LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel

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LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE
LITTÉRAIRE
2019

 Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
Sommaire

    RENTRÉE LITTÉRAIRE
        Amélie NOTHOMB Soif....................................................................................................................... p.4
        Bruno DE CESSOLE L’île du dernier homme................................................................................ p.6
        Fatou DIOME Les veilleurs de Sangomar........................................................................................ p.8
        Emmanuelle FAVIER Virginia............................................................................................................ p.10
        Dana GRIGORCEA La dame au petit chien arabe................................................................................p.12
        Frédéric GROS Le guérisseur des lumières..............................................................................................p.14
        Sana KRASIKOV Les patriotes.....................................................................................................................p.16
        Victoria MAS Le bal des folles..........................................................................................................p.18
        Alexis MICHALIK Loin........................................................................................................................p.20
        Laurence NOBÉCOURT Le chagrin des origines........................................................................p.22
        Tommy ORANGE Ici n'est plus ici....................................................................................................p.24
        Franck PAVLOFF Par les soirs bleus d'été......................................................................................p.26
        Éric-Emmanuel SCHMITT Journal d'un amour perdu..............................................................p.28
        Sébastien SPITZER Le cœur battant du monde.........................................................................p.30
        Sándor MÁRAI Journal......................................................................................................................p.32

2                                                                                                                                                              3
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

    AMÉLIE NOTHOMB
         Soif

                                                            Production Iconoclast Image © Jean-Baptiste Mondino
                     21 AOÛT 2019
                     160 PAGES
                     17,90 €

4                                                       5
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                                  BRUNO
                                                                                                DE CESSOLE
                                                                                                                                                                             “
                                                                                                                                                                                     Comme il aimait parer ses défauts

                                                                                         L’île du dernier homme
                                                                                                                                                                                     d’un habit flatteur, Saint-Réal s’était
                                                                                                                                                                             trouvé en Benjamin Constant et Stendhal
                                                                                                                                                                             deux ancêtres spirituels à sa ressemblance.
                                                                                                                                                                             La dépréciation de soi, le masochisme
                                                                                                                                                                             sournois, la valse-hésitation entre deux partis
                                                                                                                                                                             ou deux femmes, le prurit de l’introspection,
                                                                                                 « Ceux qui sacrifient la liberté                                            l’incapacité à tirer profit de la lucidité sur
                                                                                                     à la sécurité n’obtiendront                                             soi-même, autant de faiblesses de caractère
                                                                                                                                                                             dont l’auteur d’Adolphe et du Cahier Rouge
                                                                                                             ni l’une ni l’autre. »                                          avait souffert, non sans complaisance,
                                                                                                                                                                             et dont lui-même n’était pas indemne.
                                                                                                                                                                             Plus encore, Saint-Réal avait trouvé
                                                                                                                                                                             en Stendhal, sans cesse tiraillé entre

                                                                                        S   urnommée « l’île du bout du monde », Jura a longtemps été la
                                                                                            plus isolée des Hébrides écossaises. C’est sur ce bout de terre
                                                                                        inaccessible que le journaliste François Saint-Réal est venu cher-
                                                                                                                                                                             le sentiment et la raison, divisé entre
                                                                                                                                                                             un tempérament de droite et des convictions
                                                                                                                                                                             de gauche, un frère d’élection. Dans
                                                                                        cher refuge, après avoir été confronté, des banlieues françaises au                  le faisceau de contradictions de Stendhal
                                                                                        champ de bataille d’Alep, aux hommes qui désignent l’Occident                        – un comble pour un fanatique de la logique
                                                                                        matérialiste comme leur pire ennemi, jusqu’à éprouver une étrange                    et de la méthode ! – il discernait ses propres
                                                                                        fascination pour leur combat.                                                        écartèlements. Au vrai, rien n’était plus facile
                                                                                                                                                                             pour le stendhalien de gauche qu’il était
© Astrid di Crollalanza

                                                                                        Est-ce un hasard si George Orwell choisit cette lande sauvage pour
                                                                                        écrire 1984, dénonçant un système d’oppression plus vivace que                       que de multiplier arguments et citations
                                                                                        jamais ? Traqué par les services secrets qui le soupçonnent de sym-                  en faveur de l’ancrage révolutionnaire
                                                                                        pathies islamistes, François Saint-Réal va devoir composer avec ses                  et progressiste de l’écrivain. Combien de fois
                                                                                        engagements, réviser ses idéaux et résoudre ses contradictions.                      Stendhal n’avait-il pas réaffirmé sa détestation
                                                                                        Un roman d’une actualité troublante, où Bruno de Cessole livre                       de l’Ancien Régime et des aristocrates,
                          Journaliste, critique littéraire, Bruno de Cessole a dirigé                                                                         21 AOÛT 2019
                                                                                                                                                              432 PAGES
                                                                                                                                                                             son enthousiasme pour la Révolution,
                          la Revue des Deux Mondes, les pages livres des Lettres        une réflexion intempestive sur l’Histoire, sur l’engagement et sur
                                                                                                                                                              21,90 €        sa ferveur pour Bonaparte, sa haine
                                                                                                                                                                                                                     ”
                          françaises et le service culturel de Valeurs actuelles.       le cynisme de nos sociétés contemporaines.
                                                                                                                                                                             de la Restauration et du cléricalisme ?
                          Auteur d’une quinzaine de livres, il a obtenu le grand prix
                          de littérature de l’Académie française pour l’ensemble
                          de son œuvre.

                          6                                                                                                                                                                                                     7
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                               FATOU DIOME

                                                                                                                                                                              “
                                                                                                       Les veilleurs                                                                   Coumba ne dormait presque plus

                                                                                                       de Sangomar
                                                                                                                                                                                       depuis qu’elle avait appris par la radio
                                                                                                                                                                              que le Joola avait sombré et, avec lui,
                                                                                                                                                                              ce qu’elle avait de plus cher au monde :
                                                                                                                                                                              son ami d’enfance, son confident, Bouba
                                                                                                                                                                              son tendre époux. Elle était alors à Dakar,
                                                                                                                                                                              avec leur fille de cinq mois, dans leur
                                                                                                « Mon cou se souvient du feu                                                  minuscule studio de jeunes mariés
                                                                                                                                                                              désargentés. L’hivernage comptait
                                                                                              de tes baisers comme les fleurs                                                 ses derniers jours, incubait les futures
                                                                                            fanées se souviennent du soleil. »                                                récoltes dans sa moiteur, mais ce fut
                                                                                                                                                                              l’annonce de la mauvaise nouvelle qui
                                                                                                                                                                              suffoqua le pays. Coumba et la famille
                                                                                                                                                                              de son mari avaient patienté une longue

                                                                                        N     ul ne s’aventure sans appréhension à Sangomar, ce bout
                                                                                              de terre inhabitée où, dans la tradition animiste sérère, se
                                                                                        rassemblent les djinns et les âmes des défunts. Sur l’île voisine,
                                                                                                                                                                              journée avant d’admettre le pire. Il fallait
                                                                                                                                                                              partir, dès le lendemain, quitter ce lieu
                                                                                                                                                                              où le malheur était venu les frapper. Partir !
                                                                                        la jeune Coumba entame un long veuvage, recluse chez sa belle-                        Parce que la vie elle-même les harcelait,
                                                                                        mère. Elle vient de perdre son mari dans le naufrage du Joola, en                     les mettait à l’étroit dans l’angoisse.
                                                                                        2002, au large du Sénégal.                                                            Ils veillèrent tard et ne se couchèrent
                                                                                        Dès la nuit tombée, après le cortège des prières rituelles et des                     que pour trouver ensuite la force de tenir
                                                                                        visites obligées, Coumba peut enfin faire face à son chagrin, consi-                  debout. De l’eau ! Au lever, ils n’avalèrent
                                                                                        gner les souvenirs heureux, invoquer les morts. Alors, sa chambre                     que de l’eau, parce qu’ils n’avaient plus
                                                                                                                                                                              de larmes. De l’air ! Il leur fallait de l’air,
© Astrid di Crollalanza

                                                                                        s’ouvre grand aux veilleurs de Sangomar, esprits des ancêtres et
                                                                                        des naufragés qui lui racontent leur destin et la mèneront à la ren-                  prendre le large pour ménager leurs
                                                                                                                                                                              poumons comprimés par la douleur.
                                                                                                                                                                                                                     ”
                                                                                        contre de son « immortel aimé ».
                                                                                        Un grand roman de liberté et d’amour fou, porté par le souffle                        Las, ils partirent, chassés par le glas.
                                                                                                                                                               21 AOÛT 2019
                                                                                        ensorcelant de Fatou Diome.                                            336 PAGES
                                                                                                                                                               19,90 €
                          Révélée en 2003 par Le Ventre de l’Atlantique, Fatou Diome,
                          auteure, entre autres, de Kétala, Celles qui attendent
                          et Impossible de grandir, transforme de livre en livre
                          notre regard sur l’Afrique et le monde.

                          8                                                                                                                                                                                                       9
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                            EMMANUELLE
                                                                                              FAVIER
                                                                                                                                                                            “
                                                                                                                                                                                    Virginia Stephen, dont nous seuls

                                                                                                            Virginia                                                                savons qu’elle deviendra Virginia
                                                                                                                                                                            Woolf – nous qui savons tout ce qui suit,
                                                                                                                                                                            la langue liquide, la légende, l’amour tronqué
                                                                                                                                                                            et pourtant le plus grand bonheur possible,
                                                                                                                                                                            le succès, les craintes et les pages et les pages
                                                                                                                                                                            et les masses d’eau sans fond, l’eau médiévale
                                                                                                             L’enfance est un rêve,                                         et barbare –
                                                                                                       c’est le réveil qui nous tue.                                        Adeline Virginia Alexandra Stephen, dite AVS,
                                                                                                                                                                            dite Ginia ou Ginny ou miss Jan ou Janet
                                                                                                                                                                            ou encore Viginea ; dite la chèvre – the Goat
                                                                                                                                                                            ou Billy Goat ou Capra ou il Giotto ou Goatus

                                                                                      D     ans le lourd manoir aux sombres boiseries, Miss Jan s’apprête
                                                                                            à devenir Virginia. Mais naître fille, à l’époque victorienne,
                                                                                      c’est n’avoir pour horizon que le mariage. Virginia Woolf dérogera
                                                                                                                                                                            voire Goatus Esq. – dite Sparroy – drôle
                                                                                                                                                                            de moineau – ou le Singe ou tout autre
                                                                                                                                                                            animal qu’elle jugera bon d’incarner,
                                                                                      à toutes les règles. Elle fera œuvre de ses élans brisés et de son                    à ce stade contentons-nous de Virginia –
                                                                                      âpre mélancolie.                                                                      Virginia, donc, est assise dans un fauteuil
                                                                                      La prose formidablement évocatrice d’Emmanuelle Favier, l’autrice                     à oreilles au centre d’une pièce remplie
                                                                                      du Courage qu’il faut aux rivières, fait de cette biographie subjec-                  de livres, de photographies et d’objets
                                                                                      tive un récit vibrant, fiévreux, hypnotique.                                          acquérant peu à peu le statut de reliques
                                                                                                                                                                            d’être ainsi couvés de son regard, baignés
© Astrid di Crollalanza

                                                                                                                                                                            de son souffle. Songeuse, elle contemple
                                                                                                                                                                            son admirable main ; elle tient une cigarette,
                                                                                                                                                                            ou peut-être un petit cigare.
                                                                                                                                                                            Virginia ne craint ni la chaleur, ni les rages
                                                                                                                                                                            de l’hiver – elle songe.”
                          Emmanuelle Favier, née en 1980, est une romancière
                                                                                                                                                             21 AOÛT 2019
                          et poétesse française.
                                                                                                                                                             304 PAGES
                          Son premier roman, Le Courage qu’il faut aux rivières,                                                                             19,90 €
                          a été très remarqué et a reçu de nombreux prix (prix
                          Révélation de la SGDL, prix de la Fondation Prince Pierre
                          de Monaco…)

                      10                                                                                                                                                                                                        11
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                                           DANA
                                                                                                         GRIGORCEA
                                                                                                                                                                                       “
                                                                                                                                                                                               Mais Anna était prise maintenant

                                                                                                         La dame
                                                                                                                                                                                               d’un sentiment familier qu’elle n’éprouvait
                                                                                                                                                                                       d’ordinaire qu’à la fin des longues tournées,
                                                                                                                                                                                       elle était soulagée et nostalgique en même temps.

                                                                                                    au petit chien arabe                                                               Une histoire s’achevait, et une fois encore
                                                                                                                                                                                       elle s’était montrée parfaite, sensible et gracieuse,
                                                                                                                                                                                       elle avait joué sa partie avec savoir-faire,
                                                                                              Traduit de l'allemand (Suisse) par Dominique Autrand                                     et un respect plutôt limité pour son partenaire.
                                                                                                                                                                                       Elle rejoignit le brouhaha des voix et la musique
                                                                                                                                                                                       du grand hall, seule à présent. Son dernier
                                                                                                                                                                                       spectacle lui revint en mémoire. Il y avait ce rideau
                                                                                                      Le bonheur n’est-il pas dans                                                     avant le deuxième tableau, et les interprètes
                                                                                                                                                                                       principaux ainsi que quelques-uns des seconds
                                                                                                le pressentiment fugace de sa fin ?                                                    rôles étaient allés comme toujours sur la scène
                                                                                                                                                                                       pour se hâter de répéter une dernière fois,
                                                                                                                                                                                       en place, la partie la plus difficile de leur rôle,
                                                                                                                                                                                       tous mélangés et chacun pour soi. Anna Karénine

                                                                                              D     e nos jours, sur les bords du lac de Zurich, Anna, une danseuse
                                                                                                    mondaine et mariée, croise Gürkan, un jeune jardinier kurde.
                                                                                              La conversation s’engage à propos du petit chien qui accompagne
                                                                                                                                                                                       se roulait par terre tandis que le comte Wronski,
                                                                                                                                                                                       derrière, dans le coin gauche de la scène, dansait
                                                                                                                                                                                       autour d’une Anna imaginaire pour ensuite –
                                                                                              Anna et qu’elle a ramené d’Algérie. Les deux inconnus se plaisent, se                    tournant toujours le dos à sa partenaire – caresser
                                                                                              revoient, deviennent amants, puis se quittent. Pour Anna, familière                      à genoux et avec une dévotion extrême
                                                                                                                                                                                       une silhouette immatérielle.
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                                                                                              du jeu de la séduction, c’est une aventure comme tant d’autres qui
                                                                                                                                                                                       Anna se réjouit d’en avoir bientôt terminé avec
                                                                                                                                                                                                ”
                                                                                              s’achève, du moins le croit-elle. Car avec l’été s’installe une étrange
                                                                                              sensation de vide sur laquelle il lui faudra bientôt mettre des mots :                   la scène.
                                                                                              elle est amoureuse. Et rien n’est plus comme avant.
                                                                                              C’est cette métamorphose, où l’incertitude des sentiments défie la        21 AOÛT 2019
                                                                                              raison, que Dana Grigorcea explore avec une délicatesse extrême           160 PAGES
                                                                                                                                                                        15,00 €
                                                                                              dans un récit tout en nuances. Hommage libre et fidèle à Tchekhov,
                                Née à Bucarest, Dana Grigorcea est philologue et écrivain.    La Dame au petit chien arabe évoque la question éternelle du
                                Ses deux premiers romans, non traduits en français, ont été
                                                                                              désir, des conventions sociales et de la liberté intérieure.
                                récompensés par de nombreux prix littéraires.

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LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                         FRÉDÉRIC GROS

                                                                                                                                                                             “
                                                                                                      Le guérisseur                                                                  Et voilà, monsieur Wolfart, que je me

                                                                                                      des Lumières
                                                                                                                                                                                     suis réveillé ce matin avec la caresse
                                                                                                                                                                             des premières lumières de l’aube. Je me suis
                                                                                                                                                                             réveillé les mains palpitantes et pleines
                                                                                                                                                                             des lambris de ma chambre d’enfant avec
                                                                                                                                                                             son vernis grumeleux. Je me suis réveillé
                                                                                                                                                                             la lèvre fraîche, les épaules légères.
                                                                                         « Le corps est la lumière de l’âme. »                                               Je me suis levé et je n’ai d’abord pas osé
                                                                                                                                                                             comprendre. Puis en tremblant j’ai ramassé
                                                                                                                                                                             mes mains comme pour la prière et là,
                                                                                                                                                                             distinctement, quand elles furent à quelques
                                                                                                                                                                             centimètres l’une de l’autre, j’ai senti

                                                                                        F   ranz-Anton Mesmer publie son Mémoire sur la découverte
                                                                                            du magnétisme animal en 1779. Il y annonce la découverte
                                                                                        d’un fluide vital, d’une énergie élémentaire, qui traverse toute la
                                                                                                                                                                             le coussin de fluide, élastique et chaud, qui
                                                                                                                                                                             se tenait entre mes paumes comme un petit
                                                                                                                                                                             merle blanc. Il était revenu.
                                                                                        Création et dont la circulation entravée provoque les maladies. Il                   Tout était revenu. Je me suis assis.
                                                                                        y révèle aussi comment de simples effleurements de la main (les                      J’ai regardé mes mains, mes mains grandes,
                                                                                        passes magnétiques) permettent de rétablir la santé en restaurant                    épaisses. Je leur ai parlé, ou plutôt nous
                                                                                        l’harmonie perdue des corps. Rejetée par la médecine officielle                      avons parlé ensemble. Je les ai remerciées.
                                                                                        et condamnée par les cercles académiques, portée par quelques                        Voyez-vous, le corps est un mystère
                                                                                        guérisons « spectaculaires », cette théorie vaut à Mesmer une fou-                   et la pensée toujours en retard sur lui.
                                                                                        droyante popularité. La fièvre mesmériste enflamme les imagi-                        L’intelligence est le retard du corps, parce
                                                                                        nations dans la France prérévolutionnaire des Lumières où son                        qu’elle en est l’interruption, elle en est
© Astrid di Crollalanza

                                                                                        harmonie universelle fait écho aux aspirations à l’égalité et à la                   le moment de relâche et de pause. La peau
                                                                                        fraternité. C’est au cœur de cette histoire fascinante, celle d’un                   même n’est pas une surface, mais
                                                                                        homme en qui s’incarne toute l’effervescence d’une époque, que                       un sidérant témoignage. Le corps, monsieur
                                                                                        Frédéric Gros, puisant sa matière romanesque au cœur de l’évé-        21 AOÛT 2019                                   ”
                                                                                                                                                                             Wolfart, est la lumière de l’âme.

                          Professeur de pensée politique à Sciences Po, Frédéric Gros   nement historique, nous entraîne.                                     176 PAGES
                                                                                                                                                              17,90 €
                          est notamment l’auteur d’États de violence, de Principe
                          sécurité et de Désobéir, un essai salué par la critique.
                          Après le succès de Possédées, il signe avec Le guérisseur
                          des Lumières, son deuxième roman.

                  14                                                                                                                                                                                                          15
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                     SANA KRASIKOV

                                                                                                                                                                             “
                                                                                                    Les patriotes                                                                    J’aurais peut-être été moins dur avec
                                                                                                                                                                                     ma mère si elle avait été une Russe
                                                                                              Traduit de l'américain par Sarah Gurcel                                        ordinaire, affligée de cette forme nationale
                                                                                                                                                                             de syndrome de Stockholm qu'on nomme
                                                                                                                                                                             patriotisme. Mais non. Elle était, comme moi
                                                                                                                                                                             aujourd'hui, Américaine. Et même plus que
                                                                                     « Briser le cœur de sa famille était                                                    moi. Elle avait grandi dans les rues bordées
                                                                                                                                                                             d'ormes de Flatbush, à Brooklyn, débattu
                                                                                    le prix à payer pour sauver le sien. »                                                   du Fédéraliste au lycée Erasmus Hall, étudié
                                                                                                                                                                             les mathématiques aux côtés d’autres jeunes
                                                                                                                                                                             filles qui comptaient comme elle parmi
                                                                                                                                                                             les premières bénéficiaires d'une éducation

                                                                                    A      lors que les États-Unis sont frappés par la Grande Dépression,
                                                                                           Florence Fein, à seulement 24 ans, quitte Brooklyn pour une
                                                                                    ville industrielle de l’Oural, dans la toute jeune URSS. Elle n’y trou-
                                                                                                                                                                             mixte à l'université de Brooklyn, écouté
                                                                                                                                                                             les « conversations au coin du feu »
                                                                                                                                                                             de Roosevelt, et regardé James Cagney
                                                                                    vera pas ce qu’elle espérait : un idéal d’indépendance et de liberté.                    embrasser Jean Harlow sur l'écran du
                                                                                    Comme de nombreux Refuzniks, son fils Julian, une fois adulte,                           Paramount. Elle avait beau prétendre avoir
                                                                                    émigre aux États-Unis. Des années plus tard, en apprenant l’ou-                          tout oublié, je n’ai jamais cru qu'on puisse
                                                                                    verture des archives du KGB, il revient en Russie et découvre les                        effacer une jeunesse new-yorkaise
                                                                                    zones d’ombre de la vie de sa mère.                                                      de sa mémoire comme on gratterait
© Alexis Calice

                                                                                    Entremêlant époques et lieux, ce premier roman magistral de                              une peinture écaillée. Elle avait forcément,
                                                                                    Sana Krasikov nous plonge au cœur de l’affrontement Est-Ouest                            j'insiste encore aujourd'hui, respiré un jour
                                                                                    en explorant, à travers le destin de trois générations d’une famille
                                                                                    juive, l’histoire méconnue de milliers d’Américains abandonnés
                                                                                                                                                                                                 ”
                                                                                                                                                                             l’odeur de la liberté.

                  Née en Ukraine en 1979, Sana Krasikov a grandi dans               par leur pays en pleine terreur stalinienne, et les conséquences
                  l'ancienne république soviétique de Géorgie avant d'émigrer       de nos choix individuels sur la vie de nos enfants.
                  aux États-Unis avec sa famille. Elle est l’auteure d’un recueil
                  de nouvelles, L’An prochain à Tbilissi (Albin Michel, 2011),                                                                                21 AOÛT 2019
                                                                                                                                                              608 PAGES
                  récompensé par le O. Henry Award et le prix Sami Rohr.
                                                                                                                                                              23,90 €
                  Elle a consacré neuf années à l’écriture de ce premier roman
                  qui lui a valu d’être distinguée par la revue britannique
                  Granta comme l’un des vingt meilleurs jeunes écrivains
                  américains de la décennie.

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LA RENTRÉE LITTÉRAIRE - 2019 Albin Michel - Editions Albin Michel
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                               VICTORIA MAS

                                                                                                                                                                                    “
                                                                                                      Le bal des folles                                                                     En dehors des murs de la Salpêtrière,
                                                                                                                                                                                            dans les salons et les cafés,
                                                                                                                                                                                    on imagine ce à quoi peut bien ressembler
                                                                                                                                                                                    le service de Charcot, dit le « service
                                                                                          « Elles ne seront jamais des femmes                                                       des hystériques ». On se représente
                                                                                                                                                                                    des femmes nues qui courent dans les couloirs,
                                                                                                  qu’on désire ou qu’on aime :                                                      se cognent le front contre le carrelage,
                                                                                                        elles sont des malades.                                                     écartent les jambes pour accueillir un amant
                                                                                                                                                                                    imaginaire, hurlent à gorge déployée
                                                                                                        Des folles. Des ratées. »                                                   de l’aube au coucher. On décrit des corps
                                                                                                                                                                                    de folles entrant en convulsion sous
                                                                                                                                                                                    des draps blancs, des mines grimaçantes
                                                                                                                                                                                    sous des cheveux hirsutes, des visages

                                                                                          C     haque année, à la mi-carême, se tient un étrange bal. Le temps
                                                                                                d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse
                                                                                          et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines,
                                                                                                                                                                                    de vieilles femmes qu’on fait bien
                                                                                                                                                                                    de maintenir à l’écart, même si on ne saurait
                                                                                                                                                                                    dire pour quelle raison exactement, celles-ci
                                                                                          gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Réparti sur deux salles –                       n’ayant commis ni offense ni crime.
                                                                                          d’un côté les idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques,                   Pour ces gens que la moindre excentricité
                                                                                          les folles et les maniaques –, ce bal est en réalité l’une des dernières                  affole, qu’ils soient bourgeois ou prolétaires,
                                                                                          expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de                             songer à ces aliénées excite leur désir
                                                                                          la Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie,                         et alimente leurs craintes. Les folles
                                                                                          Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté,                        les fascinent et leur font horreur.
                                                                                          dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au                               Leur déception serait certaine s’ils venaient
                                                                                          XIXe siècle.                                                                              à faire un tour dans le service en cette fin
© Astrid di Crollalanza

                                                                                                                                                                                    de matinée : les folles y préparent leur bal
                                                                                                                                                                                    de la mi-carême. ”
                                                                                                                                                                     21 AOÛT 2019
                                                                                                                                                                     256 PAGES
                                                                                                                                                                     18,90 €

                          Victoria Mas, 31 ans, a été assistante de production,
                          scripte et photographe de plateau, en France et à l'étranger.
                          Le bal des folles est son premier roman.

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LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                                        ALEXIS
                                                                                                       MICHALIK
                                                                                                                                                                                     “
                                                                                                                                                                                              Lorsque les roues de l’appareil

                                                                                                                    Loin                                                                      quittent la piste, il entend son cœur
                                                                                                                                                                                     accélérer. Mais ce n’est pas la peur de mourir,
                                                                                                                                                                                     c’est l’excitation de l’inconnu, l’envie
                                                                                                                                                                                     d’un ailleurs, la promesse d’une aventure.
                                                                                                                                                                                     C’est ce qui soufflait aux Vikings,
                                                                                        « Je pose à présent cette question :                                                         aux aborigènes, aux Indiens, aux explorateurs
                                                                                                                                                                                     espagnols de pousser toujours plus loin leur
                                                                                                             où es-tu allé ?                                                         frêle esquif, leur si dérisoire embarcation,
                                                                                                                                                                                     face à un océan gigantesque, bravant
                                                                                             Combien de pays as-tu visité ?                                                          les dieux instables des mers, du vent
                                                                                        Combien de villes, de continents ? »                                                         et du tonnerre.
                                                                                                                                                                                     C’est l’audace de l’être humain, cette si petite
                                                                                                                                                                                     chose orgueilleuse, c’est le désir de savoir,
                                                                                                                                                                                     la soif d’apprendre, le besoin de découvrir.

                                                                                        T    out commence par quelques mots griffonnés au dos d’une
                                                                                             carte postale : « Je pense à vous, je vous aime ». Ils sont signés
                                                                                        de Charles, le père d’Antoine, parti vingt ans plus tôt sans laisser
                                                                                                                                                                                     C’est l’amour de l’inconnu, la perspective
                                                                                                                                                                                     de trembler, de rire, d’être découragé,
                                                                                                                                                                                     rassuré, de tout perdre ou de tout gagner,
                                                                                        d’adresse. Avec son meilleur ami, Laurent, apprenti journaliste, et                          de chercher, sans fin, la réponse
                                                                                        Anna, sa jeune sœur complètement déjantée, Antoine part sur les                              aux questions que l’on se pose.
                                                                                        traces de ce père fantôme. C’est l’affaire d’une semaine, pense-t-il…
                                                                                        De l’ex-Allemagne de l’Est à la Turquie d’Atatürk, de la Géorgie de
                                                                                                                                                                                     De vivre, enfin.”
© Astrid di Crollalanza

                                                                                        Staline à l’Autriche nazie, de rebondissements en coups de théâtre,
                                                                                        les voici partis pour un road movie généalogique et chaotique à la
                                                                                        recherche de leurs origines insoupçonnées.
                                                                                        Alexis Michalik a décidément le goût de l’aventure : après le succès
                                                                                        phénoménal d’Edmond, le comédien, metteur en scène et drama-              4 SEPTEMBRE 2019
                          Avec Le Porteur d'histoire et Le Cercle des Illusionnistes,   turge couronné par cinq Molières, nous embarque à bord d’un               656 PAGES
                                                                                                                                                                  22,90 €
                          Alexis Michalik s’est imposé comme l’un des jeunes prodiges   premier roman virevoltant, drôle et exaltant.
                          du théâtre français. Edmond, à l’affiche depuis septembre
                          2016, a été couronné par cinq Molières, et a fait l’objet
                          d’une adaptation au cinéma. Loin est son premier roman.

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LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                                     LAURENCE
                                                                                                    NOBÉCOURT
                                                                                                                                                                                          “
                                                                                                                                                                                                  Je suis née du verbe, sans rituel

                                                                                           Le chagrin des origines                                                                                ni sermon. Je suis née de ces après-midi
                                                                                                                                                                                          blanches où, retirée à ma table, au centre
                                                                                                                                                                                          du temps, j’écris ce qui ne peut se dire
                                                                                                                                                                                          ni se taire (…) Mes pensées se roulent
                                                                                                                                                                                          en boule tels des petits renards sauvages,
                                                                                                                                                                                          ou s’éloignent à la manière des hérons
                                                                                                         L’écriture peut sauver la vie.                                                   qui traversent le ciel et disparaissent
                                                                                                                                                                                          comme des lignes d’encre dans un ciel diffus.
                                                                                                                                                                                          Elles s’en vont loin. Je les perds, je me perds
                                                                                                                                                                                          avec elles. Et ainsi je m’absente jusqu’à

                                                                                          L   aurence Nobécourt ne se paie pas de mots quand elle nous dit
                                                                                              que l’écriture l’a sauvée : ce récit est un brûlant hommage à
                                                                                          cette « voie du verbe » qui permet de se rapprocher de soi-même
                                                                                                                                                                                          naître dans un autre monde, une réalité
                                                                                                                                                                                          différente où surgissent d’autres pensées
                                                                                                                                                                                          que je ne savais pas m’appartenir. Les mots
                                                                                          et de donner sens à la vie. Elle nous fait partager les moments initia-                         me protègent en même temps qu’ils
                                                                                          tiques qui ont jalonné pour elle cette voie escarpée : le corps qui                             m’exposent. À cause des mots et grâce à eux,
                                                                                          exsude la souffrance psychique ; la quête incessante du pourquoi                                je me sépare et je m’unis (…) Car l’écriture
                                                                                          de ce « chagrin des origines » ; les années douloureuses à vouloir                              rend visible l’indicible, elle découvre
                                                                                          se perdre dans l’addiction ; l’aspiration de la mélancolie mais aussi                           le double-fond, traque le secret, débusque
                                                                                          les lectures qui ouvrent la ligne d’horizon ; une nuit fondatrice                               le non-dit, dévoile cet outre-monde qui
                                                                                          sous l’emprise d’un champignon hallucinogène, où lui est révélée                                nous regarde par les fenêtres de la nuit.
                                                                                          la réalité d’un monde qui n’est qu’amour – et qu’elle n’aura de                                 Par elle surgit tout ce qui fut perdu.
                                                                                                                                                                                                                               ”
© France Keyser/M.Y.O.P.

                                                                                          cesse de retrouver dans l’écriture…                                                             Elle est miracle, et je lui dois la vie.
                                                                                          Dans cette prospection intime dont Laurence Nobécourt nous
                                                                                          décrit les aléas, les rêves meurtris, les illusions et les éblouissements,
                                                                                          une âme se met à nu sans tricher, toujours guidée par une foi aussi
                                                                                          libre que fervente – et communicative.                                       4 SEPTEMBRE 2019
                                                                                                                                                                       ENV. 224 PAGES
                           Connue sous le nom de Lorette Nobécourt jusqu’à ce qu’elle
                                                                                                                                                                       ENV. 17,90 €
                           décide d’abandonner ce surnom et toute la lourdeur familiale
                           qu’il portait en publiant Lorette (2016), Laurence Nobécourt
                           est l'auteure d'une quinzaine de romans, récits et essais
                           publiés aux éditions Grasset.

                       22                                                                                                                                                                                                                    23
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                        TOMMY ORANGE

                                                                                                                                                                  “
                                                                                    Ici n’est plus ici                                                                    Nous sommes nombreux à être urbains,
                                                                                                                                                                          désormais. Moins parce que nous
                                                                              Traduit de l'américain par Stéphane Roques                                          vivons en ville que parce que nous vivons
                                                                                                                                                                  sur Internet. Dans le gratte-ciel des multiples
                                                                                                                                                                  fenêtres de navigation. On nous traitait
                                                                                                                                                                  d'Indiens des rues. On nous traitait de réfugiés
                                                                                 « Être indien en Amérique                                                        urbanisés, superficiels, inauthentiques,
                                                                                                                                                                  acculturés, on nous traitait de pommes.
                                                                           n’a jamais consisté à retrouver                                                        Une pomme est rouge à l'extérieur et blanche
                                                                        notre terre. Notre terre est partout                                                      à l'intérieur. Mais nous sommes le résultat
                                                                                                                                                                  de ce qu'ont fait nos ancêtres. De leur survie.
                                                                                             ou nulle part. »                                                     Nous sommes l'ensemble des souvenirs
                                                                                                                                                                  que nous avons oubliés, qui vivent en nous,
                                                                                                                                                                  que nous sentons, qui nous font chanter
                                                                                                                                                                  et danser et prier comme nous le faisons,

                                                                       À      Oakland, dans la baie de San Francisco, les Indiens ne vivent
                                                                              pas sur une réserve mais dans un univers façonné par la rue et
                                                                       par la pauvreté, où chacun porte les traces d’une histoire doulou-
                                                                                                                                                                  des sentiments tirés de souvenirs qui
                                                                                                                                                                  se réveillent ou éclosent sans crier gare dans
                                                                                                                                                                  nos vies, comme une tache de sang imbibe
                                                                       reuse. Pourtant, tous les membres de cette communauté disparate                            la couverture à cause d'une blessure faite
                                                                       tiennent à célébrer la beauté d’une culture que l’Amérique a bien                          par une balle qu'un homme nous tire
                                                                       failli engloutir. À l’occasion d’un grand pow-wow, douze person-                           dans le dos pour récupérer nos cheveux,
                                                                       nages, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, vont voir leurs                           notre tête, une prime, ou simplement
                                                                       destins se lier. Ensemble, ils vont faire l’expérience de la violence
                                                                       et de la destruction, comme leurs ancêtres tant de fois avant eux.
                                                                                                                                                                  pour se débarrasser de nous.  ”
© DR

                                                                       Débordant de rage et de poésie, ce premier roman, traduit dans
                                                                       plus d’une vingtaine de langues, impose une nouvelle voix saisis-
                                                                       sante, véritable révélation littéraire aux États-Unis. Ici n’est plus ici   21 AOÛT 2019
       Né en 1982, Tommy Orange a grandi à Oakland en Californie,
       mais ses racines sont en Oklahoma. Il appartient à la tribu     a été consacré « meilleur roman de l’année » par l’ensemble de la           352 PAGES
                                                                                                                                                   21,90 €
       des Cheyennes du Sud. Diplômé de l’Institute of American        presse américaine. Finaliste du prix Pulitzer et du National Book
       Indian Arts, où il a eu comme professeurs Sherman Alexie        Award, il a reçu plusieurs récompenses prestigieuses dont le PEN/
       et Joseph Boyden, il a fait sensation sur la scène littéraire   Hemingway Award.
       américaine avec ce premier roman.

       24                                                                                                                                                                                                            25
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                           FRANCK PAVLOFF

                                                                                                                                                                                  “
                                                                                                            Par les soirs                                                                  Agenouillé à ses côtés, l’enfant cerne

                                                                                                             bleus d’été
                                                                                                                                                                                           la toile du pinceau de ses doigts
                                                                                                                                                                                  peinturlurés. Il assortit les couleurs chaudes
                                                                                                                                                                                  et froides avec le sérieux d’un apprenti verrier
                                                                                                                                                                                  qui place sa fleur-obus au cœur d’un vitrail
                                                                                                                                                                                  d’église encadré de bleu et de violet. Stépan
                                                                                                                                                                                  est sidéré, son dessin prend une ampleur
                                                                                                             « Pour rejoindre son fils,                                           imprévue, s’envole, comme quand,
                                                                                                                                                                                  dans la musique de l’Estonien, deux voix
                                                                                                     il ne fallait pas craindre d'être                                            se rejoignent et forment quelque chose
                                                                                                                 à la marge du réel. »                                            de plus ample, d’indissociable.
                                                                                                                                                                                  Léo regarde ses doigts mâchurés, cligne
                                                                                                                                                                                  des yeux devant ces drôles de marionnettes
                                                                                                                                                                                  qui lui obéissent, prête l’oreille à la musique.

                                                                                           D      ans le lieu-dit la Montagne perdue, Détélina, une jeune femme
                                                                                                  hantée par la mémoire des mineurs de fond, veille sur son
                                                                                           fils Léo, un enfant hors du commun, qui ne s’exprime que par un
                                                                                                                                                                                  Ces airs ne sont pas ceux que sa mère
                                                                                                                                                                                  et les monitrices lui chantent. Où sont-elles ?
                                                                                                                                                                                  Un léger tremblement agite ses jambes,
                                                                                           rituel minutieux de dessins et de couleurs. Quand arrive du Donbass,                   un grognement s’apprête dans les profondeurs
                                                                                           terre de combats, un étranger sur un side-car d’une autre époque,                      de son corps. Intuitivement l’homme réagit,
                                                                                           l’enfant se laisse peu à peu approcher. Mais que cherche cet homme                     refait le geste amorcé à leur première
© Astrid di Crollalanza

                                                                                           qui bouscule leurs habitudes, ce frère d’exil qui rend leur quotidien                  rencontre devant la moto. Il appuie sa main
                                                                                           plus lumineux ?                                                                        bien à plat derrière le cou, à l’amorce
                                                                                           Depuis Le Pont de Ran-Mositar, Franck Pavloff poursuit une                             des épaules, et la sensation de lourdeur
                                                                                           œuvre à l’écriture ciselée et puissante où évoluent des « perdants                     bienveillante calme l’enfant. Ils restent ainsi,
                                                                                           magnifiques » qui vivent aux frontières du réel et de l’imaginaire,                                                                ”
                                                                                                                                                                                  reliés par des ondes essentielles et secrètes.
                          Franck Pavloff s’est établi dans les Cévennes depuis quelques    et reconstruisent un monde de liberté.
                          années. Il est l’auteur de Matin brun, nouvelle devenue culte,
                                                                                                                                                                   21 AOÛT 2019
                          rééditée et illustrée par C215 et d’une œuvre romanesque
                                                                                                                                                                   208 PAGES
                          aussi exigeante que cohérente.                                                                                                           17,90 €
                          Il a été récompensé par le Prix France Télévision en 2005
                          pour Le Pont de Ran-Mositar, Prix des Grands espaces en 2009
                          pour Le Grand Exil, Prix Lettres Frontière en 2012 pour
                          L’homme à la carrure d’ours.

                          26                                                                                                                                                                                                         27
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

ÉRIC-EMMANUEL
   SCHMITT
                                                                                        “
                                                                                                 Notre voyage, à Maman et moi,
                                                                                                 s’effectua d’abord en silence dans
                                                                                        la Renault 4 aux tôles tremblantes qui

                Journal                                                                 suivait le corbillard à travers les rues
                                                                                        escarpées. À bout de nerfs, Maman
                                                                                        pilotait avec brusquerie, fulminant,

           d’un amour perdu                                                             contre les priorités, les feux rouges,
                                                                                        les dos d’âne, les stops, la rapidité
                                                                                        ou la lenteur des automobilistes ;
                                                                                        elle haïssait le monde entier.
                                                                                        – Excuse-moi d’avoir autant pleuré, Maman.
         « Maman est morte ce matin                                                     Je ne comprenais pas que ça t’empêchait,
                et c’est la première fois                                               toi, de pleurer. C’est ton père avant
                                                                                        d’être mon grand-père. J’ai été égoïste,
           qu’elle me fait de la peine. »                                               je suis désolé.
                                                                                        Malgré son exacerbation, ses yeux
                                                                                        s’embuèrent en se tournant vers moi.
                                                                                        – Tu as le droit de pleurer, Éric.

     P    endant deux ans, Éric-Emmanuel Schmitt tente d’appri-
          voiser l’inacceptable : la disparition de la femme qui
     l’a mis au monde. Ces pages racontent son « devoir de
                                                                                        – Oui, mais toi, tu ne pleures pas.
                                                                                        – Si je pleurais, je pleurerais trop.
                                                                                        – Je vois.
     bonheur » : une longue lutte, acharnée et difficile, contre                        – Et puis les larmes, ça ne fait pas partir
     le chagrin. Demeurer inconsolable trahirait sa mère, tant                          le chagrin.
     cette femme lumineuse et tendre lui a donné le goût de                             Quarante ans après, je tente d’assimiler
     la vie, la passion des arts, le sens de l’humour, le culte de                      son conseil et cherche à me hisser
     la joie.                                                                           à sa hauteur : je m’essuie le visage,
     Ce texte explore le présent d’une détresse tout autant que                         me débouche le nez et jette à la poubelle
     le passé d’un bonheur, tandis que s’élabore la recomposition                       les mouchoirs en papier.
     d’un homme mûr qui n’est plus « l’enfant de personne ».
     Éric-Emmanuel Schmitt atteint ici, comme dans La Nuit
     de feu, à l’universel à force de vérité personnelle et intime   4 SEPTEMBRE 2019
                                                                                        Les larmes ne font pas partir le chagrin.
                                                                                                                                    ”
                                                                     280 PAGES
     dans le deuil d’un amour. Il parvient à transformer une         19,90 €
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                                                                                                                                                                © Pascal Ito
28                                                                                                                                                          29
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                                                     SÉBASTIEN
                                                                                                      SPITZER
                                                                                                                                                                                  “
                                                                                                                                                                                          Charlotte est si fatiguée. Elle enfonce

                                                                                                     Le cœur battant                                                                      son chapeau pour cacher son crâne
                                                                                                                                                                                  ras. L’autre jour, elle a vendu ses mèches
                                                                                                                                                                                  à un perruquier du centre-ville.

                                                                                                        du monde                                                                  Deux shillings. L’auburn est à la mode.
                                                                                                                                                                                  Charlotte a pu payer sa dette pour
                                                                                                                                                                                  une chambre à six lits.
                                                                                                                                                                                  Pourtant sa mère lui a enseigné le maniement
                                                                                                                                                                                  de l’aiguille. Charlotte sait ranger aussi, plier,
                                                                                              Derrière cet enfant né comme                                                        laver, écrire, compter, se taire et danser
                                                                                                                                                                                  quand c’est l’heure de faire la fête au son
                                                                                               l’aube, sans avant, sans hier,                                                     de la flute et du violon. Charlotte est
                                                                                         se cache le « bâtard » de Karl Marx.                                                     une bonne fille d’Irlande. Londres déborde
                                                                                                                                                                                  de bonnes filles comme elle.
                                                                                                                                                                                  Londres est la ville-monde immonde.
                                                                                                                                                                                  Ses rues sentent l’exil et la suie, le curry,

                                                                                         D      ans les années 1860, Londres, le cœur de l’empire le plus
                                                                                                puissant du monde, se gave en avalant les faibles. Ses rues
                                                                                         sentent la misère, l’insurrection et l’opium. Dans les faubourgs de
                                                                                                                                                                                  le safran, le houblon, le vinaigre et l’opium.
                                                                                                                                                                                  La plus grande ville du monde est une
                                                                                                                                                                                  Babylone à bout, traversée de mille langues,
                                                                                         la ville, un bâtard est recueilli par Charlotte, une Irlandaise qui a                    gavée de tout ce que l’Empire ne peut plus
                                                                                         fui la famine. Par amour pour lui, elle va voler, mentir, se prostituer                  absorber. Elle a le cœur des Tudor et se gave
                                                                                         sans jamais révéler le mystère de sa naissance.                                          en avalant les faibles. Et quand elle n’en peut
                                                                                         L’enfant illégitime est le fils caché d’un homme célèbre que pour-                       plus, elle les vomit plus loin et les laisse
                                                                                         suivent toutes les polices d’Europe. Il s’appelle Freddy et son père                     s’entasser dans ses faubourgs sinistres.
© Astrid di Crollalanza

                                                                                         est Karl Marx. Alors que Marx se contente de théoriser la Révo-                          Un rayon de soleil frappe le bas de son visage.
                                                                                         lution dans les livres, Freddy prend les armes avec les opprimés                         Ses cheveux repousseront.
                                                                                                                                                                                  Ses seins ne lui feront plus mal.
                                                                                                                                                                                                                                 ”
                                                                                         d’Irlande.                                                                21 AOÛT 2019
                                                                                         Après Ces rêve qu’on piétine, un premier roman très remarqué qui          464 PAGES      Son enfant naîtra, avant le début de l’hiver.
                                                                                                                                                                   21,90 €
                                                                                         dévoilait l’étonnante histoire de Magda Goebbels, Sébastien Spitzer
                          Sébastien Spitzer est l’auteur d’un premier roman, Ces rêves   prend le pouls d’une époque où la toute-puissance de l’argent brise
                          qu’on piétine, traduit dans plusieurs pays et couronné par
                                                                                         les hommes, l’amitié et l’espoir de jours meilleurs.
                          de nombreux prix littéraires.

                          30                                                                                                                                                                                                           31
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE

                                                                              SÁNDOR MÁRAI

                                                                                                                                                                        “
                                                                                                   Journal                                                                       Budapest. Chaque sonnerie a un sens.
                                                                                                                                                                                 Dorénavant, je n’ouvre la porte que
                                                                            Les années hongroises 1943-1948                                                             si on sonne d’une manière convenue.
                                                                                                                                                                        Je ne réponds à la sonnerie du téléphone que
                                                                                      Traduit du hongrois par Catherine Faye                                            si elle est codée. Voilà comment nous vivons.
                                                                                                                                                                        Celui qui n’aura pas vécu cette époque avec
                                                                                                                                                                        nous jusqu’au bout, celui qui n’était pas
                                                                                                                                                                        parmi nous quand tout s’est déclaré, installé
                                                                                     Traduit pour la première fois                                                      et montré sous son vrai jour, celui qui ne sait
                                                                                                                                                                        pas ce que c’est de sursauter à chaque coup
                                                                                 en français, le Journal du grand                                                       de sonnette, d’avoir cessé depuis longtemps
                                                                                 écrivain hongrois Sándor Márai                                                         de craindre pour sa propre vie, celui qui
                                                                                                                                                                        ne sait pas les efforts qu’il nous a fallu pour
                                                                                                 éclaire son œuvre                                                      ne plus réagir au son de la sirène annonçant
                                                                                                                                                                        un bombardement que par un battement
                                                                                          d’une lumière nouvelle.                                                       de cils, parce que notre système nerveux
                                                                                                                                                                        a depuis longtemps banalisé ce genre
                                                                                                                                                                        de danger en l’incorporant dans un mélange

                                                                            É   diteur de la quasi-totalité de l’œuvre de Sándor Márai en France,
                                                                                les éditions Albin Michel se sont attelées à une tâche colossale :
                                                                            la publication du journal du grand auteur hongrois qui constitue
                                                                                                                                                                        empoisonné plus amer et plus dangereux,
                                                                                                                                                                        celui qui n’a pas au moins porté secours
                                                                                                                                                                        à un enfant, offert l’asile à un misérable
                                                                            la pièce maîtresse de son œuvre. Édité en Hongrie en dix-huit                               sans-logis, celui qui ne sait pas ce que cela
                                                                            volumes, il sera publié en France en trois volets, d’après une                              signifie d’avoir en main, au courrier du matin,
                                                                            sélection rigoureuse : Les Années hongroises, 1943-1948, L’Exil                             une carte jetée d’un wagon dans une gare
                                                                                                                                                                        par quelqu’un en route vers la mort avec
© DR

                                                                            à Naples et New York, 1948-1967 et Second exil à Naples et San
                                                                            Diego, 1967-1989.                                                                           quatre-vingts autres de ses semblables…
                                                                            Ce premier volume, dirigé par Catherine Fay, la traductrice de Sándor                       que celui qui n’a pas vécu tout cela
       Né en 1900 à Kassa, en Hongrie, Sándor Márai fait ses études                                                                                  4 SEPTEMBRE 2019
                                                                            Márai en français, en collaboration avec András Kányádi, maître de       ENV. 400 PAGES     avec nous, ces trois derniers mois, ces cinq,
       à Leipzig, puis vit à Francfort, Berlin et Paris, avant de rentrer
                                                                            conférences à l’INALCO, couvre la période historique la plus riche       ENV. 22,90€        ces dix dernières années, ne s’avise jamais
       dans son pays où il devient dans les années 1930 un auteur
       adulé. Il tombe dans l’oubli après 1948, date de son exil                                                                                                        de s’ériger en juge. Ici n’a le droit de juger
                                                                                                                                                                                                     ”
                                                                            – la guerre, l’arrivée des Soviétiques, le départ en exil – et met en
       en Europe puis en Californie, où il se suicide, à San Diego,                                                                                                     que celui qui vit parmi nous.
                                                                            lumière des passages plus personnels de l’œuvre littéraire où se
       en 1989.
                                                                            déploient la causticité et la clairvoyance de Sándor Márai.

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Albin Michel
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                      Hachette
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