LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES

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LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
LUTTE CONTRE
                                        LE TRAFIC ILLICITE

                                             Le sphinx de Bogâzköy
                                                              Turquie

                                             Les statues de Koh Ker
                                                           Cambodge
7,50€ US$9 £6 ¥850

                                                   Sauver le vaquita

                                             Synergies avec la CITES
N°87 • Avril 2018
Patrimoine Mondial

                       ISSN 1020-4520

                     3 059630 102872
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
UNESCO
                  Organisation
            des Nations Unies               7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France • www.unesco.org/publishing
               pour l’éducation,            Courriel : publishing.promotion@unesco.org
        la science et la culture

        La protection des biens culturels
        Manuel militaire
                                                                             n Les récents conflits en Iraq,
                                                                             Syrie, Libye, Yémen et Mali ainsi
                                                                             que les occupations militaires en
                                                                             cours ont, à nouveau, souligné la
                                                                             nécessité de traduire en pratique
                                                                             les règles du droit international
                                                                             pour la protection des biens
                                                                             culturels en cas de conflit armé.

                                                                             n Ce manuel sert de guide
                                                                             pratique pour la mise en œuvre de
                                                                             ces règles par les forces militaires.
                                                                             Il associe, sous un angle militaire,
                                                                             une explication des obligations
                                                                             juridiques internationales des
                                                                             États et des individus à des
                                                                             suggestions sur les meilleures
                                                                             pratiques à adopter aux différents
                                                                             niveaux de commandement et
                                                                             pendant les différentes phases
                                                                             des opérations militaires par voie
                                                                             terrestre, maritime ou aérienne.
                                                                             92 pages, broché
                                                                             165 x 240 mm, 2017
                                                                             ISBN 978-92-3-200138-2

                                   Disponible sur unesdoc.unesco.org
WH 87
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
PATRIMOINE MONDIAL Nº87

                                                                                          L
3 WH Cover 87.qxp_Mise en page 1 12/04/2018 10:44 Page2

                                                                                                 e trafic illicite d’objets culturels épuise les cultures de leur identité et contribue au

                                                                                                                                                                                           éditorial
                                                                                                 commerce illégal lucratif, qui contribue à financer le terrorisme et le crime organisé. C’est
                                                                                                 un problème qui s’est développé subrepticement à travers le monde. À titre d’exemple,
                                                                                          depuis 2011, environ 25 % des sites archéologiques syriens ont été pillés. Des objets provenant
                                                              LUTTE CONTRE
                                                                                          de régions en conflit, notamment d’Iraq, de Libye, du Mali, de Syrie et du Yémen circulent sur
                                                          LE TRAFIC ILLICITE
                                                                                          le marché noir et sont déjà entre des mains sans scrupules.
                                                               Le sphinx de Bogâzköy
                                                                                              Ce ne sont pas seulement les objets culturels provenant de sites archéologiques, de musées
                                                                                Turquie

                                                               Les statues de Koh Ker
                                                                             Cambodge     ou de collections qui sont touchés par le trafic illicite. L’exploitation illégale et le commerce du
 7,50€ US$9 £6 ¥850

                                                                     Sauver le vaquita
                                                               Synergies avec la CITES    bois de palissandre constituent une menace pour le site du patrimoine mondial du Complexe
 N°87 • Avril 2018

                                                                                          forestier de Dong Phayayen-Khao Yai (Thaïlande), et ont même conduit à l’inscription des
                                                                                          Forêts humides de l’Atsinanana (Madagascar) sur la Liste du patrimoine mondial en péril.
 Patrimoine Mondial

                         ISSN 1020-4520

                       3 059630 102872
                                                                                              Le trafic de la faune sauvage est également un grave problème de conservation, affectant
                      Couverture : Les statues de Koh Ker (Cambodge).
                                                                                          les espèces de requins des Galápagos, le marsouin du golfe de Californie (Mexique) qui est
                                                                                          en danger critique, les éléphants d’Afrique de la Réserve de gibier de Selous (Tanzanie), les
                                                                                          perroquets gris du Trinational de la Sangha (Cameroun, République centrafricaine, Congo)
                                                                                          et le rhinocéros de Sumatra dans la Forêt tropicale humide de Sumatra (Indonésie). Le Parc
                                                                                          national de la Garamba (République démocratique du Congo) abritait la dernière population
                                                                                          connue de rhinocéros blancs du Nord. Aujourd’hui, il est probablement éteint à l’état sauvage,
                                                                                          et si nous n’agissons pas maintenant, plus d’espèces pourraient être définitivement perdues
                                                                                          sur nos sites du patrimoine mondial.
                                                                                              Dans ce numéro, nous examinerons différents aspects du trafic et du commerce illicites :
                                                                                          comment les peuples autochtones sont-ils touchés par l’appropriation illicite et les transferts
                                                                                          illégaux de biens culturels ; l’affaire de restitution des statues de Koh Ker, qui ont été
                                                                                          retournées au Cambodge ; et la collaboration entre la Convention du patrimoine mondial et
                                                                                          la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages
                                                                                          menacées d’extinction), qui vise à garantir que le commerce international des animaux et
                                                                                          des plantes − des orchidées aux pangolins − ne menace pas leur survie. Nous présentons
                                                                                          également un entretien avec le collectionneur d’art Jean Claude Gandur, qui travaille en étroite
                                                                                          collaboration avec les organisations internationales pour assurer la provenance correcte des
                                                                                          objets mis en vente.
                                                                                              La sensibilisation est toujours la première étape pour changer les choses. Mieux nous
                                                                                          connaissons les mécanismes du commerce illégal, mieux nous pouvons prendre des mesures
                                                                                          préventives et correctives pour veiller à ce que cela cesse. Les synergies croissantes entre
                                                                                          différents instruments internationaux (tels que la Convention du patrimoine mondial de
                                                                                          1972, la Convention de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher
                                                                                          l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, et la CITES)
                                                                                          et entre diverses entités publiques et privées, internationales et locales (police, douanes,
                                                                                          marché de l’art, collectionneurs et jeunes) constituent également un pas décisif vers des
                                                                                          actions communes sur le terrain. Pour la protection et la préservation du patrimoine culturel
                                                                                          ou naturel, l’éducation et la coopération sont les facteurs clés.

                                                                                                       Mechtild Rössler
                                                                                                       Directrice du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
S o mmaire
    Magazine trimestriel publié en français, anglais
   et espagnol conjointement par l’Organisation des
    Nations Unies pour l’éducation, la science et la
  culture (UNESCO), Paris, France, et par Publishing
    for Development Ltd., Londres, Royaume-Uni.

                        Directrice éditoriale
                       Mechtild Rössler
              Directrice du Centre du patrimoine
                    mondial de l’UNESCO

                                   Éditeur
                   Publishing for Development

                               Rédacteurs
                                                                                                  Dossier
                                                                                     Le patrimoine mondial
                                                                                                                            12
                  Helen Aprile, Gina Doubleday

                   Consultante à la rédaction
                       Vesna Vujicic-Lugassy
                                                                                      et le commerce illicite
                  Coordinateur de production                                                      Dossier                                                    8
                             Richard Forster
                                                                                                 Le patrimoine mondial et le commerce illicite                 6
                       Éditeur de production                                                     L’appétit croissant pour l’acquisition alimente le commerce
                               Caroline Fort                                                     illicite de biens culturels et naturels. Cette perte culturelle
                                                                                                 a un impact négatif sur les communautés locales des
                         Correction de copie
           Cathy Nolan (anglais), Chantal Lyard                                                  sites du patrimoine mondial et provoque la diminution
          (français), Luisa Futoransky (espagnol)                                                des caractéristiques mêmes de la valeur universelle

                                                                                          19
                                                                                                 exceptionnelle qui a mené à l’inscription des sites.
                           Conseil éditorial
     ICCROM : Joseph King, ICOMOS: Regina
    Durighello, UICN : Tim Badman, Centre du                                                     Cambodge : la restitution des biens de Koh Ker        16
    patrimoine mondial de l’UNESCO : Nada Al                                                     Trente ans de guerre civile n’ont pas laissé le Cambodge
    Hassan, Guy Debonnet, Lazare Eloundou-                                                       indemne. Au-delà du site du patrimoine mondial d’Angkor,
   Assomo, Feng Jing, Edmond Moukala, Mauro                                                      de nombreux temples et monuments majeurs tels que
  Rosi, Petya Totcharova, Isabelle Anatole Gabriel

                                        xx
    Vinson, UNESCO Publishing : Ian Denison                                                      Banteay Chhmar, Koh Ker, Preah Khan de Kampong Svay
                                                                                                 et d’autres ont été cruellement pillés.
                                 Publicité
                Efrén Calatrava, Fernando Ortiz,                                                 La CITES et la Convention du patrimoine mondial :

                                                                                          27
                 Fadela Seddini, Peter Warren
                                                                                                 Ensemble pour lutter contre le trafic
                                Couverture                                                       des espèces sauvages                                 24
             Photo : Musée national du Cambodge                                                  On estime aujourd’hui à 45 % le nombre de sites naturels
                     Design : Recto Verso                                                        du patrimoine mondial concernés par la capture illégale
                                Rédaction
                                                                                                 d’espèces animales et végétales protégées au titre de la
     Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO                                                    Convention sur le commerce international des espèces de
           7, place de Fontenoy, 75007 Paris                                                     faune et de flore sauvages menacées d’extinction.
   Tél. (33.1) 45 68 16 60 – Fax. (33.1) 45 68 55 70
           E-mail : g.doubleday@unesco.org

                                                                                          34
          INTERNET : http://whc.unesco.org                                                       Il faut sauver le marsouin du golfe de Californie        32
                                                                                                 Pour sauver le marsouin, espèce en danger critique, il est
                        Publicité, production                                                    impératif que le site adopte une vision à long terme et que
                 PFD Publications Ltd                                                            toutes les parties prenantes concernées fassent pression
             Chester House - Fulham Green
     81-83 Fulham High Street - Londres SW6 3JA                                                  pour obtenir une modification des politiques, qui aillent
    Tél : +44 2032 866610 - Fax :+44 2075 262173                                                 au-delà des solutions « remèdes ».
              E-mail : info@pfdmedia.com
                                                                                                 Le sphinx de Bogâzköy                                        38
                             Abonnements
          DL SERVICES sprl - Jean De Lannoy                                                      Le sphinx de Boğazköy est de retour dans son pays d’origine,
      c/o Entrepôts Michot - Bergense steenweg 77                                                la Turquie. Un succès qui démontre que des négociations

                                                                                          41
           B 1600 St Pieters Leeuw - Belgique                                                    bilatérales, aussi complexes soient-elles, peuvent permettre
                 Tél : +32 477 455 329 -                                                         d’aboutir à la résolution satisfaisante d’un conflit séculaire.
          E-mail : subscriptions@dl-servi.com

Les idées et opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et
ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO. Les appellations
employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent
n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut
juridique des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant à
leurs frontières ou limites.
Publié par Publishing for Development Ltd., Londres, Royaume-Uni.
ISSN : 1020-4520. © UNESCO – Publishing for Development Ltd. (2018)
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
PATRIMOINE MONDIAL Nº87
 Focus                                                                     44

Le Fonds d’urgence pour le patrimoine
Une ressource supplémentaire pour lutter contre le commerce illicite      44
En 2015, l’UNESCO a créé le Fonds d’urgence pour le patrimoine afin de
répondre plus efficacement à la hausse marquée du nombre de catastrophes
et de conflits affectant les biens du patrimoine mondial et les ressources du
patrimoine culturel et naturel, y compris les biens immatériels.

 Forum

Entretien      50
                                                                           49
                                                                                                                                                                                 44
Entretien avec Jean Claude Gandur, président de la Fondation Gandur
pour l’Art.

Organisations consultatives    54
Commerce illégal d’espèces sauvages et patrimoine mondial.

Conventions         56
Le commerce illicite des biens culturels du Mexique.

 Nouvelles

Préservation         62–68
                                                                           61
                                                                                                          53                                                                     55
Rencontre annuelle sur les paysages culturels ; Baukultur pour l’Europe ;
Revitalisation de la Casbah d’Alger ; Une « protection renforcée » pour
le site d’Angkor ; Patrimoine et démocratie à l’Assemblée générale de
l’ICOMOS ; Coup de pouce pour le tourisme durable ; Paysages sacrés et
liens qui unissent la nature et la culture ; Réunion sur les Routes de la soie ;
M. Ernesto Ottone Ramírez nommé Sous-Directeur général pour la culture ;
Le rôle des communautés locales dans le développement durable.

Sites en péril     70–71
L’avenir des bouddhas de Bâmiyân ; Le Centre du patrimoine mondial
salue le moratoire sur le pétrole du Belize ; L’UNESCO s’inquiète de
                                                                                                                                                                                 57
l’état de conservation de la Réserve de gibier de Selous.

Promotion         73–75
Publication du calendrier Panasonic du patrimoine mondial 2018 ;
Publication de la carte du patrimoine mondial 2017-2018 ; La Fédération
internationale des sociétés d’aviron s’engage à protéger le patrimoine
mondial naturel ; Seabourn et l’UNESCO s’associent pour sensibiliser les

                                                                                                          62                                                                     70
touristes au patrimoine.

 Édition et multimédia                                                     76      Télécharger l’application Patrimoine Mondial
                                                                                   Disponible pour iPad, Android et tablettes Kindle Fire.
 Calendrier                                                                77      Grâce à l’application, vous pouvez non seulement lire des
                                                                                   articles exclusifs écrits par des experts sur le terrain, mais
 Bulletin d’abonnement                                                     79      voir des vidéos des sites les plus spectaculaires du monde.
                                                                                   Télécharger l’application du magazine Patrimoine Mondial depuis iTunes,
 Prochain numéro                                                           83      Amazon et Google Play.

                                                                                                                                                  NIO MUN
                                                                                                                                          MO             D
                                                                                                                                        RI

Patrimoine Mondial exprime sa gratitude à
                                                                                                                                T

                                                                                                                                                               IA
                                                                                                                              PA

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                                                                                                                               •

                                                                                                                                                                       NDIAL •
                                                                                                                            WORLD H

Édouard Planche, spécialiste de programme à la
                                                                                                                                                                       MO
                                                                                                                                    E

                                                                                                                                    IT
                                                                                                                                                               E
                                                                                                                                 R

                                                                                                                                         AG                        I
                                                                                                                                                               N

                                                                                                                                              E                O
                                                                                                                                                      PATRIM

Section du patrimoine mobilier et des musées,
                                                                                                                                                  •

                                                                                                           Organisation     Convention
Division du patrimoine, UNESCO, pour sa                                                              des Nations Unies
                                                                                                        pour l’éducation,
                                                                                                                            du patrimoine
                                                                                                                            mondial
contribution à la préparation de ce numéro.                               Éditions UNESCO        la science et la culture
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
Dossier                               Le patrimoine mondial et le commerce illicite

Le patrimoine
mondial et le
commerce illicite
Ana Filipa Vrdoljak
Professeur, Faculté de droit, Université de technologie de Sydney

Le Parc Maloti-Drakensberg (Afrique du Sud/Lesotho) compte de nombreuses grottes et abris rocheux où l’on trouve le
plus important et le plus dense groupe de peintures rupestres d’Afrique au sud du Sahara. Ces peintures représentent
la vie spirituelle du peuple San, qui a vécu sur ces terres pendant plus de quatre millénaires.

© OUR PLACE The World Heritage Collection

6                                Patrimoine Mondial Nº87
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
Dossier

Patrimoine Mondial Nº87   7
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
I
Dossier               Le patrimoine mondial et le commerce illicite

           l y a deux siècles, les premiers         apparaissent, et qu’il semble de plus en plus      de 1970 concernant les mesures à prendre
           « grands touristes » s’embarquèrent      urgent de les enrayer, il se forge une prise       pour interdire et empêcher l’importation,
           à la découverte des sites antiques       de conscience croissante de la nécessité           l’exportation et le transfert de propriété
           de la Grèce et de Rome ou, pour les      d’aligner les mécanismes du patrimoine             illicites des biens culturels, ou la Convention
           plus intrépides, d’Afrique du Nord et    mondial aux normes internationales                 d’UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels
du Moyen-Orient. Ce voyage était considéré          relatives aux droits de l’homme et aux             volés ou illicitement exportés. Par ailleurs,
par les classes moyennes comme partie               autres conventions culturelles de l’UNESCO.        il leur a demandé d’envisager d’adhérer à
intégrante de leur éducation. Ces « grands                                                             la Convention de 1954 pour la protection
touristes » ont été nombreux à rapporter des        Le patrimoine mondial                              des biens culturels en cas de conflit armé
souvenirs de leurs voyages. Ces souvenirs,          et le trafic illicite du                           et à ses Protocoles, un instrument couvrant
qui allaient d’œuvres antiques originales à         patrimoine mobilier                                spécifiquement les conflits armés et
des reproductions touristiques répondant à            Depuis plus de deux décennies, le Comité         l’occupation belligérante, lorsque les sites
tous les goûts et tous les budgets, vinrent         du patrimoine mondial a conscience                 sont particulièrement vulnérables à ce type
enrichir les collections publiques et privées       que l’inscription d’un site sur la Liste du        de pertes. Le Conseil de sécurité des Nations
de différents pays. Aujourd’hui, les classes        patrimoine mondial « accroît souvent sa            Unies a du reste condamné le commerce
moyennes des économies en plein essor               vulnérabilité » face au trafic illicite de biens   illicite de biens culturels prélevés sur des sites
de nombreux pays du monde contribuent               culturels, en raison de « l’intensification        du patrimoine mondial pendant les conflits
à la croissance mondiale du tourisme.                                                                  armés ainsi que l’utilisation des profits
Les sites du patrimoine mondial (parmi                                                                 réalisés pour financer des activités terroristes.
lesquels figurent les sites archéologiques et                                                              Bien que de plus en plus d’États aient
historiques visités il y a deux siècles) sont                                                          signé ces autres instruments liés à la culture
particulièrement appréciés par les « grands                                                            au cours des dernières années, beaucoup
touristes » contemporains. Comme leurs                                                                 tardent encore à adopter la Convention
prédécesseurs, ces derniers sont souvent                                                               du patrimoine mondial. Et s’il existe un
désireux de rapporter des souvenirs de leurs                                                           chevauchement entre les États parties à la
voyages, et leur appétit nourrit le commerce                                                           Convention du patrimoine mondial et ces
illicite d’objets culturels et naturels. Non                                                           conventions spécialisées dans le patrimoine
seulement cette perte culturelle a un impact                                                           mobilier, force est de constater que leur
négatif sur les communautés locales des sites                                                          adoption est réduite dans les régions les plus
du patrimoine mondial, mais elle réduit la                                                             vulnérables à cette perte culturelle en raison
valeur universelle exceptionnelle même qui                                                             de conflits armés, d’un développement
a justifié l’inscription du site en premier lieu.                                                      rapide ou d’autres facteurs perturbateurs.
    Les peuples autochtones et leurs cultures                                                          Le Comité a rappelé aux États parties à la
sont particulièrement vulnérables face à                                                               Convention de 1972 la « nécessité d’une
ces processus. Bien qu’il n’existe aucun                                                               vigilance constante vis-à-vis du marché pour
audit exhaustif, on estime qu’au moins                                                                 s’assurer que des biens provenant de sites
la moitié des biens inscrits sur la Liste du                                                           du patrimoine mondial et ayant fait l’objet
patrimoine mondial se situent sur les terres         Chutes d’Havasu, Parc national du                 d’un trafic illicite ne sont pas échangés sur
traditionnelles de peuples autochtones.              Grand Canyon (États-Unis).                        leur territoire, contrairement à l’obligation
                                                    © NPS photo by Erin Whittaker
L’expérience de ces peuples montre que                                                                 d’assistance mutuelle », conformément à
le détournement et le commerce illicite                                                                l’article 6 (voir la Recommandation citée
de la culture englobent un large éventail           de la publicité, de l’accès, de la popularité      plus haut). Les Orientations devant guider
d’activités, et que ce phénomène s’aggrave          et de la commercialisation » (voir la              la mise en œuvre de la Convention du
dès qu’un site est inscrit au patrimoine            Recommandation concernant le trafic illicite       patrimoine mondial de 1972 reconnaissent
mondial. Ces activités comprennent non              affectant les sites du patrimoine mondial,         également que les obligations au titre
seulement le trafic illicite d’objets culturels     1997, WHC-97/CONF. 208/17, Annexe VIII).           de cette Convention concernent des
(et de restes humains) réglementé par               Le Comité a noté que ce problème                   « mesures préventives ». En outre, le
la Convention de l’UNESCO de 1970,                  concernait aussi bien les sites éloignés que       Comité du patrimoine mondial a noté que
mais aussi l’utilisation non autorisée (et          les sites facilement accessibles, les pays         l’assistance mutuelle dans le cadre de la
illégale)      d’expressions      traditionnelles   développés et en développement, et qu’il           Convention signifie que les États parties
contraires à la loi sur les droits d’auteur, un     peut alimenter un commerce déjà existant           doivent identifier et restituer tout élément
problème fréquent dans l’art touristique,           ou créer de nouveaux marchés illicites. Le         culturel commercialisé illégalement, « étant
et l’utilisation non autorisée (et illégale) de     Comité a demandé aux États parties à la            donné que leur absence du site pillé a
savoirs traditionnels et de plantes par des         Convention du patrimoine mondial de signer         une incidence directe sur la préservation
laboratoires pharmaceutiques à des fins             et d’appliquer des traités spécifiques afin de     de l’ensemble du site et des valeurs qui
commerciales. À mesure que ces menaces              réglementer ce trafic, comme la Convention         l’ont fait inscrire sur la Liste du patrimoine

8                   Patrimoine Mondial Nº87
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
Dossier
mondial » (WHC-97/CONF. 208/15, par. 11).
La Convention de l’UNESCO de 1970, ses
Règlements et les Orientations du Comité
subsidiaire de la Convention, ainsi que
le Comité intergouvernemental pour la
promotion du retour de biens culturels à
leur pays d’origine ou de leur restitution
en cas d’appropriation illégale fournissent
des indications sur la manière dont les États
peuvent aider à identifier et à restituer les
objets commercialisés illégalement, en
provenance de sites protégés au titre de la
Convention du patrimoine mondial.
   L’appel du Comité reflète également
la prise de conscience croissante, dans le
cadre des différentes structures pour la
mise en œuvre des conventions culturelles
de l’UNESCO, de percevoir le patrimoine
culturel de manière plus large et plus
holistique, et d’harmoniser leurs opérations.
Cette tendance, très visible dans le cadre
des obligations découlant de la Convention
du patrimoine mondial, ne se limite pas
aux aspects physiques et immobiliers des
sites protégés, mais s’étend au patrimoine
culturel mobilier et immatériel. Une
tendance similaire se fait sentir, s’agissant
de la Convention de l’UNESCO de 1970.
   Cette fécondation croisée, entre la
protection de sites clés et l’élimination
du trafic illicite de biens culturels, est
particulièrement forte dans le cadre de biens
du patrimoine mondial inscrits pour des
raisons archéologiques, anthropologiques
et     ethnographiques.        De     nombreux
sites protégés se situent sur les terres
traditionnelles de peuples autochtones dont
la culture matérielle a été pillée avant l’entrée
en vigueur des conventions de l’UNESCO de
1970 et de 1972, et depuis l’application de
ces dernières. Malheureusement, ces traités
ne peuvent pas être appliqués de manière
rétroactive. À titre indicatif, vers le milieu
des années 2010, plusieurs masques sacrés
et objets de cérémonie furent mis aux
enchères à Paris, malgré les efforts déployés
par des représentants du peuple Hopi pour
en empêcher la vente. Ces objets avaient été
volés aux Hopi et aux Navajo dont les terres
traditionnelles englobent le Parc national du
Grand Canyon, un site américain inscrit au
patrimoine mondial.
   Comme on peut le comprendre, les
peuples autochtones se sont opposés à
l’appellation de « biens culturels » donnée
à leurs vestiges ancestraux dans le cadre            Moon Spirits Platter réalisé par Susie Silook. Les matériaux utilisés sont l’ivoire de morse et l’os de baleine.
                                                    © Jimmie Froelich

                                                                                                               Patrimoine Mondial Nº87                          9
LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
Dossier                   Le patrimoine mondial et le commerce illicite

  Mossman Gorge géré par le peuple Kuku Yalanji, sur le site du patrimoine mondial des Tropiques humides de Queensland (Australie).
© Ana Filipa Vrdoljak

10                      Patrimoine Mondial Nº87
Dossier
de la Convention de l’UNESCO de 1970.             transparents et efficaces mis au point en                                           De nombreuses boutiques proposant
Leurs efforts pour protéger et obtenir la         concertation avec les peuples autochtones                                       des objets d’art et d’artisanat soi-disant
restitution de leurs terres, de leurs vestiges    concernés », conformément à la Déclaration                                      aborigènes et insulaires du détroit de Torres
ancestraux et de leurs objets culturels se        sur les droits des peuples autochtones. La                                      en Australie, notamment dans les grands
fondent plutôt sur les droits de l’homme          politique de l’UNESCO sur l’Engagement                                          centres touristiques, vendent en réalité
et, plus particulièrement, sur la Déclaration     auprès des peuples autochtones a également                                      des contrefaçons illégales qui ne sont pas
des Nations Unies de 2007 sur les droits          réaffirmé que les États doivent faciliter le                                    fabriquées par les peuples autochtones.
des peuples autochtones. Cette position a         dialogue entre les peuples autochtones et                                       Ce type de détournement a un impact
un effet expansif sur l’interprétation et la      les musées autour de la gestion et de la                                        négatif sur les droits culturels, sociaux et
mise en œuvre des conventions culturelles         restitution du patrimoine au moyen de lois                                      économiques des peuples autochtones,
existantes. Par exemple, les revendications       et de politiques.                                                               comme le reconnaissent la Déclaration
des peuples autochtones conduisent à une                                                                                          sur les droits des peuples autochtones et
compréhension plus large de l’obligation de                                                                                       la campagne actuelle des représentants
faciliter le « retour » des vestiges ancestraux                                                                                   autochtones visant à ce que l’Organisation
et des objets culturels (même au sein des                                                                                         mondiale de la propriété intellectuelle
États), qui renforcent les critères justifiant                                                                                    adopte un instrument spécialisé pour
l’inscription des sites au patrimoine mondial.                                                                                    assurer      la   protection    des    savoirs
En novembre 2017, les restes de 105 ancêtres,                                                                                     traditionnels et des expressions culturelles.
dont l’homme de Mungo, ont été restitués                                                                                          Les peuples autochtones se battent
aux peuples Mutthi Mutthi, Barkandji et                                                                                           constamment pour que ce type de vol
Ngiyampaa qui constituent les propriétaires                                                                                       soit porté devant les tribunaux australiens
traditionnels des terres où furent prélevés ces                                                                                   au même titre que les affaires de droits
derniers par des archéologues au début des                                                                                        de propriété intellectuelle. Dans un cas de
années 70, avant que l’Australie ne signe ces                                                                                     1994, quatre artistes des terres centrales
traités. Le retour de ces vestiges ancestraux                                                                                     d’Arnhem (où se situe le Parc national de
marqua l’aboutissement d’une demande de                                                                                           Kakadu, inscrit au patrimoine mondial) et
rapatriement s’étalant sur quatre décennies.                                                                                      trois artistes du centre de l’Australie (où se
Jusqu’en 2015, ces vestiges étaient sous la                                                                                       situe le parc national d’Uluru-Kata Tjuta)
garde de l’Université nationale australienne,                                                                                     ont intenté avec succès un procès contre la
avant d’être finalement transférés, à la                                                                                          reproduction non autorisée de leurs œuvres
demande de leurs gardiens traditionnels, au                                                                                       sur des tapis produits au Viet Nam et
Musée national de l’Australie, en attendant        Éléphant indien au parc national de                                            importés en Australie pour être mis en vente.
leur rapatriement dans leurs terres d’origine.     Kaeng Krachan (Thaïlande).                                                     (Milpurrurru and Ors v. Indofurn Pty Ltd and
                                                  © Thai National Parks / www.thainationalparks.com/kaeng-krachan-national-park
Les chants des peuples autochtones évoquent                                                                                       Ors, 1994, FCA 975.). Deux décennies plus
leur rôle de dépositaires de ces terres, et                                                                                       tard, le gouvernement fédéral australien
constituent l’une des plus anciennes cultures     Le patrimoine mondial et                                                        a mené une autre enquête sur ce marché
vivantes. Les vestiges de l’homme de Mungo        l’appropriation illicite du                                                     illicite lucratif en pleine expansion qui
ont près de 42 000 ans. Le site original de       patrimoine immatériel                                                           exploite les œuvres d’artistes autochtones
la femme de Mungo témoigne, quant à lui,             L’exploitation illicite du patrimoine                                        et de leurs communautés.
de la plus ancienne crémation cérémoniale         des peuples autochtones dont les terres                                             La situation du peuple San de la région
au monde. Des marques de couleur ocre             englobent les sites du patrimoine mondial                                       du Kalahari, dont les terres traditionnelles
ont également été découverts sur l’homme          s’étend au patrimoine immatériel, ainsi                                         font partie du parc Maloti-Drakensberg
de Mungo. Cette « preuve » archéologique          qu’aux savoirs traditionnels et aux                                             inscrit au patrimoine mondial (Afrique du
trouvée sur le site du lac Mungo a contribué      expressions culturelles inextricablement                                        Sud), met en lumière une autre variante
à l’inscription de la région des lacs Willandra   liés à la terre, à la flore, à la faune et aux                                  de l’appropriation illicite du patrimoine,
sur la Liste du patrimoine mondial en 1981.       objets culturels. Bien que la Convention                                        en particulier des savoirs traditionnels. Les
   Après de nombreuses années de lobbying         du patrimoine mondial ne protège pas                                            San utilisent traditionnellement la Hoodia,
par des représentants autochtones et des          spécifiquement le patrimoine immatériel,                                        une plante succulente, pour couper la faim
mécanismes spécialisés des Nations Unies, le      les Orientations devant guider sa mise                                          et la soif. Or les ingrédients actifs de cette
Conseil exécutif de l’UNESCO a reconnu, fin       en œuvre font néanmoins référence à la                                          plante ont été brevetés par le Conseil pour
2017, « le droit [des peuples autochtones]        dimension immatérielle du patrimoine, et                                        la recherche scientifique et industrielle de
au rapatriement de leurs restes humains »,        citent la Convention pour la sauvegarde                                         l’Afrique du Sud sans le consentement
stipulant que « les États doivent chercher à      du patrimoine culturel immatériel de 2003                                       des San ni aucun accord de partage des
permettre l’accès aux objets de culte et aux      ainsi que la Convention sur la protection et                                    profits. Ce brevet a ensuite été concédé à
restes humains en leur possession et / ou leur    la promotion de la diversité des expressions                                    une société britannique de biotechnologie,
rapatriement, par des mécanismes justes,          culturelles de 2005.                                                            Phytopharm, qui l’a octroyé en sous licence

                                                                                                                                  Patrimoine Mondial Nº87            11
Dossier               Le patrimoine mondial et le commerce illicite

à Pfizer pour 21 millions de dollars des États-    du peuple karen sur le site, et demandé à
Unis. Un accord de partage des profits a été       l’État partie d’assurer les droits de ce peuple
conclu entre le CSIR et les San, en 2003.          au moyen d’une participation effective, et de
Le cadre de la Convention pour la diversité        ne pas autoriser leur expulsion du site.
biologique (CDB) a adopté des codes                    Les efforts visant à endiguer le commerce
éthiques et des directives volontaires sur le      illicite d’espèces menacées d’extinction
consentement libre, préalable et éclairé, le       peuvent avoir des effets négatifs très
partage des profits et le rapatriement des         importants sur la vie et les moyens de
savoirs traditionnels autochtones. L’UNESCO        subsistance des populations autochtones.
et le Secrétariat de la CDB coordonnent leurs      Les mesures prises par les États parties pour
efforts depuis 2010, notamment dans le             se conformer à l’interdiction du commerce de
cadre des sites du patrimoine mondial.             l’ivoire de la CITES ont notamment paralysé
                                                   l’utilisation, la possession et le commerce
Le patrimoine mondial et le                        des morses et de l’ivoire de mammouth
commerce illicite des espèces                      obtenus sur les terres traditionnelles du cercle
menacées d’extinction                              polaire Arctique. Certains sites du patrimoine
    Les facteurs qui intensifient le commerce      mondial tels que le Kujataa au Groenland
des objets culturels sur les sites du patrimoine   (Danemark), le Système naturel de la Réserve
mondial menacent également des sites inscrits      de l’île Wrangel (Fédération de Russie) et le
pour la richesse de leur patrimoine naturel.       Plateau de Putorana (Fédération de Russie),
Sans surprise, on constate que la Convention       situés dans cette région, reconnaissent ce lien
du patrimoine mondial et la Convention             selon divers degrés dans leurs inscriptions.
sur le commerce international des espèces          En réponse à l’interdiction de la CITES,
de faune et de flore sauvages menacées             le Dr. Dalee Sambo Dorough et d’autres
d’extinction (CITES) de 1974 partagent des         personnes ont appelé à la reconnaissance
objectifs et des États parties communs. Un         des « dimensions économiques complexes de           La chasse au morse pour son ivoire est
site protégé peut ainsi être placé sur la Liste    l’utilisation, de la vente et du fonctionnement     un élément intégral de l’économie de
du patrimoine mondial en péril s’il y a eu « un    de l’ivoire nouveau et ancien et d’autres sous-     Kujataa au Groenland (Danemark).
                                                                                                      © Visit Greenland
déclin sérieux dans la population des espèces      produits provenant de mammifères marins
en danger ou des autres espèces d’une              diversifiés et directement liés à l’intégrité et
valeur universelle exceptionnelle pour la          à la durabilité générales des communautés
protection desquelles le bien concerné a été       autochtones d’Arctique » et à leur mode de
juridiquement établi » (voir la note précitée #,   vie. Elle soutient que l’interdiction doit être
p. 50 des Orientations devant guider la mise       modifiée pour permettre aux peuples Inuit
en œuvre de la Convention du patrimoine            d’utiliser et de commercialiser ces matériaux
mondial). En 1986, le Comité du patrimoine         dans la région circumpolaire Arctique de
mondial a contacté le Secrétariat de la CITES      façon cohérente avec la Déclaration sur les
afin « d’explorer les moyens d’utiliser les        droits des peuples autochtones.
deux conventions pour atténuer » le trafic             La priorité accordée à la conservation et
illicite de défenses d’éléphants et de cornes      à la réglementation du commerce illicite
de rhinocéros dans le parc national de Selous      d’espèces menacées de disparition sur les
(Tanzanie) et les réserves de Mana Pools,          droits des peuples autochtones se manifeste
Sapi et Chewore (Zimbabwe) (voir le Rapport        plus particulièrement à travers l’expulsion
du Rapporteur, CC-86/CONF.003/10,1986,             des communautés vivant sur leurs terres
par. 18 et 19). Aujourd’hui, le parc national      traditionnelles devenues réserves nationales
de Selous figure sur la Liste du patrimoine        ou inscrites sur la Liste du patrimoine
mondial en péril en raison du commerce             mondial. La Commission africaine a, par
illicite de l’ivoire de ces espèces menacées       exemple, constaté que l’expulsion par le
d’extinction. Le braconnage des éléphants est      Kenya du peuple Endorois de leurs terres
aussi un problème majeur pour le Complexe          traditionnelles dans le but de créer une
forestier de Kaeng Krachan, un site proposé        réserve de gibier rattachée au Réseau
pour inscription sur la Liste du patrimoine        des lacs du Kenya dans la vallée du Grand
mondial par la Thaïlande. Toutefois, le            Rift, inscrit au patrimoine mondial, viole la
Comité du patrimoine mondial a noté que            Charte africaine des droits de l’homme et
le Haut-Commissaire des Nations Unies aux          des peuples. (Centre pour le développement          Une femme est assise à la porte de sa maison
droits de l’homme avait souligné la situation      des droits des minorités et groupe des              en terre à Tombouctou, au nord du Mali.
                                                                                                      © MINUSMA/Marco Dormino

12                 Patrimoine Mondial Nº87
Dossier
droits des minorités, au nom du Conseil           particulièrement les mécanismes spécialisés
pour le bien-être des Endorois vs. Kenya,         des Nations Unies pour les peuples
comm. n° 276/03, ACPHR, décision du               autochtones, ont également souligné
25 novembre 2009.) Dans un cas similaire, la      l’importance d’une participation effective
Cour interaméricaine des droits de l’homme        des peuples autochtones dans la création, la
a déclaré en 2016 que le fait que le Suriname     gestion et la surveillance des sites protégés,
n’ait pas accordé un accès aux peuples            y compris les biens du patrimoine mondial.
Kaliña et Lokono à leurs terres traditionnelles   Cette position est également reflétée dans
devenues réserves naturelles et aux               la politique de l’UNESCO sur l’engagement
ressources naturelles connexes, et que son        auprès des peuples autochtones et dans les
refus de permettre à ces derniers de gérer les    Orientations devant guider la mise en œuvre
réserves, étaient contraires à la Convention      de la Convention du patrimoine mondial.
américaine des droits de l’homme, ainsi              Depuis des décennies, les peuples
qu’à ses obligations dans le cadre de la          autochtones dont les terres traditionnelles
Convention du patrimoine mondial et de la         font partie du périmètre de biens inscrits
Convention sur la diversité biologique. La        sur la Liste du patrimoine mondial ou sur
Cour a observé que « les droits des peuples       la Liste du patrimoine mondial en péril
autochtones et les lois internationales sur       demandent au Comité du patrimoine
l’environnement doivent être perçus comme         mondial (Rapport sur le projet de conseil
des droits complémentaires, plutôt que            d’experts des peuples autochtones sur le
d’exclusion. » (Peuples Kaliña et Lokono          patrimoine mondial, WHC-2001/CONF.205/
Peoples vs. Suriname, mérites, réparations        WEB.3, 2001) ou par l’intermédiaire des
et coûts, inter-Am. Ct. H.R., ser. C, n° 309,     mécanismes spécialisés des Nations Unies
25 novembre 2015, par. 173, 176-178.). La         d’empêcher d’endommager ou de détruire
politique de l’UNESCO de 2017 ne soutient         leur patrimoine culturel et de faciliter leur
pas l’expulsion des peuples autochtones de        restitution (document final Alta, A/HRC/
leurs terres dans le cadre des programmes         EMRIP/2013/CRP.2, 2013, par. 28). Leur
de conservation.                                  campagne pour une participation effective
                                                  des communautés locales dans le processus
La participation des                              de proposition d’inscription et de gestion
peuples autochtones et                            des sites du patrimoine mondial s’inscrit
le patrimoine mondial                             dans le consensus prévalant de plus en plus
   La Cour pénale internationale a                parmi les différents tribunaux internationaux
récemment reconnu l’importance cruciale           et régionaux, et les organes multilatéraux.
que revêtent les sites du patrimoine mondial      En 2017, le Comité du patrimoine mondial a
en matière de droits culturels, sociaux et        réaffirmé qu’il réexaminerait la proposition
économiques des communautés locales. Elle         visant à créer un Forum international des
a constaté que la réparation des préjudices       peuples autochtones sur le patrimoine
subis par la communauté locale du site du         mondial pour aller dans cette voie
patrimoine mondial de Tombouctou lors             (Décision 41 COM 7, 2017, par. 41). Cet
des attaques perpétrées par des militants         aspect est un point nécessaire pour garantir
« inclut également le préjudice plus large        les droits fondamentaux des peuples
subi par les Maliens et la communauté             autochtones, et joue un rôle déterminant
internationale dans son ensemble. » La Cour       pour mettre fin à l’appropriation, à
a ainsi confirmé l’opinion d’experts selon        l’utilisation et au commerce illicites du
laquelle « au final, la population locale est     patrimoine culturel sous toutes ses formes,
la mieux placée pour préserver le patrimoine      qui diminuent la diversité biologique et
en question, et par conséquent, les mesures       culturelle de nombreux sites, et donc leur
de réparation devraient plus judicieusement       valeur universelle exceptionnelle.
viser à renforcer leurs capacités dans ce
domaine » (le Procureur vs Ahmad Al Faqi Al         (L’auteur remercie Dalee Sambo Dorough,
Mahdi, ordonnance de réparation, chambre          Phil Gordon, Stefan Disko, Édouard Planche,
de première instance de la Cour pénale            Benjamin Omer, Melina Macdonald, Ghaliya
internationale, VIII, ICC-01/12-01/15, 17 août    Al-lamki et Valentina Vadi pour leurs
2017, par. 54 et 55). Les organes des Nations     contributions et leur assistance. L’auteur
Unies pour les droits de l’homme, et plus         assume la responsabilité de toute erreur.)

                                                  Patrimoine Mondial Nº87            13
Protéger l’avenir de notre passé :
PUBLIREPORTAGE

                 le projet archéologique du Qatar-Soudan
                     Les objectifs de ce projet international

                 Le projet archéologique du Qatar-Soudan a vu le jour en 2012 afin d’amorcer une
                 collaboration entre la Corporation nationale des antiquités et des musées du Soudan
                 (NCAM) et son homologue qatari, les muséums du Qatar. Ce projet était initialement
                 conçu pour explorer les richesses du patrimoine ancien du Soudan, mais il s’est
                 rapidement avéré que les antiquités de Soudan-Nubie nécessitaient une attention urgente
                 d’une ampleur complètement différente. Le projet a par conséquent été reformulé sous
                 la forme d’un projet international au paradigme audacieux et transformatif permettant
                 de prendre en charge les ressources culturelles de la Nubie soudanaise et d’inclure
                 pratiquement tous les sites antiques clés qui bordent le Nil au nord de Khartoum afin de
                 consolider et de préserver ces sites en appliquant des normes modernes et de bonnes
                 pratiques au développement et à la présentation du patrimoine soudanais.

                     Une coopération internationale

                 La présentation de ce concept à la communauté des archéologues du Moyen-Nil fut
                 accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Le projet archéologique du Qatar-Soudan
                 réunit actuellement 42 missions scientifiques issues de 25 institutions dans onze pays.
                 Le financement accordé à ce projet par le Musée du Qatar constitue quant à lui l’initiative
                 la plus vaste et la plus ciblée lancée par une institution à l’échelle mondiale depuis la
                 Campagne internationale pour la Nubie de l’UNESCO (1960-80) en faveur de l’exploration
                 et de la protection de la culture et de l’histoire d’une autre nation.

                                                                                                               Conservation à Musawwarat

                 Pyramides de Méroé
   Les réussites du projet archéologique du Qatar-Soudan
                                                                          Depuis 2013, le projet archéologique du Qatar-Soudan a attribué des projets de 5 à 7 ans à des équipes
                                                                          spécialisées dans divers sujets, comme la prospection archéologique de paysages jusqu’alors
                                                                          inexplorés ou la fouille et la conservation de sites antiques. L’une des conditions d’admission de
                                                                          ses missions prospectives est la création de plans de gestion des sites lorsque ceux-ci étaient
                                                                          auparavant inexistants, ou leur mise en œuvre lorsque ceci n’avait pas été fait. Dans ce contexte, il
                                                                          a donné lieu à la construction de plus d’une douzaine de nouveaux centres pour visiteurs et points
                                                                          d’information, ainsi qu’à la rénovation et à la réhabilitation de musées plus anciens.
                                                                              Le projet archéologique du Qatar-Soudan a, par exemple, élaboré, conformément aux normes
                                                                          de l’UNESCO, un plan de tourisme durable pour les Sites archéologiques de l’île de Méroé et Gebel
                                                                          Barkal et les sites de la région napatéenne, deux biens inscrits au patrimoine mondial, et construit,
                                                                          à l’extérieur de leurs zones tampons, de généreuses infrastructures touristiques. Ces « villages
                                  Nouvel abri des bains royaux, Méroé
                                                                          touristiques » initialement construits pour loger et offrir des locaux de travail aux missions du
                                                                          projet archéologique du Qatar-Soudan œuvrant dans les sites voisins, seront un atout pour l’État
                                                                          du Soudan et serviront bientôt à accueillir des touristes culturels visitant la région. Ils pourront
                                                                          également être utilisés pour former des étudiants soudanais dans le domaine de l’archéologie
                                                                          de terrain et de la conservation fondamentale ou dispenser des cours de formation aux guides
                                                                          touristiques soudanais.

                                                                              Connaissances et éducation
                                                                          Les travaux de recherche des diverses missions du projet archéologique du Qatar-Soudan ont
                                                                          considérablement enrichi nos connaissances et permis d’accélérer la reconstruction des anciennes
                                                                          civilisations et cultures du Soudan. Au cours de leurs premières années de travail, les missions
                                                                          ont présenté une nouvelle vision de l’histoire du Soudan couvrant plus de 350 000 ans et jeté un
                                                                          nouveau regard sur la préhistoire du pays, ses liens anciens avec l’Afrique intérieure, l’Égypte et la
                                                                          Méditerranée, ainsi que sur la formation des premiers empires Nubiens de Napata et Kush (3000 av.
                                                                          J.-C.-500 apr. J.-C.), jusqu’aux époques médiévales chrétiennes et islamiques.
                                                                               Toutes ces activités ont donné lieu à la publication de travaux de recherches, à la numérisation
              Archéologie expérimentale à la Fonderie de fer de Méroé.    et au catalogage de documents d’archives jusqu’alors inaccessibles pour les érudits du Soudan et
                          Les écoliers locaux découvrent le processus
                                                                          les universités étrangères tout en fournissant des informations utiles à un public non académique.
                                                                          Une autre priorité du projet archéologique du Qatar-Sudan comprend la création de programmes
                                                                          éducatifs pour les écoliers soudanais et le développement des capacités des étudiants universitaires
                                                                          et des guides professionnels.

                                                                              Ce qu’apporte le projet archéologique du Qatar-Soudan
                                                                          L’accélération des travaux de recherche et le renforcement de la protection du patrimoine soudanais
                                                                          constituent un objectif clé du projet. Grâce à son soutien, les missions nationales et étrangères ont
                                                                          désormais la possibilité de travailler sur place durant des périodes beaucoup plus longues et de
                                                                          revenir deux fois par an au Soudan. Elles peuvent également recruter des experts supplémentaires
                                                                          pour leurs équipes et entreprendre des interventions habituellement onéreuses et chronophages
                                                                          comme la conservation de bâtiments et d’objets ou la réalisation d’essais en laboratoire à une
                                                                          échelle beaucoup plus large que leur budget ne leur permettrait de le faire. Si l’accélération du
                              Intérieur du centre des visiteurs à Méroé
                                                                          travail de recherche n’est pas forcément un aspect essentiel en soi, elle permet toutefois de
                                                                          protéger beaucoup plus vite les monuments de la dégradation naturelle et de la destruction par
                                                                          l’homme (pillage de sites, empiètement illégal par les secteurs du logement, des infrastructures et
                                                                          de l’agriculture).

                             Qatar Museums                                    Le modèle du projet archéologique du Qatar-Soudan
                             QM Tower                                     Le rôle de catalyseur du projet archéologique du Qatar-Soudan permet au secteur du patrimoine
                             P.O Box 2777
                                                                          de stimuler une expertise fragmentée à travers des efforts cohérents et soutenus pour profiter
                             Doha - State Of Qatar
                             www.qm.org.qa/en                             au patrimoine du Soudan dans son ensemble. Son soutien facilite le processus de création, de
                                                                          développement et d’application de stratégies régionales pour la gestion du patrimoine ainsi que
                                                                          l’inclusion proactive des communautés établies à proximité de sites archéologiques afin que celles-
                                                                          ci bénéficient économiquement du tourisme culturel.
                                                                               Bien que ce projet ne soit pas terminé, il est déjà clair qu’il a un impact très positif sur l’état
                                                                          de conservation des antiquités du Soudan. À une époque où de grandes institutions comme
                                                                          l’UNESCO ont des difficultés à lancer des projets de conservation archéologique de grande échelle,
                                                                          des initiatives comme le projet archéologique du Qatar-Soudan pourrait servir de modèle pour un
                                                                          nouveau type de coopération internationale et fournir une plate-forme utile pour faire progresser le
Qatar-Sudan Archaeological Project Nubian
Archaeological Development Organization                                   programme de l’UNESCO pour la préservation du patrimoine culturel à travers le monde.
www.qsap.org.qa/en/
Dossier                          Cambodge : la restitution des biens de Koh Ker

Cambodge
La restitution des
biens de Koh Ker
Vireak Kong
Directeur du Musée national du Cambodge

Koh Ker est un site archéologique éloigné dans le nord du Cambodge à environ 120 km de Siem Reap et du site ancien d’Angkor.

© Aaron Fellmeth Photography

16                             Patrimoine Mondial Nº87
Dossier

Patrimoine Mondial Nº87   17
Dossier                Cambodge : la restitution des biens de Koh Ker

L
 Le complexe de Banteay Chhmar a subi de graves pillages.
© Ioreth_ni_Balor

             a guerre civile qui a déchiré le           Entre 2013 et 2016, sept statues de Koh           À la recherche des
             Cambodge pendant trente ans              Ker furent restituées au Cambodge. Le site          statues disparues
             a laissé des traces profondes            de Koh Ker revêt une grande importance                 En 2007, le projet de conservation
             dans tout le pays. Ces                   dans le patrimoine religieux, historique et         allemand Apsara envoya une équipe à
             événements tragiques ont non             artistique du Cambodge. Sous le règne               Koh Ker, afin d’enquêter sur la découverte
seulement traumatisé les populations, mais            des rois Jayavarman IV et Harshavarman II           de deux socles uniquement surmontés
ils ont également gravement endommagé le              (928-944 apr. J.-C.), la cité que l’on appelle      de pieds. Simon Warrack, un restaurateur
patrimoine culturel cambodgien. Comme le              aujourd’hui Koh Ker fut la capitale éphémère        de la pierre, effectua des recherches afin
site d’Angkor inscrit au patrimoine mondial,          de l’empire khmer. Cet important complexe           d’identifier les statues qui étaient jadis
plusieurs grands temples et monuments                 de monuments sacrés comprend des                    posées sur ces socles. Il parvint à localiser
historiques tels que Banteay Chhmar, Koh              temples, des sanctuaires et des tours. Jusqu’à      l’une d’entre elles grâce à une photographie
Ker, et Preah Khan à Kampong Svay ont                 récemment, le site n’était pas une destination      trouvée dans le livre d’Emma Bunker et
été cruellement pillés. Depuis les années             touristique en raison de son éloignement            Douglas Latchford The Adoration and the
1990, un certain nombre d’objets culturels            et de son accès difficile. Aujourd’hui, il fait     Glory, the Golden Age of Khmer Art [Gloire
ont toutefois été restitués au royaume. Ces           partie des biens figurant sur la liste indicative   et adoration : l’Âge d’or de l’art khmer]. La
derniers comprennent quelques-uns des                 présentée au Comité du patrimoine mondial           statue qui semblait correspondre au socle
100 artefacts volés sur le site d’Angkor, ainsi       par le Gouvernement royal du Cambodge,              était connue sous le nom de « Dvārapāla »
que d’autres provenant des sites de Banteay           en raison de son architecture, de sa valeur         (le gardien du temple), et était exposée au
Chhmar et Koh Ker.                                    historique et de ses œuvres d’art uniques.          Norton Simon Museum of Art, aux États-

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