LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE - Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge Sauver le vaquita Synergies avec la CITES
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LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE Le sphinx de Bogâzköy Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge 7,50€ US$9 £6 ¥850 Sauver le vaquita Synergies avec la CITES N°87 • Avril 2018 Patrimoine Mondial ISSN 1020-4520 3 059630 102872
UNESCO Organisation des Nations Unies 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France • www.unesco.org/publishing pour l’éducation, Courriel : publishing.promotion@unesco.org la science et la culture La protection des biens culturels Manuel militaire n Les récents conflits en Iraq, Syrie, Libye, Yémen et Mali ainsi que les occupations militaires en cours ont, à nouveau, souligné la nécessité de traduire en pratique les règles du droit international pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. n Ce manuel sert de guide pratique pour la mise en œuvre de ces règles par les forces militaires. Il associe, sous un angle militaire, une explication des obligations juridiques internationales des États et des individus à des suggestions sur les meilleures pratiques à adopter aux différents niveaux de commandement et pendant les différentes phases des opérations militaires par voie terrestre, maritime ou aérienne. 92 pages, broché 165 x 240 mm, 2017 ISBN 978-92-3-200138-2 Disponible sur unesdoc.unesco.org WH 87
PATRIMOINE MONDIAL Nº87 L 3 WH Cover 87.qxp_Mise en page 1 12/04/2018 10:44 Page2 e trafic illicite d’objets culturels épuise les cultures de leur identité et contribue au éditorial commerce illégal lucratif, qui contribue à financer le terrorisme et le crime organisé. C’est un problème qui s’est développé subrepticement à travers le monde. À titre d’exemple, depuis 2011, environ 25 % des sites archéologiques syriens ont été pillés. Des objets provenant LUTTE CONTRE de régions en conflit, notamment d’Iraq, de Libye, du Mali, de Syrie et du Yémen circulent sur LE TRAFIC ILLICITE le marché noir et sont déjà entre des mains sans scrupules. Le sphinx de Bogâzköy Ce ne sont pas seulement les objets culturels provenant de sites archéologiques, de musées Turquie Les statues de Koh Ker Cambodge ou de collections qui sont touchés par le trafic illicite. L’exploitation illégale et le commerce du 7,50€ US$9 £6 ¥850 Sauver le vaquita Synergies avec la CITES bois de palissandre constituent une menace pour le site du patrimoine mondial du Complexe N°87 • Avril 2018 forestier de Dong Phayayen-Khao Yai (Thaïlande), et ont même conduit à l’inscription des Forêts humides de l’Atsinanana (Madagascar) sur la Liste du patrimoine mondial en péril. Patrimoine Mondial ISSN 1020-4520 3 059630 102872 Le trafic de la faune sauvage est également un grave problème de conservation, affectant Couverture : Les statues de Koh Ker (Cambodge). les espèces de requins des Galápagos, le marsouin du golfe de Californie (Mexique) qui est en danger critique, les éléphants d’Afrique de la Réserve de gibier de Selous (Tanzanie), les perroquets gris du Trinational de la Sangha (Cameroun, République centrafricaine, Congo) et le rhinocéros de Sumatra dans la Forêt tropicale humide de Sumatra (Indonésie). Le Parc national de la Garamba (République démocratique du Congo) abritait la dernière population connue de rhinocéros blancs du Nord. Aujourd’hui, il est probablement éteint à l’état sauvage, et si nous n’agissons pas maintenant, plus d’espèces pourraient être définitivement perdues sur nos sites du patrimoine mondial. Dans ce numéro, nous examinerons différents aspects du trafic et du commerce illicites : comment les peuples autochtones sont-ils touchés par l’appropriation illicite et les transferts illégaux de biens culturels ; l’affaire de restitution des statues de Koh Ker, qui ont été retournées au Cambodge ; et la collaboration entre la Convention du patrimoine mondial et la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), qui vise à garantir que le commerce international des animaux et des plantes − des orchidées aux pangolins − ne menace pas leur survie. Nous présentons également un entretien avec le collectionneur d’art Jean Claude Gandur, qui travaille en étroite collaboration avec les organisations internationales pour assurer la provenance correcte des objets mis en vente. La sensibilisation est toujours la première étape pour changer les choses. Mieux nous connaissons les mécanismes du commerce illégal, mieux nous pouvons prendre des mesures préventives et correctives pour veiller à ce que cela cesse. Les synergies croissantes entre différents instruments internationaux (tels que la Convention du patrimoine mondial de 1972, la Convention de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, et la CITES) et entre diverses entités publiques et privées, internationales et locales (police, douanes, marché de l’art, collectionneurs et jeunes) constituent également un pas décisif vers des actions communes sur le terrain. Pour la protection et la préservation du patrimoine culturel ou naturel, l’éducation et la coopération sont les facteurs clés. Mechtild Rössler Directrice du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO
S o mmaire Magazine trimestriel publié en français, anglais et espagnol conjointement par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Paris, France, et par Publishing for Development Ltd., Londres, Royaume-Uni. Directrice éditoriale Mechtild Rössler Directrice du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO Éditeur Publishing for Development Rédacteurs Dossier Le patrimoine mondial 12 Helen Aprile, Gina Doubleday Consultante à la rédaction Vesna Vujicic-Lugassy et le commerce illicite Coordinateur de production Dossier 8 Richard Forster Le patrimoine mondial et le commerce illicite 6 Éditeur de production L’appétit croissant pour l’acquisition alimente le commerce Caroline Fort illicite de biens culturels et naturels. Cette perte culturelle a un impact négatif sur les communautés locales des Correction de copie Cathy Nolan (anglais), Chantal Lyard sites du patrimoine mondial et provoque la diminution (français), Luisa Futoransky (espagnol) des caractéristiques mêmes de la valeur universelle 19 exceptionnelle qui a mené à l’inscription des sites. Conseil éditorial ICCROM : Joseph King, ICOMOS: Regina Durighello, UICN : Tim Badman, Centre du Cambodge : la restitution des biens de Koh Ker 16 patrimoine mondial de l’UNESCO : Nada Al Trente ans de guerre civile n’ont pas laissé le Cambodge Hassan, Guy Debonnet, Lazare Eloundou- indemne. Au-delà du site du patrimoine mondial d’Angkor, Assomo, Feng Jing, Edmond Moukala, Mauro de nombreux temples et monuments majeurs tels que Rosi, Petya Totcharova, Isabelle Anatole Gabriel xx Vinson, UNESCO Publishing : Ian Denison Banteay Chhmar, Koh Ker, Preah Khan de Kampong Svay et d’autres ont été cruellement pillés. Publicité Efrén Calatrava, Fernando Ortiz, La CITES et la Convention du patrimoine mondial : 27 Fadela Seddini, Peter Warren Ensemble pour lutter contre le trafic Couverture des espèces sauvages 24 Photo : Musée national du Cambodge On estime aujourd’hui à 45 % le nombre de sites naturels Design : Recto Verso du patrimoine mondial concernés par la capture illégale Rédaction d’espèces animales et végétales protégées au titre de la Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO Convention sur le commerce international des espèces de 7, place de Fontenoy, 75007 Paris faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Tél. (33.1) 45 68 16 60 – Fax. (33.1) 45 68 55 70 E-mail : g.doubleday@unesco.org 34 INTERNET : http://whc.unesco.org Il faut sauver le marsouin du golfe de Californie 32 Pour sauver le marsouin, espèce en danger critique, il est Publicité, production impératif que le site adopte une vision à long terme et que PFD Publications Ltd toutes les parties prenantes concernées fassent pression Chester House - Fulham Green 81-83 Fulham High Street - Londres SW6 3JA pour obtenir une modification des politiques, qui aillent Tél : +44 2032 866610 - Fax :+44 2075 262173 au-delà des solutions « remèdes ». E-mail : info@pfdmedia.com Le sphinx de Bogâzköy 38 Abonnements DL SERVICES sprl - Jean De Lannoy Le sphinx de Boğazköy est de retour dans son pays d’origine, c/o Entrepôts Michot - Bergense steenweg 77 la Turquie. Un succès qui démontre que des négociations 41 B 1600 St Pieters Leeuw - Belgique bilatérales, aussi complexes soient-elles, peuvent permettre Tél : +32 477 455 329 - d’aboutir à la résolution satisfaisante d’un conflit séculaire. E-mail : subscriptions@dl-servi.com Les idées et opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO. Les appellations employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant à leurs frontières ou limites. Publié par Publishing for Development Ltd., Londres, Royaume-Uni. ISSN : 1020-4520. © UNESCO – Publishing for Development Ltd. (2018)
PATRIMOINE MONDIAL Nº87 Focus 44 Le Fonds d’urgence pour le patrimoine Une ressource supplémentaire pour lutter contre le commerce illicite 44 En 2015, l’UNESCO a créé le Fonds d’urgence pour le patrimoine afin de répondre plus efficacement à la hausse marquée du nombre de catastrophes et de conflits affectant les biens du patrimoine mondial et les ressources du patrimoine culturel et naturel, y compris les biens immatériels. Forum Entretien 50 49 44 Entretien avec Jean Claude Gandur, président de la Fondation Gandur pour l’Art. Organisations consultatives 54 Commerce illégal d’espèces sauvages et patrimoine mondial. Conventions 56 Le commerce illicite des biens culturels du Mexique. Nouvelles Préservation 62–68 61 53 55 Rencontre annuelle sur les paysages culturels ; Baukultur pour l’Europe ; Revitalisation de la Casbah d’Alger ; Une « protection renforcée » pour le site d’Angkor ; Patrimoine et démocratie à l’Assemblée générale de l’ICOMOS ; Coup de pouce pour le tourisme durable ; Paysages sacrés et liens qui unissent la nature et la culture ; Réunion sur les Routes de la soie ; M. Ernesto Ottone Ramírez nommé Sous-Directeur général pour la culture ; Le rôle des communautés locales dans le développement durable. Sites en péril 70–71 L’avenir des bouddhas de Bâmiyân ; Le Centre du patrimoine mondial salue le moratoire sur le pétrole du Belize ; L’UNESCO s’inquiète de 57 l’état de conservation de la Réserve de gibier de Selous. Promotion 73–75 Publication du calendrier Panasonic du patrimoine mondial 2018 ; Publication de la carte du patrimoine mondial 2017-2018 ; La Fédération internationale des sociétés d’aviron s’engage à protéger le patrimoine mondial naturel ; Seabourn et l’UNESCO s’associent pour sensibiliser les 62 70 touristes au patrimoine. Édition et multimédia 76 Télécharger l’application Patrimoine Mondial Disponible pour iPad, Android et tablettes Kindle Fire. Calendrier 77 Grâce à l’application, vous pouvez non seulement lire des articles exclusifs écrits par des experts sur le terrain, mais Bulletin d’abonnement 79 voir des vidéos des sites les plus spectaculaires du monde. Télécharger l’application du magazine Patrimoine Mondial depuis iTunes, Prochain numéro 83 Amazon et Google Play. NIO MUN MO D RI Patrimoine Mondial exprime sa gratitude à T IA PA L • NDIAL • WORLD H Édouard Planche, spécialiste de programme à la MO E IT E R AG I N E O PATRIM Section du patrimoine mobilier et des musées, • Organisation Convention Division du patrimoine, UNESCO, pour sa des Nations Unies pour l’éducation, du patrimoine mondial contribution à la préparation de ce numéro. Éditions UNESCO la science et la culture
Dossier Le patrimoine mondial et le commerce illicite Le patrimoine mondial et le commerce illicite Ana Filipa Vrdoljak Professeur, Faculté de droit, Université de technologie de Sydney Le Parc Maloti-Drakensberg (Afrique du Sud/Lesotho) compte de nombreuses grottes et abris rocheux où l’on trouve le plus important et le plus dense groupe de peintures rupestres d’Afrique au sud du Sahara. Ces peintures représentent la vie spirituelle du peuple San, qui a vécu sur ces terres pendant plus de quatre millénaires. © OUR PLACE The World Heritage Collection 6 Patrimoine Mondial Nº87
I Dossier Le patrimoine mondial et le commerce illicite l y a deux siècles, les premiers apparaissent, et qu’il semble de plus en plus de 1970 concernant les mesures à prendre « grands touristes » s’embarquèrent urgent de les enrayer, il se forge une prise pour interdire et empêcher l’importation, à la découverte des sites antiques de conscience croissante de la nécessité l’exportation et le transfert de propriété de la Grèce et de Rome ou, pour les d’aligner les mécanismes du patrimoine illicites des biens culturels, ou la Convention plus intrépides, d’Afrique du Nord et mondial aux normes internationales d’UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels du Moyen-Orient. Ce voyage était considéré relatives aux droits de l’homme et aux volés ou illicitement exportés. Par ailleurs, par les classes moyennes comme partie autres conventions culturelles de l’UNESCO. il leur a demandé d’envisager d’adhérer à intégrante de leur éducation. Ces « grands la Convention de 1954 pour la protection touristes » ont été nombreux à rapporter des Le patrimoine mondial des biens culturels en cas de conflit armé souvenirs de leurs voyages. Ces souvenirs, et le trafic illicite du et à ses Protocoles, un instrument couvrant qui allaient d’œuvres antiques originales à patrimoine mobilier spécifiquement les conflits armés et des reproductions touristiques répondant à Depuis plus de deux décennies, le Comité l’occupation belligérante, lorsque les sites tous les goûts et tous les budgets, vinrent du patrimoine mondial a conscience sont particulièrement vulnérables à ce type enrichir les collections publiques et privées que l’inscription d’un site sur la Liste du de pertes. Le Conseil de sécurité des Nations de différents pays. Aujourd’hui, les classes patrimoine mondial « accroît souvent sa Unies a du reste condamné le commerce moyennes des économies en plein essor vulnérabilité » face au trafic illicite de biens illicite de biens culturels prélevés sur des sites de nombreux pays du monde contribuent culturels, en raison de « l’intensification du patrimoine mondial pendant les conflits à la croissance mondiale du tourisme. armés ainsi que l’utilisation des profits Les sites du patrimoine mondial (parmi réalisés pour financer des activités terroristes. lesquels figurent les sites archéologiques et Bien que de plus en plus d’États aient historiques visités il y a deux siècles) sont signé ces autres instruments liés à la culture particulièrement appréciés par les « grands au cours des dernières années, beaucoup touristes » contemporains. Comme leurs tardent encore à adopter la Convention prédécesseurs, ces derniers sont souvent du patrimoine mondial. Et s’il existe un désireux de rapporter des souvenirs de leurs chevauchement entre les États parties à la voyages, et leur appétit nourrit le commerce Convention du patrimoine mondial et ces illicite d’objets culturels et naturels. Non conventions spécialisées dans le patrimoine seulement cette perte culturelle a un impact mobilier, force est de constater que leur négatif sur les communautés locales des sites adoption est réduite dans les régions les plus du patrimoine mondial, mais elle réduit la vulnérables à cette perte culturelle en raison valeur universelle exceptionnelle même qui de conflits armés, d’un développement a justifié l’inscription du site en premier lieu. rapide ou d’autres facteurs perturbateurs. Les peuples autochtones et leurs cultures Le Comité a rappelé aux États parties à la sont particulièrement vulnérables face à Convention de 1972 la « nécessité d’une ces processus. Bien qu’il n’existe aucun vigilance constante vis-à-vis du marché pour audit exhaustif, on estime qu’au moins s’assurer que des biens provenant de sites la moitié des biens inscrits sur la Liste du du patrimoine mondial et ayant fait l’objet patrimoine mondial se situent sur les terres Chutes d’Havasu, Parc national du d’un trafic illicite ne sont pas échangés sur traditionnelles de peuples autochtones. Grand Canyon (États-Unis). leur territoire, contrairement à l’obligation © NPS photo by Erin Whittaker L’expérience de ces peuples montre que d’assistance mutuelle », conformément à le détournement et le commerce illicite l’article 6 (voir la Recommandation citée de la culture englobent un large éventail de la publicité, de l’accès, de la popularité plus haut). Les Orientations devant guider d’activités, et que ce phénomène s’aggrave et de la commercialisation » (voir la la mise en œuvre de la Convention du dès qu’un site est inscrit au patrimoine Recommandation concernant le trafic illicite patrimoine mondial de 1972 reconnaissent mondial. Ces activités comprennent non affectant les sites du patrimoine mondial, également que les obligations au titre seulement le trafic illicite d’objets culturels 1997, WHC-97/CONF. 208/17, Annexe VIII). de cette Convention concernent des (et de restes humains) réglementé par Le Comité a noté que ce problème « mesures préventives ». En outre, le la Convention de l’UNESCO de 1970, concernait aussi bien les sites éloignés que Comité du patrimoine mondial a noté que mais aussi l’utilisation non autorisée (et les sites facilement accessibles, les pays l’assistance mutuelle dans le cadre de la illégale) d’expressions traditionnelles développés et en développement, et qu’il Convention signifie que les États parties contraires à la loi sur les droits d’auteur, un peut alimenter un commerce déjà existant doivent identifier et restituer tout élément problème fréquent dans l’art touristique, ou créer de nouveaux marchés illicites. Le culturel commercialisé illégalement, « étant et l’utilisation non autorisée (et illégale) de Comité a demandé aux États parties à la donné que leur absence du site pillé a savoirs traditionnels et de plantes par des Convention du patrimoine mondial de signer une incidence directe sur la préservation laboratoires pharmaceutiques à des fins et d’appliquer des traités spécifiques afin de de l’ensemble du site et des valeurs qui commerciales. À mesure que ces menaces réglementer ce trafic, comme la Convention l’ont fait inscrire sur la Liste du patrimoine 8 Patrimoine Mondial Nº87
Dossier mondial » (WHC-97/CONF. 208/15, par. 11). La Convention de l’UNESCO de 1970, ses Règlements et les Orientations du Comité subsidiaire de la Convention, ainsi que le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale fournissent des indications sur la manière dont les États peuvent aider à identifier et à restituer les objets commercialisés illégalement, en provenance de sites protégés au titre de la Convention du patrimoine mondial. L’appel du Comité reflète également la prise de conscience croissante, dans le cadre des différentes structures pour la mise en œuvre des conventions culturelles de l’UNESCO, de percevoir le patrimoine culturel de manière plus large et plus holistique, et d’harmoniser leurs opérations. Cette tendance, très visible dans le cadre des obligations découlant de la Convention du patrimoine mondial, ne se limite pas aux aspects physiques et immobiliers des sites protégés, mais s’étend au patrimoine culturel mobilier et immatériel. Une tendance similaire se fait sentir, s’agissant de la Convention de l’UNESCO de 1970. Cette fécondation croisée, entre la protection de sites clés et l’élimination du trafic illicite de biens culturels, est particulièrement forte dans le cadre de biens du patrimoine mondial inscrits pour des raisons archéologiques, anthropologiques et ethnographiques. De nombreux sites protégés se situent sur les terres traditionnelles de peuples autochtones dont la culture matérielle a été pillée avant l’entrée en vigueur des conventions de l’UNESCO de 1970 et de 1972, et depuis l’application de ces dernières. Malheureusement, ces traités ne peuvent pas être appliqués de manière rétroactive. À titre indicatif, vers le milieu des années 2010, plusieurs masques sacrés et objets de cérémonie furent mis aux enchères à Paris, malgré les efforts déployés par des représentants du peuple Hopi pour en empêcher la vente. Ces objets avaient été volés aux Hopi et aux Navajo dont les terres traditionnelles englobent le Parc national du Grand Canyon, un site américain inscrit au patrimoine mondial. Comme on peut le comprendre, les peuples autochtones se sont opposés à l’appellation de « biens culturels » donnée à leurs vestiges ancestraux dans le cadre Moon Spirits Platter réalisé par Susie Silook. Les matériaux utilisés sont l’ivoire de morse et l’os de baleine. © Jimmie Froelich Patrimoine Mondial Nº87 9
Dossier Le patrimoine mondial et le commerce illicite Mossman Gorge géré par le peuple Kuku Yalanji, sur le site du patrimoine mondial des Tropiques humides de Queensland (Australie). © Ana Filipa Vrdoljak 10 Patrimoine Mondial Nº87
Dossier de la Convention de l’UNESCO de 1970. transparents et efficaces mis au point en De nombreuses boutiques proposant Leurs efforts pour protéger et obtenir la concertation avec les peuples autochtones des objets d’art et d’artisanat soi-disant restitution de leurs terres, de leurs vestiges concernés », conformément à la Déclaration aborigènes et insulaires du détroit de Torres ancestraux et de leurs objets culturels se sur les droits des peuples autochtones. La en Australie, notamment dans les grands fondent plutôt sur les droits de l’homme politique de l’UNESCO sur l’Engagement centres touristiques, vendent en réalité et, plus particulièrement, sur la Déclaration auprès des peuples autochtones a également des contrefaçons illégales qui ne sont pas des Nations Unies de 2007 sur les droits réaffirmé que les États doivent faciliter le fabriquées par les peuples autochtones. des peuples autochtones. Cette position a dialogue entre les peuples autochtones et Ce type de détournement a un impact un effet expansif sur l’interprétation et la les musées autour de la gestion et de la négatif sur les droits culturels, sociaux et mise en œuvre des conventions culturelles restitution du patrimoine au moyen de lois économiques des peuples autochtones, existantes. Par exemple, les revendications et de politiques. comme le reconnaissent la Déclaration des peuples autochtones conduisent à une sur les droits des peuples autochtones et compréhension plus large de l’obligation de la campagne actuelle des représentants faciliter le « retour » des vestiges ancestraux autochtones visant à ce que l’Organisation et des objets culturels (même au sein des mondiale de la propriété intellectuelle États), qui renforcent les critères justifiant adopte un instrument spécialisé pour l’inscription des sites au patrimoine mondial. assurer la protection des savoirs En novembre 2017, les restes de 105 ancêtres, traditionnels et des expressions culturelles. dont l’homme de Mungo, ont été restitués Les peuples autochtones se battent aux peuples Mutthi Mutthi, Barkandji et constamment pour que ce type de vol Ngiyampaa qui constituent les propriétaires soit porté devant les tribunaux australiens traditionnels des terres où furent prélevés ces au même titre que les affaires de droits derniers par des archéologues au début des de propriété intellectuelle. Dans un cas de années 70, avant que l’Australie ne signe ces 1994, quatre artistes des terres centrales traités. Le retour de ces vestiges ancestraux d’Arnhem (où se situe le Parc national de marqua l’aboutissement d’une demande de Kakadu, inscrit au patrimoine mondial) et rapatriement s’étalant sur quatre décennies. trois artistes du centre de l’Australie (où se Jusqu’en 2015, ces vestiges étaient sous la situe le parc national d’Uluru-Kata Tjuta) garde de l’Université nationale australienne, ont intenté avec succès un procès contre la avant d’être finalement transférés, à la reproduction non autorisée de leurs œuvres demande de leurs gardiens traditionnels, au sur des tapis produits au Viet Nam et Musée national de l’Australie, en attendant Éléphant indien au parc national de importés en Australie pour être mis en vente. leur rapatriement dans leurs terres d’origine. Kaeng Krachan (Thaïlande). (Milpurrurru and Ors v. Indofurn Pty Ltd and © Thai National Parks / www.thainationalparks.com/kaeng-krachan-national-park Les chants des peuples autochtones évoquent Ors, 1994, FCA 975.). Deux décennies plus leur rôle de dépositaires de ces terres, et tard, le gouvernement fédéral australien constituent l’une des plus anciennes cultures Le patrimoine mondial et a mené une autre enquête sur ce marché vivantes. Les vestiges de l’homme de Mungo l’appropriation illicite du illicite lucratif en pleine expansion qui ont près de 42 000 ans. Le site original de patrimoine immatériel exploite les œuvres d’artistes autochtones la femme de Mungo témoigne, quant à lui, L’exploitation illicite du patrimoine et de leurs communautés. de la plus ancienne crémation cérémoniale des peuples autochtones dont les terres La situation du peuple San de la région au monde. Des marques de couleur ocre englobent les sites du patrimoine mondial du Kalahari, dont les terres traditionnelles ont également été découverts sur l’homme s’étend au patrimoine immatériel, ainsi font partie du parc Maloti-Drakensberg de Mungo. Cette « preuve » archéologique qu’aux savoirs traditionnels et aux inscrit au patrimoine mondial (Afrique du trouvée sur le site du lac Mungo a contribué expressions culturelles inextricablement Sud), met en lumière une autre variante à l’inscription de la région des lacs Willandra liés à la terre, à la flore, à la faune et aux de l’appropriation illicite du patrimoine, sur la Liste du patrimoine mondial en 1981. objets culturels. Bien que la Convention en particulier des savoirs traditionnels. Les Après de nombreuses années de lobbying du patrimoine mondial ne protège pas San utilisent traditionnellement la Hoodia, par des représentants autochtones et des spécifiquement le patrimoine immatériel, une plante succulente, pour couper la faim mécanismes spécialisés des Nations Unies, le les Orientations devant guider sa mise et la soif. Or les ingrédients actifs de cette Conseil exécutif de l’UNESCO a reconnu, fin en œuvre font néanmoins référence à la plante ont été brevetés par le Conseil pour 2017, « le droit [des peuples autochtones] dimension immatérielle du patrimoine, et la recherche scientifique et industrielle de au rapatriement de leurs restes humains », citent la Convention pour la sauvegarde l’Afrique du Sud sans le consentement stipulant que « les États doivent chercher à du patrimoine culturel immatériel de 2003 des San ni aucun accord de partage des permettre l’accès aux objets de culte et aux ainsi que la Convention sur la protection et profits. Ce brevet a ensuite été concédé à restes humains en leur possession et / ou leur la promotion de la diversité des expressions une société britannique de biotechnologie, rapatriement, par des mécanismes justes, culturelles de 2005. Phytopharm, qui l’a octroyé en sous licence Patrimoine Mondial Nº87 11
Dossier Le patrimoine mondial et le commerce illicite à Pfizer pour 21 millions de dollars des États- du peuple karen sur le site, et demandé à Unis. Un accord de partage des profits a été l’État partie d’assurer les droits de ce peuple conclu entre le CSIR et les San, en 2003. au moyen d’une participation effective, et de Le cadre de la Convention pour la diversité ne pas autoriser leur expulsion du site. biologique (CDB) a adopté des codes Les efforts visant à endiguer le commerce éthiques et des directives volontaires sur le illicite d’espèces menacées d’extinction consentement libre, préalable et éclairé, le peuvent avoir des effets négatifs très partage des profits et le rapatriement des importants sur la vie et les moyens de savoirs traditionnels autochtones. L’UNESCO subsistance des populations autochtones. et le Secrétariat de la CDB coordonnent leurs Les mesures prises par les États parties pour efforts depuis 2010, notamment dans le se conformer à l’interdiction du commerce de cadre des sites du patrimoine mondial. l’ivoire de la CITES ont notamment paralysé l’utilisation, la possession et le commerce Le patrimoine mondial et le des morses et de l’ivoire de mammouth commerce illicite des espèces obtenus sur les terres traditionnelles du cercle menacées d’extinction polaire Arctique. Certains sites du patrimoine Les facteurs qui intensifient le commerce mondial tels que le Kujataa au Groenland des objets culturels sur les sites du patrimoine (Danemark), le Système naturel de la Réserve mondial menacent également des sites inscrits de l’île Wrangel (Fédération de Russie) et le pour la richesse de leur patrimoine naturel. Plateau de Putorana (Fédération de Russie), Sans surprise, on constate que la Convention situés dans cette région, reconnaissent ce lien du patrimoine mondial et la Convention selon divers degrés dans leurs inscriptions. sur le commerce international des espèces En réponse à l’interdiction de la CITES, de faune et de flore sauvages menacées le Dr. Dalee Sambo Dorough et d’autres d’extinction (CITES) de 1974 partagent des personnes ont appelé à la reconnaissance objectifs et des États parties communs. Un des « dimensions économiques complexes de La chasse au morse pour son ivoire est site protégé peut ainsi être placé sur la Liste l’utilisation, de la vente et du fonctionnement un élément intégral de l’économie de du patrimoine mondial en péril s’il y a eu « un de l’ivoire nouveau et ancien et d’autres sous- Kujataa au Groenland (Danemark). © Visit Greenland déclin sérieux dans la population des espèces produits provenant de mammifères marins en danger ou des autres espèces d’une diversifiés et directement liés à l’intégrité et valeur universelle exceptionnelle pour la à la durabilité générales des communautés protection desquelles le bien concerné a été autochtones d’Arctique » et à leur mode de juridiquement établi » (voir la note précitée #, vie. Elle soutient que l’interdiction doit être p. 50 des Orientations devant guider la mise modifiée pour permettre aux peuples Inuit en œuvre de la Convention du patrimoine d’utiliser et de commercialiser ces matériaux mondial). En 1986, le Comité du patrimoine dans la région circumpolaire Arctique de mondial a contacté le Secrétariat de la CITES façon cohérente avec la Déclaration sur les afin « d’explorer les moyens d’utiliser les droits des peuples autochtones. deux conventions pour atténuer » le trafic La priorité accordée à la conservation et illicite de défenses d’éléphants et de cornes à la réglementation du commerce illicite de rhinocéros dans le parc national de Selous d’espèces menacées de disparition sur les (Tanzanie) et les réserves de Mana Pools, droits des peuples autochtones se manifeste Sapi et Chewore (Zimbabwe) (voir le Rapport plus particulièrement à travers l’expulsion du Rapporteur, CC-86/CONF.003/10,1986, des communautés vivant sur leurs terres par. 18 et 19). Aujourd’hui, le parc national traditionnelles devenues réserves nationales de Selous figure sur la Liste du patrimoine ou inscrites sur la Liste du patrimoine mondial en péril en raison du commerce mondial. La Commission africaine a, par illicite de l’ivoire de ces espèces menacées exemple, constaté que l’expulsion par le d’extinction. Le braconnage des éléphants est Kenya du peuple Endorois de leurs terres aussi un problème majeur pour le Complexe traditionnelles dans le but de créer une forestier de Kaeng Krachan, un site proposé réserve de gibier rattachée au Réseau pour inscription sur la Liste du patrimoine des lacs du Kenya dans la vallée du Grand mondial par la Thaïlande. Toutefois, le Rift, inscrit au patrimoine mondial, viole la Comité du patrimoine mondial a noté que Charte africaine des droits de l’homme et le Haut-Commissaire des Nations Unies aux des peuples. (Centre pour le développement Une femme est assise à la porte de sa maison droits de l’homme avait souligné la situation des droits des minorités et groupe des en terre à Tombouctou, au nord du Mali. © MINUSMA/Marco Dormino 12 Patrimoine Mondial Nº87
Dossier droits des minorités, au nom du Conseil particulièrement les mécanismes spécialisés pour le bien-être des Endorois vs. Kenya, des Nations Unies pour les peuples comm. n° 276/03, ACPHR, décision du autochtones, ont également souligné 25 novembre 2009.) Dans un cas similaire, la l’importance d’une participation effective Cour interaméricaine des droits de l’homme des peuples autochtones dans la création, la a déclaré en 2016 que le fait que le Suriname gestion et la surveillance des sites protégés, n’ait pas accordé un accès aux peuples y compris les biens du patrimoine mondial. Kaliña et Lokono à leurs terres traditionnelles Cette position est également reflétée dans devenues réserves naturelles et aux la politique de l’UNESCO sur l’engagement ressources naturelles connexes, et que son auprès des peuples autochtones et dans les refus de permettre à ces derniers de gérer les Orientations devant guider la mise en œuvre réserves, étaient contraires à la Convention de la Convention du patrimoine mondial. américaine des droits de l’homme, ainsi Depuis des décennies, les peuples qu’à ses obligations dans le cadre de la autochtones dont les terres traditionnelles Convention du patrimoine mondial et de la font partie du périmètre de biens inscrits Convention sur la diversité biologique. La sur la Liste du patrimoine mondial ou sur Cour a observé que « les droits des peuples la Liste du patrimoine mondial en péril autochtones et les lois internationales sur demandent au Comité du patrimoine l’environnement doivent être perçus comme mondial (Rapport sur le projet de conseil des droits complémentaires, plutôt que d’experts des peuples autochtones sur le d’exclusion. » (Peuples Kaliña et Lokono patrimoine mondial, WHC-2001/CONF.205/ Peoples vs. Suriname, mérites, réparations WEB.3, 2001) ou par l’intermédiaire des et coûts, inter-Am. Ct. H.R., ser. C, n° 309, mécanismes spécialisés des Nations Unies 25 novembre 2015, par. 173, 176-178.). La d’empêcher d’endommager ou de détruire politique de l’UNESCO de 2017 ne soutient leur patrimoine culturel et de faciliter leur pas l’expulsion des peuples autochtones de restitution (document final Alta, A/HRC/ leurs terres dans le cadre des programmes EMRIP/2013/CRP.2, 2013, par. 28). Leur de conservation. campagne pour une participation effective des communautés locales dans le processus La participation des de proposition d’inscription et de gestion peuples autochtones et des sites du patrimoine mondial s’inscrit le patrimoine mondial dans le consensus prévalant de plus en plus La Cour pénale internationale a parmi les différents tribunaux internationaux récemment reconnu l’importance cruciale et régionaux, et les organes multilatéraux. que revêtent les sites du patrimoine mondial En 2017, le Comité du patrimoine mondial a en matière de droits culturels, sociaux et réaffirmé qu’il réexaminerait la proposition économiques des communautés locales. Elle visant à créer un Forum international des a constaté que la réparation des préjudices peuples autochtones sur le patrimoine subis par la communauté locale du site du mondial pour aller dans cette voie patrimoine mondial de Tombouctou lors (Décision 41 COM 7, 2017, par. 41). Cet des attaques perpétrées par des militants aspect est un point nécessaire pour garantir « inclut également le préjudice plus large les droits fondamentaux des peuples subi par les Maliens et la communauté autochtones, et joue un rôle déterminant internationale dans son ensemble. » La Cour pour mettre fin à l’appropriation, à a ainsi confirmé l’opinion d’experts selon l’utilisation et au commerce illicites du laquelle « au final, la population locale est patrimoine culturel sous toutes ses formes, la mieux placée pour préserver le patrimoine qui diminuent la diversité biologique et en question, et par conséquent, les mesures culturelle de nombreux sites, et donc leur de réparation devraient plus judicieusement valeur universelle exceptionnelle. viser à renforcer leurs capacités dans ce domaine » (le Procureur vs Ahmad Al Faqi Al (L’auteur remercie Dalee Sambo Dorough, Mahdi, ordonnance de réparation, chambre Phil Gordon, Stefan Disko, Édouard Planche, de première instance de la Cour pénale Benjamin Omer, Melina Macdonald, Ghaliya internationale, VIII, ICC-01/12-01/15, 17 août Al-lamki et Valentina Vadi pour leurs 2017, par. 54 et 55). Les organes des Nations contributions et leur assistance. L’auteur Unies pour les droits de l’homme, et plus assume la responsabilité de toute erreur.) Patrimoine Mondial Nº87 13
Protéger l’avenir de notre passé : PUBLIREPORTAGE le projet archéologique du Qatar-Soudan Les objectifs de ce projet international Le projet archéologique du Qatar-Soudan a vu le jour en 2012 afin d’amorcer une collaboration entre la Corporation nationale des antiquités et des musées du Soudan (NCAM) et son homologue qatari, les muséums du Qatar. Ce projet était initialement conçu pour explorer les richesses du patrimoine ancien du Soudan, mais il s’est rapidement avéré que les antiquités de Soudan-Nubie nécessitaient une attention urgente d’une ampleur complètement différente. Le projet a par conséquent été reformulé sous la forme d’un projet international au paradigme audacieux et transformatif permettant de prendre en charge les ressources culturelles de la Nubie soudanaise et d’inclure pratiquement tous les sites antiques clés qui bordent le Nil au nord de Khartoum afin de consolider et de préserver ces sites en appliquant des normes modernes et de bonnes pratiques au développement et à la présentation du patrimoine soudanais. Une coopération internationale La présentation de ce concept à la communauté des archéologues du Moyen-Nil fut accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Le projet archéologique du Qatar-Soudan réunit actuellement 42 missions scientifiques issues de 25 institutions dans onze pays. Le financement accordé à ce projet par le Musée du Qatar constitue quant à lui l’initiative la plus vaste et la plus ciblée lancée par une institution à l’échelle mondiale depuis la Campagne internationale pour la Nubie de l’UNESCO (1960-80) en faveur de l’exploration et de la protection de la culture et de l’histoire d’une autre nation. Conservation à Musawwarat Pyramides de Méroé
Les réussites du projet archéologique du Qatar-Soudan Depuis 2013, le projet archéologique du Qatar-Soudan a attribué des projets de 5 à 7 ans à des équipes spécialisées dans divers sujets, comme la prospection archéologique de paysages jusqu’alors inexplorés ou la fouille et la conservation de sites antiques. L’une des conditions d’admission de ses missions prospectives est la création de plans de gestion des sites lorsque ceux-ci étaient auparavant inexistants, ou leur mise en œuvre lorsque ceci n’avait pas été fait. Dans ce contexte, il a donné lieu à la construction de plus d’une douzaine de nouveaux centres pour visiteurs et points d’information, ainsi qu’à la rénovation et à la réhabilitation de musées plus anciens. Le projet archéologique du Qatar-Soudan a, par exemple, élaboré, conformément aux normes de l’UNESCO, un plan de tourisme durable pour les Sites archéologiques de l’île de Méroé et Gebel Barkal et les sites de la région napatéenne, deux biens inscrits au patrimoine mondial, et construit, à l’extérieur de leurs zones tampons, de généreuses infrastructures touristiques. Ces « villages Nouvel abri des bains royaux, Méroé touristiques » initialement construits pour loger et offrir des locaux de travail aux missions du projet archéologique du Qatar-Soudan œuvrant dans les sites voisins, seront un atout pour l’État du Soudan et serviront bientôt à accueillir des touristes culturels visitant la région. Ils pourront également être utilisés pour former des étudiants soudanais dans le domaine de l’archéologie de terrain et de la conservation fondamentale ou dispenser des cours de formation aux guides touristiques soudanais. Connaissances et éducation Les travaux de recherche des diverses missions du projet archéologique du Qatar-Soudan ont considérablement enrichi nos connaissances et permis d’accélérer la reconstruction des anciennes civilisations et cultures du Soudan. Au cours de leurs premières années de travail, les missions ont présenté une nouvelle vision de l’histoire du Soudan couvrant plus de 350 000 ans et jeté un nouveau regard sur la préhistoire du pays, ses liens anciens avec l’Afrique intérieure, l’Égypte et la Méditerranée, ainsi que sur la formation des premiers empires Nubiens de Napata et Kush (3000 av. J.-C.-500 apr. J.-C.), jusqu’aux époques médiévales chrétiennes et islamiques. Toutes ces activités ont donné lieu à la publication de travaux de recherches, à la numérisation Archéologie expérimentale à la Fonderie de fer de Méroé. et au catalogage de documents d’archives jusqu’alors inaccessibles pour les érudits du Soudan et Les écoliers locaux découvrent le processus les universités étrangères tout en fournissant des informations utiles à un public non académique. Une autre priorité du projet archéologique du Qatar-Sudan comprend la création de programmes éducatifs pour les écoliers soudanais et le développement des capacités des étudiants universitaires et des guides professionnels. Ce qu’apporte le projet archéologique du Qatar-Soudan L’accélération des travaux de recherche et le renforcement de la protection du patrimoine soudanais constituent un objectif clé du projet. Grâce à son soutien, les missions nationales et étrangères ont désormais la possibilité de travailler sur place durant des périodes beaucoup plus longues et de revenir deux fois par an au Soudan. Elles peuvent également recruter des experts supplémentaires pour leurs équipes et entreprendre des interventions habituellement onéreuses et chronophages comme la conservation de bâtiments et d’objets ou la réalisation d’essais en laboratoire à une échelle beaucoup plus large que leur budget ne leur permettrait de le faire. Si l’accélération du Intérieur du centre des visiteurs à Méroé travail de recherche n’est pas forcément un aspect essentiel en soi, elle permet toutefois de protéger beaucoup plus vite les monuments de la dégradation naturelle et de la destruction par l’homme (pillage de sites, empiètement illégal par les secteurs du logement, des infrastructures et de l’agriculture). Qatar Museums Le modèle du projet archéologique du Qatar-Soudan QM Tower Le rôle de catalyseur du projet archéologique du Qatar-Soudan permet au secteur du patrimoine P.O Box 2777 de stimuler une expertise fragmentée à travers des efforts cohérents et soutenus pour profiter Doha - State Of Qatar www.qm.org.qa/en au patrimoine du Soudan dans son ensemble. Son soutien facilite le processus de création, de développement et d’application de stratégies régionales pour la gestion du patrimoine ainsi que l’inclusion proactive des communautés établies à proximité de sites archéologiques afin que celles- ci bénéficient économiquement du tourisme culturel. Bien que ce projet ne soit pas terminé, il est déjà clair qu’il a un impact très positif sur l’état de conservation des antiquités du Soudan. À une époque où de grandes institutions comme l’UNESCO ont des difficultés à lancer des projets de conservation archéologique de grande échelle, des initiatives comme le projet archéologique du Qatar-Soudan pourrait servir de modèle pour un nouveau type de coopération internationale et fournir une plate-forme utile pour faire progresser le Qatar-Sudan Archaeological Project Nubian Archaeological Development Organization programme de l’UNESCO pour la préservation du patrimoine culturel à travers le monde. www.qsap.org.qa/en/
Dossier Cambodge : la restitution des biens de Koh Ker Cambodge La restitution des biens de Koh Ker Vireak Kong Directeur du Musée national du Cambodge Koh Ker est un site archéologique éloigné dans le nord du Cambodge à environ 120 km de Siem Reap et du site ancien d’Angkor. © Aaron Fellmeth Photography 16 Patrimoine Mondial Nº87
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Dossier Cambodge : la restitution des biens de Koh Ker L Le complexe de Banteay Chhmar a subi de graves pillages. © Ioreth_ni_Balor a guerre civile qui a déchiré le Entre 2013 et 2016, sept statues de Koh À la recherche des Cambodge pendant trente ans Ker furent restituées au Cambodge. Le site statues disparues a laissé des traces profondes de Koh Ker revêt une grande importance En 2007, le projet de conservation dans tout le pays. Ces dans le patrimoine religieux, historique et allemand Apsara envoya une équipe à événements tragiques ont non artistique du Cambodge. Sous le règne Koh Ker, afin d’enquêter sur la découverte seulement traumatisé les populations, mais des rois Jayavarman IV et Harshavarman II de deux socles uniquement surmontés ils ont également gravement endommagé le (928-944 apr. J.-C.), la cité que l’on appelle de pieds. Simon Warrack, un restaurateur patrimoine culturel cambodgien. Comme le aujourd’hui Koh Ker fut la capitale éphémère de la pierre, effectua des recherches afin site d’Angkor inscrit au patrimoine mondial, de l’empire khmer. Cet important complexe d’identifier les statues qui étaient jadis plusieurs grands temples et monuments de monuments sacrés comprend des posées sur ces socles. Il parvint à localiser historiques tels que Banteay Chhmar, Koh temples, des sanctuaires et des tours. Jusqu’à l’une d’entre elles grâce à une photographie Ker, et Preah Khan à Kampong Svay ont récemment, le site n’était pas une destination trouvée dans le livre d’Emma Bunker et été cruellement pillés. Depuis les années touristique en raison de son éloignement Douglas Latchford The Adoration and the 1990, un certain nombre d’objets culturels et de son accès difficile. Aujourd’hui, il fait Glory, the Golden Age of Khmer Art [Gloire ont toutefois été restitués au royaume. Ces partie des biens figurant sur la liste indicative et adoration : l’Âge d’or de l’art khmer]. La derniers comprennent quelques-uns des présentée au Comité du patrimoine mondial statue qui semblait correspondre au socle 100 artefacts volés sur le site d’Angkor, ainsi par le Gouvernement royal du Cambodge, était connue sous le nom de « Dvārapāla » que d’autres provenant des sites de Banteay en raison de son architecture, de sa valeur (le gardien du temple), et était exposée au Chhmar et Koh Ker. historique et de ses œuvres d’art uniques. Norton Simon Museum of Art, aux États- 18 Patrimoine Mondial Nº87
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