LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
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LE MOT DU PRÉSIDENT
Chers sociétaires, chers amis,
Nous traversons une période qui suscite
vos interrogations, voire vos inquiétudes
légitimes. La Justice a tranché en
première instance, nous obligeant à
procéder à de nouvelles élections qui
se tiendront à la rentrée. Vous voterez
pour de nouveaux administrateurs dans
le seul intérêt de notre association.
L’affaire se résume à cela, si l’on est
pragmatique. Comme le disait en son
temps le président Chirac : « dans la vie, il
y a des hauts et des bas. Il faut surmonter
les hauts et repriser les bas ».
L’arbre ne doit pas pour autant,
cacher la forêt. Depuis sa création
notre association a connu bien des
tempêtes et en traversera d’autres. Pour
l’heure, d’une santé financière des plus
florissantes, elle est armée pour affronter
un typhon ! Ajoutons à cela nos valeurs
humaines, celles de la fraternité et de
la solidarité qui nous permettent d’aller
toujours plus loin. La raison pour laquelle
j’ai souhaité, lors de notre dernier Conseil
d’Administration, vous parler avec cœur de la passion commune de l’excellence.
ou emportement comme je sais le faire, Celui de Cédric et Christelle Deckert,
de ces valeurs que nous devons défendre d’Éric et Marilyn Girardin, de Lisa et
et mettre en avant. Cela au nom de notre Léo Troisgros. L’union fait la force. La
bienfaiteur, Léopold Mourier. Mais aussi fraternité est son pareil.
de la réussite de nos actions imaginées,
décidées, et menées collectivement Votre bien dévoué
pour préserver l’esprit et la finalité des
Cuisiniers de France. L’avenir galopant Philippe Renard
de notre jeunesse nous invite à la
transmission de notre expérience, et
le devenir de notre association à une
gestion rigoureuse et réfléchie.
Ce numéro 938 de la Revue Culinaire
tombe à point nommé. C’est un
hommage que nous rendons à l’union,
fusionnelle, providentielle du couple.
Celui de Marielle et Dimitri Droisneau qui
ont su faire de leur Villa Madie un temple
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 1
938.indd 1 21/06/2022 19:00Sommaire
N° 938
JUILLET / AOÛT 2022
4
EN COUVERTURE
Marielle et Dimitri Droisneau,
- Anti-stars, trois étoiles
- Le goût des autres,
le bonheur d’apprendre
- Paroles de chefs
28
VALEUR SÛRE
Cédric Deckert
p.4 p.28 40
INSTITUTION
Éric Girardin
50
TENDANCE CHAMPÊTRE
Léo Troisgros
60
BISTRONOMIE
Lydie et Nello Di Meo
70
FLEURS ET HERBES
AROMATIQUES
Thibaud et Clément Chevet
76
ON EN PARLE
M.O.F.
p.40 p.50 80
BISTRONOMIE
Huîtres Coudin
84
VIE DE LA SOCIÉTÉ
- Trophée de pétanque
- Assiette d’or
92
HOMMAGE
- Guy Chere
- Serge Cancè
92
LIVRES
p.60
p.68 p.70
Cédrick Deckert
Marielle et Dimitri
Le retour de la cuisine
de haut goût
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 3
Éric Girardin
« Artisan -artiste »
du végétal Droisneau
Anti-stars, trois étoiles
En couverture, Marielle et Dimitri Droisneau, © Evan De Sousa
Léo Troigros
Le repas pastoral
La Revue Culinaire n°938
a son berger
Lydie et Nello Di Méo
La belle aventure
du Cherche Midi
Bimestriel n° 938, juillet/août 2022 - 10€50
LRC937_P001-004_CV copie.indd 1 21/06/2022 18:34
938.indd 3 21/06/2022 19:01Marielle et Dimitri Droisneau.
La Villa Madie. Promontoire entre terre,
ciel et mer, dernière et sublime étape de la
réussite d’un couple. Et leur royaume. À ses
pieds, la Méditerranée et, soutenant le bleu
du ciel de sa solide épaule, le Cap Canaille,
cap souverain culminant à 394 mètres que
Louis XIV estimait comme le plus bel
escarpement de son royaume de France.
Ne manquent, dans le ciel de ce décor de
rêve, que les trois étoiles, parmi tant d’autres,
éclipsées le jour par le Roi Soleil.
4 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 4 21/06/2022 19:01En couverture
Marielle et Dimitri Droisneau
Anti-stars, trois étoiles
La consécration de Marielle et Dimitri Droisneau, côte à côte, le 22
mars dernier à Cognac sur la demande expresse du guide Michelin,
braque les projecteurs sur l’importance du couple dans la quête du
Graal, jusque-là restée dans l’ombre. Trois étoiles, une couverture pour
deux, pour mettre en lumière une ascension à quatre mains. Unies par
le même souci de l’excellence et de l’humilité, prônant conjointement
l’élégance de la simplicité et de la fluidité.
Pour la première fois dans la longue histoire du guide –, elle entre de plain-pied dans la haute sphère de la
rouge, un chef et son épouse sont nommément ré- gastronomie chez Michel Bras ** à Laguiole…
compensés de la distinction suprême. Au-delà de la Enfin plus précisément chez Ginette et Michel Bras,
consécration professionnelle, la couronne « à deux tant l’esprit familial et l’art de recevoir et ‘d’être’ avec
têtes » coiffant Marielle et Dimitri Droisneau décernée simplicité la marqueront durablement. Puis Eugé-
par Bibendum revêt une dimension qu’aura négligé nie-les-Bains, chez Michel Guérard. Enfin, là encore,
de relever la presse dans son ensemble. Et pourtant, plus précisément chez Christine et Michel Guérard,
elle désigne l’importance du couple dans la réussite qui ont fait des Prés d’Eugénie*** un royaume gour-
d’une quête vers l’excellence. mand et champêtre atypique, un « petit palais de cam-
Autre temps, autres mœurs. En 1933 – année de la pagne », le leur, celui d’un couple fusionnel. Enfin
création des trois étoiles –, Fernand Point reçut le Marc Veyrat, le « Chef de
Graal pour sa Pyramide à Vienne. Aujourd’hui, Mado, l’extrême » comme elle le « Esprit familial
son épouse, surnommée alors la « Prêtresse des Deux surnomme, à La Ferme de et art de recevoir »
Mondes » pour son art de l’accueil au-dessus de tout Mon Père*** à Megève et à
éloge, aurait partagé cette gloire. De même que Ma- l’Auberge de l’Éridan*** à Veyrier-du-Lac, dirigée par
dame Raymonde aurait été associée à celle de Mon- Hervé Audibert. Puis l’exil, faisant l’impasse sur Paris,
sieur Paul qui, tandis qu’il était aux fourneaux, servait étape urbaine ne lui paraissant pas capitale pour le
en salle, tablier noué et crayon derrière l’oreille pour bagage de l’art de la salle qu’elle se construit pour en
prendre les commandes. tirer la substantifique moelle. Plutôt l’Angleterre. Pas
… Et écrire l’histoire de l’Auberge de Collonges à Londres, bien sûr, mais Hambleton Hall à Oakham
quatre mains, comme le rappelle Pierre Orsi, parmi les l’une des plus célèbres country-house d’outre-Manche,
apprentis historiques, n’oubliant jamais de souligner le entreprise familiale depuis 1881, Relais & Châteaux*.
rôle de son épouse dans cette réussite légendaire. De So chic ! So British ! mais toujours country comme
même que Marielle n’omet jamais de mentionner com- Bras, Guérard et Veyrat… Enfin, avant le retour en
bien Ginette et Michel Bras ont marqué son parcours. France, l’Espagne. Et l’un de ses chefs les plus charis-
matiques, Ola Martin Barasetegui, troisième au hit-pa-
Ginette et Michel Bras rade des collectionneurs d’étoiles Michelin – 12 à ce
jour au total –, ce qui n’écorne en rien sa modestie : «
Passion, talent, humilité… » souligne le commentaire
C’est en 2004 que Marielle, fille d’agriculteurs à La du guide rouge.
Serre, petit village de l’Aveyron rencontre Dimitri à la
Réserve de Beaulieu**. Schéma classique, lui en cui-
sine, elle en salle, bien qu’elle songea, un moment, aux
Marielle & Dimitri
fourneaux. Ils se découvrent très vite un point com-
mun : leur appétit prononcé pour les tables étoilées. Humilité, modestie… la prédestinant à rencontrer
BTH et BTS hôtellerie en poche et stages accomplis – Dimitri, modèle du genre, intégrant la Réserve de
cuisine et salle à l’Hôtel de la Muse et du Rosier à Mos- Beaulieu* en salle, auprès de Roger Heyd, son direc-
tujeouls et Hôtel Sainte-Foy à Conques-en-Rouergue teur. Tandis que Dimitri, en cette toute fin d’année
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 7
938.indd 7 21/06/2022 19:012004, arrive de chez Bernard Pacaud – L’Ambroisie*** plantée dans un décor de rêve, au Cap Canaille, cap
– pour prendre le poste de second. Plus précisément souverain (394 mètres) qui se hisse parmi les falaises
de chez… Danièle et Bernard Pacaud, autre couple les plus hautes d’Europe. Que Louis XIV, qui connais-
qui a du « couple moteur ». sait sur le bout du doigt le « mobilier » de son royaume,
Les voilà tous deux sur la Côte d’Azur, qu’ils quittent en estimait comme le plus bel escarpement de ses côtes.
2007 pour l’Eden Rock à Saint-Barth. Travail, jet-ski,
plongée sous-marine et… projection dans un avenir où
ils ne feront bientôt plus qu’un. De retour en 2009 à La
Villa Madie
Réserve, deux ans plus tard, le 24 septembre 2011, Ma-
rielle, maître d’hôtel et Dimitri chef de la Réserve sont À propos, que penserait le Roi Soleil de la Villa Ma-
unis par les liens du mariage. Et de leur profession. die ? Assurément, Sa Majesté vouant une passion aux
Ne leur reste plus qu’à patienter deux autres années salades, que l’une des entrées phares de Dimitri, « Les
pour concrétiser leur projet de primeurs de nos maraîchers », n’a rien à envier aux
« Qui a vu Paris et vie. Acquérir la Villa Madie. Des- primeurs de la Quintinie, directeur de son potager
n’a pas vu Cassis tinée mouvementée pour cette du château de Versailles. Et encore, que les mets sont
ancienne propriété communale plus audacieux que les côtes d’agneau à La Champval-
n’a rien vu ! » rachetée par Jean-Marc Bonzo – lon. Mais que ne pardonnerait-on pas à l’une de ses
Le Clos de la Violette** à Aix-en-Provence – et Enrico favorites en concurrence avec les côtes de mouton de
Bernardo, Meilleur Sommelier du Monde, devenue la madame de Maintenon ? Sa Majesté apprécierait aussi
Villa Madie en 2007. Avant d’être convoitée par Arnaud le service, tout en rigueur mais dépouillé de pompe
Donckele qui aurait bien succombé à son charme, s’il et de solennité. Rappelons d’ailleurs que tout grand
n’avait obtenu trois étoiles en cette année 2013 à la monarque qu’il était, il n’hésitait pas à découper et
Vague d’Or, le restaurant de la Résidence de la Pinède tendre une aile de poulet à Molière, ayant eu vent
à Saint-Tropez, appartenant à la famille Delion. Si ce que les officiers de la chambre refusaient de prendre
n’est pour lui, alors cette occasion en or sera pour ses leur repas en sa compagnie parce qu’il était comédien.
amis, Marielle et Dimitri, qui l’acquièrent en s’associant Sans transition, rien de théâtral, ni d’ostentatoire, ni
avec Catherine et Jean Bourdillon. Sitôt dit, sitôt fait de superflu dans la Villa Madie. Mais l’élégance de la
d’autant qu’ils apprécient Cassis de longue date, dont fluidité, du mouvement, oscillant comme le balancier
le poète Mistral disait « Qui a vu Paris et n’a pas vu de la pendule entre terre et mer. L’œuvre de l’architecte
Cassis n’a rien vu ! ». Et plus encore cette Villa Madie, Philippe Puvieux pour qui l’inspiration doit venir du
8 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 8 21/06/2022 19:01D’une ancienne propriété communale … à la terrasse-promontoire d’une villa de rêve.
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site. Pour que l’architecture se confonde avec l’esprit Mais sans nulle trace de « L’allure compassée, noble
du lieu, les autres composantes se construisant autour et précieuse du menuet », qu’Édouard Herriot, ancien
de cette relation fusionnelle. Comme en témoignent maire de Lyon et des plus fins gourmets, comparait au
ses murs qui ondulent dans l’esprit de la vague, ses lu- ballet emprunté du service en palace, un « guetteur »
minaires en bulles d’eau qui scintillent la nuit, comme à col blanc en embuscade derrière chaque table. Pour
les crêtes d’écume sous la lune. Et la présence du bois Marielle, la première expérience fut la bonne, la plus Un cadre
qui rappelle à la terre, aux pins couchés qui ombragent marquante, chez Ginette et Michel Bras, s’inspirant
la magnifique terrasse. de leur authenticité champêtre. Un cadr
Par mimétisme, la conception de la Villa Madie en
Fluidité osmose avec la nature, le personnel doit s’y fondre, se
faire complice de cette sérénité : « Être disponible sans
s’imposer » comme le résume Marielle, tandis qu’elle
Fluidité que l’on retrouve dans le service, la décon- insiste sur l’importance de cette phrase toute faite «
traction n’empêchant pas la plus grande rigueur. être à deux, c’est plus facile ». Mais qui prend une tout
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autre résonance en restauration, lorsqu’on partage mission de Bernard Pacaud, qui tient là un de ses
son quotidien. Là où « l’esprit auberge », l’un en salle, meilleurs élèves. « Dimitri ? C’est le Pacaud du Sud ! »
l’autre à ses fourneaux, trouve ses fondations : dans se plaît à dire son ami Arnaud Donckele.
le couple, selon le principe des vases communicants. Quant à sa cuisine, d’aucuns la désignent « aroma-
Fluide ! Comme les propos de Dimitri : tique, subtile et très percutante », « recherchée mais pas
« Notre force est d’être un peu aubergiste. Nous ne prétentieuse » ; d’autres
« Notre force est d’être
sommes pas un restaurant de saison, nous avons une « travaillée mais pas am-
grosse clientèle d’habitués tout au long de l’année. Notre bitieuse ». Ou encore « un peu aubergiste »
objectif était de fidéliser avec une clientèle de proximité limpide et pas alambiquée ». On doit cependant y ra-
importante. Quand je viens les voir à table, je n’ai ni jouter, là encore, la fluidité, la mouvance, pour mieux
toque ni tablier. Et c’est grâce à eux et à leurs retours désigner sa signature, présentant ses assiettes comme
que nous peaufinons nos assiettes et notre service. Et, des écosystèmes pour concentrer le milieu et les or-
bien sûr, à la vigilance de Marielle aux avant-postes. » ganismes qui y vivent.
D’ailleurs « Mon écosystème », c’est l’intitulé d’un de
L’assiette « écosystème » ses plats phares, composition maritime rassemblant
coquillages et crustacés des rivages de Cassis. Au gré de
la pêche. « L’assiette du pêcheur », l’assiette de la pêche
Ici, dans les assiettes, rien n’est gravé dans le marbre, du jour. Pour identifier clairement cette démarche, le
si ce n’est amour du produit, rigueur et humilité, trans- plus simple est de comparer une recette de Dimitri à
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La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 11
938.indd 11 21/06/2022 19:01la fameuse série de tableaux Les
Meules du peintre impressionniste
Claude Monet. Vingt-cinq tableaux
représentant des gerbiers de blé
montés en meules. Mais jamais
les mêmes, parce que peintes à
des saisons, dans des conditions
climatiques, des ambiances, à des
heures différentes.
Territoire
& humilité
Comme le peintre pose son cheva-
let dans la nature, le chef installe
son fourneau pour cuisiner ce que
lui offre son territoire – mot qu’il
préfère à terroir – où terre et mer
constituent le fond de sa toile mais
où rien n’est statique. Comme la
nature.
Cuisine élaborée « quotidiennement
en fonction de l’humeur de notre
Méditerranée, de la pousse de nos
D.R.
12 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 12 Partant de la gauche: David Piquet (chef sommelier) Yohan Dessarzin (chef-pâtissier), Marielle, Aurélien Cantrelle, 21/06/2022 19:01
(second), Dimitri et Julian Gentaire (directeur du restaurant).D.R.
jardins et de nos vergers, unique à l’ensemble de
la table » comme l’annonce la carte du moment,
de l’instant, de l’humeur. De la fluidité.
Menu Anse de Corton : 160 € en 4 actes ou, si
l’on préfère, tableaux. Menu l’Espassado Cap
Canaille en 6 actes (210 €) ou encore Les agapes
de Soubeyrannes 280€ (8 actes) seulement au
dîner. Et puis la Brasserie du Corton, face au cap
Canaille. Pas de cuisine canaille pour autant,
mais plutôt de bistro où l’assiette se décline terre
& mer : moules de Tamaris ; maigre, ceviche de
pêche locale, asperges vertes de Roques-Hautes,
véritable Sôcisse de Marseille au fenouil, tan-
dis que le faux-filet s’accompagne de panisse
(menu à 39 €).
Le territoire est bien dans l’assiette et l’humilité
aussi, comme en témoigne l’hommage rendu
par Marielle à leur garde rapprochée, lors de la
remise de la troisième étoile, le 22 mars dernier :
« Il y a 9 ans, quand nous sommes arrivés à la
Villa Madie, nous sommes tombés amoureux de
ce coin de paradis. On a tout donné ; on a aus-
si beaucoup reçu. Je pense à Aurélien Cantrelle,
notre second à nos côtés depuis treize ans ; Julian
Gentaire notre directeur ; Yohan Dessarzin, notre
chef pâtissier ; David Piquet, notre chef somme-
lier… »
D.R.
Gérard Gilbert
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14 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 14 21/06/2022 19:012 – Le goût des autres,
le bonheur d’apprendre
Sa mère lui aura donné l’envie de cuisiner. De faire plaisir… Lecteur
assidu du grand philosophe Friedrich Nietzsche, pour qui la vie « c’est
l’accomplissement de soi-même », Dimitri Droisneau va se construire
au travers d’un parcours jalonné de grands noms de la profession pour
y parvenir. Cercle très privé dont il fait aujourd’hui partie, parvenu au
sommet de son art. En toute modestie.
Il est né le 11 janvier 1980 à la Saint-Benoît, de sinistre treprise de peinture, en devenant son cobaye attitré
mémoire pour les amateurs de bonne chère, puisque lorsqu’il rentre déjeuner le jeudi midi à la maison. La
c’est le 11 janvier 1662 qu’entrait en vigueur le décret table est mise. Dimitri est au taquet, prêt à lui servir
réprimant les fastes des repas de noces. Ce qui n’aura son péché mignon ; l’onglet aux échalotes et pommes
pas coupé l’appétit de Dimitri pour autant. Chez les sautées, vite, bon et chaud ! L’affaire est classée. Il peut
Droisneau, à l’Aigle, dans l’Orne, on ne picore pas envisager avec la bénédiction parentale de « se prendre
comme des moineaux. La portion congrue, on l’ignore ! pour Bocuse », selon l’expression consacrée de l’époque.
Alors que Fernand Point clamait : « Donnez-moi du
beurre, toujours du beurre ! » ; Huguette, sa mère, n’a
qu’une seule devise : « On prend la crème et on fait
Obstiné
avec ! »
La sole à la normande et le poulet vallée d’Auge, mais Action ! Plus une minute à perdre pour Dimitri. Pas-
encore les harengs pommes à l’huile – entrée « ca- sionné de taekwondo (art martial des pieds et des
naille » dans une version filiale servie parfois à la bras- poings), il va justement faire des pieds et des mains
serie du Corton, rendant ainsi hommage aux talents pour brûler les étapes, conjuguant études au CFA
culinaires de sa mère – feront donc son éducation. d’Alençon et apprentissage, alors que ses chers parents
Et son bonheur. Le décidant à devenir cuisinier pour auraient souhaité qu’il intègre le réputé lycée hôtelier
être l’artisan du bonheur des autres. Élan généreux Marcel-Marland de Granville.
auquel souscrit son père Didier, qui possède une en- Obstiné, ayant obtenu gain de cause quelques onglets
A l’Ambroisie de Bernard Pacaud. Dimitri au centre, un genou à terre.
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aux échalotes plus tard, il entre ainsi en apprentissage « C’est là que j’ai appris la rapidité d’exécution dictée
en juillet 2016 au Grand Saint-Michel d’Alençon. Où par la vitesse des services. »
Michel Canet s’est installé au lendemain d’un brillant
parcours : Savoy et Annabel’s Club à Londres, Bristol
à Berlin, Closerie des Lilas et Plaza-Athénée à Paris,
Frédéric Robert
Hôtel de Paris à Monte-Carlo.
Dire qu’il est en prise directe avec ce chef formateur Début 2000. Son ami le chef pâtissier Arnaud Poitevin
qui ne laisse rien passer est un doux euphémisme. Cinq le persuade de le suivre chez Alain Senderens au Lu-
en cuisine, mais souvent deux, le chef et lui : cas-Carton***, lui organisant même un rendez-vous
« Aussitôt arrivé, j’ai appris à faire une tarte aux avec Frédéric Robert. Alias « Le Chef des chefs », pour
pommes. Heureusement que ce n’était pas un gâteau avoir brillamment secondé Claude Peyrot***, Bernard
d’anniversaire, car je n’avais plus une seule seconde Pacaud*** et présentement Alain Senderens***.
pour souffler ! Tout Maison. On recevait les déhanchés Fortement impressionné par l’aura du chef, il passera
de bœuf, on désossait, on boulangeait, on pâtissait. la nuit à mimer l’entretien, imaginer questions et ré-
ponses. Peine perdue. Tout sera réglé en quelques mi-
« Formation, Deux fois par semaine à Rungis sans
compter pêche à pieds, cueillette des nutes, intégrant le 4 mars la brigade du Lucas-Carton
force 9 ! » champignons, visites des maraîchers ». au poste de commis. Trois mois plus tard, devenu chef
Au lendemain de cette formation accélérée et de l’ob- de partie, « le Chef des chefs » lui confie une mission
tention de son CAP-BEP, son maître d’apprentissage le témoignant de la confiance et de l’estime qu’il lui porte :
sent en jambes pour affronter n’importe quelle place chef privé d’une villa au Rayol Canadel dans le Var.
forte étoilée de la capitale. Tant qu’à faire, ce sera la Ce n’est pas la douche écossaise, mais sa variante, la
Tour d’Argent** de notre amphitryon Claude Terrail, douche provençale. Après avoir été élevé à la crème
blason : canards numérotés et œillet à la boutonnière. fraîche, Dimitri entre de plain-pied au royaume de
D’abord commis un an dans la brigade de Bernard l’huile d’olive. Découvrant avec jubilation la cuisine
Guilhaudin (ex-chef personnel du collectionneur Da- méditerranéenne dont il régale chaque jour une dizaine
niel Wildenstein, puis du Laurent) auquel lui succède de convives. Ce qui va lui laisser des… séquelles pour
Jean-François Sicallac dont il apprécie tant la person- avoir récidivé quatre saisons d’affilée.
nalité que l’écoute : Retour au Lucas après la saison 1, avec toujours la
16 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 16 21/06/2022 19:01même ambition secrète qui lui trotte dans la tête depuis
qu’il sait que Frédéric Robert est proche de Bernard
Pacaud pour l’avoir secondé jusqu’en 1992. Découvrir
sa cuisine devient une obsession.
Pour autant, le chef craint de commettre une bourde
en demandant alors à Jérôme Banctel second de Ber-
nard Pacaud, de lui obtenir un rendez-vous. Ce dont
il l’avertit :
« Il m’a dit qu’il faisait une erreur en me plaçant chez
D.R.
Place des Vosges, l’heure d’une pétanque pour Dimitri
et Bernard Pacaud.
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 17
938.indd 17 21/06/2022 19:02Monsieur Pacaud parce que j’étais beaucoup trop jeune. rai plus la cuisine sous le même jour, ce dont je ne me
Mais que finalement, après tout, je verrai la cuisine sous suis pas rendu compte de prime abord. Il fallait laisser
un tout autre jour ! » au temps le soin de décanter cette très enrichissante ex-
périence, trop jeune, effectivement, pour la comprendre. »
Bernard Pacaud
Éric Frechon
Jeune, il l’est : 21 ans, alors qu’on ne passe jamais
la porte des cuisines de l’Ambroisie sans ses 28 ans Changement d’ambiance au Bristol** intégrant le poste
révolus. L’exception ne confirmera pas la règle. Le cou- de chef de partie au garde-manger dans la brigade XXL
peret tombe. Le recevant occupé à confectionner ses d’Éric Frechon (MOF 1994) qui convoite la troisième
bouquets, Bernard Pacaud ne lui fait aucune fleur : « étoile obtenue en 2009 :
Stop ! Ça ne va pas du tout, t’es bien trop jeune ! Je veux « Monsieur Frechon m’a demandé ce que j’aimais faire.
des chefs de partie ! » Lui ayant avoué ma passion pour les sauces, je me suis
Revenu à la charge, le second rendez-vous sera le bon, retrouvé au garde-manger ! À brûle-pourpoint, la mé-
le chef lui annonçant qu’il sera son premier et dernier thode m’a paru étrange, mais tout compte fait, elle a du
demi-chef de partie et qu’il n’était pas dans un centre bon ! C’est un véritable homme de la terre à la cuisine
de formation. très pointue. Très belle expérience. »
… Ni un restaurant comme les autres aurait-il pu ajou- Au lendemain de laquelle il brûle d’envie de retrouver
ter. Sa première journée est des plus sereines. Ici, ni sa place de chef de partie chez Bernard Pacaud qui,
geste inutile ni précipitation, mais une concentration apprenant la nouvelle, lâche une réponse désabusée
absolue nécessitant de bien maîtriser son énergie pour mais virile :
travailler dans une ambiance des plus zen, en osmose « S’il en a, il n’a qu’à venir me voir ! » Réaction qui
avec une équipe se comptant sur les doigts des deux sous-tend le lien qui se noue, encore invisible mais
mains : ténu comme un fil de la Vierge entre le chef et son
« Tous les matins, on attendait devant la porte. Je n’avais chef de partie.
pas l’impression d’entrer dans un restaurant mais dans Venir le voir, il en aura le courage. Le contraire aurait
une maison bourgeoise. Il m’a fallu quatre mois pour déçu Bernard Pacaud qui, en décembre 2004, lui donne
commencer à cerner la personnalité du chef ; comprendre sa bénédiction pour prendre le poste de second de cui-
qu’ici, c’était le produit, et le produit seul, qui dictait le sine à La Réserve de Beaulieu auprès d’Olivier Brulard
comportement du cuisinier. Mais la réserve émise par (MOF 1996). Avec qui il partage un point commun :
Frédéric Robert était avisée. Après l’Ambroisie, je ne ver- avoir eu Michel Canet comme chef d’apprentissage.
18 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 18 21/06/2022 19:02Arnaud Donckele
Juin 2007. Coup de blues au bord de la Grande Bleue !
Bien que la Réserve de Beaulieu ait retrouvé sa deu-
xième étoile deux ans plus tôt. Adieu Méditerranée aux
rivages enchantés et la Réserve. Et départ immédiat
avec Murielle rencontrée un an plus tôt, pour la mer
des Caraïbes et la très sélecte île de Saint-Barth’ où
l’attend Jean-Claude Dufour, chef exécutif de l’Eden
Rock au poste de chef de production de cet hôtel high-
tech, maillon de la chaîne des Relais & Châteaux très
apprécié de la jet-set. Expérience aussi enrichissante
que plaisante :
« On travaillait de sept heures du matin à quatre heures
de l’après-midi. Après jet-ski et tennis. 250 couverts au
restaurant, 80 au gastro. Gérer tout cela me passionnait
d’autant plus que qualité rimait avec quantité. »
Début 2009. Jean-Claude Delion – propriétaire de la
Réserve de Beaulieu – le contacte par l’intermédiaire
d’Arnaud Donckele, chef de La Résidence de la Pi-
nède**, l’établissement tropézien de la famille, pour lui
annoncer le départ d’Olivier Brulard. Ainsi devient-il
chef par intérim en mars :
« Aussitôt revenu des Caraïbes, je n’ai pas eu le temps
de me poser de questions. Il a fallu repartir de zéro, des dressages contemporains, art dans lequel il excelle. »
tout restructurer. J’ai eu la chance qu’Arnaud Doncke- Avril 2011. Olivier Samson ayant regagné sa Bre-
le, immense professionnel, m’apporte sa précieuse aide tagne natale à Vannes en sa Gourmandière, Dimitri
pendant un mois. C’est mon grand frère ! Très liés, nous est nommé chef, à la tête d’une brigade de 16 cuisi-
avons travaillé en confiance et en parfaite réciprocité. » niers. En salle… Marielle, maître d’hôtel qu’il épouse
10 septembre 2009. Olivier Samson arrivé, Dimitri le 24 septembre 2011. Marielle et Dimitri ou Dimitri
devient son chef adjoint : et Marielle ? Ils ne feront bientôt plus qu’un, unis par
« Chef faisant corps avec son équipe, j’ai beaucoup appris un trait d’union, la Villa Madie…
auprès d’Olivier Samson, notamment toutes les finesses Gérard Gilbert
D.R.
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 19
938.indd 19 21/06/2022 19:023 – Dimitri Droisneau
paroles de chefs
De Michel Canet, son maître d’apprentissage, à Arnaud Donckele, en
passant par Jean-François Sicallac, Frédéric Robert, Bernard Pacaud,
Éric Fréchon, Olivier Samson. Dimitri Droisneau raconté par les talents
qui ont marqué son parcours et l’ont formé. Sans oublier deux Aurélien :
Vequaud et Cantrelle dont il fut le formateur.
Michel Canet Pacaud pour qu’il entre dans sa brigade ! Or il a bien eu
raison d’insister. C’est une chose que je ne lui ai peut-être
(son maître d’apprentissage,
jamais dite, mais j’embauche au feeling. Ça n’a jamais été
Le Grand Saint-Michel) un CV, même long comme le bras, qui m’a fait changer
« Sûr qu’il sortirait du panier ! » d’avis. Avec Dimitri, ça a été tout de suite “oui” ! J’avais
devant moi un garçon au regard volontaire, opiniâtre
et obstiné ! Je ne sais même pas pourquoi, quand je lui
« Mes apprentis formés, je leur donnais
ai annoncé que Bernard Pacaud l’acceptait au poste de
le rôle de chef les six derniers mois.
commis à l’Ambroisie, m’étant porté garant de lui, je ne lui
Volontaire, curieux, sociable, Dimitri a brillamment
ai pas dit qu’il avait intérêt à être à la hauteur ! … sachant
traversé l’épreuve. Lorsque j’ai eu l’opportunité de le placer
qu’il le serait ! Je suis heureux de cette distinction pour
à la Tour d’Argent**, j’étais sûr de moi. Prenant ça comme
Marielle et Dimitri. Les trois étoiles c’est aussi le Graal d’un
un challenge, il allait très vite s’adapter, comprendre,
couple. Pour avoir secondé Alain Senderens, Claude Peyrot,
évoluer et en conserver le meilleur. J’aurai parié n’importe
Bernard Pacaud, je n’oublie pas les rôles primordiaux joués
quoi qu’il sortirait du panier ! »
par Eventhia, Jacqueline et Danièle. Murielle et Dimitri
aussi ne font qu’un ! »
De Michel Cannet à Jean-
François Sicallac (chef de La
De Frédéric Robert à Bernard
Tour d’Argent**)
Pacaud (chef de l’Ambroisie)
« Il faisait déjà du vélo sans les
« La Villa Madie, c’est la
roulettes ! »
réussite d’un couple »
« Tombé du ciel, le gamin dont on rêve ! Intéressant et
intéressé. On en voudrait tous les jours un comme ça ! « Quand il est arrivé à l’Ambroisie, il
Je l’ai fait passer par tous les postes. Toujours d’aplomb. avait 21 ans. Très bien formé et déjà un très beau bagage.
Sérieux, propre, presque zéro défaut. Il fait partie de ces N’ayant alors que des chefs de partie, c’était le seul commis
gamins qui sont aujourd’hui au sommet de notre art. ça de ma brigade. Très sérieux, exemplaire dans son travail, il
fait plaisir. C’est le but. Et c’était écrit. Ils étaient douze s’est tout de suite parfaitement intégré, mis au diapason.
au départ, plus que six à l’arrivée. Il était dans le lot. Sorti Avec le souci constant de s’informer, comprendre,
d’apprentissage, il faisait déjà du vélo sans roulettes ! » s’améliorer, s’enrichir. Et toujours bienveillant à l’égard
des autres. Modeste. Bosser, évoluer, tracer sa route, c’était
son objectif. Énormément de qualités, sans oublier celle
De Jean-François Sicallac à de se plier en quatre pour rendre service. Ça, c’est pour le
Frédéric Robert (chef de la passé. Pour le présent, c’est la Villa Madie. Qui avec ses
Grande Cascade) trois étoiles représente la réussite d’un couple. Celle discrète
et humble de Murielle et Dimitri, chacun formidable dans
« Opiniâtre et obstiné, au leur domaine pour ne faire qu’un. Nous avons récemment
regard volontaire » passé quatre jours ensemble. On a joué à la pétanque, il
m’a parlé vélo et plongée sous-marine, ses autres violons
« Je le dis très affectueusement… Mais qu’est-ce qu’il a d’Ingres. Quant aux trois étoiles, il m’a avoué qu’il lui avait
pu me saouler pour que j’intervienne auprès de Bernard fallu deux mois pour le réaliser. Toujours aussi modeste. »
20 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 20 21/06/2022 19:02culture gastronomique, éternel insatisfait parce que
De Bernard Pacaud à Éric perfectionniste jusqu’au bout des ongles dans tout ce qu’il
entreprenait, ma mission, c’était aussi de le canaliser. De
Fréchon (chef du Bristol) l’inciter à s’économiser, déléguer, s’adapter, mais aussi
« Dans le respect des belles savoir déconnecter pour affronter l’avenir plus sereinement,
valeurs » conscient de son énorme potentiel. Et quel avenir !
Apprendre sa consécration fut pour moi un pur instant de
bonheur. »
« Aussitôt entré dans la brigade, on a
vite remarqué qu’il avait l’envie de se perfectionner chevillée
au corps. Mais encore ? Qu’il vouait aussi le plus grand
respect aux belles valeurs ; humaines, du travail, du produit. Et…
Et qu’il évoluerait dans cette morale. À Cognac, le jour de la
remise des étoiles, je l’ai retrouvé tel que je l’ai connu. Il faut Aurélien Véquaud (chef de
être humble quand on est cuisinier. Je pense que Bernard
Pacaud, maître en humilité, n’est pas étranger à cette belle la Passagère * Hôtel Belles
leçon qu’il est plus jamais bon de rappeler à notre époque. Rives)
Et de faire sienne ! » « Il est toujours resté
lui-même ! »
D’Éric Fréchon à Arnaud
Donckele (chef de Cheval « Commis à la Réserve de Beaulieu, je lui dois ma formation.
Blanc, Paris) En tant qu’homme et cuisinier. Bienveillant, d’une grande
sensibilité, à l’écoute, proche des gens, carré et de grand
« Le modèle du couronnement caractère, il a tout de suite cerné mes failles et m’a montré
de l’artisanat au travail » le droit chemin, celui de l’accomplissement de soi-même.
Professionnellement, technicien de haut vol, il m’a apporté
« Gérant un temps les deux enseignes, la Pinède à Saint- la rigueur, façonné le palais, dégrossi avant que je ne
Tropez et la Réserve de Beaulieu, j’ai tout de suite pensé rejoigne Arnaud Donckele à La Pinède et ne devienne son
à mon ami Dimitri, proposant à Jean-Claude Delion chef adjoint. Je connais le chef depuis dix-huit ans. Ce qui
qu’il occupe le poste de chef adjoint à la Réserve. Dont il me permet de l’admirer aussi, parce qu’il reste lui-même. A
connaissait bien sûr les difficultés, à la fois palace et table lui tout seul, une grande leçon d’humilité ! »
étoilée, fonctionnant sur une seule cuisine. Deux ans plus
tard en 2011, il était chef. Il était tout aussi naturel que Aurélien Cantrelle (second)
je pense à lui quand, la Pinède couronnée de trois étoiles,
j’ai bien sûr renoncé au projet en cours de m’installer à La « Affaire de cœur et de
Villa Madie. C’était fait pour Murielle et Dimitri. Ces trois famille »
étoiles, c’est aussi la consécration d’un couple, chacun dans
leur domaine, travailleur, talentueux, solide, les pieds sur « Voici treize ans que je suis son
terre. Le modèle du couronnement de l’artisanat au travail. adjoint. C’est un gardien des valeurs, sa
L’aboutissement de l’obstination à maîtriser, réussir. franchise et sa spontanéité n’étant pas
À la fois le plus grand défaut et la plus grande qualité de des moindres. En tant que bras droit,
Dimitri, c’est d’être pétri de doutes. Ses doutes l’amènent je suis aussi ses yeux et son palais. Ce
à des convictions. À force de faire et de refaire avec la que je lui dois. Comme le bonheur de travailler en pleine
peur de décevoir, sa cuisine devient sincère. » confiance. La consécration ? Rêver de l’obtenir n’était pas
au menu de tous les jours. Mais progresser au quotidien
D’Arnaud Donckele à Olivier oui ! Sans fièvre. Pour moi, c’est aussi une histoire de cœur
Samson (chef de la Réserve et de famille. »
(2009-2011)
« Éternel insatisfait, comme Propos recueillis par Gérard Gilbert
tout perfectionniste »
« Force de la nature, travailleur acharné, d’une grande
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 21
938.indd 21 21/06/2022 19:02L’esquinade en prémices printanières
Esquinade, « d’esquinado » en provençal, désigne l’araignée de mer.
Ici, il s’agit de chair de tourteau et de caviar français, brouet aux
herbettes des Janots, févettes. Accompagnant pince de tourteau,
émietté de tourteau, caviar, glace de tête de tourteau servie avec
un consommé de tourteau.
22 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 22 21/06/2022 19:02Les recettes de
Dimitri Droisneau
« Notre écosystème »
La quintessence de la signature de Dimitri Droisneau représentée
par la pêche du jour vivifiée à l’écorce de bergamote. Le seul plat
demeurant à la carte toute l’année, variant en fonction de la pêche
sur consommé gélifié de pinces et têtes de crustacés. Accompagné
de madeleines au beurre de crustacés à déguster trempées dans
le mousseux de carapace servi dans le coquillage.
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 23
938.indd 23 21/06/2022 19:02La sardine de pays dans tous ses états,
thym, citron et caviar de Sologne
Plat hommage, inspiré de la salade de hareng fumé et de pommes de
terre que sa mère Huguette faisait dans son enfance. Sous les tron-
çons de sardines à la chair à peine marinée, une salade de pommes
de terre, tandis que les pommes de terre soufflées reposent sur une
délicate gelée de bonite. En contrepoint, la saveur moutardée des
feuilles de capucine et le iodé de la bourrache. Tout se mange, y
compris l’arête croquante frite à haute température très représen-
tative de la philosophie empruntée à Lavoisier « Rien ne se perd,
rien ne se crée, tout se transforme ».
24 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
938.indd 24 21/06/2022 19:02Les recettes de
Dimitri Droisneau
Le pigeon, poitrine massée à la fève
de Tonka, velours de romanesco à l’amandon
Plat historique, première création en tant que chef à la Réserve de Beau-
lieu**. La poitrine est rôtie sur le coffre, accompagnée de gel de feuilles de
cerisier sakura et d’un praliné de pistache. Cuisse désossée aux éclats de
pistache de Bront. Purée de chou romanesco parfumée à l’huile d’amandon.
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 25
938.indd 25 21/06/2022 19:02ai1645108966131_Toques-Validé-2.pdf 1 17/02/2022 15:42:46
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938.indd 27 21/06/2022 19:0228 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 28 21/06/2022 19:02
« On brai
Valeur sûre
LA MERISE À LAUBACH
Cédric Deckert
Le retour de la cuisine
de haut goût
Cuisiner à son goût et bâtir un restaurant à son goût ! C’est l’exploit
dont Cédric et Christelle Deckert sont les plus fiers, avec leurs deux
étoiles couronnant leur Merise. Enseigne de plein champ devenu jardin
d’Eden pour tout gourmet qui retrouve ici un paradis perdu, sinon en
voie de disparition pour de nombreux palais : la cuisine de haut goût,
qui fait si bon ménage avec l’art familial de recevoir. Autre paradis
retrouvé.
Lundi 18 janvier. En direct de la tour Eiffel. Avec Hé-
lène Darroze, Cédric Deckert est en cette année 2021
le double étoilé du guide Rouge (Michelin millésimé
Covid). L’inconnu, c’est lui ; celui qui crée l’événement.
Premier étonné de cette distinction, couronnant un
restaurant dont le bouche-à-oreille lui décerne sans
chipoter trois étoiles, si ce n’est la Voie lactée, tant
il aura été achalandé en un temps record. Clientèle
ravie de découvrir que la carte s’ouvre sur cette mise
au point singulière et très appréciable, à l’heure où le
« jus de crâne » compte parmi les assaisonnements
les plus en vogue :
« Ici, on réfléchit, on épluche, on taille, on émince, on
blanchit, on poêle, on braise, on saisit, on déglace, on
goûte, on rectifie, on dresse. En bref, ici, on cuisine ! »
Deux points d’exclamation qui marquent aujourd’hui
l’insistance du propos, et qui s’appelaient jadis « point
d’admiration ». C’est donc à l’ancienne qu’il faut in-
terpréter cette ponctuation en découvrant le talent de
Cédric Deckert qui fait l’unanimité. Pour, par petites
touches subtiles, inventives, audacieuses, parvenir à
demeurer de plain-pied dans son époque, sans s’écarter
d’un classicisme très assumé, concentré sur la puis-
sance des goûts. De ces fumets force 8 que privilégiait
Bernard Loiseau. Des explosifs en bouche, comme la
sauce aux huîtres du maître de Saulieu qui en faisait
foi.
D’équerre
« Le goût, le goût, le goût ! » c’est ce qui affirme au
plus près l’identité culinaire créative et avisée de Cédric
Deckert - ou « d’équerre » pour compter parmi ces
La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 29
938.indd 29 21/06/2022 19:02chefs architectes de saveurs très ajustées. Chaque plat
de viande comme de poisson a son fond qui intervient
en fil à plomb (ou d’aplomb). Pour une sauce corsée,
enveloppante, moulante. Corsetant le produit.
Toujours trois produits maximum. À part ça, Cédric
Deckert ne se retranche derrière aucun style, ne s’au-
toproclame d’aucune chapelle.
Pour preuve ? Si le foin qui parfume subtilement le
dos de canette de Challans provient des champs sans
engrais qui abritent ses ruches autour de son restau-
rant, soucieux de vivre sur un site naturel préservé et
s’engageant dans une démarche écologique, il ne jure
pas pour autant que par le locavore. D’ailleurs son
plat fétiche, c’est l’aile de raie grenobloise, version
« Laubach » – très allégée – et à sa façon : wasabi,
gingembre confit accompagné d’un beurre mousseux
au Kaffir. Plat des plus plébiscités avec les noix de
Saint-Jacques rôties, risotto crémeux de parmesan
céleri frit, émulsion au champagne ; le homard bleu
en chartreuse ou encore le tourteau, caviar osciètre
et combawa.
En osmose
C.Q.F.D : Ici, paix à ces sandres qui ne sortiront pas des
eaux du Rhin pour batifoler dans le riesling. Sa carte
propose, en effet, une cuisine à 60 % océane, en lisière
de forêt, le reste consacré aux viandes et abats dont
les superbes noix de ris de veau, échalotes confites,
jus réduit aux truffes. Et encore le porcelet laqué, la
côte de veau aux cèpes. Plats présentés au guéridon,
péché mignon de Christelle Deckert, très sensible au
cérémonial de la découpe en salle. Voiture roulante
qu’elle troque contre son chariot à caviar en boîtes
coiffantes (meuble signé de l’ébéniste Éric Goetz), servi présent et passé, sans fausse note.
sur une spatule créée par Marc Frohn, sculpteur sur Au présent, de larges baies vitrées laissent entrer la
bois (MOF). « Le détail, un point c’est tout ! », comme campagne dans une belle salle à manger contempo-
disait Fernand (Point). raine, et un singulier couloir, tunnel de verre, où les
La priorité de Cédric, c’est de cuisiner en toute liberté, serveurs se profilent en ombres chinoises d’une salle à
à son goût. En freestyle. l’autre. Des quatre points cardinaux, la nature s’invite,
Il en va de même de leur enseigne, sa conception allant se faufile, semble épancher ses ombres jusqu’aux pieds
de pair avec sa table. Comme Cédric cuisine à son goût, des tables nappées.
avec Christelle, le couple a créé un Au passé, des matériaux anciens récupérés sur d’an-
« De la pioche restaurant à leur goût. De A jusqu’à cestrales maisons alsaciennes, comme colombages et
à la louche » Z, à commencer par participer à ses portes de bois massives en chêne, huisseries en fer for-
fondations. Du jamais vu ! Puisque gé, tuiles biberschwanz centenaires en terre cuite dites
ça a commencé comme ça ; avant de tenir la queue de en « queue de castor », solives, grès des Vosges, char-
la poêle, il a craché dans ses mains pour empoigner pentes du salon du 1er étage, reflétant au mieux cette
le manche de pioche. Et bâtir leur maison en un an – parfaite fusion entre ancien et moderne. Ou vice-versa.
2015 – 2016 –, avec leur architecte, à partir des plans Qui de l’œuf ou de la poule ?... Abracadabra ! C’est à
conçus avec son épouse. l’image de son talent culinaire, assemblant, polissant
classicisme et créativité sans la moindre aspérité.
La Merise On l’aurait deviné. Si Cédric n’avait pas été cuisinier, il
aurait été architecte, arts liés par bien des points com-
Une spacieuse bâtisse typée alsacienne, dans l’esprit muns. À défaut, il se sera inspiré de la maison du maire
du corps de ferme. À l’instar de sa cuisine, mariant qui l’avait convié à une prestation culinaire assurée
30 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022
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