Le Partenariat-Public-Privé de l'Université Paris
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Le Partenariat-Public-Privé de l'Université Paris VII : un cas révélateur1 En juillet dernier, le Tribunal Administratif a retiré les permis de construire de deux des nouveaux bâtiments de l'Université Paris VII (Paris Rive Gauche), conçus, construits et entretenus par l'entreprise Vinci, parce qu'ils ne respectaient pas les normes de sécurité. En janvier 2014, ces manquements aux normes ont été avalisés par l’État, qui a pris la défense de la multinationale du béton. Ce cas, particulièrement révélateur, ne constitue pas simplement une dérive : il met en évidence ce qui est structurellement en jeu dans les Partenariats-Publics-Privés, ainsi que les rapports de pouvoir qu'ils impliquent. De nombreux projets, du tribunal de grande instance de Paris (dont les travaux sont arrêtés depuis juillet dernier) à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (dont la construction est censée reprendre sous peu) risquent de souffrir des mêmes tares : construits au rabais, ruineux pour le public, opaques, quasiment impossibles à contrôler, propices à tous les conflits d'intérêt, les PPP fleurissent et pourraient bien nous réserver encore quelques surprises... Les PPP dans les réformes de l'Enseignement supérieur La décision de faire appel à un Partenariat-Public-Privé remonte au « Plan Campus » lancé en 2008. Financé par la vente d'une partie du capital d'EDF et par le « Grand Emprunt » de 2010 (c'est-à-dire par la privatisation partielle d'un service public et par l'endettement sur les marchés financiers), celui-ci visait à faire émerger des « pôles d'excellence » universitaires d'envergure internationale. Pour toucher cette subvention de l’État, les universités françaises étaient mises en concurrence. Pour l'emporter il fallait, entre autre, faire des Partenariats Public-Privé. Le « Pôle de Recherche et d'Enseignement Supérieur » Sorbonne-Paris-Cité (PRES SPC), auquel appartient l'Université Paris VII, a ainsi été doté de 200 millions d'euros. Cette logique de mise en concurrence des services publics et de délégation à des prestataires privés est partie intégrante du programme de l’État néolibéral (c'est un « nouveau management public » à la française qui se développe depuis la Révision Générale des Politiques Publiques de 2007). Le « Plan Campus » et la valorisation des PPP sont complémentaires des réformes actuelles de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il s'inscrivent dans le sillage de la loi LRU (loi relative aux Libertés et Responsabilités de l'Université) de 2007 : l'université doit gérer elle-même son parc immobilier (ce qui est compris dans l'autonomie budgétaire) ; il faut créer des « pôles d'excellence » universitaires pour être compétitifs dans l'économie de la connaissance (ce qui 1. Texte issu d'une réunion publique organisée le 07-02-2014 à l'ENS par le Comité de soutien à Notre-Dame-des- Landes (5eme/13emr), intitulée « De l'Université Paris VII à Notre-Dame-des-Landes : l'empire de Vinci et le désastre des Partenariats-Publics-Privés ».
implique une université à deux vitesses : on ne subventionne que les « meilleures »). Cette logique, amorcée sous Nicolas Sarkozy, se poursuit sous François Hollande. La RGPP a simplement pris un autre nom : Modernisation de l'Action Publique. Au niveau de l'université, la Loi Fioraso de 2013 est dans le droit fil de la loi LRU. A Paris VII ou ailleurs, le recours aux PPP dans l'enseignement supérieur n'a donc rien d'un accident de parcours. Ce que cache le contrat : conflit d'intérêt permanent, opacité et lobbying Le PPP de l'Université Paris VII a été signé le 24 juillet 2009 (on a d'ailleurs su que très tard que Vinci avait remporté l'offre). Dans ce genre de partenariats, le privé ne se charge pas simplement de la construction des bâtiments, c'est à dire des travaux. Il prend en charge tout le processus : financement, conception, construction, puis maintenance et exploitation des édifices (le loyer est d'un peu moins de 10 millions d'euros par ans pendant 27 ans, date après laquelle l'Université deviendra propriétaire des lieux). En l'occurrence, il s'agit d'une organisation à plusieurs étages. Vinci participe au financement des travaux à travers le groupe Udicité, qui a signé le contrat avec l'Université. L'entreprise doit donc démarcher auprès des banques et mettre en place un montage financier complexe pour l'occasion : Udicité (148 millions d'euros) est possédé à 15 % par Vinci, à 15 % par GDF-Suez, à 40 % par FidePPP (filiale de Banque Populaire Caisse d’Épargne) et à 40 % par la banque Barclays (ce montage permettrait aussi à Vinci de se retirer du projet n'importe quand, puisqu'il n'aurait qu'à revendre sa part). C'est ensuite une filiale de Vinci (Sogam) qui donne les ordres et engage les architectes, tandis que d'autres filiales (Sicra, GTM...) font les travaux de BTP à proprement parler. Dans cette affaire, Vinci est à la fois commanditaire, promoteur et exécuteur des travaux. En d'autres termes, le maître d'ouvrage et le maître d’œuvre, celui qui commande et conçoit les bâtiments et celui qui les construit, ne font qu'un. Comme le dit Philippe Blandin, architecte licencié par Vinci pour avoir voulu respecter les normes de sécurité : « c'est le conflit d'intérêt permanent ».2 Entre ces différents niveaux, il y a des organismes de contrôle : dans les faits, ils sont court-circuités et tenus à l'écart. L'architecte, pour sa part, exécute les ordres ou se fait licencier, comme le montre l'exemple de Blandin : il n'a aucun pouvoir réel et doit se contenter d'obéir, quitte à saboter son propre travail. Dans tout PPP, le rapport de force est structurellement inégal. En France, seuls trois grands groupes peuvent prendre en charge de tels projets : Vinci, Bouygues et Eiffage, les trois grandes multinationales de l'oligopole du BTP. Mais leur pouvoir est énorme et, si on leur laisse contrôler tout le processus, la puissance publique n'a pas les moyens de s'opposer à eux. La preuve, dans le 2. Cf. l'article de Médiapart, « La multinationale et l’université: conflit de chantier », le 27/07/2010. 2
cas de Paris 7, c'est l'opacité totale du processus, qui laisse Vinci maître du projet, puisque ici le contrôlé est son propre contrôleur. Le contrat PPP est soumis à une « clause de confidentialité », « secret industriel » oblige. La majeure partie de ce qu'il contient n'est tout simplement pas accessible au public, et même le Conseil d'Administration de l'Université est tenu à l'écart : il a voté le partenariat « sans avoir le droit de lire le contrat »3. Seul le président de l'Université et ses services juridiques y ont accès. Dans cette affaire, donc, le « public » (l’État) se retrouve à faire la promotion de partenariats qui risquent à chaque instant de se retourner contre lui, puisque le privé y a nécessairement plus de pouvoir, et se servira à coup sûr de ce biais pour augmenter ses profits tout en réduisant ses risques. Reste à savoir pourquoi l’État se tirerait volontairement une balle dans le pied (outre le fait que le montage peut servir à maquiller une partie de la dette publique, puisque la dépense prend la forme d'un loyer étalé sur 27 ans). On peut entrevoir, sur un exemple, les réseaux de pouvoir publics-privés qui se cachent derrière la promotion des PPP. Occasionnellement, le groupe Udicité s'envoie à lui-même des fleurs. C'est la FidePPP, filiale du groupe Banque Populaire Caisse d'épargne (BPCE), qui détient avec Vinci une grande partie du capital d'Udicité. Sous le gouvernement Sarkozy, cette filiale distribuait des « prix des PPP » aux personnes responsables de projets « ambitieux », conjointement avec le « Club des PPP » (think-tank qui invite régulièrement des ministres, des anciens ministres et des hauts fonctionnaires à discuter sur le sujet ; il appartient lui-même à Com'Publics, organisme se définissant publiquement, sur son site internet, comme une agence de « communication institutionnelle et lobbying »). En 2009, différents acteurs gravitant autour du projet de Paris VII ont reçu pas moins de 4 « prix du PPP » ! : l'Université elle-même (« prix Autonomie et modernisation », en la personne de Vincent Berger), son vice-président « immobilier » François Montarras (« prix de L'homme déterminé »), le Ministère de l'Enseignement Supérieur (« prix Universités », en la personne de Valérie Pécresse) et le directeur « développement des PPP » du groupe BCPE (« prix de la Pédagogie financière »...). Chacun traduira à sa façon ce florilège de rhétorique bureaucratique (prix de la subordination des services publics aux intérêts privés, du décideur autoritaire et borné, de la privatisation rampante de l'université et du détournement légal d'argent public ?). Autre détail amusant, ce prix auto-octroyé était à chaque fois « validé » par le Ministère de l’Économie. Enfin, dernière reconnaissance officielle du projet : Vincent Berger, ex- président de l'Université Paris VII, a été promu « conseiller Enseignement Supérieur et Recherche » de François Hollande (sans doute pour vanter les mérites d'une affaire si rondement menée). Bref, la confusion des genres est totale... 3. Cf. Médiapart, « Le chantier de Vinci à Paris 7 : c'est l'université qui garantit les risques ! », le 06/12/2011. 3
Le non-respect des normes de sécurité et sa « légalisation » par l’État « public-privé » Il y a néanmoins des failles dans le processus. Si l’Université n'est pas capable de défendre son intérêt dans cette affaire – la présidence a pris la défense de Vinci –, il arrive que ses usagers le fasse à sa place. En juin 2010, l'association Diderot Transparence et la fédération syndicale Solidaires étudiant-e-s, entre autres, ont déposé un recours juridique au Tribunal Administratif. Ce recours concerne deux bâtiments : « Olympe de Gouges » et « Sophie Germain ». Il reproche à Vinci de ne pas avoir respecté les normes de sécurité, et notamment de sécurité incendie, et d'avoir fait une fausse déclaration d'effectifs. Selon Vinci, seuls les premiers étages sont accessibles aux étudiant-e-s : les étages supérieurs n'ont donc pas besoin de respecter les normes des Établissement Recevant du Public (ERP). Or les étages accueillent des secrétariats et des bureaux, des salles de réunion et de séminaire, et même deux bibliothèques ! Dans le fonctionnement normal et nécessaire de l'Université, des étudiant-e-s, des intervenant-e-s extérieurs, des chercheur-se-s associé-e-s etc. doivent pouvoir y accéder et, de fait, y accèdent. Mais, en cas d'incendie, il n'y a pas assez de dégagements ni de baies d'accès pompier accessibles pour évacuer tout ce beau monde (et le désenfumage des étages supérieurs n'a pas été fait). Quand à la solidité des planchers, c'est un mystère, puisque le dossier du permis de construire ne fournit aucune données sur la question... Et ce n'est pas fini. Le 21 septembre 2010, en réponse explicite à ce recours déposé au Tribunal Administratif, un avenant au contrat PPP a été voté en urgence au Conseil d'Administration de Paris VII. Non inscrit à l'ordre du jour, il a pris tout le monde au dépourvu. Qu'annonçait-il ? Qu'en cas d'annulation des permis de construire, l'Université Paris VII payerais les frais de construction et de démolition, à partir du moment où il dépasserait la somme d'un demi-million d'euros. Avec quel argument ? Il fallait donner des garanties aux banques (Barclays et BPCE) pour qu'elles n'interrompent pas leur financement (manière, aussi bien, de continuer les travaux et de jouer la carte du fait accompli : si le bâtiments sont prêts, pourquoi leur retirer leur permis de construire?4). Cet avenant a recueilli l'écrasante majorité des voix. Une fois de plus, le privé empoche les bénéfices et le public garantit les risques ! Ce qui révèle deux choses : le « contrat » est une fiction, puisqu'il s'agit avant tout de rapport de force (on se demande quel sorte de chantage Vinci a pu exercer pour que cet avenant soit accepté par la présidence) ; depuis la loi LRU, les 4. A noter que cette stratégie pourrait être retournée contre les entreprises impliquées : en l'absence de telles garanties, les banques refuseraient tout simplement de financer le projet. En présence d'un mouvement social, ou simplement d'hommes et de femmes déterminé-e-s à défendre la cause du public, un montage PPP pourrait bien s'écrouler. Dans le cas du Palais de Justice de Paris, dont les travaux sont actuellement suspendus, le précédent de Paris VII est d'ailleurs cité par les avocats : preuve de plus que les PPP sont loin d'être invincibles et que, devant l'accumulation des scandales, l’État pourrait bien lui-même se rendre compte de leur nocivité intrinsèque. 4
présidents d'Université ont acquis les pleins pouvoirs, et les conseils d'administration tendent à devenir les simples chambres d'enregistrement de décisions prises en amont. Malgré cela, la justice a finis par faire son travail : en juillet 2013, le Tribunal Administratif a annulé les permis de construire des deux bâtiments concernés – qui étaient déjà construits et occupés ! Vinci et l'Université ont fait appel au jugement. Avant juillet 2013, les étudiant-e-s et les chercheur-se-s pouvaient demander un badge pour monter dans les étages : maintenant, c'est tout simplement interdit. Officiellement, seul le personnel badgé y a accès. Dans les faits, l'Université fonctionne comme elle peut : les enseignant-e-s et les secrétaires reçoivent dans leurs bureaux, des séminaires et des réunions ont lieu, la bibliothèque est ouverte mais désertée etc. (on a même remonté les grilles du 4eme au 5eme étage : les étudiant-e-s ont désormais physiquement accès aux secrétariats, bien qu'un panneau signale, en conformité avec les normes incendies, qu'ils ne peuvent pas légalement y aller...). La présidence, même si elle affirme le contraire, le sait très bien : ses décisions contraignent le personnel à contourner la loi au quotidien, en acceptant de faire monter des personnes sans badge dans l'ascenseur, tout en essayant de lui en déléguer la responsabilité. D'un côté, ce dispositif hypocrite complique la vie de tous, et nuit à la vivacité des relations entre étudiant-e-s et enseignant-e-s en leur dressant des obstacles inutiles (les badges sont un beau symbole de l'université néolibérale : ouverte sur l'économie et intégrée dans un quartier d'affaires, mais sécuritaire et cloisonnée de l'intérieur). De l'autre, chacun est obligé de jouer avec les normes de sécurité. L'automne dernier, Solidaires étudiant-e-s a tenté d'informer et de mobiliser les étudiant-e-s, enseignant-e-s et personnels sur la question. Malgré un soutient « moral » très large, il y avait peu de monde aux Assemblées Générales, et le mouvement n'a pas pris. Quelle est la situation actuelle ? Le 24 janvier dernier, le rapporteur public du Tribunal administratif s'est prononcé pour l'annulation des arrêtés d'ouverture au public. Mais, fin décembre, alors qu'aucune mesure n'avait été prise pour la remise aux normes, la préfecture a validé de nouveaux permis : toutes les irrégularités dénoncées par le premier recours ont été transformées en « dérogations » ; le non-respect des normes a simplement été légalisé... Entre le moment où la décision du rapporteur a été mise en ligne et la date de l'audience (moins de deux jours), le préfet avait déposé un nouvel arrêté d'ouverture au public : en d'autres termes, il s'est assis sur le jugement du Tribunal en reprenant exactement la même décision que par le passé sans tenir compte de son verdict. Il faut désormais engager de nouveaux recours contre les mêmes arrêtés d'ouverture : Vinci et l'Université ont encore gagné du temps. L’État, en agissant au mépris de la loi et de la justice, a une fois de plus montré de quel côté il se situait dans cette affaire. En somme, les trois signataires du contrat PPP – Vinci, Paris VII et l’État – 5
agissent quasiment main dans la main pour défendre les intérêts des « prédateurs du béton » (cf., sur l'empire industriel de Vinci, Nicolas de la Casinière, Les prédateurs du béton, Libertalia, 2013). Pour en finir avec les PPP Les revendications immédiates de Solidaires étudiant-e-s Paris VII et du Collectif Vinci doit Payer sont les suivantes : • Mise aux normes des bâtiments Olympe de Gouges et Sophie Germain aux frais de Vinci, de manière à ce qu'ils puissent accueillir sans danger du public à tous les étages. • Suppression des badges et libre circulation, pour tous, dans les bâtiments de l'université. • Publication complète, sans « clause de confidentialité », du contrat PPP passé entre l'entreprise Vinci (sous le nom d'Udicité), l'Université Paris 7 et l’État français. Évidemment, à moyen terme, c'est de la suppression des PPP et de la « nationalisation » des partenariats en cours qu'il faudrait parler. Cependant, à l'Université comme ailleurs, c'est la logique globale au sein de laquelle ils s'inscrivent qu'il s'agit de dénoncer en bloc : la privatisation rampante des services publics, la mise en concurrence généralisée des institutions et des équipes de travail, la précarisation des travailleur-se-s, l'importation des discours et des outils du management jusque dans l'appareil d’État – et, replacé dans ce contexte général, l'externalisation de tâches à des acteurs privés et le recours aux PPP dès que la chose s'avère possible. Attention, donc, à ne pas se focaliser sur la critique des PPP, car ils ne sont que l'arbre qui cache la forêt de l’État néolibéral. Solidaires étudiant-e-s Paris VII paris7@solidaires-etudiant-e-s.org http://www.solidaires-etudiant.org/ 6
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