Nicolas Daubanes - Galerie Maubert
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Présentation J’investis des questions essentielles : la vie, la mort, la condition humaine et les formes sociales qui les façonnent. Dans mes derniers travaux, la vitesse, la fragilité, la porosité, l’aspect fantomal des images et des matières, transmettent la pression du passé au croisement de ce qui va advenir. Mon travail s’inscrit dans la durée, il dessine un chemin, une trajectoire qui tend vers la recherche de la liberté, du dégagement de la contrainte. Je tâche d’expérimenter l’intensité et la rigueur, je joue avec le danger, mental, visuel, physique, pour renforcer l’énergie créatrice et en transmettre la force. Je suis conduit par mon histoire, mes propres questions existentielles et par le choix d’une adéquation permanente et subtile entre forme et contenu. Par exemple : le silicone, celui-là même qui habituellement est utilisé pour restaurer les bâtiments patrimoniaux, transposé, permet de créer un nouvel espace qui induit visuellement la disparition du mur d’origine et suggère une possible échappatoire (Série des Membranes). De cette façon, mue et peau s’introduisent dans mon propos. La limaille de fer, utilisée dans les dessins, renvoie aux barreaux des prisons, mais aussi aux limes qui permettent l’évasion. Cette matière fine et dangereuse pour l’œil se dépose par aimantation tandis que le moindre souffle peut faire disparaitre le dessin. Ce qui apparaît est fragile, il faut en prendre soin et savoir que tout est éphémère. Le béton chargé de sucre, inspiré du geste vain des résistants pendant la seconde guerre mondiale, corrobore le caractère fugitif, temporaire des objets produits dans mon travail. Il s’agit de voir avant la chute, avant la ruine, l’élan vital.
15 janvier 1972 ARTPRESS 456 par Florian Gaité Nicolas Daubanes / Chapelle Saint-Jacques / 14 avril - 16 juin Pour certaines éclatées, les tuiles, fabriquées lors d’une résidence à la briqueterie de Nagen, ont également la par- ticularité d’être dysfonctionnelles, ramenées à l’état de motifs géomé- triques (des carrés de terre cuite), alignés au sein d’une composition graphique. Daubanes découvre ici une dimension plus formelle de son travail, qui se tra- duit de manière plus franche encore dans l’œuvre murale disposée en regard. Cet ensemble de plus de cent cin- quante sérigraphies, reproduisant un carrelage rouge et blanc, à certains endroits fêlé, est la copie du revêtement du sol de la prison de Montluc, lieu de détention nazi as- socié aux noms de Klaus Barbie ou de Jean Moulin. En adoptant le dessin d’un calepinage, Daubanes met sur un même plan le « second œuvre » et l’œuvre plastique, et plaide pour un art résolument ouvrier. Son insignifiance apparente, cet ornementalisme de surface qui permet de confondre l’œuvre avec le décor originel de la chapelle, la Nicolas Daubanes, habitué des lieux carcéraux, transforme rattache à Support-Surface plus qu’à Carl Andre, d’autant la chapelle en autel de commémoration pour la résistance que la mise à la verticale en renforce l’effet d’exposition. et l’indiscipline. L’œuvre murale conserve néanmoins toute sa dimension documentaire, sans doute de manière plus appuyée que Les deux installations principales semblent à première dans ses pièces antérieures. Il s’agit ici de présenter une vue reconstituer a minima un bâtiment déconstruit, dont archive sensible, non discursive, de saisir une impression le toit s’est écrasé et le revête- ment de sol appliqué au perceptive, une mémoire des lieux, qui a pu constituer un mur. Par ce renversement architectural, l’artiste offre une des derniers souvenirs des prisonniers torturés. traduction plastique à l’idée de contestation des ordres, s’inspirant de la mutinerie des détenus de la prison de Les dessins réalisés en limaille de fer enfin – des cellules, Nancy en 1972. Au centre de l’espace, une charpente aux des barricades, un cimetière, des barrières – inscrivent dé- tuiles cassées renvoie à cet épisode de l’histoire carcérale finitivement la proposition dans une réflexion sur l’impos- pendant lequel les prisonniers se sont hissés jusqu’au toit sible neutralité des lieux d’enfermement et la possibilité pour crier leurs revendications. Praticable, elle permet au de renverser les logiques d’occupation. Sur la vitre de l’un public de goûter au sentiment de liberté qui peut s’y expri- d’eux, Daubanes a ainsi gravé les plantes rudérales qui y mer, celui des détenus qui échappent à la logique d’enfer- repoussent, renvoyant ces bâtiments en apparence désaf- mement du bâtiment. Il s’agit alors de mettre en scène la fectés à un paysage de mélancolie, comme si les soulève- tension entre liberté et sécurité, de placer le spectateur en ments de leurs habitants avaient eu finalement raison de équilibre précaire, porté par l’énergie du soulèvement et leur innocence présumée. menacé par le danger du lâcher-prise. 15 janvier 1972, Bois, fer, peinture et céramique, 900 x 300 x 130 cm Oeuvre produite à la Briqueterie de Nagen, résidence Ministère de la culture et Drac Occitanie, Chapelle Saint Jacques, 2018
Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison du S.A.I.P. système d’alerte et d’information de la population Fort Montluc S.A.I.P. système d’alerte et d’information de la population, 2018 Vue de l’exposition OKLM, Château de Servière, Marseille, 2018 «Nicolas Daubanes nous invite ici au repos. Ce repos qui s’impose à celui ou celle qui se retrouve loin de toute contrainte quoti- dienne. Il a vu cette parenthèse comme une mise en sourdine trop courte qui n’efface rien des angoisses, mais qui les transforme- raient plutôt en bombe à retardement. Il y répond logiquement par une installation potentiellement explosive, comme pourrait l’être le retour à une vie dite normale. Une sirène militaire trouvée dans un surplus d’armée et réparée clandestinement côtoie des dessins de paysages dénués de toute présence humaine, réalisés sur des plaques de verre avec une poudre de métal projetée. Sur le sol de l’exposition des centaines de couvertures militaires, générale- ment amassées dans des situations d’urgence, sont prêtes à être utilisées. La sirène est branchée, et pourrait être activée à tout moment, malgré l’interdiction d’utilisation dont elle est frappée. Les dommages qu’elle pourrait causer en raison de sa puissance menacent de faire exploser les paysages sur verre contemplés longuement depuis l’hôtel. La mise à distance de l’anxiété du monde contemporain, son stress, a été pensé comme un cri que l’on étouffe ; cri que l’artiste compte raviver à la fin du PAC en activant la sirène après l’avoir ceinturée de couvertures.» Extrait du Texte de Nathalie Desmet pour ESSE : Printemps de l’art contemporain, Marseille, 2018 Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison militaire du Fort Montluc, 2017 Sérigraphies, Atelier TCHIKEBE, 450 x 550 cm Vue de l’exposition Aucun bâtiment n’est innocent, Chapelle Saint Jacques, Centre d’art contemporain, Saint Gaudens, 2018
Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison du Ergonomie de la révolte Fort Montluc Calepinage des carreaux du sol du rez-de-chaussée de la prison militaire du Fort Montluc, 2017 Sérigraphies, Atelier TCHIKEBE, 450 x 550 cm Vue de l’exposition 300 ou 400 briques, Château de Jau, Cases de Pene, 2018 Ergonomie de la révolte, entre 300 et 400 briques empoignées par les ouvriers au moment de la fabrication, 80 x 70 x 160 cm, 2018 Oeuvre produite à la Briqueterie de Nagen, résidence Ministère de la culture et Drac Occitanie , Chateau de Jau, 2018
La vie quotidienne : Portail d’entrée du camp nazi de Dachau La vie quotidienne : le pont des soupirs Nicolas Daubanes s’inspire du geste des commerçants de la ville de Lyon pendant la Seconde Guerre mon- diale qui consistait à recouvrir de papier collant leurs vitrines sous forme de multiples croisements. Ces bar- dages de scotch évitent, en cas de bombardement, que le souffle ne vienne projeter des morceaux de verre à l’intérieur des magasins. Les vitrines devenant un nouvel espace d’expression, les commerçants en profitaient pour imaginer une si- gnalétique. Grilles décoratives, dessins, message, ou encore signalétique prononcée, les propriétaires des vitres faisaient preuve d’élégance même dans une si- tuation de contrainte très forte. Nicolas Daubanes propose un motif plus personnel s’approchant de la question de l’espace carcéral et du désir de la liberté. Il dépose le scotch sur les vitres en respectant les croisements permettant au verre de tenir en cas de cassure, puis brise la baie vitrée quasi- ment dans sa totalité. Cette grande installation entiè- rement fragilisée tient encore debout grâce au scotch, et grâce en somme, au dessin. Dessins au scotch sur verre Vue de l’exposition NWAR, Chapelle du quartier haut, Sète, 2019 crédit photo : Yohann Gozard Dessins au scotch sur verre Vue de l’exposition NWAR, Chapelle du quartier haut, Sète, 2019 crédit photo : Yohann Gozard
Nancy’s Charles III prison, Dessins murraux à la poudre d’acier aimantée Vue de l’exposition Mezzanine Sud, les Abattoirs, Toulouse, 2017 Le 15 janvier 1972, les détenus de la prison Charles III de Nancy montent sur les toits pour être visibles, faire acte d’opposition face aux injustices des conditions carcérales. En quelques heures, ils subtilisent un trousseau de clefs, puis envahissent les bureaux de l’administration : une dizaine d’entre eux se retrouvent sur les toits, faisant voler autour d’eux des centaines de tuiles, pas seulement pour se défendre mais également envoyer des messages revendicatifs, inscrits sur des morceaux de papier et glissés entre deux tuiles. Ce qui intéresse Nicolas, dans l’étude de ce fait divers, est l’idée de révolte, de rébellion face à une condition établie. Au-delà d’un simple refus, c’est l’acte poétique qui le passionne. Monter sur un toit, c’est prendre de la hauteur, s’élever et gagner en surplomb.
Baumettes, quartier femme mineure Les livres noirs Livres noirs, 10 livres, feutre noir, bibliothèque, 20,5×39×26 cm, 2016 Collection FRAC Occitanie Montpellier dénoncent un état de fait considéré comme criminel, injuste ou mensonger en révélant des informations cachées à la vue. Baumettes, quartier femme mineure Nicolas Daubanes sensibilise ici à la déconsidération dont les Céramique dentaire, 15 x 2 cm, 2017 détenus font l’objet, frappés d’invisibilité et menacés d’oubli. Vue de l’exposition Les Mains Sales, Galerie Maubert, 2017 S’il ne s’agit pas pour lui de contester la nécessité de la mesure Collection FRAC PACA judiciaire, il n’en reste pas moins qu’il soulève l’hypothèse d’une double sanction dont il dénonce les effets déshumanisants. La peine officielle est en effet toujours renforcée par l’économie disciplinaire du lieu où elle se purge, privant le prisonnier non seulement de liberté mais encore de toute forme d’intimité et Il s’agit de la reproduction exacte mais fragmentée d’une clef d’une des de projet de vie. L’œuvre invite alors le spectateur à questionner portes du quartier femmes, mineures, des Baumettes à Marseille. La prise l’innocence présumée du lieu en le laissant imaginer la vacuité d’empreinte a été faite suite à de longues négociations avec un membre de l’existence en milieu carcéral, dissimulée derrière des dessins pensés comme des écrans noirs. du personnel pénitencier. A partir de ce moulage et l’aide d’un prothésiste Témoignage critique sur l’expérience de la durée en prison, dentaire Nicolas Daubanes réalise un tirage de cette clef. Les Livres noirs procède d’un double geste performatif qui Le choix de la céramique dentaire a été motivé par le fait de concevoir révèle les maigres possibilités pour les détenus d’occuper leur l’objet parfait pour une tentation d’évasion, matière qui traverse aussi espace et leur temps. Le premier prend la forme de l’errance, bien l’espace que le temps. La matière céramique passe les portiques de Cet ensemble de dix livres réunit des dessins numériques par définition sans but, qui constitue à la fois le quotidien du recouverts à l’encre noire, extraits de séquences vidéos tournées prisonnier et le parti pris de la réalisation. La répétition de sécurité et autres sas de détection tout en gardant la solidité nécessaire au sein de la Maison Centrale d’Ensisheim. Résident du centre la marche reconduit la temporalité cyclique à laquelle sont pour actionner le système de la serrure. Celle employée spécifiquement pénitentiaire en 2014, Nicolas Daubanes a demandé aux détenus, assignés les condamnés et dessine la trajectoire d’une longue pour la réalisation de cette pièce est une des plus solides, tout en mettant parmi les criminels les plus connus de France (Guy Georges, marche vers l’ennui, potentiellement infinie, rejouée en boucle en perspective l’idée de prothèse rêvée pour une personne détenue. Michel Fourniret ou Francis Heaulme), de filmer, caméra à la avec le folioscope. Le dispositif se présente également comme Une des réactions du corps humain associée à la détention de très longue main, ses déambulations à travers les seuls espaces autorisés à un moyen d’inverser les rôles en proposant aux détenus de la circulation pour les prisonniers (couloirs, cour de promenade, prendre symboliquement la place de leurs surveillants, derrière durée est la perte des dents, ces dernières par leurs qualités structurelles cellule...). Chaque vidéo, correspondant à chacun des lieux, est la caméra. La seconde performance désigne le caviardage sont les vestiges archéologiques qui résistent le mieux au passage du temps. ensuite découpée en images noir et blanc vectorisées, c’est- intégral du dessin par l’artiste, au cours d’un processus manuel Les dents sont également symboles de violence : elles jonchent le sol des à-dire déformées et appauvries de façon à les rendre moins aussi patient qu’endurant. Nicolas Daubanes s’impose ici couloirs de détention où se règlent les comptes. identifiables, et ainsi être autorisées à la publication par les comme discipline de reproduire les conditions de la vie carcérale Le four, qui permet la cuisson de cette céramique spécifique, est de taille autorités pénitentiaires. Archivées dans des folioscopes (ou « flip en s’astreignant à une gestuelle particulièrement longue et books ») dont l’épaisseur est proportionnelle à la longueur de la pénible. De déambulation en oblitération, il porte ici à un haut tellement réduite qui ne permet pas le tirage de la clef dans sa totalité. séquence (de 300 à 1200 pages), elles sont enfin entièrement degré d’abstraction l’idée de l’acte vain auquel sont réduits les Nicolas Daubanes choisit de ne pas assembler les morceaux ainsi créés recouvertes au feutre noir par l’artiste qui signifie par ce geste prisonniers, tenus en étau dans un non-lieu impossible à figurer, pour rester dans le cadre de la sculpture et non dans la copie conforme la dissolution de l’individu dans l’infrastructure comme son une prison aux airs d’impasse, ouvert sur un temps qui tourne à d’une clef de prison, ce qui est pénalement répréhensible. effacement hors de la vie sociale. vide. F. Gaïté Le titre de l’œuvre fait référence aux ouvrages polémiques qui
Crazy Diamond Crazy diamond Vidéos vectorisées image par image (12 img/sec), écrans de surveillance PVM, 2016 Lien vers les vidéos : http://www.nicolasdaubanes.com/spip.php?article133 Dans la maison centrale d’Ensisheim, Nicolas Daubanes a choisi de rendre les prisonniers participants actifs. Il donne à chaque personne détenue un morceau d’argile, lui proposant de façonner un objet qu’il désirerait réel. Des objets prohibés qui, apparaissant en noir et blanc à l’écran donc sans référence à la matière et à la couleur existantes, vont ainsi apparaître plus réels. Une utopie de l’appropriation. Des scènes de 40 secondes à 20 minutes, en boucle sur un écran qui rappelle celui de surveillance, qui confrontent la main destructrice du DPS (Détenu Particulièrement Surveillé) à celle créatrice du détenu-artiste. Comme cette clef modelée puis écrasée dans la paume de la main. Si l’évasion est impossible par le corps, elle l’est peut-être par l’esprit : le prisonnier va alors modeler une bouteille d’alcool et feindre de la boire. S’évader tout en respectant l’interdit.
Prohibition La vie de rêve Prohibition 8 étagères métalliques, bouteilles en plastique, fruits, sucre, levure, eau, préservatifs, 2016 La vie de rêve, bouteilles en plastique, fruits, sucre, levure, eau, palmiers et poupées gonflables, 2016 Vue de l’exposition La vie de rêve, Angle art contemporain, Saint-Paul-Trois-Châteaux, 2016 Prohibition, une grande installation de plusieurs centaines de bouteilles en plastique sur lesquelles sont fixés des préservatifs qui gonflent et se tendent sous l’effet des gaz de fermentation d’alcool. Désir du corps et échappée de l’esprit s’érigent face à l’interdiction de l’alcool. Le gaz qui se dégage sculpte, de manière La vie de rêve, une installation se compose de mélanges à la fois pleine d’humour et dramatique, le désir des détenus qui alcoolisés élaborés selon une méthode de fermentation mise véritablement « macèrent » en prison. Les prisonniers utilisent au point par des détenus dans leur contexte carcéral. Les pour la fabrication de leur alcool leur reste de pain et fruits gâtés préservatifs normalement utilisés pour empêcher l’oxygène qui donneront des couleurs différentes au liquide. Le préservatif de pénétrer dans les bouteilles sont ici remplacés par maintient la pression interne et conserve le milieu en anaérobie, des objets gonflables. L’éthanol et le dioxyde de carbone même si dans le temps d’une exposition, quelques préservatifs remplissent les palmiers et les poupées gonflables tout au devraient exploser. Le temps de l’intimité carcérale se mêle au long de l’exposition, ceux-ci donnant forme peu à peu aux temps de l’exposition. rêves alcoolisés des prisonniers.
Prohibition étagères métalliques, bouteilles en plastique, fruits, sucre, levure, eau, préservatifs, 2017 Vue de l’exposition Et le plancton, Vern Volume 2017
Dessins Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée Détail
Prisons, miradors Les dessins à la limaille de fer de Nicolas Daubanes représentent des lieux carcéraux, en activité ou désaffectés, construits selon le modèle panoptique élaboré par les frères Jérémy et Samuel Bentham à la fin du XVIIIe siècle. Symbole architectural de ce que Michel Foucault a nommé les « sociétés de surveillance », ce dernier allie pragmatisme architectural et fonctionnalisme judiciaire en permettant une observation totale reposant sur le principe du « voir sans être vu ». L’utilisation de la limaille de fer permet à Nicolas Daubanes de faire coïncider son sujet avec les moyens de sa représentation. Elle figure en premier lieu l’omniprésence du métal dans l’espace carcéral qui, de barreaux en portes blindées, de caméras en tôles de mirador, affiche une esthétique ferreuse propre aux lieux sécurisés. Mais à un autre niveau de lecture, elle peut également induire une narration plus spéculative en renvoyant aux traces d’une évasion imaginaire, aux restes laissés par un détenu qui aurait limé les barreaux de sa cellule. Le choix de ce matériau extrêmement volatile traduit enfin la volonté de l’artiste de soumettre le mode de représentation aux règles qu’impose la clandestinité du fugitif, qui ne peut laisser d’indices ou d’inscriptions pérennes derrière lui. La fragilité du matériau alimente par ailleurs la représentation d’un édifice symboliquement fragilisé dans ses assises. Artiste-vandale, Nicolas Daubanes trouve dans la précarité plastique de son œuvre le moyen de contrarier le pouvoir et l’autorité de son sujet. Le dessin n’est pas à proprement tracé mais bien plutôt posé, suspendu à même le papier, retenu par la seule force d’attraction d’une surface aimantée. Le motif est en effet d’abord découpé dans une feuille magnétique, puis disposé sur une plaque de métal et recouvert d’une feuille de papier blanc. La limaille de fer est ensuite répartie à sa surface et fixée par aimantation en épousant mécaniquement la forme du motif. L’équilibre ténu du matériau a pour effet de rendre le dessin potentiellement éphémère, lui-même prisonnier d’un dispositif visiblement faillible, qui ne peut se permettre la moindre seconde de relâchement. La non-pérennité manifeste du bâtiment est d’ailleurs appuyée par les irrégularités du trait qui laissent apparaître des surfaces plus estompées, dans un rendu proche d’une carte postale ancienne. A l’impression menaçante laissée par le premier regard succède alors la sensation d’une vulnérabilité presque touchante face à ces bâtiments du passé, sur le point de s’effondrer. F. Gaïté, pour les collections du Collection FRAC Occitanie Montpellier Prison Saint-Michel, Toulouse Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 200×280 cm, 2017 Vue de l’exposition du Grand Prix d’Art Contemporain Occitanie, Lieu-Commun, Toulouse, 2017
Maison d’arrêt de Mulhouse, bâtiment Schuman Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée, 86×130 cm, 2015 Vue de l’exposition En mémoire, Musée des Archives Nationales, Paris, 2015 Ensisheim : escalier de détention Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 190×95 cm, 2016 Vue de l’exposition La vie de rêve, Angle art contemporain, Saint-Paul-Trois- Châteaux, 2016
Nichts zu sagen Façade de la prison Saint Joseph à Lyon Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 370×370 cm, 2015 Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 350×300 cm, 2015 Vue de l’exposition À l’heure du dessin, 3e temps, Château de Servière, Marseille, 2015 Vue de l’exposition À l’heure du dessin, 3e temps, Château de Servière, Marseille, 2015 «Le procédé utilisé par l’artiste — un dessin réalisé́ à la poudre de limaille de fer aimantée — procure à ses œuvres une conservation précaire, qu’un frottement de la main pourrait effacer. L’installation Nichts Zu Sagen (comprenant les 2 muraux Nichts zu sagen et Façade de la prison Saint Joseph à Lyon), poursuit son inventaire des prisons de France, dont il représente les façades en utilisant de la limaille d’acier comme celle que produiraient les barreaux d’une cellule limés par le prisonnier. Vouée elle aussi à une disparition imminente, la prison Saint-Joseph à Lyon représentée ici est un élément d’histoire dont l’installation de Nicolas Daubanes révèle l’importance à demi-mots. Ceux de Klaus Barbie lors de son procès en 1987 pour crime contre l’humanité́, que la condamnation à perpétuité fera taire définitivement. L’artiste met donc en scène une certaine ironie du sort, celle d’un lieu où les victimes et leur bourreau furent emprisonnés chacun en leur temps, révélant le paradoxe d’une mise au silence des criminels auxquels on ôte la possibilité́ de raconter leur histoire en vertu de la paix sociale...». Céline Ghisleri, extrait du texte : Point à la ligne, à propos de l’exposition à l’heure du dessin, 3e temps au Château de Servière.
Cantine Mensuelle, Cour de promenade, Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 265×500 cm, 2014 Dessin mural à la poudre d’acier aimantée, 100×175 cm, 2017 Vue de l’exposition Conscience de classe, Lieu Commun, Toulouse, 2014 Vue de l’exposition Le batiman et a nou, La station, Nice, 2017 Un bon de cantine permet à chaque personne détenue d’avoir accès à des produits alimentaires améliorant le quotidien de la « gamelle ». C’est un système de distribution géré par l’adminis- tration pénitentiaire elle même. L’absence de concurrence et de contrôle ne permet pas d’établir une grille de prix raisonnable et ces derniers sont parfois très élevés. Contenue sur une feuille A4, cette palette de produits est très peu modifiée d’année en année, engendrant monotonie et parfois dégout chez les déte- nus. La poudre d’acier du Walldrawing nous ramène à la froideur de ce papier administratif photocopié, maintenant dénué de son code couleur, et à la mise en avant d’un rapport de classe so- ciale. Ce qu’ils mangent, c’est la prison elle-même, cette poudre retenue au mur, suspendue, qui à tout moment peut chuter.
Les spectateurs chez Piranèse Les spectateurs chez Piranèse Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée, 75×100 cm, 2015 Ces dessins reproduisent, par agrandissement, des parties des prisons imaginaires de Piranèse, notamment celles où l’on distingue des personnages, des spectateurs à peine visibles disposés en hauteur qui semblent assister aux tortures des prisonniers. Ces « spectateurs » chez Piranèse indiquent des directions, contraignent la composition des dessins. Ils apparaissent assez tard dans les états des différentes gravures, progressivement ; Piranèse affirmant ne jamais avoir terminé son travail. Nicolas Daubanes se permet alors lui-même d’ajouter des personnages et d’interpréter cette architecture de l’enfermement de manière quasi autobiographique, lui- même étant une sorte de contemplateur dans les prisons. Ce ne sont donc pas des copies stricto sensu des gravures de Piranèse, mais une nouvelle façon de se « déplacer » dans ces espaces – cauchemars devenus réels - avec une liberté d’interprétation. Un travail à quatre mains. Les spectateurs chez Piranèse Dessin sur papier à la poudre d’acier aimantée, 75×100 cm, 2015
Déclarations Préso de Mataro Déclarations Dessins sur papier à la poudre d’acier aimantée, 100 × 70 cm, 2017 Vue de l’exposition Les Mains Sales, Galerie Maubert, 2017 Préso de Mataró frottage au graphite, 144×330 cm, 2014 Vue de l’exposition SABOTAGE, Lac, Sigean 2014 Trois phrases prononcées par trois personnes condamnées pour A mi-chemin entre une figuration narrant le réel crime contre l’humanité. « Nichts zu sagen » de Klaus Barbie, et l’abstraction d’une poésie amère, Nicolas « Vos questions n’appellent aucune sorte de réponse » de Mau- Daubanes nous présente « Préso de Mataró », rice Papon et « Ils partagent plus ou moins mes idées » de Paul une œuvre graphique simulée, véritablement Touvier. Ces trois phrases d’évitement ont été prononcées lors de calquée sur les murs de la prison de Matarò, leurs arrestations ou de leurs procès. un établissement pénitencier qui, sous le Cette série est le point de départ d’un travail sur la question du régime de Franco, aurait servi à emprisonner silence induit par l’incarcération. Une fois écrouée la parole de les résistants espagnols. la personne détenue est soumise au contrôle, à la contrainte et à la censure. La prison prolonge le silence de celui qui ne dit rien. Détail Frottages au graphite des murs de la prison de Mataro
Question préparatoire, question préalable, question définitive Un des faits qui marqua Nicolas Dau- banes pendant sa résidence au Mémo- rial National de la prison de Montluc fut la découverte d’une photographie mon- trant la casse des plaques mémorielles présentes sur les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale portant des noms de soldats juifs. Le document montre des débris de granit au sol et les inscriptions laissent apparaître des fragments de mots et de noms. L’esthé- tique particulièrement violente de ces morceaux de mémoire cassée renvoie Nicolas Daubanes à d’autres témoi- gnages qui narrent les tortures faites sur les prisonniers de la prison de Mont- luc pendant l’occupation nazie. Face à l’hésitation, et notamment une certaine pudeur, sur la manière de montrer l’en- tièreté de ces témoignages pourtant si forts et importants, l’artiste décide de reproduire ces textes sur une plaque de porcelaine qu’il va briser pour n’en montrer qu’un seul morceau. C’est un fragment de porcelaine qui agit en tant que fragment de mémoire, fragment de témoignage. Quelques phrases ap- paraissent et laissent la possibilité au spectateur d’imaginer la suite et les événements qui se sont déroulés dans l’enceinte même de la prison de Mont- luc. Pour inscrire le texte, Nicolas Dau- banes utilise une toute nouvelle tech- nique, entre tatouage et gravure. Une inscription pour l’éternel. Une meuleuse vient disquer un morceau de métal : les étincelles (limaille de fer en fusion) heurtent alors l’émail de la porcelaine et s’y incrustent définitivement formant texte et image sur la surface. Une technique complémentaire des dessins à la limaille de fer aimantée. Ces derniers sont fragiles, instables, tout juste « tenus » tandis que la limaille de fer incrustée dans la porcelaine présente un dessin inscrit de façon pérenne. Avec cette même matière extrêmement signifiante sur la question de l’évasion, Nicolas Daubanes joue sur deux possibilités de narrer des histoires. Celle-ci représente et témoigne des tortures faites sur les détenus de la prison de Montluc grâce à une représentation durable. Question préparatoire, question préalable, question définitive incrustation d’acier incandescent sur porcelaine, dimensions variables, 2019 vue de l’exposition La vie quotidienne, Mémorial national de la prison de Montluc, Lyon, 2019 crédit photo : Yohann Gozard
Cosa mangiare Ensemble de recettes, réalisées et proposées à la dégustation lors de la performance Cosa mangiare au Centre d’art et de design, La cuisine, à Negrepelisse en avril 2016 Nicolas Daubanes réalise des recettes collectées oralement auprès de détenus, expérimentées à leur côté, puis écrites pour en fixer la mémoire. Ces recettes leur permettent de cuisiner avec les ingrédients limités auxquels il leur est possible d’accéder dans le cadre pénitentiaire par le biais d’un «bon de cantine». Bien plus que de simples recettes de cuisine, ces expérimentations culinaires racontent la manière dont les personnes détenues occupent leurs temps, l’espace de leurs cellules et réveillent des souvenirs de repas de famille. Cuisiner en cellule, c’est d’abord refuser de manger «la gamelle», c’est aussi résister.
ELSE #14 / revue du Musée de l’Elysée / Nov-2017 La prison retire la liberté mais While jail takes away freedom, it Gefängnis bedeutet Freiheitsentzug, pas forcément la créativité, encore does not necessarily eliminate cre- aber nicht unbedingt Entzug der moins l’imagination. C’est le pre- ativity, even less imagination. Kreativität und noch weniger der mier enseignement que l’on tire du Such is the first lesson to be learnt Fantasie. Das ist die erste Lehre, travail de Nicolas Daubanes. Sa from the work of Nicolas Daubanes die man aus der Arbeit von Nicolas série intitulée Cosa Mangiare com- His series entitled Cosa Mangiare Daubanes zieht. Seine Serie mit prend des photographies mais comprises photographs but also dem Titel Cosa Mangiare umfasst aussi des recettes de cuisine, col- cooking recipes collected orally by Fotografien, aber auch Kochre- lectées oralement par l’artiste the artist from prisoners. He then zepte, die der Künstler mündlich auprès de détenus. Il les a ensuite experimented them, wrote them bei Häftlingen gesammelt hat. expérimentées, rédigées puis down and photographed them. Er hat sie dann ausprobiert, nieder- photographiées. The originality of this “cooking geschrieben und schliesslich L’originalité de ce « livre de re- book” does not come so much from fotografiert. cettes » ne tient pas tant aux résul- the proper process, which allows Die Originalität dieses «Rezept- tats qu’à la démarche elle-même, prisoners to cook with the limited buchs» liegt nicht so sehr in den qui permet aux prisonniers de cui- range of ingredients to which Ergebnissen als im Vorgehen selbst, siner avec une gamme d’ingrédients they have access through “canteen das es den Gefangenen erlaubt, limités auxquels ils ont accès par vouchers”. These culinary experi- mit der beschränkten Auswahl Zu- le biais d’un « bon de cantine ». Ces mentations tell of the way jailed in- taten zu kochen, die sie mit einem expérimentations culinaires ra- dividuals use their time, and the «Kantine-Gutschein» erhalten kön- content ainsi en substance la ma- space of their cell. nen. Diese kulinarischen Experi- nière dont les personnes détenues For example, for a warm potato, mente erzählen so im Wesentlichen occupent leur temps, l’espace de a bag of potato flakes must be filled davon, wie die Häftlinge ihre Zeit leur cellule. with boiling water, then mixed, left und den Raum ihrer Zelle nutzen. Par exemple, pour une pomme in the fridge for a few days, and fi- Für eine warme Kartoffel zum de terre chaude, il faut glisser de nally placed inside an oven invented Beispiel muss ein Beutel Kartoffel- l’eau bouillante dans un sachet de for the occasion. Such ingenuity flocken mit kochendem Wasser flocon de pomme de terre, masser would not serve the ambitions of a gefüllt, das Ganze geknetet, einige le tout, réserver au réfrigérateur starred chef; it is a form of “escape Tage im Kühlschrank aufbewahrt quelques jours, puis la déposer dans plan,” through the memory of a und dann in dem eigens dafür erfun- le four inventé pour l’occasion. convivial family dinner. An escape denen Ofen platziert werden. Sol- Cette ingéniosité n’est pas au service that here takes the shape of a hot, cher Einfallsreichtum kann nicht de l’ambition d’un chef étoilé mais smoking and fragrant potato on die Ambitionen eines Sternekochs correspond à une « tentative d’éva- the prisoner’s plate. When in jail, it erfüllen, entspricht aber einem sion » par le souvenir d’un repas is not so much calories that one «Fluchtversuch» dank der Erinne- familial et convivial. évasion qui fears, rather the mess tins, the “offi- rung an ein gemütliches Familien- prend la forme, ici, d’une grosse cial” food, for lack of any better essen. Eine Flucht, die hier die patate chaude, fumante et odorante word. Enjoy your meal! Form einer grossen, warmen, damp- dans l’assiette du prisonnier. En fenden und duftenden Kartoffel auf cellule, on ne craint pas tant les ca- dem Teller des Häftlings annimmt. lories mais plutôt « la gamelle », In der Zelle fürchtet man nicht la nourriture « officielle », pour ne so sehr die Kalorien, sondern den pas dire autre chose. Bon appétit ! «Blechnapf», die «offizielle» Nah- rung, um es gelinde auszudrücken. Guten Appetit! PRÉSENTÉ PAR TATYANA FRANCK 4
Sabotage Sabotage 4 Sabotage 2 Béton, fer, et sucre, 220×180×180 cm, 2016 Béton, sucre, fer, bois, 330×350×300 cm, 2014 Vue de l’exposition Festival des arts éphémères, Parc de la Maison Blanche, Marseille, 2016 Vue de l’exposition SABOTAGE, Lac, Sigean, 2014 L’adjonction de sucre dans le béton, s’inspire du geste vain, pendant la deuxième guerre mondiale, des résistants lorsqu’ils étaient contraints, une fois faits prisonniers, à la fabrication du « Mur de l’Atlantique » pour les Allemands. Le sucre, une fois plongé dans la masse totale du béton encore frais, provoque un état de fragilité lorsque ce dernier sèche. Il s’agit d’un acte de sabotage. Une lutte vaine et silencieuse. La pièce Sabotage, à partir d’un coffrage complexe, a été coulée en une seule fois, de manière à constituer un seul « corps ». Une fabrication longue et minutieuse, en contradiction avec une fin quasi-programmée scientifiquement : cette pièce est destinée à devenir brisures, gravats et poussières. Malgré la précision de sa préparation (coffrage, matériaux…) va naitre l’inattendue : un état de ruine au moment de la révélation hors du moule. C’est donc par l’adjonction d’un agent, le sucre, que la pièce se retrouve rongée, comme un virus.
Sabotage Béton, fer, et sucre, 3 éléments : 200×120×120 cm chacun, 2013 Vue de l’exposition le jour après le lendemain, Maison salvan, Labège, 2013
Sabotage 5 Béton, fer, et sucre, 2 éléments : 350x40x40 cm chacun, 2017 Vue de l’exposition Go Canny ! Poétique du sabotage, Villa Arson, Nice 2017 Sabotage 6 Béton, fer, et sucre, 2 éléments : 300x30x30 cm cm chacun, 2017 Vue de l’exposition du Grand Prix d’Art Contemporain Occitanie, Lieu-Commun, Toulouse, 2017
Sabotage 7 Béton, fer, et sucre, 200x500x500 cm, 2017 Vue de l’exposition Le batiman et a nou, La station, Nice 2017
Membranes Membrane : La Cellule Silicone, acier, lumière, 450×230×210 cm, 2012 Vue de l’exposition Temps mort, le Lait, Albi, 2012 Membrane prélevée dans une cellule de la maison d’arrêt de Nice. Membrane : La Cuisine Silicone, acier, lumière, 160×170×200 cm, 2011 Il s’agit d’une « mue », d’une empreinte dont la matrice est la cuisine de la maison familiale de Nicolas Daubanes. L’espace est redessiné avec des tiges d’acier soudées et emboîtées. Avec une fragilité certaine, la peau est suspendue sur ce support et nous permet d’apprécier le volume référent. Eclairée, la sculpture nous révèle toutes les cicatrices et poussières du lieu. Cette « peau / mémoire » porte forcement, en elle, les traces et empreintes du passé mais il n’est pas question de proposer un retour en arrière, ni de réactiver des souvenirs. Cette oeuvre, au privilégiant l’empreinte, met à distance son référent, la cuisine telle qu’elle existe aujourd’hui. L’artiste souhaite d’avantage parler des « fantômes du présent », de ce que cet espace propose encore de vie, des tentations et projections que son aspect vulnérable, déchiré et délabré suscite, en sollicitant l’expérience de chacun. Il s‘agit de dégager au présent, les spectres qui l’habitent.
Membrane : La Cellule Silicone, acier, lumière, 450×230×210 cm, 2012 vue de l’exposition Le batiman et a nou, La station, Nice 2017
Jusqu’ici tout va bien Hexagone Jusqu’ici tout va bien Installation vidéo, 5’05’’,2012 Vue de l’exposition Temps mort, le Lait, Albi 2012 Un circuit automobile est une métaphore possible d’un parcours de vie marqué par un enfermement. On se retrouve à tourner en rond, sans cesse emmené à reproduire le même chemin sans pouvoir outrepasser ce dernier. Or, même si l’on subit une certaine forme d’enfermement dans notre existence et si l’on suit une trajectoire qui se dessine malgré nous, on peut décider de vivre intensément et avec force cet Hexagone itinéraire. Peau de souris échangée contre divers objets avec un détenu de la prison des Baumettes à Marseille. A bord d’une voiture qui ne possède ni assistance 10 x 10 cm, 2017 diectionnelle ni assisatance électrique, entièrement repeinte en noir mat, Nicolas Daubanes choisi de sillonner la piste du circuit automobile d’Albi à toute vitesse.
Nicolas Daubanes. D’abord, être en alerte Par Camille Paulhan Ne pas se fier aux apparences qui font qu’on pourrait ne un léger soulèvement, les faire disparaître instantanément. sur des chantiers afin de le saboter l’intrigue au point d’en matin même à minuit tandis que les coureurs professionnels retenir du travail de Nicolas Daubanes que son aspect Par ailleurs, comme pour rajouter à la précarité naturelle du faire le principe fondateur d’une série de sculptures (8). À font leur départ en fin de matinée. Entouré de l’attirail volontairement rugueux, un rien masculin : prédominance matériau pulvérulent, l’artiste prend le soin de préciser que la dimension héroïque que le sabotage en temps de guerre folklorique du Tour – voitures, scooters, caméras et badauds d’un univers carcéral pas vraiment douillet qu’habitent l’aimantation perd naturellement de sa force d’attraction, peut revêtir dans la mémoire collective s’oppose le geste enthousiasmes postés tout au long de l’étape – il réussit, notamment les « DPS » (détenus particulièrement surveillés), conduisant le dessin à s’estomper lentement en quelques quelque peu vain d’infiltrer d’infimes portions de sucre dans grâce à un entraînement intensif préalable, à vaincre valorisation de l’exploit sportif pur, de vélo ou de course dizaines d’années seulement (4). Alors, face à l’architecture une bétonnière tout en sachant que cela ne pourra modifier temporairement la douleur afin de mener à bien sa course de voiture, emploi récurrent dans ses œuvres de béton ou fonctionnelle austère des bâtiments, voilà le motif qui met en rien la structure même du mortier. Les Sabotages (2013- de 168 kilomètres. Au bout du compte, ni médaille, ni d’une poudre de fer brûlée récupérée sans hasard chez des en œuvre son puissant désir d’évasion, non sans grâce et en 2015) de l’artiste prennent la forme d’escaliers hélicoïdaux classement, et même pas un entretien en direct sur France aiguiseurs de tronçonneuses... Ce serait certainement là se prenant tout son temps, comme on lime un barreau avec ou légèrement courbes — métaphores d’un passage d’un 2 (10). La performance sportive, si publique dans le cadre méprendre pleinement sur les implications de son travail, à une râpe de cuisine. état à un autre —, dont le béton a cette fois été gavé d’une du Tour, redevient toute personnelle, affaire d’articulations vrai dire peu attiré par la glorification aveugle de la solidité Dans ses séries DPS et DPS 2 (2014-2015), ce sont cette quantité impressionnante de sucre qui vient l’imprégner au et de muscles, autrement dit de limites physiques d’un ou de la puissance brute des matériaux, des individus ou fois-ci les hommes qui sont représentés, qu’il s’agisse fil du temps, et couler par des orifices fissurés comme de corps presque absent de lui-même lors de l’effort. Cette des structures sociales. Ce serait aussi envisager d’abord d’évadés légendaires dont le visage a hanté les journaux la liqueur d’un bonbon croqué. Avec les Sabotages, Nicolas dimension quasi claustrophobe, alors même qu’à l’extérieur, ses œuvres comme des formes ironiques et désinvesties. télévisés ou d’anonymes – parfois pourtant célèbres – dont Daubanes s’intéresse ainsi aux traces d’une résistance, la peau ne cesse de manifester ses velléités fluidiques, est Ce serait enfin ne pas voir que son œuvre se développe au la seule silhouette affleure comme un îlot coloré au milieu même menée dans la pleine conscience de son inutilité. à nouveau abordée avec Jusqu’ici tout va bien (2012). contraire dans les fissures et les manques plus que dans les de la masse grise des bâtiments. Ici, la poudre métallique On ne s’étonnera guère que les prisons de Mataro, Lyon Enfermé dans une voiture aux apparences de bolide de film affirmations péremptoires. apparaît comme un recours poétique à l’impossibilité de la ou Kilmainham, qui ont retenu son attention pour des d’action, casqué comme pour prévenir une catastrophe, En 2008, alors qu’il est encore étudiant, Nicolas Daubanes monstration des visages des détenus (5). Plus récemment, travaux cités précédemment, aient enfermé respectivement Nicolas Daubanes roule sans discontinuer autour du circuit entre une première fois dans une prison, en « simple l’artiste s’est penché sur les traces laissées par les détenus en leur sein, au XXe siècle, des opposants à Franco, des automobile d’Albi tout le long d’une journée, d’abord visite » pourrait-on dire. Mais l’expérience est un choc sur les murs de leurs lieux de détention : Philippe Artières a, résistants français et au siècle précédent des leaders de la lentement, puis de façon plus furieuse. Mais rien ne semble brutal, duquel découleront de nombreux autres séjours en 2014, tenté de rassembler une compilation fragmentaire rébellion irlandaise. Le sabotage et la résistance peuvent se passer : il n’y a pas de chute, au propre comme au figuré, de recherche et de travail avec les détenus : Mulhouse, de ce « chœur du carcéral », un « chœur contraint qu’il faut aussi s’envisager sous l’angle du refus de l’acte plutôt que rien qui viendrait rompre le cours de la performance. En Nice, Montauban, Nîmes, Béziers, Perpignan... Une de entendre comme une adresse à ceux du dehors, mais aussi de l’engagement en actes : c’est le cas notamment du réalité, et comme dans son travail sur la prison, il ne faudrait ses premières œuvres, Pays de Cocagne (2010), plante le comme la véritable archive de la prison, multiple, diverse, coureur cycliste Albert Richter, auquel l’artiste consacre en pas s’en laisser conter et voir dans ce faux reenactment de décor : pour les prisonniers mineurs de la prison de Lavaur, insaisissable et violente » (6). Sans prétendre aucunement 2013 une sérigraphie, dédaignant le salut nazi et souriant scènes d’action une fascination particulière pour le monde à côté de Toulouse, il conçoit une sorte de boîte géante à l’exhaustivité, Nicolas Daubanes a choisi d’isoler des à pleines dents aux côtés de son entraîneur juif face aux de la compétition sportive. Comme la boîte en carton en carton, qui s’apparente à première vue à une cellule phrases ou de simples prénoms gravés dans la pierre à l’aide photographes. utilisée avec les détenus, l’espace clos de la voiture est une opacifiée. Mais, plus que le cachot, c’est le modèle de la d’outils rudimentaires. Pour Préso de Mataro (2013-2014), La scène se passe à la fin des années 1930, Richter métaphore de l’enfermement, dont il faut s’évader par des grotte ou de la cabane qui prévaut ici, et la boîte se révèle la méthode de prélèvement exige elle-même un effort sera assassiné début 1940, et sa stratégie de sabotage moyens plus ou moins voués à l’échec. être au contraire un rare espace de permission, dans lequel physique, celui du frottage sur papier sur les lieux mêmes de la logique nazie dans le domaine du sport fut un acte Dans un de ses textes consacré à la photographie en prison, les détenus échappent autant au regard des gardiens qu’à de l’inscription, empreinte directe en deux dimensions de résistance tant ostensible – il s’agissait d’un coureur Michel Frizot rappelle que la pratique photographique est celui des caméras de surveillance. d’une incision parfois à la limite de la visibilité sur le mur. relativement populaire – que sobre. d’abord liée à l’usage d’une camera obscura, et donc d’un Première découverte carcérale : en prison, c’est donc ce qui Là encore, pour l’artiste, ces tentatives d’écorcher la surface Lorsque Nicolas Daubanes s’intéresse à la figure d’Albert espace « nécessairement clos » : photographier la prison est le plus obscur et non pas ce qui est le plus transparent peuvent être perçues comme une des premières manières de Richter, ou plus récemment pour un projet en cours à un en deviendrait presque tautologique (11). Pourtant Nicolas qui mène potentiellement à la liberté d’action ou de pensée. s’évader, ne serait-ce qu’intellectuellement, de l’oppression cycliste ayant pendant la Seconde Guerre mondiale profité Daubanes n’est pas un photographe de prisons, et son propos Seconde découverte : les seuls matériaux autorisés par des lieux. Moins harassant, mais tout autant tourné du côté de son statut pour passer des informations entre zone libre n’est pas forcément de dénoncer une situation particulière, l’administration pénitentiaire étant ceux qui sont les plus de la révélation du mot comme méthode de monstration, et zone occupée, il n’en est pas à son premier travail sur le mais plutôt d’en révéler les mécanismes et parallélismes précaires – argile crue, carton... – il faut lutter contre la son travail Restez ici une heure si vous osez (2015) prend sport. C’est que, pour l’artiste, le sport est un des autres avec d’autres types d’enfermement. dureté du cadre répressif, tout de béton et de grilles pour origine cette phrase en forme d’avertissement, lue sur visages métaphoriques de la résistance, passant ici par L’idée de la photographie comme boîte fermée métalliques, avec des moyens principalement fragiles. C’est un mur gravé d’une prison turque. Comme s’il s’agissait l’exploit physique. Le cyclisme retient particulièrement capturant possiblement l’image d’une autre boîte a pu bien d’ailleurs avec cette contrainte que s’exerce la créativité d’une missive clandestine, les mots sont tracés au jus de son attention : en 2010, alors qu’il est encore étudiant, il l’intéresser pour un projet comme La tuilerie (2011), où il des détenus : sculptures chancelantes en savon, en gomme citron sur une feuille, et il faut justement une heure pour propose la performance Avoir l’apprenti dans le soleil, du utilise des intérieurs d’appartements HLM bientôt démolis ou en pain (1) , collages à partir d’images récupérées dans que le motif se distingue intégralement, à la flamme d’une nom d’un mystérieux dessin de Marcel Duchamp (1914) comme chambres noires. Sur les murs nus apparaissent les journaux, dessins éphémères ou graffitis grattés sur bougie ou d’un briquet, en prenant garde de ne pas brûler où un cycliste gravit une rude côte sur une partition de toits de maisons, nuages et ciels changeants. L’espace les murs. Philippe Artières, évoquant ces multiples traces l’ensemble. musique vierge. Nicolas Daubanes, qui n’est pas même – domestique, bien que vidé de toute substance familiale ou laissées en prison par les individus qui l’ont habitée, écrit : Il n’aura échappé à personne qu’avec son goût pour ce qui encore faut-il le préciser – cycliste amateur, revêt l’habit de émotionnelle, se retrouve investi d’un possible souvenir lié à « Le processus de disparition dont sont l’objet les détenus demeure caché et qu’il faut révéler avec plus ou moins sportif de son père et pédale sur un vélo avec force vigueur l’évasion poétique. Au même moment, l’artiste travaille à des les pousse, eux les invisibles, à ce besoin de s’inscrire dans d’éclat, Nicolas Daubanes laisse transparaître une attirance de façon à faire apparaître derrière lui, au rythme de l’effort, prélèvements, cette fois encore plus intimes, de fragments le lieu, de le marquer de leur présence. La grande machine à particulière pour une subversion qui passerait d’abord une projection d’une photographie de ce dernier, récemment d’univers directement liés à des lieux connus et fréquentés surveiller est ainsi jalonnée de détritus. Manière dérisoire de par la manipulation des matériaux. L’ouvrage théorique décédé. Dans la salle plongée dans la pénombre, il lui faut : ce sont les Membranes (2011-2012), et notamment celle montrer qu’en prison, il est des gestes interdits possibles, d’Émile Pouget, Le sabotage, rédigé au début du XXe siècle fournir un effort intense pour que l’image se cristallise enfin de La cuisine, prélevée en silicone dans la cuisine de la il est des grains de sable » (2). Et c’est en effet à partir (7), échafaudant une stratégie politique et rigoureuse du sur le mur. La révélation du souvenir passe en premier lieu maison familiale. Semblable à une mue de serpent venant de ces grains de sable bien friables que Nicolas Daubanes sabotage industriel par les ouvriers eux-mêmes, a pu un par une mise à l’épreuve du corps, dans une perspective manifester que quelque chose s’est autrefois passé, celle-ci envisage son travail sur la prison. D’abord, il s’est agi de premier temps nourrir sa pensée. Contrairement à ce que moins doloriste que la performance historique mais toutefois archive à fleur de peau des traces sensibles de l’espace – réaliser des dessins des dispositifs panoptiques de centres l’on pourrait imaginer, les exemples de sabotage proposés empreinte d’une souffrance circonstancielle, que Nicolas poussière, cheveux… – préférées à une image nette et précise pénitentiaires — ou plutôt, en partie panoptiques seulement, par l’auteur n’ont rien d’héroïque, et se mettent en place Daubanes ne renie pas : « La douleur éveille le corps du qui pourrait justement être celle de la photographie. Bien le Panopticon utopique de Jeremy Bentham, imaginé à la fin plutôt par la lenteur et le zèle à l’extrême ou le léger décalage coureur qui doit, pour la dépasser, l’apprivoiser, l’apprécier, que l’histoire personnelle de Nicolas Daubanes n’apparaisse du XVIIIe siècle, n’ayant jamais été réalisé intégralement d’habitudes de travail rendant le produit inutilisable. À la en faire la compagne avec laquelle il tente quotidiennement dans son travail que par bribes qui donnent l’impression (3). L’entrée des cours disciplinaires de la prison Saint-Paul suite de la pensée de Pouget, c’est la connaissance de faits et obstinément une échappée héroïque » (9). de pouvoir voleter avec la fragilité de sa poussière de fer (Lyon), une façade de la prison de Kilmainham (Irlande), la de sabotage individuels plus ou moins entrés dans la grande Un an plus tard, cette « échappée héroïque » se matérialise (photographie du père révélée lentement, fantôme exsangue cour de promenade de la prison de Mataro (Espagne) ou les histoire de la Seconde Guerre mondiale qui ont pu attirer par un projet où le spectaculaire se mêle au dérisoire ; de cheminée), elle ne cesse de teindre avec une certaine prisons imaginaires de Piranèse pour sa série des Carceri l’attention de Nicolas Daubanes, affirmant toute la portée dans le sport, ce qui paraît intéresser le plus l’artiste, c’est pudeur l’entièreté de sa production. La maladie dont il ne sont ainsi reproduites à la poudre métallique noire sur un résistante de cette forme d’action. Le récit – légendaire ou bien d’abord le fait que l’exploit puisse être réalisé avec fait au demeurant pas mystère – les suites d’une greffe de papier blanc. Mais les représentations en question ne sont pas – selon lequel des prisonniers soumis au travail forcé, superfluité, sans pour autant en devenir futile. Pour Saint rein – ne cesse d’irriguer sa recherche sur l’enfermement et maintenues à la surface de leur support que par le biais et assignés à la construction de ponts, auraient versé la rare Gaudens – Plateau de Beille, il décide de suivre l’intégralité sur le sabotage, la contamination. Le sucre qui imprègne d’une plaque aimantée, qui pourrait potentiellement, par portion de sucre qui leur était allouée dans le béton utilisé d’une étape du Tour de France, à vélo, mais en partant le ses pièces de béton jusqu’à les fragiliser considérablement
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