LES MUTILATIONS DES ANIMAUX DOMESTIQUES EN FRANCE

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LES MUTILATIONS DES ANIMAUX DOMESTIQUES EN FRANCE
Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2016, 16 : 169-197

LES MUTILATIONS DES ANIMAUX DOMESTIQUES EN FRANCE
DU XVe AU XIXe SIÈCLE
                                                                                                 par Lilas BORDES*

*Docteur vétérinaire,
16 rue des Pivoines, 92160 ANTONY
lilas.bordes@gmail.com

  Résumé :
  Nos animaux domestiques sont depuis longtemps l’objet de chirurgies mutilantes, à visée thérapeutique, esthétique
  ou de convenance. Du XVe au XIXe siècle, hippiatres et maréchaux pratiquent sur le cheval de nombreuses
  mutilations censées le guérir de ses maladies et le rendre le plus beau et le plus agréable à l’emploi. Ces mutilations
  ont presque toutes disparu au XXe siècle, mais la caudectomie a longtemps persisté chez les races de trait. Les
  mutilations de convenance auxquelles les carnivores domestiques étaient se sont maintenues, pour certaines, jusqu’à
  nos jours : la stérilisation, l’otectomie, et la caudectomie, hormis celles prétendues comme efficaces contre la rage.
  Les bovins, ovins, caprins, porcins, oiseaux, poissons d’élevage, subissaient et subissent toujours des mutilations
  de convenance, visant à améliorer leur productivité et leur manipulation, notamment la stérilisation, l’écornage et,
  chez les oiseaux, l’éjointage. Les poissons eux-mêmes étaient castrés pour l’engraissement. L’élevage intensif du
  XXe siècle a amplifié ces pratiques. Le point de vue de la société et des vétérinaires sur ces mutilations a évolué vers
  une meilleure prise en compte du bien-être animal. De nombreuses mutilations restent cependant pratiquées de nos
  jours sur nos animaux domestiques, essentiellement pour des raisons de convenance.

  Mots clés : histoire vétérinaire, chirurgie vétérinaire, mutilation, cheval, chien, animaux domestiques, otectomie,
  caudectomie

  Title: Domestic Animal mutilations in France, from the XVth to the XIXth century

  Summary:
  Our domestic animals have since a long time been undergoing surgical mutilations, for therapy, aesthetics or
  convenience. From the XVth century to the XIXth century, « hippiatres » and blacksmiths mutilated horses to heal
  them, make them better looking and easier to work with. These mutilations have nearly all disappeared with the
  XXth century, but tail docking continued for a long time in draught horses. Convenience mutilations in domestic
  carnivores have continued and still do today: neutering, ear cropping, tail docking, except those supposed to be
  efficient against rabies.
  Cattle, sheep, goats, swine, birds, fishes, have undergone, and still do, convenience mutilations to increase
  production and handling, such as neutering, dehorning and, for birds, pinioning. Even fishes have been neutered for
  fattening. Intensive farming of the XXth century has amplified these practices. The society’s and veterinarians’
  point of view has evolved towards taking into account animal welfare. Some mutilations are still done nowadays
  on our domestic animals, essentially for convenience.

  Keywords: veterinary history, veterinary surgery, mutilation, horse, dog, domestic animals, ear cropping, tail
  docking

INTRODUCTION                                                     les mamelles des ruminants ont augmenté de vo-
    Au cours d’une longue histoire commune,                      lume à raison des quantités de lait produites, les
l’Homme a transformé, parfois de façon spectacu-                 portées des truies se sont élargies, les volailles et
laire, ses animaux domestiques. Il les a modelés                 leurs œufs ont grossi, les chevaux sont devenus
jusqu’à l’extrême pour répondre à ses besoins :                  robustes et lourds ou, à l’inverse, fins et nerveux
                                                                 selon leur destination. L’intervention sur les corps

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animaux ne s’est cependant pas limitée à la sélec-             amplifiée au XXe siècle avec l’avènement de l’éle-
tion des races. Elle s’est poursuivie sur les indivi-          vage intensif.
dus par une foule de mutilations physiques à visée
                                                                    Avant de poursuivre, définissons le mot « mu-
hygiénique, économique ou esthétique. Certes, le
                                                               tilation », teinté de nos jours d’une forte connota-
point de vue de la société et des vétérinaires sur
                                                               tion péjorative, mais largement employé tout au
ces mutilations a récemment pris en compte le
                                                               long de l’époque qui nous intéresse. Il s’agit du
bien-être animal. Mais nombre d’entre elles sub-
                                                               retranchement d’un membre ou d’un organe, cau-
sistent de nos jours.
                                                               sant une atteinte grave et irréversible1, le carac-
   De ces pratiques ancrées dans les mœurs, le                 tère irréversible restant l’aspect le plus significa-
public connaît mal l’origine et la véritable nature.           tif.
C’est pourquoi il nous a semblé intéressant d’en-
                                                                   Nous nous sommes donc intéressée aux muti-
visager leur histoire en France sur une période
                                                               lations, qu’elles soient esthétiques, de convenance
longue allant du XVe au XIXe siècle, temps où
                                                               ou soi-disant thérapeutiques ainsi qu’aux justifi-
l’animal ne bénéficiait d’aucune compassion, et
                                                               cations qui leurs sont données, où se mêlent con-
où il ne représentait qu’un outil de travail et une
                                                               sidérations économiques, fantaisie et superstition.
ressource à rentabiliser. Rappelons aussi que la
                                                               Nous avons écarté les mutilations sadiques, com-
chirurgie passait alors pour le seul recours face
                                                               mises sans autre bénéfice que de faire souffrir,
aux insuffisances de la thérapeutique médicale.
                                                               pour leur absence de signification zootechnique.
    Le cheval, force motrice et reflet du statut so-
cial de son détenteur, occupait une place capitale
au sein de la société. Chargés de sa santé, les hip-           1 - LE CHEVAL
piatres et les maréchaux assuraient leur légitimité                En fait de mutilations, le cheval a tenu long-
en commettant sur lui de nombreuses mutilations                temps la première place parmi les animaux do-
à prétentions curatives, esthétiques ou améliora-              mestiques : son prix a motivé toutes sortes d’in-
trices. Hormis la caudectomie chez les races de                terventions chirurgicales ou esthétiques ‒ celles-
trait, celles-ci ont disparu au XXe siècle.                    ci propres à relever le prestige social de ses déten-
    Les mutilations de convenance auxquelles                   teurs.
étaient soumis les carnivores domestiques se sont                  Les traités d’hippiatrie de l’Antiquité tardive2,
perpétuées, comme la stérilisation, l’otectomie, et            autant que le Nâçerî (Égypte, XIVe s.)3, présentent
la caudectomie. Seules les mutilations destinées à             un sérieux éventail de procédés chirurgicaux uti-
prévenir la rage ont pris fin.                                 lisant un outillage spécifique. Outre les tradition-
    Les animaux de rente (bovins, ovins, caprins,              nelles saignée, cautérisation (feux) et les exérèses
porcins, oiseaux, poissons d’élevage) continuent               superficielles4, les auteurs envisagent les opéra-
de nos jours à faire l’objet de mutilations sécu-              tions sur l’œil et sur le pied comme la dessolure.
laires destinées à améliorer leur productivité et              Toutefois, hormis la castration, les chirurgies mu-
leur manipulation, comme la stérilisation, l’écor-             tilantes restent l’exception. Végèce évoque seule-
nage, et, chez oiseaux, l’éjointage. Les poissons              ment une méthode de « rajeunissement de la
eux-mêmes ont été castrés pour l’engraissement.                tête5 » et Pélagonius (IVe s.) la section partielle de
La variété des mutilations sur ces espèces s’est               la queue pour empêcher le cheval de fouailler6.

1                                                              4
    CNRTL [Centre National de Ressources Textuelles                GITTON-RIPOLL, 2003, p. 29.
    et Lexicales, en ligne], Mutilation, consulté le           5
                                                                   Végèce in : SABOUREUX, 1775, livre IV, chap. V.
    12/08/16.
                                                               6
2                                                                  Section du muscle sacro-coccygien dorsal pour em-
    LAZARIS, 2007, p. 101 ; ODER, HOPPE, 1924-1927 ;
                                                                   pêcher la queue de fouailler. In VALLAT, 2009, p. 18,
    trad. in MCCABE, 2007. Sur Végèce : CAM, 2009,
                                                                   citant GITTON-RIPOLL, Pelagonius, Traité de méde-
    p. 42 ; trad. in : SABOUREUX de LA BONNETERIE,
                                                                   cine vétérinaire, chap. XXII, à paraître.
    1775.
3
    HAKIMI, 2004.

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Dans certaines régions, les interventions qui                     LES MUTILATIONS ESTHÉTIQUES
« déshonoraient le bétail », comme abîmer la
corne d’une vache ou l’oreille d’un cheval, sont                  Les oreilles
même sévèrement punies7.                                             Une première mutilation avait pour but de re-
                                                                  dresser les oreilles afin de redonner un port plus
   Les mutilations à but thérapeutique apparais-
sent au XIIIe siècle : chez Giordano Ruffo (La Ma-                noble au cheval en corrigeant une implantation
                                                                  trop haute ou trop basse, ou une inclinaison ines-
réchaucie des chevaux, 1250) avec le débride-
                                                                  thétique (cheval oreillard, à oreilles de cochon).
ment des naseaux en cas de « pousse » (emphy-
                                                                  Les oreilles étaient d’abord maintenues dans la
sème) ; chez Borgognoni (Mulomedicina, 1266)
avec la caudectomie en cas de gale de la queue8.                  position souhaitée à l’aide d’éclisses12. La pli de
                                                                  peau qui apparaissait entre les deux oreilles était
    Le savoir hippiatrique se renouvelle au XVIIe                 « coupée ras » sur environ un pouce (souvent en
siècle dans les encyclopédies et les ouvrages na-                 côte de melon13) et les bords de la plaie suturés.
turalistes qui fournissent d’utiles précisions sur                Saunier précise le lieu de l’opération dans une
les chirurgies mutilantes9. Il est cependant diffi-               planche (figure 1).
cile de dater l’origine de ces pratiques, en raison
du laconisme des textes antérieurs.
    Une rupture de ton se dessine en 1828 avec
Pierre-Messidor Vatel qui distingue les interven-
tions « de convenance, ou plutôt de fantaisie (am-
putation de la queue, des oreilles) » d’avec les
opérations « instantes, ou réclamées par un état
pathologique anormal », différence significa-
tive10. Hurtrel d’Arboval, dans son Dictionnaire
(1838-1839), rationnalise et justifie l’acte chirur-
gical pour éviter des douleurs inutiles à l’animal11.
Les auteurs suivants, dans la même optique, con-
damnent en principe les opérations inutiles, dou-
loureuses, sans intérêt thérapeutique prouvé. Cela
ne signifie pas, cependant, qu’ils refusent de les
pratiquer toutes : la caudectomie et l’otectomie à
visée esthétique restent si populaires que le prati-
cien ne saurait les refuser à ses clients sans les voir           Figure 1 : "5 - Où l’on fait l’Opération pour bien
retourner à la concurrence non diplômée. Officiel-                faire porter les Oreilles à un cheval", SAUNIER, 1734,
lement condamnées, ces interventions restent                      p. 180 pl. V.
donc décrites pour permettre de les effectuer le
mieux possible.
                                                                      En fait, la manœuvre est considérée comme
                                                                  une ruse de maquignon pour tromper le temps de
                                                                  la vente14. Perçue comme inefficace, on lui recon-
                                                                  naît peu d’intérêt.

7                                                                 11
    DESPLAT, 2005, p. 8.                                                Sur l’apparition de la compassion animale chez les
8                                                                      vétérinaires, VALLAT, 2013(1).
    POULLE-DRIEUX, 1966, p. 105.
                                                                  12
9                                                                      Sorte d’attelles fines, en bois le plus souvent.
    JEANJOT-EMERY, 2003, p. 70-72.
                                                                  13
10                                                                     WERNE, 1840, p. 189.
     VATEL, 1828, 2, p. 112.
                                                                  14
                                                                        MARCELICOURT, 1846, p. 36 ; CARDINI, 1848, 2,
                                                                       p. 193.

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   L’otectomie était très populaire, la longueur                     Elle triompha ensuite en Angleterre, où l’on
des oreilles jouant un rôle significatif dans l’as-                coupait déjà la queue des chevaux. Au XVIIe siècle
pect physique du cheval : « Lorsque les oreilles                   elle passa en France pour y devenir très populaire
sont petites, elles donnent un air vif et gracieux à               (figure 3).
l’animal ; quand elles sont longues, elles le font
paraître stupide […]15. » Olivier de Serres, dans
son Théâtre d’agriculture (1605), la préconise en
association avec la fente des naseaux et la coupe
de queue pour tout cheval « de bonnes écuries »,
l’ensemble des trois mutilations devant « les
rendre assidus au travail16 ».
   Le cheval était dit bretaudé ou brétaudé (et
l’opération bretauder ou brétauder), essorillé,
moineau ou craps selon le terme anglais17.
Lorsqu’il avait en plus la queue coupée, il était
courteau ou courtaud. Importée depuis la pénin-
sule ibérique, la mode avait d’abord pris son essor
en Italie18, comme en témoigne par exemple cette
peinture de Raphaël (1505) (figure 2).

                                                                   Figure 3 : François Puget, Alexandre et Diogène,
                                                                   bas-relief en marbre. Paris, musée du Louvre, Dépar-
                                                                   tement des Sculptures, M.R. 2776, 1671-1689. Crédit
                                                                   photo C. Degueurce, 2015.

                                                                       L’opération, relativement simple, expose à
                                                                   peu de complications. Il convient de tirer la peau
                                                                   vers le bas pour qu’une fois l’oreille coupée, le
                                                                   cartilage ne ressorte pas à nu, ce qui laisserait une
                                                                   cicatrice alopécique. On reporte le morceau am-
                                                                   puté de la première oreille sur la seconde, pour
                                                                   mesurer ce qu’il faut en ôter afin que les deux res-
                                                                   tent égales, en respectant les courbures des bords
                                                                   externes et internes, et conserver un aspect natu-
                                                                   rel. Il existe pour cela un outillage spécial : le
Figure 2 : Raphaël, Saint Georges luttant avec le                  coupe-oreille (couteau à tranchant concave19), le
dragon, peinture à l’huile. Paris, musée du Louvre,                serre-oreilles pour maintenir l’oreille lors de la
département des Peintures, INV. 609, 1503-1505. Crédit             découpe, les moules (en carton, cuivre, tôle ou fer
photo © 2011 Musée du Louvre / Martine Beck-Coppola.

15                                                                 18
     WERNE, 1840, p. 62.                                                DERIU, 2008, p. 536-537, in FÉMELAT, 2015, p. 10.
16                                                                 19
     SERRES, 1605, p. 310.                                              HURTREL d’ARBOVAL, 1839, 3, p. 63.
17
     LEBEAUD, 1826, p. 7 ; CARDINI, 1848, 2, p. 193.

                                                            172
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battu), l’emporte-pièce de Chaumontel20, le                       de l’Angleterre ; […] ce serait déshonorer sans néces-
simple morceau de bois fendu ou les morailles                     sité le plus beau de nos animaux domestiques22 ».
spécialement adaptées (figure 4).                                    Il rapporte cependant que l’opération persiste
                                                                  chez les maquignons.

Figure 4 : La moraille de Garsault. L’oreille est
glissée et serrée entre les deux branches. La lon-
gueur qui dépasse est coupée au couteau.

    L’utilisation de l’emporte-pièce de Chaumon-
tel ou des moules améliorait la technique en per-
mettant de couper l’oreille selon une courbe natu-                Figure 5 : "Les figures de cette Planche démontrent
relle. Quant à l’emporte-pièce, on le posait sur                  les moules pour tailler les grandes Oreilles, et les
l’oreille étendue à plat contre une planchette et on              rendre petites en leur naturel", SAUNIER, 1734, pl. LVI
le frappait avec un maillet. La méthode utilisant                 et LVII, p. 249.
les moules avait la préférence de Saunier, malgré
le coût du matériel et l’allongement des temps
opératoires. Les illustrations très démonstratives                Le front
de son ouvrage la popularisèrent (figure 5).                          La couleur du poil a longtemps revêtu une im-
   Quand on utilisait, au plus près de la tête, les               portance symbolique. Elle indique, selon la théo-
morailles ou le bois fendu, la coupe était dite à                 rie des humeurs, le caractère et la vigueur du che-
nu ; lorsqu’en revanche on conservait le galbe na-                val, notamment d’après les balzanes et les listes23.
turel grâce aux moules ou à l’emporte-pièce, on                   Or, « l’étoile ou pelote au front étant seule, passe
parlait d’opération à oreille garnie21.                           pour très bonne marque24 », d’autant que les che-
                                                                  vaux zains (sans aucun poil blanc) ont mauvaise
   Cette mutilation si demandée aux XVIIe et                      réputation25. Rien d’étonnant donc, à ce que les
     e                                            e
XVIII siècles perdit en popularité à partir du XIX .              maquignons s’appliquent à fabriquer une marque
Ainsi, selon Hurtrel d’Arboval (1839),                            qui augmente le prix de vente, ou permet d’uni-
   « on pratiquait cette espèce de mutilation, il y a             formiser les chevaux d’attelage d’un carrosse à
cinquante ans et même moins, sans aucun objet réel,               quatre, portant tous la même une étoile en tête.
pour le seul plaisir de suivre une mode ridicule venue

20                                                                23
      VATEL, 1828, 2, p. 427. Cet emporte-pièce permet                  « Il y a des connaisseurs qui font grand fondement
     de conserver la courbure naturelle des oreilles con-              sur les balzanes de Chevaux, et croient ces marques
     trairement à la coupe sur morailles ou morceau de                 si indubitables… », SOLLEYSEL, 1, 1674, p. 69.
     bois fendu.                                                  24
                                                                       Ibid., p. 72.
21
     DESPLAS, HUZARD, 2, 1790, p. 205.                            25
                                                                       BOURGELAT, 1750, p. 394.
22
     HURTREL d’ARBOVAL, 1839, 1, p. 62.

                                                            173
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   Gervase Markham fournit une solution qui                      Le nez
consiste à dévitaliser la peau en l’étirant à l’aide
                                                                     Énerver le cheval consistait à lui extirper les
de tiges de plombs insérés en croix entre peau et
                                                                 muscles releveurs de la lèvre supérieure (fi-
os, glissées dans des orifices préalablement ou-
                                                                 gure 7), ou au moins les nerfs, c’est-à-dire les ten-
verts au poinçon26. L’ensemble est maintenu fixe
                                                                 dons. Le but esthétique était d’affiner ou d’alléger
par une suture en bourse (figure 6). Passé qua-
                                                                 la tête :
rante-huit heures, on ôte les plombs. Les poils
sont censés tomber puis repousser blancs.                             « Ce qui contribuera beaucoup à rendre cette par-
                                                                 tie [la ganache] plus belle aux poulains sera de les faire
                                                                 énerver, cela dessèche merveilleusement le bas de la
                                                                 tête, et empêche de grossir l’encolure, à ce qu’on
                                                                 dit30. »
                                                                    Les empiriques attribuaient à l’opération la fa-
                                                                 culté de guérir le tétanos et surtout la fluxion pé-
                                                                 riodique, l’uvéite récurrente équine.

Figure 6 : Les morceaux de plombs, avant (gauche)
et après (droite) la suture en bourse pour les main-
tenir en place, MARKHAM, 1610, p 276 Crédit photo C.
Degueurce, 2015.

                                                                 Figure 7 : Dissection du muscle releveur gauche de
    La Guérinière propose trois autres recettes : la             la lèvre supérieure sur une tête de cheval plastinée.
brûlure par une pomme rôtie appliquée sur la                     Crédit photo C. Degueurce, 2015.
peau ; l’écorchure de la peau à l’aide d’une brique
suivie d’une application de miel ; ou le rasage de
la peau avec friction successive de jus d’oignon                     L’opération est ainsi décrite : il faut pratiquer
ou de poireau, de mie de pain sortant du four, et                une incision quatre doigts en-dessous de chaque
de miel. La betterave brûlante ou l’abrasion à la                œil, et une troisième au bout du nez, au-dessus des
pierre ponce mettant la peau à vif, suivies d’appli-             narines, là où les muscles se rejoignent ; découvrir
cations de graisse de blaireau, semblent être aussi              les muscles le plus haut possible au-dessus des in-
utilisées27, de même que, selon Bourgelat, l’écre-               cisions hautes et les sectionner en haut et en bas,
visse [pierre à chaux] rôtie28. Lafosse préconise la             puis les extirper à l’aide d’une corne de chamois
brûlure au fer rouge ou à l’esprit de nitrite29 [sic].           en passant par l’incision basse.

   Il s’agit d’une chirurgie esthétique de maqui-                    Pour La Guérinière, énerver permet de « dé-
gnons, peu appréciée des hommes de l’art qui ne                  charger la vue grasse » des chevaux lunatiques ‒
la mentionnent, à partir du XIXe siècle, que pour                atteints de fluxion périodique. Selon lui, on fen-
son aspect folklorique.                                          dait auparavant les naseaux pour accéder à l’apo-
                                                                 névrose nasale qu’il fallait saisir à la tenaille. Il

26                                                               29
     MARKHAM, 1610, p. 274-277.                                        LAFOSSE, 1775, 1, p. 146. Esprit de nitre : acide ni-
27                                                                    trique étendu d’eau.
     MARCELICOURT, 1846, p. 36.
                                                                 30
28                                                                    SOLLEYSEL, 1, 1674, 2, p. 10.
     BOURGELAT, 1750, p. 373.

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s’agissait ensuite d’arracher le muscle avec la te-
naille depuis son aponévrose nasale jusqu’aux
yeux ; mais, précise-t-il, « cette méthode est abso-
lument mauvaise, elle cause une inflammation et
une enflure terrible à la tête du cheval, qui en pé-
rit souvent […] ». Mieux vaut s’en remettre à la
même méthode que Solleysel31.
   Gaspard de Saunier, qui partage cet avis32, es-
time l’opération « nullement dangereuse » (fi-
gures 8 et 9).

                                                                    Figure 9 : "Représente le nerf que l'on coupe à la tête
                                                   2                d'un Cheval". Les n°5.5. sont « à trois ou quatre
                                                                    doigts au-dessous des yeux », et on coupe au n°6.
                                                                    SAUNIER, 1734, p. 183, pl. LV, fig. 4.
                                                   3
                                                                    La langue
                                                                        Elle aussi, la langue a été exposée aux atteintes
Figure 8 : "2. Où l'on coupe les Nerfs" ; "3. Par où                du bistouri pour des motifs esthétiques. Selon
il faut les faire sortir", SAUNIER, 1734, p. 183, pl. VIII.         Jean-Baptiste Huzard par exemple, « une langue
                                                                    pendante est fort désagréable à la vue ; les
                                                                    langues serpentines sont fort incommodes ».
   Quelques années plus tard, Philippe-Étienne                      Lorsque le changement d’embouchure ne corrige
Lafosse condamne l’énervement, lui reprochan-                       pas cette vilaine habitude, « on a recours à l’am-
tant à juste titre qu’il entraîne une paralysie quasi-              putation » sans cautériser (car l’engorgement
totale de la lèvre supérieure33. Son père, Étienne-                 pourrait provoquer une « suffocation »), et en pre-
Guillaume, en avait fait lui-même le huitième                       nant soin de conserver la forme naturelle : « On
abus décrié dans ses Observations et Décou-                         coupe à cet effet également des deux côtés et de
vertes :                                                            l’extrémité, pour lui donner la forme d’une pyra-
                                                                    mide tronquée. » Il précise que l’opération est à
   « On dénerve au bout du nez pour différentes rai-
                                                                    alors très à la mode, surtout chez les Italiens, mais
sons qui ne tendent à rien et sont plus nuisibles
qu’utiles. J’ai vu des chevaux en devenir aveugles,
                                                                    que les progrès des embouchures ont diminué les
d’autres en contracter la gangrène, et cela par la                  inconvénients des langues inesthétiques, opinion
grande inflammation qui survient34 ».                               qui mériterait sans doute plus ample examen35.

31                                                                  34
     LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 271.                                        LAFOSSE Étienne-Guillaume, 1754, p. 116.
32                                                                  35
     SAUNIER, 1734, p. 9.                                                HUZARD, p. 188.
33
     LAFOSSE, 1775, 2, p. 91.

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Les lèvres                                                            de la saignée révulsive40 réputée améliorer les pa-
                                                                      ralysies, les gales tenaces et les fistules de cet ap-
   Une croyance ancienne associait le nombre de
                                                                      pendice41. Certains même, comme Markham, cru-
rides au coin des lèvres du cheval à son âge. Vé-
                                                                      rent que couper la queue d’un cheval le rendait
gèce (IVe siècle) transcrivait ainsi une technique
                                                                      plus robuste : « Nous sommes fort persuadés que
populaire :
                                                                      ce retranchement rend l’épine du dos plus forte et
    « Presque tout le monde assure qu'il faut couper les              plus capable de porter des fardeaux42 » ; pour
rides qui se trouvent dans les lèvres supérieures des                 d’autres, l’intervention ôtait le ver (probablement
animaux domptés et accoutumés au frein, en commen-                    le ligament intercoccygien ventral) qui risquait de
çant cette opération à l'angle où prend l'ouverture de
                                                                      remonter le long de la colonne jusqu’au cerveau
la bouche pour la suivre jusqu'à l'extrémité de la lèvre,
parce que le nombre de ces rides indique celui des an-
                                                                      et de tuer le cheval43.
nées de leur âge36. »                                                     En Europe, cette pratique est attestée dès le
                                                                          e
   Après lui, seul Solleysel évoque les rides de la                   VIII  siècle, mais elle ne se généralisa vraiment
lèvre du dessous pour déterminer l’âge, mais sans                     qu’à partir du XVIIIe dans les écuries de l’aristo-
parler de les amputer37. Cette mutilation a donc                      cratie anglaise pour se répandre en France avec le
disparu avant le XVIIe siècle.                                        triomphe de l’anglomanie. Remarquons que les
                                                                      juments poulinières étaient épargnées parce que,
                                                                      faute de queue, elles risquaient de blesser leurs
La queue                                                              poulains en chassant les insectes de la tête ou des
                                                                      sabots44.
    La caudectomie fut pratiquée de très longue
date sur les chevaux38, d’abord pour des raisons                          Cette opération très populaire a reçu plusieurs
de convenance : chez les chevaux de trait pour                        noms : courtauder45, coutauder, écouer ou écour-
que la queue ne se prenne pas dans les guides ;                       ter46, équoiller quand on ne retranchait qu’une ou
chez les chevaux de guerre ou de chasse pour ne                       deux vertèbres47. Le cheval était dit coureur ou
pas ralentir l’animal ou l’exposer à se blesser dans                  coureux48 lorsque la queue et les crins étaient cou-
les sous-bois épais ; pour que les armes (hampe de                    pés, courte-queue lorsque les crins étaient taillés
lance ou épée) ne se prennent pas dans les crins ;                    en brosse. Lorsque la queue était tronçonnée
pour éviter que les crins fouettent ou salissent le                   « très court et plus près du fondement » elle était
cavalier. Des considérations esthétiques interve-                     en catogan49.
naient également, qui privilégiaient la présenta-                        Le cheval dont les oreilles et la queue étaient
tion de l’animal, plus vif et ramassé une fois am-                    coupées devenait courtaud ou courteau, comme
puté de sa queue39. En thérapeutique enfin, la                        celui que figure George Stubbs (figure 10).
caudectomie d’une ou deux vertèbres participait

36                                                                    42
      SABOUREUX de LA BONNETERIE : Végèce, livre IV,                       MARKHAM, 1610, p. 272.
     chapitre V.                                                      43
                                                                            HUZARD, citant le Concile de Celchyd, « Amputa-
37
     SOLLEYSEL, 1674, p. 18.                                               tion de la queue […] » 1790. p. 190. Cf., ci-dessous,
38                                                                         la fente des naseaux.
      Comme en témoignent par exemple les célèbres po-
                                                                      44
     teries funéraires de la dynastie Tang représentant des                PEUCH, TOUSSAINT, 1877, 2, p. 539.
     chevaux (VIIe-Xe siècle).                                        45
                                                                           LAFOSSE, 1775, 1, p. 424.
39
     FÉMELAT, 2015, p. 11.                                            46
                                                                           Ibid., 2, p. 73.
40
      « Révulsif, ive : Qui détourne le sang, les humeurs             47
                                                                           Ibid., 4, p. 380.
     vers des parties opposées à celles où elles se portaient
     en trop grande abondance. Saignée révulsive. » Dict.             48
                                                                           Ibid., 1, p. 412.
     Ac. française, 5e éd., 1798.                                     49
                                                                           DUBROCA, 1844, p. 148.
41
      HUZARD, « Amputation de la queue […]. (Chir.vété-
     rin.) », 1790, p. 191.

                                                                176
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Figure 10 : George Stubbs, A Saddled Bay Hunter,                    Figure 11 : "Figure C, cheval entravé et queue dis-
huile sur bois. Denver, Colorado, Denver Art Museum, Berger         posée pour l’amputation, avec le tronçon de queue
Collection, id #45, 1786.                                           amputé au-dessus", GARSAULT, 1741, pl. XXIII.

    Il était préférable d’opérer très jeunes les pou-
lains dont la queue était encore peu développée.
Cela permettait de « la couper dans un joint avec
le bistouri, sans aucune difficulté50 ». Sur le che-
val adulte, le procédé devenait barbare. Aupara-
vant, il consistait à poser la face ventrale de la
zone à sectionner sur un billot ou sur une lame,
puis à assener un grand coup de masse sur la face
dorsale : « Mais c’était faire au cheval un double                  Figure 12 : Brûle-queue pour cautériser la plaie
mal, meurtrissure d’un côté et incision de                          d’amputation, ibid., pl. XXII.
l’autre51 ». À cette approche rudimentaire répan-
due dans les campagnes au XVIIIe siècle, les
                                                                        La technique se sophistiqua au XIXe siècle avec
hommes de l’art préférèrent la technique sui-
                                                                    le coupe-queue, « instrument spécial, formé de
vante52 (figures 11 et 12) : la queue installée sur
                                                                    tiges métalliques […] la branche mâle porte près
un billot, on posait sur celle-ci une lame bien tran-
                                                                    de l’articulation une lame demi-circulaire assez
chante (d’une serpe, d’un couperet ou coupe-
                                                                    large, la branche femelle une armature » en
queue) et on frappait le dos de cette lame d’un
                                                                    forme de rainure où est assujettie la queue, pour
coup de maillet. La circonférence de la plaie était
                                                                    ensuite rabattre la lame dessus, parfois à l’aide
cautérisée au brûle-queue annulaire (figure 12)
                                                                    d’un maillet53. La figure 13 en montre deux va-
pour tarir l’hémorragie en respectant l’axe osseux.
                                                                    riétés.

50                                                                  52
     LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 267                                          MARKHAM, 1610, p. 272-273 ; LA GUÉRINIÈRE,
51                                                                       1733, p. 266 ; SAUNIER, 1734, p. 92 ; GARSAULT,
     Ibid.
                                                                         1741, p. 394 ; LAFOSSE, 1775, 4, p. 7.
                                                                    53
                                                                         BOULEY, REYNAL, 1890, 18, p. 416.

                                                              177
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                                                                 siècle, tirait son nom de son pays d’origine. On le
                                                                 désignait aussi amputation compliquée de la
                                                                 queue55, courtauder à l’anglaise, anglaiser, myo-
                                                                 tomie coccygienne.
                                                                    Cette mutilation esthétique visait à donner au
                                                                 cheval un port de queue relevé, imitant celui que
                                                                 prennent naturellement certains chevaux de race,
                                                                 comme le pur-sang arabe. L’anglaisage précédait
                                                                 souvent la caudectomie. Le cheval dont on corri-
                                                                 geait seulement le port de queue était niqueté. S’il
                                                                 subissait en plus la caudectomie, on le disait an-
                                                                 glaisé. L’illusion n’était pas toujours totale (fi-
                                                                 gure 14) :
                                                                     « Les chevaux dont la queue a été ainsi coupée la
                                                                 portent plus haut et plus relevée que les chevaux de
Figure 13 : Coupe-queue de Fromage de Feugré (à                  race […]. Les chevaux de race portent la queue hori-
gauche) et coupe-queue ordinaire (à droite), PEUCH,              zontalement, au niveau de leur croupe, et les dernières
TOUSSAINT, 1877, 2, p. 540-541.                                  vertèbres coccygiennes s’incurvant, laissent flotter les
                                                                 crins, ce qui donne une position hardie56. »
                                                                     L’opération consistait à sectionner ou amputer
    Les détracteurs de cette mutilation souli-                   partiellement les muscles abaisseurs ventraux de
gnaient que la caudectomie privait le cheval d’un                la queue (sacro-coccygiens ventro-médial et laté-
moyen de défense essentiel contre les insectes.                  ral) en partie proximale de l’organe, sous les ver-
Jean-Baptiste Huzard rapportait à ce propos une                  tèbres coccygiennes 4 à 7. Les muscles releveurs
anecdote qu’il voulait édifiante. Selon lui, le cli-             n’étant plus antagonisés, ils relevaient constam-
mat britannique empêchait la prolifération de cer-               ment la queue en trompette. Plusieurs types de
tains insectes piqueurs, comme le taon. Dans leur                sections existaient, récemment résumés par Fran-
île, les chevaux anglais privés de leur chasse-                  çois Vallat dans un article complet57 (figure 15).
mouche naturel n’étaient pas incommodés. Mais
la situation se compliqua lorsqu’ils furent engagés
dans des campagnes militaires sur le Continent :
« La plus grande partie de [la cavalerie] fut dé-
montée par la mort des chevaux que les mouches
firent périr près de Dettingue, en 1743, et pendant
la guerre de Sept Ans, les mouches mirent la ca-
valerie anglaise dans un si grand désordre près
de Minden que l’armée combinée fut sur le point
de perdre la bataille », forçant le roi à interdire la
caudectomie des chevaux de troupe54.
    Pratiquée au XXe siècle sur les chevaux de trait,
la caudectomie fut, de toutes les mutilations, celle
qui se conserva le plus longtemps.

54                                                               56
      HUZARD, « Amputation de la queue […] », 1790,                   DUBROCA, 1844.
     p. 191.                                                     57
                                                                       VALLAT, 2009, p. 23, citant ZÜNDEL, 1875, 2,
55
     Ibid., p. 193.                                                   p. 635, modifié ; et BROGNIEZ, atlas, 1842, pl. XI.

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Figure 14 : À gauche, détail de : A Lady riding Side-Saddled, dame sur un cheval anglaisé dont la base de la
queue remonte très haut. École d’Alfred de Dreux (1810-1860), huile sur toile. - À droite, détail de : The Wellesley
Grey Arabian Led through the Desert (c. 1810) figurant un cheval arabe au port de queue naturellement relevé
mais horizontal. Jacques-Laurent Agasse, huile sur toile. New Haven, Connecticut, USA, Yale Center for British Art, Paul Mellon
Collection.

Figure 15 : Incisions pour la myotomie coccygienne.
- A, procédé ordinaire, à trois incisions transversales de chaque côté (jusqu’à cinq selon Lafosse, 1766).
- B, incisions transversales et longitudinales (Vatel, 1828).
- C, incisions longitudinales (Delafond, 1833).
– D, incisions en T (Desplas et Huzard, 1790).
- E, incisions latérales prolongées entre elles (Hurtrel d’Arboval, 1828).
- À droite, exérèse musculaire par des brèches cutanées (Brogniez, 1842).

                                                             179
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    Les suites opératoires faisaient intervenir un
montage compliqué permettant de maintenir
jusqu’à deux semaines la queue étendue horizon-
talement afin d’empêcher la rétraction cicatri-
cielle. La queue était attachée à une cordelette
passant par deux poulies fixées au plafond, et ten-
due par un poids (figure 16).

                                                                 Figure 17 : "Appareil de Brogniez pour la queue à
                                                                 l’anglaise", PEUCH, TOUSSAINT, 1877, 2, p. 548.

                                                                    L’anglaisage ne disparut qu’avec l’effacement
                                                                 du cheval de service, au début du XXe siècle ; mais
                                                                 l’amélioration des races y fut aussi pour quelque
                                                                 chose, lorsque se multiplièrent les poulains de
                                                                 bonne conformation, à la queue bien implantée et
                                                                 au port naturel élégant59.

Figure 16 : "Suspension de la queue par la poulie",
ZÜNDEL, 1875, 2, p. 635.                                         LES MUTILATIONS THÉRAPEUTIQUES ET DE
                                                                 CONVENANCE

    Lafosse et Bartlet préféraient un système de
gouttière enserrant et rabattant la queue sur le dos,            Les yeux
pour éviter la formation de crevasses et de plis à                   Le dégraissage des yeux était prescrit dans le
la base de la queue, voire l’arrêt de la circulation             traitement de la fluxion périodique ‒ l’uvéite ré-
sanguine qui survenait si le poids de tension était              cidivante équine, maladie redoutée et endémique
excessif. Brogniez s’en est inspiré pour sa ma-                  qui pouvait conduire à la cécité60. On appelait che-
chine portative (figure 17) d’utilisation plus                   val lunatique celui qui en était atteint, en raison
simple que la suspension à des poulies.                          du caractère récurrent des crises qui passaient
   Au XIXe siècle beaucoup de vétérinaires con-                  pour « avoir un cours à peu près aussi réglé que
damnèrent l’opération, laquelle n’en était pas                   celui de la Lune ». La fluxion désignait « l’amas
moins répandue et même enseignée dans nos                        et l’engorgement des humeurs » et par extension
écoles, comme en témoigne le cours de Philibert                  toute inflammation de l’œil avec rougeur, œdème,
Chabert en 1805. J.-B. Huzard s’en indigna :                     douleur et larmoiement61. Parmi les multiples trai-
                                                                 tements, tous inefficaces malgré l’assurance des
   « L’amputation de la queue à l’anglaise n’est                 praticiens, le dégraissage des yeux s’avérait le
qu’un raffinement de barbarie et d’absurdité. C’est de           plus barbare. La fluxion étant, selon la théorie en
toutes les opérations qu’on pratique sur le cheval, une
                                                                 vogue, un « engorgement des humeurs », on
des plus douloureuses et la plus inutile58. »
                                                                 croyait que ce mal affectait particulièrement « les
                                                                 têtes grasses62, à cause de la grande humidité qui

58                                                               60
     HUZARD, « Amputation de la queue […] », loc. cit.,               BÉGON, 2003 ; CLERC, VALLAT, 2012, p. 81.
     1790, p. 193.                                               61
                                                                      LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 191.
59
     PEUCH, TOUSSAINT, 1877, 2, p. 545.                          62
                                                                      C’est-à-dire charnues.

                                                          180
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y abonde63 », d’où l’idée de « dégraisser la vue »               entre l’œil et l’onglée pour ne pas risquer de bles-
en creusant autour des yeux, dans l’espoir de drai-              ser l’œil. On pique ensuite une aiguille armée
ner et purger les humeurs64.                                     d’un fil dans l’onglée que l’on tire « doucement,
                                                                 coupant peu à peu avec un bistouri ce qui la re-
    Pour dégraisser par le haut, c’est-à-dire au ni-
                                                                 tient par les côtés, et, tirant l’onglée, le morceau
veau des salières, « on fend la peau avec un bis-
                                                                 de chair qui lui est attaché [c’est-à-dire la glande
touri, et on tire avec un crochet la graisse des sa-
                                                                 nictitante] suit ». Il faut alors couper « gros
lières65 », autrement dit avec une érigne. Cette
                                                                 comme le pouce et long comme la moitié du doigt
« substance graisseuse et gélatineuse qui est si-
                                                                 de chair glanduleuse68 ».
tuée derrière l’orbite66 » correspond à la graisse
périorbitaire de l’œil, et même à la glande lacry-
male principale dont la disposition anatomique
                                                                 Les oreilles
correspond aussi aux descriptions (figure 18).
                                                                     En France, la fente des oreilles fut longtemps
                                                                 utilisée pour marquer les chevaux de cavalerie ré-
                                                                 formés. Le vétérinaire armé du bistouri « fend
                                                                 l’oreille en implantant la pointe de cet instrument
                                                                 de bas en haut, à la face interne de la conque, et
                                                                 à la distance d’un pouce et demi à deux pouces au
                                                                 plus de sa pointe ».
                                                                     Cette marque visait à limiter la fraude : les
                                                                 chevaux de réforme étaient vendus pour des indis-
                                                                 positions diverses, naturelles ou accidentelles, qui
                                                                 les rendaient impropres à certains services, ce que
                                                                 l’acheteur ne devait pas ignorer69. Le moyen ne
                                                                 semblait cependant pas très efficace. Pour Car-
                                                                 dini, « cette précaution est à peu près inutile,
                                                                 puisque l’acquéreur peut facilement faire re-
Figure 18 : "Appareil lacrymal, exposé en réséquant
certains os ; 2. Glande lacrymale, BUDRAS et al.,                coudre la plaie, qui ne laisse ordinairement que
2003, p. 36.                                                     peu de traces ». Il ne restait plus au maquignon
                                                                 qu’à revendre le cheval sans en préciser l’ori-
                                                                 gine70.
   Pour dégraisser par le bas, on amputait la troi-
sième paupière (dite onglée, onglet67, caroncule,
corps clignotant, membrane nictitante), ainsi que                L’églandage des nœuds lymphatiques
sa glande superficielle de la troisième paupière ou                 Selon La Guérinière, « on églande ordinaire-
glande nictitante. Solleysel explique qu’il faut                 ment un cheval à qui les glandes s’engorgent et
opérer « si on peut au déclin de la Lune », et glis-             s’endurcissent […] derrière la ganache71 », les-
ser « un sol marqué » (une pièce de monnaie)                     quelles correspondent aux nœuds lymphatiques
                                                                 mandibulaires. Cette opération était pratiquée

63                                                               68
     LA GUÉRINIÈRE, ibid.                                             SOLLEYSEL, 1680, p. 94.
64                                                               69
     Ce même raisonnement conduit à prescrire l’énerve-                 Les chevaux atteints de maladies contagieuses
     ment du nez (voir plus bas).                                     étaient abattus sans être livrés à la vente.
65                                                               70
     GARSAULT, 1741, p .409.                                          CARDINI, 1848, 2, p. 193.
66                                                               71
     LAFOSSE, 1775, 4, p. 63.                                         LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 261.
67
     « Toutes les maladies de la troisième paupière sont
     désignées, en médecine vétérinaire, sous le nom
     d’onglet ou ptérygion. » VATEL, 1828, 2, p. 425.

                                                           181
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dans un but thérapeutique, contre la gourme ou la
morve, maladies dans lesquelles la lymphadéno-
pathie de l’auge est un signe constant. Certains
maréchaux, raisonnant à l’envers, voyaient dans
ces glandes non la conséquence, mais l’origine du
mal. Garsault, pour sa part, ne croyait pas à l’uti-
lité d’extraire ces « glandes », d’autant qu’…
   « ensuite il en reviendra une autre aussi grosse ; et
vous en ôteriez trente l’une après l’autre, qu’il s’en re-
formera toujours de nouvelles […]. De plus, comme ce
n’est point la glande qui fournit la matière qui la
gorge, quand le cheval n’aurait point de glande, il
n’aurait pas moins cette matière72 ».
   Il admettait cependant l’intérêt esthétique de
l’opération, lorsque le nœud lymphatique reste
volumineux après une maladie :
    « Ainsi, je conseillerais de n’ôter une glande que
lorsqu’un cheval en santé aura une vieille glande res-
                                                                   Figure 19 : "Étude de quatre museaux et naseaux
tée d’une ancienne gourme qui le défigure, et empêche
                                                                   fendus", attribuée à Pisanello, c. 1435-1445. FÉME-
la vente73. »
                                                                   LAT, 2015, p. 11.

Le nez
    La fente des naseaux, qui remonterait à
l’Égypte antique, aurait été importée en Europe,
depuis le Moyen-Orient, par la péninsule ita-
lienne. Mais sans doute cette opération a-t-elle
aussi émergé en Occident : un concile de l’Église
d’Angleterre, à la fin du VIIIe siècle, en interdit la
pratique, jugée païenne. « Par l’influence d’une
vile et indécente coutume, vous déformez vos che-
vaux […]. Vous fendez leurs naseaux, vous cou-
pez leurs queues […]74 ». Jean Tacquet, dans ses
Philippica, écrivait qu’on fend les naseaux aux
chevaux en France « afin qu’ils semblent plus ter-
ribles75 ». Les croquis de l’artiste italien Pisanello
constituent un des rares témoignages graphiques
dont nous disposons, en même temps qu’une con-
firmation de l’usage de cette mutilation au
Proche-Orient : le cheval croqué ci-après (fi-                     Figure 20 : Détail de "Étude d'un cheval oriental
gures 19 et 20) appartenait en effet à l’empereur                  aux naseaux fendus [...]", attribuée à Pisanello,
byzantin Jean VIII Paléologue76.                                   c. 1438, ibid., p. 7.

72                                                                 75
     GARSAULT, 1741, p. 406.                                            TACQUET, 1614, p. 134.
73                                                                 76
     Ibid.                                                              FÉMELAT, 2015, p. 10.
74
      “Spelman’s Councils of England, where are the de-
     crees of the Concil of Calchut”, cité par HUZARD,
     « Amputation de la queue… », 2, 1790. p. 190.

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    Au XVIIe siècle, Olivier de Serres en fait une
mesure prophylaxique « pour donner [aux che-
vaux] respiration, pour leur allonger l’ha-                           1
leine77 », et Gervase Markham l’évoque dans le
traitement de l’asthme78. Un siècle plus tard, La
Guérinière lui refuse tout bénéfice pour la respi-
ration car « ce n’est pas toujours de cette ouver-
ture des naseaux que dépend la liberté de la res-
piration, mais de la bonne constitution des pou-
mons79 ». Il l’admet cependant pour les chevaux
de guerre car elle empêche le hennissement. Elle
est, dit-il, répandue chez les Hongrois et leurs
hussards qui la pratiquent « dans la vue de facili-
ter la respiration à certains chevaux80 ». Bourge-
lat en fait une habitude des « peuples du Nord, des               Figure 21 : "1. Montre où vient la Fève, autrement
Allemands et même des Espagnols » dans le but                        dit le Lampas", SAUNIER, 1734, pl. II, p. 177.
de « leur donner plus d’haleine et les empêcher
d’ailleurs de hennir81 ». Philippe-Étienne La-
fosse, méconnaissant l’origine du cornage, en fait                   On appelait barbillons les caroncules sublin-
un remède aux sifflements du cheval siffleur ou                  guales situées de chaque côté du frein de la langue
cornard82.                                                       (figure 22), c’est-à-dire l’abouchement dans la
                                                                 cavité buccale des conduits mandibulaires issus
                                                                 des glandes salivaires du même nom.
La bouche
    Le lampas ou fève désignait un gonflement du
palais ou des gencives (figure 21), dont la des-
cription assez floue incluait certainement plu-
sieurs phénomènes. Il s’agissait le plus souvent de
l’œdème de la gencive lors de l’éruption des dents
lactéales. La fève ou le lampas, réputés doulou-
reux, auraient empêché le cheval de boire et de
manger. Selon La Guérinière, « comme ce mal ne
s’en va pas de soi-même, on est obligé d’ôter la                            1
fève83 ». Il l’ampute, comme Jacques de Solley-
sel84, selon la méthode traditionnelle, en cautéri-
sant avec « un fer rouge fait exprès pour cet
usage, plat par le bout et large comme une pièce
de douze sols », en prenant garde de ne « pas aller
jusqu’à l’os85 ». Un siècle plus tôt, Markham pré-               Figure 22 : "1. Signifie la connaissance des Barbes
férait amputer la fève avec « un bistouri ou cou-                qui empêchent un Cheval de boire", SAUNIER, 1734,
teau courbé bien tranchant et très chaud86 ».                    pl. I, p. 176.

77                                                               82
     SERRES, 1605, p. 310.                                            LAFOSSE, 1775, 1, p. 336
78                                                               83
     MARKHAM, 1610, p. 103.                                           LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 199.
79                                                               84
     LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 9.                                       SOLLEYSEL, 1664, p. 74
80                                                               85
     Ibid.                                                            LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 199.
81                                                               86
     BOURGELAT, 1750, p. 80.                                          MARKHAM, 1610, p. 103.

                                                          183
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   Comme la fève, on accusait ces excroissances
(appelées aussi nageoires) de couper l’appétit ou
d’empêcher de boire. Il importait de s’en débar-
rasser, selon La Guérinière, avec des ciseaux :
   « La guérison de ce mal dépend de l’adresse d’un
maréchal à introduire des ciseaux longs sous la langue
du cheval, et à emporter d’un seul coup cette excrois-
sance à droite et à gauche successivement87. »
   Une fois le pas-d’âne mis en place, quelques
précautions s’imposaient :
« On tire la langue, et on prend garde que le Cheval                    1
ne retire la tête, parce qu’il pourrait arriver que la
langue resterait dans la main ; car il n’y a point d’ani-
mal auquel la langue tienne moins bien88. »

L’amputation d’un membre
    L’amputation des membres ne se pratiquait
pour ainsi dire pas sur le cheval, animal trop mas-                Figure 23 : "1. L'Endroit où l'on fait l'Opération
sif pour se supporter sur trois extrémités, et dont                que l'on nomme Sifflet, pour les Chevaux poussifs",
on exigeait une locomotion parfaite pour accom-                    SAUNIER, 1734, pl. X, p. 185.
plir ses travaux. L’amputation ne pouvait concer-
ner que des reproducteurs de grande valeur. On la
tenta dans les années 1840, à Alfort, sur une frac-                poussif (atteint de pousse, c’est-à-dire d’emphy-
ture de l’antérieur droit, au tiers proximal de                    sème aigu du poumon). On supposait en effet
l’avant-bras. Le cheval survécut et parvint à rester               qu’affaibli par la dyspnée, il était incapable d’ex-
debout. Mais quelques jours après l’opération, le                  pulser correctement les gaz intestinaux, ce qui
membre antérieur gauche gonfla et se déforma                       l’affligeait de flatulences et l’exposait à la météo-
fortement. Une semaine plus tard, l’animal tom-                    risation. Garsault, qui en parle le premier, insiste
bait pour ne plus se relever. Pour autant, Henri                   sur l’inefficacité du procédé non sans le décrire
Bouley ne condamnait pas l’amputation, notam-                      car, « comme il y a bien des gens qu’on ne peut
ment lorsqu’elle était envisageable en partie dis-                 désabuser de leurs préjugés, je vais enseigner
tale, ce qui autorisait l’appui sur le moignon à la                cette opération de peur qu’on se méprenne si on
faveur d’un « appareil mécanique » (une pro-                       voulait la faire90 ». Il faut passer une corne de
thèse)89.                                                          vache dans le rectum puis, entre la queue et
                                                                   l’anus, percer un trou à la gouge rougie au feu à
                                                                   travers les sphincters, jusqu’à percer le rectum et
Le rossignol                                                       rencontrer la corne. Pour empêcher la plaie de se
                                                                   refermer, on passe par le trou un fil épais (ou un
    Le rossignol ou sifflet, était une mutilation à
                                                                   anneau) de plomb, de fer, de laiton, qu’on fait res-
visée thérapeutique consistant à créer une fistule
                                                                   sortir par le rectum. On lie ensuite les deux extré-
artificielle entre la base de la queue et le rectum
                                                                   mités du fil. C’est « proprement faire une fistule
(figure 23), dans le but de soulager le cheval
                                                                   à un cheval91 ».

87                                                                 90
     LA GUÉRINIÈRE, 1733, p. 199.                                       GARSAULT, 1741, p. 410.
88                                                                 91
     Ibid.                                                              Ibid.
89
     BOULEY, REYNAL, 1856, 1, p. 457.

                                                            184
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La stérilisation                                                2 - LES CARNIVORES DOMESTIQUES
    La pratique est ancienne et les modes opéra-                    Avant le XXe siècle, les seuls carnivores do-
toires variés. En 1857, on relève ainsi pour le che-            mestiques sujets à des soins vétérinaires étaient le
val dix méthodes différentes de castration92 et une             chien et le chat : un seul ouvrage mentionne le fu-
méthode d’ovariectomie par voie vaginale (sem-                  ret, utilisé pour la chasse au lapin98.
blable à celle de la vache, l’accès par le flanc étant
encore mal maîtrisé)93. Chez le mâle, on recher-
chait, en supprimant le comportement sexuel, à                  LES MUTILATIONS ESTHÉTIQUES
augmenter la docilité des chevaux de travail, tout
l’inverse du cheval de guerre, laissé entier pour lui
conserver son caractère fougueux. La castration,                Les oreilles
qui produisait des hongres, pouvait se faire dès
                                                                    Il est impossible de dater l’apparition de
quatre ou cinq mois, après la migration des testi-
                                                                l’otectomie tant cette pratique est ancienne et an-
cules dans le scrotum. Certains conseillaient d’at-
                                                                crée dans les mœurs. Le plus souvent, le proprié-
tendre la cinquième année afin d’optimiser les
                                                                taire réalisait lui-même cette opération, considé-
masses musculaire94. Il existait pour les étalons
                                                                rée comme anodine, sur les chiots en bas âge, d’où
des mutilations contraceptives visant à empêcher
                                                                la pauvreté des documents qui s’y rapportent
la fécondation sans retirer les testicules. Huzard
                                                                avant le XIXe siècle.
décrit ainsi la fente du gland sur toute sa longueur
(en protégeant au préalable l’urètre par l’insertion                En dehors de quelques nécessités thérapeu-
d’une tige de bois) pour dévier le sperme de son                tiques, les indications relevaient de l’esthétique
trajet lors de l’éjaculation95.                                 ou de traditions dénuées de motivations sérieuses.
                                                                Au XVIIIe siècle, Daubenton explique qu’on coupe
    Chez la jument, l’ovariectomie était plus rare,
                                                                le bout de l’oreille aux chiens de berger « afin
et motivée par un comportement sexuel « exubé-
                                                                qu’ils entendent plus facilement99 ». Pour Huzard
rant » voire agressif (aussi qualifiée de nympho-
                                                                et Desplas, l’amputation « tend à les préserver de
manie) qui compliquait la maîtrise de l’animal
                                                                la dent des loups et de celle des autres bêtes aux-
pendant les chaleurs96. Répandue au XVIIe siècle,
                                                                quelles ils font la chasse100 ». Au siècle suivant,
l’opération aurait été interdite par le Conseil du
                                                                Hurtrel d’Arboval en justifie la pratique chez les
Roi pour favoriser la production de poulains, puis
                                                                chiens de combat ou de garde, comme le mâtin et
remise à la mode au milieu du XIXe siècle97. Né-
                                                                le dogue, pour qu’ils puissent mieux se défendre
cessitant une laparotomie, elle se heurtait à des
                                                                contre les attaques de leurs semblables101. Cer-
difficulté techniques et septiques que ne posait
                                                                taines races, ou plutôt certains types de chien,
pas la castration des mâles : il importait de peser
                                                                avaient systématiquement les oreilles coupées,
le pour et le contre de l’intervention.
                                                                par exemple…
                                                                   « tous les Danois, les chiens de bouchers, ceux
                                                                de bergers et de basse-cour, les bouledogues, les

92                                                              97
     BOULEY, REYNAL, 1857, 3, p. 94 à 203.                            BOULEY, REYNAL, 1857,    3, p. 268 ; PEUCH, TOUS-
93                                                                   SAINT, 1877, 2, p. 515.
     Ibid.
                                                                98
94                                                                    MÉGNIN, 1885, envisage surtout les maladies parasi-
     VATEL, 1828, p. 431.
                                                                     taires cutanées du furet.
95
     HUZARD, 1792. p. 704.                                      99
                                                                     DAUBENTON, 1782, p. 218.
96
     PEUCH, TOUSSAINT, 1857, 2, p. 515.                         100
                                                                      DESPLAS, HUZARD, 1790, p. 208.
                                                                101
                                                                      HURTREL d’ARBOVAL, 1838, 1, p. 60.

                                                         185
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