ENQUÊTE LES NOUVELLES FRACTURES FRANÇAISES - LE MAGAZINE DES SCIENCES PO - Sciences Po Alumni
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LE MAGAZINE DES SCIENCES PO ENQUÊTE LES NOUVELLES FRACTURES FRANÇAISES I L LU S T R AT I O N : N I C O L A S V I A L ÉMILE BOUTMY MAGAZINE / N° 15 / HIVER 2018 - 2019
ÉMILE SOMMAIRE HIVER 2018-2019 – NUMÉRO 15 5 ÉDITORIAL 62 RENCONTRE Aurélien Bellanger, le romancier qui rêve actualités de territoires 7 GRAND ENTRETIEN 66 FROM ABRO AD « Gilets jaunes » : vers une sortie de crise ? Lost in Detroit Avec Ingrid Levavasseur, Olivier Véran et Pascal Perrineau 14 EN VUE Spécial incubateur business 69 FORUM ENTREPRISES 16 RUE S AIN T-G U ILL A U M E Une levée de fonds ambitieuse 91 G A STRONOMIE Dialogue de chefs à l’école culinaire 18 NOS MÉCÈNES du Cordon Bleu Alexandre Bompard s’engage pour Sciences Po Avec André Cointreau et les chefs Éric Briffard et Fabrice Danniel 20 ENQUÊTE Auto-édition : tous écrivains ? 96 ENQUÊTE Escape games : les entreprises se prêtent 22 LIVRES au jeu 24 BONNES ADRE SSES 100 CONFÉRENCE Emploi : tentez l’expérience du luxe regards 105 L’ŒI L DU CO A CH 27 FA CE-À-FA CE Le mind mapping Au cœur de la tempête médiatique Avec Éric Woerth et Bruno Jeudy 33 ENTRETIEN CROISÉ alumni L’opéra, une espèce menacée ? 106 LES A CTU ALITÉS DE SCIENCES PO Avec Jean-Philippe Thiellay et Olivier Lombardie 108 ÉVÉNEMENT 38 FICTION Sciences Po & MGIMO : dialogue entre Les chatons du checkpoint Paris et Moscou Par Anaïs Llobet 110 RÉGIONS 42 FENÊTRE SUR COUR 1979 : « Une année charnière » 111 C ARNET Par David Colon 112 NOMINATIONS grands formats 121 A GEND A ENQUÊTE 122 D’UN MOT LES NOUVELLES FRACTURES FRANÇAISES Bhoutan 45 INTER VIEW Par Guillaume Lhotellier Christophe Guilluy : « La classe moyenne n’existe plus. » PORTRAITS DE VILLES 50 Florange, entre rouille et débrouille 54 Grenoble, métropole aux deux visages 58 Banlieues parisiennes, marche ou rêve émile boutmy magazine 3 sommaire
Deloitte, une référence du conseil en gestion des risques Le risque est très souvent analysé pour protéger la valeur Deloitte, grâce à une approche métier intégrée, supportée par de l’entreprise. Il est également indissociable des décisions la puissance de solutions digitales et d’analyse de données, à prendre pour projeter l’avenir des organisations. aide les entreprises à appréhender ces différents enjeux. Image de marque, impact de l’entreprise sur En considérant le risque comme un enjeu stratégique, nous l’environnement, mise en conformité face à un aidons à créer de la valeur. environnement réglementaire complexe, protection des actifs numériques : il est crucial pour les acteurs Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site www.deloitte.fr économiques de bien connaître leurs risques, de les Intéressés par nos métiers ? Postulez ou consultez nos offres évaluer, de les modéliser, afin de prendre des décisions sur www.deloitterecrute.fr éclairées. Contacts Marc Van Caeneghem Associé Risk Advisory Nicolas Fleuret Associé Risk Advisory © 2019 Deloitte SAS. Membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited
ÉMILE ÉDITORIAL Par Pascal Perrineau (promo 74) Sciences Po Président de Sciences Po Alumni American Foundation PAR PATRICK SIMONNET (PROMO 75) DIRECTEUR DE L A US SCIENCES PO FOUNDATION L’année 2018 a été marquée par le rap- prochement de l’Association des Anciens aux Chères et États-Unis et de la US Sciences Po Foundation, donnant ainsi naissance à la Sciences Po Ame- chers Alumni, rican Foundation. À travers l’Alumni Committee, l’année 2018 a été pour nous celle d’un effort l’objectif est d’animer le réseau des Anciens aux États-Unis, en organisant des événements cultu- particulier quant à notre implantation en rels et sociaux, des débats d’idées et de favoriser région et à l’international. Nombre d’entre nous les mises en relation sur le territoire américain. travaillent et vivent en région ou à l’étranger. Mon En 2018, grâce à nos « antennes » de Boston, souci a toujours été, au-delà de notre implantation à Paris Chicago, New York, San Francisco, et Washington et en Île-de-France, de renforcer nos activités et notre DC, nous avons organisé près de 20 événements sur le territoire, dont un dîner-débat sur les enjeux présence dans les régions, à l’outre-mer et à l’interna- de la visite d’État d’Emmanuel Macron à Washing- tional. Un signe important a été envoyé avec notre réunion ton, une rencontre avec Thierry Delaporte (promo de rentrée, organisée pour la première fois à Nice, le 13 sep- 92), COO de Capgemini à New York ou encore un tembre 2018, autour du président du Sénat, Gérard Larcher, happy hour à San Francisco avec Amber Dillon, du maire de Nice, Christian Estrosi et du président du conseil dépar- coordinateur du double diplôme entre UC Berkeley temental des Alpes-Maritimes, Charles-Ange Ginesy. Les anciens de et Sciences Po. Sciences Po et des grandes écoles ont pu ainsi, aux côtés des étudiants de L’année 2018 a également été marquée notre campus de Menton, participer à une réflexion autour du thème « Le par le gala annuel de la Sciences Po American nouveau pouvoir et les territoires ». Nombre d’éléments évoqués dans nos Foundation, dont l’invité d’honneur était Éric débats de Nice ont permis de mieux comprendre ce qui allait se passer Schmidt d’Alphabet. Près de 300 personnes se quelques semaines plus tard, à savoir la révolte de nombre de territoires sont retrouvées au 583 Park Avenue à New York et ont ainsi eu l’opportunité d’écouter le discours de contre le nouveau pouvoir. l’ancien PDG de Google et Alphabet, faisant écho À l’international, la structuration de nouveaux réseaux autour de aux ambitions du fondateur de Sciences Po, Émile cercles organisés par continent (Afrique, Asie, Europe, Amériques…) et Boutmy, de « façonner des esprits libres, capables l’organisation de conférences internationales comme celle que nous avons de comprendre le monde afin de le transformer ». mise au point, le 28 novembre dernier, avec l’Institut d’État des relations En 2019, nous prévoyons de poursuivre internationales de Moscou (MGIMO) sur le thème « Innovation et intégra- l’animation du réseau des Anciens en organisant tion » sont autant de signaux forts de la volonté de projeter notre associa- des événements tant sur la côte Est que sur la côte tion au-delà de nos frontières nationales. Ouest, et avons également commencé à déployer En 2019, nous poursuivrons cet effort de « glocalisation » qui est la des outils permettant aux Anciens de se retrouver bonne échelle pour penser l’avenir de nos organisations et, au-delà, de virtuellement, tels que la création de groupes notre monde. Bien sûr, nous continuerons à développer ce qui est le cœur sur Facebook ou LinkedIn ou encore la création d’un Slack. À tous les lecteurs nord-américains de notre ADN, à savoir l’animation d’un débat public de qualité et le sou- d’Émile : n’hésitez pas à visiter notre site tien sans faille aux initiatives et au développement de notre alma mater. www.usscpo.org et la rubrique Alumni pour en À toutes et à tous, je vous souhaite à nouveau une très belle année 2019 savoir plus et nous rejoindre ! ● pour vous-même, tous les vôtres et Sciences Po. ● ÉMILE BOUTMY MAGAZINE / HIVER 2018-2019 / N°15 Magazine des élèves et anciens élèves de Sciences Po, édité par Sciences Po Alumni, distribué à l’ensemble des cotisants Adhé- sion en ligne sur www.sciences-po.asso.fr Siège de l’Association 26, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris, 01 45 48 40 40, info@sciencespo-alumni.fr Directeur de la publication Pascal Perrineau (promo 74) Coordinatrice Sandra Elouarghi Responsable éditorial Laurence Bekk-Day (promo 18) Directeur artistique Michel Maïquez Comité éditorial Laurent Acharian (promo 00), Arnaud Ardoin, François Barral (promo 89), Claire Bauchart (promo 10), Antoine Buéno (promo 01), Nicolas Catzaras (promo 88), Agnès Chauveau (promo 95), Annick Cojean (promo 80), David Colon (promo 95), Emmanuel Dreyfus (promo 91), Jean-Sébastien Ferjou (promo 94), Éric Fottorino (promo 83), Éric Freysselinard (promo 90), Clémence Fulleda (promo 14), Alain Genestar (promo 76), Jérôme Guilbert (promo 89), Marc Jézégabel, Renaud Leblond (promo 86), Gérard Leclerc (promo 76), Jessica Nelson (promo 01), Alexandre Poncet (promo 97), Dominique Reynié (promo 83), Brigitte Rischard (promo 81), Jérôme Sainte-Marie (promo 90), Emmanuelle Talon (promo 04), Éric Thiers (promo 92), Benoît Thieulin (promo 95), Philippe Weil (promo 77), Jason Wiels (promo 12), Tâm Tran Huy (promo 06) Photographes Aglaé Bory, Manuel Braun, Vincent Capman Ont aussi participé à ce numéro Arthur Cerf (promo 16), Matthieu Desmoulins, Lucile Pascanet, Anaïs Richard, Laura Wojcik (promo 16) Secrétariat de rédaction Muriel Foenkinos Régie publicitaire FFE Directeur de la publicité Patrick Sarfati, 15, rue des Sablons, 75116 Paris, 01 53 36 20 40, www.ffe.fr Responsables commerciaux Sidney Schando, 01 43 57 88 70, et Mickael Caron, 01 53 36 37 88 Impression PRINTCORP, 6, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris. N° ISSN 0753-3454 Création de la maquette, réalisation Polka Image. émile boutmy magazine 5 éditos
Notre relation DOCAPOST - SAS au capital de 69 705 520 euros 493 376 008 RCS Créteil - Siège social : 10-12 Avenue Charles de Gaulle - 94220 CHARENTON-LE-PONT - Crédit photo ©Gettyimages - réf Annonce Presse RC - 12/2018 clients de demain sera simple, personnalisée et sécurisée ! Eric Monnin Directeur de la relation clients Parcours clients 100% digital, KYC, automatisation des processus, IoT, customer care, gestion des données sécurisée… : appuyez-vous sur les nouvelles technologies et savoir-faire humains de DOCAPOST pour répondre aux nouvelles exigences de la relation clients ! Souscription digitale avec signature à valeur légale. Sécurisation, scellement et horodatage des données. Dématérialisation de tous les documents contractuels. Paiement multicanal… Télécharger le livre blanc www.docapost.com
14 16 18 20 En vue Rue Saint-Guillaume Nos mécènes Auto-édition Spécial incubateur Une levée de fonds Interview d’Alexandre Bompard Tous écrivains ? ambitieuse GRAND ENTRETIEN « GILETS JAUNES » VERS UNE SORTIE DE CRISE ? Trois mois déjà de bruit et de fureur : tant bien que mal, le mouvement des « gilets jaunes » perdure. Comment en est-on arrivé là, quelles leçons en tirer, et surtout, par quel biais sortir de l’impasse ? Émile l’a demandé à Ingrid Levavasseur, l’une des figures de proue du mouvement, à Olivier Véran, député et rapporteur de la « loi gilets jaunes » et à Pascal Perrineau, récemment nommé « garant » du grand débat national qui s’ouvre. D OS S IER COORD ONNÉ PA R L A URE NC E BE KK- DAY ET SA N D RA E LO UA RGH I PHOTOS E L I SA B E T TA L A M A N U Z Z I E N T R E T I E N S R É A L I S É S À L’ H Ô T E L L E S A I N T actualités 7 grand entretien
A CTUALITÉS GRAND ENTRETIEN INGRID LEVAVASSEUR « GILET JAUNE » « Ce qu’on demande, c’est d’être pris en considération. » ORIGINAIRE DE NORMANDIE, CETTE AIDE-SOIGNANTE TRENTENAIRE, MÈRE CÉLIBATAIRE, S’EST RAPIDEMENT IMPOSÉE COMME L’UNE DES FIGURES EMBLÉMATIQUES DU MOUVEMENT DES « GILETS JAUNES ». ELLE A ACCEPTÉ D’EXPLIQUER À ÉMILE LES RAISONS DE SON ENGAGEMENT ET SES INTENTIONS DANS LE CADRE DE LA PRÉPARATION DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES. PROPOS RECUEILLIS PA R L A URE NC E BE KK- DAY ET SA N D R A E LO U A R G H I Quel a été le point de départ de votre Il m’a permis de me rendre compte Oui, dès le début. Et encore, même engagement ? que je n’étais pas la seule à souffrir. Parce si je gagne mal ma vie, je ne suis pas tom- Cela vient de très loin : de mon qu’en fait, j’avais honte ; je ne parlais bée dans le cercle infernal dans lequel on enfance. Je viens d’une famille de quatre jamais de ma situation. Quand on allait peut tomber très rapidement au moindre enfants ; ma mère était une femme bat- au restaurant avec des amis, je choisis- problème. Une fracture, un réel fossé se tue, qui a dû se sortir des griffes de son sais toujours ce qu’il y avait de moins sont créés au fur et à mesure, et les écarts bourreau. J’avais 6 ans lorsqu’on est cher, je ne prenais pas de boisson ni de deviennent de plus en plus importants. allés vivre dans un foyer pour femmes dessert, parce que je me disais : « Il faut Ma génération n’a pas vécu les Trente battues. J’ai des souvenirs très précis que je fasse bonne figure. » Je pensais que Glorieuses : moi, j’ai l’impression qu’on de cette période. J’ai vécu la nécessité ce n’était qu’un problème de gestion de est la génération qui vit le déclin. d’aller à la Croix-Rouge pour pouvoir mon budget. Alors j’ai arrêté l’abon- Pensez-vous que le nœud de la crise des manger ; ma mère devait travailler des nement à la salle de sport, j’ai arrêté « gilets jaunes » soit une question de heures et des heures pour pouvoir sub- le restaurant. Même mes vêtements, je pouvoir d’achat ? venir à nos besoins. Elle nous a élevés les portais jusqu’à l’usure. Et pourtant, Pas seulement. Même si c’est vrai toute seule, mon père n’ayant jamais par- j’étais toujours en galère. Même en fai- qu’en gagnant 1 250 euros, avec 300 euros ticipé à notre éducation. sant attention à mes dépenses, en tra- de plus par mois, même 200, je vivrais J’ai commencé par un CAP ser- vaillant dignement – parce que mon tra- beaucoup mieux. J’arriverais à manger veuse, puis j’ai été vendeuse. Après, vail, je le fais avec passion, avec amour, convenablement, à avoir un loisir. Il faut j’ai réussi à être sapeur-pompier volon- avec envie, avec énergie – même en fai- pouvoir trouver un minimum vital pour taire, et ensuite aide-soignante. J’ai fait sant tout ça, je n’arrive pas à joindre les tous : on ne peut pas nous dire qu’il est du soin palliatif à domicile ; j’ai vécu la deux bouts. C’est sur ce péage d’Heude- impossible de donner 200 euros supplé- maladie et les difficultés financières des bouville que je me suis dit que je n’étais mentaires à chacun pour qu’il puisse patients, leur manque de mutuelle, leur pas anormale. Parce que ces gens avec manger à sa faim… manque de biens, leur manque de tout. qui j’étais vivaient exactement la même Je pense que les souffrances accu- Moi-même, je ne m’en sortais pas, alors chose que moi. mulées depuis des dizaines d’années res- je me suis dit : « Il faut que je fasse un tra- Est-ce qu’il y avait une tradition de sortent toutes en même temps. Ce n’est vail où je peux travailler plus et gagner protestation dans votre famille ? pas qu’une question de pouvoir d’achat, plus. » J’ai trouvé un poste d’ambulan- Non, on n’a jamais protesté. Ma de taxes ou de carburant trop cher. Il y a cière ; entre deux, j’ai eu une semaine mère, qui nous a inculqué la valeur du tant à faire dans tant de domaines. Pre- de repos, et je suis allée sur le péage travail, a toujours eu un emploi. L’une nez la justice : je suis sidérée par sa len- d’Heudebouville, où se réunissaient les de mes sœurs est coiffeuse à domicile ; teur, par son injustice si on n’a pas les « gilets jaunes », et c’est comme ça que vous voyez, nous n’avons pas des métiers moyens de se défendre. Prenez la santé, les choses ont commencé. Ensuite, tous extraordinaires, mais on travaille et on avec les aides-soignantes, les infirmières, les jours, je suis revenue. gagne dignement notre vie… les brancardiers qui sont toujours très Pourquoi aviez-vous à cœur de faire Avez-vous toujours été confrontée à des mal payés et en sous-effectif. En bas, on partie de ce mouvement ? difficultés financières ? trinque vraiment : on manque de tout. Si, émile boutmy magazine 8 numéro 15 / hiver 2018-2019
A CTUALITÉS GRAND ENTRETIEN par exemple, on demande des rames de ses propos, il est tout le temps maladroit. C’est un paradoxe de la situation papier, des stylos, la réponse sera inva- Même si ce qu’il dit est parfois sensé, il ne actuelle : il y a un rejet du politique de la riablement : « Ah, mais non ; il n’y a pas le peut pas se permettre de le dire comme part des « gilets jaunes ». Pourtant, ils budget. » Lorsqu’on voit la différence de ça, vous voyez ? C’est comme de la pro- espèrent une solution miracle qui vienne salaire entre le directeur de l’hôpital et vocation. Parce qu’il a face à lui des gens de ceux qui nous gouvernent… celui de l’aide-soignante, il me semble à fleur de peau. C’est vrai qu’on demande un miracle qu’il y a de quoi acheter des rames de Pourtant, beaucoup de « gilets aux gouvernants. J’ai bien conscience papier et des stylos… jaunes » ont voté aux dernières élec- du fait qu’on ne pourra pas résoudre Comment analysez-vous la réponse du tions. Et beaucoup d’entre eux ont voté toutes les misères du monde. Ce qui président Macron au mouvement des Macron. J’ai voté écolo au premier tour met le plus les gens en colère, c’est le « gilets jaunes » ? et Macron au second, pour ne pas qu’on fait qu’on ne soit pas entendus ou pris Selon moi, son mépris est réellement se retrouve avec Marine Le Pen comme en considération. Nous avons été igno- insupportable. C’est à croire qu’il ne veut présidente. Après l’élection d’Emmanuel rés : la preuve, c’est que durant les trois pas parler de nous ; il ne cite jamais le Macron, j’ai eu foi en lui, j’avais espoir premières semaines du mouvement, le terme de « gilet jaune ». Il n’y a aucune que les choses changent. Il m’a beaucoup Président n’a pas pris la parole. Donc reconnaissance ; ça, c’est grave. Et dans déçue. on garde en mémoire que les hommes « J’ai l’impression qu’on est la génération qui vit le déclin. » politiques ne sont pas capables de nous entendre, même si aujourd’hui, des dépu- tés viennent vers nous. Comment imaginez-vous les conditions d’une sortie de crise ? Passe-t-il par le grand débat national, voulu par le président Macron ? Je ne suis pas persuadée que le grand débat puisse amener quoi que ce soit, surtout qu’aucune décision ne sera prise pendant trois mois. En trois mois, je crains que les affrontements se poursuivent. La confiance n’est pas restaurée ; nombreux seront les « gilets jaunes » à ne pas parti- ciper au grand débat. Vous avez vous-même vécu la vindicte de certains « gilets jaunes » qui vous ont reproché vos prises de position. Vous avez subi des insultes d’une grande violence. Comment avez-vous ressenti cette agressivité ? Au début, j’étais atterrée, j’en ai même pleuré. Puis j’ai analysé le sujet et je me suis dit : « C’est la preuve qu’on est face à une souffrance terrible. » Je pense qu’ils se sont dit : « Pourquoi elle, elle aurait un peu plus que nous alors
A CTUALITÉS GRAND ENTRETIEN OLIVIER VÉRAN DÉPUTÉ qu’à la base, elle est des nôtres ? » Donc ça a été douloureux, d’autant que les injures que j’ai reçues touchaient à l’in- « Aucun pays ne peut timité, aux enfants, à la sensibilité fémi- nine. J’ai quand même été à la gendar- merie pour signaler les faits. Mais je ne se targuer d’avoir une peux pas leur en vouloir, parce qu’il y a une vraie colère. Je suis allée voir toutes les personnes qui étaient un peu agres- stabilité politique et sives envers moi ; l’un d’eux faisait au bas mot 1,90 mètre et 110 kilos, et il m’avait agressée quelques semaines auparavant d’être à l’abri d’une fièvre au cours d’une manifestation. Je lui ai dit : « Écoute, il faut qu’on crève l’abcès, il faut qu’on se parle. » On a échangé, on populiste. » a discuté, et on a finalement enterré la hache de guerre. Dans le cadre des élections européennes, qui auront lieu le 26 mai NEUROCHIRURGIEN DE FORMATION, OLIVIER VÉRAN EST L’UN DES RESCAPÉS DE LA prochain, de nombreux « gilets jaunes » « GÉNÉRATION HOLLANDE ». AUJOURD’HUI DÉPUTÉ LA RÉPUBLIQUE EN MARCHE, IL EST LE RAPPORTEUR s’organisent. Qu’espérez-vous obtenir en participant à la vie électorale, et DE LA LOI SUR LES MESURES D’URGENCE ÉCONOMIQUES ET SOCIALES, DITE « LOI GILETS JAUNES ». des nécessaires compromis qui en POUR ÉMILE, L’ÉLU ISÉROIS ANALYSE LA CRISE QUE TRAVERSE LA FRANCE ET LES DIFFICULTÉS découleront ? De changer la façon de faire. De ne AUXQUELLES SONT CONFRONTÉS L’EXÉCUTIF ET LA MAJORITÉ PARLEMENTAIRE. plus avoir affaire aux mêmes personnes P ROPOS R EC UEIL L IS PA R L A URE NC E BE KK- DAY ET SA N D R A E LO U A R G H I qui accèdent au pouvoir. Cela permettrait aux petites gens, à la classe populaire, d’accéder à un poste à responsabilités. En 2017, 75 % de l’Assemblée nationale a été renouvelée ; peut-être que l’âge a changé, mais pas la classe sociale, ça, c’est cer- tain ! J’ai regardé jusqu’où nous allions en termes de renouvellement de catégo- En tant que député, avez-vous vu venir tude est la suivante : où cela va-t-il nous rie sociale et ça s’arrête réellement là : la crise des « gilets jaunes » ? mener ? Quand on regarde l’histoire de aux médecins, aux journalistes… Même Je me doutais qu’il allait y avoir un la France, de Boulanger à Poujade, ou ce s’ils ont la sensation de mettre des per- catalyseur à un moment donné, qui allait qui se passe autour de nous, avec l’Italie sonnes de terrain au pouvoir, voyez les donner lieu à une crise sociale importante. de Giuseppe Conte ou le Brésil de Jair députés qui sont autour de chez moi : l’un Je ne pensais pas que ce serait la taxe car- Bolsonaro, nous n’allons pas aujourd’hui travaille à La Défense, l’autre est méde- bone qui allait mettre le feu aux poudres, vers plus de démocratie et plus de social. cin… des notables ! parce qu’on était dans le cadre de la tran- Pensez-vous que le président Macron a Si je m’engage, c’est pour donner sition énergétique. De mon point de vue, mal géré la crise des « gilets jaunes » ? de l’élan, pour prouver à la population la crise aurait pu arriver à n’importe quel J’ai énormément de mal à parler des qu’il est possible de faire quelque chose. moment, car de nombreux électeurs ne « gilets jaunes » comme d’un tout homo- Nous voulons apprendre, faire évoluer se reconnaissent plus aujourd’hui dans la gène, parce que je crois que s’il y avait les mentalités et montrer aux autres que parole des politiques. Quand on ne peut une structuration politique du mouve- nous ne sommes pas ce qu’ils ont pensé plus s’investir via les partis traditionnels, ment, nous aurions au moins autant de de nous au départ. Si on arrive réellement quand les corps intermédiaires sont au partis politiques différents que ceux qui à aller jusqu’aux européennes, il faut faire plus bas avec un taux de syndicalisme existent aujourd’hui. Au-delà de l’ab- quelque chose qui soit constructif ! On qui est très faible en France, les gens ne sence d’homogénéisation sur le plan va vers l’inconnu, mais on a pleinement s’identifient plus à une catégorie politique des idées, lorsque le président Macron conscience qu’il faut que l’idée de com- ou syndicale qui peut porter leur voix, et est face à une problématique sociale ou promis émerge. ● ils vont eux-mêmes la porter. Mon inquié- sociétale, je pense qu’il a une démarche émile boutmy magazine 10 numéro 15 / hiver 2018-2019
A CTUALITÉS EN VUE À L’OCCASION DES 10 ANS DE L’INCUBATEUR DE SCIENCES PO, ÉMILE VOUS FAIT DÉCOUVRIR LES PROFILS DE QUATRE ENTREPRENEURS AYANT FRÉQUENTÉ LA RUE SAINT-GUILLAUME. DE L’ÉCOLOGIE À L’EUROPE EN PASSANT PAR LE SOUTIEN SCOLAIRE, DÉCOUVREZ LE PARCOURS DE NOS ALUMNI, QUI FOURMILLENT D’IDÉES. JEAN LAVERTY, UN COUP DE FOUET DANS LE MONDE DES COURS PARTICULIERS Diplômé de Sciences Po et de Centrale Lille, Jean Laverty a cofondé la plateforme Clevermate, pour optimiser le marché des cours particuliers. Son idée germe durant ses années lilloises : comme nombre d’étudiants fauchés, il donne des cours particuliers pour arrondir ses fins de mois. La situation qu’il découvre n’a rien de reluisant : rémunération dérisoire, suivi inexistant, agences de soutien dépassées. Encore étudiant, Jean Laverty fonde Clevermate en 2013, une plateforme en ligne conçue pour mettre en relation les familles à la recherche d’un professeur particu- Anne-Sophie Roux, lier avec des élèves issus de grandes © D.R. écoles, guidés et conseillés à chaque protectrice des océans étape par des « clevermates ». Pour développer son concept, il s’entoure d’étudiants des meilleures écoles et À 23 ans, tout juste diplômée de Sciences Po, Anne-Sophie Roux a fondé la première start-up sociale pour reconstruire et protéger les barrières de corail du monde entier. s’appuie sur l’incubateur. « J’ai appris le sens du mot ténacité. Et surtout à ne Cette mordue de recherche, indisposée à l’idée de « rester dans une bulle », a parcouru les îles lâcher sur rien ! » Pari gagnant : cinq du Pacifique pendant un an, pour constater les effets du réchauffement climatique, mais sur- ans plus tard, la start-up est rentable. tout pour donner une vitrine aux actions des communautés locales contre la menace de des- À terme, l’entrepreneur espère couvrir truction des récifs coralliens. Essentiels à notre survie, ils sont les poumons de notre planète : toutes les grandes villes de France : ils émettent en effet 75 % de l’oxygène que nous respirons, tout en abritant une énorme partie il vise la mise en relation de 100 000 familles avec un million d’étudiants de la biodiversité sous-marine. Mais depuis 1980, les récifs subissent une hécatombe : entre 30 partout en France. ● et 50 % ont dépéri. C’est alors que l’idée de My Coral Garden germe dans l’esprit de l’entrepre- neure : créer une synergie entre entreprises, chercheurs, communautés locales et ONG pour sauver les coraux. À son retour, elle lance sa start-up, qui permet aux entreprises de financer la plantation de boutures de coraux, et ainsi la reconstruction des récifs dans des nurseries. « Les entreprises sont des leviers intéressants pour financer les écosystèmes : les impacts de la mort des coraux sont transversaux, aussi bien écologiques qu’humains et économiques », explique la jeune directrice. Aidée par l’incubateur de Sciences Po, la start-up démarre sur les chapeaux de roues : six personnes travaillent à son bon fonctionnement. Deux biologistes marins s’occupent de la nurserie de coraux en Malaisie, tandis que quatre autres membres gèrent la communi- cation et les partenariats à partir de la France. Après une levée de fonds en juin, la start-up a signé avec son premier client, le joaillier Courbet, qui se veut « éthique et écologique » en relevant le pari de n’utiliser que des diamants synthétiques, et vient d’être sélectionnée parmi les cinq plus prometteuses de Sciences Po. Anne-Sophie Roux parle déjà de l’ouverture de la deuxième nurserie de corail en Papouasie-Nouvelle-Guinée à la fin de l’année, et elle n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin : « Aujourd’hui les coraux, demain les mangroves ! » ● émile boutmy magazine 14 numéro 15 / hiver 2018-2019 © D.R.
A CTUALITÉS INCUBATEUR Axelle Chrismann & Alexandre Kouchner veulent mettre l’Europe en revue Alors que les institutions européennes et les débats parler d’Europe, mais surtout d’Européens. bruxellois n’enthousiasment pas les foules, deux Sciences Po, « Nous traitons l’Europe non plus comme Axelle Chrismann, tout juste diplômée, et Alexandre Kouchner, sujet, mais comme territoire d’opportuni- ont choisi de prendre le contre-pied de la tendance. Leur pari : tés : c’est la plus grande aventure démocra- lancer Européens !, une revue trimestrielle de 192 pages pour tique du siècle », s’enthousiasme Alexandre Kouchner, co-rédacteur en chef. La revue n’est ni un magazine ni un livre, mais un bel objet, au contenu éditorial basé sur le long format. « On ne sera jamais aussi ra- pides que l’info », explique le jeune homme, « mais ce n’est pas notre but : avec Européens !, on prend le temps du recul. Lire la revue, c’est faire un voyage en Europe ! » Avec Axelle Chrismann, qui gère aussi bien la partie dif- fusion que celle de l’édition, ils sont deux touche-à-tout aux parcours florissants et internationaux. Alexandre Kouchner est conseiller en communication, analyste politique et collabore à différents journaux européens, en anglais comme en fran- çais ; sa complice détient un diplôme d’école de commerce et une maîtrise en lettres allemandes. Mais pour l’heure, c’est en français que débutera Européens !, même si Axelle Chris- mann parle déjà d’étendre la diffusion à des éditeurs parte- naires dans toute l’Europe : « Nous travaillons avec des journa- listes de France et d’Europe, mais aussi avec des correspondants français basés à l’étranger », précise-t-elle. La revue ne se veut pas politicienne : « Il est possible de parler d’Europe sans parler de politique ! » souligne Alexandre Kouchner. Le premier nu- méro d’Européens ! est d’ores et déjà dans les kiosques et les © D.R. librairies depuis janvier 2019. ● FANNY ABES ET CLAUDETTE LOVENCIN À L’ASSAUT DES PROTECTIONS HYGIÉNIQUES C’est l’histoire d’une Lyonnaise, Fanny Abes, qui s’exile au Québec en 2009 dans le cadre de sa césure à Sciences Po, pour devenir rédactrice en chef du journal L’Express du Pacifique, un quotidien francophone de la région de Vancouver. Elle y rencontre Claudette Lovencin, une Américaine ayant grandi au Canada. Leur colocation ne dure qu’un an, mais leur amitié se prolonge depuis maintenant dix ans. À deux, elles ont la volonté de créer une entreprise. « Mais on était à 9 000 kilomètres l’une de l’autre : à distance, c’était compliqué », explique Claudette Lovencin. Alors la jeune Américaine débarque à Paris il y a deux ans, pour intégrer le master Affaires publiques de Sciences Po. Les deux étudiantes en profitent pour, enfin, concrétiser leur projet. Un documentaire d’Arte sur le caractère toxique des protections hygiéniques les décidera : elles créent Fempo, qui commercialise les premières culottes menstruelles françaises. Lavables, écologiques, fabriquées avec des tissus sans produits chimiques, elles remplacent avantageusement serviettes ou tampons. En 2018, les deux jeunes associées intègrent l’incubateur de Sciences Po une fois leur structure déjà bien établie, « au moment où nous avions réellement besoin de nous poser », explique Fanny Abes. La jeune entreprise grandit en effet très vite, dou- blant chaque mois son chiffre d’affaires. Plus de 30 000 culottes ont ainsi été vendues © Nelly Briet depuis mars dernier. Pour les deux entrepreneures, le défi principal dans les mois qui © D.R. viennent sera de parvenir à monter en puissance sans rien perdre en qualité. ● actualités 15 en vue
A CTUALITÉS RUE SAINT-GUILL A UME Une levée de fonds ambitieuse pour Sciences Po BAPTISÉE « SCIENCES PO 2022 », LA CAMPAGNE DE FUNDRAISING ANNONCÉE PAR LA RUE SAINT-GUILLAUME CET AUTOMNE EST LA PLUS IMPORTANTE DE SON HISTOIRE. OBJECTIF : LEVER 100 MILLIONS D’EUROS D’ICI 2022, DATE À LAQUELLE L’INSTITUTION FÊTERA SES 150 ANS ET INAUGURERA SON NOUVEAU CAMPUS PARISIEN DE L’ARTILLERIE. ciences Po le sait : l’école doit dernières années, l’école a vu son modèle ner la campagne des 150 ans en France beaucoup à ses mécènes. économique évoluer rapidement. Il y a et à l’international. Elle lui doit même son 30 ans, la dotation publique était très acte de naissance et son majoritaire ; elle ne s’établit plus qu’à DESSINER LE premier bâtiment. Jeune 37 % du budget en 2017. Le mécénat joue homme aussi visionnaire que désormais un rôle essentiel, représentant SCIENCES PO DU FUTUR désargenté, Émile Boutmy a dû convaincre 9 % du budget en 2018. Plus de 100 entre- En ligne de mire, le projet « Campus un cercle d’actionnaires et de bienfai- prises, près d’un millier de donateurs et 2022 », qui verra le jour à la rentrée 2021- teurs pour donner vie à l’École libre des 35 fondations et institutions soutiennent 2022 avec l’ouverture du site de l’Artil- Sciences Politiques, en 1872. Et quelques aujourd’hui les projets de l’école. lerie. Resserré sur quatre implantations années plus tard, en 1879, c’est un don de la Menée auprès des particuliers et au lieu de la vingtaine actuelle, ce cam- duchesse de Galliera, grande philanthrope, des entreprises, la nouvelle campagne, pus se situera de part et d’autre du bou- qui permet à l’École libre d’acquérir son qui vise à lever 100 millions d’euros, levard Saint-Germain, autour du centre premier bâtiment, au 27, rue Saint-Guil- est de taille : pour comparaison, la pre- historique de la rue Saint-Guillaume et de laume. mière campagne de levée de fonds réa- l’Artillerie. Le projet architectural de l’Ar- lisée entre 2008 et 2013 avait réuni 40 tillerie est conçu pour laisser une place RÉINVENTER LE millions d’euros. Pratique courante pour majeure aux échanges et aux rencontres : une campagne de cette envergure, notam- les plans prévoient des circulations mul- MODÈLE ÉCONOMIQUE ment dans les universités anglo-saxonnes, tiples en sous-sol comme en surface pour Cette tradition du mécénat s’est un comité composé d’une dizaine de per- une plus grande fluidité des activités. structurée dans les années 2000 avec la sonnalités des milieux économiques et Avec un centre d’expérimentation création, pionnière dans l’enseignement institutionnels a été constitué. Présidé numérique, un incubateur, et des ser- supérieur français, d’une direction char- par Alexandre Bompard, PDG de Car- vices high-tech, l’ambition de ce projet © D. R. gée de la levée de fonds. Car au cours des refour, il a pour vocation de faire rayon- est, aussi, de se réinventer pour demeu- © Didier Pazery / Sciences Po Frédéric Mion, directeur de Sciences Po, lors de l’ouverture Une maquette du futur campus de l’Artillerie, prévu pour 2022. du Gala de Paris de 2018. émile boutmy magazine 16 numéro 15 / hiver 2018-2019
A CTUALITÉS RUE SAINT-GUILL A UME rer fidèle au vœu d’Émile Boutmy : for- mer une génération responsable et enga- gée. Pour Frédéric Mion, directeur de De ux q ue s t i o n s à . . . Sciences Po, « nous devons nous transfor- mer au rythme d’un monde en mutation NATHALIE JACQUET, DIRECTRICE DE LA STRATÉGIE accélérée pour former celles et ceux qui en seront demain les acteurs. » La campagne ET DU DÉVELOPPEMENT À SCIENCES PO des 150 ans doit également permettre à l’institution de s’engager plus résolu- Dans les grandes universités américaines, la levée de ment encore pour l’égalité des chances, fonds est une pratique courante ; elle l’est moins en en développant des initiatives qui permet- France. Est-ce une spécificité qu’il a fallu prendre en tront à tous les élèves talentueux de trou- compte ? ver leur place à Sciences Po. La levée de fonds atteint des niveaux encore assez modestes dans l’enseignement supérieur français, bien LES GALAS, NOUVEAUX que cela soit en train de changer rapidement. Dans ce contexte, Sciences Po, qui a commencé à lever des fonds FERS DE LANCE privés depuis une dizaine d’années, fait déjà partie des Ces réceptions sont l’occasion de établissements les plus dynamiques en la matière. réunir une communauté d’amis et anciens Au moment où nous lançons cette deuxième cam- de l’école, engagée dans le soutien aux pagne, nous sommes convaincus que projets de l’établissement. Lors du gala notre ambition est réaliste grâce au de Paris, le 8 octobre dernier, devant près nombre, à l’incroyable diversité et de 400 partenaires et donateurs, Frédéric aux brillantes carrières de ses diplô- Mion et Alexandre Bompard ont officiel- més. Même si nous avons encore lement lancé la campagne des 150 ans, beaucoup à faire, nous savons que intitulée « Sciences Po 2022 ». nous avons la capacité d’élargir le Aux galas de Paris, New York et cercle des donateurs et partenaires Londres s’est ajouté cette année un pre- de Sciences Po. Parmi ceux-ci, cer- mier dîner à Bruxelles, qui a rassemblé tains anciens élèves peuvent deve- une cinquantaine de personnes dans une nir de grands donateurs et d’une atmosphère conviviale et a été marqué façon générale, tous les alumni qui par l’intervention de Catherine Coste, le souhaitent pourront faire partie de grande donatrice, qui précise : « L’Artil- l’aventure, quelle que soit leur capa- lerie est le projet phare de Sciences Po, qui cité de don. © David Marmier / Sciences Po va projeter l’établissement vers l’avenir. J’ai souhaité le soutenir parce que j’ai un pro- À ce point d’étape du programme de fond attachement à Sciences Po de longue la levée de fonds, êtes-vous satisfaite date, pour des raisons à la fois familiales, par rapport aux objectifs? amicales et personnelles. » ● Si la phase silencieuse de la cam- pagne a d’ores et déjà permis de sécu- riser 47 millions d’euros auprès de nos entreprises partenaires et de nos donateurs, il nous faut encore réunir 53 millions d’euros sur les quatre années à venir. Les débuts de campagne sont promet- teurs. À l’international, la communauté des anciens, au Royaume-Uni, s’est mobilisée de manière excep- tionnelle avec presque deux millions d’euros réunis en 2018. L’American Sciences Po Foundation a, quant à elle, reversé près d’un million d’euros. Une dynamique se met en place sur des territoires où nous étions peu présents : la Belgique, où deux événements en 2018 ont bénéficié d’une forte mobilisation, et où nous pré- voyons d’autres rendez-vous ; la Suisse qui sera notre prochaine destination au premier trimestre ; puis ce © Pictures4events sera Londres et Hong Kong, notamment. En France, nous allons prochainement démarrer le cycle des « Ren- contres Sciences Po 2022 ». ● Dîner de levée de fonds à Bruxelles, en novembre dernier, avec Alexandre Bompard, PDG de Carrefour et président du comité de campagne. actualités 17 rue Saint-Guillaume
A CTUALITÉS NOS MÉCÈNES Alexandre Bompard s’engage pour Sciences Po IL A ÉTÉ PRÉSIDENT D’EUROPE 1 PUIS DE LA FNAC, AVANT DE PRENDRE LA TÊTE DU GROUPE CARREFOUR, EN 2017. CET ANCIEN DIPLÔMÉ DE SCIENCES PO (PROMO 94) A ACCEPTÉ DE MENER LA CAMPAGNE DE LEVÉE DE FONDS LA PLUS AMBITIEUSE DE L’HISTOIRE DE LA RUE SAINT-GUILLAUME. POUR ÉMILE, IL EXPLIQUE LES RAISONS DE SON ENGAGEMENT ET SA VISION DU SCIENCES PO DE DEMAIN. P RO P OS RECUEILLIS PAR L A U R E N CE B E K K-DAY ET SA N D R A E LO U A R G H I Qu’est-ce qui vous a poussé à intégrer m’a structuré. Je me suis toujours inter- contraintes d’espace et de temps. Des Sciences Po ? rogé sur la raison pour laquelle les des- géants mondiaux sont devenus incontour- Je suis né à Saint-Étienne et j’ai tins basculent. Qu’est-ce qui fait que, nables : Canal+ a Netflix face à lui, tandis grandi à la montagne, en Haute-Savoie. sous l’oppression, certains se dressent et que Carrefour se retrouve face à Ama- Du fait des circonstances de la vie, mes décident que leur destin individuel est zon. L’enjeu, pour les acteurs français ou parents n’ont pas pu faire d’études secon- moins important que le destin collectif européens, est de savoir si, dans cinq ou daires. Mais j’ai grandi dans un milieu de la cause qu’ils défendent ? Selon moi, il 10 ans, ils seront capables de compter au social tout à fait favorisé, avec des parents y a des éléments de conviction profonde, niveau mondial. Ce n’est pas si évident. Le incroyablement curieux et cultivés. Ils mais aussi des éléments de bascule per- phénomène de concentration autour de m’ont transmis la passion de l’histoire, de sonnelle. C’est souvent très ténu : une ren- grandes plateformes mondiales et univer- la littérature, de la chose publique ; mais contre, une amitié, un amour, un discours, selles est un sujet de préoccupation pour les études supérieures, c’était très loin ! un homme, une femme, et tout change. les citoyens européens. Je ne me résous Un jour, ma mère m’a dit : « Tu sais, il y a Entre le préfet qui a résisté, comme Mou- pas à l’idée qu’il n’y ait pas un très grand une école qui a l’air formidable qui s’appelle lin, et le préfet qui a accompagné Vichy, groupe de médias européen qui pèse dans Sciences Po.» Alors je suis allé au centre de comme Bousquet, le point de départ n’est l’univers mondial, et j’essaye de travail- documentation de mon lycée, à Annecy, pas si différent. Pourtant, l’un devient ler à ce qu’il y ait un groupe européen de pour me renseigner. Chez moi, personne légitimement un héros, le second plonge distribution qui soit l’un des premiers au ne préparait Sciences Po. Mes copains de dans l’ignominie. monde. Carrefour est un grand acteur de collège sont aujourd’hui moniteurs de ski, Vous avez été dans l’équipe dirigeante la distribution mondiale : la question est ils sont perchistes, ils ont des restaurants de Canal+ puis d’Europe 1 avant de de savoir quels leviers activer dans une d’altitude… Ils sont très heureux, d’ail- prendre la tête de la Fnac et ensuite période de grand chamboulement. leurs ! de Carrefour. Avez-vous perçu des Nous sommes dans une ère anxiogène Vous êtes passionné d’histoire et changements de fond dans le monde des en termes d’emploi et d’avenir. La en particulier de ce qui a trait à la médias et de la distribution ? nouvelle génération des Sciences Po qui Résistance, à tel point qu’une partie de Les choses ont beaucoup bougé. va arriver sur le marché du travail a-t- votre bureau y est dédiée… J’ai travaillé dans deux secteurs percutés elle de quoi être inquiète ? C’est une passion très ancienne, très de plein fouet par la révolution digitale, En soi, l’inquiétude n’est pas une forte. J’ai beaucoup travaillé, étudié, j’ai avec des consommateurs qui ont profon- mauvaise chose. C’est un formidable rencontré des résistants. C’est un sujet qui dément changé, qui s’affranchissent des moteur que l’inquiétude, tant que vous émile boutmy magazine 18 numéro 15 / hiver 2018-2019
A CTUALITÉS NOS MÉCÈNES arrivez à la transcender ! Quand on sort « QUAND ON SORT de venir à Sciences Po. Pour cela, il faut du Sciences Po d’aujourd’hui, qu’on a des moyens, parce qu’aujourd’hui, la com- passé deux premières années à se for- mer aux sciences sociales, une année de DU SCIENCES PO pétition est mondiale. Ce serait terrible que dans 20 ans, dans les 40 premières D’AUJOURD’HUI, ON césure à l’international dans une univer- universités mondiales, il y ait 25 écoles sité prestigieuse à l’autre bout du monde, américaines, 10 chinoises qui se seront qu’on a enchaîné des stages, qu’on va faire développées, et quelques exceptions un master, on est incroyablement équipé pour faire plein de choses dans une entre- EST INCROYABLEMENT européennes. C’est un beau challenge à relever : Sciences Po doit faire partie des prise ou une institution. Plus encore que ma génération ! Lorsque je recrute, je ÉQUIPÉ POUR INTÉGRER écoles les plus attractives dans 20 ans, et le formidable travail que réalise Frédéric regarde toujours les profils, et j’essaye Mion à la tête de l’école va le permettre. toujours de panacher autant que possible UNE ENTREPRISE OU Il faut que cette levée de fonds accom- en favorisant la diversité. Mais je suis tou- pagne cette ambition : elle est extrême- jours content quand je vois un élève de Sciences Po qui a envie de nous rejoindre, UNE INSTITUTION. » ment importante pour que l’école joue son rôle. ● parce que ça me rend confiant sur sa capa- cité à s’adapter. En tant que président de la campagne de la levée de fonds de Sciences Po, avez-vous un message à faire passer aux étudiants et aux Alumni ? Les futurs étudiants ont une chance folle ! Cela donne envie de redeve- nir étudiant ; je vais essayer de repas- ser le concours d’entrée dans quelques années… [rires] Plus sérieusement, cette campagne est essentielle pour l’école, ses anciens élèves et ses étudiants. Aux États- Unis, les Alumni ont ce réflexe de s’en- gager pour leur ancienne école, de regar- der comment on peut l’aider… J’espère qu’il y aura un engagement très fort des anciens élèves sur ce projet-là. L’enjeu, c’est qu’on arrive à se dire : « Je suis un ancien de Sciences Po, j’aime cette école, j’aide cette campagne de levée de fonds en y contribuant, en animant un dîner, un déjeu- ner, des rencontres d’anciens. » Nous avons besoin que les meilleurs étudiants, fran- çais comme internationaux, aient envie © Nicolas Gouhier « Mes années rue Saint-Guillaume » Lorsque vous arrivez à Sciences Po, vous quittez votre ceux qui étaient à Henri-IV, à Louis-le-Grand, qui se connais- Haute-Savoie natale pour vous plonger dans le bain saient déjà, dont les parents avaient fait Sciences Po… Puis il y germanopratin. Comment se passent vos premiers jours ? a ceux qui viennent de province, de zones rurales, de zones ur- Quand je suis arrivé, j’avais un sentiment de fierté et j’étais baines plus sensibles. Au départ, vous êtes un peu perdu quand également très impressionné. Je n’avais absolument pas les co- vous venez de province. Mais ce qui est formidable à Sciences Po, des ; je ne saisissais pas ce qui s’y passait, à dire vrai. Mon premier c’est que très vite, l’alchimie se crée, des amitiés naissent. Il y a cours, comme pour beaucoup d’élèves, c’était dans l’amphi Bout- tellement de gens curieux, passionnants, engagés, que ça se fait my ; un cours d’économie de Michel Pébereau. Face à ce profes- très vite. seur, je me suis dit qu’il y avait un petit chemin à faire ! Amitiés, et même plus… Avez-vous senti un décalage ? Oui, il y a 25 ans de cela, je me suis fait des amis d’une vie, et Il y a évidemment des profils d’élèves très différents. Il y a surtout, j’y ai rencontré mon épouse ! ● actualités 19 nos mécènes
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