Le développement des ressources humaines en Europe à la croi- sée des chemins - Cedefop

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FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26               REVUE EUROPÉENNE

Le développement des                                                                                                Barry Nyhan
                                                                                                                    Cedefop

ressources humaines
en Europe … à la croi-
sée des chemins
                                                                                                            Cet article se penche sur le
                                                                                                            concept et sur la pratique
Introduction                                    che de «gestion des ressources humaines»                    du développement des res-
                                                intégrée dans la stratégie commerciale                      sources humaines (DRH)
                                                globale de l’entreprise.                                    dans une perspective euro-
Le terme «développement des ressources                                                                      péenne. Il place le DRH, qui
humaines» (DRH) fait référence aux acti-        La troisième section montre ensuite com-                    se réfère spécifiquement
vités d’éducation, de formation et de per-      ment les valeurs «humanistes axées sur le                   aux activités d’apprentis-
fectionnement liées à la vie active. S’il est   développement» inhérentes au modèle de                      sage, de formation et de
souvent utilisé dans un sens très large         GRH de Harvard consistent à privilégier                     perfectionnement dans les
pour englober toutes les activités d’ap-        l’apprentissage génératif tout au long de                   entreprises, dans le con-
prentissage en rapport avec le travail, il      la vie. En fait, cette approche de l’appren-                texte des théories sous-
désigne plus précisément les activités de       tissage ou du développement des com-                        jacentes de la «gestion des
développement et d’apprentissage des            pétences est considérée comme l’une des                     personnes» (gestion des res-
personnes qui travaillent et ont achevé         conditions nécessaires à un succès com-                     sources humaines – GRH).
leur formation professionnelle de base.         mercial durable. Cette vision des choses                    L’article oppose deux théo-
Le DRH, loin toutefois d’être un concept        a donné naissance – par exemple – à l’ap-                   ries du DRH issues de deux
isolé, est dérivé des théories de la «ges-      parition du concept d’«organisation                         manièr es dif férentes de
tion des ressources humaines» ou GRH (on        apprenante», qui s’efforce d’intégrer des                   concevoir la gestion des res-
trouvera à l’encadré 1 des précisions sur       possibilités de développement profession-                   sources humaines. La pre-
le DRH et la GRH, ainsi que sur d’autres        nel et personnel dans les activités au poste                mière, très proche des sys-
termes importants utilisés dans cet arti-       de travail.                                                 tèmes classiques de valeurs
cle). (Le terme «formation professionnelle                                                                  qui régissent en Europe l’in-
continue» ou FPC est souvent utilisé, dans      À partir du modèle international de DRH,                    dustrie et le monde du tra-
certains contextes, comme synonyme de           la quatrième section de cet article se con-                 vail, est la tradition «huma-
DRH.)                                           centre en particulier sur la nature des                     niste axée sur le développe-
                                                politiques de développement organisa-                       ment». Le second modèle,
À la suite de la présente introduction, cet     tionnel et d’apprentissage dans les entre-                  concurrent du premier, est
article se penche tout d’abord (deuxième        prises dans le contexte européen. Si les                    caractérisé par une façon
section) sur l’émergence de nouvelles stra-     termes GRH et DRH ont leur origine aux                      «instrumentaliste et utilita-
tégies de gestion de la main-d’œuvre dans       États-Unis, il n’en existe pas moins une                    riste» de considérer les res-
le contexte des défis auxquels se trou-         tradition spécifiquement européenne en                      sources humaines. L’article
vent depuis peu confrontées les entrepri-       la matière. Elle repose sur les valeurs et                  conclut qu’à l’heure ac-
ses européennes. Il retrace ensuite dans        les principes de ce que l’on peut appeler                   tuelle, les décideurs du DRH
la même section les origines du modèle          assez vaguement les cultures européen-                      en Europe sont entraînés
de «gestion des ressources humaines»            nes du monde de l’entreprise et du tra-                     dans une discussion sur ces
d’Harvard, qui doit sa grande influence         vail et de la formation professionnelle.                    deux approches. On cons-
dans le monde entier (y compris l’Europe)       Quelques analogies frappantes entre la                      tate que l’Europe est à la re-
au fait qu’il a fourni un cadre global per-     tradition européenne et le modèle inter-                    cherche de politiques de
mettant d’appréhender et de traiter les         national de la GRH «humaniste axée sur                      gestion et de développe-
processus humains et sociaux en œuvre           le développement» sont ensuite discutées.                   ment des ressources humai-
dans les entreprises (Hollinshead, 1995).                                                                   nes permettant à chacun
Le modèle de Harvard représente un mou-         La cinquième section soutient qu’un                         d’apprendre tout au long de
vement allant d’une approche cloisonnée         modèle concurrent de gestion des ressour-                   la vie à son poste de travail
et dans la plupart des cas marginale de         ces humaines basé sur une réflexion                         en vue de construire une
«gestion du personnel» vers une appro-          «instrumentaliste et utilitariste» est en train             économie forte et durable.
                                                                                                  Cedefop
                                                                                                    27
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26             REVUE EUROPÉENNE

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                                             Remarques sur les termes clés
                                             Les termes utilisés ici sont interprétés de nombreuses manières différentes selon
                                             les auteurs. C’est souvent la pratique qui détermine la théorie. Ces termes sont
                                             décrits ici tels qu’ils sont utilisés dans cet article.

                                             Traditions culturelles de l’industrie et du monde du travail

                                             Il s’agit des principes et postulats fondamentaux en vertu desquels une société ou
                                             une entreprise/institution élabore ses systèmes d’organisation du travail et de ges-
                                             tion du travail. (Le taylorisme, par exemple, constitue une tradition culturelle de
                                             l’industrie et du monde du travail.)

                                             Gestion du personnel

                                             Ce terme, remplacé de plus en plus souvent par celui de «gestion des ressources
                                             humaines» (GRH), désigne une fonction ou un service spécialisé des entreprises
                                             (ou établissements), dont la tâche est d’élaborer à partir de la perspective humaine
                                             des systèmes efficaces et satisfaisants (justes) de travail. La «gestion du personnel»
                                             avait à l’origine une finalité plutôt réformiste visant à corriger les excès résultant de
                                             l’industrialisation de masse. Préoccupée d’abord de promouvoir le bien-être social
                                             et les pratiques d’emploi loyales, elle a intégré des pratiques de «gestion scientifi-
                                             que» et des concepts de «relations humaines».

                                             Ses activités typiques sont:
                                             recrutement et sélection, formation et perfectionnement, évaluation des perfor-
                                             mances, relations industrielles, indemnités et prestations, santé et sécurité.

                                             Gestion des ressources humaines (GRH)

                                             Il s’agit d’une transformation de la fonction de «gestion du personnel», depuis un
                                             service subordonné à la direction générale vers une fonction exerçant une in-
                                             fluence stratégique sous la responsabilité d’un responsable membre à part entière
                                             de la direction. Au lieu d’être une fonction distincte et spécialisée (et souvent assez
                                             occasionnelle), la gestion des ressources humaines devient une stratégie intégrée
                                             de l’entreprise incombant à l’ensemble des cadres hiérarchiques, auxquels il re-
                                             vient de s’acquitter d’activités qui relevaient auparavant de la gestion du person-
                                             nel.

                                             Développement des ressources humaines (DRH)

                                             Ce terme peut être pris au sens large ou au sens étroit. Pour certains commenta-
                                             teurs, le DRH est pratiquement synonyme de la GRH, mais plus généralement il
                                             désigne les actions d’apprentissage et de développement des compétences, même
                                             si celles-ci sont intégrées à d’autres actions de GRH et sont autant axées sur l’ap-
                                             prentissage organisationnel et le développement que sur l’individu.

                                             Formation professionnelle continue (FPC)

                                             Il s’agit d’un autre terme étroitement lié au DRH, mais pouvant être pris au sens
                                             étroit ou au sens large. Ant et al. (1996) adoptent dans leur étude de la formation
                                             professionnelle continue en Europe une définition non restrictive: elle couvre plus
                                             ou moins le même champ que le DRH. Une interprétation étroite de la FPC la
                                             restreint aux activités de formation au niveau de l’ouvrier ou de l’employé, ex-
                                             cluant les actions de perfectionnement des cadres et de formation organisationnelle.

                                  Cedefop
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de s’implanter fortement dans certains           ment d’une économie de marché dans les
milieux internationaux, y compris euro-          régions orientales de l’Europe d’autre part,
péens. Les effets de l’apparition de ce          ont contraint toutes les entreprises euro-
modèle sont brièvement évoqués. Ce               péennes à repenser leur stratégie d’orga-
modèle, inspiré des principes de l’orga-         nisation du travail;
nisation néotaylorienne du travail et des
idées économiques néolibérales, présente         ❏ quatrièmement, les progrès réalisés
le «développement des ressources humai-          dans les technologies de l’information et
nes» comme une activité contingente dé-          de la communication ont suscité des in-
terminée essentiellement par des facteurs        terrogations sur les investissements à y
environnementaux.                                consentir et sur l’utilisation à en faire, ainsi
                                                 que sur les implications que leur intro-
À la lumière de l’existence de ces deux          duction peut avoir sur l’organisation du
modèles concurrents, la sixième section          travail.
soulève en guise de conclusion des ques-
tions sur l’orientation future des politiques    En réponse à ces nouveaux défis, les en-
de «ressources humaines» en Europe. Elle         treprises se sont mises à adopter des for-
engage les professionnels du «développe-         mes d’organisation du travail (internes
ment des ressources humaines» à conce-           comme externes) plus «flexibles» se ma-
voir de nouveaux modèles novateurs               nifestant dans des stratégies de gestion
transcendant les stratégies instrumen-           de la main-d’œuvre d’un type nouveau et
talistes et utilitaristes à court terme. Le      connues sous le terme de stratégies de
DRH pourra ainsi contribuer à l’instau-          «gestion des ressources humaines»
ration d’une économie durable de l’ap-           (Sparrow et Hiltrop, 1994; Miles et Snow,
prentissage en Europe, fondée sur les po-        1984). Ces théories de la «gestion des res-
litiques d’apprentissage tout au long de         sources humaines» comportaient l’aban-
la vie et les investissements à long terme       don des stratégies bureaucratiques cen-
dans les ressources humaines.                    tralisées de la production – en vertu des-
                ((Encadré 1))                    quelles chacun a une fonction clairement
                                                                                                              ( 1) La mesure dans laquelle les prati-
                                                 définie et qui correspondaient à une ère                     ques appelées pratiques flexibles d’or-
Nouveaux modes d’organi-                         de production soutenue en grandes sé-                        ganisation du travail ont été introdui-
sation du travail                                ries – et l’adoption d’un nouveau modèle                     tes dans les entreprises est discutée
                                                                                                              dans un rapport de l’OCDE (1999).
                                                 organique de la main-d’œuvre conférant                       Selon ce rapport, la situation est loin
Au cours des quinze dernières années, les        aux salariés des responsabilités élargies                    d’être claire, car il est difficile de dis-
entreprises européennes ont été amenées          (tant verticalement qu’horizontalement),                     tinguer les changements empiriques
                                                                                                              des «lubies des dirigeants». Selon l’exa-
à réviser de manière radicale leur attitude      à l’exclusion toutefois du contrôle finan-                   men mené par Ellström sur la recher-
vis-à-vis de l’organisation du travail – «ges-   cier, lequel tendait à rester centralisé.                    che internationale dans ce domaine,
tion des ressources humaines» – pour réa-        Cette nouvelle formule amenait à privilé-                    y compris les études de l’OCDE, en-
                                                                                                              viron 25 à 50␣ % des entreprises ont
gir aux changements radicaux survenant           gier fortement les pratiques de «dévelop-                    adopté dans une mesure ou une autre
dans les environnements commerciaux,             pement des ressources humaines» telles                       un «système transformé de travail»
tant mondiaux qu’européens. Ces défis            que la constitution d’équipes, la poly-                      (Ellström, 1999). Un élément toutefois
                                                                                                              rend difficile l’estimation du degré de
ont été décrits dans d’innombrables pu-          valence, la formation basée sur le travail,                  mise en œuvre de ces pratiques: l’ab-
blications, mais, pour les rappeler, nous        de manière à promouvoir une plus grande                      sence de définition claire de ce qu’il
résumerons ici succinctement quatre des          flexibilité fonctionnelle␣ (1) (OCDE, 1999;                  convient d’entendre par «approches
                                                                                                              flexibles de l’organisation du travail».
principaux facteurs de changement:               p.␣ 199).                                                    Les auteurs omettent souvent d’opé-
                                                                                                              rer une distinction entre la flexibilité
❏ premièrement, l’économie mondiale a            La tradition humaniste axée sur le dé-                       externe telle que la sous-traitance et
                                                                                                              la flexibilité interne fondée sur la dé-
connu une diminution considérable des            veloppement                                                  légation de fonctions de gestion et sur
marchés pour les produits fabriqués en                                                                        des groupes autonomes de travail.
grandes séries et une croissance impor-          L’un des modèles les plus influents de                       L’une des hypothèses formulées par
                                                                                                              le rapport de l’OCDE (1999) est que
tante de la demande de produits «haut de         «gestion des ressources humaines», qui a                     ces changements représentent un
gamme» plus personnalisés;                       eu un impact considérable sur les activi-                    mouvement de pendule oscillant en-
                                                 tés commerciales et la recherche en Eu-                      tre des philosophies de la gestion fon-
                                                                                                              dées sur un «contrôle étroit par la di-
❏ deuxièmement, la mondialisation du             rope et dans le monde entier (Hollins-                       rection» et d’autres fondées sur
commerce international menace la compé-          head, 1995), est le modèle «humaniste axé                    l’«engagement des salariés». Ce rap-
titivité des entreprises européennes;            sur le développement» conçu par Beer et                      port avance qu’il s’agit là de deux phi-
                                                                                                              losophies concurrentes de la GRH,
                                                 al. (1984 et 1985) à la Harvard Business                     l’une «instrumentaliste et utilitariste»
❏ troisièmement, la création du Marché           School. La force de ce modèle est qu’il                      et l’autre «humaniste axée sur le dé-
unique européen d’une part, et l’avène-          s’efforce de mettre en concordance les                       veloppement».

                                                                                                    Cedefop
                                                                                                      29
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26             REVUE EUROPÉENNE

                                            objectifs d’efficacité de l’entreprise et ceux   groupes de salariés et entre les salariés et
                                            du bien-être individuel et des avantages         leurs familles et la société dans son en-
                                            pour la société.                                 semble (Beer et al., 1984).
                                                      ((Graphique: triangle))
                                                             Entreprise                      Réajustement des perspectives: de la
                                                                                             «gestion du personnel» à la «gestion
                                                                                             des ressources humaines»

                                                                                             L’une des principales implications de
                                                                                             l’adoption de ce modèle de «gestion des
                                                               Acteurs                       ressources humaines» est que les politi-
                                                                                             ques de ressources humaines sont inté-
                                                                                             grées dans toutes les activités de l’entre-
                                                                                             prise, ce qui est illustré par le fait que la
                                            Individu                            Société
                                                                                             mise en œuvre des politiques «relatives
                                            C’est dans le rapport de corrélation mu-         aux personnes» est confiée au personnel
                                            tuelle de la dimension triangulaire du           de direction qui se trouve aux avant-pos-
                                            modèle de Harvard qu’est introduite la           tes. Comme il s’agit d’un changement
                                            notion d’intérêts des acteurs. Tous ceux         d’optique consistant à adopter une pers-
                                            qui ont des intérêts dans l’entreprise in-       pective intégrée à la place d’une optique
                                            terviennent pour influencer la politique         cloisonnée de la gestion des «questions
                                            de l’entreprise. Il peut s’agir des salariés,    relatives aux personnes», placée sous la
                                            des syndicats, de la collectivité, du gou-       responsabilité d’un «service du personnel»
                                            vernement, tout autant que des groupes,          spécialisé, on a pu parler du passage de
                                            en l’occurrence actionnaires et direction,       la «gestion du personnel» à une perspec-
                                            qui contrôlent traditionnellement l’entre-       tive de «gestion des ressources humaines».
                                            prise.                                           La fin de cette approche de «gestion du
                                                                                             personnel» est due au fait qu’en tant que
                                            Du point de vue des relations industriel-        fonction spécialisée, elle n’a pas été à
                                            les, ce modèle représente un revirement          même de faire des politiques de ressour-
                                            radical, de la perspective «taylorienne»         ces humaines un aspect stratégique dans
                                            (instrumentaliste) de la gestion scientifi-      l’entreprise. À l’âge de la «gestion des res-
                                            que fondée sur un contrôle étroit des sa-        sources humaines», un cadre très supé-
                                            lariés vers une perspective visant à obte-       rieur faisant normalement partie de la di-
                                            nir leur engagement dans un contexte de          rection (directeur des ressources humai-
                                            communauté d’objectifs. Il attribue en           nes) veille à ce que les «politiques relati-
                                            outre une grande importance à un «déve-          ves aux personnes» soient intégrées de
                                            loppement des ressources humaines» in-           manière systémique dans l’ensemble de
                                            tensif en créant des niveaux élevés de           l’organisation.
                                            compétence des salariés. Les autres ré-
                                            sultats escomptés de cette philosophie de        L’effet global de l’adoption de cette stra-
                                            la «gestion des ressources humaines», qui        tégie des ressources humaines est que le
                                            paraissent justifier le risque du passage        «facteur humain» se voit assigner une in-
                                            d’une approche fondée sur le «contrôle» à        fluence capitale sur la définition des
                                            une approche fondée sur l’«engagement»,          paramètres commerciaux, organisation-
                                            sont les suivants:                               nels et technologiques de l’entreprise.
                                                                                             Cette approche implique de faire partici-
                                            ❏ plus grande loyauté envers l’organisa-         per tous les salariés aux mesures de chan-
                                            tion à laquelle on appartient, et pour les       gement et de développement de l’entre-
                                            individus meilleure estime de soi et sen-        prise. Elle présuppose l’instauration per-
                                            timent d’appartenance;                           manente de niveaux élevés de compé-
                                                                                             tence au moyen d’initiatives d’apprentis-
                                            ❏ rentabilité au niveau des mouvements           sage formel ou non formel.
                                            d’effectifs, faibles taux d’absentéisme et
                                            coûts réduits pour la société et pour l’in-      Ce modèle de «gestion des ressources
                                            dividu;                                          humaines» a donc conféré une forte im-
                                                                                             pulsion aux activités de «développement
                                            ❏ meilleure concordance entre la direc-          des ressources humaines», considérées
                                            tion et le personnel, entre les différents       comme l’un des objectifs essentiels que
                                  Cedefop
                                    30
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26              REVUE EUROPÉENNE

doit poursuivre une politique intégrée de      gement et d’action (Nyhan, 1993). La com-
«gestion des ressources humaines» en           pétence confère l’aptitude à établir des
étroite liaison avec les aspects du            liens entre connaissances théoriques et
recrutement, de la gestion des carrières,      connaissances pratiques acquises par l’ex-
du développement organisationnel, de la        périence, en construisant en permanence
conception du travail, des salaires et des     ses «connaissances pratiques» pour les
bénéfices et des relations de travail␣ ( 2)    utiliser dans différentes situations de sa
(Sparrow et Hiltrop, 1994; McLagan, 1999).     vie.
En ce qui concerne les frontières entre
«gestion des ressources humaines» et «dé-      Organisations apprenantes
veloppement des ressources humaines»
dans la réalité concrète, certains auteurs     Cette notion de «compétence», inscrite
tels que McLagan plaident en faveur d’une      dans un contexte/une situation et «haute-
plus grande intégration, jugeant que la dis-   ment transférable», a donné naissance à
tinction opérée entre ces deux concepts        des théories et encouragé des «innovations
est trop ténue (McLagan, ibid.).               sociales» portant sur l’intégration de l’ap-
                                               prentissage et du travail et sur celle des
                                               plans d’apprentissage de l’individu et de
DRH et développement                           l’entreprise. Senge (1990 et 1997), l’un des
                                               principaux promoteurs de la notion d’or-
de la compétence                               ganisation apprenante, qui désigne une
                                               structure offrant des possibilités de crois-
En conformité avec la théorie qui vient        sance tant professionnelle que person-
d’être évoquée, les objectifs du «dévelop-     nelle, demande pourquoi il n’est pas pos-
pement des ressources humaines» se con-        sible aux individus d’atteindre les objec-
centrent sur le développement de la «com-      tifs de l’entreprise «dans un environne-
pétence» des salariés. Dans le contexte du     ment de travail proche des choses dont
DRH, la notion de «développement de la         les travailleurs font réellement cas dans
compétence» met l’accent sur un pro-           la vie» (Senge, 1997; p.␣ 144).
gramme exhaustif s’adressant à tous les
salariés, qu’ils occupent des fonctions in-    Pour Senge, tout apprentissage significa-
termédiaires, opérationnelles ou d’enca-       tif en vue de l’action est social et collectif
drement, à la différence d’une approche        par nature␣ (3). L’une des conditions de
du développement orientée uniquement           l’apprentissage est le développement de
sur le renforcement des compétences des        «la conscience d’être en connexion, la
cadres.                                        conscience de travailler ensemble dans un
                                               système et la compréhension de la façon
Le terme «compétence» se réfère à l’apti-      dont chaque partie du système est affec-
tude d’une personne à accomplir une sé-        tée par d’autres parties et dont l’ensem-
rie d’actions (ou l’ensemble d’une action      ble est plus grand que la somme des par-
complexe) de manière autonome ou indé-         ties» (p.␣ 129). Apprendre, c’est partager
pendante. La compétence met en mesure          des connaissances, et ce partage a lieu
d’agir en expert dans divers contextes         lorsque les individus veulent véritable-
sociaux en généralisant les savoir-faire et    ment s’aider mutuellement à développer
en les transférant d’un contexte ou d’une      de nouvelles capacités d’action.
situation à l’autre, qu’ils soient d’ordre
professionnel ou personnel. Selon              Une organisation apprenante peut être
Docherty et Marking (1997) (voir aussi         décrite comme «une institution qui impli-
Docherty et Dilschmann, 1992), la «com-        que la totalité de ses membres dans le                     ( 2) Dans le contexte de la GRH, on
pétence» désigne l’aptitude d’un individu      renforcement de la compétence organisa-                    préfère le terme «relations de travail»
                                                                                                          à celui de «relations industrielles».
à effectuer des tâches pour répondre à         tionnelle et individuelle par une réflexion
des demandes externes, et elle est fon-        permanente sur la façon dont les tâches                    ( 3) Prahalad et Hamel (1990) recou-
dée sur la perception de l’individu en tant    stratégiques et quotidiennes sont menées»                  rent au terme «compétence clé» de
                                                                                                          manière similaire à Senge, mais dans
qu’être humain qui interprète, qui agit et     (Nyhan, 1999). Ces deux dimensions, celle                  un sens différent de celui utilisé aupa-
qui résout des problèmes. Cette notion         de l’efficacité de l’organisation et celle de              ravant: la «compétence collective» ou
de compétence est étroitement liée au          la compétence de l’individu, sont consi-                   l’«apprentissage collectif» d’une orga-
                                                                                                          nisation, faisant particulièrement réfé-
concept de «compétences clés», qui com-        dérées comme des facteurs interdépen-                      rence à l’aptitude à coordonner et à
prennent des connaissances générales al-       dants. L’efficacité de l’organisation four-                intégrer différentes compétences et
liées à une capacité de réflexion, de ju-      nit une impulsion à l’apprentissage indi-                  différentes technologies.

                                                                                                Cedefop
                                                                                                  31
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26              REVUE EUROPÉENNE

                                                                                            Niveau de mise en œuvre
                                                                            Encadré 2
La «culture de l’entreprise» dans différents pays                                           Le niveau auquel ces mesures de «déve-
                                                                                            loppement des ressources humaines» ou
                                                                                            de développement de la compétence sont
Culture de l’entreprise «fondée sur le pouvoir»                                             mises en œuvre n’a pas encore fait l’ob-
Le dirigeant est considéré dans cette culture hiérarchique, mais orientée sur les           jet d’investigations suffisantes, mais,
personnes, comme un «parrain» tutélaire qui sait mieux que ses subordonnées ce              comme l’indiquait déjà la note␣ 1, l’ana-
qui est bon pour eux et qui, en faisant appel à leurs sentiments les plus profonds,         lyse des acquis récents menée par Ellström
leur indique comment les choses devraient être faites. On peut appeler cette forme          a montré que 25 à 50␣ % des entreprises
de gestion une «gestion par le subjectif». Les modes de pensée et d’apprentissage           les ont adoptées, tout au moins à un cer-
de ce type de culture tendent à être intuitifs, holistiques, latéraux et correctifs et      tain degré (Ellström, 1999). Dans l’étude
sont selon Trompenaar typiques de l’Espagne et, à un moindre degré, de la France            de Cressey et Kelleher (1999), menée sous
et de la Belgique.                                                                          les auspices du programme Leonardo da
                                                                                            Vinci de la Commission européenne, on
Culture de l’entreprise «fondée sur le rôle»                                                a constaté, dans les grandes entreprises
Elle repose sur une division bureaucratique du travail, diverses règles et fonctions        des secteurs de l’automobile, des télé-
étant assignées d’avance. Lorsque chaque rôle est assumé en conformité avec le              communications et de la banque au
système global, les tâches sont alors effectuées efficacement. Les modes de pen-            Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède,
sée et d’apprentissage de cette culture, typique selon Trompenaar de l’Allemagne            un degré élevé de consensus entre les
et, à un moindre degré, du Danemark et des Pays-Bas, sont logiques, analytiques,            représentants du patronat et des tra-
verticaux et rationnels.                                                                    vailleurs (les «partenaires sociaux») sur la
                                                                                            nécessité d’adopter ces nouveaux modè-
Culture de l’entreprise «fondée sur un projet»                                              les de «développement des ressources hu-
Cette troisième catégorie diffère des deux précédentes en ce qu’elle est égalitaire.        maines». Une réflexion différente, assez
Si son caractère impersonnel et basé sur les tâches la rapproche du modèle fondé            sceptique, sur l’impact de ce nouveau
sur le rôle, elle en diffère en ce que les tâches assignées aux individus ne sont pas       modèle indique toutefois que l’intérêt
fixées d’avance. On trouverait au Royaume-Uni (et aux États-Unis) de nombreux               porté à ces concepts par les milieux éco-
exemples d’entreprises de ce type, où les modes de pensée et d’apprentissage                nomiques et scientifiques est peut-être dû
sont centrés sur les problèmes, pratiques et interdisciplinaires.                           davantage à leur présentation attrayante
                                                                                            par des «gourous de la gestion» qu’à de
Culture de l’entreprise «fondée sur l’épanouissement»                                       solides constats scientifiques (OCDE,
Cette culture repose sur la notion que les organisations sont d’importance acces-           1999). Méhaut et Delcourt (1997, p.␣ 30)
soire vis-à-vis de l’épanouissement des individus. Les organisations de ce type, qui        soutiennent que ni au niveau européen,
opèrent dans un environnement d’engagement émotif intense, sont selon                       ni au niveau mondial, on ne constate de
Trompenaar typiques de la Suède. Les modes de pensée et d’apprentissage de ces              convergence vers un modèle uniforme de
organisations sont créatifs, ad hoc et guidés par l’inspiration (il convient de faire la    nouvelles formes de travail et d’organisa-
part de la rhétorique et de la réalité!)                                                    tions apprenantes remplaçant l’«ancien»
                                                                                            modèle de contrôle «taylorien». Selon Poell
Source: Trompenaar, 1993.
                                                                                            (1998, p.␣ 6), au lieu de voir dans les chan-
                                                                                            gements intervenant dans les entreprises
                                                                                            le remplacement d’un ancien modèle do-
                                             viduel, celui-ci contribuant à son tour à      minant «taylorien» par un nouveau modèle
                                             une augmentation de l’efficacité de l’or-      dominant, il conviendrait de prêter atten-
                                             ganisation. Si ce modèle est mis en œuvre      tion aux diverses manières dont le travail
                                             dans une situation idéale, les ouvriers ap-    et l’apprentissage sont organisés.
                                             prennent parce qu’on les charge de tâ-
                                             ches exigeantes et qu’on les aide à réflé-     Toute évaluation de la mise en œuvre de
                                             chir en permanence sur ces tâches de           ces stratégies doit reconnaître que l’adop-
                                             manière à en tirer des enseignements. Le       tion d’approches de l’apprentissage impli-
                                             contenu du travail devient ainsi le con-       quant une transformation radicale consti-
                                             tenu d’un apprentissage, le travail et l’ap-   tue un processus complexe. Il existe sou-
                                             prentissage devenant des éléments d’une        vent une grande différence entre ce que
                                             spirale d’amélioration incessante, qui se      les gens affirment faire (ou peut-être ce
                                             répercute sur le niveau de compétence          qu’ils voudraient faire) et ce qu’ils font ef-
                                             de chaque travailleur, l’apprentissage col-    fectivement. Le premier abord peut être
                                             lectif des groupes de travail et l’ensem-      trompeur. Il importe d’analyser en profon-
                                             ble de l’organisation (Nyhan, 1999; Stahl      deur les entreprises pour voir l’ampleur
                                             et al., 1993).                                 des changements effectués. Dans une
                                  Cedefop
                                    32
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26              REVUE EUROPÉENNE

étude approfondie de onze entreprises            traditions nationales et sectorielles, sur des
européennes soutenant avoir introduit de         problèmes communs rencontrés au cours
manière radicale les principes de l’organi-      de l’évolution historique et sur des choix
sation apprenante (et l’ayant à première         communs effectués sur la voie de
vue fait), il est apparu que bon nombre          l’industrialisation. Les traditions culturel-
des changements n’avaient d’effet que sur        les européennes de l’industrie et du
l’introduction de nouvelles méthodologies        monde du travail diffèrent de celles des
d’apprentissage au niveau des ouvriers           États-Unis en ce qu’elles mettent bien plus
(production) ou à un certain niveau de la        l’accent sur le rôle des travailleurs quali-
structure d’encadrement, mais sans aucune        fiés que sur celui des cadres (notamment
transformation des valeurs, de la vision ni      dans les petites et moyennes entreprises)
de la culture de l’entreprise (Docherty et       et sur le rôle des partenaires sociaux dans
Nyhan, 1997; Nyhan, 1999; Nyhan, 2000).          les relations d’emploi, et qu’elles envisa-
Ce n’est que dans cinq des onze entrepri-        gent des interventions du gouvernement
ses étudiées qu’a été réalisé un change-         (Brewster et al., 1993; Guest, 1990; Pieper,
ment correspondant à une véritable trans-        1990).
formation, impulsé de l’intérieur et fondé
sur des réflexions radicalement nouvelles        Dans son ouvrage Capitalism Against
quant à la contribution que les salariés         Capitalism (1993), Albert compare le
peuvent apporter à l’entreprise. Il s’est tra-   modèle économique et industriel de l’Eu-
duit par des changements radicaux à tous         rope continentale, qu’il appelle le «modèle
les niveaux de l’entreprise quant aux va-        rhénan», au modèle «anglo-américain».
leurs, aux structures et aux processus de        Dans le «modèle rhénan», la direction et
travail. Un tel processus ne pouvait inter-      les syndicats «partagent» vaguement le
venir qu’en présence des éléments sui-           pouvoir (politiques allemandes de
vants: une faculté d’entraînement vision-        «cogestion»), tandis que l’État joue un rôle
naire de la part du dirigeant de l’entre-        capital dans des domaines tels que la for-
prise, le développement d’une «vision par-       mation et l’enseignement professionnels
tagée» émanant de chaque personne ap-            initiaux et la mise en place d’un disposi-
partenant à l’entreprise, la prise de risques    tif de protection pour les personnes qui
par la direction et les salariés, la mise au     perdent leur emploi. Ce modèle existe
point d’un programme stratégique à long          depuis près d’un siècle en Allemagne, aux
terme et l’engagement de le suivre dans          Pays-Bas et en France et à bien des égards,
toutes ses étapes pratiques, quel que soit       mais sous une forme différente, dans les
le temps nécessaire. Au-delà encore,             pays scandinaves. Le modèle «anglo-amé-
l’étude a aussi montré toute la fragilité de     ricain», appliqué surtout aux États-Unis
l’innovation en matière de ressources hu-        (mais aussi à bien des égards au Royaume-
maines. On peut facilement laisser échap-        Uni), donne davantage d’emprise au ca-
per les occasions de procéder au change-         pitalisme de marché, soulignant la subor-
ment, et les gains importants réalisés sou-      dination de l’État aux activités économi-
vent au prix d’efforts considérables en          ques et commerciales, avec une impor-
temps et en argent peuvent se trouver du         tance d’autant moindre aux interventions
jour au lendemain réduits à néant (Nyhan,        des pouvoirs publics. Certaines des tradi-
1999; p.␣ 20).                                   tions européennes évoquées ici ont été
                                                 inscrites dans la législation de l’Union
                                                 européenne ou dans des accords tels que
Le DRH en Europe                                 la Charte sociale (1989), la Directive sur
                                                 le comité d’entreprise européen (1994) et
Les traditions culturelles européennes           le Pacte de confiance pour l’emploi en
de l’industrie et du monde du travail            Europe (1996). Il ne s’agit bien entendu
                                                 pas de contester que la manière dont ces
Du point de vue historique, on trouve en         accords sont appliqués diffère selon les
Europe, et plus particulièrement dans le         traditions et les cadres législatifs des États
nord de l’Europe continentale et dans les        membres. Le «principe de subsidiarité»
pays scandinaves, de nombreuses versions         ancré dans le traité de Maastricht établit
différentes de ce que l’on peut appeler          ainsi un équilibre entre le rôle «unificateur»             ( 4) L’article 127 du Traité est un bon
                                                                                                            exemple de la manière dont cela fonc-
assez vaguement un modèle de dévelop-            de définition des politiques joué par l’UE                 tionne dans la pratique pour ce qui
pement industriel et du monde du travail,        et les diverses positions autonomes des                    est de la mise en œuvre de la politi-
fondé sur une évolution commune des              États membres␣ (4).                                        que de formation professionnelle.

                                                                                                  Cedefop
                                                                                                    33
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26             REVUE EUROPÉENNE

                                            Il existe bien entendu, dans le cadre d’un      L’un des effets peut-être les plus notables
                                            héritage européen commun, des différen-         de ce passage à la «gestion des ressour-
                                            ces culturelles significatives entre les dif-   ces humaines» a été la modernisation des
                                            férents pays, et ces différences influent       pays et régions périphériques d’Europe
                                            sur la perception des aspects relatifs au       ne possédant pas de tradition bien éta-
                                            travail et à l’apprentissage et sur la mise     blie de développement industriel. C’est
                                            en œuvre des politiques et des stratégies       ainsi, par exemple, que dans un pays
                                            en la matière.                                  comme l’Irlande, à l’industrialisation tar-
                                                                                            dive et coupé des traditions progressistes
                                            Trompenaar (1993) a mené dans le monde          de l’industrie et du monde du travail pré-
                                            entier une vaste étude auprès de person-        valant en Europe continentale, les inves-
                                            nes du monde de l’entreprise, afin de           tissements d’entreprises multinationales
                                            déterminer les facteurs de la culture de        américaines et européennes dotées de
                                            l’entreprise qui influent sur la manière        systèmes perfectionnés et éclairés de ges-
                                            dont elles perçoivent et conçoivent l’or-       tion moderne, et recourant pour bon nom-
                                            ganisation du travail. Il a élaboré une         bre à des approches humanistes axées sur
                                            quadruple typologie: culture de l’entre-        le développement, ont non seulement eu
                                            prise «fondée sur le pouvoir», «fondée sur      des répercussions sur le développement
                                            le rôle», «fondée sur un projet», «fondée       économique du pays, mais aussi illustré
                                            sur l’épanouissement». L’encadré 2 résume       comment aménager les entreprises pour
                                            la façon dont ces quatre types s’appliquent     qu’elles favorisent les formules de déve-
                                            dans un contexte européen.                      loppement et d’apprentissage centrées sur
                                                           ((Encadré 2))                    les individus.
                                            L’Europe et le DRH humaniste axé sur
                                            le développement                                On peut aussi considérer que le modèle
                                                                                            de la «gestion des ressources humaines»
                                            Malgré l’origine américaine du modèle des       humaniste axé sur le développement par-
                                            ressources humaines de Harvard évoqué           tage avec des mouvements novateurs
                                            ci-dessus, on peut dire que sa perspec-         d’origine européenne certains principes
                                            tive «humaniste axée sur le développe-          fondamentaux. Le mode traditionnel de
                                            ment», et en particulier son souci de con-      pensée en systèmes «sociotechniques» est
                                            cilier les objectifs de l’entreprise et les     l’un d’entre eux. Les travaux initiaux dans
                                            besoins de l’individu et de l’ensemble de       ce domaine ont été entrepris au Royaume-
                                            la société, vient compléter les grandes         Uni par le Tavistock Institute au cours des
                                            conceptions traditionnelles européennes         années 50 et mis en pratique notamment
                                            de l’entreprise et du monde du travail.         dans les pays scandinaves (par exemple,
                                            L’adoption ou tout au moins l’application       le «programme de démocratie au travail»
                                            par de nombreuses grandes entreprises,          norvégien des années 60), ainsi qu’aux
                                            à la fin des années 80 et au début des          Pays-Bas. La conception de l’organisation
                                            années 90, du principe fondamental de           du travail présentée par l’école «socio-
                                            ce modèle consistant à intégrer dans tous       technique», centrée sur la notion de «grou-
                                            les aspects des activités de l’entreprise une   pes semi-autonomes», soulignait les avan-
                                            «gestion des personnes» «ouverte» et axée       tages à tirer (dans les perspectives d’effi-
                                            sur le développement et des activités de        cience et de satisfaction des travailleurs)
                                            formation a eu un impact positif en             du contrôle et de l’aménagement par les
                                            revitalisant des pratiques qui souvent          travailleurs de leur travail et de leur envi-
                                            étaient mises en œuvre de manière plu-          ronnement technologique. Elle met l’ac-
                                            tôt autoritaire (et taylorienne). Cette pers-   cent sur l’introduction de la technologie
                                            pective organisationnelle dynamique et          la plus récente, mais conçue de manière
                                            intégrée s’opposait aussi au mode de pen-       à mobiliser intégralement les compéten-
                                            sée plutôt cloisonné et rigide des respon-      ces et la motivation des travailleurs. Les
                                            sables d’institutions de formation et d’en-     avantages à tirer d’une telle tradition
                                            seignement professionnels. Elle a sans          «sociotechnique» sont une productivité et
                                            aucun doute amélioré le statut des fonc-        une performance de travail supérieures,
                                            tions «personnel» et «formation et déve-        ainsi qu’un environnement de travail per-
                                            loppement» dans les entreprises, suscitant      mettant un meilleur épanouissement sous
                                            la mise en place dans les universités et        la forme d’un travail stimulant qui offre
                                            les écoles de commerce de nouveaux              aussi des possibilités de formation et de
                                            cours dans ce domaine.                          développement.
                                  Cedefop
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FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26             REVUE EUROPÉENNE

La relation entre la tradition «humaniste»      mand, Hendry (1991) indique qu’affirmer
de gestion des ressources humaines et le        que le principal atout de l’Allemagne ré-
concept d’«aménagement social de la tech-       side dans sa population n’a rien d’un lieu
nologie et du travail» issu de la tradition     commun. Si le concept allemand de la
allemande mérite d’être commentée               GRH diffère du modèle humaniste issu des
(Rauner, 1988; Heidegger, 1997). Selon ce       États-Unis, ils s’accordent tous deux à
concept, un haut niveau de contrôle, d’in-      reconnaître la nécessité d’une main-
fluence («Gestaltung» en allemand) de la        d’œuvre hautement motivée, flexible et
main-d’œuvre sur l’environnement de tra-        bien formée. La GRH ne devrait donc pas
vail est essentiel pour assurer la produc-      être considérée comme un concept nou-
tivité et créer un environnement dans le-       veau ou étranger pour les entreprises al-
quel les individus apprennent en perma-         lemandes.
nence. Ce concept présente des ressem-
blances avec l’approche «sociotechnique»,
mas en diffère en ce qu’il est dérivé de la     Une stratégie
discipline de la formation professionnelle      des ressources humaines
plutôt que d’une approche de «concep-           concurrente: l’approche
tion de systèmes» opérant du sommet vers
la base. Il confère également un rôle actif     instrumentaliste et
aux travailleurs, qui modifient et déve-        utilitariste
loppent en permanence de nouveaux pro-
cessus de travail. Ils acquièrent ainsi une     Une étude récente sur les tendances du
«connaissance pratique experte», appelée        «développement des ressources humaines»
«connaissance du processus de travail», qui     dans sept pays d’Europe (Ter Horst et al.,
ne peut être acquise que par l’expérience       1999) est parvenue à la conclusion que,
(depuis la base). En ce qui concerne la         face à la mondialisation, il semble se dé-
technologie, cela signifie que le savoir-       gager une tendance à la convergence des
faire et la compétence que possèdent les        politiques des ressources humaines de
travailleurs doivent surpasser le «savoir-      l’Europe, des États-Unis et du Japon. Se-
faire logiciel» intégré dans la technologie.    lon cette étude, les aspects communs de
Ce concept est fondé sur la notion que la       ces politiques des ressources humaines
clé de voûte des systèmes de production         dans les grandes entreprises des trois prin-
efficaces est l’expertise ou la «connais-       cipaux blocs commerciaux apparaissent
sance du processus de travail» de l’indi-       plus importants que les différences. La
vidu, et non pas la technologie. Conformé-      base sur laquelle se fonde cette conclu-
ment au concept apparenté de «technolo-         sion est que la mondialisation du com-
gie anthropocentrique» (ou «technologie         merce contraint toutes les entreprises qui
centrée sur l’individu»), «ce n’est que lors-   veulent être compétitives sur les marchés
que les technologies autorisent le déve-        mondiaux à adopter des politiques de
loppement de capacités et d’aptitudes           ressources humaines ayant pour priorité
humaines qu’elles accèdent à la produc-         de satisfaire leurs objectifs immédiats en
tivité optimale» (Wobbe, 1990; p.␣ 11).         matière de performance commerciale. Cet
                                                accent mis sur les objectifs de perfor-
L’accent ainsi mis sur le rôle essentiel du     mance à plus ou moins court terme donne
travailleur qualifié (profession intermé-       naissance à une perspective contingente
diaire ou de type artisanal), investi d’un      et situationnelle des ressources humaines,
haut degré d’autonomie, d’autorité et de        qui correspond à la culture de l’entreprise
responsabilité, peut être considéré comme       «basée sur un projet» évoquée plus haut,
l’un des signes distinctifs des politiques      telle qu’elle est définie par Trompenaar.
européennes plus développées des res-
sources humaines. Le travailleur qualifié       En conformité avec cette approche, de
a ainsi un rôle bien clair d’acteur dans        nombreuses entreprises se considèrent
l’entreprise, un rôle qui se reflète dans       aujourd’hui comme des «réseaux sous
les rémunérations. Ce rôle est renforcé par     l’emprise du marché», plutôt que comme
une identité professionnelle issue de l’ap-     des organisations. Ces réseaux redéfinis-
partenance à un groupe professionnel et         sent en permanence leurs structures, of-
par l’insertion dans la société en général,     frant dans un environnement dynamique
ce que l’on a appelé la «citoyenneté in-        de marché des possibilités de travail basé
dustrielle». Mentionnant le contexte alle-      sur des projets. Nous vivons à l’ère du
                                                                                                Cedefop
                                                                                                  35
FORMATION PROFESSIONNELLE NO 26                   REVUE EUROPÉENNE

                                                    travailleur contingent, où les emplois se       ment. L’article indique alors que cette ten-
                                                    trouvent remplacés par des «projets». Au        dance vers le pouvoir des actionnaires est
                                                    Royaume-Uni, Brown et Keep (1999) sou-          le fait d’une nouvelle génération de diri-
                                                    tiennent que le «taylorisme» et le «néo-        geants convaincus que «les entreprises
                                                    taylorisme» continuent d’offrir un puissant     appartiennent aux actionnaires, pas aux
                                                    modèle d’avantage concurrentiel, notam-         patrons ou à la «société»». Si l’on excepte
                                                    ment dans le secteur des services. Dans         l’Allemagne, qui est une forteresse de
                                                    une vaste étude sur les entreprises manu-       l’économie sociale de marché européenne
                                                    facturières britanniques, Ackroyd et Proc-      classique, on constate que l’Europe tout
                                                    ter (1998, p.␣ 171, cités dans Brown et         entière a connu ces dernières années une
                                                    Keep, 1999) concluent que la rentabilité        flambée de fusions suite aux pressions des
                                                    n’est pas assurée par «l’acquisition d’un       actionnaires. La valeur des fusions et ac-
                                                    «noyau» de main-d’œuvre hautement qua-          quisitions en Europe s’est élevée pour
                                                    lifiée, mais par une combinaison de main-       1999 à 1200 milliards de dollars, soit une
                                                    d’œuvre relativement peu qualifiée et de        augmentation de 50␣ % par rapport à 1998
                                                    volonté de recourir à des sources exter-        et de 700␣ % par rapport à 1994 (source
                                                    nes de production».                             citée dans The Economist, 2000 – Thomp-
                                                                                                    son, Financial Securities Data).
                                                    En France, le jour même où le fabricant
                                                    de pneumatiques Michelin annonçait pour         Conformément à cette tendance, les poli-
                                                    le premier semestre 1999 un bénéfice net        tiques de «gestion des ressources humai-
                                                    de 292 millions d’euros, soit 17␣ % de plus     nes» sont guidées essentiellement par le
                                                    qu’un an auparavant, l’entreprise annon-        contexte situationnel de l’environnement
                                                    çait aussi qu’elle allait en Europe procé-      externe du marché. Cela implique d’adap-
                                                    der sur les trois années à venir à des ré-      ter les politiques de ressources humaines
                                                    ductions d’effectifs portant sur 7500 em-       pour qu’elles cadrent avec la stratégie de
                                                    plois. La Bourse de Paris a fait un accueil     l’entreprise. Les entreprises procèdent à un
                                                    euphorique à ces annonces. Le nouveau           «stockage» ou à un «déstockage» de com-
                                                    directeur financier a justifié l’opération de   pétences en fonction des exigences du
                                                    réduction des coûts en indiquant que les        marché. Conclusion logique, les ressour-
                                                    principaux rivaux du groupe avaient clai-       ces humaines sont un facteur contingent
                                                    rement annoncé leur ferme intention de          et instrumentaliste sans aucune valeur
                                                    s’implanter en Europe et qu’il voulait réa-     intrinsèque en elles-mêmes␣ (5). De ce fait,
                                                    gir par anticipation (International Herald      le «développement des ressources humai-
                                                    Tribune, 11-12 septembre 1999, p.␣ 11).         nes» en tant qu’activité distincte peut être
                                                    L’article continuait en indiquant qu’alors      ou non un élément de la politique de «ges-
                                                    que cette «entreprise familiale est             tion des ressources humaines», mais,
                                                    traditionnellement considérée comme             conformément au principe de la «flexibilité
                                                    paternaliste envers ses salariés et insen-      externe», les stocks de ressources humai-
                                                    sible vis-à-vis de ses actionnaires, trois      nes peuvent être renouvelés plus efficace-
                                                    mois après son entrée en fonctions, le          ment par un processus de recrutement à
                                                    nouveau président Édouard Michelin, 36          court terme «basé sur un projet», de sous-
                                                    ans, paraît impatient de rompre avec le         traitance de produits et services, de réduc-
                                                    style vieillot de gestion de son père           tion des effectifs, etc. Le concept d’«ingé-
                                                    François et d’introduire les pratiques com-     nierie des processus commerciaux»
                                                    merciales qu’il a apprises aux États-Unis».     (Hammer et Champy., 1993), qui implique
                                                                                                    de reconfigurer du jour au lendemain l’or-
                                                    C’est là un exemple du renforcement du          ganisation, et même l’ensemble de la fi-
                                                    «pouvoir des actionnaires» dans les entre-      lière des approvisionnements et des ven-
                                                    prises européennes, qui, selon un article       tes, sous le signe de la réduction des coûts
                                                    paru dans The Economist (2000), promet          et de la diminution des effectifs, fournit
                                                    de raviver le capitalisme européen. Les         un moyen de mettre en œuvre cette forme
                                                    critiques allemands de l’OPA hostile de         de «gestion des ressources humaines» que
( 5) Le «Directeur des ressources hu-               Vodafone sur Mannesmann début 2000 y            l’on peut qualifier d’approche «instrumen-
maines» d’une grande entreprise in-                 voient le premier coup sévère porté au          taliste et utilitariste».
ternationale, sacrifiant une bonne part             modèle bien établi du capitalisme rhénan,
de sa force de travail à une opération
de restructuration, qualifiait avec fa-             fondé sur un consensus et sur des liens         On parle à ce propos d’un modèle «dur»
cétie sa fonction de «Directeur des                 étroits entre les banques, l’économie, les      de développement des ressources humai-
reliquats humains»!                                 employeurs, les syndicats et le gouverne-       nes dérivé de la pensée taylorienne et
                                          Cedefop
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