La peste bovine, Jules Bordet et le Centre Sérumigène de Cureghem
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Manuscrit déposé le 01/04/2003 Ann. Méd. Vét., 2003, 147, 197-205 ARTICLE HISTORIQUE La peste bovine, Jules Bordet et le Centre Sérumigène de Cureghem Marc MAMMERICKX Chef de département honoraire à l'INRV et professeur émérite à l'UCL et à la Faculté des sciences agronomiques de Gembloux 57, Chemin de Vieusart, B-1300 WAVRE Correspondance : Marc MAMMERICKX – E-mail : mmammerickx@brutele.be RESUME : La peste bovine a joué un rôle de premier plan dans l'histoire de la médecine vétérinaire. Les procédés de lutte contre cette maladie, mis en pratique depuis le début du 18e siècle, sont à la base des mesures de prophylaxie hygiénique encore utilisées de nos jours pour éradiquer les maladies conta- gieuses des animaux domestiques. L'étude de la prévention de la maladie a stimulé le développement de diverses méthodes de prophylaxie médicale qui ont abouti à l'obtention des vaccins stables modernes. Au début de sa carrière, Jules Bordet, devenu Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1919, a participé à la mise au point de méthodes prophylactiques contre la peste bovine au Transvaal en Afrique du Sud. En 1920, lorsque la maladie se déclara accidentellement en Belgique, Jules Bordet fit partie de la commission chargée de proposer une méthode de lutte. Il contribua, sous le couvert de l'Institut Pasteur de Paris, et avec la collaboration des autorités vétérinaires françaises, à mettre en place un Centre sérumigène dans l'enceinte de l'Ecole vétérinaire de Cureghem, pour étudier la contagion et produire du sérum antipestique. La collaboration entre la Belgique et la France, née à l'occasion de cette dernière épizootie de peste bovine en Occident, est à l'origine de l'Office international des épizooties. INTRODUCTION dans l'histoire de la lutte contre les virus, mais cette méthode s'est révélée maladies contagieuses des animaux. inefficace en Afrique et en Asie. Dans La peste bovine est une maladie virale Dès le 18e siècle, on a commencé à les pays de ces continents, il est quasi qui provoque une mortalité élevée étudier la maladie et à appliquer des impossible de recenser les animaux, chez les ruminants. Ses manifesta- mesures efficaces de prophylaxie de faire des séquestrations, d'empê- tions cliniques sont très variées hygiénique. Ces mesures ont été amé- cher la circulation des bêtes etc., (fièvre, inflammation des muqueuses, liorées au fil du temps et ont été intro- autant de mesures imposées par une gastro-entérite, etc.). La maladie a été duites dans les législations succes- prophylaxie hygiénique. De plus, en fort répandue en Europe, en Asie et en sives des pays qui occupaient les Asie il existe des interdits religieux Afrique ; elle n'a jamais atteint le territoires formant l'actuelle Belgique. qui concernent les vaches, et en continent américain et l'Océanie en Elles ont finalement fortement Afrique, il existe une riche faune sau- dehors d'infections accidentelles vite influencé la législation belge depuis vage avec plusieurs espèces de rumi- maîtrisées. Elle sévit encore aujour- 1830. C'est en appliquant des règles nants réceptifs au virus bovipestique. d'hui dans certains pays d'Asie et de prophylaxie hygiénique connues Tout cela explique pourquoi on ne d'Afrique de l'Est, principalement au depuis le début du 18e siècle que la peut y faire une prophylaxie hygié- Kenya. L'agent étiologique, mainte- Belgique est indemne de peste bovine nique sérieuse, la prophylaxie médi- nant bien connu, est un virus à ARN depuis 1872 (Mammerickx, 1967 et cale restant la seule méthode suscep- de la famille des Paramyxoviridae et 1994). tible de donner des résultats (Jacotot, du genre Morbillivirus (Jacotot, 1943). 1943 ; Blancou, 2000). Ce n'est qu'en 1902 que Maurice Nicolle et Mustafa Adil Bey, tra- L'Europe, infectée de temps immé- vaillant à Constantinople, prouvèrent moriaux par la peste bovine, s'est LA LUTTE CONTRE LA PESTE que l'agent de la peste bovine est un BOVINE EN AFRIQUE débarrassée définitivement de ce virus filtrable. La peste bovine a donc fléau dans la seconde moitié du 19e AUSTRALE DE 1896 A 1897 été éradiquée d'Europe par des siècle (Blancou, 2000). mesures de prophylaxie hygiénique, Eradiquée d'Europe à la fin du 19e La peste bovine a joué un grand rôle longtemps avant la découverte du siècle, la peste bovine a continué à 197
sévir en Asie et dans le Moyen- main, ils se rendirent à Taungs, dans Metchnikoff à l'Institut Pasteur de Orient, régions considérées comme le le laboratoire vétérinaire pour la peste Paris. Ces deux chercheurs obtinrent réservoir du virus qui a infecté bovine de la région, installé dans un un congé de l'Institut Pasteur pour l'Europe pendant des siècles. A partir wagon de chemin de fer, et tenu par faire une mission scientifique au du Moyen-Orient, la peste bovine a Alexander Edington, un médecin bac- Transvaal. Ils partirent le 24 pris pied en Egypte dans la première tériologiste britannique. Les deux décembre 1896 pour arriver à moitié du 19e siècle. Mais le continent savants allemands furent mis au cou- Prétoria, capitale du Transvaal, le 15 africain ne s'est contaminé d'une rant du problème de la peste bovine ; janvier 1897. Ils installèrent un labo- manière durable que depuis 1889 au ils purent assister à des autopsies ratoire dans un endroit désert à départ d'une importation en Erythrée d'animaux morts de peste et ils rame- Waterval, à deux kilomètres de de zébus asiatiques. De là, la conta- nèrent chez eux du sang virulent. A Pretoria ; à leur arrivée, Bordet et gion s'est étendue, lentement mais Kimberley, ils se mirent au travail. Danysz reçurent l'aide d'Arnold durablement, vers le Nord et le Sud Contrairement à Edington, ils ne Theiler, un jeune vétérinaire suisse, de l'Afrique. Dans sa lente progres- virent pas de bactéries spécifiques récemment recruté par le sion vers le Sud, la maladie atteignit dans le matériel biologique de la peste Gouvernement du Transvaal. La nou- en 1892 l'Etat indépendant du Congo. et ils concentrèrent leurs recherches velle mission se mit en contact avec la C'est l'explorateur britannique Sir sur l'immunité. Ils cherchèrent sans mission Koch à Kimberley, avant Alfred Sharpe qui signala l'avoir ren- succès à atténuer le principe actif par d'entamer ses propres recherches au contrée à cette époque le long du des passages sur chèvres et sur mou- laboratoire de Waterval. Les expéri- Luapula lors d'une expédition vers les tons. Avec les chèvres, ils aboutis- mentateurs commencèrent par véri- lacs Tanganyika et Moero ; " les ani- saient à un matériel biologique inac- fier l'efficacité du remède de Koch maux morts et malades se voyaient tif, avec les moutons les passages (bile) et se rendirent compte qu'il pré- partout dans cette région " précisait-t- exaltaient le principe actif au lieu de sentait des inconvénients ; il ne pou- il. Progressant vers le Sud, la peste l'atténuer. Ils étudièrent enfin les pro- vait être employé que dans un milieu arriva enfin en 1896 dans le priétés de la bile des animaux morts sain et il ne pouvait protéger de la Transvaal, pour envahir ensuite toute de peste bovine, car ils avaient appris mort qu'un nombre restreint d'ani- la région qui deviendra plus tard que les fermiers de l'Etat libre maux. Ils concentrèrent alors leur l'Union sud-africaine. Les pertes cau- d'Orange utilisaient empiriquement recherche sur la sérothérapie. Ils sées par la peste bovine en Afrique un mélange de bile et de sang virulent mirent au point un procédé de fabrica- étaient énormes, au point de provo- pour essayer d'enrayer la propagation tion de sérum hyperimmun en inocu- quer une pénurie de viande. Le prix de la peste bovine dans leurs trou- lant du sang virulent à des animaux de la viande en Afrique australe avait peaux. En utilisant la bile d'un animal qui étaient guéris de la peste. En considérablement augmenté et il fal- atteint de peste bovine, seule et en milieu sain, ce sérum hyperimmun, lut faire des importations de cette petite quantité, ils obtinrent expéri- même à forte dose, ne protégeait un denrée à partir de l'Australie mentalement une immunité satisfai- animal de la peste que pendant un (Anonyme, 1897e ; Meuleman, 1907 ; sante. Attribuant à la bile des proprié- temps très court ; il devait donc être Tobback, 1951). tés particulières lui permettant renouvelé. Ils constatèrent alors que d'atténuer le principe actif, ils propo- le sérum hyperimmun utilisé en Inquiets, les gouvernements de la sèrent aux autorités du Cap d'utiliser milieu contaminé par la peste bovine Colonie du Cap et de l'Etat libre du ce moyen pour lutter contre la peste avait un effet favorable sur la morta- Transvaal firent alors appel à des bovine. Ils quittèrent alors le labora- lité dans les troupeaux ; cela voulait savants européens pour étudier la toire de Kimberley en le laissant aux dire que les animaux recevant du maladie et proposer des méthodes de mains de Wilhelm Kolle, un autre sérum et étant depuis peu contaminés, lutte. Deux missions furent organi- assistant de Koch (Anonyme, 1896 ; ou étant contaminés peu après l'admi- sées, une par chacun de ces gouverne- Anonyme 1897a, 1897b, 1897c, nistration du sérum, parvenaient à ments. 1897d, 1897e ; Danysz et Bordet, surmonter la peste et à s'immuniser Le Gouvernement de la Colonie du pour une longue période. Au lieu de 1898 ; Meuleman, 1907 ; Tobback, Cap fit d'abord appel au professeur compter sur une contamination natu- 1951). William Williams, directeur du relle, et donc aléatoire, ils envisagè- Nouveau collège vétérinaire La deuxième mission, soutenue par le rent aussi de contaminer les animaux d'Edimbourg, qui refusa l'offre. Il Gouvernement de l'Etat libre du sérumisés avec du sang virulent. contacta ensuite Robert Koch de Transvaal, était composée de deux Ayant réuni ainsi beaucoup d'infor- Berlin, déjà renommé pour ses tra- chercheurs européens qui s'étaient mations, ils proposèrent au vaux sur la tuberculose, qui accepta. eux-mêmes proposés pour résoudre Gouvernement du Transvaal d'utiliser Accompagné de son assistant Paul les problèmes posés par l'épizootie de du sérum hyperimmun en milieu Kohlstock, Robert Koch s'embarqua à peste bovine qui ravageait le pays. contaminé, ce qui permettait de proté- Southampton à la mi-novembre 1896 Tout avait débuté par une proposition ger les animaux pendant une courte pour arriver début décembre à d'aide venant d'une société financière période au cours de laquelle une Capetown. Les deux savants alle- française qui avait été acceptée. Cette contamination naturelle était suivie mands emportaient avec eux du maté- société recruta alors Jan Danysz, un par une maladie bénigne. En l'absence riel de laboratoire. Le 5 décembre bactériologiste polonais émigré en de sérum, on pouvait aussi employer 1896, ils avaient terminé l'installation France qui était chef du laboratoire de le sang simplement défibriné. Cette d'un laboratoire dans une ferme iso- microbiologie agricole de l'Institut méthode leur paraissait plus sûre que lée, à deux miles de Kimberley, près Pasteur de Paris et Jules Bordet, un celle de Koch (Anonyme, 1897c, de la frontière du Tranvaal. Le lende- médecin belge, préparateur d'Elie 1897d ; Anonyme, 1898 ; Danysz et 198
Bordet, 1898 ; Hutcheon et al., 1898 ; France on parlait, pour faire bref, de la des Boers dont les territoires Meuleman, 1907 ; Tobback, 1951). " mission française ", l'autre mission (Transvaal et Orange) furent annexés Dès le 17 mars 1897, Danysz, Bordet étant appelée " mission allemande " ! aux colonies britanniques (Danysz et et Theiler adressèrent un rapport au Alors qu'il était encore à Kimberley, Bordet, 1898 ; Hutcheon et al., 1898 ; Gouvernement du Transvaal, recom- Robert Koch avait connaissance des Meuleman, 1907). mandant leur méthode et invitant ces propriétés immunisantes des sérums Les travaux de Danysz, Bordet et autorités à nommer une commission des animaux guéris de la peste, mais, Theiler sur la peste bovine sont tom- chargée d'établir la valeur de leur pro- au dire même de Danysz et Bordet, il bés dans l'oubli ; ils sont pourtant à la cédé en comparaison avec celui de avait " décrété " la sérothérapie base de la séro-infection de Kolle- Koch. La commission conclut en comme un procédé " inférieur " à l'in- Turner qui a encore été utilisée dans faveur de la méthode Danysz-Bordet- jection de bile. Convaincus de cela, le monde pendant les trente premières Theiler (DBT). Une deuxième com- Koch et Kohlstock quittèrent le labo- années du 20e siècle, notamment au mission composée de délégués des ratoire de Kimberley en le laissant Congo belge et au Ruanda-Urundi. états du Transvaal et d'Orange, fut aux mains de Wilhelm Kolle. Celui-ci Lorsque les autorités sanitaires de la alors chargée d'évaluer la méthode était en rapport avec les autorités Colonie du Cap donnèrent, le DBT sur une plus grande échelle, et sanitaires de la Colonie du Cap, à 14 octobre 1897, les règles à suivre elle remit un rapport en accord avec le savoir : Duncan Hutcheon, le vétéri- pour lutter contre la peste bovine avec précédent. Le Transvaal confia à naire en chef, George Turner, le le procédé Kolle-Turner, elles com- Danysz et à Bordet le soin de com- médecin en chef et Alexander mencèrent leur communiqué par une battre la peste sur son territoire ; les Edington le bactériologiste. Il appar- déclaration ainsi rédigée : " Le deux expérimentateurs installèrent tenait à ces quatre responsables d'ap- Gouvernement, tout en reconnaissant un Service central à Pretoria et dix pliquer la méthode Koch pour lutter les services que le docteur Koch a stations dans le pays pour préparer du contre la peste bovine dans la Colonie rendus à l'Afrique par sa découverte sérum. Un congrès convoqué par le du Cap. Ils le firent, mais au prix du vaccin " bile " croit devoir formu- Transvaal à Pretoria du 2 au 15 août d'une mortalité importante, ce qui les ler actuellement les recommandations 1897, réunit des délégués des pays amena à douter de leur méthode de suivantes : 1. l'inoculation de bile, d'Afrique australe (Transvaal, travail et à revoir leur politique sani- pure ou glycérinée, ne doit plus être Orange, colonies britanniques, portu- taire. Hutcheon continua à utiliser la adoptée ; 2. il est nécessaire d'utiliser gaises et allemandes). Ce congrès bile selon Koch avec beaucoup une injection sous-cutanée de sang donna aussi la préférence à la d'échecs, Edington essaya d'imaginer virulent d'un côté du corps et du méthode DBT sur celle de Koch des procédés de laboratoire pour puri- sérum délivré par le département de (Anonyme, 1898 ; Danysz et Bordet, fier ou modifier le pouvoir atténua- l'Agriculture de l'autre côté ". De 1898). teur supposé de la bile, sans rien amé- Danysz, Bordet et Theiler, pas un Faisons une parenthèse ici pour rappe- liorer ; les deux autres, Kolle et mot ! Aux raisons qui pourraient ler qu'une certaine animosité a opposé Turner, s'inspirèrent de la méthode de expliquer cette attitude peu " confra- Louis Pasteur et Robert Koch, l'un Danysz, Bordet et Theiler pour faire ternelle " et dont nous avons parlé Français et l'autre Prussien ! La Guerre des expériences avec la sérothérapie. plus haut, il faut sans doute ajouter franco-prussienne de 1870-1871 et sa Après quelque temps, Kolle et Turner une concurrence économique. Nous conséquence durable - la perte de proposèrent aux autorités vétérinaires ne saurons sans doute jamais quels l'Alsace-Lorraine - étaient pour beau- de la Colonie du Cap leur méthode de étaient les intérêts des uns et des coup dans cette antipathie. A ceux qui séro-infection. Ce procédé pouvait se autres, parce que ces choses là ne se avaient un jour reproché cela à faire selon trois modalités : 1. injec- publient pas. Il suffit de relever ce qui Pasteur, le savant avait répondu " la tion de sérum immun et de sang se sait : Danysz et Bordet travaillaient science n'a pas de Patrie, mais les contaminé mélangés ; 2. injection du pour une société financière, et Theiler scientifiques en ont une ". Les dis- sérum immun avant le sang conta- et Edington, bien que fonctionnaires, ciples français de Pasteur avaient mal- miné ; 3. injection du sang contaminé, réclamaient une participation aux gré tout aussi hérité de leur " père suivie de l'injection du sérum immun bénéfices de la vente des vaccins et scientifique " une manière de penser après l'apparition d'une réaction ther- sérums qu'ils préparaient (Hutcheon plutôt nationaliste. D'autre part, on mique (trois jours en général). On et al., 1898). connaît le désaccord politique qui pouvait aussi, selon les circonstances, En juin 1897, Paul Kohlstock fit une opposait depuis 1883, d'un côté les varier les doses de sérum et/ou de expérience malheureuse en vaccinant Boers, des colons hollandais forte- sang virulent. Ce procédé conférait avec le procédé " bile " le bétail des ment implantés dans les états libres du une immunité solide de longue durée Héréros en Namibie, colonie alle- Transvaal et d'Orange, et de l'autre et il pouvait être utilisé en milieu sain mande, où 2700 bêtes périrent de la côté les sujets de la Couronne britan- aussi bien qu'en milieu contaminé. Il peste bovine sur les 6200 traités. Le nique, colonisateurs du Cap et du fut utilisé sur une grande échelle en souvenir de ce désastre contribua à Natal. Ces divers ressentiments ont Afrique australe avec de bons résul- rendre les Héréros hostiles aux fait que, bien malgré eux sans doute, tats. Si la situation s'assombrit à partir Européens, et aux vétérinaires en par- le Polonais Danysz, le Belge Bordet et de 1899, il faut l'attribuer à la Guerre ticulier, car ils assassinèrent neuf de le Suisse Theiler étaient considérés des Boers, opposant les colonisateurs ceux-ci : Albrecht, Hagemeier, Jantze, comme les défenseurs d'une sorte de britanniques aux fermiers descendant Kämpny, Moll, Rechel, Rogge, clan franco-boers contre un clan ger- des colons hollandais, qui répandit le Schröder et Sepp, tous de nationalité mano-britannique. Du reste, parlant de désordre dans ces régions de 1899 à allemande (Anonyme, 1904/II ; la mission Danysz-Bordet-Theiler, en 1903 et qui se termina par la défaite Anonyme 1906/I). 199
Le contrat de Danysz et de Bordet etc.), traitement physique (chaleur). l'idée de peste bovine parce que cette devait se terminer le 1er septembre Tous les vaccins préparés avec ces maladie n'existait pas en Amérique, 1897, mais le Gouvernement du différentes méthodes ont été utilisés région d'où venaient les animaux qui Transvaal leur demanda de le prolon- dans divers pays pendant des périodes mouraient dans les fermes. Ce n'est ger de quatre mois pour trouver une variables, mais aucun vaccin n'était qu'après avoir compris qu'il y avait eu solution au problème de la peste vraiment idéal. Il fallut attendre 1960 contamination de ces animaux améri- équine qui faisait des ravages en pour obtenir un vaccin stable, non cains dans les étables, sans doute mal Afrique. Danysz et Bordet installèrent virulent, produit avec une souche désinfectées, du port d'Anvers, que un laboratoire pour l'étude de la peste atténuée de virus par passage sur cul- l'hypothèse " peste bovine " finit par équine (alias African horse sickness, tures cellulaires. Cette découverte s'imposer ; on était déjà le 20 juillet ! Paardenziekte) à Belfast, à 200 kilo- faite par le vétérinaire britannique Ce même jour, le baron Ruzette, mètres à l'est de Pretoria. Ils rentrè- Walter Plowright travaillant dans ministre de l'Agriculture, constitua rent en Europe au début de 1898, sans l'East african veterinary research une Commission peste bovine compo- avoir trouvé un moyen d'immuniser organization au laboratoire de sée de six personnalités scientifiques les chevaux contre la peste équine. Il Muguga au Kenya, est actuellement belges, pour proposer une solution : appartenait à Arnold Theiler de conti- largement employée dans le monde et Gustave Gratia, directeur de l'Ecole nuer leurs travaux et à découvrir en laisse enfin entrevoir la possibilité vétérinaire de Cureghem, Jules 1902 un procédé d'immunisation d'éradiquer mondialement la peste Bordet, directeur de l'Institut Pasteur contre la peste équine. bovine. Parmi les nombreuses récom- du Brabant, Emile Liénaux, profes- La plupart des acteurs de cette épopée penses que reçut Walter Plowright, il seur de pathologie infectieuse à scientifique en Afrique, se sont illus- y eut le prix international Fondation l'Ecole vétérinaire de Cureghem, trés ultérieurement dans divers roi Baudouin ; qui lui fut remis au Joseph Hamoir, professeur agrégé de domaines. Robert Koch et Jules Palais royal de Bruxelles en présence clinique bovine à l'Ecole vétérinaire Bordet, ont tous les deux obtenu un du roi Baudouin 1er et de la famille de Cureghem, Henri De Roo, chef du Prix Nobel de médecine et de physio- royale, le 21 novembre 1984 (Jacotot, service de l'Inspection vétérinaire et logie, respectivement en 1905 et en 1943 ; Pastoret, 1986 ; Tobback, son adjoint l'inspecteur vétérinaire 1919. Arnold Theiler est devenu le 1951). Florent Dehaye (Izcara et Aran, 1921 ; " père " de la médecine vétérinaire Nicolas et Rinjard, 1922). dans l'Union sud-africaine et son fils La Commission peste bovine se réunit Max Theiler a obtenu également un LA LUTTE CONTRE LA PESTE et confia au professeur Liénaux le Prix Nobel de médecine et de physio- soin de faire un diagnostic précis. A BOVINE EN BELGIQUE EN 1920 logie en 1951. Wilhelm Kolle et Jan l'Ecole vétérinaire, il inocula des ani- Danysz ont chacun fait une carrière Après la Première Guerre mondiale, maux sains avec du matériel prélevé de microbiologiste, le premier à la peste bovine fit parler d'elle une chez un malade et, en une semaine, l'Institut Paul Ehrlich de Francfort et dernière fois en Occident à l'occasion les bêtes développèrent une peste le deuxième à l'Institut Pasteur de d'une épizootie qui se déclara en bovine caractéristique. Entre-temps, Paris. Belgique en 1920. Un troupeau de la maladie s'étendait dans le pays et En 1928, James Edwards, un micro- zébus provenant d'Inde et destiné à plusieurs foyers étaient déclarés aux biologiste britannique travaillant en l'Angleterre fut débarqué à Anvers et inspecteurs vétérinaires. Le 6 août, le Inde, publia les résultats d'une étude hébergé quelques jours dans les ministère belge de l'Agriculture qui lui avait permis d'obtenir une étables de quarantaine du port en déclara officiellement 40 foyers de souche stable du virus bovipestique attendant un autre navire qui devait peste bovine et l'information fut après avoir fait 600 passages de les conduire en Angleterre, puis en immédiatement relayée par la presse chèvre à chèvre. Cette souche vacci- Amérique du Sud. Pendant ce séjour internationale. Les autorités vétéri- nale " goat " était suffisamment atté- en quarantaine, plusieurs zébus suc- naires françaises furent les premières nuée pour le bétail en Inde, mais elle combèrent à une maladie qu'on n'es- à réagir ; elles craignaient une exten- pouvait aussi parfois se révéler infec- saya pas d'indentifier. Fin juin et sion du mal vers le Sud. Le ministre tieuse, notamment en Afrique. début juillet 1920, après le départ des de l'Agriculture français envoya Comme ce nouveau vaccin pouvait zébus, ces mêmes étables abritèrent immédiatement à Bruxelles, deux être lyophilisé, il se conservait très des lots de bovins provenant grands formats de la science en bien ; petit à petit il remplaça la séro- d'Amérique et destinés à des élevages France : Emile Roux, directeur de infection classique. Inspiré par les tra- en Belgique. Après quelques jours, l'Institut Pasteur de Paris et Albert vaux d'Edwards, le microbiologiste ces animaux américains furent distri- Calmette, directeur de l'Institut japonais Junji Nakamura travaillant bués dans diverses exploitations du Pasteur de Lille. Les deux émissaires en Corée, obtint ensuite une souche pays. Une fois à destination, apparu- français se renseignèrent auprès des d'un virus " lapinisé " après 600 pas- rent chez certains animaux des signes autorités du ministère belge de sages sur lapins ; cette souche fut uti- inquiétants d'une maladie inconnue ; l'Agriculture et retournèrent faire rap- lisée surtout en Asie. Puis on tenta un plusieurs animaux malades furent port en France (Izcara et Aran, 1921 ; peu partout en Asie et en Afrique d'at- envoyés dans des abattoirs sans dia- Nicolas et Rinjard, 1922). ténuer le virus pestique par une foule gnostic. Les inspecteurs vétérinaires Quasi immédiatement, la France de méthodes : passages sur œufs requis pensèrent d'abord à la fièvre commanda du sérum antipestique au embryonnés (virus avianisé), traite- aphteuse, mais la mortalité impor- Laboratoire vétérinaire des sérums ments chimiques (formol, acide phé- tante fit suspecter la peste bovine. du Caire en Egypte, mais cet institut nique, chloroforme, toluol, saponine, Dans un premier temps on rejeta ne pouvait livrer qu'une quantité limi- 200
tée de sérum. Le ministère de professeur Joseph Hamoir se chargea science et d'étendre le champ borné l'Agriculture français désigna alors d'aller chercher à la quarantaine de nos connaissances en matière de deux vétérinaires, Emile Nicolas, pro- d'Achel des bovins sains ; il s'agissait peste bovine " ! Quoi qu'il en soit, les fesseur de chimie et de pharmacie à à cette époque des bêtes récupérées en expérimentateurs du centre se plièrent l'Ecole vétérinaire d'Alfort et Paul Allemagne comme dommage de aux injonctions du service de Rinjard, chercheur au Laboratoire de guerre. Il fut convenu de garder le l'Inspection vétérinaire. Ils parvinrent recherches vétérinaires du ministère, bétail sain dans la clinique bovine de cependant à faire une dizaine d'expé- pour organiser sous le couvert de Hamoir et de se servir du lazaret pour riences et à produire du sérum hyper- l'Institut Pasteur de Paris, avec le faire les expériences nécessitant la immun (Nicolas et Rinjard, 1922). concours du Gouvernement belge, la manipulation de sang virulent. Le Le détail des réalisations du Centre production du sérum antipestique et lazaret n'ayant pas assez d'étables, les sérumigène de Cureghem est connu de constituer une importante réserve services des Bâtiments civils de l'Etat par le rapport qui fut écrit plus tard. de ce sérum destinée à mettre rapide- belge construisirent, à une vitesse ful- Sans donner trop de détails, signalons ment la Belgique et la France en état gurante, des étables supplémentaires qu'on commença par prouver l'effica- de lutter efficacement contre la peste qui furent détruites ultérieurement. Le cité du sérum égyptien contre la bovine (Nicolas et Rinjard, 1922). lazaret fut également entouré d'une souche virale de l'épizootie en cours ; Le 24 août 1920, une délégation fran- clôture l'isolant complètement des puis, on compara les différents procé- çaise se rendit à Bruxelles pour assis- autres bâtiments de l'école ; à l'inté- dés de vaccination, à savoir, l'infec- ter à une réunion de la Commission rieur de cette clôture on avait laissé tion par la bile, la sérothérapie et la peste bovine de Belgique. Cette délé- suffisamment de terrain pour servir de séro-infection, toutes expériences gation comprenait Emile Roux, direc- cimetière aux animaux morts qui faites au Transvaal en 1897. Puis on teur de l'Institut Pasteur de Paris, devaient y être enfouis (Nicolas et mit au point différentes techniques Emmanuel Leclainche, inspecteur Rinjard, 1922). pour obtenir une abondante récolte de général chef du Service vétérinaire Deux jours après leur arrivée en sérum hyperimmun efficace. On français, Emile Nicolas et Paul Belgique, Nicolas et Rinjard se rendi- prouva aussi la réceptivité du porc au Rinjard sus-nommés. Les six Belges rent à Drongen, près de Gand, où un virus bovipestique. Finalement, avant et les quatre Français décidèrent de foyer de peste bovine venait d'être l'abattage final de toutes les bêtes faire en commun des expériences sur déclaré ; ils prélevèrent chez un ani- d'expérience, Nicolas et Rinjard la valeur du sérum égyptien déjà mal en hyperthermie du sang virulent. auraient voulu prouver que le " pré- entreposé à Paris et de préparer du Ce fut le seul prélèvement de sang tendu danger de dissémination de la sérum hyperimmun dans les locaux virulent fait dans un foyer de peste maladie par les animaux vaccinés (en de l'Ecole vétérinaire de Cureghem, bovine naturelle ; ultérieurement ils fait séro-infectés) n'existait pas " ! alors vacants pour cause de congé travailleront avec le sang virulent des Pour ce faire, ils auraient voulu d'été. Il est permis de croire que Jules animaux témoins qu'ils inoculeront mettre encore pendant un mois des Bordet joua un rôle déterminant dans lors de chaque expérience. Dix expé- animaux sains dans la même étable l'élaboration du programme d'activité riences furent réalisées, parfois simul- que les animaux vaccinés. De Roo qui fut convenu. Ce programme était tanément, parce que les expérimenta- refusa de les suivre et, pour éviter tout en effet exactement calqué sur les teurs ont été mis en demeure de dérapage, le ministre de l'Agriculture expériences qui avaient été réalisées de Belgique promulgua un arrêté terminer au plus tôt leur travail. En au Transvaal en 1897 et auxquelles interdisant formellement d'introduire effet, pendant que fonctionnait le Jules Bordet avait pris part, comme des bovins dans l'enceinte de l'Ecole Centre sérumigène de Cureghem, nous l'avons souligné plus haut. vétérinaire de Cureghem à partir du dans le pays, le service de l'Inspection Toutes ces tractations ont été faites 1er janvier 1921 ! Cette date marque vétérinaire mettait en oeuvre une pro- dans l'urgence ; entre-temps, aussi la fin du Centre sérumigène de cédure de lutte contre la peste bovine, bien en Belgique qu'en France, des Cureghem, qui ne fonctionna donc basée uniquement sur des règles de crédits importants furent prévus pour que d'août à fin décembre 1920 prophylaxie hygiénique ; nous revien- (Nicolas et Rinjard, 1922). ne rien retarder (Nicolas et Rinjard, drons sur cette procédure plus loin. 1922). La situation sur le terrain s'améliorant Nicolas et Rinjard retournèrent en Le 26 août, soit deux jours après la assez rapidement, De Roo signifia le France avec 1.800 litres de sérum réunion que nous venons d'évoquer, 11 octobre 1920 à Nicolas et Rinjard, hyperimmun. Sans doute, durent-ils Emile Nicolas et Paul Rinjard vinrent qu'il n'était plus intéressé par la pro- se rendre compte ultérieurement que s'établir à Bruxelles ; ils emportaient duction de sérum et qu'en consé- De Roo ne pouvait se permettre d'en- avec eux 5 litres de sérum antipesique quence la Belgique ne voulait plus tretenir plus longtemps un Centre produit en Egypte. Comme l'Ecole poursuivre le financement du Centre sérumigène en Belgique étant donné vétérinaire allait devoir recommencer sérumigène. De plus, De Roo défen- la situation favorable obtenue rapide- à fonctionner après les vacances d'été, dit, à partir du 30 novembre 1920, ment par sa prophylaxie hygiénique. le directeur Gratia mit à la disposition toute manipulation de sang virulent Il reste à préciser comment la lutte du désormais " Centre sérumigène de dans le centre. Nicolas et Rinjard contre l'épizootie de 1920 a été menée Cureghem ", le lazaret de l'Ecole vété- déploraient l'attitude de la Belgique avec succès, sans l'emploi de sérum rinaire de Cureghem, un petit bâti- qui avait dénoncé unilatéralement antipestique, par De Roo, Dehaye et ment situé au fond de la propriété que l'accord conclu au début. Ils auraient les 17 inspecteurs vétérinaires des beaucoup de vétérinaires belges ayant voulu faire beaucoup d'autres expé- cironscriptions. C'était surtout les étudié sur le site de Cureghem ont riences et voilà que la Belgique refu- deux Flandres ainsi que le Brabant connu comme salle d'autopsie. Le sait " d'enrichir le patrimoine de la qui étaient infectés, mais on retrouva 201
quand même des foyers dans 15 des reçu les premiers malades, ont été nant la direction du Laboratoire 17 circonscriptions vétérinaires du considérés comme foyers et ont dû se national de recherches vétérinaires pays. Après la diffusion de la peste plier à la législation. En sept mois à français. Et de fait, c'est là que Vallée bovine dans le pays à partir du début peine, tout fut résolu. Aucun cas de montrera tout son talent surtout dans juillet 1920, le point culminant de peste bovine n'était apparu hors des le domaine de la fièvre aphteuse. l'épizootie a été atteint le 15 août, date frontières du pays (Izcara et Aran, Très peu de temps après la fermeture à laquelle 64 foyers avaient été recen- 1921). du Centre sérumigène de Cureghem, sés. Le 17 août parut un arrêté royal Les deux expérimentateurs français Emmanuel Leclainche prit l'initiative donnant aux autorités vétérinaires du Centre sérumigène de Cureghem d'une conférence internationale qui se belges les moyens légaux de lutte. Cet entretiendront ultérieurement des réunit à Paris du 25 au 28 mars 1921 arrêté prévoyait essentiellement les relations cordiales avec la Belgique. et à laquelle 42 Etats, dominions ou mesures suivantes : Emile Nicolas fut élu membre étran- colonies participèrent. Cette confé- 1. Le recensement et le marquage de ger de l'Académie royale de médecine rence examina la situation internatio- tous les ruminants dans un rayon de de Belgique le 28 janvier 1922 ; après nale de la peste bovine, de la fièvre 1000 mètres autour des foyers ; avoir dirigé l'Ecole d'Alfort, il devien- aphteuse et de la dourine ; elle émit le 2. L'interdiction absolue de circula- dra inspecteur général des écoles voeu que soit créé un Office interna- tion pour le bétail et les porcs sur nationales vétérinaires de France et, tional des épizooties (OIE). Il fallut toute l'étendue du pays ; en 1936, il représentera son pays aux six années de démarches et de fêtes commémoratives du centenaire réunions en tous genres pour que se 3. La séquestration et l'interdiction du de l'Ecole vétérinaire de Cureghem. tienne à Paris, le 8 mars 1927, la pre- transport des animaux de basse-cour, Paul Rinjard continuera une carrière mière réunion plénière de l'OIE. Les des chiens et des chats, dans un rayon de chercheur au Laboratoire national délégués des 26 pays présents à cette de 1000 mètres autour des foyers ; de recherches vétérinaires en France réunion choisirent comme président 4. L'obligation d'être couvert par un dont il deviendra le directeur ; il des séances plénières, Henri De Roo, certificat pour conduire, en vue d'un s'illustrera par ses travaux sur la et comme directeur général de l'of- abattage immédiat, les animaux sains fièvre aphteuse et il entretiendra une fice, Emmanuel Leclainche. De Roo dans des abattoirs désignés ; correspondance cordiale avec Emile était sorti épuisé de la lutte qu'il avait Leynen, premier directeur du menée pour débarrasser la Belgique 5. L'interdiction d'accès dans les Laboratoire de l'inspection vétéri- de la peste bovine ; il était déjà à ce foyers à toutes personnes autres que naire à Bruxelles. Lors du décès pré- moment moralement très atteint par la celles chargées expressément de soi- maturé de Joseph Hamoir en 1924, perte de son fils aîné, un médecin gner les animaux, de détruire les Paul Rinjard écrira à Leynen qu'il militaire tué sur le front de l'Yser en malades, de nettoyer ou de désinfec- désirait participer à la souscription 1917. Il continuera néanmoins à tra- ter les locaux ; nationale ouverte à cette occasion, vailler à l'excès comme s'il voulait 6. L'abattage immédiat et l'enfouisse- pour l'excellent souvenir qu'il gardait surmonter cette douleur de père par ment sur place des animaux malades des relations d'amitié qui le liaient à un travail intensif. Il ne parvint pas à de la peste, avec une indemnisation Hamoir. En effet, seul Hamoir avait remplir jusqu'à son terme son mandat correspondant au 3/4 du prix des ani- activement participé aux expériences de président de l'OIE ; malade, il fut maux, fixé par expert ; du Centre sérumigène de Cureghem remplacé à ce poste en 1929 par le 7. L'abattage pour la boucherie des en s'occupant de l'achat et de l'entre- professeur Ferencz Von Hutyra de animaux suspects d'être contaminés, tien dans sa clinique de la centaine Hongrie et il s'éteignit le 2 mai 1930 avec une indemnisation correspon- d'animaux sains qui furent néces- (Anonyme, 1999 ; Boes, 1930). dant à la moitié du prix des animaux, saires aux expériences. Emile L'épizootie de 1920 démontra aussi la fixé par expert ; Liénaux qui devait normalement nécessité pour un service sanitaire aussi mettre la main à la pâte, fit mal- 8. L'application des autres mesures vétérinaire d'avoir à sa disposition un heureusement une thrombose céré- habituelles (information, nettoyage, brale au début des travaux du centre ; laboratoire vétérinaire de diagnostic. désinfection, etc.) (Izcara et Aran, il ne se remit pas de cet accident et il Depuis cette date, tous les pays euro- 1921). dut abandonner son enseignement, péens, y compris la Belgique, se sont Ces mesures draconiennes, appli- pour poursuivre une pénible vie végé- dotés d'un tel établissement. En 1924, quées immédiatement avec rigueur, tative jusqu'à sa mort en 1932. On Gustave Gratia, céda les bâtiments de ralentirent, puis stoppèrent la diffu- peut aussi se demander pourquoi ce l'ancien Centre sérumigène de sion de la contagion. Aux 64 foyers fut Nicolas, professeur de chimie et Cureghem au ministère belge de recensés en août, s'ajoutèrent 25 de pharmacie à Alfort, qui fut choisi l'Agriculture pour y établir le foyers en septembre, 4 en octobre et, pour cette mission alors que l'école Laboratoire de l'inspection vétéri- finalement, un dernier foyer en française avait aussi un professeur de naire (futurs Institut national de décembre. Seul ce dernier n'a pu être pathologie des maladies contagieuses recherches vétérinaires et Centre expliqué ; pour tous les autres foyers, en la personne de Henri Vallée. Il se d'études et de recherches vétérinaires les enquêtes épidémiologiques ont pu fait qu'en 1920, l'Ecole d'Alfort pas- et agrochimiques) fondé par Emile remonter jusqu'à la source connue. sait par une crise parce que Henri Leynen et René Willems ; ils occupe- Dès le début de la diffusion de la Vallée, à la fois professeur et direc- ront ce site jusqu'en 1937, pour s'éta- maladie, les plus grands abattoirs du teur, avait démissionné de ces deux blir ensuite à Uccle (Mammerickx, pays (notamment Anvers, Anderlecht, fonctions ; il trouvait plus intéressant 1967 et 1994). Gand, Bruges et Liège) qui avaient de poursuivre ses recherches en pre- 202
L'Amérique (du Nord, centrale et du dans les mémoires des vétérinaires since the beginning of the 18th Sud) n'a jamais été infectée par la belges. A aucun moment, on n'a évo- century, are at the source of the peste bovine, en dehors d'un accident qué ce fait historique qui s'est passé il principles of hygienic prophy- survenu en 1920, à la suite du débar- n'y a pas si longtemps que cela dans quement à Rio de Janeiro au Brésil, laxis required today to eradicate un site bien connu de plusieurs géné- des zébus qui avaient contaminé la rations de vétérinaires. N'était la the contagious animal diseases. Belgique, enfin arrivés au terme de chance que nous avons eu de trouver Research on prevention of rin- leur voyage ! L'épizootie qu'ils le rapport imprimé fait par Nicolas et derpest stimulated the develop- déclenchèrent causa une vive inquié- Rinjard au ministre français de ment of various methods of tude, mais la maladie fut arrêtée par l'Agriculture, nous aurions aussi medical prophylaxis, which des strictes mesures de prophylaxie continué à ignorer cette histoire. Sans hygiénique et au prix de l'abattage leads to the modern stable vac- doute la thrombose cérébrale qui d'un nombre assez élevé d'animaux frappa le professeur Liénaux en 1920 cines. At the beginning of his (Tobback, 1951). et le décès prématuré du professeur career, Jules Bordet, Nobel price Dans les colonies belges d'Afrique, la Hamoir en 1924, nous ont trop tôt pri- of physiology and medicine peste bovine régnait à l'état enzoo- vés de deux témoins privilégiés. 1919, took part in the research tique, surtout à l'Est (Ituri, Kivu, Grande aussi fut notre surprise de on the prophylactic methods Ruanda-Urundi). Pendant la période découvrir le rôle de Jules Bordet, une against rinderpest in Transvaal, coloniale, les autorités vétérinaires de nos plus grandes gloires natio- South Africa. In 1920, Jules eurent à combattre deux grandes épi- nales, dans la lutte contre la peste bovine au Transvaal en 1897 et en Bordet belonged to the commis- zooties (de 1920 à 1924 et de 1930 à 1936) ainsi que quelques poussées Belgique en 1920. Il n'est pas interdit sion set up to fight against an épizootiques de plus faible intensité de penser que l'expérience africaine accidental outbreak of rinderpest en 1938, 1947, 1951, 1955 et 1957. de Jules Bordet doit avoir nourri sa in Belgium. Under the leadership Beaucoup de vétérinaires coloniaux pensée. Tous comptes faits il est le of the Institut Pasteur de Paris, ont participé à la lutte contre cette " père " de l'immunité humorale. and with the assistance of the maladie et la plupart ont fabriqué des french veterinary authorities, he sérums antipestiques, parfois sur une très grande échelle et souvent dans contributed to set up a Serum des conditions difficiles (Leplae et Rinderpest, Jules Bordet and production center, in the enclo- al., 1925 ; Meuleman, 1907 ; the Serum production center sure of the Ecole vétérinaire de Tobback, 1951). of Cureghem Cureghem, to study rinderpest and to produce serum. The Office international des épizoo- CONCLUSION SUMMARY ties is born from the collabora- Rinderpest had an important tion between french and belgian Assez curieusement, le souvenir du rôle joué par l'Ecole vétérinaire de part in the history of the veteri- veterinary authorities, during this Cureghem, lors de l'épizootie de peste nary medicine. The methods last outbreak of rinderpest in the bovine en 1920 n'est pas resté gravé used to control this disease West. INDEX NOMINUM ADIL BEY, Mustafa (1871-1904). Vétérinaire bactériologiste turc. et sous-directeur de l'Institut Pasteur de Paris. Professeur à Co-découvreur avec Maurice Nicolle en 1902, du virus de la peste l'Université de Lille. Co-découvreur en 1921, avec le vétérinaire bovine à l'Institut impérial de bactériologie de Constantinople. français Camille Guérin, du vaccin BCG contre la tuberculose Professeur et directeur à l'Ecole vétérinaire de Constantinople. humaine. BORDET, Jules (1870-1961). Médecin immunologiste et bactério- DANYSZ, Jan (1860-1928). Emigré polonais établi en France à logiste belge. Médecin-adjoint à l'hôpital maritime Roger de partir de 1879. Licencié en sciences, bactériologiste. Chercheur à Grimberghe à Middelkerke en 1893. Préparateur d'Elie l'Institut Pasteur de Paris, chef du service de microbiologie agri- Metchnikoff à l'Institut Pasteur de Paris de 1894 à 1901. Fondateur cole et spécialiste de la destruction par les bactéries des animaux en 1901, puis directeur de l'Institut Pasteur du Brabant à Bruxelles nuisibles à l'agriculture. Fit de nombreuses missions à l'étranger. jusqu'en 1940. Professeur de bactériologie à l'Université libre de Bruxelles de 1907 à 1935. Découvreur de la réaction de fixation du DEHAYE, Florent (1856-1932). Vétérinaire belge. Praticien de complément, et co-découvreur avec Octave Gengou de la bactérie 1877 à 1890. Inspecteur vétérinaire de l'Etat au ministère de responsable de la coqueluche (Bordetella pertussis). Prix Nobel de l'Agriculture de 1890 à 1924. En fonction à l'administration cen- physiologie et de médecine en 1919 pour ses travaux sur l'immu- trale du service de l'Inspection vétérinaire de 1920 à 1924. nologie humorale. DE ROO, Henri (1861-1930). Vétérinaire belge. Praticien de 1886 CALMETTE, Albert (1863-1933). Médecin bactériologiste fran- à 1893. Inspecteur vétérinaire de l'Etat au ministère de çais. Chercheur à l'Institut Pasteur de Paris. Fondateur des instituts l'Agriculture de 1893 à 1927. Inspecteur général, chef du service Pasteur de Saigon et de Lille. Directeur de l'Institut Pasteur de Lille de l'Inspection vétérinaire de 1918 à 1927 (Ministère de 203
l'Agriculture) et chef du service d'Expertise des viandes (Ministère l'Etat à Cureghem des cours de pathologie médicale, pathologie de l'Intérieur) de 1919 à 1927. Premier président de l'Office inter- infectieuse, pathologie parasitaire, inspection des denrées alimen- national des épizooties de 1927 à 1929. Son fils Herbert De Roo taires et clinique des grands animaux. (1889-1917), médecin militaire, fut tué sur le front de l'Yser. METCHNIKOFF, Elie (1845-1916). Zoologiste, bactériologiste et EDINGTON, Alexander (1860-1928). Médecin bactériologiste immunologiste russe (ukrainien). Professeur des cours de zoologie britannique. Professeur à l'Ecole médicale d'Edimbourg et au et d'anatomie comparée à l'Université d'Odessa de 1867 à 1885. Collège royal vétérinaire Dick à Edimbourg. Bactériologiste de la Chercheur à l'Institut de bactériologie d'Odessa de 1885 à 1887. Colonie du Cap de 1891 à 1905. Médecin privé en Afrique du Sud Emigré en France à partir de 1888. Chercheur à l'Institut Pasteur de de 1905 à 1928. Paris de 1888 à 1916 ; sous-directeur de 1904 à 1916. Découvreur EDWARDS, James (1889-1953). Bactériologiste britannique. du phénomène de la phagocytose et de l'immunité cellulaire. Prix Bactériologiste de la Colonie d'Inde, en fonction à l'Institut de Nobel de physiologie et de médecine en 1908. recherches vétérinaires à Mukteswar. NAKAMURA, Junji (1902-1975). Bactériologiste japonais. GRATIA, Gustave (1855-1932). Vétérinaire et médecin belge. Directeur de l'Institut nippon des sciences biologiques depuis Professeur de pathologie générale à l'Ecole vétérinaire de l'Etat à 1947. Cureghem de 1878 à 1924 ; directeur de 1919 à 1924, recteur de NICOLAS, Emile (1874-1950). Vétérinaire pharmacologiste fran- 1924 à 1925. çais. Assistant à l'Ecole vétérinaire de Lyon de 1898 à 1901. A HAMOIR, Joseph (1872-1924). Vétérinaire belge. Praticien de l'Ecole vétérinaire d'Alfort, professeur des cours de chimie et de 1893 à 1919. Professeur agrégé de clinique bovine à l'Ecole vétéri- pharmacologie de 1901 à 1934 et directeur de 1924 à 1934. naire de l'Etat à Cureghem de 1919 à 1924. Inspecteur général des écoles vétérinaires de France de 1934 à HUTCHEON, Duncan (1842-1907). Vétérinaire britannique. 1939. Vétérinaire colonial, puis vétérinaire en chef de la Colonie du Cap NICOLLE, Maurice (1862-1932). Médecin bactériologiste fran- de 1880 à 1905. Directeur du département de l'Agriculture à çais. Préparateur à l'Institut Pasteur de Paris de 1890 à 1893. Capetown de 1905 à 1907. Directeur de l'Institut impérial de bactériologie de Constantinople KOCH, Robert (1843-1910). Médecin bactériologiste et hygiéniste de 1893 à 1902. Chef de laboratoire à l'Institut Pasteur de Paris de allemand. Fondateur avec Louis Pasteur de la bactériologie 1902 à 1926. Co-découvreur en 1902 avec Mustafa Adil Bey du moderne. Médecin de campagne de 1867 à 1880. Chercheur au virus de la peste bovine. Bureau impérial de la santé à Berlin de 1880 à 1885. Professeur à PASTEUR, Louis (1822-1895). Docteur-es-sciences, chimiste et l'Université de Berlin de 1885 à 1891. Fondateur, puis directeur de bactériologiste français. Fondateur avec Robert Koch de la bacté- l'Institut des maladies infectieuses de Berlin de 1891 à 1904. Fit de riologie moderne. Professeur de chimie à l'Université de nombreuses missions en Afrique. Découvreur en 1882 du bacille Strasbourg de 1849 à 1854. Professeur de chimie et doyen de la de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis) et en 1883 du Faculté des sciences de l'Université de Lille de 1854 à 1857. bacille du choléra humain (Vibrio cholerae). Prix Nobel de physio- Directeur des études à l'Ecole normale supérieure de Paris et pro- logie et de médecine en 1905. fesseur à la Sorbonne de 1857 à 1888. Auteur de travaux remar- KOHLSTOCK, Paul. Médecin bactériologiste et hygiéniste alle- quables sur les fermentations et sur plusieurs maladies animales ou mand. Assistant de Robert Koch à Berlin. Médecin en chef de la humaines (charbon des moutons, maladies des vers à soie, vibrion ville de Berlin. Professeur de pathologie tropicale. A combattu septique, fièvre puerpérale, choléra aviaire, streptococcie, staphy- l'épidémie de choléra à Hambourg en 1892. Fit de nombreuses lococcie, rage humaine et rouget du porc). En son honneur fut missions en Afrique. inauguré à Paris le 14 novembre 1888 un Institut Pasteur qui KOLLE, Wilhelm (1868-1935). Médecin bactériologiste allemand. deviendra un haut-lieu de la science. Il forma beaucoup de dis- Elève et assistant de Robert Koch à Berlin. Professeur du cours sur ciples qui continuèrent son oeuvre dans plusieurs instituts Pasteur les maladies infectieuses à l'Université de Berne (Suisse) pendant de par le monde. la Première Guerre mondiale. Directeur de l'Institut royal de théra- PLOWRIGHT, Walter (1923-). Vétérinaire bactériologiste britan- peutique expérimentale à Francfort (ancien Institut Paul Ehrlich) nique. Vétérinaire colonial, pathologiste dans des laboratoires au de 1917 à 1935. Découvreur des vaccins contre le choléra et le Nigeria et au Kenya de 1950 à 1964. Chercheur au laboratoire de typhus humains. Pirbright en Grande-Bretagne de 1964 à 1971. Professeur au LECLAINCHE, Emmanuel (1861-1953). Vétérinaire bactériolo- Collège royal vétérinaire de Londres de 1971 à 1978. Chef du giste français. Praticien de 1882 à 1886. Répétiteur à l'Ecole vété- département microbiologie du laboratoire de Compton de 1978 à rinaire d'Alfort de 1886 à 1891. Professeur du cours de maladies 1983. Retraité en 1983. contagieuses à l'Ecole vétérinaire de Toulouse de 1891 à 1911. RINJARD, Paul (1882-1943). Ingénieur agronome et vétérinaire Chef du service vétérinaire du ministère de l'Agriculture de France microbiologiste français. Chercheur au Laboratoire de recherches de 1911 à 1929, et directeur du Laboratoire de recherches vétéri- vétérinaires de l'Etat à Alfort en France, de 1912 à 1943 ; directeur naires de l'Etat à Alfort de 1913 à 1924. Directeur général de de 1937 à 1943. Il réalisa des travaux fondamentaux sur la fièvre l'Office international des épizooties de 1927 à 1949. aphteuse. LEYNEN, Emile (1876-1951). Vétérinaire bactériologiste belge. ROUX, Emile (1853-1933). Médecin microbiologiste français. Praticien de 1900 à 1912. Inspecteur vétérinaire de l'Etat au minis- Préparateur, puis directeur adjoint du laboratoire de Louis Pasteur tère de l'Agriculture de 1912 à 1924. Fondateur et directeur de à l'Ecole normale supérieure de Paris de 1878 à 1888. A l'Institut 1924 à 1933 du Laboratoire de l'Inspection vétérinaire de l'Etat qui Pasteur de Paris, chef de service de 1888 à 1895, sous-directeur de deviendra l'INRV puis le CERVA. De 1933 à 1941, conseiller vété- 1896 à 1904 et directeur de 1904 à 1933. Il collabora aux travaux rinaire de sociétés et d'institutions coloniales belges. les plus connus de Pasteur sur le charbon et la rage ; il s'illustra LIENAUX, Emile (1863-1932). Vétérinaire belge. Assistant ensuite par des travaux sur la diphtérie. Professeur de microbiolo- (1884-1900), puis professeur (1900-1920) à l'Ecole vétérinaire de gie à l'Institut Pasteur de Paris. 204
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