Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - Les ONG françaises en Afghanistan SPECIAL - AFRANE
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Vingt-neuvième année N°120 Février 2008 Les Nouvelles (1er trimestre) 6 Euros d’AFGHANISTAN SPECIAL Les ONG françaises ISSN 0249-0072 en Afghanistan
Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan Trente ans de solidarité D epuis 1980, de nombreuses organisations humanitaires françaises se sont engagées en Afghanistan pour apporter des secours d’ur- SOMMAIRE N°120 gence, une aide au développement et, depuis 2002, un soutien à la reconstruction du pays. On a souvent signalé la proximité affective, qui existe HISTORIQUE entre Français et Afghans1. Beaucoup de Français ont une sympathie natu- Quelques éléments historiques relle pour un pays qui leur apparaît porteur de valeurs profondes d’humanité, par Etienne GILLE 3 aussi bien dans son sens de l’hospitalité, que dans son esprit de résistance. ANALYSES Beaucoup d’Afghans sont sensibles aux idéaux de la Révolution française, Les ONG sont-elles (ir)remplaçables? apprécient une culture non marchande, ont été touchés par le soutien des par Chistian BLANCHARD 9 french doctors et de tous ces volontaires qui sont venus les aider jusqu’au L’espace humanitaire en danger cœur de leurs montagnes. Et ils comptent sur la France pour leur garder un par François GRÜNEWALD, espace de liberté dans leurs relations avec les leaders de la « communauté » Peggy PASCAL et Véronique internationale, pour leur permettre de garder un peu de leur tradition de non de GEOFFROY 12 alignement. La santé en Afghanistan C’est pour cela que, quelles qu’aient été les difficultés traversées par Dr Guy CAUSSE 16 par l’Afghanistan depuis trente ans (et elles ont été grandes) les ONG fran- Education et enfance : spécificités çaises sont toujours restées très impliquées dans leur soutien aux popula- des ONG françaises tions afghanes. Un lien très fort de fidélité existe et on peut imaginer que ce par Laurence RAVINET 18 lien est indéfectible. Cela ne signifie pas pour autant que l’action des ONG françaises ne doive pas être soumise à la critique, ni qu’elle ne doive s’adap- TEMOIGNAGES ter aux nouvelles conditions prévalant dans le pays. Deux problématiques Centres de santé pour les femmes principales apparaissent. Tout d’abord celle du rapport des ONG avec l’Etat dans le Logar par Anne-Marie SPIESER 21 afghan. Après avoir occupé une grande place dans la gestion des questions de santé, d’adduction d’eau, de constructions de routes, de ponts ou d’éco- L’eau dans la province de Ghor les…, après avoir été choisies comme vecteurs d’une bonne part de l’aide par Trayle KULSHAN 22 internationale, les ONG étrangères ont sans doute à se retirer progressi- Tamana vement de tous les domaines qui peuvent être pris en charge par l’Etat ou par Fabrice PATE 23 par des organisations nationales. Ensuite, la question de la sécurité. Ce que l’on appelle « l’espace humanitaire » s’est rétréci, en ce sens que plusieurs QUELQUES ONG régions sont devenues trop dangereuses pour que des volontaires ou des Solidarites, MDM, ACF, Madéra Afghanistan Demain, SSF 24 employés d’ONG étrangères puissent y travailler. La population est toujours demandeuse. Mais parfois elle craint les représailles dont la menacent les ANNUAIRE opposants armés. Ou bien les politiciens ou les trafiquants de tout poil font Annuaire des ONG françaises en sorte qu’il n’y ait pas trop de regards extérieurs pour observer leurs turpi- présentes en Afghanistan 27 tudes. Si l’on veut bien se souvenir, de telles attitudes ne datent pas d’hier. Déjà en 1971, quand la famine faisait des ravages dans le Ghor, les observa- teurs étrangers n’étaient pas les bienvenus et Mike Barry devait se déplacer DERNIERES NOUVELLES armé et déguisé pour pouvoir s’informer sur la situation2. Chronologie, brèves, bibliographie 29 Les pages qui suivent présentent quelques extraits de l’histoire des ONG françaises en Afghanistan, quelques analyses de leur action actuelle et quelques instantanés sur telle ou telle réalisation. Tout cela est très partiel. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir pour montrer d’autres réali- Photo de couverture: Adduction d’eau sations et faire connaître les points de vue d’observateurs extérieurs. dans la province de Ghor par Action contre Etienne GILLE la Faim. « Améliorer l’accès de l’eau po- table de façon durable ». Photo ACF (voir article page 22) 1- Voir dans le dossier des Nouvelles d’Afghanistan : 70 ans de relations franco-afghanes (n°58-59), les articles de Eric Lavertu (« entre Français et Afghans de subtiles connivences » et de Pierre Lafrance (« Retrouver l’ami ») Adresse E-mail 2- Afghanistan, par Mike Barry, coll Petite Planète. afrane.paris@gmail.com Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet: www.afrane.asso.fr 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris 2 Les Nouvelles d’Afghanistan n°120
HISTORIQUE Quelques éléments historiques par Etienne GILLE L’action des ONG françaises dans l’Afghanistan d’aujourd’hui plonge ses ra- cines dans « les années terribles » qui ont suivi le coup d’Etat communiste d’avril 1978. On trouvera ici quelques rappels sur l’action humanitaire menée durant ces années par des volontaires qui ont donné une image très positive de la France dans tout l’Afghanistan. Ces notes ne font qu’indirectement écho à l’action d’ONG d’autres pays. L’action des Suédois, des Belges, des Norvégiens et de bien d’autres a été également très précieuse pour l’Afghanistan, même si le plus souvent seules les ONG françaises traversaient la frontière pendant la guerre. Malgré sa pauvreté qui en fait un des pays les plus démunis du monde, l’Afghanistan n’a bénéficié que très tardivement d’une aide humanitaire. Son isolement ne lui permettait pas de bénéficier du soutien des grandes ou petites associations à l’oeuvre ici ou là dans d’autres régions du monde comme l’Inde ou l’Afrique. Beaucoup des grandes ONG actuelles n’étaient d’ailleurs pas encore nées, et les associations chré- tiennes craignaient peut-être de ne pas être bienvenues dans un pays à 99% musulman. La famine des années 72-73 fut un des premiers moments où des associations commencè- rent à se mobiliser pour l’Afghanistan. Terre des Hommes essaya par exemple, avec difficulté, de faire parvenir une aide dans un pays où le gouvernement ne laissait pas beaucoup de liberté d’action à des organismes privés. Un peu plus tard, d’octobre 72 à fin 74, une ONG française, le CIDR1, qui outre sa connaissance de l’Afrique et de l’Asie possédait une expé- rience en Iran, entreprit une action dans le domaine médical, Eté 1980, passage symbolique de la frontière afghane : première mission humanitaire notamment à Mir Batchakot, au nord de Kaboul, et à Sarobi. d’Afrane. Photo A de Margerie Les tout débuts Les images de l’afflux de réfugiés fuyant par centaines de milliers l’invasion soviétique créèrent un choc dans l’opinion L’invasion soviétique en décembre 1979 changea complète- française et dans les milieux humanitaires qui cherchèrent ment la donne. Les grandes associations médicales françaises immédiatement d’abord à apporter une aide à ces réfugiés au venaient de naître : MSF (Médecins sans frontières) en 1971, Pakistan, ensuite à se rendre à l’intérieur même de l’Afgha- AMI (Aide Médicale Internationale) en 1979 et MDM (Méde- nistan, les uns pour soigner les victimes du conflit là où les cins du Monde) sensiblement au même moment (mars 1980). bombes tombaient, les autres car, les Soviétiques voulant vi- Ces deux dernières s’étaient créées sur des mots d’ordre qui der l’Afghanistan de ses forces vives capables de résistance, les rendaient très à même de s’engager en Afghanistan. Pour il convenait d’aider les Afghans à l’intérieur pour qu’ils ne MDM, il s’agissait de « témoigner » en même temps qu’on soient pas contraints de gonfler le flot des réfugiés. soignait. Pour AMI il fallait « aller là où les autres ne vont Dans le même temps d’autres mouvements se créaient. pas ». En 1979 se créait également l’Action Internationale AFRANE (Amitié Franco-afghane) et le MSRA (Mouve- contre la Faim (AICF). A l’origine, plusieurs intellectuels ment de soutien à la Résistance afghane) naissaient presque juifs qui avaient « cette pensée constante qu’après le géno- simultanément. La première, créée le 5 mai 1980, regroupait cide des six millions de Juifs, on ne pouvait être indifférents des hommes et des femmes ayant vécu, travaillé, voyagé en aux malheurs des autres »2. Afghanistan et qui de ce fait avaient un lien fort avec le pays3. Les Nouvelles d’Afghanistan n°120 3
HISTORIQUE Le second (né le 6 juin), plus politique, cherchait à motrer qu’on pouvait être de gauche et lutter contre la présence so- viétique en Afghanistan. Le MSRA fédérait ainsi des cou- rants issus les uns du maoïsme, les autres de la dissidence du parti communiste, d’autres encore du socialisme ou du Tiers-Mondisme. Enfin, la Guilde Européenne du Raid venait de concevoir un nouveau type d’expéditions : les raids à objectifs humanitai- res. L’Afghanistan, là aussi, concentrait les deux caractéris- tiques d’un pays difficilement accessible et en grand besoin. La Guilde allait s’y engager à fond. C’est ainsi que des « missions » humanitaires de différentes origines commencèrent à se rendre en Afghanistan. Les premières missions Durant l’été 1980 AMI, qui avait réalisé une mission explo- ratoire auprès des réfugiés à Peshawar dès le mois de mai, effectue une première mission en Afghanistan. Laurence Laumonier passe trois semaines au Nouristan où elle constate que « tous les villages ont été en grande partie détruits ». L’AMI installe une antenne à Kamdech et Waygal jusqu’à l’hiver. Les billets d’avion des volontaires sont alors payés par l’association à 20 %. De novembre à janvier 1980-81, Gérard Kohout (MSF) séjourne deux mois en Hazaradjat en tant que médecin. Il se rend aussi en Paktya et au Nouristan. Médecins du Monde, tout juste créée, envoie immédiatement 1981 : une caravane de Médecins du Monde transportant des médicaments collectés par une mission exploratoire en Afghanistan. AICF, après avoir Afrane. «L’action des french doctors donnera pour longtemps et encore aujourd’hui une belle image de la France dans l’opinion afghane» Photo Boiffin-Vivier/Rush fait dès le 15 janvier une campagne de presse pour fournir des tentes aux réfugiés afghans et recueilli 500 000 F, fait pour la plupart français, qui soignent dans les maquis. Cela convoyer ces tentes jusqu’aux camps par Jean-Christophe donnera pour longtemps, et encore aujourd’hui, une belle Victor et Patrick Arfi. Des convois de mules sont organisés image de la France dans l’opinion afghane. On imagine que pour acheminer une aide matérielle au Nouristan, dans le cette présence gène assez les autorités communistes afghanes Kounar, puis au Wardak et jusqu’à l’entrée du Hazaradjat. et soviétiques. Elle contribue en effet à faire connaître dans le AFRANE est aussi tout de suite à pied d’œuvre : elle par- monde la situation en Afghanistan sous un éclairage très diffé- ticipe à la deuxième campagne d’AICF en faveur des ré- rent de celui des médias officiels. Aussi, les « hôpitaux » (en fait des fugiés afghans, puis effectue dès août 1980 deux missions abris rudimentaires) que les ONG françaises ont établis ici ou l’une dans le Kunar et l’autre en Paktia. Elle se joint ensuite là sont bien vite la cible de bombardements (septembre 80 : à la première mission de la Guilde vers le Wardak. Quant dispensaires de MSF à Behsoud, Turkmen, Yakaolang, no- au MSRA, il fait parvenir son aide à un certain nombre de vembre 81 : dispensaires d’AMI au Pandjchir et Nangarhâr, groupes ou de « fronts » identifiés comme incarnant une ré- de MSF à Djaghori et Waras etc.). Certains médecins sont sistance progressiste. aussi visés. L’arrestation en 1984 au Logar du Dr Augoyard L’aide humanitaire a donc dans les années 80 deux profils d’AMI crée une grande émotion dans l’opinion française. Il assez différents : celui du médecin ou de l’infirmier ou infir- est d’ailleurs assez rapidement libéré. mière et celui du porteur d’aide « directe », en clair d’espè- Cela n’empêche pas l’action des ONG de se développer à ces, destinée à soulager sur place les victimes des combats. L’action des médecins a tout de suite un impact important. 1983 : dispensaire de Médecins Sans Frontière en Hazaradjat. «Soulager sur place les victimes Tout le monde sait en Afghanistan qu’il y a des médecins, des combats» Photo B. Dupaigne 1982 : une équipe de Médecins du Monde. «L’action des médecins a tout de suite un impact important». Photo S. Shuster 4 Les Nouvelles d’Afghanistan n°120
HISTORIQUE «Des groupes peu scrupuleux rançonnent des humanitaires» En 1986,Thierry Niquet est Reconstruction d’un pont par Madéra. «Peu à peu on s’habitue au bruit sec des bombes assassiné au cours d’une misssion conjointe Afrane-La Guilde du Raid. Photo Afrane contre la pierre» Photo Madéra la fois en volume d’aide et en rayonnement géographique. raissent les plus graves ou de l’accessibilité des lieux. Les Par exemple, en quatre ans, de 81 à 85, le volume de l’aide associations médicales notamment soignent conformément à apportée par AFRANE est multiplié par 8. Un des problè- l’éthique médicale tout malade ou tout blessé, quel que soit mes que les ONG s’efforce de résoudre est le déséquilibre de son parti. Beaucoup d’Afghans considèrent cependant que l’aide entre les zones proches de la frontière pakistanais et les les Français ont un faible pour le Djamiat, et au sein du Dja- zones plus lointaines. De nombreuses contraintes, en particu- miat pour Massoud5 lier la durée et la difficulté du voyage, sont en effet un frein La population accueille très généralement les humanitai- empêchant d’aller trop loin. Pourtant des efforts considéra- res les bras ouverts. C’est souvent pour elle la seule possi- bles sont faits. De 1980 à juin 1986, AFRANE effectue 26 bilité de recevoir une aide, les partis réservent leur argent missions d’aide dans 13 provinces (Maydân, Paktyâ, Kaboul, à la propagande et à l’effort de guerre. Les volontaires de Kandahar, Kunar, Kapissa, Uruzgân, Logar, Zaboul, Badakh- l’aide humanitaire, qui risquent leur vie sans aucune garantie chân, Faryâb, Nangarhâr, Ghazni). Elle se rendra ensuite à d’aucune sorte, reviennent souvent sous le charme à la fois Hérat, Baghlân ou Kunduz. Les ONG médicales s’implan- de la grandeur des paysages et de la générosité ainsi que de tent de même au Badakchân, dans le Hazaradjat ou au sud de l’hospitalité de gens très démunis. Mazar-e Charif. Il arrive cependant que tout ne soit pas rose. Dès le début, la Dans le même temps les ONG cherchent à se « profession- fragmentation de la résistance rend les voyages compliqués naliser ». Les missions de MSF vers le nord de l’Afghanistan notamment lorsqu’il s’agit de passer de la zone d’influence sont de véritables expéditions méticuleusement préparées4. d’un parti voire d’un commandant à celle du parti ou du com- Très tôt des ONG françaises prennent (avec Solidarité Bel- mandant voisin. De plus, des groupes peu scrupuleux rançon- gique) l’initiative de se coordonner et créent la Coordination nent les visiteurs étrangers – journalistes ou humanitaires- Humanitaire Européenne. Plusieurs ONG se regroupent à ou effectuent des chantages pénibles. En 1986 par exemple, Peshawar dans une maison commune appelée pour sa cou- Thierry Niquet est assassiné par un commandant du Hezb-e leur la « Maison Blanche ». Islami à l’issue d’une mission humanitaire menée conjointe- Cette professionnalisation va de pair avec la recherche de ment par AFRANE et la Guilde du Raid. En décembre 1987, fonds. Les Etats-Unis, dont les ressortissants ne sont pas Bernard Kouchner président de Médecins du Monde dé- autorisés à pénétrer en Afghanistan, au contraire des « french doctors », proposent d’assez larges subsides à de nombreuses 2002, nettoyage d’un canal d’irrigation par Acted. Photo Acted ONG qui la plupart du temps les acceptent discrètement ou même s’organisent pour en solliciter davantage. La neutralité des ONG Les ONG sont elles-mêmes courtisées par les partis de la Ré- sistance qui ont vite compris le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de l’aide humanitaire, soit directement en ponctionnant di- vers frais de route, soit indirectement en s’appropriant auprès de la population le mérite du travail des humanitaires. Une compétition existe entre les partis pour essayer de capter le plus possible d’aide. En revanche les ONG ne sont pas présentes à Kaboul, soit qu’elles aient été rejetées par le régime communiste, soit qu’elles considèrent que leur place est du côté des opprimés. Ceci étant, elles se considèrent pourtant comme impartiales, car ne choisissant pas leur implantation en fonction des grou- pes politiques mais en fonction des besoins qui leur appa- Les Nouvelles d’Afghanistan n°120 5
HISTORIQUE clare : « je ne comprends pas qu’on donne de l’argent, par- ticulièrement les Américains, au Hezb-e Islami qui séquestre les humanitaires en Afghanistan » (Libération). Pourtant les ONG restent très discrètes sur les incidents, ne voulant pas faire le jeu des Soviétiques. Elles estiment en effet qu’elles ne sont pas là seulement pour soigner ou pour nourrir ; el- les sont aussi là pour témoigner et épousent très fortement l’aspiration des populations qu’elles assistent à se libérer du joug soviétique. Un débat existe cependant au sein des ONG, témoin le journal de Médecins du Monde (octobre 1990) « Fallait-il soutenir le camps des Moudjahidins, ces paysans d’un autre âge, arc-boutés sur les principes d’un islam parfois dur et radical ? (…) Oui, il fallait y aller. Non, on ne pouvait pas renvoyer dos à dos Staline et Mahomet, la férule soviéti- que et l’obscurantisme islamiste. Parce que, quels que soient les errements futurs de la nation afghane, il y avait dans cette 2003, réfection d’une route de province par Solidarités. «Comment réagir aux impératifs de affaire une armée d’occupation, l’une des plus puissantes du sécurité sans se couper de la population ?» Photo Solidarité monde, et des Afghans humiliés. » vite, la situation y tourne mal, et à nouveau, il faut travailler dans l’urgence ou la semi-urgence. « La maison où vivent les La guerre civile Médecins Sans Frontières est devenue une véritable forteres- se avec ses sacs de sable entassés partout, et la cave qui sert Le départ des Soviétiques, puis la chute du régime de Kaboul, de dépôt central pour l’hôpital. (…). Peu à peu on s’habitue constituent un premier tournant dans l’action humanitaire. au bruit sec des bombes contre la pierre. Ou alors on monte Les ONG entreprennent de s’installer à Kaboul. Mais très le son de la musique pour ne plus les entendre. »6 Les ONG Année Evénements généraux Action humanitaire 1972 Famine (principalement dans le Ghor et le Le CIDR installe des dispensaires à Mir Batchkot et Sarobi Badakhchan) 1979 Décembre : invasion soviétique 1980 Le nombre de réfugiés au Pakistan atteint 1,4 Création d’AFRANE, du MSRA. million en décembre Début des missions humanitaires à l’intérieur du pays. 1981 Le nombre de réfugiés au Pakistan atteint 2,4 AFRANE organise un colloque sur les Français et l’Afghanistan principalement tourné million en décembre vers l’aide humanitaire. Octobre : création du BIA (Bureau International Afghanistan) à l’initiative du MSRA et d’un comité italien. 1983 En janvier, arrestation au Logar du Dr Augoyard, condamné en mars à huit ans de prison puis libéré en juin. Nouveau colloque à l’initiative d’AFRANE sur les Français et l’aide à l’Afghanistan. 23 avril : Création de la Coordination humanitaire Européenne avec AFRANE, les Amis de l’Afghanistan, l’Association luxembourgeoise pour l’Afghanistan, la Guilde européenne du Raid et Solidarité Afghanistan Belgique. 1984 On estime à près de 500 les médecins et infirmiers la plupart français ayant fait des missions médicales en Afghanistan. MSF a installé 9 dispensaires dans quatre provinces. Mission du BIA dans le Kounar et le Nouristan pour étudier la mise en place d’un projet agricole. 1985 Assassinat de Habib Rostam qui mène une action humanitaire en Hazaradjat. Fondation du MRCA. 1986 Le nombre de réfugiés au Pakistan atteint 3,3 Assassinat de Thierry Niquet par un commandant crapuleux du Hezb-e Islami, à million en décembre et 600 000 en Iran Le l’issue d’une mission commune avec la Guilde et AFRANE. nombre de réfugiés au Pakistan atteint 3,3 Blessure grave d’une infirmière d’AMI lors d’un bombardement à Bamyan, rapatriée million en décembre et 600 000 en Iran au Pakistan par une équipe d’AFRANE. Sous l’impulsion du Dr Malhuret, ancien président de MSF devenu Secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, le gouvernement débloque 2 millions de Francs pour les ONG françaises. Des financements américains parviennent à un certain nombre d’ONG. 1987 AFRANE commence à soutenir des actions de développement rural dans le Logar et la région de Ghazni. 1988 Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à l’action humanitaire de M. Rocard porte l’aide de la France aux ONG à 4 millions de Francs. La branche humanitaire de la Guilde du Raid devient autonome sous le nom de Solidarités Afghanistan (avant de s’ouvrir plus tard à d’autres pays et de perdre le mot Afghanistan dans son intitulé. Le BIA donne naissance à MADERA (Mission d’Aide au Développement des Econo- mies rurales en Afghanistan). 6 Les Nouvelles d’Afghanistan n°120
HISTORIQUE pallient les déficiences de l’Etat. Elles parcourent la ville de Kaboul, fanions au vent. Elles sont respectées et leur drapeau est une protection. Les Tâlebân Avec l’installation des Tâlebân à Kaboul, la situation ne chan- ge d’abord pas fondamentalement. Les ONG continuent leur travail, considérant qu’elles aident les populations et non un régime, et qu’elles ont toujours à « témoigner ». Ahmad Châh Massoud ne les en décourage pas, estimant que la population de Kaboul a besoin de cette aide internationale. Et de fait, les ONG apportent à la population à la fois un soutien indispen- sable et une sorte de réserve d’oxygène psychologique. Les Tâlebân s’intéressent assez peu en effet aux problèmes mé- dicaux et à la gestion quotidienne et beaucoup de malades ne sont soignés que grâce aux efforts des ONG. Mais surtout, la population est désespérée et les ONG représentent pour elle un des rares liens avec l’extérieur. Cependant les Tâlebân resserrent progressivement l’étau et 2002, dans une école soutenue par Afrane : les besoins sont immenses. Photo Afrane veulent contraindre les ONG à signer un règlement restrei- gnant leur liberté d’action. Elles refusent et sont mises à la porte manu militari en 1998. Certaines reviennent cependant, tiennent par le canal d’intermédiaires des écoles clandesti- après s’être enregistrées. D’autres (AFRANE, Négar) sou- nes. Année Evénements généraux Action humanitaire 1989 Départ du contingent soviétique. Vincent Gernigon de Handicap International est tué le 19 août par les forces gouverne- mentales. Chah Bazgar est tué le 23 novembre près de Kandahar. 1990 Assassinat de Frédéric Galland, logisticien de MSF qui se retire d’Afghanistan. 1992 Renversement du régime de Kaboul par les Retour de MSF. modjahedin. Début de la guerre civile. 1993 Création de l’Agence d’aide à la coopération technique et au développement (ACTED). 1994 Des combats très violents réduisent en ruines la Création du Kabul Emergency Program (regroupant AFRANE, Avicenne, Solidarités, moitié de Kaboul. Une partie de la population se Habitat, Acted et Coar) pour une aide d’urgence à Kaboul (fonds européens) réfugie à Djalalabad. Les Tâlebân commencent leur pénétration en Afghanistan à partir du Pakistan. 1996 Les Tâlebân prennent Kaboul. 1998 Assassinat à Kaboul d’un membre de la Mission Expulsion de Kaboul des ONG humanitaires qui n’ont pas accepté les règles édictées Spéciale des Nations Unies (Colonel Carmine à leur encontre par le régime des Tâlebân. Calo). 2000 Début d’une période de sécheresse en Afgha- nistan 2001 Assassinat de Massoud Les Américains renversent le régime des Tâlebân. Accords de Bonn (décembre) 2002 Le nombre des ONG afghanes ou étrangères présentes en Afghanistan s’accroît énormément. 2003 Adoption d’une nouvelle constitution Dans un communiqué commun MADERA, MDM, ACTED, AFRANE, AMI, Enfants du Monde-Droits de l’Homme, Handicap International, Solidarités et ACF s’inquiètent d’un mélange des genres dans l’action civilo-militaire et expriment la crainte que la popula- tion ne confonde civils et militaires. 2004 Elections présidentielles. H. Karzaï est élu 2 juin : assassinat de cinq membres de MSF de différentes nationalités dans le Bad- ghis. Déplorant le manque d’efficacité des enquêtes, MSF se retire d’Afghanistan. Le ministre du Plan, R. Bachardost, décrie l’aide des ONG. Il estime à 2355 le nombre d’ONG en Afghanistan, dont 333 étrangères. 2005 Elections législatives et provinciales 2006 Retour des Tâlebân dans le sud du pays Une équipe de MADERA est kidnappée dans le Wardak puis libérée le 29 septembre 2007 Une équipe de Terres d’enfance travaillant dans le Nimrouz est enlevée puis libérée Les Nouvelles d’Afghanistan n°120 7
HISTORIQUE Installation de stations météorologiques par Afrane-Développement en 2003. «Cette fois les ONG ont comme interlocuteur un gouvernement reconnu». Photo Af-Déceloppement la population en vivant en vase clos. Il n’est pas nécessaire de développer ces points ici, puisqu’ils font, pour la plupart, l’objet des différents articles de ce dossier. Entre les volontaires de 1980, agissant avec une grande spon- tanéité et sans aucun filet de sécurité, cheminant de nuit sous les bombardements par des sentiers minés et les ONG profes- sionnelles d’aujourd’hui très organisées avec « admin », respon- De l’eau pour le bien être des populations, un programme de Solidarités. «Les ONG connais- sable « sécu », liaisons téléphoniques constantes, la conti- sent bien les besoins du pays et ont acquis un savoir faire reconnu». Photo Solidarités nuité n’est pas évidente. Il y a 20 ans, le volontaire traversait la frontière et devenait injoignable pendant deux ou trois mois. Il fallut neuf mois pour apprendre la mort de Thierry La reconstruction Niquet et quinze pour en être sûr. Ces temps ne sont pas à En 2002, quand le gouvernement transitoire s’installe après regretter et les moyens de communication d’aujourd’hui sont le renversement des Tâlebân, un certain nombre d’ONG sont une chance. Malheureusement, les risques encourus par les déjà présentes. D’autres – parfois tout nouvellement créées - volontaires n’en ont pas été amoindris, au contraire. arrivent très rapidement et ouvrent des bureaux à Kaboul où S’il est un point commun entre ceux d’hier et ceux les prix flambent. Cette fois les ONG ont comme interlocu- d’aujourd’hui, c’est bien, outre le courage, la motivation pour teur un gouvernement reconnu par la communauté interna- travailler avec les Afghans à construire un avenir meilleur. tionale et agissent au grand jour et sans entraves. Dans un La prochaine étape de cette histoire mouvementée reste à premier temps, les financeurs internationaux préfèrent leur écrire. Logiquement elle devrait consister à un effacement confier les fonds de la reconstruction plutôt qu’au gouverne- progressif du rôle des ONG, au fur et à mesure que l’Etat ou ment. L’administration a été en effet elle aussi sinistrée par des institutions afghanes publiques, associatives ou privées la guerre puis par l’indifférence gestionnaire des Tâlebân, et seront en mesure de prendre en charge les tâches assurées par n’est pas en mesure de gérer toute l’aide internationale. Les défaut par les ONG étrangères. ONG, certaines du moins, connaissent bien les besoins du pays et ont acquis un savoir faire reconnu. Durant cette pé- Références : riode se renforce l’habitude prise auparavant (et souvent à la - La revue Les Nouvelles d’Afghanistan a publié presque dans chacun de demande des bailleurs de fonds) par les ONG, françaises ou ses numéros des récits de mission ou des synthèses sur l’aide humani- non, de marquer leur « territoire ». Fleurissent ainsi dans tout taire. Pour les débuts, on pourra se référer par exemple au n° 5-6 de juillet l’Afghanistan des pancartes au logo des différents ONG indi- 1981 dont le dossier a pour titre : « Les Français et l’aide à l’Afghanistan quant à chaque endroit les ponts, les écoles, les dispensaires ». Sur la période allant jusqu’à 1992, voir « L’aide humanitaire pendant la qu’elles ont construits. guerre », par Bernard Dupaigne, n° 58-59. Pour la période récente, voir Peu à peu les choses changent. L’Etat prend de la vigueur « Les ONG contestées », dossier du numéro 117 (décembre 2004). Sur et édicte des normes. Les ONG doivent demander des auto- l’action d’AFRANE, voir le numéro spécial d’avril 2005. risations et rentrer dans des programmes qu’elles n’ont pas - Le Photographe, BD de Didier Lefèvre en trois tomes. Témoignage sin- conçus. Certains hommes politiques leur deviennent hostiles, cère et à tout point remarquable sur une mission MSF vers le Badakhchan. qui ne font guère le tri entre les ONG. Des clivages existent Le troisième tome comprend un DVD de Juliette Fournot. en effet entre les ONG qui font du travail désintéressé et cel- - La passion de l’Afghanistan - Madera, vingt-et-un ans de solidarité, par les qui ne sont que des entreprises privées déguisées. Celles Jean-Pierre Turpin, éd. Karthala, 2001. qui ont une expertise et celles, poussant comme des champi- - Le défi afghan, par A. de Bures et J. M. Chaligny. éd. Anthropos, 1986. gnons, qui cherchent à profiter d’une aubaine financière. - French doctors d’Olivier Weber. éd. Robert Laffont, 1995 Les conditions de sécurité à nouveau se dégradent et les - Jours de poussière, par Jean-Pierre Perrin. éd. La table ronde, 2002. ONG deviennent des cibles. De nouvelles problématiques apparaissent : comment se situer par rapport à l’aide civile 1- Centre International de Développement et de Recherche. apportée par les militaires ? Comment se situer par rapport 2- Patrick Arfi dans Tribune Juive. Ces intellectuels quittèrent ensuite à l’Etat ? En participant à la reconstruction aux côtés de AICF. l’Etat est-il possible de conserver une totale neutralité politi- 3- AFRANE, lors de sa création, intégra plusieurs groupes créés peu aupa- ravant. En revanche, l’AMAFAF, association dijonnaise créée en septembre que. Comment se situer par rapport aux financements ? Les 1979, préféra garder son autonomie. ONG ne sont-elles pas instrumentalisées par les financeurs 4- Notamment par Juliette Fournot. qui définissent les stratégies ? Quelle politique salariale avoir 5- Cette question déborde du cadre de cet article, mais mériterait un déve- qui ne contribue pas à créer une classe moyenne favorisée ? loppement particulier. 6- Dans Les Nouvelles d’Afghanistan, n°61, 3ème trimestre 1993, «Méde- Comment réagir aux impératifs de sécurité sans se couper de cins du courage» par Cristina L’Homme –Thiollier. 8 Les Nouvelles d’Afghanistan n°120
ANALYSES Les ONG sont elles (ir)remplaçables ? par Christian BLANCHARD* Dans un Afghanistan qui a beaucoup changé ces six dernières années, la place des ONG ne peut plus être la même. Cependant elles ont encore un rôle à jouer, car leur proximité de la population et de ses besoins fait qu’elles ont quelque chose à dire aux autorités et aux organismes internationaux. L’Afghanistan connaît depuis quelques années une instabilité maintenant correctement asphaltés après de très gros travaux politique persistante dont une des traductions les plus visibles de réhabilitation, voient circuler des cohortes de camions. Il est la multiplicité des attentats et des attaques suicides qui suffit de voir les encombrements à la sortie de Kaboul sur la frappent les forces militaires afghanes et internationales ainsi route menant au Pakistan ou au poste frontière de la Khyber que les représentants du gouvernement afghan. Les combats Pass pour constater la différence avec la période tâleb où le entre forces de la Coalition et forces rebelles afghanes et le pays vivait replié sur lui-même. nombre de dégâts collatéraux qu’ils induisent représentent bien sûr un autre indicateur majeur de la fragilité de l’Afgha- Tous ces développements restent bien sûr à relativiser à la nistan. Les enlèvements d’Afghans et d’étrangers, qui sont lecture du récent rapport du Développement Humain en apparus récemment dans l’arsenal de terreur des forces an- Afghanistan du PNUD2 qui fait état d’une dégradation des ti-gouvernementales et se sont multipliés ces deux dernières indicateurs en matière d’espérance de vie, de taux d’alpha- années ajoutent une nouvelle source de danger pour les popu- bétisation3 et de lutte contre l’extrême pauvreté. Mais sans lations et plus particulièrement les travailleurs humanitaires énumérer les améliorations ou reculs plus ou moins visibles nationaux ou internationaux. dans tous les secteurs de la vie quotidienne afghane, il faut hélas constater que le pays connaît une situation où les pro- Une certaine embellie grès sont en grande partie occultés par la persistance voire le développement de violences et de combats qui fragilisent Malgré cette insécurité le pays connaît une relative embellie toutes ces avancées. économique et une période de reconstruction, voire dans cer- tains domaines, de développement : - L’économie afghane s’est considérablement redressée ces dernières années ; le PIB par habitant est passé de 182 USD Le rôle des ONG a évolué en 2002 à 344 USD en 2006, et le taux de croissance pour la Dans ce paysage complexe en mutation rapide oscillant entre période 2006-2007 se situe à 8%. guerre plus ou moins ouverte, paix espérée et timide dévelop- - Le pays connaît un essor des institutions de micro-finance, pement, les ONG ont, depuis 2001, vu leur rôle et leur place et les Afghans désireux d’avoir accès à ce type de service au sein du paysage afghan évoluer et leur marge de manœu- sont de plus en plus nombreux, ce qui souligne le dévelop- vre redéfinie au fur et à mesure de la structuration de l’Etat pement de la capacité d’entreprise des populations, ces prêts et du renforcement ou de l’apparition d’acteurs/partenaires s’adressant pour l’instant le plus souvent à une clientèle sus- désireux de s’affirmer dans la conduite de la reconstruction ceptible de développer une activité commerciale ou artisa- et du développement du pays. nale. La Banque Mondiale, qui est un des principaux finan- En effet, durant toute la période de domination des Tâlebân ceurs du secteur, cite le chiffre de 500 000 prêts accordés (1996-2001) de l’Afghanistan, les ONG, soutenues par quel- depuis 2002 pour 120 millions de dollars avec un taux de ques rares bailleurs (on pourra citer la constance du soutien remboursement de 98%. Le pays compte déjà 14 institutions de l’Union Européenne et du gouvernement français) se sont de micro-finance, avec plus de 220 branches, présentes dans souvent substituées à l’Etat pour essayer de faire fonction- 22 des 34 provinces afghanes. ner quelques « services minimum vitaux » pour la population - Les grandes villes du pays se reconstruisent. Kaboul a no- afghane : soutien au système médical depuis les dispensaires tamment vu ses champs de ruines se résorber partiellement et jusqu’aux hôpitaux, mise en place de centres de nutrition et faire place à de nouveaux bâtiments à tel point que se pose de cliniques de protection maternelle et infantile, réhabilita- maintenant des problèmes d’urbanisme1 (en fait, la mise en tion de systèmes d’adduction d’eau, soutien aux boulangeries œuvre de tels chantiers a parfois été accompagné, semble-t- et distribution de pain dans les périodes les plus noires, dis- il, de détournements de fonds et de corruption). tributions massives d’argent ou de nourriture contre travail - Le commerce est dynamique et les grands axes routiers, dans les campagnes, travail dans les camps de réfugiés et déplacés… Les accords de Bonn de 2001, puis l’Afghanistan Compact * Délégué général de MADERA en 2006, ont en revanche affirmé le soutien de la Commu- Les Nouvelles d’Afghanistan n°120 9
ANALYSES Réhabilitation d’une route en province. «Les ONG cherchent maintenant de plus en plus Développement du système de micro-finance. «Les ONG perdent peu à peu l’initiative dans à se distinguer de la politique d’Etat, une proximité trop affichée faisant peser de grands la définition des programmes mis en oeuvre et sont souvent considérées comme ‘‘prestataires risques quant à la sécurité de leurs personnels». Photo Madéra de services’’ et non ‘‘partenaires’’». Photo Madéra nauté Internationale au gouvernement afghan et son impli- majorité d’ONG. cation dans le processus de reconstruction de l’Afghanistan. - Les bailleurs de fonds internationaux : De nombreuses institutions et plus de 60 pays ont promis Ceux-ci participent massivement depuis 2002 à la recons- d’apporter soutien et ressources au pays. Dans ce contexte, truction de l’Afghanistan selon différents mécanismes : aide les ONG, qui pour certaines sont présentes dans le pays de- bilatérale, multilatérale, abondement de fonds, financement puis 1980, doivent maintenant s’adapter et trouver leur place du fonctionnement du gouvernement afghan, financement auprès de nombreux acteurs, parmi lesquels on peut évo- de programmes menés par des organismes internationaux quer: (CICR, agences des Nations-Unies) ou des ONG… Ils sou- haitent affirmer leur vision du développement pour le peu- - Le gouvernement de Hamed Karzaï : ple afghan. Ainsi, par l’intermédiaire de conseillers auprès Celui-ci, légitimé par les urnes et grâce au soutien politique du gouvernement afghan au niveau central, ou par le biais et financier de grands bailleurs internationaux (le budget de financements de programmes sur des thèmes définis par contrôlé directement par le gouvernement est de 1,7 mil- les bailleurs eux-mêmes, chacun essaie de modeler le futur liards de dollars dont 50% provient de l’aide internationale), sans que les populations soient réellement consultées dans la cherche enfin à mener une réelle politique de développement démarche5. Les ONG, partenaires « naturels » des bailleurs du pays. Il s’est renforcé depuis peu au niveau central mais de fonds via des programmes de reconstruction ou de déve- peine encore à prendre réellement en charge la mise en œuvre loppement sont de moins en moins associées à l’élaboration de sa politique au niveau provincial. Dans certaines régions, de leurs politiques d’intervention. le pouvoir est même aux mains de l’opposition et l’Etat to- La Commission Européenne par exemple, malgré une com- talement inexistant. Enfin, il parait affaibli par des critiques munication au Parlement Européen en 2002 affirmant sa vo- concernant le développement d’une corruption endémique lonté d’associer les ONG à la définition de sa stratégie de qu’il peine à freiner. réponse6 , finance maintenant l’aide en Afghanistan selon le D’une manière générale, les ONG qui sont restées en Afgha- principe « d’appels à propositions » dont les thématiques sont nistan après le départ des Tâlebân adhèrent et collaborent, déterminées par elle seule. La Banque Mondiale, impose ses de manière plus ou moins visible, à la politique de dévelop- choix dans le domaine de la santé non seulement au gouver- pement menée par le gouvernement afghan4. On pourra citer nement afghan mais aussi aux ONG responsables de la mise notamment la mise en œuvre du programme de Solidarité en œuvre de cette politique. Nationale (NSP), dirigé par le gouvernement, financé par la Les ONG (et les populations aux côtés desquelles elles tra- Banque Mondiale (les fonds transitant par le ministère afghan vaillent) perdent donc peu à peu, sauf peut être dans le cas du des Finances) et mis en œuvre auprès des populations par les NSP, l’initiative dans la définition des programmes qu’elles ONG. Ce programme de développement communautaire, qui mettent en œuvre et qui obéissent à des politiques qu’elles suscite de nombreuses critiques de la part des ONG, perce- ont peu, voire pas du tout, contribué à concevoir. Le voca- vant ce projet comme une « vitrine » de l’aide gouvernemen- bulaire employé par les bailleurs des fonds pour désigner les tale, n’en demeure pas moins un des premiers programmes à partenaires est d’ailleurs un signe révélateur de ce glissement grande échelle qui vise à permettre aux populations de définir du rôle des ONG, puisqu’il est maintenant le plus souvent elles-mêmes leurs priorités en matière de développement. fait mention « d’implementing partner », formulation à rap- procher de celle de « prestataire de services », plutôt que de Néanmoins, les ONG cherchent maintenant de plus en plus « partenaire » à se distinguer de la politique d’Etat, une proximité trop af- - Les forces militaires : fichée faisant peser de grands risques quant à la sécurité de Celles-ci sont très présentes en Afghanistan et mènent un leurs personnels national et international qui risquent d’être grand travail de sécurisation et de défense. Leur rôle est assimilés et confondus avec des fonctionnaires du gouver- beaucoup plus ambigu quand elles mènent des actions « nement. De plus, ce rapprochement brouille l’image d’indé- civilo-militaires », distributions gratuites de médicaments, pendance et de neutralité farouchement revendiqué par une de nourriture ou d’outils, vaccinations gratuites du bétail, 10 Les Nouvelles d’Afghanistan n°120
ANALYSES d’autres), ce qui augmente la difficulté pour les acteurs de terrain de savoir qui détient réellement le pouvoir dans leurs zones d’intervention et accroît l’insécurité pour les person- nels humanitaires. Proches des populations En conclusion, les ONG sont donc non seulement confron- tées aux soubresauts politiques frappant de nouveau ce pays, mais aussi à un ensemble de forces et d’acteurs qui souhai- tent imposer leur vision du développement de l’Afghanistan ou protéger et faire prospérer leurs intérêts parfois criminels. Il n’en reste pas moins que les ONG restent les interlocuteurs privilégiés des populations, défiantes vis-à-vis du gouverne- ment car voyant peu les résultats concrets de sa politique, las- sées par la guerre, désespérées de devoir encore supporter la présence d’hommes en armes dans le pays, sceptiques quant à certaines politiques de financement mises en place par de grands bailleurs de fonds et dont elles ne voient jusqu’à pré- sent que peu de répercussions positives sur leur vie quoti- dienne. Devant ce constat, les ONG doivent continuer à militer pour «Les ONG restent les interlocuteurs privilégiés des populations». «Elles doivent militer faire reconnaître leur rôle auprès des populations et préserver pour faire reconnaître leur rôle auprès des populations et préserver leur identité et leur leur identité et leur indépendance. indépendance». Photo Solidarités Cette proximité des populations, acquise par des années de constructions d’écoles ou autres aides fortement visibles des- présence sur le terrain, leur donne toute légitimité pour ga- tinées à s’attirer le « cœur et l’esprit » des populations, mais gner leur place de partenaire auprès de l’Etat afghan et des sans qu’il n’y ait apparemment aucune réflexion préalable, ni grands bailleurs internationaux afin de jouer un rôle dans la consultation des acteurs de terrain que sont les ONG quant à définition des stratégies mises en place pour aider ce pays et la manière de mettre en œuvre ce type d’aide. ses habitants. De nombreux exemples ont mis en évidence le caractère Alors oui, malgré toutes ces nouvelles difficultés et la com- pervers de la distribution gratuite de l’aide (hors période plexification des relations entre les différents acteurs de d’urgence) en comparaison à une participation des popula- l’aide, malgré les risques encourus par les personnels des tions dans les projets de développement proposés et menés ONG, nationaux et internationaux, les ONG ont encore leur conjointement avec ces dernières. On pourra citer le cas de place en Afghanistan. Leur présence, en contact direct et vaccinations gratuites de bétail menées dans les provinces quotidien avec les populations, reste un des facteurs d’espoir, Est par des équipes PRT (provincial reconstruction team, for- d’amélioration des conditions de vie et de développement ces militaires menant des activités de type « humanitaire »), des ces dernières. Elles sont encore irremplaçables, tant que qui fragilisent les para-vétérinaires, assurant des soins cura- le pays connaîtra un environnement politique aussi fragile. tifs et préventifs payants. La « concurrence économique » (décembre 2007) apportée par des vaccinations ou des soins gratuits remet en effet en cause la viabilité de leur métier et compromet à terme 1- Voir l’article de Béatrice Boyer du Groupe URD : «Kaboul, début 2007- A la pérennité de leur installation dans la zone. mi parcours du processus de reconstruction»; in Les Nouvelles d’Afghanis- Enfin, l’aide « humanitaire » prodiguée par ces PRT fait pla- tan n° 117 2- Afghanistan Human Development Report 2007: Bridging modernity and ner le danger de confusion de l’humanitaire et du militaire Tradition, United Nations Development Program - http://hdr.undp.org/en/ dans l’esprit des populations, ce qui fait courir des risques reports/nationalreports/asiathepacific/afghanistan/name,3408,en.html supplémentaires au personnel des ONG7. 3- Les baisses indiquées pour l’espérance de vie et pour l’alphabétisation des adultes sont à prendre cependant avec circonspection, car elles pourraient ré- sulter d’une modification des méthodes de calcul plutôt que de la description D’autres forces opposées à tous les acteurs précédemment d’une réalité. Voir note dans les dernières pages de ce numéro. (NDLR) décrits sont bien sûr présents dans le paysage afghan et conti- 4- On notera la position particulière de MDM, qui a refusé de participer à nuent à jouer un rôle important que les ONG doivent éga- la contractualisation des services de santé en Afghanistan actuellement mis lement considérer avec la plus grande attention. Citons par en place dans le cadre d’un « contrat de partenariat basé sur la performance exemple : », mais continue à prodiguer des soins dans des secteurs non couverts par le gouvernement. - Les trafiquants, notamment de drogue, dont le pouvoir et 5- Voir à ce sujet une publication de MSF (qui s’est retiré d’Afghanistan en l’activité se sont renforcés fortement dans certaines régions si 2004) évoquant la question d’indépendance des ONG en Afghanistan et le l’on en croit les chiffres de production annoncés pour l’année rôle des bailleurs dans la définition des politiques de développement : «Is 2006. Le produit des drogues illicites équivaudrait à 6/10ème independant humanitarian action over in Afghanistan ?» par Xavier Crombé, Denis Lemasson, Afghanistan Monitor, 01.09.2003). du PIB licite, leur culture occupant 193 000 hectares8. A un 6- Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen et tel stade, on comprend le poids déstabilisateur des intérêts au Comité Economique et Social : «Participation des acteurs non étatiques à économiques mis en jeu. la politique communautaire de développement» (07.11.2002 - http://eur-lex. - Les forces anti-gouvernementales, qui apparaissent di- europa.eu/LexUriServ/ site/fr/com/2002/com2002_0598fr01.pdf) visées en plusieurs « courants » aux objectifs parfois oppo- 7- Voir à ce sujet l’article de Alain Labrousse : « Les relations entre PRT et ONG dans l’est», in Les Nouvelles d’Afghanistan n°116. sés (conquête du pouvoir ou reconnaissance internationale 8- La surface cultivée totale est généralement estimée à 7,8 millions d’hec- pour certains groupes, poursuite indéfinie du « djihad » pour tares (NDLR). Les Nouvelles d’Afghanistan n°120 11
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