l’emploi :
il faudrait en effet ajouter à la mesure habituelle du chômage
la sous-utilisation de la main-d’œuvre, cette dernière compre-
nant les personnes dotées d’un contrat à temps partiel dési-
rant travailler davantage et les personnes souhaitant travailler
                                                                   C     es deux énigmes renvoient à la célèbre courbe de
                                                                         Phillips, qui met en évidence une relation négative
                                                                   entre la hausse des salaires et le chômage, à partir d’une
mais dissuadées par la conjoncture de rechercher un emploi.        constatation empirique sur l’Angleterre entre 1867 et 1957
L’utilisation des capacités de production serait encore faible.    menée par Phillips en 1958. En effet, au-delà d’un certain
Sans parler du phénomène des déréglementations, la disci-          niveau de chômage, les salariés ne sont plus en position de
pline des prix imposée par l’ouverture internationale aurait       force pour exiger une hausse de salaire, le partage des gains
nettement augmenté et mettrait en concurrence les salariés         de productivité s’effectuant alors en faveur de l’entreprise.
du monde entier. Les bouleversements technologiques exer-          Cette corrélation est ensuite (Lipsey, 1960) devenue une rela-
ceraient une pression désinflationniste élevée, du fait notam-     tion inverse entre inflation et chômage, comme s’il pouvait
ment de l’automatisation de certaines tâches (développement        exister un dilemme entre autoriser un peu plus d’inflation
du numérique). Par ailleurs, une étude récente de la Fed de        pour faire baisser le chômage et, inversement, accepter
San Francisco a montré que la faible progression des salaires      davantage de chômage pour réduire l’inflation. L’histoire
aux États-Unis venait en partie du changement accéléré dans        des années 1970-1980 a montré qu’on pouvait rencontrer à la
la composition de la main-d’œuvre selon deux modalités.            fois de l’inflation et du chômage, du fait de l’apparition d’un
                                                                   véritable choc d’offre par les coûts : les chocs pétroliers ont
                                                                   stimulé l’inflation, nourrie à l’époque par l’indexation des
          LA DISCIPLINE                                            salaires sur les prix, ce qui a provoqué une obsolescence de
                                                                   l’appareil de production, induisant une perte de rentabilité,
          DES PRIX IMPOSÉE                                         d’où la flambée du chômage. L’arbitrage à long terme entre
          PAR L’OUVERTURE                                          inflation et chômage apparaît impossible, en raison du rôle
                                                                   primordial des anticipations (M. Friedman et E. Phelps). La
INTERNATIONALE AURAIT                                              clé doit en effet être recherchée dans les comportements
NETTEMENT AUGMENTÉ                                                 des agents économiques, eux-mêmes déterminés par leur
                                                                   connaissance des mécanismes économiques, selon les cir-
ET METTRAIT EN CONCURRENCE                                         constances et les structures économiques dans un lieu spé-
LES SALARIÉS DU MONDE ENTIER.                                      cifique. Au-delà de la position conjoncturelle dans le cycle
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10 L’INFLATION À 2 % : UN DOGME RISQUÉ ?

    de croissance, le taux de chômage (d’équilibre) dépend a           alors qu’il pourrait avoir des effets économiques dangereux.
    priori fondamentalement des règles du marché du travail,           Il tire sa légitimité d’une logique de bon sens, alliant le
    c’est-à-dire de l’importance des rigidités qui empêchent une       pragmatisme du mieux maîtrisable au raisonnable, jusqu’à
    bonne adéquation entre l’offre et la demande de travail. Il        la recherche d’un certain consensus, sans parler du prétexte
    ne découle donc pas à long terme de la politique monétaire,        d’une mécanique très légèrement inflationniste d’ajuste-
    même s’il peut exister à court terme une corrélation négative      ments de prix, qui serait nécessaire au bon fonctionnement
    entre les fluctuations conjoncturelles du chômage autour de        d’une économie : viser 0 %, voire 1 % (trop proche de zéro !)
    son niveau d’équilibre et celles de l’inflation autour du point    risquerait de guider les prix en territoire négatif, donc de
    d’ancrage des anticipations. C’est pourquoi les banques            provoquer l’émergence d’un processus déflationniste ; tolé-
    centrales, par souci d’indépendance et de crédibilité, ont         rer 3 %, voire 4 % pourrait mener à des dynamiques de déra-
    renoncé à utiliser l’inflation pour réduire à court terme le       page non contrôlable des prix, voire à l’hyperinflation. En
    chômage, de manière à assurer la stabilité des prix à moyen        appui de cette norme de 2 %, un rapport controversé pour
    terme au voisinage d’un objectif de 2 %.                           la commission des finances du sénat des États-Unis – le rap-
                                                                       port Boskin, publié en décembre 1996, dont les conclusions
                                                                       sont par ailleurs beaucoup moins transposables à la France,
                                                                       d’après l’Insee – a conclu que l’indice officiel des prix à
    1.4 / UNE LOGIQUE DE BON SENS                                      la consommation des ménages (Bureau of Labor Statistis)
    AUX APPARENCES DE BIEN-FONDÉ ?                                     surestimait systématiquement l’inflation de 1,3 point pour
                                                                       les années antérieures à 1996 (depuis une décennie) et de
                                                                       1,1 point pour celles à venir, en raison notamment des biais

    S   elon le dogme monétaire des 2 % d’inflation, l’augmen-
        tation du niveau général des prix ne doit franchir ce
    seuil ni exagérément à la baisse, ni fortement à la hausse,
                                                                       liés à la substitution des produits. On affirmait néanmoins
                                                                       l’inverse dans les années 1970, lorsque les prix filaient à
                                                                       vive allure. L’inflation idéale (rêvée ou optimale ?) peut-elle
    sans que les autorités monétaires se sentent dans l’obliga-        être décrétée ?
    tion d’intervenir, soit pour soutenir l’activité, soit pour la
    freiner. Ce but apparaît comme un compromis subjectif à la
    frontière entre deux craintes opposées, celle de l’inflation
    incontrôlable et celle du processus déflationniste de contrac-     1.5 / UNE QUESTION MAJEURE
    tion cumulative de l’ensemble des prix, de l’activité et de        DE POUVOIR D’ACHAT DE LA MONNAIE
    l’emploi – qu’il ne faut pas confondre avec la désinflation,
    mouvement prolongé de ralentissement, voire de recul des
    prix. Cette vision interventionniste, qui tient implicitement
    d’une forme de constructivisme, se nourrit des expériences
    inflationnistes et déflationnistes traumatisantes vécues au
                                                                       C     ette norme ne tient-elle pas aussi en partie à la prédo-
                                                                             minance trop souvent donnée au crédit comme mode
                                                                       privilégié de financement de l’économie – ce qui est d’ailleurs
    cours du XXe siècle : celles-ci ont parfois conduit à des réces-   à l’origine des crises répétées d’excès d’endettement – aux
    sions extrêmement sévères, voire durables, à l’exemple des         dépens du financement par les fonds propres ? De même, ne
    spectres de l’hyperinflation allemande de 1923-1924 ou de          génère-t-elle pas un effet d’aubaine, qui réduit à court terme
    la crise de 1929. Cependant, cette cible, affichée spécifique-     les tensions sociales, permet d’effacer les dettes, de faire
    ment par la BCE, reste artificielle, car ce niveau annuel de       croître les recettes fiscales et de mieux équilibrer les budgets ?
    2 % ne repose sur aucun fondement théorique véritable,             Elle contredit pourtant singulièrement la mission de stabilité

                                                                       L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
économie                                                                                                                              11

          LE NIVEAU ANNUEL                                         bulles spéculatives et d’une allocation inefficace, à terme, du
                                                                   capital à travers le maintien d’une politique monétaire trop
          DE 2 % NE REPOSE SUR                                     longtemps laxiste, quand l’inflation ne se loge plus directe-
          AUCUN FONDEMENT                                          ment dans l’élévation des prix des biens et services, via le
                                                                   relais des salaires, mais dans des valorisations d’actifs (obli-
THÉORIQUE VÉRITABLE, ALORS                                         gations, actions, immobilier, matières premières…). Certaines
QU’IL POURRAIT AVOIR DES EFFETS                                    banques centrales, telle la BCE – certes dans le but honorable
                                                                   de sauvegarder la zone euro –, ne sont-elles pas allées jusqu’à
ÉCONOMIQUES DANGEREUX.                                             inventer un concept infernal comme celui des taux négatifs,
                                                                   puisque ce type de « rendement » ne reflète plus une préfé-
des prix (mandat principal de la BCE), c’est-à-dire d’inflation    rence à la fois légitime et raisonnable pour le présent ?
quasi nulle, qui est impérativement assignée à toute banque
centrale, en raison même du monopole extraordinaire de
création monétaire. En effet, cette cible induit une déprécia-
tion perpétuelle – exponentielle ! – de la valeur de la devise     1.6 / UNE NORMALISATION MONÉTAIRE
considérée, si elle était régulièrement atteinte, du fait de la    INÉLUCTABLE
relation biunivoque qui lie inflation et taux de change : une
hausse continue de l’indice des prix de 2 % pendant dix ans
altérerait de plus d’un cinquième (21,9 %) le pouvoir d’achat de
ceux qui détiennent cette monnaie. Même si toutes les autres
banques centrales appliquaient comme l’autorité monétaire
                                                                   L     a fin du spectre de la déflation, la dérive dangereuse
                                                                         de l’endettement public et désormais privé, la forma-
                                                                   tion inévitable de bulles de prix d’actifs et le risque induit
de la zone concernée le même objectif des 2 % avec autant de       à terme de perte irrémédiable de crédibilité monétaire des
succès, le résultat s’assimilerait toujours à un phénomène de      banques centrales conduisent impérativement celles-ci à
seigneuriage, privilège par lequel l’émetteur de la monnaie        normaliser progressivement et le plus habilement possible
(ou le « faussaire », s’il ne s’agit pas d’une banque centrale)    (pour éviter le piège de la dette !) des politiques monétaires
peut capter une partie des richesses de manière invisible. En      toujours historiquement expansionnistes, tant aux États-
effet, les acteurs économiques, qui ne produisent pas la mon-      Unis (en avance sur le processus de normalisation) qu’en
naie ou qui ne profitent pas de l’inflation ainsi engendrée – a    zone euro (en retard). En particulier, le plan d’assouplis-
contrario, les débiteurs ou l’État bénéficient de la réduction     sement quantitatif, dont la stratégie de sortie ne peut se
du coût réel de la dette passée aux dépens des créanciers –,       référer à aucune expérience pratique, n’a jamais été utilisé
doivent travailler davantage chaque année pour acquérir un         dans l’histoire monétaire mondiale. La faiblesse observée
même volume de biens et services, en raison de l’augmenta-         des hausses de prix sous l’objectif des 2 % et le risque de
tion continue des prix et du retard d’indexation des salaires.     ralentissement économique ne sont pas suffisants pour blo-
L’inflation, même faible, reste un impôt déguisé sans progres-     quer ce tournant monétaire, même s’il demeure graduel
sivité possible, qui n’est jamais indolore : il est économique-    et prudent. Ne s’agit-il pas aussi de retrouver des marges
ment inefficace (puisqu’il n’est pas le reflet d’une création de   ultérieures de manœuvre monétaire en cas de nouvelles
richesse), socialement inégalitaire (avec des gagnants et des      crises, en retirant peu à peu ces moyens non convention-
perdants) et profondément antidémocratique (sans existence         nels disproportionnés et encore sans effets notables sur
légale, car non voté par un parlement). L’autre danger, beau-      l’inflation sous-jacente ?
coup plus actuel, vient du risque de créer les conditions de
12

     L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
13

        DIGITALISATION
n° 96

        LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
        ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE
        Par Nicolas Tarnaud, Frics, économiste,
        Directeur du MBA Immobilier International à Financia
        Business School et Chercheur associé au laboratoire
        LAREFI Université de Bordeaux.
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                                                                                       2
     LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
     ET LA DISRUPTION DE L’ÉCONOMIE
     Par Nicolas Tarnaud, Frics, économiste, Directeur du MBA Immobilier International à Financia
     Business School et chercheur associé au laboratoire LAREFI Université de Bordeaux.

     2.1 / INTRODUCTION                                                                      technologies, l’ensemble des activités économiques s’auto-
                                                                                             matisent afin de rester compétitives au niveau mondial.
                                                                                             Peter Thiel (4) souligne l’importance de la technologie au

     A     ujourd’hui, l’épargne, le crédit et la consommation
           sont la clé de voûte d’une économie financiarisée,
     numérisée et mondialisée dont l’ensemble des secteurs
                                                                                             sein de la mondialisation. Cette dernière représente un
                                                                                             poids de plus en plus important au sein de la mondialisa-
                                                                                             tion : « La plupart des gens pensent que la mondialisation
     deviennent interdépendants. Le système capitaliste ainsi                                définira l’avenir du monde, mais la vérité, c’est que la techno-
     que ses acteurs privés et publics ont évolué à l’échelle                                logie pèse encore davantage » (5). Qu’il s’agisse d’institutions
     internationale. L’hégémonie financière et technologique                                 publiques ou privées, l’optimisation des moyens de pro-
     américaine, devant celle de la Chine, de l’Inde et de l’Eu-                             duction est souvent liée à des arbitrages financiers chro-
     rope, est plus que jamais présente sur la scène mondiale.                               nométrés. Avec la financiarisation et la transformation des
     Aujourd’hui, les leaders technologiques sont représen-                                  modes de production via le numérique, les gouvernances
     tés par les Gafam (1) et les Natu (2). Ces entités ne sont ni                           d’entreprise doivent gérer deux paramètres essentiels : la
     européennes, ni indiennes, ni chinoises. Elles sont amé-                                performance et le temps. Nous sommes dans un monde
     ricaines. François Fouquet considère que « L’État améri-                                où tout va de plus en plus vite, ultra-compétitif et soumis
     cain n’est pas un État comme les autres, simplement plus                                aux impératifs économiques, et l’immobilier n’échappe pas
     gros que les autres : c’est l’état singulier du leader de l’éco-                        à la règle. En effet, ce secteur est amené à évoluer dans
     nomie mondiale. Il profite d’une surpuissance… Il tient lieu                            un environnement de data, d’algorithmes et de disruption.
     de régulateur en dernier ressort des marchés mondiaux, et                               Dans ces conditions, les Gafam seront-elles les gestion-
     notamment des marchés financiers » (3). Grâce aux nouvelles                             naires d’un monde qu’elles ont contribué à disrupter, ces

     (1) Gafam : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.
     (2) Natu : Netflix, Airbnb, Tesla, Uber.
     (3) François Fourquet, « Quarante-huit thèses sur le capitalisme », Revue du Mauss, n° 34, 2009, p. 189-207.
     (4) Peter Thiel est un entrepreneur américain. Il est confondateur de Paypal avec Max Levchin et Elon Musk.
     (5) Peter Thiel et Blacke Masters, De zéro à un – Comment construire le futur, JC Lattes, 2016.

                                                                                              L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
digitalisation                                                                                                                        15

dernières années ? Enfin, pourrions-nous aborder l’immo-
bilier de demain sans évoquer les Gafam, les nouvelles
                                                                              LE SECTEUR DE
technologies, la disruption et l’ubérisation ?                                L’IMMOBILIER EST
                                                                              AMENÉ À ÉVOLUER
                                                                   DANS UN ENVIRONNEMENT
2.2 / DISRUPTION ET UBÉRISATION                                    DE DATA, D’ALGORITHMES
                                                                   ET DE DISRUPTION.
S   ouvent à la une des médias nationaux et internatio-
    naux, les termes « disruption » et « ubérisation » ont fait
leur entrée dans le langage quotidien. Le verbe disrupter
                                                                   secteurs d’activité est à l’origine du principe dit « d’ubérisa-
                                                                   tion ». Hier, Uber n’était qu’un moyen de transport indivi-
exprime une rupture avec un système antérieur. La disrup-          duel dans la majorité des villes mondiales. Aujourd’hui, sa
tion est apparue avec l’outil informatique, comme le rap-          filiale Ubereats livre des plats de restaurants partenaires
pelle Peter Thiel : « La Silicon Valley est devenue obsédée par    au travail ou à domicile, en centre-ville comme en périphé-
la disruption. À l’origine, “disruption” était un terme tech-      rie. Demain, Uber transportera des marchandises via des
nique utilisé pour décrire comment une entreprise peut utili-      camions, des bateaux, des avions et des drones partout dans
ser les nouvelles technologies pour introduire un produit bas      le monde grâce au perfectionnement des algorithmes.
de gamme à bas prix, améliorer le produit au fil du temps, et
éventuellement dépasser les produits haut de gamme offerts         Par ailleurs, il n’est pas impossible que dans le futur, Uber,
par les entreprises établies qui utilisent l’ancienne technolo-    tout comme ses concurrents, utilise des voitures autonomes
gie. C’est à peu près ce qui est arrivé quand l’avènement des      sans chauffeur pouvant transporter aussi bien des personnes
PC a disrupté le marché des ordinateurs avec unité centrale : le   que des objets. Dans ces conditions, la voiture autonome
premier PC ne semblait pas pertinent, il est devenu dominant.      pourra remettre en question l’activité des 30 000 chauffeurs
Les appareils mobiles d’aujourd’hui auront peut-être le même       VTC parisiens et des 60 000 chauffeurs de taxi qui travaillent
effet sur les PC » (cf. note 5, p. 14).                            actuellement en France. Les premières voitures partielle-
                                                                   ment autonomes pourraient circuler d’ici 2025. Cette auto-
Ce terme indique le bouleversement de l’ordre établi d’un          matisation va se réaliser dans des situations prévues en
marché. Grâce à la digitalisation, la photo ne s’imprime           amont telles que rouler sur l’autoroute, et durant la journée.
plus, elle se stocke sur le cloud, se partage sur les réseaux      Selon certains experts, l’autonomie intégrale des voitures
sociaux et les blogs. Les centaines de boutiques physiques         doit être envisagée à l’horizon 2040.
de photos (Fnac photo, Fox...) ont fait place à de nouveaux        Cette automatisation systématique disruptera, ainsi, de
commerces. L’ubérisation s’inscrit quant à elle dans la conti-     nombreux acteurs du transport individuel comme les taxis,
nuité de la disruption. L’ubérisation est un néologisme qui        les ambulanciers ou encore les dépanneurs. En déclarant
trouve son origine dans les prépositions d’origine allemande       au Financial Times en 2014 « Tout le monde a peur de se
et anglo-saxonne « über ». Uber est également le nom donné         faire ubériser. C’est l’idée que l’on se réveille brusquement en
au groupe de covoiturage californien créé aux États-Unis en        découvrant que son activité historique a disparu », Maurice
2009 par Garrett Camp, Travis Kalanick et Oscar Salazar,           Lévy a rappelé que nous vivions une période de mutations
valorisé 68 milliards de dollars lors de la dernière augmen-       économiques et sociétales significatives. Nous allons donc
tation de capital. L’extension du concept d’Uber à plusieurs       connaître des lendemains qui pourront être à la fois stimu-
16 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION
    DE L’ÉCONOMIE

    lants et perturbants économiquement. L’Observatoire de                                    rique est portée par les Gafam, qui deviennent aujourd’hui
    l’ubérisation, né en 2015, définit l’ubérisation comme un                                 les chefs d’orchestre de cette nouvelle économie. Ces entités
    « changement rapide des rapports de force grâce au numérique                              vont continuer à participer avec d’autres acteurs à la disrup-
    […] Au carrefour de l’économie du partage, de l’innovation                                tion de secteurs d’activité afin de conserver leur hégémonie
    numérique, de la recherche de compétitivité et de la volonté                              financière et technologique mondiale en stockant et en ana-
    d’indépendance des Français, ce phénomène est une lame de                                 lysant des milliards de data quotidiennement.
    fond qui va petit à petit impacter tous les secteurs de l’écono-
    mie traditionnelle des services ». Cette mutation technolo-
    gique à grande vitesse est beaucoup plus profonde qu’on ne
    le pense et ses répercussions, tant au niveau professionnel                               2.3 / LES DATA
    que personnel, sont déjà importantes. En effet, l’impact du
    numérique est aussi fort que celui de la radio et de la télévi-
    sion, à leur époque. Selon Jacques Lesourne, nous sommes
    entrés dans une nouvelle ère : « Celle de l’électronique, de
    l’informatique et des télécommunications qui, née des progrès
                                                                                              E     n 2017, le Worldwide revenues for big data and business
                                                                                                    analytics prévoyait que les revenus mondiaux liés au
                                                                                              big data représenteraient 210 milliards de dollars dans le
    de la physique, a donné naissance au téléphone, à la télévi-                              monde, en 2020. Quel que soit le chiffre réel, il sera consé-
    sion, à l’ordinateur, à Internet, au robot, à l’intelligence arti-                        quent et évoluera dans le temps. L’homme a toujours pro-
    ficielle, et modifié de fond en comble le fonctionnement tech-                            duit, émis, reçu, puis mémorisé l’information, et enfin, s’est
    nique, économique, politique et social de toutes les collectivités                        appuyé sur les machines pour la stocker et la traiter grâce
    humaines, et débouche sur une révolution plus profonde que                                aux algorithmes, remarque l’académicien Michel Serres : « Je
    la révolution industrielle amorcée au XVIIIe siècle, la révolu-                           ne connais pas d’être vivant, de cellule, tissu, organe, indi-
    tion numérique » (6). Nous vivons une période de révolutions                              vidu et peut-être même espèce, dont on ne puisse pas dire qu’il
    simultanées liées les unes aux autres. Loin d’être achevées,                              stocke de l’information, qu’il traite de l’information, qu’il émet
    elles sont économiques, technologiques (intelligence artifi-                              et qu’il reçoit de l’information ». Sans que nous le sachions,
    cielle) et sociétales. Yann LeCun (7) déclarait dans une inter-                           le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus géré
    view en 2015 : « Je n’ai jamais vu une révolution aussi rapide.                           par les algorithmes. Ces instruments de calcul appuient la
    On est passé d’un système un peu obscur à un système uti-                                 production de data afin d’accompagner les utilisateurs et
    lisé par des millions de personnes en seulement deux ans » (8).                           les consommateurs dans leurs décisions d’achats immédiats
    Les deux derniers siècles (XIXe et XXe) ont été les témoins                               et futurs. Tout est inscrit dans l’immédiateté, que l’on soit
    d’une succession d’inventions et d’innovations qui ont                                    utilisateur ou producteur de produits et de services. En
    révolutionné notre quotidien. Dès le XIXe siècle, Friedrich                               1989, selon John Mashey, directeur scientifique de Silicon
    Nietzsche affirmait : « La presse, la machine, le chemin de                               Graphics : « Ceux qui conservent les données nous disent qu’ils
    fer, le télégraphe sont des prémisses dont personne n’a encore                            le font pour le bénéfice du consommateur. Mais en réalité, les
    osé tirer la conclusion qui viendra dans mille ans » (9). Bien                            data pourraient très bien être utilisées dans des buts autres
    qu’étant à ses balbutiements, l’industrialisation du numé-                                que ceux dans lesquels elles ont initialement été collectées » (10).

    (6) Jacques Lesourne, Les chemins de l’avenir, Éditions Odile Jacob, 2017.
    (7) Yann LeCun, directeur scientifique et technique chez Facebook.
    (8) « Comment le “deep learning” révolutionne l’intelligence artificielle », Le Monde, juillet 2015.
    (9) Friedrich Nietzsche, Le voyageur et son ombre, 1879.
    (10) Gilles Babinet, Big data, penser l’homme et le monde autrement. Le Passeur éditeur, 2015.

                                                                                              L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
digitalisation                                                                                                                                               17

Adrien Basdevant et Jean-Pierre Mignard confirment que
« cette masse de données double tous les deux ans et devrait
atteindre 44 zettaoctets en 2020, soit plus de six fois la dis-
tance séparant la Terre de la Lune » (11). Aussi, pour véhiculer
l’information, il convient de souligner qu’il existe une aug-
mentation du volume des données et de leur production,
réalisée via un même réseau, Internet. Cette information
est à la fois un contenu et une donnée. À chaque internaute
correspond une succession de data que savent parfaitement
optimiser les leaders du Web mondial, compensant ainsi
l’accessibilité gratuite à leur plate-forme et à leurs services.
L’essor de l’économie de gratuité freeconomics est alimenté
par les technologies de l’ère numérique. « Selon la loi de
Moore, le prix d’une unité de puissance de traitement dimi-
nue de moitié tous les deux ans ; le prix de la bande passante
et du stockage chute encore plus vite. L’Internet associe les
trois, en renforçant la baisse des prix grâce à un trio techno-
logique : processeurs, bande passante et stockage » (12). Ainsi,
l’internaute qui publie gratuitement la vente de sa maison
sur la market place se verra suggérer sur sa propre page, par
Facebook, des publicités d’agents immobiliers, d’une part, et
des offres de crédit immobilier, d’autre part.
                                                                                       de likes et de métadata pour la data economy. Plus l’utilisa-
Facebook offre des services gratuits à partir desquels il réa-                         teur sollicite les plates-formes, et plus celles-ci détiennent des
lise, ipso facto, un chiffre d’affaires selon le profil de l’in-                       informations sur son profil grâce à toutes les traces qu’il laisse.
ternaute. Ce dernier produit lui-même, sans le savoir, une                             Par ailleurs, aussi puissantes soient-elles, ces entités du Web
valeur économique et ses données personnelles sont moné-                               se heurtent à des internautes de plus en plus réticents à confier
tisées dans la commercialisation de bases de données agré-                             leurs données. En effet, ces géants de la “tech” stockent nos
gées. En 2017, chaque utilisateur a rapporté plus de 20 dol-                           historiques dans les plus puissants data centers du monde,
lars au réseau social de Menlo Park. Les annonceurs paient                             localisés aussi bien en Alaska que dans la Silicon Valley » (13).
au prix fort l’accès à ces données. De ce fait, la valeur est                          La Silicon Valley a toujours permis aux talents de rencon-
déterminée grâce à l’information que l’internaute fournit au                           trer des start-up et des locomotives technologiques depuis
réseau social ou à la plate-forme. Plus l’utilisateur dispose                          plus de 60 ans. Malgré le développement de hubs technolo-
d’un profil actif, plus la plate-forme le monétise et se valo-                         giques dans les grandes capitales mondiales, la Silicon Val-
rise financièrement. Comme le rappelle Bernard Stiegler,                               ley demeure toujours un lieu d’émulation, de rencontre, de
« nous sommes tous contributeurs et producteurs de cookies,                            création, de rachat et de financement.

(11) Adrien Basdevant et Jean-Pierre Mignard, L’Empire des données, Don Quichotte éditions, 2018.
(12) Chris Anderson, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, 2009, Pearson Education France.
(13) Extrait d’interview du 17 septembre 2016, www.culturemobile.net.
18 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION
    DE L’ÉCONOMIE

    2.4 / LA SILICON VALLEY                                                                            LES GAFAM
                                                                                                       PARTICIPENT AVEC
    T     out a sa raison d’être, dans la Silicon Valley. Ce n’est
          pas un hasard si Google, Facebook et Apple ont choisi
    cette localisation pour leur siège social, berceau historique
                                                                                                       D’AUTRES ACTEURS
                                                                                             DU CAPITAL RISQUE AU
    des nouvelles technologies, pour rejoindre un écosystème
    unique au monde. Ici, les leaders de la « tech » ont bénéficié
                                                                                             FINANCEMENT DE NOMBREUSES
    d’un important tissu industriel, technologique et intellectuel                           START-UP.
    installé depuis plusieurs décennies, relève Peter Thiel : « Ces
    dernières décennies, les progrès rapides de la technologie de                            Mais est amorcée aujourd’hui une étape bien plus révolution-
    l’information ont transformé la Silicon Valley en capitale de la                         naire : celle des ordinateurs intelligents, qui non seulement
    “technologie” au sens général du terme. Mais rien n’impose que                           pilotent des systèmes techniques, mais peuvent dialoguer
    la technologie se limite aux ordinateurs. À proprement parler,                           entre eux ». La Silicon Valley a été le point de départ pour
    elle englobe tout procédé qui se révèle supérieur ou inédit » (14).                      Google, Facebook et Apple avant qu’ils ne conquièrent le
    La Silicon Valley n’aurait jamais connu un tel essor depuis                              reste du monde depuis une quinzaine d’années de manière
    les années 1950 sans la présence d’institutions académiques                              exponentielle.
    prestigieuses : les universités de Stanford, et de Berkeley
    avec leurs laboratoires, leurs chercheurs et leurs talents                               Bien que le World Wide Web (www) et les liens hyper-
    respectifs. Stanford, avec ses 18 prix Nobel actuellement en                             textes aient été inventés par Tim Berners-Lee (15) au Cern (16)
    activité, est devenue l’épicentre absolu de ce lieu, depuis                              à Genève, en 1989, ils se sont réellement développés dans
    plusieurs décennies. Les premiers algorithmes à l’origine de                             la Silicon Valley durant les années 1990 avec des structures
    la création de Google ont été inventés dans un laboratoire                               telles que Netscape et Yahoo. Dès lors, Google construira
    du célèbre campus de Palo Alto. L’informatique et les ordi-                              l’empire que nous connaissons, développé à partir de com-
    nateurs individuels apparaissent dès 1972. Quelques années                               pétences, de créativité et de réalisation de projets. C’est sou-
    plus tard naîtront l’Apple I de Mac et le PC de Microsoft.                               vent grâce à des situations vécues que naissent les réussites
    L’émergence des ordinateurs et des superordinateurs a fait                               dans cette région de la Californie. Par exemple, la pénurie
    partie du premier chapitre des nouvelles technologies aux                                d’hôtels à San Francisco a fait naître Airbnb en 2008 et celle
    États-Unis et au-delà de leurs frontières. De sa création à                              de taxis à Paris (aux heures de pointe) a donné naissance à
    nos jours, l’informatique n’a cessé d’évoluer en franchissant                            Uber en 2009 dont le siège se trouve aujourd’hui à Oakland,
    plusieurs étapes, comme le mentionne Jacques Lesourne :                                  en face de San Francisco. Via leurs fonds d’investissement
    « L’informatique a traversé plusieurs phases : celle du calcul                           respectifs, les Gafam participent avec d’autres acteurs du
    scientifique et de la mise en ordre des données de gestion,                              capital risque au financement de nombreuses start-up qui
    celle de l’Internet avec la généralisation des courriels, l’ac-                          deviendront pour certaines d’entre elles les « licornes » (17)
    cès à des banques de données et à de multiples documents.                                de demain.

    (14) Peter Thiel et Blake Masters, De zéro à un – Comment construire le futur, JC Lattes, 2016.
    (15) Tim Berners-Lee est le principal inventeur du World Wide Web.
    (16) Organisation européenne pour la recherche nucléaire.
    (17) Start-up dont la valorisation atteint au moins 1 milliard de dollars.

                                                                                             L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
digitalisation                                                                                                                                         19

2.5 / LES GAFAM

L     a puissance des conglomérats américains tels que
      DuPont et General Electric a marqué l’histoire indus-
trielle du XXe siècle. Google, Amazon, Facebook, Apple et
Microsoft ont pris le relais dans le leadership mondial grâce
à leurs avancées technologiques et leur puissance financière.

Les Gafam atteignent des niveaux de valorisation en Bourse
jamais égalés par des entités privées. Au 21 mai 2018, ces
géants des nouvelles technologies pèsent 3 726 milliards de
dollars au Nasdaq, tandis que l’ensemble des entreprises du
CAC 40 sont valorisées 1 887 milliards de dollars à la même
date. Aujourd’hui, les multinationales de la « tech » ont des
valorisations bien supérieures aux 211,7 milliards de dollars
du PIB du Portugal ou des 491,7 milliards de dollars du PIB
de la Belgique. Malgré leur puissance, les États essayent de
les séduire afin qu’elles y installent leur siège social. Durant
les années 2000, le secteur de la finance a profité des pro-
grès informatiques et s’est parfaitement adapté aux nou-
velles technologies. L’intégration des technologies de l’in-
formation au sein des marchés financiers est si aboutie que
leurs départements sont devenus de véritables entreprises
de services informatiques entourés de serveurs et d’informa-
ticiens. Ces salles des marchés ont été disruptées bien avant
les agences bancaires. En 2000, plus de 600 traders actions                            mentation du nombre d’internautes dans le monde. Selon
travaillaient pour la banque d’affaires Goldman Sachs à son                            l’agence We are social, début 2018, plus de quatre milliards
siège new-yorkais. Deux cents ingénieurs informatiques ont                             d’internautes dans le monde et plus de 53 % de la popu-
automatisé les tâches et réduit le nombre de traders à deux                            lation mondiale étaient connectés à Internet. Les leaders
dans ce département. Aujourd’hui, la finance et le secteur                             de la « tech » américaine n’auraient jamais pu connaître
des nouvelles technologies n’ont ni frontières ni limite. Ce                           un tel essor sans le développement des réseaux sociaux, la
n’est pas un hasard si, pour Alan Greenspan (18), la technolo-                         généralisation du wifi, des smartphones, des tablettes et des
gie de l’information a changé la façon dont se crée la valeur                          ordinateurs portables ultrapuissants en moins d’une quin-
économique. Il n’est donc pas surprenant que les leaders de                            zaine d’années. L’émergence de Google avec 93 % de parts
la « tech » continuent de se développer à un rythme effréné,                           de marché dans les moteurs de recherche, et de Facebook
porté à la fois par la croissance des pays émergents et l’aug-                         avec 2,1 milliards d’utilisateurs dans le monde, a changé les

(18) Alan Greenspan fut président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, du 11 août 1987 au 31 janvier 2016.
20 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET LA DISRUPTION
    DE L’ÉCONOMIE

    modèles traditionnels de consommation de l’information et                 coût dans les meilleurs délais. Les Gafam sont omniprésents
    la manière dont les marques communiquent sur leurs pro-                   dans nos usages quotidiens et le seront davantage demain
    duits. En raison d’enjeux financiers considérables, les inves-            auprès des anciennes et des nouvelles générations.
    tisseurs ne raisonnent qu’avec l’Ebitda (19) pour mesurer la
    santé d’une entreprise. Dans un monde court-termiste, la
    rentabilité immédiate aura toujours le dernier mot. Dans
    cette logique financière, les industriels optimisent leurs                2.6 / LES NOUVEAUX CONSOMMATEURS
    coûts de conception, de production et de commercialisation
    tout en optimisant leur fiscalité. Ils vont donc s’appuyer
    notamment sur la technologie blockchain et sur l’intelligence
    artificielle pour disrupter les activités concernées et cibler le
    marché mondial, concurrence oblige. Cette automatisation
                                                                              L     a consommation actuelle est à l’image de la mondiali-
                                                                                    sation des produits et des services. Que nous soyons
                                                                              dans un environnement réel ou virtuel, nous consommons.
    répond directement aux défis des « millénials », ces nou-                 N’importe quel objet dans le monde, qu’il soit matériel ou
    veaux consommateurs désirant acheter mieux et à moindre                   immatériel, s’achète, se vend et se loue sur Internet. Ces
                                                                              échanges ont une finalité économique et procurent une satis-
                                                                              faction intrinsèque qui diffère d’un individu à l’autre.
                                                                              Depuis une quinzaine d’années, nous assistons à une modifi-
                                                                              cation profonde du comportement des consommateurs dans
                                                                              les pays industrialisés. De plus en plus impatients, ils sou-
                                                                              haitent consommer rapidement un produit et/ou un service
                                                                              avec un excellent rapport qualité-prix. Une majorité de per-
                                                                              sonnes considèrent aujourd’hui que gagner de l’argent ou faire
                                                                              des économies en faisant ses courses fait partie de leur quoti-
                                                                              dien. Ainsi, selon un sondage (Ipsos/Sopra et Steria/CA Assu-
                                                                              rances du 15 septembre 2015), 71 % des particuliers qui four-
                                                                              nissent une prestation de service via une plate-forme comme
                                                                              Airbnb, Chauffeur Privé, Drivy ou Blablacar sont motivés par
                                                                              un revenu ou la réalisation d’économies. L’homme moderne
                                                                              organise ses dépenses en temps réel grâce aux nombreuses
                                                                              applications mises à sa disposition. Une nouvelle génération
                                                                              de consommateurs connectés et volatils n’hésite pas à faire
                                                                              jouer la concurrence entre les produits vendus en boutique et
                                                                              ceux en ligne, qu’ils soient neufs ou de seconde main. En effet,
                                                                              les téléphones engendrent des gains d’opportunité de manière
                                                                              instantanée. Des services sur mesure sont utilisés afin de stoc-
                                                                              ker des données en réservant un restaurant, un hôtel ou un
                                                                              avion, tout en faisant du sport, et ce en quelques secondes.
                                                                              Les clients veulent à la fois les produits et les services les

    (19) Le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement.

                                                                              L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 96
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