La crise économique et ses conséquences sur l'emploi

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La crise économique et ses conséquences sur l'emploi
Les cahiers de
                                                                       l’Institut économique
                                                                       de Montréal

                          Marcel Boyer
            Économiste principal à l’Institut économique de Montréal
     Professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Montréal
                  Fellow du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe

      La crise économique
et ses conséquences sur l’emploi

                      Décembre 2009
La crise économique et ses conséquences sur l'emploi
L’Institut économique de Montréal (IEDM) est un organisme de
                               recherche et d’éducation indépendant, non partisan et sans but
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                                            © 2009 Institut économique de Montréal

                                                    ISBN 978-2-922687-28-7

                                                 Dépôt légal : 4e trimestre 2009
                                         Bibliothèque et Archives nationales du Québec
                                                Bibliothèque et Archives Canada

                                                        Imprimé au Canada
La crise économique et ses conséquences sur l'emploi
M a rce l B oye r
                 Économiste principal à l’Institut économique de Montréal
          Professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Montréal
                       Fellow du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe

         La crise économique
   et ses conséquences sur l’emploi

Les Cahiers de recherche de l’Institut économique de Montréal
                               •
                      Décembre 2009
Table des matières

RÉSUMÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

1. UN BREF HISTORIQUE DE LA CRISE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

2. LA PERTE DE CONFIANCE ENVERS LE SYSTÈME BANCAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

3. DES SYSTÈMES DE BONIS MAL CONÇUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

4. RÉFORMER LE CAPITALISME : ATTENTION AUX APPRENTIS SORCIERS! . . . . . . . . . . . . . 15

5. UN PHÉNOMÈNE SOUS-ESTIMÉ : LA DESTRUCTION CRÉATRICE À L’OEUVRE . . . . . . . . . 17

6. DÉFICIT ET CROISSANCE : AMIS OU ENNEMIS? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

CONCLUSION : DÉFIS ET PERSPECTIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

À PROPOS DE L’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

Résumé

     Une récession économique                                                     Nous poursuivons alors avec
amène son lot de conséquences                                                un examen du rôle des formules de
déplorables : pertes dans la valeur                                          rémunération au rendement dans le
des fonds de retraite, diminution                                            secteur financier, en particulier de
de la valeur des actifs immobiliers,                                         leurs déficiences, et du bien-fondé
chute de la rentabilité des entre-                                           des appels répétés de divers groupes
prises, retour des déficits conjonc-                                         de pression et politiciens partisans
turels des gouvernements, etc.                                               d’une réforme en profondeur du
Cependant, l’impact le plus visible                                          capitalisme. Nous soulignons le
d’une récession est sans contredit                                           risque sérieux de tuer ce faisant la
les pertes d’emploi qui ne man-                                              poule aux œufs d’or.
quent pas d’en découler.
                                                                                 Nous arrivons alors à l’élé-
      Ce cahier de recherche porte sur différents             ment central de ce cahier de recherche, à savoir la
aspects de la crise financière et de la récession             création et la perte d’emplois au sein de
économique qui nous accablent depuis 2007.                    l’économie, en période d’expansion et en période
Après un bref historique des principaux événe-                de récession, et le processus de destruction
ments et une analyse de leurs causes possibles,               créatrice qui les sous-tend. Nous montrons en
nous abordons l’élément le plus important, à                  utilisant les données sur la création et la perte
savoir la perte de confiance dans le système                  brutes d’emplois que l’économie américaine a
financier. La confiance étant un capital social               continué à créer durant la crise un nombre
très important, la perte de confiance au sein du              impressionnant d’emplois, même si elle en a
système financier, en particulier dans les rela-              perdu un nombre encore plus important.
tions interbancaires, a précipité d’abord la crise
financière et ensuite la récession économique.                     Les données sur la dynamique des emplois
                                                              montrent qu’au cours de 65 trimestres allant du
      Pour rétablir la confiance et surtout la                troisième trimestre de 1992 au troisième
maintenir, il faut s’attaquer à quatre chantiers :            trimestre de 2008, les établissements d’entre-
la manipulation, voire la falsification, des                  prises privées américaines ont créé en moyenne
informations transmises par les organismes                    357 000 nouveaux emplois nets par trimestre.
publics et les entreprises, en particulier en                 En termes bruts, ces entreprises ont en réalité
matière de mesure des risques; les interventions              créé en moyenne 7 863 000 nouveaux emplois
politiques malavisées dans les entreprises publi-             par trimestre, dont 79 % dans des établissements
ques ou réglementées et la complaisance des                   existants et 21 % à la suite de l’ouverture de
régulateurs envers ces entreprises (les cas de                nouveaux établissements. Les établissements
Fannie Mae et de Freddie Mac étant les plus                   d’entreprises privées ont par ailleurs perdu en
notoires); les failles des mécanismes incitatifs au           moyenne 7 506 000 emplois par trimestre, dont
rendement qui trop souvent négligent la prise                 80 % dans des établissements existants et 20 % à
inconsidérée de risques et donc la favorisent; et             la suite de fermetures d’établissements. Ainsi,
enfin, l’application rigoriste de la règle comptable          chaque emploi net créé durant ces 65 trimestres
d’évaluation au prix du marché (mark-to-market                (plus de 16 ans) résulte en moyenne de 21 em-
rule) qui favorise la contagion de l’incertitude              plois créés et de 20 emplois perdus au sein des
dans un contexte où la perte de confiance fait                établissements.
disparaître des marchés pertinents.

4                                                                                          Institut économique de Montréal
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

       Malgré les pertes d’emplois nettes impor-                      De plus, parmi les changements les plus
  tantes des derniers trimestres, le secteur privé de           importants qui permettront d’améliorer la régle-
  l’économie américaine a continué à créer un                   mentation des institutions financières, il faut
  nombre brut d’emplois très élevé dans toutes les              mentionner les diverses règles micropruden-
  industries : 7 222 000 emplois bruts ont été                  tielles et macroprudentielles qui pourraient être
  créés et 7 617 000 emplois bruts ont été perdus               mises en place dans les prochaines années. Nous
  en moyenne par trimestre, pour les quatre                     faisons état d’une liste de ces règles susceptibles
  derniers trimestres disponibles (du quatrième                 de rendre plus efficace la réglementation du
  trimestre de 2007 au troisième trimestre de                   système financier et de permettre les ajustements
  2008). Quand on compare ces données avec le                   et les restructurations éventuelles sans mettre en
  nombre d’emplois créés ou sauvegardés par le                  péril le système lui-même.
  plan de relance du gouvernement américain,
  qui selon la Maison Blanche se chiffrerait après                    Enfin, il est souhaitable que les gouver-
  deux trimestres à environ 650 000, on ne peut                 nements résistent à la tentation de recourir aux
  que constater la relative insignifiance de ce                 mesures protectionnistes et d’achat local, au
  nombre par rapport à la création brute d’em-                  détriment du coût de la vie et du bien-être de la
  plois dans le secteur privé (environ 14,4 mil-                population. Il y a actuellement un réel danger de
  lions pour deux trimestres).                                  voir apparaître un cercle vicieux où le protec-
                                                                tionnisme répond au protectionnisme, plon-
      En conclusion, nous rappelons les défis                   geant les économies dans un véritable marasme :
  auxquels nous faisons face et les mesures à                   rappelons que deux emplois sur cinq au Canada
  prendre pour éviter de se retrouver dans le même              dépendent des marchés étrangers. Il faut plutôt
  chaos.                                                        veiller à protéger le mouvement vers la mondia-
                                                                lisation et la libéralisation toujours plus grande
       D’abord, recentrer le rôle des gouverne-                 des marchés. La croissance substantielle du
  ments sur les conditions de création d’emplois                commerce international durant le dernier
  et de richesse. En effet, quand on considère la               demi-siècle a été un facteur majeur d’améliora-
  dynamique des emplois et établissements créés                 tion tant du bien-être économique collectif que
  et perdus en termes bruts, le portrait de la crise            du développement culturel et social. Cette
  économique prend un tout autre visage. Les                    croissance a permis d’importants gains dans
  gouvernements devraient concentrer leurs                      l’éradication de la pauvreté, la création de
  efforts sur le rétablissement de la confiance et              richesse et la croissance économique et sociale.
  sur le développement des conditions favorables
  à la destruction créatrice, plutôt qu’intervenir
  directement au sein de l’économie.

       Ensuite, favoriser l’insertion de clauses
  d’options et d’ajustement dans les contrats, hypo-
  thécaires entre autres, afin de permettre la
  renégociation en réponse à des situations mac-
  roéconomiques désastreuses, permettant ainsi, en
  cas de récession ou de crise, des ajustements
  continuels aux conditions économiques plutôt
  que des ajustements brusques en cascade qui ne
  font qu’aggraver inutilement les mauvaises
  conditions économiques. Elles permettront de
  réduire les effets collatéraux néfastes des
  récessions.

Institut économique de Montréal                                                                                  5
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

Introduction

      Une récession économique amène son lot de
conséquences déplorables : pertes dans la valeur
des fonds de retraite, diminution de la valeur des
actifs immobiliers, chute de la rentabilité des
entreprises, retour des déficits conjoncturels des
gouvernements, etc. Cependant, l’impact le plus
visible d’une récession est sans contredit les pertes
d’emploi qui ne manquent pas d’en découler.

      Même si nous ne pouvons affirmer que la
crise est terminée de manière définitive, il est tout
de même utile de prendre un peu de recul et
d’établir un premier bilan de ses causes et de ses
conséquences. Ce cahier porte surtout sur
l’importance et la nature des pertes d’emplois aux
États-Unis (pour des raisons de disponibilité de
données) et sur le processus par lequel des emplois
sont créés et perdus non seulement durant les
périodes d’expansion ou de croissance, mais
également durant les périodes de récession.

      Rappelons que l’économie américaine a créé
des millions d’emplois, même dans les mois les
plus difficiles de la récession actuelle, mais perdu
également des millions d’emplois se soldant en
une perte d’emplois nette substantielle. Avant de
caractériser cette création et cette perte brutes
d’emplois, il est utile de revoir l’historique de la
crise financière et de la récession économique et les
facteurs les plus importants qui en sont les sources.

 6                                                                                      Institut économique de Montréal
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

                                                                 un grand nombre de distorsions et d’inter-
1. Un bref historique                                            ventions de la part des pouvoirs publics1. Depuis
de la crise                                                      1977, lors de l’adoption du Community Reinvest-
                                                                 ment Act, les banques américaines sont tenues de
                                                                 ne pas écarter les ménages à faible revenu et de leur
                                                                 proposer du crédit. Les banques étaient même
                                                                 sujettes à d’importantes sanctions si elles contre-
     En octobre 2008, un plan de 700 milliards de                venaient aux dispositions prévues dans le CRA.
dollars a été adopté aux États-Unis afin de racheter             C’est ce qui a provoqué le développement et la
des actifs à risque élevé et de renflouer le capital des         multiplication des prêts hypothécaires subprime.
banques. En février 2009, un « plan de relance » dont
le coût est évalué à 787 milliards de dollars, censé                  Comme ces prêts hypothécaires furent octroyés
stimuler l’économie par des dépenses gouverne-                   à un segment de la population caractérisé par des
mentales, a également été adopté par les autorités               revenus insuffisants, de mauvaises cotes de crédit
américaines. Ces sommes ne représentent qu’une                   et des apports personnels faibles ou nuls, il n’est
partie de ce que le gouvernement américain s’est en-             pas surprenant de constater que les prêts subprime
gagé depuis à dépenser en réponse à la crise                     avaient dix fois plus de chances que les autres de se
financière.                                                      terminer par une saisie2.

      Mais que s’est-il passé exactement? En quoi                      Afin d’augmenter leurs réserves de liquidités,
cette crise est-elle comparable à d’autres, majeures,            ces institutions financières ont développé toutes
comme celle de 1929? Quels dysfonctionnements                    sortes d’innovations financières qui leur ont permis
des marchés révèle-t-elle? Afin de répondre à ces                de titriser ces actifs et de les revendre sur les marchés.
questions, nous allons commencer par présenter                   De plus, comme ces prêts étaient adossés à des
les origines de cette crise. Comme nous allons le                actifs bénéficiant d’une certaine garantie du
démontrer, les causes de cette crise sont à la fois              gouvernement fédéral par l’entremise des quasi-
économiques et politiques.                                       sociétés d’État Fannie Mae et Freddie Mac, ces actifs
                                                                 étaient perçus comme relativement peu risqués par
     Si la crise des prêts hypothécaires subprime a              les investisseurs qui les ont achetés. Au moment de
éclaté en février 2007, elle trouve son fondement                l’éclatement de la bulle immobilière, ces deux
dans l’éclatement de la bulle technologique à la fin             organismes garantissaient près de la moitié des
des années 1990. Pour contrer la chute des cours                 prêts hypothécaires résidentiels aux États-Unis.
boursiers et la récession qui s’ensuivit, la Réserve
fédérale mena alors une politique de taux d’intérêt                   Or, à partir de la mi-2006, le marché de
bas, afin de limiter les dégâts du ralentissement                l’immobilier a piqué du nez : le nombre de maisons
économique.                                                      vendues et le prix des logements ont plongé. Selon
                                                                 les données de la National Association of Realtors,
      Les taux d’intérêt bas ont incité à la distri-             le nombre de maisons vendues aux États-Unis a
bution « agressive » de crédit. Ainsi, la demande                chuté de 13,9 % en 2007. À partir du deuxième
pour des maisons aux États-Unis a crû, provoquant                trimestre de 2006, le prix des maisons a diminué en
une hausse des prix. En parallèle, des millions de               moyenne de 3,6 % au deuxième trimestre de 2007
propriétaires ont profité de la baisse des taux                  et de 17,9 % au deuxième trimestre de 20083. Pour
d’intérêt pour refinancer leur prêts hypothécaires.
Par anticipation, les banques ont donc augmenté
leur offre de crédit, mais ceci provoqua une baisse
                                                                 1. Voir Pierre Lemieux, Les origines de la crise économique, Note
de la qualité des prêts hypothécaires proposées.                    économique, IEDM, mars 2009, p. 3.
                                                                 2. Id.
                                                                 3. Voir Pending Home Sales Index
    En plus du maintien de bas taux d’intérêt, le                   (http://www.realtor.org/research/research/ehspage) et Housing Bubble
marché hypothécaire américain était entravé par                     Graphs (http://mysite.verizon.net/vzeqrguz/housingbubble/).

Institut économique de Montréal                                                                                                     7
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

les propriétaires vivant dans des régions où la baisse                                        texte que la banque d’investissement Bear Stearns
des prix fut importante, le risque de se retrouver                                            a annoncé, en juin 2007, la faillite de deux fonds
dans une situation où la valeur de la maison                                                  spéculatifs. La crise des subprime éclatait.
devient inférieure à celle du prêt hypothécaire
contracté pour la payer devenait très élevé.                                                       Mais la crise est-elle réelle ou virtuelle? Les
                                                                                              taux d’emprunteurs hypothécaires en défaut
      De plus, la Réserve fédérale a progressivement                                          restèrent, dans l’ensemble, à l’intérieur de marges
relevé son taux directeur de 1 % à 5,25 % de 2004                                             qui semblent acceptables et gérables. Le marché des
à 20064. Les ménages ayant contracté un emprunt                                               prêts hypothécaires subprime à taux variable a
à taux variable ont dû assumer des paiements de                                               certes connu des difficultés avec un taux de
plus en plus élevés alors que la valeur de leur                                               défaillance de 21 % en janvier 20086 et de 25 % en
propriété fondait. Par conséquent, les emprunteurs                                            mai 20087 par rapport à un taux de 14 % en
se retrouvèrent confrontés à une hausse rapide de                                             moyenne pendant la période 2000-2007 (avec une
leurs mensualités et les plus fragiles furent                                                 embellie exceptionnelle à 11 % de 2004 à 2006).
incapables de poursuivre leurs remboursements.                                                Mais même là, on comprend mal la panique des
                                                                                              marchés financiers.
      Dès le début de 2007, les défauts de paiement
sur les emprunts hypothécaires se multiplièrent et
provoquèrent les premières faillites d’établisse-
ments bancaires spécialisés5. C’est dans ce con-
                                                                                              6. Federal Reserve, Financial Markets, the Economic Outlook, and
                                                                                                 Monetary Policy, 10 janvier 2008,
4. Federal Reserve, Open Market Operations,                                                      http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/bernanke20080110
   http://www.federalreserve.gov/fomc/fundsrate.htm.                                             a.htm.
5. RealtyTrac, U.S. Foreclosure Activity Increases 75 Percent in 2007,                        7. Federal Reserve, Mortgage Delinquencies and Foreclosures, 5 mai 2008,
   29 janvier 2008, http://www.realtytrac.com/ContentManagement/                                 http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/Bernanke20080505
   PressRelease.aspx?channelid=9&ItemID=3988.                                                    a.htm.

Figure 1.1
Comparaison des taux de saisie des prêts hypothécaires
prime et subprime aux États-Unis (1998-2007)
                              10,0
                               9,0

                               8,0
                              7,0
                Pourcentage

                               6,0

                              5,0
                               4,0

                               3,0

                               2,0

                               1,0
                               0,0
                                     1998      1999        2000         2001        2002        2003        2004         2005         2006       2007

                                            Subprime taux variable                  Subprime taux fixe
                                            Prime taux variable                     Prime taux fixe

                                     Source : Joint Economic Committee, The Subprime Lending Crisis, Report and Recommandations by the Majority
                                     Staff, octobre 2007, p. 27, http://jec.senate.gov/archive/Documents/Reports/10.25.07OctoberSubprimeReport.pdf.

  8                                                                                                                                   Institut économique de Montréal
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

      La très grande majorité des ménages conti-                                            nous avons connue et connaissons encore aujour-
nuaient à honorer leurs engagements hypothé-                                                d’hui, malgré une certaine stabilité retrouvée. Si la
caires. Globalement, le taux de défaillance sur les                                         crise des subprime a pu agir comme facteur
prêts hypothécaires est passé de 5 % pendant la                                             déclencheur de la crise financière, il faut chercher
période 2000-2007 à un peu plus de 9 % en 20098.                                            ailleurs la cause véritable de cette dernière.
Rien pour provoquer et justifier la panique et son
cercle vicieux, d’autant plus que la population                                                   La crise des subprime s’est ensuite propagée
américaine croît à un bon rythme (21,3 % depuis                                             aux autres secteurs économiques par diverses
1990), ce qui se répercutera sur les besoins en                                             voies. La première réside dans le phénomène de la
logement. Une fois la liquidité et la confiance                                             titrisation des créances, une pratique qui a pris de
revenues à la normale, les actuels chasseurs                                                l’ampleur depuis le début des années 2000. La
d’aubaines bénéficieront de gains considérables, en                                         titrisation est une opération financière qui con-
partie grâce à la règle d’évaluation à la valeur de                                         siste pour une banque à revendre ses créances sur
marché (mark-to-market rule) qui, dans les faits,                                           des marchés spécialisés, souvent groupées avec
reflète mal la réalité actuelle.                                                            d’autres valeurs. Cette stratégie lui permet à la fois
                                                                                            de se refinancer et de réduire son risque. Le risque
      Malgré les difficultés du marché des prêts                                            est ainsi transféré aux investisseurs qui achètent ces
hypothécaires subprime aux États-Unis, il semble                                            créances. Ces titres sont ensuite rachetés par divers
improbable que ce problème ait pu générer une                                               investisseurs tels que les fonds d’investissement
crise financière mondiale de l’ampleur de celle que                                         classiques, fonds plus spéculatifs, etc.

                                                                                                 Les banques qui cherchaient à augmenter
8. Mortgage Bankers Association, Delinquencies and Foreclosures                             leurs réserves de liquidités pour le marché hypo-
   Continue to Climb in Latest MBA National Delinquency Survey,
   Communiqué de presse, 28 mai 2009, http://www.mortgagebankers.
                                                                                            thécaire subprime ont eu recours à la titrisation du
   org/NewsandMedia/PressCenter/69031.htm.                                                  crédit subprime (les titres adossés à des actifs ou

    Figure 1.2
    Emprunteurs hypothécaires gravement en défaut
    par type de prêt (pourcentage d’emprunteurs qui
    sont en défaut depuis 90 jours ou plus
    ou qui sont en processus de saisie)
                                 30

                                 25

                                 20
                   Pourcentage

                                 15

                                 10

                                  5

                                 0
                                 2002            2003         2004           2005         2006           2007         2008           2009

                                             Subprime                                Prêt de la Federal Housing Administration
                                             Prime, taux variable                    Prime, taux fixe
                                      Source : John Carney, « Prime Mortgage Foreclosures Outpacing Subprime! », Business Insider, 21 août 2009.

Institut économique de Montréal                                                                                                                    9
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

ABS en anglais, pour asset-backed securities).                                  L’échec des négociations sur la reprise de
Toutefois, elles ne se sont pas arrêtées là : prenant                      Lehman Brothers et sa mise en faillite le 15 sep-
des paquets d’ABS, elles les ont combinés dans des                         tembre 2008 – l’évènement marquant le véritable
produits plus complexes, les obligations adossées à                        début de la crise – a précipité le développement
des actifs (en anglais CDO pour collateralized debt                        de la crise en détruisant une part importante du
obligations). Avec la chute du marché immobilier                           stock de capital de confiance envers le système
américain, le risque des subprime a rendu suspects                         financier. À la suite de la prise de contrôle de
les titres qui y étaient adossés (ABS et CDO), puis a                      Merrill Lynch par Bank of America le même jour,
mené à leur effondrement avec la montée de la                              le gouvernement fédéral, devant la débâcle
panique bancaire. La panique a gagné tous les types                        annoncée, a décidé de renflouer AIG deux jours
de titrisation.                                                            plus tard par l’entremise d’un investissement de
                                                                           85 milliards de dollars.
      La deuxième voie par laquelle la crise s’est
transmise est les fonds d’investissement, qui ont                               Finalement, la troisième voie par laquelle
eux-mêmes acheté les créances titrisées. Les prêts                         cette crise a atteint le reste de l’économie est liée
subprime offraient des rendements élevés en                                au fait que ces fonds d’investissement apparte-
raison du paiement par l’emprunteur d’un taux                              naient ou étaient financés par les banques (les
d’intérêt plus élevé. Pour les investisseurs, ces                          fonds de couverture se financent avec peu de
titres étaient intéressants puisqu’ils leur permet-                        capitaux propres et beaucoup d’emprunts). Les
taient de doper le rendement de leurs fonds                                banques se retrouvaient donc à assumer les
d’investissement et par conséquent leurs bonis.                            risques qu’elles avaient vendus ou transférés à ces
Ainsi, les fonds de couverture (hedge funds),                              fonds. Au final, l’ensemble du système bancaire
toujours à la recherche de rendements élevés,                              supportait des risques liés au crédit, non seule-
étaient particulièrement friands de ces titres.                            ment dans les fonds que les banques finançaient,
Quand la contre-performance des subprime s’est                             mais aussi dans ceux qu’elles géraient.
amplifiée, certains déposants ont demandé le
retrait de leurs investissements et des créanciers                              Cette crise qui a débuté par les emprunts
ont refusé de renouveler leurs prêts.                                      hypothécaires subprime, s’est donc étendue à
                                                                           toutes les obligations adossées à des actifs, a mis
      L’effondrement de la valeur de deux fonds                            en danger les compagnies d’assurance et de
d’investissement de la banque américaine Bear                              réassurance des obligations des municipalités et
Stearns, révélé le 17 juillet 2007, a donné le signal                      des emprunts immobiliers. Le coup de grâce a été
de la crise de confiance. Ce sont désormais tous les                       donné lorsque les prêts interbancaires, qui sont
fonds d’investissement qui allaient à leur tour                            au cœur du système financier, ont été désorga-
devenir suspects. Le 16 mars 2008, le géant bancaire                       nisés par le fait que les banques ne se faisaient
américain J.P. Morgan racheta Bear Stearns pour                            plus confiance et conservaient leurs fonds afin de
236 millions de dollars, aidé financièrement par la                        se renflouer et d’éviter la faillite. Les banques
Réserve fédérale. Le 13 juillet 2008, les deux quasi-                      centrales ont alors injecté des sommes sans
sociétés d’État américaines de refinancement                               précédent, étendant à un niveau encore inconnu
hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae, rece-                             la gamme des collatéraux acceptés en contre-
vaient aussi le soutien des autorités américaines9.                        partie de prêts accordés à un nombre record de
                                                                           banques.

9. Malgré une étude publiée en 2002 par Fannie Mae qui soutenait qu'il
   était très improbable que les deux quasi-sociétés d'État aient besoin
   d'un sauvetage gouvernemental un jour. Voir : Joseph E. Stiglitz,
   Jonathan M. Orszag et Peter R. Orszag, « Implications of the New
   Fannie Mae and Freddie Mac Risk-based Capital Standard », Fannie
   Mae Papers, vol. 1, no 2 (mars 2002).

 10                                                                                                     Institut économique de Montréal
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

                                                                valorisation au prix de marché. C’est comme si
2. La perte de                                                  une partie importante de la masse monétaire s’était
confiance envers le                                             volatilisée, provoquant une crise de liquidité. Ce
                                                                manque de liquidité a provoqué une course vers
système bancaire                                                les encaisses, donc une crise de crédit, générant une
                                                                hausse des risques de contrepartie (c’est-à-dire, le
                                                                risque qu’un débiteur n’honore pas sa dette).

                                                                     Malgré l’intervention des banques centrales,
      Les développements remarquables de la                     la perte de confiance et la peur de la faillite se sont
finance moderne ont permis de réduire considé-                  généralisées : les banques, comme bien d’autres
rablement le niveau de risque systémique que                    entreprises, ont cherché à renflouer leurs réserves
nous devons assumer. Cette réduction du risque a                et à augmenter leurs capitaux propres, rendant
pu se produire en augmentant les possibilités de                plus difficiles les conditions du crédit (hausse du
diversification grâce à la mondialisation des                   coût d’emprunt et rationnement du crédit) dans
marchés financiers et en développant de nou-                    un contexte où les risques de contrepartie et donc
veaux outils de gestion du risque, tels les produits            les primes de risque avaient beaucoup augmenté.
d’assurance, les trocs de défaillance de crédit et les
titres dérivés. Ces développements ont permis                         Les interventions de la Réserve fédérale amé-
aux agents économiques de réduire la probabilité                ricaine, par l’entremise de sa politique monétaire,
et la sévérité des mauvaises situations possibles,              sont directement observables en réponse à cette
par des stratégies plus diversifiées et mieux                   situation : les réserves totales des institutions de
ciblées de protection et de couverture, tant                    dépôt sont passées d’environ 47 milliards $
préalables que subséquentes aux événements                      le 10 septembre 2008 (leur niveau habituel des der-
problématiques. Parallèlement, ces développe-                   nières années) à 653 milliards $ le 12 novembre
ments de la finance moderne ont pu augmenter le                 2008 et à 904 milliards $ le 14 janvier 20092. De
niveau de risque systémique dans la mesure où,                  même, la base monétaire est passée de son niveau
par l’interdépendance des marchés, une crise                    habituel de 845 milliards $ le 10 septembre 2008 à
éventuelle ne peut être que globale.                            1476 milliards $ le 12 novembre 2008 et à 1742
                                                                milliards $ le 14 janvier 20093.
     La crise économique est une crise de
confiance envers une des infrastructures com-                         La confiance interbancaire est devenue
munes essentielles de nos sociétés, à savoir le                 tellement faible que la crise, au départ purement
système financier. On peut fermer une entreprise,               bancaire et créée de toutes pièces par des innova-
mais on peut difficilement se passer d’une auto-                teurs financiers « géniaux », mais peu compétents
route ou d’un système de communications.                        en économie des incitations et des organisations,
Similairement, on ne peut se passer d’un système                s’est étendue à l’économie entière. La confiance
financier efficace et accessible.                               est un capital particulièrement important dans le
                                                                secteur financier, qui repose essentiellement sur
      Diverses innovations financières ont permis               des promesses et sur la primauté du droit : un
aux institutions et aux entreprises de détenir des
titres (papier commercial adossé à des actifs ou
autres) habituellement très liquides, comme
                                                                1. Les dépôts bancaires exprimés en pourcentage du PIB ont diminué
substituts rentables aux dépôts bancaires tradi-                   rapidement, partout dans le monde, passant aux États-Unis de près
tionnels et considérés à ce titre comme de la                      de 18 % du PIB en 1965 à moins de 5 % en 2005. Voir Robert E.
                                                                   Lucas Jr., The Current Financial Crisis, Universidad Torcuato di Tella,
quasi-monnaie1. Lorsque ces titres ont perdu leur                  9 décembre 2008.
liquidité, une méfiance contagieuse s’est déve-                 2. Federal Reserve, Mortgage Delinquencies and Foreclosures, 5 mai 2008,
                                                                   http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/Bernanke20080505
loppée, entraînant une dévaluation d’actifs, elle-                 a.htm.
même exacerbée par les règles trop rigides de                   3. Id.

Institut économique de Montréal                                                                                                      11
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

dépôt bancaire n’a d’intérêt que si le déposant a                          développement et au maintien de ce capital de
confiance de pouvoir retirer ses fonds au moment                           confiance.
qu’il juge opportun.
                                                                                 Il faut s’attaquer à quatre chantiers. D’abord,
      L’outil privilégié pour tenter de rétablir la                        la manipulation, voire la falsification, des informa-
confiance fut l’injection massive de capital                               tions transmises par les organisations et les entre-
gouvernemental dans les banques. Cette injection                           prises, en particulier en matière de mesure des
massive pose elle-même plusieurs problèmes.                                risques, est un premier facteur pernicieux de
D’abord, une partie substantielle du nouveau                               destruction du capital social qu’est la confiance. Un
capital a servi à sécuriser les créanciers obliga-                         deuxième découle des interventions politiques
taires des banques, réduisant d’autant la disponi-                         dans les entreprises publiques ou réglementées et
bilité de fonds prêtables. Ensuite, si le marché                           de la complaisance des régulateurs envers ces
immobilier poursuit sa débâcle, il faudra sous                             entreprises (les cas de Fannie Mae et de Freddie
peu recommencer le même scénario à un coût                                 Mac étant les plus notoires). Un troisième provient
potentiellement exorbitant pour les contri-                                des failles dans les mécanismes incitatifs au rende-
buables. Enfin, il fallait s’attendre à ce que des                         ment, qui trop souvent négligent et donc favorisent
pressions de plus en plus fortes se fassent sentir                         la prise inconsidérée de risques. Dans le contexte de
pour que les gouvernements injectent du capital                            la crise actuelle, ces trois facteurs occupent les
dans les entreprises privées non financières en                            premières loges. L’application rigoriste de la règle
difficulté, un cercle infernal en gestation qui                            comptable d’évaluation à la valeur de marché, qui
pourrait entraîner une spirale de destruction de                           favorise la contagion de l’incertitude dans un
valeur dans l’ensemble de l’économie.                                      contexte où la perte de confiance fait disparaître des
                                                                           marchés pertinents, complète le tableau.
     La confiance est le plus important capital
social, car elle permet de réduire significative-                                Dans la mesure où le capital de confiance
ment une multitude de coûts de transaction au                              social résulte des comportements des entreprises et
sein d’une société. La crise actuelle des marchés                          des individus face à leur capital de confiance privé,
financiers, qui est fondamentalement une crise de                          il est essentiel qu’une réglementation appropriée
confiance au sein du secteur bancaire en général,                          l’encadre et en favorise le développement. Cette
remet cet enjeu à l’avant-scène4.                                          réglementation sera d’autant moins coûteuse que
                                                                           les gestionnaires incarneront et partageront des
     La confiance est à la fois un capital privé et                        valeurs d’honnêteté et de rigueur intellectuelle, non
un capital social et à ce titre son développement                          seulement dans la production de biens et services,
et son maintien posent de difficiles problèmes de                          mais aussi dans la production et la transmission des
coordination et d’incitation. C’est un capital                             informations à l’ensemble de leurs partenaires. Et
privé, car une entreprise bénéficiera de la                                ces valeurs de probité seront d’autant plus
confiance de ses partenaires. Mais la confiance                            présentes et partagées que la réglementation les
ainsi créée de façon privée se répercute posi-                             favorisant sera efficace et rigoureuse.
tivement sur la confiance envers l’ensemble des
entreprises. Cet effet social est suffisamment                                  Pour espérer sortir du marasme actuel, il
important pour que les autorités publiques aient                           faut resserrer la divulgation d’information sur les
une responsabilité particulière de veiller au                              risques, assurer l’indépendance des régulateurs et,
                                                                           pour ce faire, recourir davantage à des
                                                                           organismes de régulation privés, favoriser une
                                                                           meilleure compréhension de la structure efficace
4. Lors du Forum économique mondial de Davos de janvier 2003 où
   j’avais été invité comme conférencier, un des principaux thèmes de      des mécanismes incitatifs au rendement et
   discussion portait sur le rétablissement et le développement de la      assouplir la règle comptable d’évaluation à la
   confiance au sein du monde des affaires et envers ce dernier. Cette
   discussion suivait une vague de faillites de grande envergure et de     valeur de marché à la lumière de la règle
   scandales financiers.                                                   économique de la valeur actualisée nette (VAN).

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La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

3. Des systèmes de                                              dominantes dans le crédit hypothécaire et
                                                                protégées par des régulateurs complaisants, en
bonis mal conçus                                                ont pris pour leur rhume. Le gouvernement sera
                                                                remboursé en priorité. Et ces entreprises ne pour-
                                                                ront plus profiter de leurs relations politiques
                                                                pour masquer leur mauvaise gestion : on ferme la
                                                                porte! Si le cheval est parti, au moins on gardera
     Dans la foulée de la crise financière, les                 le poulain dans l’écurie.
grandes maisons de courtage et banques d’inves-
tissement ont déboursé des bonis record alors que                    Par ailleurs, selon un analyste, les banques
leurs gestionnaires les mettaient en sérieuse diffi-            ont remplacé leur modèle traditionnel « initier et
culté. Selon le contrôleur de l’État de New York, les           conserver » par un nouveau modèle « initier et
firmes de Wall Street ont payé en 2007 quelque                  transférer », en fonction duquel elles prêtent et
33,2 milliards $ en bonis, pratiquement le même                 ensuite vendent les créances à quelqu’un d’autre2.
montant qu’en 2006, alors que les sept plus                     L’adoption plus généralisée de ce nouveau
grandes institutions voyaient leur valeur action-               modèle serait un facteur responsable de la crise.
nariale chuter de 200 milliards $. Un exemple :                 Cependant, le phénomène de titrisation n’est pas
Lehman Brothers a augmenté ses bonis de 10 % en                 nouveau; les banques ont adopté cette pratique
2007 pour les amener à 5,7 milliards $ et se retrouva           depuis près de 30 ans sans provoquer de crises. Ce
en faillite en septembre 2008. Et si ces bonis étaient          qui a changé lors de la dernière décennie a été la
l’une des sources de la crise financière?                       croissance des titres adossés à des prêts hypothé-
                                                                caires subprime qui sont échangés tellement de fois
     Les mécanismes incitatifs utilisés notam-                  qu’un problème de transparence important finit
ment dans l’industrie des services financiers                   par apparaître.
rémunèrent les revenus générés dans une mesure
quasi indépendante des risques, avec comme                           Cette pratique a mené à la création d’une
conséquences prévisibles la mesure négligente et                classe de capitaux pour laquelle il devient extrê-
défaillante des risques et la prise injustifiée de              mement difficile d’établir qui assume les risques
risques. Nous y sommes.                                         fondamentaux. Cette particularité a provoqué
                                                                une distorsion des incitations de six manières
     Nombre d’économistes ont mis les entre-                    différentes.
prises en garde contre de telles pratiques en leur
rappelant qu’il est nécessaire de tenir compte, dans                 Premièrement, les honoraires des courtiers
la conception de mécanismes incitatifs, des risques             hypothécaires sont basés uniquement sur le
pris ou encourus afin d’éviter ce que les écono-                nombre de prêts hypothécaires qu’ils accordent,
mistes et assureurs appellent le « risque moral ».              sans prendre en considération le risque de
Les économistes spécialistes des incitations au                 défaillance. Ainsi, les courtiers n’étaient aucune-
rendement suggèrent depuis plusieurs années de                  ment incités à se pencher sur les risques liés aux
rendre les bonis conditionnels à des audits de                  prêts hypothécaires subprime. Au contraire, ils
risques afin de pénaliser – plutôt que de                       étaient incités à accorder le plus grand nombre de
récompenser – les résultats financiers excep-                   prêts hypothécaires, indépendamment du niveau
tionnels reposant sur des prises de risques                     de risque que ceux-ci présentaient.
inconsidérées1.

                                                                1. Voir Bernard Sinclair-Desgagné, « How to restore higher-powered
     Mais la lueur semble présente au bout du                      incentives in multitask agencies », Journal of Law, Economics, &
tunnel. Dans le sauvetage de Fannie Mae et de                      Organization, vol. 15, no 2 (juillet 1999), p. 418-433.
                                                                2. Paul Mizen, « The Credit Crunch of 2007-2008: A Discussion of the
Freddie Mac, les gestionnaires, actionnaires et                    Background, Market Reactions, and Policy Responses », Federal
détenteurs d’obligations de ces entreprises, trop                  Reserve Bank of St. Louis Review, septembre/octobre 2008, p. 531-568.

Institut économique de Montréal                                                                                                    13
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

     Ensuite, les prêteurs n’avaient aucune
incitation à vérifier la qualité des prêts hypothé-
caires octroyés dans la mesure où ils comptaient
regrouper et revendre ces actifs sous forme de
produits dérivés complexes. Dans les années
avant l’éclatement de la crise, ces institutions ont
augmenté leur offre de prêts hypothécaires
subprime pour les revendre aux investisseurs qui
cherchaient de plus hauts rendements.

      Troisièmement, les profits générés par la
titrisation de ces produits ont incité les prêteurs à
offrir le plus de prêts possible indépendamment
de leur qualité. Puisque la demande de prêts
hypothécaires diminuait, les prêteurs ont alors
diminué leurs exigences afin de maintenir une
croissance du nombre de prêts constante.

      Quatrièmement, le tranchage a permis de
créer plusieurs classes d’obligations, avec des
classes supérieures et des classes subordonnées,
chacune destinée à des types d’investisseurs
différents. L’argument justifiant la création de ces
classes est très simple : en créant des classes
subordonnées, on améliore théoriquement la
qualité de la classe « A » jusqu’à réduire la proba-
bilité apparente de perte sur cette classe à un
niveau très faible, réduisant d’autant le coût de
financement de cette classe. Ainsi, ces obligations
adossées à des actifs obtenaient des cotes élevées de
la part des agences de notation même si elles
n’étaient en fait qu’une combinaison de prêts
hypothécaires risqués à fort effet de levier.

     Cinquièmement, la majorité des revenus des
agences de cotation provenait des opérations de
cotation des produits structurés. Il y avait donc un
risque de conflit d’intérêts parce que ces agences
recevaient une somme forfaitaire de l’institution
émettrice pour établir la cote de ces produits, tout
en conseillant ces institutions sur l’émission de ces
produits.

     Finalement, les gestionnaires de fonds étaient,
tout comme les courtiers hypothécaires, motivés
par la perspective de bonis qui n'étaient pas suffi-
samment ou correctement corrigés en fonction du
niveau de risque encouru.

 14                                                                                     Institut économique de Montréal
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

                                                                      En effet, quoique la crise ait durement frappé
4. Réformer le                                                  plusieurs marchés, financiers et industriels, il ne
capitalisme :                                                   faut pas oublier la croissance économique
                                                                exceptionnelle des quelque 25 dernières années1.
attention aux                                                   De 1981 à 2007 (avant la crise), l’économie amé-
                                                                ricaine a créé 45,6 millions d’emplois nets, soit une
apprentis sorciers!                                             augmentation de 45 %; l’économie canadienne
                                                                hors Québec en a créé 4,5 millions, une augmen-
                                                                tation de 53 %; et l’économie québécoise, 1,1 mil-
                                                                lion, une augmentation de 38 %. Le produit
     Dans la foulée de la crise économique,                     intérieur brut (PIB) réel par habitant, une mesure
plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une                      relativement fiable et comparable des gains de
réforme en profondeur du capitalisme. Même si                   niveau de vie au fil du temps, a augmenté de
on admet la nécessité que certaines pratiques                   1981 à 2007 de 66 % aux États-Unis, de 55 % au
dans le domaine du crédit soient mieux encadrées                Canada hors Québec et de 46 % au Québec. Une
(le crédit hypothécaire subprime entre autres),                 fois corrigé pour tenir compte des différences
avant d’imaginer des solutions, il faut d’abord                 dans le coût de la vie, le PIB par habitant du
comprendre comment ces pratiques ont pu voir                    Canada, qui s’élevait à 92,1 % de celui des États-
le jour.                                                        Unis en 1981, atteignait 82,4 % de celui des États-
                                                                Unis en 2007. Ainsi, avant le début de la crise, le
     On connaît déjà deux des principales sources               Canada avait perdu du terrain par rapport aux
des difficultés encourues. D’abord, la politique                États-Unis, tout comme la France, l’Italie,
économique du gouvernement américain. En                        l’Allemagne, le Japon et la Suède, alors que la
particulier à la suite de l’éclatement de la bulle              Corée du Sud, la Norvège, le Royaume-Uni,
technologique au tournant du siècle et des                      l’Espagne et le Portugal ont fait des gains
évènements du 11 septembre 2001, cette politique                appréciables par rapport aux États-Unis.
a favorisé des programmes de crédit facile grâce à
des taux d’intérêt anormalement faibles. Ensuite,                     De toute évidence, le dernier quart de siècle
les pressions indues de certains membres du                     a été exceptionnel pour l’économie américaine
Congrès sur les quasi-sociétés d’État Fannie Mae                sur le plan du niveau de vie. S’il est nécessaire
et Freddie Mac au profit des prêts hypothécaires                d’apporter certaines réformes au fonctionnement
subprime. Ces entreprises ont été amenées non                   du capitalisme aux États-Unis et ailleurs, il faut
pas tant à sous-estimer les risques de certaines                bien se garder du risque bien réel de jeter le bébé
transactions financières, mais plutôt à devoir                  avec l’eau du bain. L’économie de marché et ses
fermer les yeux sur ces risques.                                corollaires, la liberté et la responsabilité, restent,
                                                                au regard des faits, les meilleures garanties de
      Les gouvernements devraient cesser de jouer               développement et de croissance du niveau de vie.
aux apprentis sorciers de la pensée magique, trop               Par le fait même, elles sont aussi la voie la plus
souvent animés de bonnes intentions qui ne                      efficace vers l’éradication de la pauvreté et du
peuvent qu’avoir des conséquences catastrophi-                  sous-développement.
ques. Il est difficile de croire que les propositions
actuelles de réforme du capitalisme amèneront
ces gouvernements à s’imposer des restrictions
accrues sur leurs propres actions! Bien au
contraire, ces réformes nous font courir le risque
de voir les gouvernements s’immiscer de manière
                                                                1. Voir Marcel Boyer, Performance et développement économiques
inefficace dans la microgestion des entreprises                    du Québec : les 12 travaux d’Hercule, CIRANO, à paraître
privées, financières ou non.                                       (novembre/décembre 2009).

Institut économique de Montréal                                                                                          15
La crise économique et ses conséquences sur l’emploi

      Dans la même veine, face aux résultats pour             l’ont été et non pas avec l’information disponible
le moins désastreux des institutions financières,             aujourd’hui. Les gestionnaires de l’institution
divers commentateurs ont remis en cause leur                  discutent et établissent la stratégie de placement
structure, leur gouvernance et la compétence de               et de crédit qu’ils adopteront ou recommande-
leurs gestionnaires et ont réclamé une interven-              ront à leurs clients. Ils doivent tenir compte tant
tion plus ferme des gouvernements. Plusieurs ont              du niveau de risque que le client en question est
agi en gérants d’estrade : sachant maintenant                 prêt à prendre que de la mise en application de la
comment ont évolué les marchés durant ces dix-                stratégie qui, conditionnellement au niveau de
huit mois de grande volatilité, on aurait dû faire            risque ainsi choisi, maximisera le rendement
autrement, recomposer le portefeuille, investir               espéré. Il revient à chaque investisseur, déposant
ici, ne pas investir là. Trop facile.                         ou client d’établir sa politique de placement en
                                                              tenant compte de ses objectifs ou engagements
      D’abord, on ne peut juger de la qualité d’une           financiers à long terme et du niveau de risque
stratégie de placement, choisie et mise en place              qu’il est prêt à assumer.
avant une crise, à partir des résultats observés
après coup. Ensuite, on ne peut augmenter le                       Ce qu’une institution financière et un client
rendement espéré d’un portefeuille de placement               choisissent, c’est une distribution où chacun des
sans accepter de prendre davantage de risques                 rendements possibles, allant du plus faible au
systémiques : risques systémiques encourus et                 plus élevé, est associé à une probabilité de réalisa-
rendements espérés augmentent et diminuent en                 tion; le rendement espéré correspond alors à la
tandem. Mais rendement espéré et rendement                    moyenne pondérée de ces rendements possibles.
réalisé sont deux concepts très différents : le               La qualité de la stratégie de placement est d’im-
premier correspond à la moyenne pondérée (par                 planter ou de traduire correctement, par un choix
leur probabilité respective) des rendements                   approprié de titres, les objectifs. Après coup, un
possibles, alors que le deuxième correspond à un              seul des rendements possibles sera observé : une
seul des rendements possibles, à savoir celui qui a           stratégie de très bonne qualité à la base peut
été observé. Enfin, prendre davantage de risques              générer après coup des résultats mauvais, moyens
systémiques pour augmenter le rendement espéré                ou excellents.
implique qu’on accepte de subir parfois de
mauvais résultats, voire des résultats catastro-                   Par contre, il importe de ne pas ignorer les
phiques. C’est la loi d’airain, aussi cruelle soit-           effets pervers de politiques qui visent à
elle, des marchés financiers où se négocient les              compenser les individus et les entreprises ayant
risques : une fois exclues l’incompétence et les              perdu de l’argent à la suite de l’échec de leur
possibilités d’arbitrage, vouloir augmenter le                stratégie. Cela aura pour effet de créer des
rendement espéré en prenant moins de risques                  distorsions dans l’évaluation du risque par ces
relève de la pensée magique.                                  individus et entreprises. En bref, l’anticipation
                                                              d’un sauvetage fera qu’il sera « moins risqué de
     Pour juger de la qualité de la politique de              prendre des risques » et n’incitera certainement
placement d’une institution financière, il faut               pas les investisseurs à être plus prudents à
revenir en arrière et examiner les décisions prises           l’avenir.
avec l’information disponible au moment où elles

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