Nicolas Daubanes - Galerie Maubert

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Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Nicolas Daubanes
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Présentation

   J’investis des questions essentielles : la vie, la mort, la condition humaine et les formes sociales qui les
   façonnent. Dans mes derniers travaux, la vitesse, la fragilité, la porosité, l’aspect fantomal des images et
   des matières, transmettent la pression du passé au croisement de ce qui va advenir.
   Mon travail s’inscrit dans la durée, il dessine un chemin, une trajectoire qui tend vers la recherche de
   la liberté, du dégagement de la contrainte. Je tâche d’expérimenter l’intensité et la rigueur, je joue
   avec le danger, mental, visuel, physique, pour renforcer l’énergie créatrice et en transmettre la force.
   Je suis conduit par mon histoire, mes propres questions existentielles et par le choix d’une adéquation
   permanente et subtile entre forme et contenu.
   Par exemple : le silicone, celui-là même qui habituellement est utilisé pour restaurer les bâtiments
   patrimoniaux, transposé, permet de créer un nouvel espace qui induit visuellement la disparition du
   mur d’origine et suggère une possible échappatoire (Série des Membranes). De cette façon, mue et peau
   s’introduisent dans mon propos. La limaille de fer, utilisée dans les dessins, renvoie aux barreaux des
   prisons, mais aussi aux limes qui permettent l’évasion. Cette matière fine et dangereuse pour l’œil se
   dépose par aimantation tandis que le moindre souffle peut faire disparaitre le dessin. Ce qui apparaît est
   fragile, il faut en prendre soin et savoir que tout est éphémère. Le béton chargé de sucre, inspiré du geste
   vain des résistants pendant la seconde guerre mondiale, corrobore le caractère fugitif, temporaire des
   objets produits dans mon travail.

   Il s’agit de voir avant la chute, avant la ruine, l’élan vital.
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
15 janvier 1972                                                                                                                  ARTPRESS 456 par Florian Gaité
                                                                                                                                 Nicolas Daubanes / Chapelle Saint-Jacques / 14 avril - 16 juin

                                                                                                                                                                                                 Pour certaines éclatées, les tuiles, fabriquées lors d’une
                                                                                                                                                                                                 résidence à la briqueterie de Nagen, ont également la par-
                                                                                                                                                                                                 ticularité d’être dysfonctionnelles, ramenées à l’état de
                                                                                                                                                                                                 motifs géomé- triques (des carrés de terre cuite), alignés
                                                                                                                                                                                                 au sein d’une composition graphique. Daubanes découvre
                                                                                                                                                                                                 ici une dimension plus formelle de son travail, qui se tra-
                                                                                                                                                                                                 duit de manière plus franche encore dans l’œuvre murale
                                                                                                                                                                                                 disposée en regard. Cet ensemble de plus de cent cin-
                                                                                                                                                                                                 quante sérigraphies, reproduisant un carrelage rouge et
                                                                                                                                                                                                 blanc, à certains endroits fêlé, est la copie du revêtement
                                                                                                                                                                                                 du sol de la prison de Montluc, lieu de détention nazi as-
                                                                                                                                                                                                 socié aux noms de Klaus Barbie ou de Jean Moulin. En
                                                                                                                                                                                                 adoptant le dessin d’un calepinage, Daubanes met sur un
                                                                                                                                                                                                 même plan le « second œuvre » et l’œuvre plastique, et
                                                                                                                                                                                                 plaide pour un art résolument ouvrier. Son insignifiance
                                                                                                                                                                                                 apparente, cet ornementalisme de surface qui permet de
                                                                                                                                                                                                 confondre l’œuvre avec le décor originel de la chapelle, la
                                                                                                                                 Nicolas Daubanes, habitué des lieux carcéraux, transforme       rattache à Support-Surface plus qu’à Carl Andre, d’autant
                                                                                                                                 la chapelle en autel de commémoration pour la résistance        que la mise à la verticale en renforce l’effet d’exposition.
                                                                                                                                 et l’indiscipline.                                              L’œuvre murale conserve néanmoins toute sa dimension
                                                                                                                                                                                                 documentaire, sans doute de manière plus appuyée que
                                                                                                                                 Les deux installations principales semblent à première          dans ses pièces antérieures. Il s’agit ici de présenter une
                                                                                                                                 vue reconstituer a minima un bâtiment déconstruit, dont         archive sensible, non discursive, de saisir une impression
                                                                                                                                 le toit s’est écrasé et le revête- ment de sol appliqué au      perceptive, une mémoire des lieux, qui a pu constituer un
                                                                                                                                 mur. Par ce renversement architectural, l’artiste offre une     des derniers souvenirs des prisonniers torturés.
                                                                                                                                 traduction plastique à l’idée de contestation des ordres,
                                                                                                                                 s’inspirant de la mutinerie des détenus de la prison de         Les dessins réalisés en limaille de fer enfin – des cellules,
                                                                                                                                 Nancy en 1972. Au centre de l’espace, une charpente aux         des barricades, un cimetière, des barrières – inscrivent dé-
                                                                                                                                 tuiles cassées renvoie à cet épisode de l’histoire carcérale    finitivement la proposition dans une réflexion sur l’impos-
                                                                                                                                 pendant lequel les prisonniers se sont hissés jusqu’au toit     sible neutralité des lieux d’enfermement et la possibilité
                                                                                                                                 pour crier leurs revendications. Praticable, elle permet au     de renverser les logiques d’occupation. Sur la vitre de l’un
                                                                                                                                 public de goûter au sentiment de liberté qui peut s’y expri-    d’eux, Daubanes a ainsi gravé les plantes rudérales qui y
                                                                                                                                 mer, celui des détenus qui échappent à la logique d’enfer-      repoussent, renvoyant ces bâtiments en apparence désaf-
                                                                                                                                 mement du bâtiment. Il s’agit alors de mettre en scène la       fectés à un paysage de mélancolie, comme si les soulève-
                                                                                                                                 tension entre liberté et sécurité, de placer le spectateur en   ments de leurs habitants avaient eu finalement raison de
                                                                                                                                 équilibre précaire, porté par l’énergie du soulèvement et       leur innocence présumée.
                                                                                                                                 menacé par le danger du lâcher-prise.

                                                        15 janvier 1972, Bois, fer, peinture et céramique, 900 x 300 x 130 cm
  Oeuvre produite à la Briqueterie de Nagen, résidence Ministère de la culture et Drac Occitanie, Chapelle Saint Jacques, 2018
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison du                                                                 S.A.I.P. système d’alerte et d’information de la population
Fort Montluc

                                                                                                                                                                        S.A.I.P. système d’alerte et d’information de la population, 2018
                                                                                                                                                                        Vue de l’exposition OKLM, Château de Servière, Marseille, 2018

                                                                                                                                                                  «Nicolas Daubanes nous invite ici au repos. Ce repos qui s’impose
                                                                                                                                                                  à celui ou celle qui se retrouve loin de toute contrainte quoti-
                                                                                                                                                                  dienne. Il a vu cette parenthèse comme une mise en sourdine trop
                                                                                                                                                                  courte qui n’efface rien des angoisses, mais qui les transforme-
                                                                                                                                                                  raient plutôt en bombe à retardement. Il y répond logiquement par
                                                                                                                                                                  une installation potentiellement explosive, comme pourrait l’être
                                                                                                                                                                  le retour à une vie dite normale. Une sirène militaire trouvée dans
                                                                                                                                                                  un surplus d’armée et réparée clandestinement côtoie des dessins
                                                                                                                                                                  de paysages dénués de toute présence humaine, réalisés sur des
                                                                                                                                                                  plaques de verre avec une poudre de métal projetée. Sur le sol
                                                                                                                                                                  de l’exposition des centaines de couvertures militaires, générale-
                                                                                                                                                                  ment amassées dans des situations d’urgence, sont prêtes à être
                                                                                                                                                                  utilisées. La sirène est branchée, et pourrait être activée à tout
                                                                                                                                                                  moment, malgré l’interdiction d’utilisation dont elle est frappée.
                                                                                                                                                                  Les dommages qu’elle pourrait causer en raison de sa puissance
                                                                                                                                                                  menacent de faire exploser les paysages sur verre contemplés
                                                                                                                                                                  longuement depuis l’hôtel. La mise à distance de l’anxiété du
                                                                                                                                                                  monde contemporain, son stress, a été pensé comme un cri que
                                                                                                                                                                  l’on étouffe ; cri que l’artiste compte raviver à la fin du PAC en
                                                                                                                                                                  activant la sirène après l’avoir ceinturée de couvertures.»

                                                                                                                                                                                   Extrait du Texte de Nathalie Desmet pour ESSE :
                                                                                                                                                                                  Printemps de l’art contemporain, Marseille, 2018
                                 Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison militaire du Fort Montluc, 2017
                                                                                Sérigraphies, Atelier TCHIKEBE, 450 x 550 cm
  Vue de l’exposition Aucun bâtiment n’est innocent, Chapelle Saint Jacques, Centre d’art contemporain, Saint Gaudens, 2018
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison du                                                  Ergonomie de la révolte
Fort Montluc

                  Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison militaire du Fort Montluc, 2017
                                                                 Sérigraphies, Atelier TCHIKEBE, 450 x 550 cm
                                Vue de l’exposition 300 ou 400 briques, Château de Jau, Cases de Pene, 2018

                                                                                                                   Ergonomie de la révolte, entre 300 et 400 briques empoignées par les ouvriers au moment de la fabrication, 80 x 70 x 160 cm, 2018
                                                                                                                             Oeuvre produite à la Briqueterie de Nagen, résidence Ministère de la culture et Drac Occitanie , Chateau de Jau, 2018
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
La vie quotidienne : Portail d’entrée du camp nazi de Dachau                                        La vie quotidienne : le pont des soupirs

                                                                                                    Nicolas Daubanes s’inspire du geste des commerçants
                                                                                                    de la ville de Lyon pendant la Seconde Guerre mon-
                                                                                                    diale qui consistait à recouvrir de papier collant leurs
                                                                                                    vitrines sous forme de multiples croisements. Ces bar-
                                                                                                    dages de scotch évitent, en cas de bombardement,
                                                                                                    que le souffle ne vienne projeter des morceaux de verre
                                                                                                    à l’intérieur des magasins.
                                                                                                    Les vitrines devenant un nouvel espace d’expression,
                                                                                                    les commerçants en profitaient pour imaginer une si-
                                                                                                    gnalétique. Grilles décoratives, dessins, message, ou
                                                                                                    encore signalétique prononcée, les propriétaires des
                                                                                                    vitres faisaient preuve d’élégance même dans une si-
                                                                                                    tuation de contrainte très forte.
                                                                                                    Nicolas Daubanes propose un motif plus personnel
                                                                                                    s’approchant de la question de l’espace carcéral et du
                                                                                                    désir de la liberté. Il dépose le scotch sur les vitres
                                                                                                    en respectant les croisements permettant au verre de
                                                                                                    tenir en cas de cassure, puis brise la baie vitrée quasi-
                                                                                                    ment dans sa totalité. Cette grande installation entiè-
                                                                                                    rement fragilisée tient encore debout grâce au scotch,
                                                                                                    et grâce en somme, au dessin.
                                                                                                                                                                                                     Dessins au scotch sur verre
                                                                                                                                                                Vue de l’exposition NWAR, Chapelle du quartier haut, Sète, 2019
                                                                                                                                                                                                   crédit photo : Yohann Gozard

                                                                      Dessins au scotch sur verre
                                 Vue de l’exposition NWAR, Chapelle du quartier haut, Sète, 2019
                                                                    crédit photo : Yohann Gozard
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Nancy’s Charles III prison,
Dessins murraux à la poudre d’acier aimantée
Vue de l’exposition Mezzanine Sud, les Abattoirs, Toulouse, 2017

                                                                   Le 15 janvier 1972, les détenus de la prison Charles III de Nancy
                                                                   montent sur les toits pour être visibles, faire acte d’opposition face
                                                                   aux injustices des conditions carcérales. En quelques heures, ils
                                                                   subtilisent un trousseau de clefs, puis envahissent les bureaux
                                                                   de l’administration : une dizaine d’entre eux se retrouvent sur
                                                                   les toits, faisant voler autour d’eux des centaines de tuiles, pas
                                                                   seulement pour se défendre mais également envoyer des messages
                                                                   revendicatifs, inscrits sur des morceaux de papier et glissés entre
                                                                   deux tuiles. Ce qui intéresse Nicolas, dans l’étude de ce fait divers,
                                                                   est l’idée de révolte, de rébellion face à une condition établie.
                                                                   Au-delà d’un simple refus, c’est l’acte poétique qui le passionne.
                                                                   Monter sur un toit, c’est prendre de la hauteur, s’élever et gagner
                                                                   en surplomb.
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Baumettes, quartier femme mineure                                                                        Les livres noirs

                                                                                                                                                                        Livres noirs, 10 livres, feutre noir, bibliothèque, 20,5×39×26 cm, 2016
                                                                                                                                                                                                             Collection FRAC Occitanie Montpellier

                                                                                                                                                                                 dénoncent un état de fait considéré comme criminel, injuste
                                                                                                                                                                                 ou mensonger en révélant des informations cachées à la vue.
                                                                    Baumettes, quartier femme mineure                                                                            Nicolas Daubanes sensibilise ici à la déconsidération dont les
                                                                  Céramique dentaire, 15 x 2 cm, 2017                                                                            détenus font l’objet, frappés d’invisibilité et menacés d’oubli.
                                            Vue de l’exposition Les Mains Sales, Galerie Maubert, 2017                                                                           S’il ne s’agit pas pour lui de contester la nécessité de la mesure
                                                                                 Collection FRAC PACA                                                                            judiciaire, il n’en reste pas moins qu’il soulève l’hypothèse d’une
                                                                                                                                                                                 double sanction dont il dénonce les effets déshumanisants. La
                                                                                                                                                                                 peine officielle est en effet toujours renforcée par l’économie
                                                                                                                                                                                 disciplinaire du lieu où elle se purge, privant le prisonnier non
                                                                                                                                                                                 seulement de liberté mais encore de toute forme d’intimité et
                       Il s’agit de la reproduction exacte mais fragmentée d’une clef d’une des                                                                                  de projet de vie. L’œuvre invite alors le spectateur à questionner
                       portes du quartier femmes, mineures, des Baumettes à Marseille. La prise                                                                                  l’innocence présumée du lieu en le laissant imaginer la vacuité
                       d’empreinte a été faite suite à de longues négociations avec un membre                                                                                    de l’existence en milieu carcéral, dissimulée derrière des dessins
                                                                                                                                                                                 pensés comme des écrans noirs.
                       du personnel pénitencier. A partir de ce moulage et l’aide d’un prothésiste
                                                                                                                                                                                 Témoignage critique sur l’expérience de la durée en prison,
                       dentaire Nicolas Daubanes réalise un tirage de cette clef.                                                                                                Les Livres noirs procède d’un double geste performatif qui
                       Le choix de la céramique dentaire a été motivé par le fait de concevoir                                                                                   révèle les maigres possibilités pour les détenus d’occuper leur
                       l’objet parfait pour une tentation d’évasion, matière qui traverse aussi                                                                                  espace et leur temps. Le premier prend la forme de l’errance,
                       bien l’espace que le temps. La matière céramique passe les portiques de           Cet ensemble de dix livres réunit des dessins numériques                par définition sans but, qui constitue à la fois le quotidien du
                                                                                                         recouverts à l’encre noire, extraits de séquences vidéos tournées       prisonnier et le parti pris de la réalisation. La répétition de
                       sécurité et autres sas de détection tout en gardant la solidité nécessaire
                                                                                                         au sein de la Maison Centrale d’Ensisheim. Résident du centre           la marche reconduit la temporalité cyclique à laquelle sont
                       pour actionner le système de la serrure. Celle employée spécifiquement            pénitentiaire en 2014, Nicolas Daubanes a demandé aux détenus,          assignés les condamnés et dessine la trajectoire d’une longue
                       pour la réalisation de cette pièce est une des plus solides, tout en mettant      parmi les criminels les plus connus de France (Guy Georges,             marche vers l’ennui, potentiellement infinie, rejouée en boucle
                       en perspective l’idée de prothèse rêvée pour une personne détenue.                Michel Fourniret ou Francis Heaulme), de filmer, caméra à la            avec le folioscope. Le dispositif se présente également comme
                       Une des réactions du corps humain associée à la détention de très longue          main, ses déambulations à travers les seuls espaces autorisés à         un moyen d’inverser les rôles en proposant aux détenus de
                                                                                                         la circulation pour les prisonniers (couloirs, cour de promenade,       prendre symboliquement la place de leurs surveillants, derrière
                       durée est la perte des dents, ces dernières par leurs qualités structurelles
                                                                                                         cellule...). Chaque vidéo, correspondant à chacun des lieux, est        la caméra. La seconde performance désigne le caviardage
                       sont les vestiges archéologiques qui résistent le mieux au passage du temps.      ensuite découpée en images noir et blanc vectorisées, c’est-            intégral du dessin par l’artiste, au cours d’un processus manuel
                       Les dents sont également symboles de violence : elles jonchent le sol des         à-dire déformées et appauvries de façon à les rendre moins              aussi patient qu’endurant. Nicolas Daubanes s’impose ici
                       couloirs de détention où se règlent les comptes.                                  identifiables, et ainsi être autorisées à la publication par les        comme discipline de reproduire les conditions de la vie carcérale
                       Le four, qui permet la cuisson de cette céramique spécifique, est de taille       autorités pénitentiaires. Archivées dans des folioscopes (ou « flip     en s’astreignant à une gestuelle particulièrement longue et
                                                                                                         books ») dont l’épaisseur est proportionnelle à la longueur de la       pénible. De déambulation en oblitération, il porte ici à un haut
                       tellement réduite qui ne permet pas le tirage de la clef dans sa totalité.
                                                                                                         séquence (de 300 à 1200 pages), elles sont enfin entièrement            degré d’abstraction l’idée de l’acte vain auquel sont réduits les
                       Nicolas Daubanes choisit de ne pas assembler les morceaux ainsi créés             recouvertes au feutre noir par l’artiste qui signifie par ce geste      prisonniers, tenus en étau dans un non-lieu impossible à figurer,
                       pour rester dans le cadre de la sculpture et non dans la copie conforme           la dissolution de l’individu dans l’infrastructure comme son            une prison aux airs d’impasse, ouvert sur un temps qui tourne à
                       d’une clef de prison, ce qui est pénalement répréhensible.                        effacement hors de la vie sociale.                                      vide. F. Gaïté
                                                                                                         Le titre de l’œuvre fait référence aux ouvrages polémiques qui
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Crazy Diamond

                                                                                                               Crazy diamond
                                          Vidéos vectorisées image par image (12 img/sec), écrans de surveillance PVM, 2016

Lien vers les vidéos : http://www.nicolasdaubanes.com/spip.php?article133

                                                       Dans la maison centrale d’Ensisheim, Nicolas Daubanes a choisi
                                                       de rendre les prisonniers participants actifs. Il donne à chaque
                                                       personne détenue un morceau d’argile, lui proposant de façonner
                                                       un objet qu’il désirerait réel. Des objets prohibés qui, apparaissant
                                                       en noir et blanc à l’écran donc sans référence à la matière et à la
                                                       couleur existantes, vont ainsi apparaître plus réels.
                                                       Une utopie de l’appropriation. Des scènes de 40 secondes
                                                       à 20 minutes, en boucle sur un écran qui rappelle celui de
                                                       surveillance, qui confrontent la main destructrice du DPS (Détenu
                                                       Particulièrement Surveillé) à celle créatrice du détenu-artiste.
                                                       Comme cette clef modelée puis écrasée dans la paume de la
                                                       main. Si l’évasion est impossible par le corps, elle l’est peut-être
                                                       par l’esprit : le prisonnier va alors modeler une bouteille d’alcool
                                                       et feindre de la boire. S’évader tout en respectant l’interdit.
Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
Prohibition                                                                                                     La vie de rêve

                                                                                                  Prohibition
              8 étagères métalliques, bouteilles en plastique, fruits, sucre, levure, eau, préservatifs, 2016

                                                                                                                                                                                                                La vie de rêve,
                                                                                                                                     bouteilles en plastique, fruits, sucre, levure, eau, palmiers et poupées gonflables, 2016
                                                                                                                                 Vue de l’exposition La vie de rêve, Angle art contemporain, Saint-Paul-Trois-Châteaux, 2016

                                    Prohibition, une grande installation de plusieurs centaines de
                                    bouteilles en plastique sur lesquelles sont fixés des préservatifs
                                    qui gonflent et se tendent sous l’effet des gaz de fermentation
                                    d’alcool. Désir du corps et échappée de l’esprit s’érigent face à
                                    l’interdiction de l’alcool. Le gaz qui se dégage sculpte, de manière                                                  La vie de rêve, une installation se compose de mélanges
                                    à la fois pleine d’humour et dramatique, le désir des détenus qui                                                     alcoolisés élaborés selon une méthode de fermentation mise
                                    véritablement « macèrent » en prison. Les prisonniers utilisent                                                       au point par des détenus dans leur contexte carcéral. Les
                                    pour la fabrication de leur alcool leur reste de pain et fruits gâtés                                                 préservatifs normalement utilisés pour empêcher l’oxygène
                                    qui donneront des couleurs différentes au liquide. Le préservatif                                                     de pénétrer dans les bouteilles sont ici remplacés par
                                    maintient la pression interne et conserve le milieu en anaérobie,                                                     des objets gonflables. L’éthanol et le dioxyde de carbone
                                    même si dans le temps d’une exposition, quelques préservatifs                                                         remplissent les palmiers et les poupées gonflables tout au
                                    devraient exploser. Le temps de l’intimité carcérale se mêle au                                                       long de l’exposition, ceux-ci donnant forme peu à peu aux
                                    temps de l’exposition.                                                                                                rêves alcoolisés des prisonniers.
Prohibition
étagères métalliques, bouteilles en plastique, fruits, sucre, levure, eau, préservatifs, 2017
                                     Vue de l’exposition Et le plancton, Vern Volume 2017
Dessins

          Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée
          Détail
Prisons, miradors

                        Les dessins à la limaille de fer de Nicolas Daubanes représentent des lieux
              carcéraux, en activité ou désaffectés, construits selon le modèle panoptique élaboré par
              les frères Jérémy et Samuel Bentham à la fin du XVIIIe siècle. Symbole architectural
              de ce que Michel Foucault a nommé les « sociétés de surveillance », ce dernier allie
              pragmatisme architectural et fonctionnalisme judiciaire en permettant une observation
              totale reposant sur le principe du « voir sans être vu ».
              L’utilisation de la limaille de fer permet à Nicolas Daubanes de faire coïncider son sujet
              avec les moyens de sa représentation. Elle figure en premier lieu l’omniprésence du
              métal dans l’espace carcéral qui, de barreaux en portes blindées, de caméras en tôles
              de mirador, affiche une esthétique ferreuse propre aux lieux sécurisés. Mais à un autre
              niveau de lecture, elle peut également induire une narration plus spéculative en renvoyant
              aux traces d’une évasion imaginaire, aux restes laissés par un détenu qui aurait limé
              les barreaux de sa cellule. Le choix de ce matériau extrêmement volatile traduit enfin
              la volonté de l’artiste de soumettre le mode de représentation aux règles qu’impose la
              clandestinité du fugitif, qui ne peut laisser d’indices ou d’inscriptions pérennes derrière
              lui.
              La fragilité du matériau alimente par ailleurs la représentation d’un édifice symboliquement
              fragilisé dans ses assises. Artiste-vandale, Nicolas Daubanes trouve dans la précarité
              plastique de son œuvre le moyen de contrarier le pouvoir et l’autorité de son sujet.
              Le dessin n’est pas à proprement tracé mais bien plutôt posé, suspendu à même le
              papier, retenu par la seule force d’attraction d’une surface aimantée. Le motif est en
              effet d’abord découpé dans une feuille magnétique, puis disposé sur une plaque de
              métal et recouvert d’une feuille de papier blanc. La limaille de fer est ensuite répartie
              à sa surface et fixée par aimantation en épousant mécaniquement la forme du motif.
              L’équilibre ténu du matériau a pour effet de rendre le dessin potentiellement éphémère,
              lui-même prisonnier d’un dispositif visiblement faillible, qui ne peut se permettre la
              moindre seconde de relâchement. La non-pérennité manifeste du bâtiment est d’ailleurs
              appuyée par les irrégularités du trait qui laissent apparaître des surfaces plus estompées,
              dans un rendu proche d’une carte postale ancienne. A l’impression menaçante laissée
              par le premier regard succède alors la sensation d’une vulnérabilité presque touchante
              face à ces bâtiments du passé, sur le point de s’effondrer.

                                    F. Gaïté, pour les collections du Collection FRAC Occitanie Montpellier
                                                                                                                                                                               Prison Saint-Michel, Toulouse
                                                                                                                                             Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 200×280 cm, 2017
                                                                                                              Vue de l’exposition du Grand Prix d’Art Contemporain Occitanie, Lieu-Commun, Toulouse, 2017
Maison d’arrêt de Mulhouse, bâtiment Schuman
          Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée, 86×130 cm, 2015
Vue de l’exposition En mémoire, Musée des Archives Nationales, Paris, 2015

                                                                                                                                         Ensisheim : escalier de détention
                                                                                                            Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 190×95 cm, 2016
                                                                             Vue de l’exposition La vie de rêve, Angle art contemporain, Saint-Paul-Trois- Châteaux, 2016
Nichts zu sagen                                                   Façade de la prison Saint Joseph à Lyon
                         Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 370×370 cm, 2015                               Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 350×300 cm, 2015
Vue de l’exposition À l’heure du dessin, 3e temps, Château de Servière, Marseille, 2015   Vue de l’exposition À l’heure du dessin, 3e temps, Château de Servière, Marseille, 2015

             «Le procédé utilisé par l’artiste — un dessin réalisé́ à la poudre de
             limaille de fer aimantée — procure à ses œuvres une conservation
             précaire, qu’un frottement de la main pourrait effacer.
             L’installation Nichts Zu Sagen (comprenant les 2 muraux Nichts
             zu sagen et Façade de la prison Saint Joseph à Lyon), poursuit son
             inventaire des prisons de France, dont il représente les façades en
             utilisant de la limaille d’acier comme celle que produiraient les
             barreaux d’une cellule limés par le prisonnier. Vouée elle aussi à une
             disparition imminente, la prison Saint-Joseph à Lyon représentée
             ici est un élément d’histoire dont l’installation de Nicolas Daubanes
             révèle l’importance à demi-mots. Ceux de Klaus Barbie lors de son
             procès en 1987 pour crime contre l’humanité́, que la condamnation
             à perpétuité fera taire définitivement. L’artiste met donc en scène
             une certaine ironie du sort, celle d’un lieu où les victimes et leur
             bourreau furent emprisonnés chacun en leur temps, révélant le
             paradoxe d’une mise au silence des criminels auxquels on ôte la
             possibilité́ de raconter leur histoire en vertu de la paix sociale...».
             Céline Ghisleri, extrait du texte : Point à la ligne, à propos de
             l’exposition à l’heure du dessin, 3e temps au Château de Servière.
Cantine Mensuelle,                                              Cour de promenade,
         Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 265×500 cm, 2014      Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 100×175 cm, 2017
Vue de l’exposition Conscience de classe, Lieu Commun, Toulouse, 2014     Vue de l’exposition Le batiman et a nou, La station, Nice, 2017

  Un bon de cantine permet à chaque personne détenue d’avoir
  accès à des produits alimentaires améliorant le quotidien de la
  « gamelle ». C’est un système de distribution géré par l’adminis-
  tration pénitentiaire elle même. L’absence de concurrence et de
  contrôle ne permet pas d’établir une grille de prix raisonnable
  et ces derniers sont parfois très élevés. Contenue sur une feuille
  A4, cette palette de produits est très peu modifiée d’année en
  année, engendrant monotonie et parfois dégout chez les déte-
  nus. La poudre d’acier du Walldrawing nous ramène à la froideur
  de ce papier administratif photocopié, maintenant dénué de son
  code couleur, et à la mise en avant d’un rapport de classe so-
  ciale. Ce qu’ils mangent, c’est la prison elle-même, cette poudre
  retenue au mur, suspendue, qui à tout moment peut chuter.
Les spectateurs chez Piranèse

                                                                     Les spectateurs chez Piranèse
                                Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée, 75×100 cm, 2015

                                Ces dessins reproduisent, par agrandissement, des parties des
                                prisons imaginaires de Piranèse, notamment celles où l’on
                                distingue des personnages, des spectateurs à peine visibles
                                disposés en hauteur qui semblent assister aux tortures des
                                prisonniers. Ces « spectateurs » chez Piranèse indiquent
                                des directions, contraignent la composition des dessins. Ils
                                apparaissent assez tard dans les états des différentes gravures,
                                progressivement ; Piranèse affirmant ne jamais avoir terminé
                                son travail. Nicolas Daubanes se permet alors lui-même
                                d’ajouter des personnages et d’interpréter cette architecture
                                de l’enfermement de manière quasi autobiographique, lui-
                                même étant une sorte de contemplateur dans les prisons. Ce
                                ne sont donc pas des copies stricto sensu des gravures de
                                Piranèse, mais une nouvelle façon de se « déplacer » dans
                                ces espaces – cauchemars devenus réels - avec une liberté
                                d’interprétation. Un travail à quatre mains.

                                                                                                                                          Les spectateurs chez Piranèse
                                                                                                     Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée, 75×100 cm, 2015
Déclarations                                                                                                                   Préso de Mataro

Déclarations
Dessins sur papier à la poudre d’acier aimantée, 100 × 70 cm, 2017
Vue de l’exposition Les Mains Sales, Galerie Maubert, 2017

                                                                                                                                                                                   Préso de Mataró
                                                                                                                                                          frottage au graphite, 144×330 cm, 2014
                                                                                                                                                 Vue de l’exposition SABOTAGE, Lac, Sigean 2014

                                                         Trois phrases prononcées par trois personnes condamnées pour                            A mi-chemin entre une figuration narrant le réel
                                                         crime contre l’humanité. « Nichts zu sagen » de Klaus Barbie,                           et l’abstraction d’une poésie amère, Nicolas
                                                         « Vos questions n’appellent aucune sorte de réponse » de Mau-                           Daubanes nous présente « Préso de Mataró »,
                                                         rice Papon et « Ils partagent plus ou moins mes idées » de Paul                         une œuvre graphique simulée, véritablement
                                                         Touvier. Ces trois phrases d’évitement ont été prononcées lors de                       calquée sur les murs de la prison de Matarò,
                                                         leurs arrestations ou de leurs procès.                                                  un établissement pénitencier qui, sous le
                                                         Cette série est le point de départ d’un travail sur la question du                      régime de Franco, aurait servi à emprisonner
                                                         silence induit par l’incarcération. Une fois écrouée la parole de                       les résistants espagnols.
                                                         la personne détenue est soumise au contrôle, à la contrainte et à
                                                         la censure. La prison prolonge le silence de celui qui ne dit rien.

                                                                                                                                                 Détail
                                                                                                                                                 Frottages au graphite des murs de la prison de Mataro
Question préparatoire, question préalable, question définitive

                                                                                                                       Un des faits qui marqua Nicolas Dau-
                                                                                                                       banes pendant sa résidence au Mémo-
                                                                                                                       rial National de la prison de Montluc fut
                                                                                                                       la découverte d’une photographie mon-
                                                                                                                       trant la casse des plaques mémorielles
                                                                                                                       présentes sur les monuments aux morts
                                                                                                                       de la Première Guerre mondiale portant
                                                                                                                       des noms de soldats juifs. Le document
                                                                                                                       montre des débris de granit au sol et
                                                                                                                       les inscriptions laissent apparaître des
                                                                                                                       fragments de mots et de noms. L’esthé-
                                                                                                                       tique particulièrement violente de ces
                                                                                                                       morceaux de mémoire cassée renvoie
                                                                                                                       Nicolas Daubanes à d’autres témoi-
                                                                                                                       gnages qui narrent les tortures faites
                                                                                                                       sur les prisonniers de la prison de Mont-
                                                                                                                       luc pendant l’occupation nazie. Face à
                                                                                                                       l’hésitation, et notamment une certaine
                                                                                                                       pudeur, sur la manière de montrer l’en-
                                                                                                                       tièreté de ces témoignages pourtant si
                                                                                                                       forts et importants, l’artiste décide de
                                                                                                                       reproduire ces textes sur une plaque
                                                                                                                       de porcelaine qu’il va briser pour n’en
                                                                                                                       montrer qu’un seul morceau. C’est un
                                                                                                                       fragment de porcelaine qui agit en tant
                                                                                                                       que fragment de mémoire, fragment
                                                                                                                       de témoignage. Quelques phrases ap-
                                                                                                                       paraissent et laissent la possibilité au
                                                                                                                       spectateur d’imaginer la suite et les
                                                                                                                       événements qui se sont déroulés dans
                                                                                                                       l’enceinte même de la prison de Mont-
                                                                                                                       luc.
                                                                                                                       Pour inscrire le texte, Nicolas Dau-
                                                                                                                       banes utilise une toute nouvelle tech-
                                                                                                                       nique, entre tatouage et gravure. Une
                                                                                                                       inscription pour l’éternel. Une meuleuse vient disquer un morceau de métal : les étincelles (limaille de fer en fusion)
                                                                                                                       heurtent alors l’émail de la porcelaine et s’y incrustent définitivement formant texte et image sur la surface. Une
                                                                                                                       technique complémentaire des dessins à la limaille de fer aimantée. Ces derniers sont fragiles, instables, tout juste «
                                                                                                                       tenus » tandis que la limaille de fer incrustée dans la porcelaine présente un dessin inscrit de façon pérenne. Avec
                                                                                                                       cette même matière extrêmement signifiante sur la question de l’évasion, Nicolas Daubanes joue sur deux possibilités
                                                                                                                       de narrer des histoires. Celle-ci représente et témoigne des tortures faites sur les détenus de la prison de Montluc
                                                                                                                       grâce à une représentation durable.

                                                      Question préparatoire, question préalable, question définitive
                                      incrustation d’acier incandescent sur porcelaine, dimensions variables, 2019
                    vue de l’exposition La vie quotidienne, Mémorial national de la prison de Montluc, Lyon, 2019                                                                                                     crédit photo : Yohann Gozard
Cosa mangiare

                Ensemble de recettes, réalisées et proposées à la dégustation lors de la performance Cosa mangiare
                                             au Centre d’art et de design, La cuisine, à Negrepelisse en avril 2016

                                                   Nicolas Daubanes réalise des recettes collectées oralement
                                                   auprès de détenus, expérimentées à leur côté, puis écrites
                                                   pour en fixer la mémoire. Ces recettes leur permettent de
                                                   cuisiner avec les ingrédients limités auxquels il leur est
                                                   possible d’accéder dans le cadre pénitentiaire par le biais
                                                   d’un «bon de cantine».
                                                   Bien plus que de simples recettes de cuisine, ces
                                                   expérimentations culinaires racontent la manière dont
                                                   les personnes détenues occupent leurs temps, l’espace
                                                   de leurs cellules et réveillent des souvenirs de repas de
                                                   famille.
                                                   Cuisiner en cellule, c’est d’abord refuser de manger «la
                                                   gamelle», c’est aussi résister.
ELSE #14 / revue du Musée de l’Elysée / Nov-2017
La prison retire la liberté mais         While jail takes away freedom, it         Gefängnis bedeutet Freiheitsentzug,
pas forcément la créativité, encore      does not necessarily eliminate cre-       aber nicht unbedingt Entzug der
moins l’imagination. C’est le pre-       ativity, even less imagination.           Kreativität und noch weniger der
mier enseignement que l’on tire du       Such is the first lesson to be learnt     Fantasie. Das ist die erste Lehre,
travail de Nicolas Daubanes. Sa          from the work of Nicolas Daubanes         die man aus der Arbeit von Nicolas
série intitulée Cosa Mangiare com-       His series entitled Cosa Mangiare         Daubanes zieht. Seine Serie mit
prend des photographies mais             comprises photographs but also            dem Titel Cosa Mangiare umfasst
aussi des recettes de cuisine, col-      cooking recipes collected orally by       Fotografien, aber auch Kochre-
lectées oralement par l’artiste          the artist from prisoners. He then        zepte, die der Künstler mündlich
auprès de détenus. Il les a ensuite      experimented them, wrote them             bei Häftlingen gesammelt hat.
expérimentées, rédigées puis             down and photographed them.               Er hat sie dann ausprobiert, nieder-
photographiées.                              The originality of this “cooking      geschrieben und schliesslich
    L’originalité de ce « livre de re-   book” does not come so much from          fotografiert.
cettes » ne tient pas tant aux résul-    the proper process, which allows              Die Originalität dieses «Rezept-
tats qu’à la démarche elle-même,         prisoners to cook with the limited        buchs» liegt nicht so sehr in den
qui permet aux prisonniers de cui-       range of ingredients to which             Ergebnissen als im Vorgehen selbst,
siner avec une gamme d’ingrédients       they have access through “canteen         das es den Gefangenen erlaubt,
limités auxquels ils ont accès par       vouchers”. These culinary experi-         mit der beschränkten Auswahl Zu-
le biais d’un « bon de cantine ». Ces    mentations tell of the way jailed in-     taten zu kochen, die sie mit einem
expérimentations culinaires ra-          dividuals use their time, and the         «Kantine-Gutschein» erhalten kön-
content ainsi en substance la ma-        space of their cell.                      nen. Diese kulinarischen Experi-
nière dont les personnes détenues            For example, for a warm potato,       mente erzählen so im Wesentlichen
occupent leur temps, l’espace de         a bag of potato flakes must be filled     davon, wie die Häftlinge ihre Zeit
leur cellule.                            with boiling water, then mixed, left      und den Raum ihrer Zelle nutzen.
    Par exemple, pour une pomme          in the fridge for a few days, and fi-         Für eine warme Kartoffel zum
de terre chaude, il faut glisser de      nally placed inside an oven invented      Beispiel muss ein Beutel Kartoffel-
l’eau bouillante dans un sachet de       for the occasion. Such ingenuity          flocken mit kochendem Wasser
flocon de pomme de terre, masser         would not serve the ambitions of a        gefüllt, das Ganze geknetet, einige
le tout, réserver au réfrigérateur       starred chef; it is a form of “escape     Tage im Kühlschrank aufbewahrt
quelques jours, puis la déposer dans     plan,” through the memory of a            und dann in dem eigens dafür erfun-
le four inventé pour l’occasion.         convivial family dinner. An escape        denen Ofen platziert werden. Sol-
Cette ingéniosité n’est pas au service   that here takes the shape of a hot,       cher Einfallsreichtum kann nicht
de l’ambition d’un chef étoilé mais      smoking and fragrant potato on            die Ambitionen eines Sternekochs
correspond à une « tentative d’éva-      the prisoner’s plate. When in jail, it    erfüllen, entspricht aber einem
sion » par le souvenir d’un repas        is not so much calories that one          «Fluchtversuch» dank der Erinne-
familial et convivial. évasion qui       fears, rather the mess tins, the “offi-   rung an ein gemütliches Familien-
prend la forme, ici, d’une grosse        cial” food, for lack of any better        essen. Eine Flucht, die hier die
patate chaude, fumante et odorante       word. Enjoy your meal!                    Form einer grossen, warmen, damp-
dans l’assiette du prisonnier. En                                                  fenden und duftenden Kartoffel auf
cellule, on ne craint pas tant les ca-                                             dem Teller des Häftlings annimmt.
lories mais plutôt « la gamelle »,                                                 In der Zelle fürchtet man nicht
la nourriture « officielle », pour ne                                              so sehr die Kalorien, sondern den
pas dire autre chose. Bon appétit !                                                «Blechnapf», die «offizielle» Nah-
                                                                                   rung, um es gelinde auszudrücken.
                                                                                   Guten Appetit!

PRÉSENTÉ PAR TATYANA FRANCK                                                                                     4
Sabotage

                                                                                           Sabotage 4                                         Sabotage 2
                                                         Béton, fer, et sucre, 220×180×180 cm, 2016       Béton, sucre, fer, bois, 330×350×300 cm, 2014
           Vue de l’exposition Festival des arts éphémères, Parc de la Maison Blanche, Marseille, 2016   Vue de l’exposition SABOTAGE, Lac, Sigean, 2014

                                 L’adjonction de sucre dans le béton, s’inspire du geste vain,
                                 pendant la deuxième guerre mondiale, des résistants lorsqu’ils
                                 étaient contraints, une fois faits prisonniers, à la fabrication du
                                 « Mur de l’Atlantique » pour les Allemands. Le sucre, une fois
                                 plongé dans la masse totale du béton encore frais, provoque un
                                 état de fragilité lorsque ce dernier sèche. Il s’agit d’un acte de
                                 sabotage. Une lutte vaine et silencieuse. La pièce Sabotage, à
                                 partir d’un coffrage complexe, a été coulée en une seule fois, de
                                 manière à constituer un seul « corps ». Une fabrication longue
                                 et minutieuse, en contradiction avec une fin quasi-programmée
                                 scientifiquement : cette pièce est destinée à devenir brisures,
                                 gravats et poussières. Malgré la précision de sa préparation
                                 (coffrage, matériaux…) va naitre l’inattendue : un état de
                                 ruine au moment de la révélation hors du moule. C’est donc
                                 par l’adjonction d’un agent, le sucre, que la pièce se retrouve
                                 rongée, comme un virus.
Sabotage
         Béton, fer, et sucre, 3 éléments : 200×120×120 cm chacun, 2013
Vue de l’exposition le jour après le lendemain, Maison salvan, Labège, 2013
Sabotage 5
             Béton, fer, et sucre, 2 éléments : 350x40x40 cm chacun, 2017
Vue de l’exposition Go Canny ! Poétique du sabotage, Villa Arson, Nice 2017

                                                                                                                                                                Sabotage 6
                                                                                                          Béton, fer, et sucre, 2 éléments : 300x30x30 cm cm chacun, 2017
                                                                               Vue de l’exposition du Grand Prix d’Art Contemporain Occitanie, Lieu-Commun, Toulouse, 2017
Sabotage 7
                  Béton, fer, et sucre, 200x500x500 cm, 2017
Vue de l’exposition Le batiman et a nou, La station, Nice 2017
Membranes

                                                                                                            Membrane : La Cellule
                                                                                Silicone, acier, lumière, 450×230×210 cm, 2012
                                                                               Vue de l’exposition Temps mort, le Lait, Albi, 2012
                                                                                        Membrane prélevée dans une cellule de la
                                                                                                            maison d’arrêt de Nice.

                                                       Membrane : La Cuisine
                           Silicone, acier, lumière, 160×170×200 cm, 2011

            Il s’agit d’une « mue », d’une empreinte dont la matrice
            est la cuisine de la maison familiale de Nicolas Daubanes.
            L’espace est redessiné avec des tiges d’acier soudées et
            emboîtées. Avec une fragilité certaine, la peau est suspendue
            sur ce support et nous permet d’apprécier le volume référent.
            Eclairée, la sculpture nous révèle toutes les cicatrices et
            poussières du lieu.
            Cette « peau / mémoire » porte forcement, en elle, les
            traces et empreintes du passé mais il n’est pas question de
            proposer un retour en arrière, ni de réactiver des souvenirs.
            Cette oeuvre, au privilégiant l’empreinte, met à distance son
            référent, la cuisine telle qu’elle existe aujourd’hui. L’artiste
            souhaite d’avantage parler des
            « fantômes du présent », de ce que cet espace propose
            encore de vie, des tentations et projections que son aspect
            vulnérable, déchiré et délabré suscite, en sollicitant
            l’expérience de chacun. Il s‘agit de dégager au présent, les
            spectres qui l’habitent.
Membrane : La Cellule
             Silicone, acier, lumière, 450×230×210 cm, 2012
vue de l’exposition Le batiman et a nou, La station, Nice 2017
Jusqu’ici tout va bien                                                                         Hexagone

                                                                      Jusqu’ici tout va bien
                                                            Installation vidéo, 5’05’’,2012
                                        Vue de l’exposition Temps mort, le Lait, Albi 2012

                         Un circuit automobile est une métaphore possible d’un
                         parcours de vie marqué par un enfermement. On se retrouve
                         à tourner en rond, sans cesse emmené à reproduire le même
                         chemin sans pouvoir outrepasser ce dernier. Or, même si
                         l’on subit une certaine forme d’enfermement dans notre
                         existence et si l’on suit une trajectoire qui se dessine malgré
                         nous, on peut décider de vivre intensément et avec force cet                                                                                                              Hexagone
                         itinéraire.                                                                      Peau de souris échangée contre divers objets avec un détenu de la prison des Baumettes à Marseille.
                         A bord d’une voiture qui ne possède ni assistance                                                                                                                10 x 10 cm, 2017
                         diectionnelle ni assisatance électrique, entièrement repeinte
                         en noir mat, Nicolas Daubanes choisi de sillonner la piste du
                         circuit automobile d’Albi à toute vitesse.
Nicolas Daubanes. D’abord, être en alerte
Par Camille Paulhan
Ne pas se fier aux apparences qui font qu’on pourrait ne           un léger soulèvement, les faire disparaître instantanément.         sur des chantiers afin de le saboter l’intrigue au point d’en      matin même à minuit tandis que les coureurs professionnels
retenir du travail de Nicolas Daubanes que son aspect              Par ailleurs, comme pour rajouter à la précarité naturelle du       faire le principe fondateur d’une série de sculptures (8). À       font leur départ en fin de matinée. Entouré de l’attirail
volontairement rugueux, un rien masculin : prédominance            matériau pulvérulent, l’artiste prend le soin de préciser que       la dimension héroïque que le sabotage en temps de guerre           folklorique du Tour – voitures, scooters, caméras et badauds
d’un univers carcéral pas vraiment douillet qu’habitent            l’aimantation perd naturellement de sa force d’attraction,          peut revêtir dans la mémoire collective s’oppose le geste          enthousiasmes postés tout au long de l’étape – il réussit,
notamment les « DPS » (détenus particulièrement surveillés),       conduisant le dessin à s’estomper lentement en quelques             quelque peu vain d’infiltrer d’infimes portions de sucre dans      grâce à un entraînement intensif préalable, à vaincre
valorisation de l’exploit sportif pur, de vélo ou de course        dizaines d’années seulement (4). Alors, face à l’architecture       une bétonnière tout en sachant que cela ne pourra modifier         temporairement la douleur afin de mener à bien sa course
de voiture, emploi récurrent dans ses œuvres de béton ou           fonctionnelle austère des bâtiments, voilà le motif qui met         en rien la structure même du mortier. Les Sabotages (2013-         de 168 kilomètres. Au bout du compte, ni médaille, ni
d’une poudre de fer brûlée récupérée sans hasard chez des          en œuvre son puissant désir d’évasion, non sans grâce et en         2015) de l’artiste prennent la forme d’escaliers hélicoïdaux       classement, et même pas un entretien en direct sur France
aiguiseurs de tronçonneuses... Ce serait certainement là se        prenant tout son temps, comme on lime un barreau avec               ou légèrement courbes — métaphores d’un passage d’un               2 (10). La performance sportive, si publique dans le cadre
méprendre pleinement sur les implications de son travail, à        une râpe de cuisine.                                                état à un autre —, dont le béton a cette fois été gavé d’une       du Tour, redevient toute personnelle, affaire d’articulations
vrai dire peu attiré par la glorification aveugle de la solidité   Dans ses séries DPS et DPS 2 (2014-2015), ce sont cette             quantité impressionnante de sucre qui vient l’imprégner au         et de muscles, autrement dit de limites physiques d’un
ou de la puissance brute des matériaux, des individus ou           fois-ci les hommes qui sont représentés, qu’il s’agisse             fil du temps, et couler par des orifices fissurés comme de         corps presque absent de lui-même lors de l’effort. Cette
des structures sociales. Ce serait aussi envisager d’abord         d’évadés légendaires dont le visage a hanté les journaux            la liqueur d’un bonbon croqué. Avec les Sabotages, Nicolas         dimension quasi claustrophobe, alors même qu’à l’extérieur,
ses œuvres comme des formes ironiques et désinvesties.             télévisés ou d’anonymes – parfois pourtant célèbres – dont          Daubanes s’intéresse ainsi aux traces d’une résistance,            la peau ne cesse de manifester ses velléités fluidiques, est
Ce serait enfin ne pas voir que son œuvre se développe au          la seule silhouette affleure comme un îlot coloré au milieu         même menée dans la pleine conscience de son inutilité.             à nouveau abordée avec Jusqu’ici tout va bien (2012).
contraire dans les fissures et les manques plus que dans les       de la masse grise des bâtiments. Ici, la poudre métallique          On ne s’étonnera guère que les prisons de Mataro, Lyon             Enfermé dans une voiture aux apparences de bolide de film
affirmations péremptoires.                                         apparaît comme un recours poétique à l’impossibilité de la          ou Kilmainham, qui ont retenu son attention pour des               d’action, casqué comme pour prévenir une catastrophe,
En 2008, alors qu’il est encore étudiant, Nicolas Daubanes         monstration des visages des détenus (5). Plus récemment,            travaux cités précédemment, aient enfermé respectivement           Nicolas Daubanes roule sans discontinuer autour du circuit
entre une première fois dans une prison, en « simple               l’artiste s’est penché sur les traces laissées par les détenus      en leur sein, au XXe siècle, des opposants à Franco, des           automobile d’Albi tout le long d’une journée, d’abord
visite » pourrait-on dire. Mais l’expérience est un choc           sur les murs de leurs lieux de détention : Philippe Artières a,     résistants français et au siècle précédent des leaders de la       lentement, puis de façon plus furieuse. Mais rien ne semble
brutal, duquel découleront de nombreux autres séjours              en 2014, tenté de rassembler une compilation fragmentaire           rébellion irlandaise. Le sabotage et la résistance peuvent         se passer : il n’y a pas de chute, au propre comme au figuré,
de recherche et de travail avec les détenus : Mulhouse,            de ce « chœur du carcéral », un « chœur contraint qu’il faut        aussi s’envisager sous l’angle du refus de l’acte plutôt que       rien qui viendrait rompre le cours de la performance. En
Nice, Montauban, Nîmes, Béziers, Perpignan... Une de               entendre comme une adresse à ceux du dehors, mais aussi             de l’engagement en actes : c’est le cas notamment du               réalité, et comme dans son travail sur la prison, il ne faudrait
ses premières œuvres, Pays de Cocagne (2010), plante le            comme la véritable archive de la prison, multiple, diverse,         coureur cycliste Albert Richter, auquel l’artiste consacre en      pas s’en laisser conter et voir dans ce faux reenactment de
décor : pour les prisonniers mineurs de la prison de Lavaur,       insaisissable et violente » (6). Sans prétendre aucunement          2013 une sérigraphie, dédaignant le salut nazi et souriant         scènes d’action une fascination particulière pour le monde
à côté de Toulouse, il conçoit une sorte de boîte géante           à l’exhaustivité, Nicolas Daubanes a choisi d’isoler des            à pleines dents aux côtés de son entraîneur juif face aux          de la compétition sportive. Comme la boîte en carton
en carton, qui s’apparente à première vue à une cellule            phrases ou de simples prénoms gravés dans la pierre à l’aide        photographes.                                                      utilisée avec les détenus, l’espace clos de la voiture est une
opacifiée. Mais, plus que le cachot, c’est le modèle de la         d’outils rudimentaires. Pour Préso de Mataro (2013-2014),                   La scène se passe à la fin des années 1930, Richter        métaphore de l’enfermement, dont il faut s’évader par des
grotte ou de la cabane qui prévaut ici, et la boîte se révèle      la méthode de prélèvement exige elle-même un effort                 sera assassiné début 1940, et sa stratégie de sabotage             moyens plus ou moins voués à l’échec.
être au contraire un rare espace de permission, dans lequel        physique, celui du frottage sur papier sur les lieux mêmes          de la logique nazie dans le domaine du sport fut un acte           Dans un de ses textes consacré à la photographie en prison,
les détenus échappent autant au regard des gardiens qu’à           de l’inscription, empreinte directe en deux dimensions              de résistance tant ostensible – il s’agissait d’un coureur         Michel Frizot rappelle que la pratique photographique est
celui des caméras de surveillance.                                 d’une incision parfois à la limite de la visibilité sur le mur.     relativement populaire – que sobre.                                d’abord liée à l’usage d’une camera obscura, et donc d’un
Première découverte carcérale : en prison, c’est donc ce qui       Là encore, pour l’artiste, ces tentatives d’écorcher la surface     Lorsque Nicolas Daubanes s’intéresse à la figure d’Albert          espace « nécessairement clos » : photographier la prison
est le plus obscur et non pas ce qui est le plus transparent       peuvent être perçues comme une des premières manières de            Richter, ou plus récemment pour un projet en cours à un            en deviendrait presque tautologique (11). Pourtant Nicolas
qui mène potentiellement à la liberté d’action ou de pensée.       s’évader, ne serait-ce qu’intellectuellement, de l’oppression       cycliste ayant pendant la Seconde Guerre mondiale profité          Daubanes n’est pas un photographe de prisons, et son propos
Seconde découverte : les seuls matériaux autorisés par             des lieux. Moins harassant, mais tout autant tourné du côté         de son statut pour passer des informations entre zone libre        n’est pas forcément de dénoncer une situation particulière,
l’administration pénitentiaire étant ceux qui sont les plus        de la révélation du mot comme méthode de monstration,               et zone occupée, il n’en est pas à son premier travail sur le      mais plutôt d’en révéler les mécanismes et parallélismes
précaires – argile crue, carton... – il faut lutter contre la      son travail Restez ici une heure si vous osez (2015) prend          sport. C’est que, pour l’artiste, le sport est un des autres       avec d’autres types d’enfermement.
dureté du cadre répressif, tout de béton et de grilles             pour origine cette phrase en forme d’avertissement, lue sur         visages métaphoriques de la résistance, passant ici par                   L’idée de la photographie comme boîte fermée
métalliques, avec des moyens principalement fragiles. C’est        un mur gravé d’une prison turque. Comme s’il s’agissait             l’exploit physique. Le cyclisme retient particulièrement           capturant possiblement l’image d’une autre boîte a pu
bien d’ailleurs avec cette contrainte que s’exerce la créativité   d’une missive clandestine, les mots sont tracés au jus de           son attention : en 2010, alors qu’il est encore étudiant, il       l’intéresser pour un projet comme La tuilerie (2011), où il
des détenus : sculptures chancelantes en savon, en gomme           citron sur une feuille, et il faut justement une heure pour         propose la performance Avoir l’apprenti dans le soleil, du         utilise des intérieurs d’appartements HLM bientôt démolis
ou en pain (1) , collages à partir d’images récupérées dans        que le motif se distingue intégralement, à la flamme d’une          nom d’un mystérieux dessin de Marcel Duchamp (1914)                comme chambres noires. Sur les murs nus apparaissent
les journaux, dessins éphémères ou graffitis grattés sur           bougie ou d’un briquet, en prenant garde de ne pas brûler           où un cycliste gravit une rude côte sur une partition de           toits de maisons, nuages et ciels changeants. L’espace
les murs. Philippe Artières, évoquant ces multiples traces         l’ensemble.                                                         musique vierge. Nicolas Daubanes, qui n’est pas même –             domestique, bien que vidé de toute substance familiale ou
laissées en prison par les individus qui l’ont habitée, écrit :    Il n’aura échappé à personne qu’avec son goût pour ce qui           encore faut-il le préciser – cycliste amateur, revêt l’habit de    émotionnelle, se retrouve investi d’un possible souvenir lié à
« Le processus de disparition dont sont l’objet les détenus        demeure caché et qu’il faut révéler avec plus ou moins              sportif de son père et pédale sur un vélo avec force vigueur       l’évasion poétique. Au même moment, l’artiste travaille à des
les pousse, eux les invisibles, à ce besoin de s’inscrire dans     d’éclat, Nicolas Daubanes laisse transparaître une attirance        de façon à faire apparaître derrière lui, au rythme de l’effort,   prélèvements, cette fois encore plus intimes, de fragments
le lieu, de le marquer de leur présence. La grande machine à       particulière pour une subversion qui passerait d’abord              une projection d’une photographie de ce dernier, récemment         d’univers directement liés à des lieux connus et fréquentés
surveiller est ainsi jalonnée de détritus. Manière dérisoire de    par la manipulation des matériaux. L’ouvrage théorique              décédé. Dans la salle plongée dans la pénombre, il lui faut        : ce sont les Membranes (2011-2012), et notamment celle
montrer qu’en prison, il est des gestes interdits possibles,       d’Émile Pouget, Le sabotage, rédigé au début du XXe siècle          fournir un effort intense pour que l’image se cristallise enfin    de La cuisine, prélevée en silicone dans la cuisine de la
il est des grains de sable » (2). Et c’est en effet à partir       (7), échafaudant une stratégie politique et rigoureuse du           sur le mur. La révélation du souvenir passe en premier lieu        maison familiale. Semblable à une mue de serpent venant
de ces grains de sable bien friables que Nicolas Daubanes          sabotage industriel par les ouvriers eux-mêmes, a pu un             par une mise à l’épreuve du corps, dans une perspective            manifester que quelque chose s’est autrefois passé, celle-ci
envisage son travail sur la prison. D’abord, il s’est agi de       premier temps nourrir sa pensée. Contrairement à ce que             moins doloriste que la performance historique mais toutefois       archive à fleur de peau des traces sensibles de l’espace –
réaliser des dessins des dispositifs panoptiques de centres        l’on pourrait imaginer, les exemples de sabotage proposés           empreinte d’une souffrance circonstancielle, que Nicolas           poussière, cheveux… – préférées à une image nette et précise
pénitentiaires — ou plutôt, en partie panoptiques seulement,       par l’auteur n’ont rien d’héroïque, et se mettent en place          Daubanes ne renie pas : « La douleur éveille le corps du           qui pourrait justement être celle de la photographie. Bien
le Panopticon utopique de Jeremy Bentham, imaginé à la fin         plutôt par la lenteur et le zèle à l’extrême ou le léger décalage   coureur qui doit, pour la dépasser, l’apprivoiser, l’apprécier,    que l’histoire personnelle de Nicolas Daubanes n’apparaisse
du XVIIIe siècle, n’ayant jamais été réalisé intégralement         d’habitudes de travail rendant le produit inutilisable. À la        en faire la compagne avec laquelle il tente quotidiennement        dans son travail que par bribes qui donnent l’impression
(3). L’entrée des cours disciplinaires de la prison Saint-Paul     suite de la pensée de Pouget, c’est la connaissance de faits        et obstinément une échappée héroïque » (9).                        de pouvoir voleter avec la fragilité de sa poussière de fer
(Lyon), une façade de la prison de Kilmainham (Irlande), la        de sabotage individuels plus ou moins entrés dans la grande         Un an plus tard, cette « échappée héroïque » se matérialise        (photographie du père révélée lentement, fantôme exsangue
cour de promenade de la prison de Mataro (Espagne) ou les          histoire de la Seconde Guerre mondiale qui ont pu attirer           par un projet où le spectaculaire se mêle au dérisoire ;           de cheminée), elle ne cesse de teindre avec une certaine
prisons imaginaires de Piranèse pour sa série des Carceri          l’attention de Nicolas Daubanes, affirmant toute la portée          dans le sport, ce qui paraît intéresser le plus l’artiste, c’est   pudeur l’entièreté de sa production. La maladie dont il ne
sont ainsi reproduites à la poudre métallique noire sur un         résistante de cette forme d’action. Le récit – légendaire ou        bien d’abord le fait que l’exploit puisse être réalisé avec        fait au demeurant pas mystère – les suites d’une greffe de
papier blanc. Mais les représentations en question ne sont         pas – selon lequel des prisonniers soumis au travail forcé,         superfluité, sans pour autant en devenir futile. Pour Saint        rein – ne cesse d’irriguer sa recherche sur l’enfermement et
maintenues à la surface de leur support que par le biais           et assignés à la construction de ponts, auraient versé la rare      Gaudens – Plateau de Beille, il décide de suivre l’intégralité     sur le sabotage, la contamination. Le sucre qui imprègne
d’une plaque aimantée, qui pourrait potentiellement, par           portion de sucre qui leur était allouée dans le béton utilisé       d’une étape du Tour de France, à vélo, mais en partant le          ses pièces de béton jusqu’à les fragiliser considérablement
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