LE MOT DU PRÉSIDENT - Les Cuisiniers de France
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LE MOT DU PRÉSIDENT Chers sociétaires, chers amis, Nous traversons une période qui suscite vos interrogations, voire vos inquiétudes légitimes. La Justice a tranché en première instance, nous obligeant à procéder à de nouvelles élections qui se tiendront à la rentrée. Vous voterez pour de nouveaux administrateurs dans le seul intérêt de notre association. L’affaire se résume à cela, si l’on est pragmatique. Comme le disait en son temps le président Chirac : « dans la vie, il y a des hauts et des bas. Il faut surmonter les hauts et repriser les bas ». L’arbre ne doit pas pour autant, cacher la forêt. Depuis sa création notre association a connu bien des tempêtes et en traversera d’autres. Pour l’heure, d’une santé financière des plus florissantes, elle est armée pour affronter un typhon ! Ajoutons à cela nos valeurs humaines, celles de la fraternité et de la solidarité qui nous permettent d’aller toujours plus loin. La raison pour laquelle j’ai souhaité, lors de notre dernier Conseil d’Administration, vous parler avec cœur de la passion commune de l’excellence. ou emportement comme je sais le faire, Celui de Cédric et Christelle Deckert, de ces valeurs que nous devons défendre d’Éric et Marilyn Girardin, de Lisa et et mettre en avant. Cela au nom de notre Léo Troisgros. L’union fait la force. La bienfaiteur, Léopold Mourier. Mais aussi fraternité est son pareil. de la réussite de nos actions imaginées, décidées, et menées collectivement Votre bien dévoué pour préserver l’esprit et la finalité des Cuisiniers de France. L’avenir galopant Philippe Renard de notre jeunesse nous invite à la transmission de notre expérience, et le devenir de notre association à une gestion rigoureuse et réfléchie. Ce numéro 938 de la Revue Culinaire tombe à point nommé. C’est un hommage que nous rendons à l’union, fusionnelle, providentielle du couple. Celui de Marielle et Dimitri Droisneau qui ont su faire de leur Villa Madie un temple La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 1 938.indd 1 21/06/2022 19:00
Sommaire N° 938 JUILLET / AOÛT 2022 4 EN COUVERTURE Marielle et Dimitri Droisneau, - Anti-stars, trois étoiles - Le goût des autres, le bonheur d’apprendre - Paroles de chefs 28 VALEUR SÛRE Cédric Deckert p.4 p.28 40 INSTITUTION Éric Girardin 50 TENDANCE CHAMPÊTRE Léo Troisgros 60 BISTRONOMIE Lydie et Nello Di Meo 70 FLEURS ET HERBES AROMATIQUES Thibaud et Clément Chevet 76 ON EN PARLE M.O.F. p.40 p.50 80 BISTRONOMIE Huîtres Coudin 84 VIE DE LA SOCIÉTÉ - Trophée de pétanque - Assiette d’or 92 HOMMAGE - Guy Chere - Serge Cancè 92 LIVRES p.60 p.68 p.70 Cédrick Deckert Marielle et Dimitri Le retour de la cuisine de haut goût La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 3 Éric Girardin « Artisan -artiste » du végétal Droisneau Anti-stars, trois étoiles En couverture, Marielle et Dimitri Droisneau, © Evan De Sousa Léo Troigros Le repas pastoral La Revue Culinaire n°938 a son berger Lydie et Nello Di Méo La belle aventure du Cherche Midi Bimestriel n° 938, juillet/août 2022 - 10€50 LRC937_P001-004_CV copie.indd 1 21/06/2022 18:34 938.indd 3 21/06/2022 19:01
Marielle et Dimitri Droisneau. La Villa Madie. Promontoire entre terre, ciel et mer, dernière et sublime étape de la réussite d’un couple. Et leur royaume. À ses pieds, la Méditerranée et, soutenant le bleu du ciel de sa solide épaule, le Cap Canaille, cap souverain culminant à 394 mètres que Louis XIV estimait comme le plus bel escarpement de son royaume de France. Ne manquent, dans le ciel de ce décor de rêve, que les trois étoiles, parmi tant d’autres, éclipsées le jour par le Roi Soleil. 4 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 4 21/06/2022 19:01
En couverture Marielle et Dimitri Droisneau Anti-stars, trois étoiles La consécration de Marielle et Dimitri Droisneau, côte à côte, le 22 mars dernier à Cognac sur la demande expresse du guide Michelin, braque les projecteurs sur l’importance du couple dans la quête du Graal, jusque-là restée dans l’ombre. Trois étoiles, une couverture pour deux, pour mettre en lumière une ascension à quatre mains. Unies par le même souci de l’excellence et de l’humilité, prônant conjointement l’élégance de la simplicité et de la fluidité. Pour la première fois dans la longue histoire du guide –, elle entre de plain-pied dans la haute sphère de la rouge, un chef et son épouse sont nommément ré- gastronomie chez Michel Bras ** à Laguiole… compensés de la distinction suprême. Au-delà de la Enfin plus précisément chez Ginette et Michel Bras, consécration professionnelle, la couronne « à deux tant l’esprit familial et l’art de recevoir et ‘d’être’ avec têtes » coiffant Marielle et Dimitri Droisneau décernée simplicité la marqueront durablement. Puis Eugé- par Bibendum revêt une dimension qu’aura négligé nie-les-Bains, chez Michel Guérard. Enfin, là encore, de relever la presse dans son ensemble. Et pourtant, plus précisément chez Christine et Michel Guérard, elle désigne l’importance du couple dans la réussite qui ont fait des Prés d’Eugénie*** un royaume gour- d’une quête vers l’excellence. mand et champêtre atypique, un « petit palais de cam- Autre temps, autres mœurs. En 1933 – année de la pagne », le leur, celui d’un couple fusionnel. Enfin création des trois étoiles –, Fernand Point reçut le Marc Veyrat, le « Chef de Graal pour sa Pyramide à Vienne. Aujourd’hui, Mado, l’extrême » comme elle le « Esprit familial son épouse, surnommée alors la « Prêtresse des Deux surnomme, à La Ferme de et art de recevoir » Mondes » pour son art de l’accueil au-dessus de tout Mon Père*** à Megève et à éloge, aurait partagé cette gloire. De même que Ma- l’Auberge de l’Éridan*** à Veyrier-du-Lac, dirigée par dame Raymonde aurait été associée à celle de Mon- Hervé Audibert. Puis l’exil, faisant l’impasse sur Paris, sieur Paul qui, tandis qu’il était aux fourneaux, servait étape urbaine ne lui paraissant pas capitale pour le en salle, tablier noué et crayon derrière l’oreille pour bagage de l’art de la salle qu’elle se construit pour en prendre les commandes. tirer la substantifique moelle. Plutôt l’Angleterre. Pas … Et écrire l’histoire de l’Auberge de Collonges à Londres, bien sûr, mais Hambleton Hall à Oakham quatre mains, comme le rappelle Pierre Orsi, parmi les l’une des plus célèbres country-house d’outre-Manche, apprentis historiques, n’oubliant jamais de souligner le entreprise familiale depuis 1881, Relais & Châteaux*. rôle de son épouse dans cette réussite légendaire. De So chic ! So British ! mais toujours country comme même que Marielle n’omet jamais de mentionner com- Bras, Guérard et Veyrat… Enfin, avant le retour en bien Ginette et Michel Bras ont marqué son parcours. France, l’Espagne. Et l’un de ses chefs les plus charis- matiques, Ola Martin Barasetegui, troisième au hit-pa- Ginette et Michel Bras rade des collectionneurs d’étoiles Michelin – 12 à ce jour au total –, ce qui n’écorne en rien sa modestie : « Passion, talent, humilité… » souligne le commentaire C’est en 2004 que Marielle, fille d’agriculteurs à La du guide rouge. Serre, petit village de l’Aveyron rencontre Dimitri à la Réserve de Beaulieu**. Schéma classique, lui en cui- sine, elle en salle, bien qu’elle songea, un moment, aux Marielle & Dimitri fourneaux. Ils se découvrent très vite un point com- mun : leur appétit prononcé pour les tables étoilées. Humilité, modestie… la prédestinant à rencontrer BTH et BTS hôtellerie en poche et stages accomplis – Dimitri, modèle du genre, intégrant la Réserve de cuisine et salle à l’Hôtel de la Muse et du Rosier à Mos- Beaulieu* en salle, auprès de Roger Heyd, son direc- tujeouls et Hôtel Sainte-Foy à Conques-en-Rouergue teur. Tandis que Dimitri, en cette toute fin d’année La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 7 938.indd 7 21/06/2022 19:01
2004, arrive de chez Bernard Pacaud – L’Ambroisie*** plantée dans un décor de rêve, au Cap Canaille, cap – pour prendre le poste de second. Plus précisément souverain (394 mètres) qui se hisse parmi les falaises de chez… Danièle et Bernard Pacaud, autre couple les plus hautes d’Europe. Que Louis XIV, qui connais- qui a du « couple moteur ». sait sur le bout du doigt le « mobilier » de son royaume, Les voilà tous deux sur la Côte d’Azur, qu’ils quittent en estimait comme le plus bel escarpement de ses côtes. 2007 pour l’Eden Rock à Saint-Barth. Travail, jet-ski, plongée sous-marine et… projection dans un avenir où ils ne feront bientôt plus qu’un. De retour en 2009 à La Villa Madie Réserve, deux ans plus tard, le 24 septembre 2011, Ma- rielle, maître d’hôtel et Dimitri chef de la Réserve sont À propos, que penserait le Roi Soleil de la Villa Ma- unis par les liens du mariage. Et de leur profession. die ? Assurément, Sa Majesté vouant une passion aux Ne leur reste plus qu’à patienter deux autres années salades, que l’une des entrées phares de Dimitri, « Les pour concrétiser leur projet de primeurs de nos maraîchers », n’a rien à envier aux « Qui a vu Paris et vie. Acquérir la Villa Madie. Des- primeurs de la Quintinie, directeur de son potager n’a pas vu Cassis tinée mouvementée pour cette du château de Versailles. Et encore, que les mets sont ancienne propriété communale plus audacieux que les côtes d’agneau à La Champval- n’a rien vu ! » rachetée par Jean-Marc Bonzo – lon. Mais que ne pardonnerait-on pas à l’une de ses Le Clos de la Violette** à Aix-en-Provence – et Enrico favorites en concurrence avec les côtes de mouton de Bernardo, Meilleur Sommelier du Monde, devenue la madame de Maintenon ? Sa Majesté apprécierait aussi Villa Madie en 2007. Avant d’être convoitée par Arnaud le service, tout en rigueur mais dépouillé de pompe Donckele qui aurait bien succombé à son charme, s’il et de solennité. Rappelons d’ailleurs que tout grand n’avait obtenu trois étoiles en cette année 2013 à la monarque qu’il était, il n’hésitait pas à découper et Vague d’Or, le restaurant de la Résidence de la Pinède tendre une aile de poulet à Molière, ayant eu vent à Saint-Tropez, appartenant à la famille Delion. Si ce que les officiers de la chambre refusaient de prendre n’est pour lui, alors cette occasion en or sera pour ses leur repas en sa compagnie parce qu’il était comédien. amis, Marielle et Dimitri, qui l’acquièrent en s’associant Sans transition, rien de théâtral, ni d’ostentatoire, ni avec Catherine et Jean Bourdillon. Sitôt dit, sitôt fait de superflu dans la Villa Madie. Mais l’élégance de la d’autant qu’ils apprécient Cassis de longue date, dont fluidité, du mouvement, oscillant comme le balancier le poète Mistral disait « Qui a vu Paris et n’a pas vu de la pendule entre terre et mer. L’œuvre de l’architecte Cassis n’a rien vu ! ». Et plus encore cette Villa Madie, Philippe Puvieux pour qui l’inspiration doit venir du 8 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 8 21/06/2022 19:01
D’une ancienne propriété communale … à la terrasse-promontoire d’une villa de rêve. D.R. D.R. site. Pour que l’architecture se confonde avec l’esprit Mais sans nulle trace de « L’allure compassée, noble du lieu, les autres composantes se construisant autour et précieuse du menuet », qu’Édouard Herriot, ancien de cette relation fusionnelle. Comme en témoignent maire de Lyon et des plus fins gourmets, comparait au ses murs qui ondulent dans l’esprit de la vague, ses lu- ballet emprunté du service en palace, un « guetteur » minaires en bulles d’eau qui scintillent la nuit, comme à col blanc en embuscade derrière chaque table. Pour les crêtes d’écume sous la lune. Et la présence du bois Marielle, la première expérience fut la bonne, la plus Un cadre qui rappelle à la terre, aux pins couchés qui ombragent marquante, chez Ginette et Michel Bras, s’inspirant la magnifique terrasse. de leur authenticité champêtre. Un cadr Par mimétisme, la conception de la Villa Madie en Fluidité osmose avec la nature, le personnel doit s’y fondre, se faire complice de cette sérénité : « Être disponible sans s’imposer » comme le résume Marielle, tandis qu’elle Fluidité que l’on retrouve dans le service, la décon- insiste sur l’importance de cette phrase toute faite « traction n’empêchant pas la plus grande rigueur. être à deux, c’est plus facile ». Mais qui prend une tout D.R. La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 9 938.indd 9 21/06/2022 19:01
D.R. autre résonance en restauration, lorsqu’on partage mission de Bernard Pacaud, qui tient là un de ses son quotidien. Là où « l’esprit auberge », l’un en salle, meilleurs élèves. « Dimitri ? C’est le Pacaud du Sud ! » l’autre à ses fourneaux, trouve ses fondations : dans se plaît à dire son ami Arnaud Donckele. le couple, selon le principe des vases communicants. Quant à sa cuisine, d’aucuns la désignent « aroma- Fluide ! Comme les propos de Dimitri : tique, subtile et très percutante », « recherchée mais pas « Notre force est d’être un peu aubergiste. Nous ne prétentieuse » ; d’autres « Notre force est d’être sommes pas un restaurant de saison, nous avons une « travaillée mais pas am- grosse clientèle d’habitués tout au long de l’année. Notre bitieuse ». Ou encore « un peu aubergiste » objectif était de fidéliser avec une clientèle de proximité limpide et pas alambiquée ». On doit cependant y ra- importante. Quand je viens les voir à table, je n’ai ni jouter, là encore, la fluidité, la mouvance, pour mieux toque ni tablier. Et c’est grâce à eux et à leurs retours désigner sa signature, présentant ses assiettes comme que nous peaufinons nos assiettes et notre service. Et, des écosystèmes pour concentrer le milieu et les or- bien sûr, à la vigilance de Marielle aux avant-postes. » ganismes qui y vivent. D’ailleurs « Mon écosystème », c’est l’intitulé d’un de L’assiette « écosystème » ses plats phares, composition maritime rassemblant coquillages et crustacés des rivages de Cassis. Au gré de la pêche. « L’assiette du pêcheur », l’assiette de la pêche Ici, dans les assiettes, rien n’est gravé dans le marbre, du jour. Pour identifier clairement cette démarche, le si ce n’est amour du produit, rigueur et humilité, trans- plus simple est de comparer une recette de Dimitri à 10 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 10 21/06/2022 19:01
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la fameuse série de tableaux Les Meules du peintre impressionniste Claude Monet. Vingt-cinq tableaux représentant des gerbiers de blé montés en meules. Mais jamais les mêmes, parce que peintes à des saisons, dans des conditions climatiques, des ambiances, à des heures différentes. Territoire & humilité Comme le peintre pose son cheva- let dans la nature, le chef installe son fourneau pour cuisiner ce que lui offre son territoire – mot qu’il préfère à terroir – où terre et mer constituent le fond de sa toile mais où rien n’est statique. Comme la nature. Cuisine élaborée « quotidiennement en fonction de l’humeur de notre Méditerranée, de la pousse de nos D.R. 12 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 12 Partant de la gauche: David Piquet (chef sommelier) Yohan Dessarzin (chef-pâtissier), Marielle, Aurélien Cantrelle, 21/06/2022 19:01 (second), Dimitri et Julian Gentaire (directeur du restaurant).
D.R. jardins et de nos vergers, unique à l’ensemble de la table » comme l’annonce la carte du moment, de l’instant, de l’humeur. De la fluidité. Menu Anse de Corton : 160 € en 4 actes ou, si l’on préfère, tableaux. Menu l’Espassado Cap Canaille en 6 actes (210 €) ou encore Les agapes de Soubeyrannes 280€ (8 actes) seulement au dîner. Et puis la Brasserie du Corton, face au cap Canaille. Pas de cuisine canaille pour autant, mais plutôt de bistro où l’assiette se décline terre & mer : moules de Tamaris ; maigre, ceviche de pêche locale, asperges vertes de Roques-Hautes, véritable Sôcisse de Marseille au fenouil, tan- dis que le faux-filet s’accompagne de panisse (menu à 39 €). Le territoire est bien dans l’assiette et l’humilité aussi, comme en témoigne l’hommage rendu par Marielle à leur garde rapprochée, lors de la remise de la troisième étoile, le 22 mars dernier : « Il y a 9 ans, quand nous sommes arrivés à la Villa Madie, nous sommes tombés amoureux de ce coin de paradis. On a tout donné ; on a aus- si beaucoup reçu. Je pense à Aurélien Cantrelle, notre second à nos côtés depuis treize ans ; Julian Gentaire notre directeur ; Yohan Dessarzin, notre chef pâtissier ; David Piquet, notre chef somme- lier… » D.R. Gérard Gilbert La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 13 938.indd 13 21/06/2022 19:01
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2 – Le goût des autres, le bonheur d’apprendre Sa mère lui aura donné l’envie de cuisiner. De faire plaisir… Lecteur assidu du grand philosophe Friedrich Nietzsche, pour qui la vie « c’est l’accomplissement de soi-même », Dimitri Droisneau va se construire au travers d’un parcours jalonné de grands noms de la profession pour y parvenir. Cercle très privé dont il fait aujourd’hui partie, parvenu au sommet de son art. En toute modestie. Il est né le 11 janvier 1980 à la Saint-Benoît, de sinistre treprise de peinture, en devenant son cobaye attitré mémoire pour les amateurs de bonne chère, puisque lorsqu’il rentre déjeuner le jeudi midi à la maison. La c’est le 11 janvier 1662 qu’entrait en vigueur le décret table est mise. Dimitri est au taquet, prêt à lui servir réprimant les fastes des repas de noces. Ce qui n’aura son péché mignon ; l’onglet aux échalotes et pommes pas coupé l’appétit de Dimitri pour autant. Chez les sautées, vite, bon et chaud ! L’affaire est classée. Il peut Droisneau, à l’Aigle, dans l’Orne, on ne picore pas envisager avec la bénédiction parentale de « se prendre comme des moineaux. La portion congrue, on l’ignore ! pour Bocuse », selon l’expression consacrée de l’époque. Alors que Fernand Point clamait : « Donnez-moi du beurre, toujours du beurre ! » ; Huguette, sa mère, n’a qu’une seule devise : « On prend la crème et on fait Obstiné avec ! » La sole à la normande et le poulet vallée d’Auge, mais Action ! Plus une minute à perdre pour Dimitri. Pas- encore les harengs pommes à l’huile – entrée « ca- sionné de taekwondo (art martial des pieds et des naille » dans une version filiale servie parfois à la bras- poings), il va justement faire des pieds et des mains serie du Corton, rendant ainsi hommage aux talents pour brûler les étapes, conjuguant études au CFA culinaires de sa mère – feront donc son éducation. d’Alençon et apprentissage, alors que ses chers parents Et son bonheur. Le décidant à devenir cuisinier pour auraient souhaité qu’il intègre le réputé lycée hôtelier être l’artisan du bonheur des autres. Élan généreux Marcel-Marland de Granville. auquel souscrit son père Didier, qui possède une en- Obstiné, ayant obtenu gain de cause quelques onglets A l’Ambroisie de Bernard Pacaud. Dimitri au centre, un genou à terre. La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 15 938.indd 15 21/06/2022 19:01
D.R. aux échalotes plus tard, il entre ainsi en apprentissage « C’est là que j’ai appris la rapidité d’exécution dictée en juillet 2016 au Grand Saint-Michel d’Alençon. Où par la vitesse des services. » Michel Canet s’est installé au lendemain d’un brillant parcours : Savoy et Annabel’s Club à Londres, Bristol à Berlin, Closerie des Lilas et Plaza-Athénée à Paris, Frédéric Robert Hôtel de Paris à Monte-Carlo. Dire qu’il est en prise directe avec ce chef formateur Début 2000. Son ami le chef pâtissier Arnaud Poitevin qui ne laisse rien passer est un doux euphémisme. Cinq le persuade de le suivre chez Alain Senderens au Lu- en cuisine, mais souvent deux, le chef et lui : cas-Carton***, lui organisant même un rendez-vous « Aussitôt arrivé, j’ai appris à faire une tarte aux avec Frédéric Robert. Alias « Le Chef des chefs », pour pommes. Heureusement que ce n’était pas un gâteau avoir brillamment secondé Claude Peyrot***, Bernard d’anniversaire, car je n’avais plus une seule seconde Pacaud*** et présentement Alain Senderens***. pour souffler ! Tout Maison. On recevait les déhanchés Fortement impressionné par l’aura du chef, il passera de bœuf, on désossait, on boulangeait, on pâtissait. la nuit à mimer l’entretien, imaginer questions et ré- ponses. Peine perdue. Tout sera réglé en quelques mi- « Formation, Deux fois par semaine à Rungis sans compter pêche à pieds, cueillette des nutes, intégrant le 4 mars la brigade du Lucas-Carton force 9 ! » champignons, visites des maraîchers ». au poste de commis. Trois mois plus tard, devenu chef Au lendemain de cette formation accélérée et de l’ob- de partie, « le Chef des chefs » lui confie une mission tention de son CAP-BEP, son maître d’apprentissage le témoignant de la confiance et de l’estime qu’il lui porte : sent en jambes pour affronter n’importe quelle place chef privé d’une villa au Rayol Canadel dans le Var. forte étoilée de la capitale. Tant qu’à faire, ce sera la Ce n’est pas la douche écossaise, mais sa variante, la Tour d’Argent** de notre amphitryon Claude Terrail, douche provençale. Après avoir été élevé à la crème blason : canards numérotés et œillet à la boutonnière. fraîche, Dimitri entre de plain-pied au royaume de D’abord commis un an dans la brigade de Bernard l’huile d’olive. Découvrant avec jubilation la cuisine Guilhaudin (ex-chef personnel du collectionneur Da- méditerranéenne dont il régale chaque jour une dizaine niel Wildenstein, puis du Laurent) auquel lui succède de convives. Ce qui va lui laisser des… séquelles pour Jean-François Sicallac dont il apprécie tant la person- avoir récidivé quatre saisons d’affilée. nalité que l’écoute : Retour au Lucas après la saison 1, avec toujours la 16 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 16 21/06/2022 19:01
même ambition secrète qui lui trotte dans la tête depuis qu’il sait que Frédéric Robert est proche de Bernard Pacaud pour l’avoir secondé jusqu’en 1992. Découvrir sa cuisine devient une obsession. Pour autant, le chef craint de commettre une bourde en demandant alors à Jérôme Banctel second de Ber- nard Pacaud, de lui obtenir un rendez-vous. Ce dont il l’avertit : « Il m’a dit qu’il faisait une erreur en me plaçant chez D.R. Place des Vosges, l’heure d’une pétanque pour Dimitri et Bernard Pacaud. La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 17 938.indd 17 21/06/2022 19:02
Monsieur Pacaud parce que j’étais beaucoup trop jeune. rai plus la cuisine sous le même jour, ce dont je ne me Mais que finalement, après tout, je verrai la cuisine sous suis pas rendu compte de prime abord. Il fallait laisser un tout autre jour ! » au temps le soin de décanter cette très enrichissante ex- périence, trop jeune, effectivement, pour la comprendre. » Bernard Pacaud Éric Frechon Jeune, il l’est : 21 ans, alors qu’on ne passe jamais la porte des cuisines de l’Ambroisie sans ses 28 ans Changement d’ambiance au Bristol** intégrant le poste révolus. L’exception ne confirmera pas la règle. Le cou- de chef de partie au garde-manger dans la brigade XXL peret tombe. Le recevant occupé à confectionner ses d’Éric Frechon (MOF 1994) qui convoite la troisième bouquets, Bernard Pacaud ne lui fait aucune fleur : « étoile obtenue en 2009 : Stop ! Ça ne va pas du tout, t’es bien trop jeune ! Je veux « Monsieur Frechon m’a demandé ce que j’aimais faire. des chefs de partie ! » Lui ayant avoué ma passion pour les sauces, je me suis Revenu à la charge, le second rendez-vous sera le bon, retrouvé au garde-manger ! À brûle-pourpoint, la mé- le chef lui annonçant qu’il sera son premier et dernier thode m’a paru étrange, mais tout compte fait, elle a du demi-chef de partie et qu’il n’était pas dans un centre bon ! C’est un véritable homme de la terre à la cuisine de formation. très pointue. Très belle expérience. » … Ni un restaurant comme les autres aurait-il pu ajou- Au lendemain de laquelle il brûle d’envie de retrouver ter. Sa première journée est des plus sereines. Ici, ni sa place de chef de partie chez Bernard Pacaud qui, geste inutile ni précipitation, mais une concentration apprenant la nouvelle, lâche une réponse désabusée absolue nécessitant de bien maîtriser son énergie pour mais virile : travailler dans une ambiance des plus zen, en osmose « S’il en a, il n’a qu’à venir me voir ! » Réaction qui avec une équipe se comptant sur les doigts des deux sous-tend le lien qui se noue, encore invisible mais mains : ténu comme un fil de la Vierge entre le chef et son « Tous les matins, on attendait devant la porte. Je n’avais chef de partie. pas l’impression d’entrer dans un restaurant mais dans Venir le voir, il en aura le courage. Le contraire aurait une maison bourgeoise. Il m’a fallu quatre mois pour déçu Bernard Pacaud qui, en décembre 2004, lui donne commencer à cerner la personnalité du chef ; comprendre sa bénédiction pour prendre le poste de second de cui- qu’ici, c’était le produit, et le produit seul, qui dictait le sine à La Réserve de Beaulieu auprès d’Olivier Brulard comportement du cuisinier. Mais la réserve émise par (MOF 1996). Avec qui il partage un point commun : Frédéric Robert était avisée. Après l’Ambroisie, je ne ver- avoir eu Michel Canet comme chef d’apprentissage. 18 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 18 21/06/2022 19:02
Arnaud Donckele Juin 2007. Coup de blues au bord de la Grande Bleue ! Bien que la Réserve de Beaulieu ait retrouvé sa deu- xième étoile deux ans plus tôt. Adieu Méditerranée aux rivages enchantés et la Réserve. Et départ immédiat avec Murielle rencontrée un an plus tôt, pour la mer des Caraïbes et la très sélecte île de Saint-Barth’ où l’attend Jean-Claude Dufour, chef exécutif de l’Eden Rock au poste de chef de production de cet hôtel high- tech, maillon de la chaîne des Relais & Châteaux très apprécié de la jet-set. Expérience aussi enrichissante que plaisante : « On travaillait de sept heures du matin à quatre heures de l’après-midi. Après jet-ski et tennis. 250 couverts au restaurant, 80 au gastro. Gérer tout cela me passionnait d’autant plus que qualité rimait avec quantité. » Début 2009. Jean-Claude Delion – propriétaire de la Réserve de Beaulieu – le contacte par l’intermédiaire d’Arnaud Donckele, chef de La Résidence de la Pi- nède**, l’établissement tropézien de la famille, pour lui annoncer le départ d’Olivier Brulard. Ainsi devient-il chef par intérim en mars : « Aussitôt revenu des Caraïbes, je n’ai pas eu le temps de me poser de questions. Il a fallu repartir de zéro, des dressages contemporains, art dans lequel il excelle. » tout restructurer. J’ai eu la chance qu’Arnaud Doncke- Avril 2011. Olivier Samson ayant regagné sa Bre- le, immense professionnel, m’apporte sa précieuse aide tagne natale à Vannes en sa Gourmandière, Dimitri pendant un mois. C’est mon grand frère ! Très liés, nous est nommé chef, à la tête d’une brigade de 16 cuisi- avons travaillé en confiance et en parfaite réciprocité. » niers. En salle… Marielle, maître d’hôtel qu’il épouse 10 septembre 2009. Olivier Samson arrivé, Dimitri le 24 septembre 2011. Marielle et Dimitri ou Dimitri devient son chef adjoint : et Marielle ? Ils ne feront bientôt plus qu’un, unis par « Chef faisant corps avec son équipe, j’ai beaucoup appris un trait d’union, la Villa Madie… auprès d’Olivier Samson, notamment toutes les finesses Gérard Gilbert D.R. La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 19 938.indd 19 21/06/2022 19:02
3 – Dimitri Droisneau paroles de chefs De Michel Canet, son maître d’apprentissage, à Arnaud Donckele, en passant par Jean-François Sicallac, Frédéric Robert, Bernard Pacaud, Éric Fréchon, Olivier Samson. Dimitri Droisneau raconté par les talents qui ont marqué son parcours et l’ont formé. Sans oublier deux Aurélien : Vequaud et Cantrelle dont il fut le formateur. Michel Canet Pacaud pour qu’il entre dans sa brigade ! Or il a bien eu raison d’insister. C’est une chose que je ne lui ai peut-être (son maître d’apprentissage, jamais dite, mais j’embauche au feeling. Ça n’a jamais été Le Grand Saint-Michel) un CV, même long comme le bras, qui m’a fait changer « Sûr qu’il sortirait du panier ! » d’avis. Avec Dimitri, ça a été tout de suite “oui” ! J’avais devant moi un garçon au regard volontaire, opiniâtre et obstiné ! Je ne sais même pas pourquoi, quand je lui « Mes apprentis formés, je leur donnais ai annoncé que Bernard Pacaud l’acceptait au poste de le rôle de chef les six derniers mois. commis à l’Ambroisie, m’étant porté garant de lui, je ne lui Volontaire, curieux, sociable, Dimitri a brillamment ai pas dit qu’il avait intérêt à être à la hauteur ! … sachant traversé l’épreuve. Lorsque j’ai eu l’opportunité de le placer qu’il le serait ! Je suis heureux de cette distinction pour à la Tour d’Argent**, j’étais sûr de moi. Prenant ça comme Marielle et Dimitri. Les trois étoiles c’est aussi le Graal d’un un challenge, il allait très vite s’adapter, comprendre, couple. Pour avoir secondé Alain Senderens, Claude Peyrot, évoluer et en conserver le meilleur. J’aurai parié n’importe Bernard Pacaud, je n’oublie pas les rôles primordiaux joués quoi qu’il sortirait du panier ! » par Eventhia, Jacqueline et Danièle. Murielle et Dimitri aussi ne font qu’un ! » De Michel Cannet à Jean- François Sicallac (chef de La De Frédéric Robert à Bernard Tour d’Argent**) Pacaud (chef de l’Ambroisie) « Il faisait déjà du vélo sans les « La Villa Madie, c’est la roulettes ! » réussite d’un couple » « Tombé du ciel, le gamin dont on rêve ! Intéressant et intéressé. On en voudrait tous les jours un comme ça ! « Quand il est arrivé à l’Ambroisie, il Je l’ai fait passer par tous les postes. Toujours d’aplomb. avait 21 ans. Très bien formé et déjà un très beau bagage. Sérieux, propre, presque zéro défaut. Il fait partie de ces N’ayant alors que des chefs de partie, c’était le seul commis gamins qui sont aujourd’hui au sommet de notre art. ça de ma brigade. Très sérieux, exemplaire dans son travail, il fait plaisir. C’est le but. Et c’était écrit. Ils étaient douze s’est tout de suite parfaitement intégré, mis au diapason. au départ, plus que six à l’arrivée. Il était dans le lot. Sorti Avec le souci constant de s’informer, comprendre, d’apprentissage, il faisait déjà du vélo sans roulettes ! » s’améliorer, s’enrichir. Et toujours bienveillant à l’égard des autres. Modeste. Bosser, évoluer, tracer sa route, c’était son objectif. Énormément de qualités, sans oublier celle De Jean-François Sicallac à de se plier en quatre pour rendre service. Ça, c’est pour le Frédéric Robert (chef de la passé. Pour le présent, c’est la Villa Madie. Qui avec ses Grande Cascade) trois étoiles représente la réussite d’un couple. Celle discrète et humble de Murielle et Dimitri, chacun formidable dans « Opiniâtre et obstiné, au leur domaine pour ne faire qu’un. Nous avons récemment regard volontaire » passé quatre jours ensemble. On a joué à la pétanque, il m’a parlé vélo et plongée sous-marine, ses autres violons « Je le dis très affectueusement… Mais qu’est-ce qu’il a d’Ingres. Quant aux trois étoiles, il m’a avoué qu’il lui avait pu me saouler pour que j’intervienne auprès de Bernard fallu deux mois pour le réaliser. Toujours aussi modeste. » 20 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 20 21/06/2022 19:02
culture gastronomique, éternel insatisfait parce que De Bernard Pacaud à Éric perfectionniste jusqu’au bout des ongles dans tout ce qu’il entreprenait, ma mission, c’était aussi de le canaliser. De Fréchon (chef du Bristol) l’inciter à s’économiser, déléguer, s’adapter, mais aussi « Dans le respect des belles savoir déconnecter pour affronter l’avenir plus sereinement, valeurs » conscient de son énorme potentiel. Et quel avenir ! Apprendre sa consécration fut pour moi un pur instant de bonheur. » « Aussitôt entré dans la brigade, on a vite remarqué qu’il avait l’envie de se perfectionner chevillée au corps. Mais encore ? Qu’il vouait aussi le plus grand respect aux belles valeurs ; humaines, du travail, du produit. Et… Et qu’il évoluerait dans cette morale. À Cognac, le jour de la remise des étoiles, je l’ai retrouvé tel que je l’ai connu. Il faut Aurélien Véquaud (chef de être humble quand on est cuisinier. Je pense que Bernard Pacaud, maître en humilité, n’est pas étranger à cette belle la Passagère * Hôtel Belles leçon qu’il est plus jamais bon de rappeler à notre époque. Rives) Et de faire sienne ! » « Il est toujours resté lui-même ! » D’Éric Fréchon à Arnaud Donckele (chef de Cheval « Commis à la Réserve de Beaulieu, je lui dois ma formation. Blanc, Paris) En tant qu’homme et cuisinier. Bienveillant, d’une grande sensibilité, à l’écoute, proche des gens, carré et de grand « Le modèle du couronnement caractère, il a tout de suite cerné mes failles et m’a montré de l’artisanat au travail » le droit chemin, celui de l’accomplissement de soi-même. Professionnellement, technicien de haut vol, il m’a apporté « Gérant un temps les deux enseignes, la Pinède à Saint- la rigueur, façonné le palais, dégrossi avant que je ne Tropez et la Réserve de Beaulieu, j’ai tout de suite pensé rejoigne Arnaud Donckele à La Pinède et ne devienne son à mon ami Dimitri, proposant à Jean-Claude Delion chef adjoint. Je connais le chef depuis dix-huit ans. Ce qui qu’il occupe le poste de chef adjoint à la Réserve. Dont il me permet de l’admirer aussi, parce qu’il reste lui-même. A connaissait bien sûr les difficultés, à la fois palace et table lui tout seul, une grande leçon d’humilité ! » étoilée, fonctionnant sur une seule cuisine. Deux ans plus tard en 2011, il était chef. Il était tout aussi naturel que Aurélien Cantrelle (second) je pense à lui quand, la Pinède couronnée de trois étoiles, j’ai bien sûr renoncé au projet en cours de m’installer à La « Affaire de cœur et de Villa Madie. C’était fait pour Murielle et Dimitri. Ces trois famille » étoiles, c’est aussi la consécration d’un couple, chacun dans leur domaine, travailleur, talentueux, solide, les pieds sur « Voici treize ans que je suis son terre. Le modèle du couronnement de l’artisanat au travail. adjoint. C’est un gardien des valeurs, sa L’aboutissement de l’obstination à maîtriser, réussir. franchise et sa spontanéité n’étant pas À la fois le plus grand défaut et la plus grande qualité de des moindres. En tant que bras droit, Dimitri, c’est d’être pétri de doutes. Ses doutes l’amènent je suis aussi ses yeux et son palais. Ce à des convictions. À force de faire et de refaire avec la que je lui dois. Comme le bonheur de travailler en pleine peur de décevoir, sa cuisine devient sincère. » confiance. La consécration ? Rêver de l’obtenir n’était pas au menu de tous les jours. Mais progresser au quotidien D’Arnaud Donckele à Olivier oui ! Sans fièvre. Pour moi, c’est aussi une histoire de cœur Samson (chef de la Réserve et de famille. » (2009-2011) « Éternel insatisfait, comme Propos recueillis par Gérard Gilbert tout perfectionniste » « Force de la nature, travailleur acharné, d’une grande La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 21 938.indd 21 21/06/2022 19:02
L’esquinade en prémices printanières Esquinade, « d’esquinado » en provençal, désigne l’araignée de mer. Ici, il s’agit de chair de tourteau et de caviar français, brouet aux herbettes des Janots, févettes. Accompagnant pince de tourteau, émietté de tourteau, caviar, glace de tête de tourteau servie avec un consommé de tourteau. 22 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 22 21/06/2022 19:02
Les recettes de Dimitri Droisneau « Notre écosystème » La quintessence de la signature de Dimitri Droisneau représentée par la pêche du jour vivifiée à l’écorce de bergamote. Le seul plat demeurant à la carte toute l’année, variant en fonction de la pêche sur consommé gélifié de pinces et têtes de crustacés. Accompagné de madeleines au beurre de crustacés à déguster trempées dans le mousseux de carapace servi dans le coquillage. La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 23 938.indd 23 21/06/2022 19:02
La sardine de pays dans tous ses états, thym, citron et caviar de Sologne Plat hommage, inspiré de la salade de hareng fumé et de pommes de terre que sa mère Huguette faisait dans son enfance. Sous les tron- çons de sardines à la chair à peine marinée, une salade de pommes de terre, tandis que les pommes de terre soufflées reposent sur une délicate gelée de bonite. En contrepoint, la saveur moutardée des feuilles de capucine et le iodé de la bourrache. Tout se mange, y compris l’arête croquante frite à haute température très représen- tative de la philosophie empruntée à Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». 24 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 24 21/06/2022 19:02
Les recettes de Dimitri Droisneau Le pigeon, poitrine massée à la fève de Tonka, velours de romanesco à l’amandon Plat historique, première création en tant que chef à la Réserve de Beau- lieu**. La poitrine est rôtie sur le coffre, accompagnée de gel de feuilles de cerisier sakura et d’un praliné de pistache. Cuisse désossée aux éclats de pistache de Bront. Purée de chou romanesco parfumée à l’huile d’amandon. La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 25 938.indd 25 21/06/2022 19:02
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« On brai Valeur sûre LA MERISE À LAUBACH Cédric Deckert Le retour de la cuisine de haut goût Cuisiner à son goût et bâtir un restaurant à son goût ! C’est l’exploit dont Cédric et Christelle Deckert sont les plus fiers, avec leurs deux étoiles couronnant leur Merise. Enseigne de plein champ devenu jardin d’Eden pour tout gourmet qui retrouve ici un paradis perdu, sinon en voie de disparition pour de nombreux palais : la cuisine de haut goût, qui fait si bon ménage avec l’art familial de recevoir. Autre paradis retrouvé. Lundi 18 janvier. En direct de la tour Eiffel. Avec Hé- lène Darroze, Cédric Deckert est en cette année 2021 le double étoilé du guide Rouge (Michelin millésimé Covid). L’inconnu, c’est lui ; celui qui crée l’événement. Premier étonné de cette distinction, couronnant un restaurant dont le bouche-à-oreille lui décerne sans chipoter trois étoiles, si ce n’est la Voie lactée, tant il aura été achalandé en un temps record. Clientèle ravie de découvrir que la carte s’ouvre sur cette mise au point singulière et très appréciable, à l’heure où le « jus de crâne » compte parmi les assaisonnements les plus en vogue : « Ici, on réfléchit, on épluche, on taille, on émince, on blanchit, on poêle, on braise, on saisit, on déglace, on goûte, on rectifie, on dresse. En bref, ici, on cuisine ! » Deux points d’exclamation qui marquent aujourd’hui l’insistance du propos, et qui s’appelaient jadis « point d’admiration ». C’est donc à l’ancienne qu’il faut in- terpréter cette ponctuation en découvrant le talent de Cédric Deckert qui fait l’unanimité. Pour, par petites touches subtiles, inventives, audacieuses, parvenir à demeurer de plain-pied dans son époque, sans s’écarter d’un classicisme très assumé, concentré sur la puis- sance des goûts. De ces fumets force 8 que privilégiait Bernard Loiseau. Des explosifs en bouche, comme la sauce aux huîtres du maître de Saulieu qui en faisait foi. D’équerre « Le goût, le goût, le goût ! » c’est ce qui affirme au plus près l’identité culinaire créative et avisée de Cédric Deckert - ou « d’équerre » pour compter parmi ces La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 29 938.indd 29 21/06/2022 19:02
chefs architectes de saveurs très ajustées. Chaque plat de viande comme de poisson a son fond qui intervient en fil à plomb (ou d’aplomb). Pour une sauce corsée, enveloppante, moulante. Corsetant le produit. Toujours trois produits maximum. À part ça, Cédric Deckert ne se retranche derrière aucun style, ne s’au- toproclame d’aucune chapelle. Pour preuve ? Si le foin qui parfume subtilement le dos de canette de Challans provient des champs sans engrais qui abritent ses ruches autour de son restau- rant, soucieux de vivre sur un site naturel préservé et s’engageant dans une démarche écologique, il ne jure pas pour autant que par le locavore. D’ailleurs son plat fétiche, c’est l’aile de raie grenobloise, version « Laubach » – très allégée – et à sa façon : wasabi, gingembre confit accompagné d’un beurre mousseux au Kaffir. Plat des plus plébiscités avec les noix de Saint-Jacques rôties, risotto crémeux de parmesan céleri frit, émulsion au champagne ; le homard bleu en chartreuse ou encore le tourteau, caviar osciètre et combawa. En osmose C.Q.F.D : Ici, paix à ces sandres qui ne sortiront pas des eaux du Rhin pour batifoler dans le riesling. Sa carte propose, en effet, une cuisine à 60 % océane, en lisière de forêt, le reste consacré aux viandes et abats dont les superbes noix de ris de veau, échalotes confites, jus réduit aux truffes. Et encore le porcelet laqué, la côte de veau aux cèpes. Plats présentés au guéridon, péché mignon de Christelle Deckert, très sensible au cérémonial de la découpe en salle. Voiture roulante qu’elle troque contre son chariot à caviar en boîtes coiffantes (meuble signé de l’ébéniste Éric Goetz), servi présent et passé, sans fausse note. sur une spatule créée par Marc Frohn, sculpteur sur Au présent, de larges baies vitrées laissent entrer la bois (MOF). « Le détail, un point c’est tout ! », comme campagne dans une belle salle à manger contempo- disait Fernand (Point). raine, et un singulier couloir, tunnel de verre, où les La priorité de Cédric, c’est de cuisiner en toute liberté, serveurs se profilent en ombres chinoises d’une salle à à son goût. En freestyle. l’autre. Des quatre points cardinaux, la nature s’invite, Il en va de même de leur enseigne, sa conception allant se faufile, semble épancher ses ombres jusqu’aux pieds de pair avec sa table. Comme Cédric cuisine à son goût, des tables nappées. avec Christelle, le couple a créé un Au passé, des matériaux anciens récupérés sur d’an- « De la pioche restaurant à leur goût. De A jusqu’à cestrales maisons alsaciennes, comme colombages et à la louche » Z, à commencer par participer à ses portes de bois massives en chêne, huisseries en fer for- fondations. Du jamais vu ! Puisque gé, tuiles biberschwanz centenaires en terre cuite dites ça a commencé comme ça ; avant de tenir la queue de en « queue de castor », solives, grès des Vosges, char- la poêle, il a craché dans ses mains pour empoigner pentes du salon du 1er étage, reflétant au mieux cette le manche de pioche. Et bâtir leur maison en un an – parfaite fusion entre ancien et moderne. Ou vice-versa. 2015 – 2016 –, avec leur architecte, à partir des plans Qui de l’œuf ou de la poule ?... Abracadabra ! C’est à conçus avec son épouse. l’image de son talent culinaire, assemblant, polissant classicisme et créativité sans la moindre aspérité. La Merise On l’aurait deviné. Si Cédric n’avait pas été cuisinier, il aurait été architecte, arts liés par bien des points com- Une spacieuse bâtisse typée alsacienne, dans l’esprit muns. À défaut, il se sera inspiré de la maison du maire du corps de ferme. À l’instar de sa cuisine, mariant qui l’avait convié à une prestation culinaire assurée 30 La Revue Culinaire N°938 juillet/août 2022 938.indd 30 21/06/2022 19:02
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