LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR

 
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LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR
COMMISSION DES
SCIENCES ET DES
TECHNOLOGIES (STC)

LA LUTTE
ANTI-SOUS-MARINE
DE L’OTAN :
RECONSTRUIRE LES
CAPACITÉS ET SE
PRÉPARER POUR
L’AVENIR

Projet de rapport spécial révisé

Leona ALLESLEV (Canada)
Rapporteure spéciale

150 STC 19 F | Original : anglais | 12 aoȗt 2019

Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission
des sciences et des technologies, il ne représente que le point
de vue de la rapporteure spéciale.
LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR
150 STC 19 F

                                                     TABLE DES MATIÈRES

I.     INTRODUCTION ................................................................................................................... 1

II.    L’IMPORTANCE DE LA MER POUR L’ALLIANCE ................................................................ 2

III.   LA MENACE DES SOUS-MARINS RUSSES POUR L’OTAN ................................................ 4
       A.  LES SOUS-MARINS DANS LA STRATÉGIE DE LA RUSSIE ...................................... 4
       B.  L’ÉTAT DE LA FLOTTE SOUS-MARINE RUSSE ......................................................... 8

IV.    LA SITUATION EN ASIE DE L’EST ..................................................................................... 10
       A.   LES RÉCENTES AVANCÉES DE LA CHINE ............................................................. 10
       B.   LES CAPACITÉS NAISSANTES DE LA CORÉE DU NORD ...................................... 12

V.     LES LACUNES DES ALLIÉS EN MATIÈRE DE CAPACITÉS DE LUTTE ASM ET LA
       MODERNISATION EN COURS ........................................................................................... 13
       A.  ÉTAT DES LIEUX GÉNÉRAL DES CAPACITÉS ALLIÉES DE LUTTE ASM .............. 13
       B.  LES SOUS-MARINS TACTIQUES : HAUTE QUALITÉ MAIS BILAN NUANCÉ .......... 14
       C.  LES AVIONS DE PATROUILLE MARITIME : DES CAPACITÉS TRÈS DÉFICITAIRES
            ................................................................................................................................... 16
       D.  LA MODERNISATION EN COURS DES FRÉGATES AU SEIN DE L’ALLIANCE ....... 17

VI.    VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA LUTTE ASM .............................................. 18
       A.  LA TECHNOLOGIE DES CAPTEURS ........................................................................ 18
       B.  LES SYSTÈMES MARITIMES SANS PILOTE ............................................................ 18

VII.   CONCLUSIONS .................................................................................................................. 21

       BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ............................................................................................. 23
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I.    INTRODUCTION1

1.     Les Alliés ont assisté, ces dernières années, à un renforcement majeur des patrouilles de
sous-marins russes dans leurs zones d’opération. En 2018, le ministre de la défense du
Royaume-Uni de l’époque, Gavin Williamson, avait estimé que le nombre de ces patrouilles avait
décuplé entre 2011 et 2017 (Cecil et Collins, 2018). Fait inquiétant, les marines alliées ont repéré
des sous-marins russes sur certains sites très sensibles : à seulement 350 km de la côte Est des
États-Unis, non loin de l’emplacement de la dissuasion nucléaire britannique, et à proximité de
câbles de communication sous-marins essentiels (Perkins, 2018 ; McLaughlin, 2017 ;
Birnbaum, 2017). Tout cela a inspiré à l’amiral James G. Foggo III, actuel commandant des forces
navales des États-Unis pour l’Europe ainsi que du Commandement de forces interarmées de l’OTAN
installé à Naples, la réflexion suivante : « Les sous-marins russes rôdent dans l’Atlantique, testent
nos défenses, défient notre contrôle des mers et préparent l’espace de bataille du complexe milieu
sous-marin afin d’avoir une avance dans un éventuel conflit à venir » (Foggo et Fritz, 2016).

2.     Si la Russie est peut-être la menace sous-marine la plus immédiate pour l’Alliance, d’autres
flottes sous-marines doivent également inquiéter les Alliés. D’une part, les projets d’expansion de la
Chine au niveau mondial (par exemple, la nouvelle route de la soie, ou la présence accrue de ce
pays dans l’Arctique) vont de pair avec une hausse de ses investissements en matière de défense
navale, notamment la modernisation de ses sous-marins. D’autre part, tandis que la Corée du Nord
cherche à se doter d’une dissuasion nucléaire opérationnelle dirigée contre l’un des membres de
l’OTAN en particulier, sa marine cherche à concevoir des sous-marins équipés de missiles
balistiques à lanceur naval.

3.      L’augmentation des patrouilles de sous-marins russes doit inquiéter les responsables
politiques et militaires de l’Alliance. Depuis la première guerre mondiale, les sous-marins
représentent une menace très importante pour les navires civils et militaires en raison de leur
furtivité, leur discrétion acoustique et leur vitesse (Perkins, 2016). Un sous-marin peut à lui seul
fermer un passage maritime stratégique et ainsi menacer aussi bien les navires de commerce que
les groupes aéronavals avec porte-avions. Les sous-marins peuvent donc empêcher toute projection
de puissance navale et rompre les lignes de communication maritimes essentielles. Lorsqu’ils sont
équipés de missiles de croisière d’attaque au sol, ils peuvent aussi mettre en danger des sites
terrestres de grande importance. En résumé, « chaque sous-marin est un atout stratégique »,
comme l’a indiqué le commandant des forces sous-marines allemandes, le capitaine Timo Cordes
(Bliddal, 2019).

4.     Contrairement à d’autres capacités militaires « dures » comme les chars voire les missiles, les
sous-marins sont aussi très adaptés pour les opérations asymétriques et hybrides car ils permettent
la tromperie et le démenti. On note en particulier que la menace s’est considérablement accrue
concernant les câbles de communication sous-marins. Ces câbles assurent environ 80 % des
transferts de données entre l’Amérique du Nord et l’Europe, a déclaré le vice-amiral Hervé Bléjean,
commandant adjoint du Commandement maritime allié, à une délégation de la sous-commission sur
les tendances technologiques et la sécurité (STCTTS) de l’AP-OTAN en juin 2019. Les satellites ne
pourraient assurer que 10 % de l’ensemble des transferts de données transatlantiques, a-t-il précisé.
Les sous-marins à usage spécial jouent un rôle clé dans la menace à l’égard des câbles sous-marins
car ils peuvent discrètement mettre sur écoute ou couper ces câbles en vue de recueillir de précieux
renseignements ou de perturber des services vitaux.

5.    Un autre point qui doit inquiéter l’OTAN encore plus est le grave déficit de capacités de lutte
anti-sous-marine (ASM) qui existe au sein de l’Alliance. Selon le vice-amiral Sir Clive Johnstone,
ancien commandant du Commandement maritime allié, l’OTAN se trouve dans une situation où
« nous manquons vraiment de chasseurs de sous-marins de haut niveau » (Fabey, 2018). Les Alliés
se sont aperçus tardivement de ce manque et se sont engagés à y remédier. L’OTAN a réalisé des

1 Sauf indication contraire, les informations contenues dans ce projet de rapport spécial proviennent de
sources publiques. Pour en savoir plus, contacter le directeur de la commission.

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évaluations stratégiques, renforcé sa posture maritime, lancé des réformes de ses mécanismes de
commandement et de contrôle et intensifié son dispositif d’exercices de lutte ASM.

6.    De toute évidence, le défi de la lutte ASM requiert une adaptation à tous les niveaux, mais
celle-ci ne peut compenser le déficit de capacités. Ce projet de rapport spécial se concentre donc
sur la nécessité de reconstituer les actifs de l’OTAN en matière de lutte ASM sur les court et long
termes, sujet qui doit recueillir toute l’attention des Alliés. Avant de terminer par une série de
recommandations, le projet de rapport aborde les points suivants :

-     Démonstration de l’importance de la mer pour l’Alliance ;
-     Examen de la menace concrète que représentent les sous-marins russes pour l’OTAN ;
-     Présentation des principales avancées réalisées dans les flottes sous-marines de la Chine et
      de la Corée du Nord ;
-     Description des manques de capacités de lutte ASM les plus critiques au sein de l’Alliance ;
-     Présentation des efforts de modernisation importants déployés au niveau national et à
      l’OTAN ;
-     Ébauche d’un futur où les capacités de lutte ASM intégreront les technologies émergentes.

7.     Une première version de ce projet de rapport a été examinée par la commission des sciences
et des technologies (STC) lors de la session de printemps de l’AP-OTAN en 2019. Cette version
révisée sera présentée pour adoption par la rapporteure spéciale lors de la session annuelle, qui se
tiendra en novembre 2019. Les visites effectuées par la commission en 2019 à Singapour et au
Royaume-Uni ont notamment permis de compléter l’analyse et les résultats. Les délégués ont,
durant ces deux visites, été informés des problèmes spécifiques dans le domaine de la lutte ASM et
de la façon dont ces deux États maritimes y font face, en particulier le défi des technologies
autonomes maritimes. Ce projet de rapport complète en outre le projet de rapport de la commission
de la défense et de la sécurité (DSC) de cette année, intitulé L’évolution de la sécurité dans
l’Atlantique Nord.

II.   L’IMPORTANCE DE LA MER POUR L’ALLIANCE

8.     L’importance qu’a la mer pour l’Alliance peut difficilement être niée (voir la carte 1). La défense
conventionnelle de l’Europe repose sur deux piliers (Breedlove, 2018). Premièrement, l’Alliance doit
disposer en Europe, y compris sur ses accès maritimes, d’une solide puissance militaire – composée
notamment de forces canadiennes et américaines – présente sur place et prête à intervenir.
Deuxièmement, les Alliés d’Amérique du Nord doivent être en mesure d’apporter du renfort au
continent européen et de le réapprovisionner en matériel et en personnel au moment d’une crise ou
d’un conflit. Le droit international, les normes et les organisations multinationales établissent le
principe de la liberté de navigation en temps de paix (Tamnes, 2018). Or, dans des situations de
crise, l’Alliance ne peut garantir cette liberté que si elle est en mesure d’exercer le contrôle des mers
et de projeter de la puissance en surface et sous l’eau.

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9.    Comme son nom l’indique on ne peut plus         Carte 1 : Passage GIUK et passage de Suwalki
clairement, l’océan Atlantique Nord est au            (carte : Google Earth ; légende : AP-OTAN)
cœur de l’Organisation du Traité de l’Atlantique
Nord. Il est une partie essentielle de la zone de
responsabilité de l’OTAN, ainsi que sa
principale ligne de communication maritime
(Olsen, 2018). Il est « l’élément vital de              Passage
                                                        GIUK
l’OTAN », comme l’a si bien résumé le général
Philip M. Breedlove, ancien commandant
suprême des forces alliées en Europe
(SACEUR) (Breedlove, 2018). Outre son
importance militaire, cet océan reste l’élément                                       Passage de
fondamental de la prospérité économique de                                            Suwalki

l’Amérique du Nord et de l’Europe, et héberge
dans ses profondeurs des câbles de
communication essentiels.

10. Bien que l’océan Atlantique Nord soit
peut-être l’environnement maritime le plus
important pour l’Alliance, l’OTAN doit aussi être
en mesure de contrôler – ou de garantir l’accès à – ses autres zones de responsabilité maritimes,
dont les plus importantes sont les mers Baltique, Méditerranée et Noire.

11. La mer Baltique relie neuf pays d’Europe, dont six membres de l’Alliance. Le trafic maritime
y est extrêmement dense. Presque 15 % du transport mondial de fret par voie maritime s’effectue
dans cette région (Nordenman, 2018). La mer Baltique est en outre la troisième grande région de
production d’énergie, après le détroit d’Ormuz et le détroit de Malacca. Si la Russie réussit un jour
à fermer la frontière terrestre, longue de 104 km, entre la Pologne et la Lituanie (baptisée « passage
de Suwalki »), les accès maritimes via la mer Baltique seront également les seuls itinéraires
envisageables pour assurer le renfort et le réapprovisionnement de l’Estonie, la Lettonie et la
Lituanie.

12. Au cours des dernières décennies, la mer Méditerranée est devenue de plus en plus
importante pour l’Alliance, et en particulier pour les neufs pays alliés bordant son littoral. Le
commerce maritime entre les pays de la région représente presque un quart du commerce maritime
mondial (UFM, s.d.). Une autre raison majeure de son importance croissante est la situation
sécuritaire toujours difficile au Maghreb et en Méditerranée orientale. Un signe très visible de
l’importance grandissante de la mer Méditerranée a été le transfert du quartier général de la
6ème flotte des États-Unis de Londres à Naples au milieu des années 2000.

13. Concernant la mer Noire, le trafic maritime y est beaucoup moins intense mais
l’environnement géopolitique y est très complexe, tant pour l’OTAN dans son ensemble que pour la
Bulgarie, la Roumanie et la Turquie en particulier. Cela s’est vérifié plus particulièrement avec le
conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008, l’annexion illégale et illégitime de la Crimée par la
Russie en 2014, et l’agression toujours en cours dans l’est de l’Ukraine. Cela dit, la situation militaire
de la région reste compliquée pour toutes les parties. La convention de Montreux de 1936 impose
des restrictions strictes en ce qui concerne les bateaux de guerre. L’ampleur de ces restrictions varie
selon qu’elles concernent des États riverains ou non de la mer Noire. Les États de cette seconde
catégorie ne sont ainsi pas autorisés à envoyer des sous-marins au-delà des détroits turcs.
Des restrictions s’appliquent également aux navires de surface. Ces limites concernent la taille des
navires et des flottes, ainsi que la durée de séjour (21 jours maximum). Par ailleurs, les pays
riverains de la mer Noire ne sont autorisés à envoyer des sous-marins au-delà des détroits que s’ils
rejoignent leur base dans la mer Noire pour la première fois ou s’ils ont subi des opérations de
maintenance ou de réparation ailleurs que dans la région. Deux nouveaux sous-marins appartenant

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à la flotte russe de la mer Noire n’ont pas encore rejoint leur base mais demeurent à Tartous, en
Syrie.

14. Avec l’apparition de nouvelles opportunités et de nouveaux défis sous l’effet du changement
climatique, le Grand Nord est une autre région méritant un suivi attentif de l’Alliance. Les projets
d’exploitation pétrolière et gazière dans l’Arctique pourraient modifier le marché mondial de l’énergie.
Les nouveaux itinéraires maritimes entre l’Atlantique et le Pacifique pourraient également modifier
le commerce mondial. La pêche commerciale dans l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord représente
déjà quelque 40 % des captures de poisson à l’échelle mondiale. Le tourisme est en hausse.
En résumé, l’empreinte humaine dans l’Arctique s’accroît, et avec elle s’accroissent les intérêts des
États. Les sous-marins sont tout à fait adaptés pour opérer dans cette région. Ils peuvent donc
afficher une présence, recueillir des renseignements utiles, présenter des défis hybrides et fermer
des passages de plus en plus encombrés. Outre la Russie, qui borde l’Arctique, la Chine cherche à
rendre ses sous-marins aptes à se déplacer dans le milieu glaciaire de cette région (Goldstein,
2019) ; les États-Unis ont d’ailleurs constaté que les Chinois pourraient envisager à l’avenir
d’envoyer des sous-marins dans l’Arctique (US DOD, 2019a).

III.   LA MENACE DES SOUS-MARINS RUSSES POUR L’OTAN

       A.   LES SOUS-MARINS DANS LA STRATÉGIE DE LA RUSSIE

15. Les sous-marins russes doivent être replacés dans un contexte stratégique plus large car ils
jouent à cet égard un rôle crucial. La grande stratégie de la Russie consiste pour elle à retrouver
son statut de grande puissance mondiale. Une étape clé de ce projet est une profonde modernisation
de l’armée s’appuyant sur une hausse du budget de la défense. Aucun chiffre fiable ou clair n’est
disponible publiquement concernant ce budget. Selon l’une des estimations les plus plausibles, les
dépenses de défense ont légèrement baissé depuis leur niveau record en 2015, où la Russie
consacrait 4,83 % de son PIB à la défense. Ce niveau est resté élevé en 2018, à 4 % (IISS, 2019).
Quoi qu’il en soit, les dépenses militaires russes, y compris en matière de sous-marins, n’ont pas
besoin d’être élevées pour produire des effets asymétriques, comme nous le verrons plus bas.

16. Outre la modernisation de son armée, la Russie continue de chercher des zones tampons –
politiques et militaires – dans ce qu’elle appelle son « étranger proche ». D’une part, le pays mène
des opérations hybrides et asymétriques pour générer une incertitude stratégique et provoquer des
surprises localisées (Metrick et Hicks, 2018). D’autre part, ses dirigeants cherchent à provoquer une
surcharge tactique ciblée en créant des « bulles » anti-accès/déni de zone (A2/AD) (Metrick et
Hicks, 2018). Le littoral septentrional de la Russie ainsi que les mers Noire et Baltique sont
essentiels dans cette approche.

17. La stratégie maritime de la Russie vise plusieurs grands objectifs, dont les plus importants
sont : la fourniture et la protection d’une dissuasion nucléaire s’appuyant sur des sous-marins, la
défense de son territoire, et le renforcement de son pouvoir, de son influence et de sa puissance
économique (Allport, 2018). Une conséquence notable est que la marine russe continue de
privilégier a) le remplacement de ses sous-marins dotés de charges nucléaires ; b) le renforcement
de ses forces navales aux fins de la lutte antisurface et de l’attaque au sol conventionnelles (Allport,
2018) ; et c) l’amélioration de ses capacités permettant de mener des opérations navales hybrides
et asymétriques.

18. De manière générale, les capacités navales de la Russie restent « très inférieures à la
puissance collective de l’Alliance » (Allport, 2018). Comme dans d’autres domaines, Moscou
cherche à compenser en augmentant au maximum ses atouts asymétriques, souvent avec succès.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le pays se tourne également vers les opérations hybrides
maritimes « pour faire de sa faiblesse une force », commente l’amiral James G. Stavridis, ancien
commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) (Stavridis, 2018). La Russie pourrait

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utiliser toute la gamme des capacités civiles et militaires et opérer avec le plus d’ambiguïté possible
(Stavridis, 2018). Les sous-marins sont tout à fait adaptés pour les opérations hybrides car ils sont
capables de créer des effets pouvant être niés et de conduire des opérations au fond des mers.

19. Les responsables de la défense des membres de l’Alliance ont, en particulier, averti que la
Russie risquait de mettre sur écoute ou de sectionner des câbles de communication sous-marins
(voir l’encadré 1 et la carte 2). Des navires russes ont été repérés à proximité, peut-être en train de
cartographier le réseau. Bien que ces câbles soient conçus selon le procédé de redondance, leur
mise sur écoute ou leur sectionnement pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les
communications transatlantiques et intra-européennes. Si la Russie ou tout autre État réussissait à
mettre ce réseau sur écoute, elle/il pourrait obtenir subrepticement des renseignements d’une
importance stratégique, par exemple sur les flux financiers, les échanges, ainsi que des données
militaires ou gouvernementales classifiées. Les systèmes commerciaux et financiers internationaux
sont très dépendants de ce réseau. La mise hors service du réseau aurait des effets considérables
et immédiats sur les marchés économiques (BBC, 2017 ; Stavridis, 2018). Comme l’a indiqué
Keir Giles, consultant principal chez Chatham House, la Russie a tiré des leçons de sa campagne
en Crimée : « l’accès physique à l’infrastructure de communication et aux télécommunications » est
la clé de la domination de l’information (BBC, 2017).

20. Il n’existe à l’heure actuelle aucun système véritablement efficace pour surveiller les câbles
sous-marins (Analytic Exchange Program, 2017). Par conséquent, l’un des gros avantages que
présente la mise hors service de ces câbles est la possibilité de nier l’avoir fait. Un incident de 2008
en apporte la preuve. Aucun acteur mal intentionné n’était à l’origine du sectionnement
quasi-simultané de câbles sous-marins allant du Moyen-Orient vers l’Europe et vers l’Asie. Les
responsables étaient un navire traînant une ancre et un glissement des fonds marins. Si cela se
produisait pour des câbles ayant une importance cruciale pour les Alliés, comment être sûr que le
responsable est un État (Smith et Hendrix, 2017) ? Même si un Allié détenait des renseignements
fiables, serait-il en mesure d’en communiquer une part suffisante pour convaincre les autres
membres de l’Alliance ? Et quelles seraient les conséquences si cela se produisait à des moments
critiques ? Un interlocuteur de haut niveau rencontré lors de la récente visite de la STCTTS au
Royaume-Uni a indiqué que la Russie pourrait déposer des mines à proximité de ces câbles. Si la
charge explosive était déclenchée au bon moment, l’Alliance pourrait perdre une guerre avant même
de l’avoir commencée. Il est temps pour l’OTAN de proposer une bonne réponse.

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Encadré 1 : Déclarations notables concernant la menace relative aux câbles sous-marins
 Amiral (à la retraite) James Stavridis,
 ancien commandant suprême des                 Carte 2 : Réseau de câbles sous-marins     dans   la   zone
 forces alliées en Europe (Sunak, 2017) :      euro-atlantique (Source : TeleGeography)

 « De récents rapports font clairement état
 d’opérations précises de surveillance et de
 ciblage menées par des sous-marins
 russes à proximité du réseau de câbles
 sous-marins de l’Atlantique Nord. »

 Général d’armée aérienne
 Sir Stuart Peach, chef d’état-major de la
 défense, ministère de la défense du
 Royaume-Uni (Peach, 2017) :

 « Il existe un nouveau risque pour notre
 mode de vie, qui est la vulnérabilité des
 câbles traversant les fonds marins. »

 Arnor Sigursjonsson, directeur général,
 direction de la défense, ministère des
 affaires étrangères d’Islande, décembre
 2018 (Willet, 2018) :
                                          21. Avec l’intérêt ravivé de Moscou pour les sous-marins,
 « Les câbles sous-marins ne relient pas  deux concepts d’opération typiques de la guerre froide ont
 seulement l’Islande avec l’Europe et
 l’Amérique du Nord, ils assurent aussi lafait leur retour en ce qui concerne l’Atlantique Nord : les
                                          « bastions » et la « défense des bastions » (Olsen, 2018).
 liaison directe entre l’Amérique du Nord et
 l’Europe au sud de l’Islande […] Si      Les bastions sont des espaces maritimes dans lesquels la
 quelqu’un parvient à en perturber le     Russie concentre sa dissuasion nucléaire navale.
 fonctionnement, cela aura des
 conséquences majeures à l’échelle
                                          Naturellement, ce pays tient à préserver la sécurité de ses
 planétaire. »                            sous-marins stratégiques et protège donc intensivement
                                          ces bastions. Le bastion européen de la Russie se situe
                                          principalement le long des côtes septentrionales du pays
                                          (voir la carte 3). Le périmètre de défense de ce bastion
s’étend à l’avant de cette zone et jusqu’au passage GIUK (Groenland-Islande-Royaume-Uni). L’une
des raisons pour lesquelles ce passage est important pour la Russie est que, à partir de cette zone,
les capacités américaines équipées de missiles de croisière Tomahawk peuvent frapper des cibles
vitales en Russie (Allport, 2018). La Russie ne peut défier l’Alliance pour le contrôle de
l’Atlantique Nord (Olsen, 2018). Par conséquent, en période de crise ou de conflit, les moyens navals
russes –     principalement     les    sous-marins
tactiques – chercheraient à empêcher que les             Carte 3 : Défense du bastion russe
                                                         (Source : Expert Commission on Norwegian
navires des Alliés ne s’aventurent au-delà du            Security and Defence Policy, 2015)
passage (Olsen, 2018).

22. Tous les éléments de la stratégie maritime,
de la modernisation navale et des activités
opérationnelles russes ne sauraient cependant
être perçus comme foncièrement menaçants.
Après tout, l’armée russe se trouvait à un niveau
particulièrement bas lorsqu’elle a engagé des
efforts de modernisation. Les experts prudents
n’ont pas tous la même perception de la posture
maritime de la Russie. Certains jugent que la
stratégie et la posture maritimes de ce pays sont
fondamentalement défensives (Allport, 2018).
D’autres considèrent au contraire que les actions
de Moscou ont un but offensif (Olsen, 2018).

                                                                                                        6
LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR
150 STC 19 F

23. La rapporteure se range plutôt du côté du second avis. L’un des problèmes fondamentaux de
la stratégie russe est que les actions que la Russie considérerait ou souhaiterait considérer comme
défensives – telles que refuser l’accès au-delà du passage GIUK pour protéger son arsenal
nucléaire – devraient être perçues comme un défi stratégique lancé à l’Alliance – une menace au
lien transatlantique.

24. Un autre élément de la modernisation navale russe penche aussi du côté d’une posture
offensive : les nouveaux missiles longue portée Kalibr-3M14 à guidage de précision peuvent
atteindre aussi bien des navires de surface que des cibles terrestres situés à une distance de pas
moins de 1 500 à 2 500 km. Par conséquent, les sous-marins russes ne représentent pas seulement
une menace pour le lien transatlantique ; ils peuvent aussi refuser l’accès aux littoraux de l’Alliance
dans le cadre de la menace A2/AD, dont la portée est beaucoup plus vaste (Tamnes, 2018).
Les missiles Kalibr pourraient, même stationnés dans la mer Blanche et la mer de Barents, mettre
en danger des centres nodaux critiques situés à l’intérieur du territoire de l’Alliance. En fait, la Russie
a testé ces missiles en les lançant depuis leur base russe, ce qui réduit sensiblement le délai de
lancement (O’Dwyer, 2019). Si les estimations maximales sont vraies, un sous-marin se trouvant
dans la mer Blanche pourrait envoyer un missile Kalibr sur le siège de l’OTAN à Bruxelles et dans
au moins 13 capitales des pays membres de l’Alliance (voir la carte 4). En période de crise ou de
conflit, les sous-marins russes
pourraient viser d’importants Carte 4 : Illustration de la portée des sous-marins équipés de missiles
ports de débarquement utilisés Kalibr (estimations minimale et maximale)
pour les renforts de troupes, voire
les côtes Est de l’Amérique du
nord s’ils n’étaient pas détectés à
l’ouest de l’Atlantique Nord. Un
tel scénario aurait des effets
militaires,       politiques     et
psychologiques importants sur
les États membres et pourrait
ébranler la capacité et la volonté
de l’OTAN de remplir ses tâches
fondamentales (Allport, 2018).

25. Si ce qui précède montre
l’importance de l’Atlantique Nord
dans la réflexion stratégique de la
Russie, la mer Baltique et la mer
Noire occupent aussi une place
centrale. La mer Baltique présente une importance capitale pour les intérêts russes. La moitié
environ du fret maritime de la Russie transite par cette région, qui sert aussi de passerelle maritime
pour l’enclave russe de Kaliningrad (Nordenman, 2018). Sur le plan opérationnel, les sous-marins
russes pourraient utiliser la mer Baltique comme une zone d’étape pour lancer des attaques de
missiles de croisière, comme une aire de refuge avant de progresser vers l’océan Atlantique, et
comme une zone d’attente (Perkins, 2016). En temps de paix, ces sous-marins peuvent aussi
essayer de surveiller les Alliés et mener des opérations de provocation et d’intimidation ciblées. Cela
dit, la mer Baltique est un espace très difficile pour les sous-marins en raison de son espace confiné
et ses eaux peu profondes, de la densité du trafic et de la présence d’une multitude de mines marines
encore actives. Toutefois, associées à la faible salinité de la mer Baltique, ces mêmes
caractéristiques rendent les sous-marins très difficiles à repérer. Cette mer représente donc un
excellent espace d’entraînement pour les sous-marins russes. Des experts prétendent que les
partenaires de l’OTAN que sont la Finlande et la Suède présentent à cet égard une « utilité » pour
la Russie car ses sous-marins peuvent s’entraîner face à des capacités de haut niveau sans risquer
de se confronter à un Allié (Perkins, 2016).

                                                                                                         7
LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR
150 STC 19 F

26. Avant 2014, la flotte navale russe présente dans la mer Noire était dans un état de
délabrement. Pour preuve, un seul nouveau navire de combat de surface y a été affecté entre 1991
et 2014 (Gorenburg, 2018). Les missions en mer Méditerranée et dans le golfe d’Aden ont été
menées par d’autres navires (Gorenburg, 2018). Bien que la Russie n’ait pas, dans le cadre de son
programme de modernisation actuel, réalisé toutes ses ambitions relatives à la mer Noire, elle a
néanmoins déployé un grand nombre de nouveaux navires de combat de surface dans les ports de
cette mer et rétabli une présence sous-marine permanente. Ses missiles Kalibr font planer un risque
sur une part importante du territoire de l’Alliance. Par ailleurs, Moscou utilise de plus en plus cette
région comme un tremplin pour sa projection de puissance en mer Méditerranée.

      B.     L’ÉTAT DE LA FLOTTE SOUS-MARINE RUSSE

27. Preuve de son importance stratégique, le programme de modernisation des sous-marins
bénéficie dans une large mesure d’un traitement de faveur dans le budget russe de la défense. Cela
a commencé à payer ses fruits pour la flotte russe, qui compte aujourd’hui 62 sous-marins (en
service et en réserve, ce chiffre excluant ceux affectés à des missions spéciales et ceux en phase
de développement et de test) (IISS, 2019 ; voir le tableau 1). Les sous-marins les plus récents ne
sont pas les plus modernes au monde, loin s’en faut. Leurs modèles datent en effet d’il y a environ
10 ou 15 ans. Ils représentent néanmoins une nette progression en termes de qualité. Ils sont
extrêmement performants, et arrivent quasiment à égalité avec certains sous-marins des membres
de l’Alliance. Globalement, la modernisation des sous-marins est un investissement rentable, car les
sous-marins russes fournissent des résultats sans commune mesure par rapport aux ressources
engagées (Hicks et al., 2016).

28. Les sous-marins Delta III et Delta IV continuent de représenter l’épine dorsale de la
dissuasion nucléaire navale de la Russie. La marine russe les remplace petit à petit par de
nouveaux sous-marins Boreï, dont l’atténuation acoustique et la propulsion ont été sensiblement
améliorées. Trois sont en service aujourd’hui, sur un total de huit dont la mise en service est prévue
pour le début des années 2020 (Connolly et Boulègue, 2018). La construction des trois premiers
Boreï a cependant connu de gros retards liés au développement des générateurs diesel, et plus
particulièrement du nouveau missile balistique nucléaire Bulava de 150 kilotonnes (Connolly et
Boulègue, 2018 ; Warsaw Institute, 2017).

 Encadré 2 : Les sous-marins russes           29. Les sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de
 du point de vue régional                     croisière Oscar II, rapides et furtifs, figurent parmi les plus
                                              gros modèles jamais construits. Certains d’entre eux sont en
 Atlantique Nord : C’est à la flotte du       train d’être modernisés pour rester en service pendant encore
 Nord qu’est affecté le plus grand nombre
 de sous-marins russes. Cette flotte          15 à 20 ans ; ils seront également réaménagés pour pouvoir
 compte huit sous-marins stratégiques         transporter jusqu’à 96 missiles Kalibr. Les sous-marins
 (dont un en rénovation et un autre en        nucléaires à usage général sont de trois types : Victor III,
 réserve) et 21 sous-marins tactiques         Sierra II et Akula. Certains des sous-marins Akula sont en
 (quatre en rénovation et un en réserve)
 (IISS, 2019).
                                              cours de modernisation (Gady, 2015).

 Mer Baltique : La Russie possède             30. Le successeur de tous les sous-marins nucléaires
 aujourd’hui deux sous-marins de type         tactiques de la Russie est le polyvalent Yasen. Les experts le
 Improved Kilo stationnés en mer              considèrent comme extrêmement silencieux, quoique pas
 Baltique, mais un seul était disponible
 pour des opérations en 2016. Le pays         autant que les modèles américains Seawolf ou Virginia. Le
 prévoit de positionner deux sous-marins      Yasen est conçu pour transporter entre 32 et 40 missiles
 de type Lada dans cet espace maritime        Kalibr. Il semblerait que la Russie veuille aussi l’équiper de
 d’ici 2024.                                  missiles de croisière hypersoniques Zircon, en cours de
 Mer Noire et mer Méditerranée : La
                                              développement (O’Dwyer, 2019). Un Yasen est déjà en
 Russie compte quatre sous-marins dans        service alors qu’un second – baptisé Yasen-M ou Husky suite
 la mer Noire et deux sur sa base navale      à des modifications – est en phase de test. La Russie prévoit
 de Tartous, en Syrie (affectés à la flotte   de mettre en service cinq autres sous-marins Yasen d’ici
 de la mer Noire).

                                                                                                           8
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2024. La grande difficulté pour la Russie sera de réduire les coûts. Le Yasen-M a déjà coûté quelque
1,6 milliards de dollars américains (Episkopos, 2019).

         Tableau 1 : Sous-marins russes (Source : IISS, 2019)          31.        Les sous-marins russes
 Sous-marins stratégiques                                   Nombre     Kilo et Improved Kilo à propulsion
 Type Delta III (Projet 667BDR ; Kalmar)                          3    diesel électrique sont utilisés pour
                                                                       des missions anti-sous-marines. Le
 Type Delta IV (Projet 667BDRM ; Delfin)                          6
                                                                       modèle Improved Kilo est très furtif
 Type Boreï (Projet 955/A ; Dolgorukiy)                           3
                                                                       et peu coûteux pour le niveau de
 Type Akula (Projet 941 ; Typhoon)                               (1)   performance fourni. Les sous-
                                                                       marins      Lada sont supposés
 Sous-marins tactiques                                                 remplacer ces deux modèles. Or, le
 Sous-marins nucléaires d’attaque lance-missiles                       programme a connu de gros
 Type Oscar II (Projet 949A ; Anteï)                              8
                                                                       problèmes et d’importants retards.
                                                                       Un problème de taille semble être
 Type Yasen (Projet 885 ; Severodvinsk)                         1+1*
                                                                       que la Russie a de grosses
                                                                       difficultés à concevoir et fabriquer
 Sous-marins nucléaires d’attaque                                      un      système      de    propulsion
 Type Schuka-B (Projet 971 ; Akula I)                             9    anaérobie,        une     technologie
 Type Schuka-B (Projet 971M ; Akula II)                           2    essentielle pour les sous-marins
 Type Sierra II (Projet 945A ; Kondor)                            2    modernes à propulsion diesel
 Type Schuka (Projet 671RTM ; Victor III)                         3
                                                                       électrique. Il y a quelques années, il
                                                                       semblait que ce modèle allait peut-
 Type Sierra I (Projet 945 ; Barracuda)                          (1)
                                                                       être être retiré au profit d’un
                                                                       nouveau type de sous-marin, le
 Sous-marins patrouilleurs                                             Kalina (sur lequel il existe peu de
 Type Kilo (Projet 877 ; Paltus)                                 16    données publiques), mais la Russie
 Type Improved Kilo (Projet 636.6 ; Varshavyanka)                 6    a récemment recommencé à
 Type Lada (Projet 677)                                         1+2*   travailler sur les deux sous-marins
                                                                       Lada et souhaite en relancer la
                                                                       production       (Majumdar,    2016 ;
 Nombre total de sous-marins (en service et en réserve)          62
                                                                       Majumdar, 2018b).

                                                                      32.        La Russie possède peut-
 Sous-marins à usage spécial                                    12?   être les capacités de lutte sous-
                                                                      marine les plus sophistiquées au
    Les chiffres entre parenthèses correspondent à des sous-marins en monde       (Allport,  2018).     Les
                                 réserve.                             responsables de la défense de
                                                                      l’Alliance ont, en particulier, averti
                  * En phase de développement ou de test
                                                                      que la Russie risquait de mettre sur
écoute ou de sectionner des câbles de communication sous-marins de l’OTAN ou du secteur privé.
La Russie possède aujourd’hui des sous-marins Delta III, Delta IV et Oscar II convertis pour des
missions spéciales, même si nombre d’entre eux ne sont peut-être pas encore prêts. Ces sous-
marins pourraient toutefois servir de navires porteurs pour les mini-sous-marins et submersibles
avec équipage de type sous-marin Losharik, ou submersibles classe Paltus ou Konsul, capables de
manipuler des objets dans les fonds marins, ou pour des systèmes sans pilote. On ne sait pas très
bien combien d’entre eux sont en service (Ripley, 2019). La direction principale russe de la
recherche sur les fonds marins a pour objectif d’accroître le nombre de ces mini-sous-marins
capables d’opérer au fond des mers. En juillet 2019, 14 marins ont perdu la vie suite à un incendie
à bord du Losharik. L’État russe a très peu communiqué sur cet accident, hormis en indiquant que
l’incendie s’était déclaré dans le système de batteries. La Russie s’est engagée à remettre le
submersible en état (Staalesen, 2019).

33. Une autre menace sous-marine garde quant à elle tout son secret : le drone sous-marin ou
la torpille Poseidon (autrefois connu(e) sous le nom de Status 6 ou Kanyon). Le Poseidon s’est fait

                                                                                                           9
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connaître « accidentellement » lors d’une émission télévisée il y a quelques années et est
aujourd’hui souvent cité dans les discours du président Poutine (Gao, 2019). La Russie prétend que
ce drone pourrait transporter des charges nucléaires de 100 à 2 000 mégatonnes utilisées pour la
destruction et la contamination côtières. Les charges nucléaires seraient « frelatées » avec du cobalt
pour une contamination maximale. Bien que les informations dont on dispose soient trop rares pour
juger de l’exactitude de ces données, il est très important de suivre le projet de près.

IV.   LA SITUATION EN ASIE DE L’EST

34. Tandis que la Chine accroît sa présence mondiale dans des domaines cruciaux pour les
intérêts des Alliés, les membres de l’OTAN doivent garder un œil sur le défi que représentent les
sous-marins chinois. En Corée du Nord, par ailleurs, le programme de conception de sous-marins
et d’armes nucléaires continue de travailler à la mise au point d’une dissuasion navale dirigée contre
les États-Unis, menace qu’il serait périlleux pour l’Alliance d’ignorer. Cette section présente donc les
flottes sous-marines de ces deux pays.

      A.      LES RÉCENTES AVANCÉES DE LA CHINE

35. Comme en Russie, le gouvernement chinois est très secret lorsqu’il est question de stratégie,
de programmes et de budgets militaires. Les experts estiment que la Chine aurait consacré quelque
168,2 milliards de dollars américains à la défense en 2018, dont une part importante aux
investissements (IISS, 2019). Dans le contexte de ce projet de rapport, il est clair que les forces
       Tableau 2 : Sous-marins chinois (Source : IISS, 2019)    armées chinoises sont extrêmement
                                                                concentrées sur l’amélioration des
  Sous-marins stratégiques                               Nombre
                                                                forces sous-marines existantes et la
  Classe Jin (Type 094)                                       4
                                                                conduite de travaux de recherche et
                                                                développement (R&D) de pointe pour
  Sous-marins tactiques                                         sa future flotte (IISS, 2019).

 Sous-marins nucléaires d’attaque                                      36. La Chine possède actuellement
 Shang I (Type 093)                                                2   59 sous-marins (en service et en
                                                                       réserve) : 4 sous-marins stratégiques,
 Shang II (Type 093A)                                              4
                                                                       54 sous-marins     tactiques –     6    à
 Han (Type 091)                                               (3)
                                                                       propulsion nucléaire et 48 à propulsion
                                                                       diesel électrique – et un sous-marin
 Sous-marins patrouilleurs                                             porteur de missiles balistiques à
 Kilo (Projet 877)                                                 2   propulsion diesel électrique (IISS,
 Improved Kilo (Projet 636)                                        2   2019 ; tableau 2). Ils sont tous moins
 Improved Kilo (Projet 636M)                                       8   performants que leurs équivalents
                                                                       russes, mais le pays fait de gros progrès
 Ming (4 Type 035(G)                                               8
                                                                       en    matière     de      développement
 Song (Type 039(G))                                            12
                                                                       technologique.     Deux       principaux
 Yuan (Type 039A)                                                  4   facteurs expliquent l’accent mis par la
 Yuan II (Type 039B)                                           12      Chine sur la modernisation de ses sous-
 Ming (Type 035(G)                                            (8)      marins. D’une part, ses dirigeants
                                                                       estiment que la dissuasion nucléaire
 Sous-marins porteurs de missiles balistiques
                                                                       navale chinoise ne présente pas encore
                                                                       de capacité de frappe en second
 Qing (Type 032)                                                   1
                                                                       crédible, ce qui est corroboré par la
                                                                       plupart des analystes (Zhao, 2018).
 Nombre total de sous-marins (en service et en
 réserve)                                                      59      D’autre part, la Chine investit des
                                                                       sommes non négligeables dans les
  Les chiffres entre parenthèses correspondent à des sous-marins       sous-marins tactiques dans le but de
                             en réserve.                               renforcer sa stratégie A2/AD, car elle

                                                                                                             10
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aimerait maintenir les États-Unis et d’autres puissances navales hors de la zone appelée « premier
chapelet d’îles » (voir la carte 5).

37. La plupart des experts estiment que les sous-marins nucléaires chinois – notamment
stratégiques – sont plus bruyants que leurs équivalents haut de gamme américains et russes (Zhao,
2018). Les sous-marins stratégiques pourraient même être plus bruyants que les sous-marins
russes Delta III, conçus dans les années 70 et qui remontent aujourd’hui de deux générations par
rapport aux sous-marins stratégiques russes les plus élaborés. La Chine ne commencera à
construire des sous-marins stratégiques de nouvelle génération Type 096 qu’au début des
années 2020 (Zhao, 2018 ; Chan, 2018). Une autre lacune des sous-marins stratégiques chinois est
la portée officielle des missiles balistiques à lanceur naval JL-2. Ces missiles ne pourraient atteindre
le territoire des États-Unis que si les sous-marins chinois réussissaient à franchir le premier chapelet
d’îles et gagner l’océan Pacifique. La Chine est en train de développer et de tester leur successeur,
le missile JL-3, qui serait capable de frapper des cibles situées à environ 9 000 kilomètres (Chan,
2018). Cette portée serait encore inférieure à celle des missiles nucléaires à lanceur naval les plus
performants des États-Unis et de la Russie et ne menacerait qu’une partie du territoire américain
depuis l’intérieur du premier chapelet d’îles.

38. Les sous-marins tactiques de la Chine devraient eux aussi connaître une rapide progression,
à la fois en taille et en performances. Les sous-marins tactiques à propulsion nucléaire chinois sont
jugés encore plus bruyants que leurs équivalents stratégiques (Zhao, 2018). Cela dit, le nouveau
modèle Yuan à propulsion diesel électrique intègre une technologie d’atténuation acoustique
empruntée aux sous-marins russes et possède un système de propulsion anaérobie – que la Russie
n’a jusqu’ici pas réussi à mettre totalement au point (Zhen, 2018).

39. La Chine investit considérablement dans les technologies pour accroître la survivabilité de
ses sous-marins, principalement en les rendant plus silencieux, par exemple à l’aide d’un système
de propulsion hydrojet et de réacteurs nucléaires à haute température refroidis par gaz (Zhao, 2018).
Le pays progresse également dans un autre domaine qui a longtemps été en retard, celui des
communications sous-marines (Zhao, 2018). La marine chinoise semble aujourd’hui capable de
communiquer avec ses sous-marins à des fréquences très basses, que seuls deux autres pays ont
jusqu’ici réussi à atteindre (Zhao, 2018). Les chercheurs chinois travaillent par ailleurs intensivement
sur des systèmes de communication satellite et aéroportés à des fréquences extrêmement basses.
D’autres travaux notables entrepris par la recherche et développement en Chine portent sur des
capteurs quantiques capables de détecter la présence de sous-marins en mesurant les champs
magnétiques, sur des applications de l’intelligence artificielle pour les sous-marins, et sur des
véhicules maritimes autonomes sans pilote.

40. Selon les experts, la stratégie actuelle de la Chine en matière de sous-marins reprend le
concept de bastion mis en œuvre par l’Union soviétique dans les années 1970 et 1980 (Zhao, 2018).
Or, la Chine est nettement plus limitée géographiquement que ne l’était l’Union soviétique. Tout
d’abord, ses missiles balistiques à lanceur naval ont une portée relativement réduite. Ensuite, ses
eaux côtières sont très bruyantes. Des sous-marins de pays adverses pourraient donc facilement
se dissimuler et suivre discrètement des sous-marins stratégiques chinois. C’est l’une des raisons
pour lesquelles la Chine investit massivement dans les capacités de lutte ASM, notamment des
sonars installés dans les fonds marins jusque dans l’océan Indien. Un ultime problème est que les
voies que doivent emprunter les sous-marins chinois sont beaucoup plus étroites que le passage
GIUK (Zhao, 2018). Il n’en reste pas moins que les sous-marins chinois sont allés patrouiller au-delà
de cette zone, et même jusqu’au golfe d’Aden. La Chine semble en outre préparer sa force
sous-marine pour des opérations futures dans l’Arctique (Tate, 2018). Si des sous-marins
stratégiques chinois étaient stationnés dans l’Arctique, cela pourrait accélérer la durée de parcours
d’un missile d’un facteur pouvant aller jusqu’à 3,5 et réduire la vulnérabilité des submersibles
(Goldstein, 2019).

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Carte 5 : Les premier et second chapelets d’îles – versions américaine et chinoise (Source : Cavas, 2016)

      B.     LES CAPACITÉS NAISSANTES DE LA CORÉE DU NORD

41. La Corée du Nord possède l’une des plus vastes flottes sous-marines au monde. Selon des
estimations fiables, le pays détiendrait entre 73 et 86 sous-marins tactiques (IISS, 2019 ; NTI, 2018).
Cependant, la plupart de ces sous-marins sont relativement petits et incapables de s’éloigner
vraiment de la péninsule coréenne ; d’ailleurs, même s’ils le pouvaient, ils se heurteraient aux
mêmes obstacles géographiques et aux mêmes moyens de lutte ASM que la Chine. En règle
générale, ils n’arrivent pas à la hauteur des sous-marins alliés les plus sophistiqués.

42. Le programme de missiles balistiques pour les sous-marins Gorae laisse supposer que la
Corée du Nord projette de mettre en place une force sous-marine stratégique (NTI, 2018). Son
seul sous-marin Gorae (également appelé Sinpo-B) est utilisé comme plateforme de test pour y
lancer des missiles balistiques. L’incapacité du Gorae à rester en submersion plus de quelques jours
limite toutefois sa crédibilité en tant que dissuasion nucléaire et capacité de frappe en second. Rien
que pour cette raison, il est peu probable que la Corée du Nord envisage de déployer le Gorae dans
un cadre opérationnel.

43. Il semblerait que la Corée du Nord soit en train de construire un nouveau sous-marin porteur
de missiles balistiques, le Sinpo-C (NTI, 2018). On estime que ce modèle peut déplacer plus de
2 000 tonnes et possède un faisceau de 11 mètres, ce qui en ferait le plus gros navire de la marine
nord-coréenne (Majumdar, 2018a). Même si le Sinpo-C pouvait devenir un sous-marin stratégique
viable, la Corée du Nord aurait toujours besoin de nombreux sous-marins de ce type équipés
d’armes nucléaires pour imposer une dissuasion nucléaire navale qui soit crédible et pérenne.
Toutefois, compte tenu de leur utilité stratégique, les analystes prédisent que ces efforts ont peu de
chances de s’arrêter. De fait, le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, a procédé en juillet 2019 à
l’inspection d’un nouveau sous-marin qui, selon les experts, serait le Sinpo-C (Reuters, 2019).

44. La Corée du Nord développe actuellement le missile balistique à lanceur naval Pukkuksong-1
(ou KN-11), qui aurait une portée d’environ 1 200 km (Missile Defence Project, 2018). Ce missile
aurait subi depuis 2014 quatre à six tests de lancement (Jeong, 2018). Le pays a encore de
nombreux défis techniques à relever pour que ce missile soit pleinement opérationnel, mais il

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