Médecine personnalisée et pharmacogénomique - AWS

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Médecine personnalisée et pharmacogénomique - AWS
Illustration : Marcel La Haye

                               Médecine
     personnalisée et pharmacogénomique
                                                              une révolution à nos portes
                                                                                        Emmanuèle Garnier
Actuellement,chez une personne sur deux,les médicaments prescrits ne fonctionnent pas.Cette situation
va bientôt changer grâce à la médecine personnalisée,la médecine du XXIe siècle.
   Dans les laboratoires des quatre coins du monde, une      dicament. Souvent, la boule atteignait sa cible : le trai-
révolution se prépare. Bientôt, les médecins ne prescri-     tement fonctionnait. Mais, parfois, le projectile était dé-
ront plus de la même manière. Déjà, les sociétés pharma-     vié et la thérapie se révélait inefficace ou produisait des
ceutiques ne font plus de la recherche de la même façon,     réactions indésirables. On ignorait cependant à quels
et sous peu bien des patients seront soignés différemment.   obstacles s’était butée la molécule, dans quel tournant
   Cette révolution qui couve a un nom : la médecine         elle avait dérapé, dans quel trou elle était tombée.
personnalisée. Elle reposera entre autres sur la pharma-        Maintenant, grâce aux gènes et aux protéines qu’ils
cogénomique, une science qui permet d’utiliser l’infor-      permettent de fabriquer, on commence à connaître les
mation génétique pour prédire en partie la réaction d’un     méandres biochimiques de l’organisme. On peut ainsi
patient à un médicament. « Ce sera un peu comme la           savoir si le patient a le gène produisant l’enzyme qui ac-
révolution industrielle ou le bouleversement entraîné        tive le médicament ou qui l’élimine. De manière plus
par l’apparition des ordinateurs », prédit le Pr Michael     globale, on peut prévoir certains problèmes d’absorp-
Phillips, directeur du Centre de pharmacogénomique           tion, de répartition, de métabolisme et d’excrétion des
de l’Université de Montréal et directeur de la section de    produits pharmaceutiques.
pharmacogénomique de Génome Québec.
   Jusqu’à présent, le corps pouvait être comparé à une
                                                             Les secrets des gènes
boîte noire dans laquelle on lançait une molécule, le mé-      « Les médecins ne sont pas formés pour cette nouvelle
                                                                  Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 12, décembre 2007   77
médecine. En ce moment, la prescription de médicaments           moyenne. Cependant, sur une base individuelle, la plu-
                                                          se fait par essais et erreurs. Les cliniciens ne cherchent       part des gens ne sont pas dans la moyenne. Ils reçoi-
                                                                           pas nécessairement à comprendre les mé-         vent donc une dose trop forte ou trop faible », précise
                                                                           canismes en jeu, mais les tests de phar-        de son côté le Pr Phillips.
                                                                           macogénomique vont les y aider », pré-             Certains centres utilisent déjà des tests génétiques. « La
     Photo : Institut de Cardiologie de Montréal

                                                                           voit le Pr Phillips dont la mission est entre   pharmacogénomique fonctionne et peut être utilisée
                                                                           autres d’offrir aux cliniciens et aux pa-       aujourd’hui », annonçait l’an dernier M. Felix Frueh,
                                                                           tients québécois les analyses de médecine       directeur adjoint du Bureau de la génomique à la Food
                                                                           personnalisée conçues en laboratoire.           and Drug Administration (FDA), aux États-Unis, au
                                                                              La pharmacogénomique apportera               cours du congrès organisé par Génome Québec. L’ex-
                                                                           certaines informations cruciales pour les       pert donnait l’exemple d’un homme de 41 ans victime
                                                                           praticiens. Par exemple, la codéine sou-        d’un trouble cardiaque qui est arrivé au centre médi-
                                                                           lagera-t-elle ce patient ? Une partie de la     cal de l’Université de Washington, à Saint-Louis. Dans
                                                                           réponse est dans le gène CYP 2D6 du             son cas, un anticoagulant, de la
                                                   Pr Michael Phillips
                                                                           malade. Pour agir, le médicament doit           warfarine, était indiqué. Heu-
                                                          être transformé en morphine. C’est l’enzyme issue du             reusement pour lui, avant de le
                                                          gène CYP 2D6 qui s’en charge. Mais de 5 % à 10 % des             lui administrer, le médecin a pris
                                                          gens possèdent une variante génétique qui engendre               la précaution de lui faire passer
                                                          une enzyme inactive. La codéine n’est alors pas trans-           un test de pharmacogénomique

                                                                                                                                                                                               Photo : Emmanuèlel Garnier
                                                          mutée en morphine, et le patient continue à souffrir.            dans le cadre d’une recherche.
                                                          Le sort du quart des médicaments dépend en partie de             « Il s’est avéré qu’à cause d’une
                                                          ce gène CYP 2D6.                                                 variante génétique, le patient
                                                             Dans d’autres cas, comme dans celui du Camptosar,             avait besoin d’une dose beau-
                                                          utilisé dans le traitement du cancer colorectal, le médi-        coup plus faible que la dose ha-
                                                          cament doit être éliminé par une enzyme produite à par-          bituelle », a expliqué M. Frueh.
                                                                                                                                                                       M. Felix Frueh
                                                          tir du gène UGT 1A1. Cependant, chez environ 10 % de             Sans le génotypage, le malade
                                                          la population, la protéine fabriquée est peu efficace. Le        aurait donc reçu une trop grande quantité de warfa-
                                                          Camptosar s’accumule alors dans le sang et de graves ef-         rine et été exposé à un risque d’hémorragie.
                                                          fets secondaires peuvent apparaître.
                                                             Peut-on utiliser l’Herceptin pour traiter cette patiente
                                                                                                                           Ceque les gènes ne disent pas
                                                          atteinte d’un cancer du sein ? Pour certains médica-                La médecine sur mesure arrive à grands pas. Mais
                                                          ments, la réponse n’est pas dans les gènes ni les protéines      pour l’instant aucun cabinet de médecin ne dispose de
                                                          du malade, mais dans ceux de sa tumeur. Si la masse              tests de pharmacogénomique, l’une des composantes
                                                          cancéreuse produit de nombreuses protéines HER-2                 de cette nouvelle approche. Avant d’offrir ces analyses
                                                                           auxquelles peut se lier le médicament, le       à grande échelle, il reste des inconnues à résoudre. Par
                                                                           taux de succès de l’Herceptin est de 50 %.      exemple, quelle importance accorder aux gènes qui ne
                                                                           Autrement, il tombe à 10 %.                     sont, en fait, responsables que d’une partie de l’effet
                                                                              La médecine individualisée permet-           d’un médicament ?
     Photo : Production multimédia CHUM

                                                                           tra au bon patient d’avoir le bon médi-            Dans le cas de la warfarine, les deux principaux gènes
                                                                           cament. Ce qui est loin d’être le cas ac-       concernés, le CYP 2C9 et le VKORC1, ne jouent souvent
                                                                           tuellement. « Les médicaments ne sont           pas le premier rôle. Même associés à des facteurs comme
                                                                           efficaces, en moyenne, que chez la moi-         l’âge, la taille, le poids et le sexe, ils ne prédisent qu’à 55 %
                                                                           tié des gens, ce qui signifie qu’une fois sur   les différents besoins en warfarine.
                                                                           deux nous prescrivons un produit qui ne            « Chez un sujet en bonne santé qui ne prend pas
                                                                           fonctionnera pas », révèle le Dr Pavel          d’autres médicaments que la warfarine, le gène décrit
                                                                           Hamet, titulaire de la Chaire de recherche      exactement ce qui va arriver lors de la prise de l’anti-
                                                    Dr Pavel Hamet
                                                                           du Canada en génomique prédictive à             coagulant. Mais cela ne fonctionne que lorsque d’autres
                                                          l’Université de Montréal. La posologie, en outre, est            facteurs n’interviennent pas, explique le Pr Jacques
                                                          souvent inadéquate. « La dose prescrite repose sur une           Turgeon, directeur de l’équipe de pharmacogéno-
78                                                 Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 12, décembre 2007
mique du Centre de recherche du Centre hospitalier              ments contre le diabète (tels que le Diabeta) et les anti-
                                     de l’Université de Montréal (CHUM) et professeur à              histaminiques. En médecine spécialisée, le chercheur
                                                                 l’Université de Montréal. Si le     peut effectuer des analyses entre autres pour des anti-

                                                                                                                                                                           Reportage
                                                                 patient est âgé, obèse, prend       arythmiques et des antipsychotiques.
                                                                 d’autres médicaments ou de la          Quelques hôpitaux commencent à peine à utiliser
                                                                 nourriture riche en vitamine K,     des tests pour individualiser des thérapies. Comme
Photo : Production multimédia CHUM

                                                                 tout change. Dans la vraie vie,     dans le cas de l’Herceptin contre le cancer du sein. Du
                                                                 les patients traités par un anti-   côté pédiatrique, la Dre Maja Krajinovic,
                                                                 coagulant peuvent consommer         directrice du Laboratoire de pharmaco-
                                                                 une dizaine d’autres médica-        génétique du Centre de recherche du
                                                                 ments. Dans ce cas, les gènes       CHU Sainte-Justine, effectue à l’occasion
                                                                 n’expliquent au maximum que         des tests pour compléter des données cli-
                                                                 9 % de l’effet de la warfarine. »   niques concernant les médicaments. Ces
                                                                    Le Pr Turgeon est en train de    analyses pourraient être davantage em-
                                         Pr Jacques Turgeon
                                                                 mettre au point une formule         ployées. « Bien des tests de pharmaco-
                                     pour déterminer la dose adéquate de warfarine de ma-            génétique déjà approuvés par la FDA
                                     nière plus efficace que la méthode habituelle d’essais et       peuvent être utilisés. Nous avons éga-
                                     d’erreurs. Il utilise un algorithme qui comprend non seu-       lement mis au point d’autres analyses
                                     lement des tests génétiques, mais aussi d’autres facteurs       qui pourraient probablement être em-           Dre Maja Krajinovic
                                     comme l’âge, le poids et surtout les résultats de tests san-    ployées en clinique. C’est à nous main-
                                     guins. Plus de 50 % de l’effet qu’aura le médicament peut       tenant de nous organiser pour voir comment tous ces
                                     être prédit soit par la concentration de la warfarine dans      tests pourraient être utilisés de façon plus régulière »,
                                     le sang après six heures, soit par la vitesse de coagulation    indique-t-elle.
                                     au quatrième jour, a découvert le chercheur, sur le point          Le mouvement avance ainsi inexorablement. Aux
                                     de publier ses résultats.                                       États-Unis, environ 10 % des médicaments homolo-
                                                                                                     gués par la Food and Drug Administration compor-
                                     La médecine individualisée au Québec                            tent déjà des données de pharmacogénomique. Les in-
                                        Au Québec, certains cliniciens commencent déjà à re-         dications peuvent mentionner qu’un test est nécessaire,
                                     courir à des analyses de pharmacogénomique pour des             comme dans le cas de l’Herceptin, simplement recom-
                                     cas particuliers. Le Pr Turgeon répond à deux ou trois          mandé ou encore donné à titre informatif.
                                     demandes par mois. « On emploie ces tests pour des pa-
                                     tients chez qui il est difficile de trouver la bonne dose de
                                                                                                     Internet à l’heure de la pharmacogénomique
                                     médicament. On ne voit pas de facteur explicatif et l’on           Internet vit déjà à l’ère de la pharmacogénomique.
                                     veut comprendre ce qui se passe. L’absence d’un gène            On peut y commander des tests depuis plusieurs an-
                                     important peut être la réponse que l’on cherche. »              nées. Le site Web de la société Genelex, de Seattle, en fait
                                        L’équipe du Pr Turgeon fait régulièrement des analyses       miroiter les avantages aux médecins : « Vous pouvez
                                     génétiques liées aux antidépresseurs. Par exemple, un           maintenant faire en sorte que les soins que vous prodi-
                                     médecin a prescrit un premier médicament à son pa-              guez à vos patients soient plus sûrs et plus efficaces en
                                     tient, mais celui-ci a eu une réaction paradoxale : surex-      commandant leur profil génétique pour les réactions
                                     citation, réaction de toxicité, dépression profonde ou ré-      médicamenteuses. » Chaque test coûte 250 dollars amé-
                                     actions inhabituelles. Le clinicien essaie un deuxième,         ricains. Pour obtenir les résultats en cinq jours, il faut
                                     puis un troisième antidépresseur. Mêmes résultats. « Ce         ajouter 100 dollars de plus. « Le processus ne peut être
                                     sont des cas où l’on trouve souvent une mutation géné-          plus simple. Vous faites un prélèvement à l’aide de la
                                     tique. On peut alors expliquer au médecin comment               trousse d’écouvillons buccaux que nous vous fournis-
                                     fixer la dose du médicament. »                                  sons, puis vous renvoyez l’échantillon, port payé, à notre
                                        Dans son laboratoire de recherche, le Pr Turgeon dis-        laboratoire. » Genelex propose des tests entre autres
                                     pose de plusieurs tests pour des médicaments utilisés           pour les antidépresseurs, les opioïdes, les bêtabloquants,
                                     en médecine générale : les antidépresseurs (comme le            certains antiarythmiques et la warfarine.
                                     Prozac et le Paxil), certains bêtabloquants, les médica-           Si un patient estime que son médecin n’est pas assez
                                                                                                          Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 12, décembre 2007       79
à la page, il peut lui-même commander son test. Par            pas la pratique en se fondant sur un essai clinique de
                                                          exemple, pour 550 dollars américains, un malade qui            100 ou 200 patients. Il faut des cohortes de validation
                                                          commence un traitement par la warfarine peut faire             comprenant plusieurs milliers de patients », explique
                                                          analyser ses gènes pour aider son clinicien à mieux fixer      le cardiologue.
                                                          sa dose. Genelex ne manque pas d’indiquer à ses éven-             En collaboration avec le Pr Michael Phillips, le Dr Tardif
                                                          tuels clients que « selon la FDA, les hémorragies au cours     essaie de découvrir la clé des problèmes musculaires
                                                          du traitement par la warfarine sont une des principales        causés par les statines. L’enjeu est important. « Le taux
                                                          causes de mort dans les pays occidentaux, et les effets        d’abandon des patients au bout de 24 mois est extrême-
                                                          indésirables qui lui sont liés comptent pour une hospi-        ment élevé », indique le médecin. Les deux chercheurs
                                                          talisation sur dix. » Le prix des tests pour la warfarine      étudient différents facteurs, comme les antécédents car-
                                                          est d’ailleurs souvent remboursé par les assurances.           diovasculaires des sujets, les différents médicaments
                                                             Est-on arrivé plus vite à la pharmacogénomique cli-         consommés, mais surtout le profil génétique. « On re-
                                                          nique dans Internet ? Peut-être pas. Les résultats des         garde plusieurs gènes et plusieurs variantes de ces gènes»,
                                                          tests sont probablement exacts. La faiblesse du système        indique le Dr Tardif. Le Pr Phillips et lui comptent
                                                          vient de la difficulté à traduire ces données en une dose      mettre au point un test détectant les variations géné-
                                                          précise de médicament. « La valeur prédictive positive         tiques déterminantes afin de connaître à l’avance le
                                                          d’un test fondé uniquement sur les gènes peut n’être           risque de problèmes musculaires.
                                                          que de 4 % », indique le Pr Turgeon.                              Mais quand les patients en bénéficieront-ils ? « Le
                                                             En général, les tests sont plus faciles à interpréter       deuxième défi sera de produire un outil que les méde-
                                                          quand les gens n’ont pas le gène recherché. Pas de gène,       cins pourront utiliser. Il faudra établir des recomman-
                                                          pas d’enzyme fabriquée, pas de transformation du mé-           dations en fonction des résultats des tests, réaliser des
                                                          dicament. La molécule reste telle quelle dans l’organisme.     guides de pratique et faire de la formation continue »,
                                                          Le médecin doit donc prescrire au patient, selon le cas,       précise le cardiologue. Ce n’est donc pas pour demain ?
                                                          des doses très faibles ou un autre médicament. C’est ce        « Au contraire ! proteste le Dr Tardif. D’une part, plu-
                                                          qui peut se produire chez quelque 2 % de la population.        sieurs grandes études de pharmacogénomique sont en
                                                             Pour la majorité des gens, la situation est plus com-       cours. D’autre part, nous travaillons très fort à produire
                                                          plexe. Les personnes qui possèdent le gène fabriquent          des outils pour vulgariser les résultats. »
                                                          l’enzyme nécessaire, mais rien n’assure que le médica-            « La pharmacogénomique sort actuellement du labo-
                                                          ment sera efficace ou sans effets indésirables à une dose      ratoire et entre dans la phase des essais cliniques », af-
                                                          précise. Parce que beaucoup d’autres facteurs entrent          firme le Pr Phillips. Le rôle du chercheur et de son équipe
                                                          en jeu. « Les tests de pharmacogénomique ne permet-            au sein de Génome Québec et du Centre de pharmaco-
                                                          tent pas encore de prédire la bonne dose de médi-              génomique de l’Université de Montréal, est justement
                                                                           cament dans l’ensemble de la popula-          de permettre aux médecins et aux patients de bénéficier
                                                                           tion », résume le Pr Turgeon. Lui-même        de ces progrès. La première percée sera le test pour la
                                                                           ne fait ces analyses que pour résoudre        warfarine, un projet auquel il travaille avec le Pr Turgeon.
     Photo : Institut de Cardiologie de Montréal

                                                                           des cas particuliers.                         Puis viendra l’analyse concernant les statines et, plus
                                                                                                                         tard, une autre permettant de connaître l’efficacité de
                                                                          Du laboratoire à la clinique                   médicaments contre l’athérosclérose.
                                                                              Le Dr Jean-ClaudeTardif, directeur
                                                                                                                         Est-ce rentable ?
                                                                           du Centre de recherche de l’Institut de
                                                                           Cardiologie de Montréal, est lui aussi           La médecine personnalisée est liée à de grands enjeux.
                                                                           entré dans le monde de la génomique. Il       Mais une question reste cruciale : est-elle rentable ? Dans
                                                                           travaille à trouver des liens entre les       le cas de la warfarine, un test efficace permettrait d’éco-
                                                                           gènes et les effets indésirables de médi-     nomiser 1,1 milliard de dollars américains par an aux
                                                   Dr Jean-Claude Tardif
                                                                           caments diminuant le taux de cholesté-        États-Unis, évaluait l’an dernier l’American Enterprise
                                                            rol dans une étude de 5000 patients. « On dit que l’on       Institute-Brookings Joint Center for Regulatory Studies.
                                                            va révolutionner la médecine, mais il faut le faire à par-   L’équation est simple. Les accidents vasculaires céré-
                                                            tir de données robustes. En médecine, ce sont les études     braux, dus à de trop faibles doses de warfarine, mais sur-
                                                            de grande envergure qui les fournissent. On ne change        tout les hémorragies, causées par de trop fortes doses,
80                                                  Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 12, décembre 2007
coûteraient 1,83 milliard de dollars. De cette somme que                      patients. Si l’on était capable de cibler ces personnes et
l’on pourrait économiser, il faudrait soustraire 0,7 mil-                     de ne donner le produit qu’à celles qui en bénéficie-
                            liard pour le prix des tests. L’éco-              raient, on pourrait mettre ces médicaments sur le mar-

                                                                                                                                                      Reportage
                            nomie nette atteindrait environ                   ché », indique le Dr Tardif.
                            550 dollars par patient.                             La création de tests génétiques semble devenir la
                               Les tests de pharmacogéno-                     norme. « Toutes les grandes études faites sur de nou-
                            mique ne seront probablement                      veaux médicaments comprennent une évaluation de
                            pas tous rentables. « Il faut éva-                pharmacogénomique. Je pense qu’on va l’utiliser en
                            luer chaque intervention une                      particulier dans le domaine de l’athérosclérose », es-
                            à une », estime pour sa part le                   time le cardiologue, qui travaille aussi dans ce secteur.
                            Dr Jacques Lelorier, directeur
                            de l’équipe de pharmacoécono-
                                                                              Demain,la médecine personnalisée
                            mique du Centre de recherche                         Mais par quelles infrastructures les
                            du CHUM. Le chercheur se                          patients bénéficieront-ils des analyses
    Dr Jacques Lelorier
                            penche actuellement sur le rap-                   qui permettront de personnaliser leurs
port coût-avantages du test génétique du Dr Tardif et                         traitements ? À Génome Québec, orga-
du Pr Phillips sur les statines.                                              nisme créé pour financer les grands pro-
   Les chiffres sont de bon augure. « Nous avons cal-                         jets de recherche en génomique, M. Paul
culé qu’uniquement au Québec, on gaspille chaque                              L’Archevêque, président-directeur gé-
année environ 80 millions de dollars en statines prises                       néral, indique deux avenues.
inutilement. Peut-être à cause des effets secondaires, bien                      D’une part, les laboratoires des hôpi-
des patients n’en consomment que pendant quelque                              taux et d’autres centres commencent
mois, alors que ces médicaments ne sont bénéfiques                            déjà à s’équiper pour effectuer des tests
                                                                                                                              M. Paul L’Archevêque
qu’au bout d’un an et demi. La facture des pilules prises                     génomiques. D’autre part, il existe pa-
en vain est ainsi énorme », explique le Dr Lelorier. Et il                    rallèlement un réseau de plateaux technologiques mis
faut aussi comptabiliser le coût des complications car-                       à la disposition des chercheurs, des hôpitaux et des
diovasculaires qui peuvent survenir quand le taux de                          sociétés privées. « Ce sont des laboratoires qui font
cholestérol n’a pas été réduit. La prescription du mau-                       des analyses surspécialisées en génomique », précise
vais médicament au mauvais patient a un prix élevé.                           M. L’Archevêque. Génome Québec en a créé quatre en
   Le chercheur veut mettre au point une méthode ap-                          collaboration respectivement avec l’Université McGill,
plicable à différentes analyses de pharmacogénomique.                         l’Institut de Cardiologie de Montréal, l’Université de
« Il faudra évaluer la rentabilité économique de tous les                     Sherbrooke et l’Hôpital de Chicoutimi.
tests qui seront créés pour des médicaments. Parce                               « Notre réseau de chercheurs cliniciens et de cher-
qu’éventuellement, quelqu’un va les payer, que ce soit                        cheurs universitaires nous donne une force incroyable
des sociétés d’assurance ou le gouvernement. »                                au Québec. Nous sommes particulièrement bien équi-
   L’industrie pharmaceutique aussi voit les attraits fi-                     pés pour faire face au défi que constituera la méde-
nanciers de la pharmacogénomique.                                                              cine génomique grâce à nos investis-
Les tests génétiques pourraient éviter                                                         sements », estime M. L’Archevêque.
entre autres que des médicaments utiles                                                           Bien des chercheurs, eux-mêmes cli-
ne soient retirés du marché, comme                                                             niciens, ont hâte de voir l’aube se lever
le Vioxx. Ou n’y parviennent jamais,                                                           sur la médecine personnalisée. « On va
comme le prometteur torcétrapid qui                                                            passer de l’art médical à la science mé-
haussait de manière sans précédent le                                                          dicale, estime le Dr Pavel Hamet, chef du
                                              Illustration : Marcel La Haye

taux de bon cholestérol, mais qu’il a                                                          Service de médecine génique du Centre
fallu enterrer à cause de ses effets né-                                                       hospitalier de l’Université de Montréal.
fastes. « Il y a d’excellents médicaments                                                      La médecine de masse va se transformer
qui se sont retrouvés sur les étagères                                                         en une médecine individualisée. Et l’on
parce qu’ils ont causé des réactions in-                                                       n’est encore qu’au début de ce que peut
désirables sur un très petit groupe de                                                         offrir la génomique. » 9
                                                                                   Le Médecin du Québec, volume 42, numéro 12, décembre 2007         81
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