Le projet de formation commune du Pacte : entre enjeux sociaux, stratégies des acteurs et données de la recherche - Events ULiège
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Journée d’étude – 27 mai 2019 – ULiège Changer l’école : comment faire la part des choses entre exigence de preuves scientifiques, effets de mode, valeurs et engagement ? Le projet de formation commune du Pacte : entre enjeux sociaux, stratégies des acteurs et données de la recherche Marc Romainville, UNamur
1. Rappel des faits… § Le Pacte se voulait être un processus systémique et « participatif » § Le monde académique (et donc la recherche) y a été largement associé • Expertises et présidences de plusieurs GT (diagnostic, prospective, plans d’action) • Conventions pour « appui au processus » • Comité scientifique • Experts dans les GT référentiels • Idem dans la Commission des référentiels • Consortiums « Outils »
2. Un contexte sociétal peu favorable § Crise de la démocratie représentative • On rechigne à « abdiquer une partie de soi pour se soumettre au collectif » (Rousseau) • Le terme « participatif » n’a dès lors plus le même sens pour tout le monde… o L’autorité politique pensait que le consensus entre « acteurs » était une garantie de pérennité, de réussite et d’adhésion o Mais des enseignants ne se reconnaissent pas (plus) dans leurs représentants, les fameux « acteurs »
« À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre, il n’est plus. » Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, GF-Flammarion, 2001, p. 136
2. Un contexte sociétal peu favorable (II) § Méfiance vis-à-vis du rationalisme • L’idéologie de la méfiance aveugle par rapport à la science remplace désormais l’idéologie de la confiance aveugle dans les progrès et l’objectivité de la science • On ne croit plus que ce qu’on voit, là où on est ou ce qu’on croit savoir par son expérience, on réfute les « experts » : « je n’ai pas besoin d’études, c’est mon expérience » (ex. niveau, orientation précoce, « intelligence de la main », etc.)
2. Un contexte sociétal peu favorable (III) § Confiscation du « débat » par les réseaux sociaux • Primat de l’émotion sur les faits, des croyances sur les connaissances • Primat de la concision sur la réflexion longue • Effets de contamination et de surenchère incontrôlables • Fake news du Pacte (exemple, la promotion automatique, la disparition de la culture au profit du grand capital, la mort du latin, etc.)
La mort du latin : errare humanum est, perseverare ideologicum… § Carte blanche déposée sur le site du Soir (15 juin 2018) : « Comment le Pacte d’Excellence et son ‘tronc commun’ étouffent l’enseignement du latin ». § Contre-vérités manifestes • « Actuellement, tout le monde peut choisir de faire du latin – qui n'a donc rien d'élitiste – , ou de ne pas en faire ». • Faux : 36% des premiers degrés ne proposent pas le latin en tant qu’activités complémentaires et 13% des élèves en font encore en deuxième. § Affirmations péremptoires : « le tronc commun fonctionne mal en Finlande » § Approximations trompeuses • Le Pacte serait aussi le « fossoyeur du grec » • Le grec est mort tout seul, bien avant le Pacte : seuls 7 établissements en proposent encore au premier degré, toujours en activités complémentaires (en 2e uniquement, pour moins de 0,4% des élèves). Il est juste vrai qu’il subsiste en 3e.
3. Place et rôle de la recherche ? § Puisqu’il se veut systémique et participatif, l’accord autour du Pacte a été le résultat d’un subtil équilibre et d’un consensus longtemps négocié entre acteurs … et d’ailleurs ils y tiennent ! § Les consensus (dont l’Avis n°3) sont aussi le résultat : • de stratégies des « acteurs » défendant leur position, leur rôle (et leur vision du) dans le système • d’anticipation de la réception par « l’opinion publique » • de lobbys … notamment disciplinaires • de renoncements liés aux contraintes budgétaires (prolongement de la journée, comité de lecture, etc…) § Les données probantes peuvent passer à la trappe lors de telles négociations (ex. place du latin, le tronc commun diversifié)
3. Place et rôle de la recherche ? (II) § D’ailleurs, l’impact du monde académique a été inégal tout au long du processus
Monde académique Monde politique Impact Acteurs L’Avis n°3 Temps
3. Place et rôle de la recherche ? (III) § Autre raison de la place modeste de la recherche, elle ne parle pas toujours d’une seule voix • Exemples : Evidence Base Education versus caractère incertain, contextualisé et finalisé de l’action éducative ; redoublement médicament versus non-médicament ; pertinence des méthodes actives (enseignement explicite versus méta-analyse de Freeman)
Freeman et al. (2014). Active learning increase student performance. PNAS, 111(23).
3. Place et rôle de la recherche ? (III) § Autre raison de la place modeste de la recherche, elle ne parle pas toujours d’une seule voix • Exemples : Evidence Base Education versus caractère incertain, contextualisé et finalisé de l’action éducative ; redoublement médicament versus non-médicament ; pertinence des méthodes actives (enseignement explicite versus méta-analyse de Freeman) • Il est dans la nature de la recherche de connaître des controverses § Il arrive aussi que la recherche se fourvoie • Styles d’apprentissage, neuromythes… • Tout discours scientifique est relatif, incertain et provisoire et sa relation à l’action doit donc être considérée avec précaution.
3. Place et rôle de la recherche ? (IV) § Plus fondamentalement, la recherche ne peut donner que ce qu’elle a • par rapport aux pratiques pédagogiques
« La pédagogie est une pratique de nature ‘artisanale’. Si la science peut ou doit aider le pédagogue à faire des choix, la recherche ne peut dire de manière univoque quelles sont les meilleures pratiques ni en annoncer des effets avérés. » Vincent Dupriez, Pour que le nouveau Socle ne soit pas une illusion, Journée d’étude de l’UNamur, « Le nouveau socle du tronc commun, c’est déjà demain… », 14 mai 2019
« Le gain en termes de connaissance ne se traduit pas immédiatement en surplus d’action. » Danilo Martuccelli, La production des connaissances sociologiques et leur appropriation par les acteurs, Éducation et sociétés, 9(1), 2002
Savoirs théoriques Savoirs procéduraux - sciences de l'éducation - pédagogie, didactique(s) - produit du savoir, de - produit de l'efficacité l'intelligibilité - dit ce qui doit être, qu'il faut - dit ce qui est, en rupture avec faire et comment il faut le faire l'intuition, le sens commun - les pratiques = objets de - les pratiques = objets de réflexion pour les améliorer connaissance, à questionner - respecte des formes de rigueur contrôlables Illusion de l'application Finalités Action Contexte Savoirs pratiques Savoir-faire - savoirs du praticien réflexif - produit des connaissances - routines, tours de main contingentes - savoirs moteurs dans l'action - souvent efficaces à réelle, intellectuels dans l'opérationalité de l'action l'action symbolique
3. Place et rôle de la recherche ? (IV) § Plus fondamentalement, la recherche ne peut donner que ce qu’elle a • par rapport aux pratiques pédagogiques • mais aussi par rapport aux réformes et à l’action publique
Savoirs de la Savoirs et savoir- recherche faire politiques Finalités Action publique Contexte Croyances et Retours valeurs des d’expérience acteurs de terrain
4. Conclusions § Le tronc commun est un projet éminemment politique (dans le sens sociétal), du registre donc des finalités et des valeurs. § Et c’est bien de ce registre que les tensions naissent mais sans le reconnaître vraiment et donc sans trop de débat public à propos de ces finalités et valeurs. § Un vrai débat supposerait donc de reconnaître ce caractère politique du projet, en l’éclairant par la recherche, mais sans prétendre qu’elle le tranchera.
Références Costa O. (2018). Peut-on encore gouverner à l’heure des réseaux sociaux ? The conversation, http://theconversation.com/debat-peut-on-encore-gouverner-a-lheure- des-reseaux-sociaux-108442 Charlot B. (1995). Les sciences de l’éducation : un enjeu, un défi. Paris : ESF éditeur. Crahay M. (1998). Peut-on concilier recherche en éducation et réflexion de l’action éducative ? In Dubet F. (2002). Pourquoi ne croit-on pas les sociologues ? Éducation et sociétés, 9, 13-25. Freeman et al. (2014). Active learning increase student performance. PNAS, 111(23). Hadji Ch. & Baillé J. (eds), Recherche et éducation : vers une nouvelle alliance. Bruxelles : De Boeck. Mosconi N. (1998). Des rapports de la théorie et de la pratique en éducation. Paris : Textes préparatoires à la Quatrième Biennale de l’Education et de la Formation. Paris R. (2013). Pourquoi l’idéologie de la méfiance aveugle dans la science remplace l’idéologie de la confiance aveugle dans les progrès et l’objectivité de la science, Matière et évolution, https://www.matierevolution.org/spip.php?article3272 Romainville M. (2006). L’illusion réflexive. Formation et pratiques d’enseignement en questions, 3, 69-81. Rousseau J.-J. (2001 [1762]), Du contrat social, Paris, GF-Flammarion.
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