Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun
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DOCUMENT DE POLITIQUE GÉNÉRALE Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun Steve Douanla Meli et Clément Nodem Meli Octobre 2021 / No.776 Résumé Cette étude analyse la contribution des femmes à la performance des entreprises camerounaises. Basée sur les données de l'enquête sur les entreprises camerounaises, réalisée en 2016 par le Groupe de la Banque mondiale, l'analyse se concentre sur trois niveaux dans les organisations : le niveau des employés, de la direction et, enfin, de la propriété de l'entreprise. La littérature existante sur le sujet soutient l'idée qu'il existe un effet simultané entre la présence de femmes à tous les niveaux dans l'entreprise et le rendement. Les résultats d'une régression linéaire révèlent un effet positif et significatif de la présence de femmes à des
2 Document de Politique Générale No.776 postes de direction sur la performance de l'entreprise mesurée par la croissance du chiffre d'affaires. En effet, une augmentation d'un point de pourcentage du nombre de femmes à la direction de l'entreprise contribue en moyenne à 61 % à l'amélioration du rendement de l'entreprise, mesuré par la croissance du chiffre d'affaires. Cependant, quelle que soit la mesure de performance adoptée, l'analyse ne révèle pas d'influence significative de la présence des femmes au niveau des employés sur la performance des entreprises camerounaises. Enfin, l'analyse des différences de performance entre les entreprises détenues par des femmes et celles détenues par des hommes indique un écart de performance, en moyenne de 2,2 % en termes de croissance du chiffre d'affaires, et en moyenne de 0,8 % en termes de croissance du nombre d'employés, en faveur des entreprises détenues par des femmes. Introduction et contexte À l'heure de la mondialisation, les entreprises se sentent concernées par, et sont même évaluées sur, l'interaction qu'elles entretiennent avec leur environnement. Le terme de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) prend de plus en plus d'importance : on parle des entreprises comme reflet de la société. Dès lors, la question de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est à juste titre au cœur des préoccupations des entreprises. En effet, plusieurs enquêtes empiriques, notamment dans les pays développés, se sont attachées à mettre en évidence les effets de l'égalité professionnelle à travers la participation des femmes à la prospérité des entreprises. Plus qu'une question d'éthique, l'égalité professionnelle est devenue un impératif pour la plupart des entreprises désireuses de prospérer dans un environnement concurrentiel. À cet égard, Burke et Davidson (1994) montrent que les entreprises qui réduisent les obstacles pour les femmes dans les affaires bénéficient d'avantages en termes de performance et de productivité accrues. Au-delà d'être un facteur de dynamisme social, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes peut être justifiée comme étant un enjeu économique et managérial. Cependant, la situation globale des femmes dans l'entreprise est encore bien pire que celle des hommes. En effet, il existe encore de nombreuses disparités entre les hommes, que ce soit au niveau des fonctions exercées, du secteur d'activité ou de la rémunération perçue. Selon le rapport 2016 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les tendances mondiales du travail des femmes, le taux d'emploi des femmes est encore nettement inférieur à celui des hommes : Près de 72 % des hommes ont un emploi, contre seulement 46 % des femmes. Ces dernières sont fortement représentées dans le travail indépendant (notamment le travail familial) et dans les emplois informels, caractérisés par de faibles salaires. Contrairement aux hommes, elles travaillent principalement dans le secteur des services où, depuis 1995, leur taux d'activité a sensiblement évolué, passant de 41,1 % à 61,5 %, ainsi que dans le secteur de la santé et de l'éducation, qui emploie près d'un tiers des femmes sur le marché du travail.
Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun 3 Ces disparités sur le marché du travail sont encore plus prononcées si l'on considère les pays africains. En Afrique subsaharienne, par exemple, il existe un écart global de 17 points de pourcentage entre le taux de participation à la population active des femmes et celui des hommes, soit 5 3 % et 70 % respectivement (Banque mondiale, 2015). Au Cameroun, les résultats du deuxième Recensement général des entreprises (RGE-2) réalisé en 2016 par l'Institut national de la statistique (INS) indiquent que, par rapport aux hommes, les femmes sont toujours moins nombreuses à être employées dans les entreprises. En effet, seulement 43 % des femmes sont employées dans des entreprises, et seulement 44 % d'entre elles occupent un emploi permanent. Cette différence de participation est également perceptible si l'on considère la taille des entreprises : elles sont encore peu représentées dans les grandes entreprises (on compte deux employés masculins pour une femme dans les grandes entreprises contre près d'un homme pour une femme dans les très petites entreprises). Un regard sur l'entrepreneuriat permet d'insister un peu plus sur les disparités sexospécifiques dans les entreprises camerounaises (62,8 % des entreprises sont créées par des hommes contre seulement 37,2 % par des femmes), ainsi que sur une analyse du niveau de direction des entreprises (57,3 % des entreprises sont dirigées par des hommes contre 42,7 % par une femme). Les attitudes et les pratiques sexospécifiques sur le marché du travail au Cameroun sont ancrées dans un système patriarcal traditionnel qui nuit à l'avancement de l'activité économique des femmes. En effet, bien que les tendances de l'emploi des femmes se soient quelque peu améliorées (RGE -2), les charges sociologiques et culturelles relèguent toujours les femmes camerounaises au second plan en réduisant leurs activités, le plus souvent pour remplir des obligations familiales et en raison des contraintes liées à la maternité (Cloutier, 2010). Les préjugés, les traditions et les coutumes limitent encore l'emploi des femmes dans les entreprises et leur promotion à des postes de direction. Au-delà de ces barrières socioculturelles, il existe également des barrières économiques, notamment le manque de fonds propres et le manque d'accès au crédit institutionnel, qui limitent encore fortement l'entrepreneuriat des femmes au Cameroun. Ces barrières témoignent amplement de la persistance des disparités de participation par genre au marché du travail au Cameroun. Et ce, malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics en faveur de l'égalité des genres et de la promotion des femmes en vue d'atteindre non seulement les Objectifs du Millénaire pour le Développement 1 et 3 (OMD), mais plus généralement les Objectifs 5 et 101 des Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l'Assemblée générale des Nations Unies, visant à assurer l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans tous les secteurs, et dans le domaine de l'emploi. 1 ODD 5 : Parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles. ODD 10 : Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre.
4 Document de Politique Générale No.776 Malgré l'existence d'un ensemble de mécanismes juridiques et réglementaires, constitués non seulement de la législation nationale, mais aussi d'instruments juridiques internationaux et régionaux visant à promouvoir et à protéger les droits des femmes sur le marché du travail, l'égalité professionnelle reste un véritable défi pour les autorités camerounaises, qui continuent néanmoins de développer des stratégies visant à encourager une participation beaucoup plus importante des femmes sur le marché du travail. C'est dans cette optique qu'un plan d'action pour le développement de l'entreprenariat féminin (PAN-DEV) sera publié, sous l'égide du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille (MINPROFF). Ce plan d'action s'articulera autour de plusieurs axes, notamment : encourager la création d'entreprises par les femmes, faciliter leur accès aux ressources, ou encore leur garantir l'accès à la formation et au marché. Cette stratégie gouvernementale s'est traduite non seulement par la création d'un ministère des Petites et moyennes entreprises, de l'économie sociale et de l'artisanat qui, dès sa création, s'est engagé à faire de l'entrepreneuriat féminin un des piliers de la stratégie de développement du secteur privé dont la contribution à la croissance économique n'est plus à démontrer. Il a également conduit à la décision de créer deux banques publiques, notamment la Cameroon Rural Financial Corporation (banque agricole) et la Banque camerounaise des petites et moyennes entreprises (PME), dont le rôle est de promouvoir l'accès au financement des PME et des activités génératrices de revenus financiers. En plus de ces structures gouvernementales, des structures informelles telles que l'entourage familial de la promotrice, les tontines (village, entreprise, ou amis), l'environnement professionnel (tels que les collègues, les clients, et les fournisseurs), contribuent à soutenir l'entreprenariat féminin au Cameroun (Nkakleu et al., 2010). Cependant, force est de constater que si certaines mesures gouvernementales tardent à se mettre en place, à l'instar de la Société financière rurale du Cameroun qui n'a été créée que plusieurs années après la décision de l’établir, d'autres ont des résultats mitigés : par exemple, la Banque camerounaise des PME qui, bien que fonctionnelle depuis 2015, peine encore à remplir son rôle premier de financement de l'activité des PME, les femmes étant principalement responsables du développement des PME dans le contexte camerounais. Toutes ces lacunes mettent en évidence l'inefficacité des différentes stratégies entreprises par les pouvoirs publics. En outre, à l'instar du cas des femmes entrepreneures présenté par Lee-Gosselin et al. (2010), les femmes entrepreneures camerounaises ont tendance à percevoir les programmes gouvernementaux comme étant administrativement lourds, ce qui les décourage de s'y intéresser. De plus, elles estiment que ces programmes ne répondent pas suffisamment à leurs demandes et que les délais pour répondre à leurs exigences sont parfois trop longs. Enfin, ces programmes ne cibleraient pas adéquatement leurs besoins en matière d'accès au financement, à la formation et à l'information et seraient inadaptés aux PME qu'elles détiennent ou gèrent majoritairement.
Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun 5 Selon Kamdem (2011), deux facteurs principaux peuvent caractériser le soutien aux entreprises féminines au Cameroun : Le premier concerne l'importance considérable que les femmes promotrices accordent aux structures et aux réseaux locaux (tels que les amis et connaissances membres des tontines) ; le second souligne la prédominance des structures d'appui informelles sur les structures formelles. Le contexte actuel semble s'éloigner progressivement du modèle patriarcal traditionnel qui favorise l'exclusion des femmes de l'activité économique. Selon le dernier Recensement Général de la Population et de l'Habitat (RGPH-2005), les femmes représentent plus de la moitié de la population camerounaise (49 % d'hommes et 51 % de femmes). La non-intégration de ces dernières dans l'activité économique peut donc représenter un obstacle majeur au développement et au progrès social dans un environnement économique caractérisé par des changements permanents. Il devient donc nécessaire de considérer la contribution des femmes à la performance des entreprises dans un contexte camerounais. Cette étude examine la question de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans les entreprises, et les conséquences organisationnelles en termes de performance, en se focalisant exclusivement sur les entreprises camerounaises où la contribution des femmes est significative compte tenu de la place particulière qu'elles occupent dans le développement de l'entreprise. Pour ce faire, la question suivante est posée : Le travail des femmes, peut-il améliorer les performances des entreprises au-delà des considérations sociales ? En d'autres termes, la présence des femmes dans les entreprises, est-elle un facteur/moteur de performance ? Tout au long de cette analyse, la présence des femmes est assimilée, comme dans plusieurs études qui seront présentées ici, au rôle qu'elles jouent dans l'entreprise, c'est-à-dire au travail qu'elles effectuent pour améliorer la performance des entreprises. L'analyse de l'influence de la présence des femmes dans les entreprises camerounaises porte sur trois niveaux de participation, dont le premier se situe au niveau des travailleurs employés dans les entreprises. La relation entre la proportion de femmes dans les entreprises (taux de féminisation des entreprises) et la performance de ces entreprises est explorée. Une telle analyse conduit à une analyse différente de celles qui comparent les entreprises mixtes, celles qui ont la même proportion d'employés masculins et féminins, avec les entreprises non mixtes ou les entreprises dans lesquelles l'un des groupes est surreprésenté. Au niveau de la direction, on s'interroge sur la relation entre la présence des femmes à la direction de l'entreprise et la performance de celle-ci. Un tel questionnement conduit à une explication des effets du plafond de verre sur la performance des entreprises camerounaises. Enfin, au niveau de la création d'entreprise une enquête est en cours puisque l'émergence du potentiel entrepreneurial des femmes camerounaises est encore ralentie par l'existence d'un certain nombre d'obstacles, notamment le manque d'accès aux ressources pour les femmes entrepreneures, et plus précisément, leur manque d'accès aux mécanismes financiers formels (BAD/BIT, 2009). Même au niveau international, la
6 Document de Politique Générale No.776 difficulté d'accès aux ressources parmi les femmes entrepreneures semble être aiguë (Brush et al., 2010). Une telle enquête permet non seulement d'expliquer la faible performance des entreprises détenues par les femmes, mais aussi de saisir l'impact des politiques mises en œuvre par les autorités pour promouvoir l'entrepreneuriat féminin au Cameroun. Suite à la question de recherche principale, les questions secondaires suivantes se posent : 1 Quelle influence la proportion de femmes dans la main-d'œuvre a-t-elle sur la performance des entreprises ? 2 Quelle influence la présence des femmes aux postes de direction a-t-elle sur la performance des entreprises ? 3 Existe-t-il des différences de performance entre les entreprises appartenant à des femmes et celles détenues par des hommes ? Outre la nécessité d'agir pour promouvoir l'égalité professionnelle et de favoriser un meilleur accès de la main d'œuvre féminine aux organisations, l'un des défis de la présence des femmes dans les entreprises est politique ; les disparités persistantes entre hommes et femmes sur le marché du travail remettent en cause les fondements mêmes de la démocratie et porte atteinte à ses principes fondateurs, à savoir la liberté et l'égalité. Cela pose un problème sociétal majeur, car cet état de fait ternit la crédibilité des institutions. Le deuxième défi, et l'un des plus importants, est d'ordre économique. Il est important de mentionner que l'absence de politiques d'égalité sur le marché du travail a des effets économiques considérables, même si ceux-ci sont parfois difficiles à mesurer. Elle entraîne des coûts économiques et sociaux substantiels, un surinvestissement des personnes dans la recherche d'un emploi, découragement ou investissement insuffisant dans le capital humain des femmes, et un surinvestissement des entreprises dans la recherche de main-d'œuvre qualifiée. Cette étude est entreprise dans une perspective à la fois théorique et empirique. Selon les théories sexospécifiques des organisations, la présence des femmes a un impact significatif sur la performance d'une entreprise et peut être à la fois positif et négatif. La motivation empirique vient de l'attention croissante portée à la composition par sexe de la main-d'œuvre, des cadres, et même des conseils d'administration des entreprises. La proportion de femmes employées par les entreprises, y compris celles qui occupent des postes de direction, est encore très faible dans la plupart des pays en développement. Certains pays, comme le Cameroun, mettent en place des mécanismes ou des actions pour faciliter l'entrée des femmes dans les entreprises et, plus généralement, l'entrepreneuriat féminin. Par conséquent, s'il peut être démontré statistiquement qu'un plus grand nombre de femmes à tous les niveaux
Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun 7 de l'entreprise camerounaise a des effets positifs sur la performance, il peut y avoir un argument solide pour avoir plus de femmes dans les affaires. Notre enquête sur les femmes travaillant dans les entreprises est donc menée sous l'angle de leur contribution à la performance des entreprises camerounaises. Par conséquent, l'objectif principal de cette étude est d'analyser empiriquement le lien entre la présence des femmes dans les entreprises camerounaises et leur performance Plus précisément, les objectifs consistent à analyser les: 1 effets sur les performances de la présence des femmes dans la main-d'œuvre employée par les entreprises ; 2 effets sur les performances de la présence de femmes dans la direction des entreprises ; et 3 écarts de performance entre les entreprises appartenant par des femmes et celles appartenant par des hommes. Source des données La principale source de données utilisée dans cette étude provient de l'Enquête auprès des entreprises (ES), qui a été menée en 2016 auprès des entreprises camerounaises par le Groupe de la Banque mondiale et ses partenaires. Elle consiste en un échantillon représentatif de 361 entreprises non-agricoles, privées et d'économie formelle situées dans les régions centrale, côtière et occidentale. Basée sur un questionnaire administré aux propriétaires et aux cadres supérieurs des entreprises, l'enquête fournit des informations sur plusieurs aspects de l'environnement des affaires. Ces informations sont tant bénéfiques qu'utiles aux entreprises qui jouent un rôle déterminant dans la prospérité ou non du secteur privé de l'économie camerounaise. En général, les questions contenues dans l'enquête visent à répondre aux préoccupations concernant les infrastructures, les finances, le commerce, les réglementations, les taxes et les licences commerciales, la corruption, l'informalité, l'accès au financement, l'innovation, ainsi que le travail et la perception des obstacles à la conduite des affaires. Plus précisément, la couverture sectorielle comprenait le secteur manufacturier et la plupart des entreprises du secteur des services. Les entreprises des secteurs des services publics, des soins de santé, des services financiers et des administrations publiques n'ont pas été incluses. La taille des entreprises est déterminée par le nombre d'employés : Cinq (5) à 19 employés pour les petites entreprises (PE), 20 à 99 pour les moyennes entreprises (ME), et 100 ou plus pour les grandes entreprises (GE). Les
8 Document de Politique Générale No.776 entreprises comptant moins de cinq employés n'ont pas été incluses dans l'enquête. Ne pas considérer ces très petites entreprises est limitatif quand on sait que le tissu productif camerounais est marqué par une prédominance d'entreprises employant trois personnes au plus (RGE-2, 2016). L'ES a également collecté des informations sur les caractéristiques des entreprises, notamment l'âge mesuré par les années d'emploi, et des informations sur la participation des femmes à l'emploi à différents niveaux dans les entreprises. Conformément aux mesures adoptées dans la littérature, la participation des femmes a été enregistrée par le pourcentage de femmes employées dans les entreprises, le pourcentage de femmes occupant des postes de direction et le pourcentage de femmes propriétaires d'entreprises. Les informations sur la main-d'œuvre concernent le nombre d'employés permanents à temps plein, le nombre d'employés temporaires à temps plein et le nombre d'employés par sexe. L'ES fournit de nombreuses informations sur les postes occupés par des femmes dans les entreprises, y compris le nombre d'employées permanentes à temps plein et le nombre d'employées temporaires ou saisonnières. De même, les questions relatives au sexe du chef d'entreprise et du propriétaire de l'entreprise permettent de calculer le pourcentage de femmes cadres et propriétaires d'entreprise. Pour évaluer la performance des entreprises, l'ES offre la possibilité de calculer des mesures de performance pour chaque entreprise à partir des réponses aux questions concernant les ventes annuelles et le nombre total d'employés permanents à temps plein dans les entreprises. Elle nous permet donc de mesurer cette performance à travers deux indicateurs pertinents : le taux de croissance annuel du nombre d'employés et le taux de croissance annuel des ventes réelles (croissance du chiffre d'affaires). En effet, les questions sur le nombre d'emplois permanents à temps plein et le chiffre d'affaires annuel réalisé non seulement pendant l'exercice en cours, mais aussi pendant l'exercice 2013 (soit près de trois ans avant l'enquête), permettent de calculer la croissance des emplois permanents à temps plein et du chiffre d'affaires. Concernant l'accès aux ressources financières, l'ES fournit des informations sur les sources de financement des entreprises ainsi que sur les caractéristiques de leurs transactions financières. L'enquête a également pris en compte de nombreux autres facteurs, notamment les infrastructures physiques (telles que l'accès à l'électricité, à l'eau et aux télécommunications) ; la criminalité (vol, incendie criminel ou vandalisme) et l'informalité (pourcentage d'entreprises confrontées à la concurrence d'entreprises non enregistrées et pourcentage d'entreprises actuellement enregistrées qui ont commencé leurs activités en étant formellement enregistrées) ; ou les obstacles à l'environnement des affaires (tels que la durée d'obtention d'un permis d'exploitation, la durée des coupures de courant et la corruption).
Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun 9 Conclusion et recommandations politiques Dans cette étude, nous nous sommes proposé d'analyser le lien entre la présence des femmes dans les entreprises camerounaises et leur performance. Nous avons d'abord proposé d'analyser les effets sur la performance des entreprises de la présence des femmes dans la population active. Ensuite, nous avons analysé les effets sur la performance des entreprises dus à la présence des femmes dans la direction, et enfin, nous avons analysé les différences de performance entre les entreprises détenues par des femmes et celles détenues par des hommes. Les résultats révèlent que, quelle que soit la mesure de la performance, la variable proportion de femmes n'est pas significative. En d'autres termes, la présence des femmes dans la main-d'œuvre n'affecte pas la performance des entreprises camerounaises. Concernant l'effet sur la performance d'une présence féminine au niveau de la direction de l'entreprise, l'analyse ne révèle pas que la variable pourcentage de femmes dans la direction exerce une influence positive et significative sur la performance des entreprises lorsque celle-ci est mesurée par la croissance du chiffre d'affaires. En d'autres termes, outre l'importance relativement faible des femmes dans la gestion des entreprises, l'analyse montre que la présence des femmes dans la gestion des entreprises camerounaises améliore de 61 %, en moyenne, le niveau de performance des entreprises en termes de croissance du chiffre d'affaires. Cependant, cette relation n'est pas observée lorsqu'on mesure la performance des entreprises par la croissance des employés. L'analyse révèle que la variable pourcentage de femmes dans la gestion des entreprises n'a pas d'influence significative sur la performance lorsqu'elle est mesurée par la croissance de l'emploi. Enfin, l'analyse de l'écart de performance entre les entreprises détenues par des femmes et celles détenues par des hommes révèle un écart de performance tant en termes de chiffre d'affaires que de croissance des effectifs en faveur des entreprises détenues par des hommes. En effet, si l'on considère la différence de performance en termes de chiffre d'affaires, on constate que la valeur attendue du taux de croissance du chiffre d'affaires des entreprises détenues par des hommes est de 15 % contre 23 % pour les entreprises détenues par des femmes. Ceci révèle un écart de 8 % entre les deux catégories d'entreprises. Cela reflète la différence de performance en faveur des entreprises détenues par des femmes, principalement due à la différence de dotations entre les femmes et les hommes propriétaires. Ce résultat suggère qu'en ajustant le niveau de dotation des hommes propriétaires à celui des femmes, le chiffre d'affaires des entreprises détenues par des hommes augmenterait de 2 %. Cette analyse révèle également un écart de performance en termes de croissance du nombre d'employés en faveur des entreprises détenues par des femmes, bien que cette différence de performance soit très faible (0,8 % de différence entre les deux catégories d'entreprises).
10 Document de Politique Générale No.776 Suite aux résultats obtenus lors de nos différentes analyses, quelques recommandations devraient être faites non seulement aux pouvoirs publics, mais aussi aux associations patronales. Il s'agit d'encourager les femmes à accéder aux entreprises camerounaises, à les posséder et à les gérer, en intégrant les organes de décision. Pour y parvenir, il appartient au gouvernement de renforcer l'éducation et la formation des femmes. En effet, les schémas éducatifs traditionnels au Cameroun n'exposent toujours pas les femmes et les filles aux connaissances modernes. Leur niveau d'éducation s'avère faible par rapport à celui des hommes, ce qui limite davantage leur recrutement et leur ascension dans les entreprises. Un regard sur les statistiques de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) de 2016 fournit suffisamment d'informations sur la sous-scolarisation des filles : près de 70 % des jeunes filles souffrent encore d'analphabétisme au Cameroun. La principale raison de cette sous-scolarisation résulte de la pauvreté, des normes culturelles ou encore de l'alphabétisation des parents. Le renforcement des capacités des femmes par l'alphabétisation, l'éducation formelle et la formation peut donc leur permettre d'être mieux armées pour contribuer activement, au même titre que les hommes, aux activités et aux débats stratégiques au sein des entreprises. En conséquence, les entreprises comprendront mieux les attentes et les préférences des femmes. Cela leur permettra de développer leurs capacités de leadership. Cette première recommandation peut donc se traduire par les actions suivantes : Premièrement, la sensibilisation aux questions de genre. Celle-ci concerne principalement les parents, les leaders communautaires, les enseignants et les apprenants (filles et garçons) dans le but de les sensibiliser à l'importance cruciale d'aider ou d'encourager l'accès des filles à l'éducation. Deuxièmement, la création de mesures incitatives visant non seulement à limiter le taux d'abandon scolaire des filles, mais aussi à réduire les coûts directs de l'éducation, qui limitent encore la formation des filles. Il peut s'agir de mesures encourageant la discrimination positive à l'égard des filles, comme l'attribution de prix aux meilleures apprenantes ou à celles qui viennent régulièrement à l'école ; l'octroi d'allocations aux filles scolarisées ; des programmes de bourses ou d'aides financières pour ces filles (par exemple le Programme Female Secondary School Stipend initié au Bangladesh, qui a permis à plus de deux tiers des filles d'accéder à l'enseignement secondaire) ; ou encore la mise en place de parrainages pour les filles apprenantes comme stratégie pour les maintenir à l'école et les dissuader d'abandonner les études. Le renforcement de l'éducation et de la formation des femmes peut enfin passer par la modernisation du matériel pédagogique. Il s'agit de mettre à la disposition des écoles du matériel pédagogique non-sexiste. En d'autres termes, des programmes et des manuels qui ne présentent pas seulement les filles et les femmes dans des rôles traditionnels, mais qui les encouragent à s'engager dans diverses carrières et à participer activement à la vie de la société.
Le Genre et la Performance des Entreprises au Cameroun 11 Il s'agit également pour les pouvoirs publics d'encourager et de soutenir l'entrepreneuriat féminin au Cameroun en incitant les femmes à développer leurs capacités. Il s'agit de donner aux femmes les moyens d'assumer des responsabilités au même titre que les hommes. Mieux encore, créer un cadre de « discrimination positive » en faveur des femmes, pour permettre la création d'entreprises. Cette mesure peut se traduire par la mise en place d'incitations telles que des avantages fiscaux, l'accès à la protection sociale, des contributions financières pour encourager les femmes à créer des entreprises. Il peut également s'agir d'organiser des réunions pour informer et sensibiliser les femmes sur les différents statuts de l'entreprise, les procédures de sa création et de son enregistrement. Concernant l'accès au financement : Cette mesure peut être mise en œuvre non seulement en améliorant l'information des femmes entrepreneures sur les sources de financement existantes, en mettant en place des mécanismes ou des programmes spécifiques de financement des entrepreneures avec des modalités de paiement et de remboursement adaptées à leurs besoins, mais aussi en créant des fonds pour financer les projets des femmes, comme un fonds de démarrage accordé sous forme de prêt remboursable sans intérêt. Enfin, sur l'accès aux services et programmes de soutien au développement des entreprises : Il s'agit d'encourager spécifiquement la participation des femmes entrepreneures (commerçantes individuelles et très petites entreprises dirigées par des femmes) aux différents programmes et services d'appui au développement des entreprises, par exemple en prenant en charge leurs frais de déplacement. Il s'agit également d'axer les activités des services d'appui au développement des entreprises sur un soutien répondant aux besoins spécifiques des entrepreneures, sur des formations techniques intégrant des méthodes pédagogiques adaptées, et sur la mise en réseau professionnelle pour sensibiliser les femmes aux opportunités d'affaires et aux droits et réglementations. Enfin, il appartient aux associations patronales ou aux syndicats d'éduquer les chefs d'entreprise et leur réseau sur l'autonomisation des femmes. Car la faible représentation de celles-ci dans les cœurs des organes de gestion, de direction et d'exécution peut entraîner un manque à gagner pour les entreprises camerounaises. En effet, par leur nombre (près de 51 % de la population totale selon le Bureau central des recensements et études démographiques, 2010), les femmes représentent une main-d'œuvre potentielle importante qui pourrait être bénéfique pour les entreprises. Il s'agit donc de revaloriser le rôle des femmes et de les considérer comme une force potentielle au service des entreprises. Cette étude comporte quelques limites qui méritent d'être soulignées. La première limite concerne la constitution de l'échantillon (361 entreprises), ce qui réduit sa portée et ne permet pas la généralisation et la transposition des résultats. S'agissant principalement du contexte camerounais, il serait judicieux d'élargir l'échantillon
12 Document de Politique Générale No.776 et d'inclure dans l'analyse toutes les entreprises qui n'apparaissent pas dans l'économie formelle, privée et non agricole. Cela pose évidemment le problème de l'accessibilité aux données, qui n'est pas garantie. La deuxième limite tient au fait que les très petites entreprises (employant moins de cinq personnes) ne sont pas prises en compte dans la collecte des données ; ces entreprises sont majoritairement représentées au Cameroun et sont principalement détenues/gérées par des femmes. En effet, l'exclusion de cette catégorie d'entreprise permet non seulement de réduire l'échantillon de l'étude, mais aussi de réduire l'analyse et l'impact des femmes sur la performance des entreprises. Bibliographie Adams, R.B. and D. Ferreira. 2009. “Women in the boardroom and their impact on governance and performance”. Journal of Financial Economics, 94(2): 291–309. Ahern, K. and A. Dittmar. 2012. “The changing of the boards: The impact on firm valuation of mandated female board representation”. The Quarterly Journal of Economics, 127(1): 137–97. Anna, A., G. Chandler, J. Erik and N.P. Mero. 2000. “Women business owners in traditional and non-traditional industries”. Journal of Business Venturing, 15(3): 279–303. Banque Africaine de Développement et du Bureau International du Travail. 2009. “Les facteurs qui affectent la croissance des entreprises féminines. Le cas du Cameroun”. Rapport, (BAD/ BIT). Genève. 2009. Belghiti-Mahut, S. and A-L. Lafont. 2010. “Lien entre présence des femmes dans le top management et performance financière des entreprises en france”. Gestion 2000, 27(5): 131–146. Brush, C., de Bruin, A., Gatewood, E. and Henry, C. 2010. “Introduction: women entrepreneurs and growth”, in Brush, C., de Bruin, A. and Elizabeth, J. (Eds), Women Entrepreneurs and the Global Environment for Growth, Edward Elgar, Cheltenham, 1–19. BUCREP. 2010. “Analyse du Recensement Général de la Population et de l’Habitat du Cameroun de 2005”, Tome 2 : Scolarisation –Instruction-Alphabétisation. Yaoundé: BUCREP, 204. Burke, R. and M. Davidson. 1994. Women in Management: Current Research Issues, Chapter 1. London: Paul Chapman. Buttner, H.E. and D.P. Moore. 1997. “Women’s organizational exodus to entrepreneurship: Self- reported motivations and correlates with success”. Journal of Small Business Management, 35(1): 34–46. Campbell, K. and A. Minguez-Vera. 2008. “Gender diversity in the boardroom and firm financial performance”. Journal of Business Ethics, 83: 435–51. Carter D.A., F. D’Souza, B.J. Simkins and W.G. Simpson. 2010. “The gender and ethnic diversity of US boards and board committees and firm financial performance”. Corporate Governance: An International Review, 18(5): 396–414. Cloutier, L. 2010. “L’évolution de la qualité de l’emploi des femmes et des hommes au Québec entre 1997 et 2007: l’ascenseur de la scolarisation et le fardeau des responsabilités familiales”. Thèse de PhD. en sciences humaines appliquées, Université de Montréal, Canada.
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Document de Politique Générale No.776 Mission Renforcer les capacités des chercheurs locaux pour qu'ils soient en mesure de mener des recherches indépendantes et rigoureuses sur les problèmes auxquels est confrontée la gestion des économies d'Afrique subsaharienne. Cette mission repose sur deux prémisses fondamentales. Le développement est plus susceptible de se produire quand il y a une gestion saine et soutenue de l'économie. Une telle gestion est plus susceptible de se réaliser lorsqu'il existe une équipe active d'économistes experts basés sur place pour mener des recherches pertinentes pour les politiques. www.aercafrica.org/fr Pour en savoir plus : www.facebook.com/aercafrica www.instagram.com/aercafrica_official/ twitter.com/aercafrica www.linkedin.com/school/aercafrica/ Contactez-nous : Consortium pour la Recherche Économique en Afrique African Economic Research Consortium Consortium pour la Recherche Économique en Afrique Middle East Bank Towers, 3rd Floor, Jakaya Kikwete Road Nairobi 00200, Kenya Tel: +254 (0) 20 273 4150 communications@aercafrica.org
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