TRAVAIL DÉCENT : 3 ANS APRÈS LE RANA PLAZA - Interview de Guy Ryder, Directeur général de l'OIT Le chocolat est-il équitable ? - Glo.be
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TRAVAIL DÉCENT : 3 ANS APRÈS LE RANA PLAZA Interview de Guy Ryder, Directeur général de l’OIT Le chocolat est-il équitable ? LES SYRIENS OPPRIMÉS LE MIRACLE DE PARIS N° 1/ 2016 • TRIMESTRIEL JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 P308613 • BUREAU DE DÉPÔT BRUXELLES X
Sommaire JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 4/5 > 34 / 35 > 38 / 39 > Travail décent: Un peuple Le ‘miracle’ il y a du pain sur la planche aux abois de Paris © Adam Cohn > DOSSIER TRAVAIL DÉCENT 6 Travailler après la catastrophe 24-25 Les employés domestiques du Pérou sortent de l’ombre 7 Vivre et aider à vivre 26-27 L’esclavage au XXIe siècle 8-9 Royal Knit : une place de roi 28-29 La pauvreté : facteur favorisant 10-11 Les syndicats du textile le commerce des enfants au créneau pour un Abonnement salaire minimum digne 30-31 Fabriquer des sacs à main au Cambodge en Belgique et au Sénégal ratuit sur: gratuit sur : www.glo-be.be 12-15 Les nombreux obstacles à 32 La formation, un tremplin ou par mail à : un travail décent pour tous vers le marché du travail info.dgd@diplobel.fed.be 16 L’OIT en quelques mots 33 La culture comme vecteur (également pour la résiliation) de transformation sociale 17 Comment la Belgique soutient-elle les syndicats 36 La crise des migrants Vous désirez suivre les news et les ONG dans leur lutte et le 4e pilier de la coopération belge ? pour le travail décent ? 37 “Malgré mon handicap, Rendez-vous sur facebook 18-19 Le travail des enfants : je suis tout à fait autonome” (Diplomatie.Belgium), une problématique tenace www.dg-d.be et Glo-be.be 40-41 Oiseaux sans frontières 20-22 Le chocolat, un plaisir 42-43 Autour du Glo.be DISPONIBLE pour tous ? EN VERSION TABLETTE 23 Protection sociale pour tous 2 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
POUR UN MONDE DURABLE Un levier pour Rana Plaza, 3 ans plus tard. Rien n’a le bien-être beaucoup évolué dans l’industrie textile. Sauf quelques exceptions comme cette l y a trois ans, le 24 avril 2013, l’entreprise textile Rana Plaza implantée petite entreprise de tissage marocaine qui offre des conditions de travail décentes. © Dieter Telemans I au Bangladesh s’effondrait comme un château de cartes. Bilan : 1.138 morts et plus de 2.000 blessés. La catastrophe était symptomatique d’une industrie textile pervertie qui se moque du droit fondamental à un emploi décent. Depuis lors, les grandes chaines et le consommateur semblent avoir pris un peu plus conscience de toute la misère qui peut se dissimuler derrière un tee-shirt bon marché. Malheureusement, les lois économiques continuent à dicter largement nos comportements. En fin de compte, c’est le prix (le plus bas possible) qui oriente souvent nos choix. Entretemps quelques modestes Périodique trimestriel pionniers proposent déjà des “vêtements équitables” à un prix raisonnable. de la Coopération belge au Développement Dans ce numéro, nous aborderons plus en détail les changements survenus depuis le drame au Rana Plaza. Il est manifeste que l’Organisation Rédaction : internationale du Travail (OIT) doit encore surmonter de nombreux obstacles Coopération au avant de pouvoir réaliser son ambition majeure, à savoir : “un travail décent développement - DGD Rue des Petits Carmes 15 pour tous”. Guy Ryder, le directeur général de l’OIT, a évoqué le chômage rampant, le milliard et demi de travailleurs vulnérables, la discrimination édito B-1000 Bruxelles Tél. +32 (0)2 501 48 81 persistante des femmes, ou encore le travail difficile des syndicats dans E-mail : info.dgd@diplobel.fed.be nombre de pays. Sans parler des millions de quasi esclaves qui – au 21e siècle ! www.diplomatie.be • www.dg-d.be – doivent (sur)vivre dans des conditions inhumaines. Sans oublier le travail et la Secrétariat de rédaction : traite des enfants : combien de gouttes de sueur ont dû couler de leurs fronts Chris Simoens, Stefanie Buyst, pour fabriquer notre délicieux chocolat ? Benoit Dupont, Astrid De Vos, Louis Bersini, Mia Van Aken L’OIT, la plus ancienne institution des Nations unies, célèbrera son centenaire en 2019. L’institution œuvre d’arrache-pied depuis près d’un siècle pour Création et production : offrir un travail décent à tous, souvent dans l’ombre de l’actualité brûlante. www.mwp.be Elle applique une formule singulière dans laquelle gouvernements, patronat Remerciement : et syndicats se portent une oreille attentive. De nombreuses conventions et Sonja Keppens, Eddy Nierynck recommandations guident et encouragent les États membres de l’organisation à accélérer leurs efforts en matière de travail décent. L’OIT est par conséquent Les articles publiés ne représentent pas un partenaire essentiel de la Coopération au Développement belge. Un travail nécessairement le point de vue officiel de la DGD ou du gouvernement belge. La décent constitue en effet un levier solide pour le développement et le bien-être reproduction des articles est autorisée humain. Cela ne se limite pas au simple fait de “gagner suffisamment”, quoi pour autant que la source soit mentionnée que cela puisse représenter pour les innombrables démunis. Un travail décent et qu’une copie de la publication soit est également synonyme d’occupation utile et sociale, d’une image de soi envoyée à la rédaction. saine, d’un cadre, ou encore d’épanouissement personnel. Glo.be paraît 4 fois par an. Les défis sont colossaux, mais le directeur de l’OIT reste optimiste. Il fonde son Imprimé sur papier 100 % recyclé. optimisme sur un coup de force de la communauté internationale : la réalisation d’un agenda global pour le développement durable soutenu par tous. La Coopération belge au Développement veut œuvrer Cet agenda contient des objectifs ambitieux mais réalistes. La communauté avec ses partenaires à la construction d’un monde juste, équitable et durable où chacun vit en paix, en sécurité, en internationale pouvait d’ores et déjà se baser sur les années d’expérience de liberté et à l’abri de la pauvreté. À cette fin elle définit la l’OIT. Les parties prenantes ne se focalisent pas sur leurs intérêts divergents, politique et toutes les activités liées au développement, mais bien sur leurs valeurs et objectifs communs. Avec un peu de chance, financées par le gouvernement fédéral et principalement menées par la Coopération technique belge (CTB), par des nous ne perdrons jamais cet enseignement de vue. acteurs non-gouvernementaux et multilatéraux. LA RÉDACTION I JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 3
TRAVAIL DÉCENT : IL Y A DU Trois ans après l’effondrement du complexe Fonds de Sécurité industriel Rana Plaza au Bangladesh, le secteur compensation L’action internationale ne visait pas Par crainte de représailles, les vic- seulement à dédommager le décès textile a beaucoup changé - dans le bon sens. times de la catastrophe n’ont pas de 1.138 personnes et le mal occa- Mais des initiatives pour la protection des osé réagir. C’est pour cette raison sionné à leurs proches et à plus de ouvriers du textile doivent encore être mises au que le Fonds de Compensation Rana 2.500 blessés. Elle a aussi permis point. Le chemin vers des conditions de travail Plaza - alimenté par les marques de de souligner l’ancrage structurel du vêtements - a été créé. Après plus problème. Par exemple, les normes décentes dans le secteur textile est encore long ! de 2 ans de patience, en juin 2015, de sécurité dans tout le secteur le cap visé de 30 millions de dol- laissent à désirer. L’accord sur la SARAH VANDOORNE lars a été atteint. Malgré la lenteur sécurité incendie et les normes du processus, il est prometteur. des bâtiments au Bangladesh a été 1.138 mor ts sous les ruines de Rana Plaza. Soit le revers de la médaille Atteindre ce cap aura nécessité la collaboration d’acteurs très divers qui ont dû se mettre d’accord. Les conclu. Les marques signataires de cet accord – 213 en tout – sont tenues d’indiquer leurs fournisseurs, d’ac- lucrative d’un secteur textile caracté- contacts entre les marques, la société cepter les inspections et de prévoir risé par une protection sociale insuf- civile, les autorités et l’OIT auront un les moyens nécessaires pour que les fisante dans les pays à bas salaires impact durable. Les organisations propriétaires d’usines dangereuses comme le Bangladesh. Conjointement défendant le changement disposent puissent les rénover. Un instrument avec les organisations de la société désormais du réseau adéquat pour contractuel contraignant impose civile, l’Organisation internationale continuer à faire pression, même si aux marques de vêtements des du Travail (OIT) a saisi ce moment le momentum est passé. Le logiciel obligations financières effectives. propice pour épingler les conditions qui a été développé spécifiquement Depuis la catastrophe, le secteur a de travail déplorables du secteur. Les à cet effet crée des possibilités entrepris des démarches et conclu ouvriers ne connaissent pas leurs uniques. “À l’avenir, nous ne devrons des partenariats afin de lancer le droits, ce qui conduit à des abus. Par plus mener éternellement la même changement à long terme. Selon exemple, ils sont obligés de travailler discussion, nous pourrons copier le professeur Mohammad Jahan- sous contrat de courte durée. Les et coller la méthodologie retenue”, gir Alam (Bangladesh Agricultural salaires sont très bas et ceux qui confie Ben Vanpeperstraete (Syndi- University), beaucoup de choses s’affilient àun syndicat sont presque cat international IndustriALL). ont changé : “Les acheteurs inter- certains de perdre leur travail. nationaux ont mis la pression sur le secteur. Conjointement avec de nombreuses organisations, ils suivent à la lettre les conditions de travail dans le secteur textile.” © 2012 Abir Abdullah for ADB 4 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
TRAVAIL DÉCENT PAIN SUR LA PLANCHE reste minimale. Sous prétexte qu’une 3 commande pourrait passer à une Ventilation des coûts € autre usine, dans un autre pays ou sur un autre continent 1, les proprié- d’un t-shirt à 3 € taires maintiennent les salaires à un niveau bas. 59% 1,77€ VENTE AU DÉTAIL Fair fashion Dans les ateliers de commerce équitable, comme en Inde, l’atelier 12% 0,36€ PROFIT POUR LA MARQUE DE VÊTEMENT de la marque People Tree, pionnière de la mode équitable, les ouvriers 12% 0,36€ COÛT DU MATÉRIEL du textile sont payés équitable- 8% 0,24 € COÛT DU TRANSPORT ment. “En misant sur le travail manuel comme le tissage et le tricot, nous 4% 4% 0,9% 0,03€ FRAIS GÉNÉRAUX créons de l’emploi et des formations, 0,12€ COURTIER 0,12€ PROFIT POUR L’USINE AU BENGLADESH 0,6% 0,018 € SALAIRE DES TRAVAILLEURS alors qu’ailleurs, les opportunités sont moindres. C’est notre manière d’apporter le changement”, explique Source : MO* et www.cleanclothes.org la fondatrice Safia Minney 2. Le vêtement équitable reste néan- Vêtements propres toutefois été blessés. Les médias moins une histoire compliquée, Parmi les organisations qui pour- européens ont à peine évoqué l’in- parce que sa portée va au-delà de suivent leur action, figure la “Cam- cendie. Pourtant, le “timing moins la seule dignité lors de la phase de pagne Vêtements propres”. Fin chanceux” de l’incendie, moins confection. Il s’agit aussi de protéger janvier 2016, ils ont accusé H&M, d’une semaine après la critique de les planteurs de coton. Pour établir qui communique activement autour la Campagne Vêtements propres, un lien entre les deux bouts de la de la durabilité, de prendre peu illustre bien la problématique. De chaîne textile, Fair Trade International de mesures pour protéger les beaux accords et des fonds sont planche sur une “norme textile”. ouvriers du textile. D’une analyse l’occasion de beaux discours van- 10 ans après le lancement de la des principaux fournisseurs de tant des perspectives à long terme “norme pour le coton”, où ils ont la marque suédoise est ressorti encore plus belles. Toujours est-il revendiqué des conditions de travail qu’ils accusaient un retard dans les que trois ans après la catastrophe (ainsi qu’un prix) dignes pour les rénovations urgentes des usines. qui a ébranlé tout le secteur, la planteurs de coton, ils veulent lancer “Plus de la moitié des usines ne question du travail décent est à EN SAVOIR PLUS une norme pour toute la chaîne. disposent toujours pas d’issue de peine abordée. Il reste du pain sur “Le prix mortel des Ce n’est pas une mission évidente, secours et les dernières inspec- la planche. t-shirts bon marché” parce que la chaîne est complexe. (Dimension 3, tions datent d’il y a plus de 16 mois. 3/2013, p. 4) “La norme ne sera pas parfaite. Avec Dans un climat concurrentiel, H&M Droits le temps, beaucoup de choses chan- “The True Cost”, accroît son bénéfice, mais n’est pas Le “travail décent” n’implique pas documentaire geront encore. Mais avant cela, il capable de commander à tous ses seulement sécurité et dédommage- révélateur sur le coût faut lancer le processus”, explique fournisseurs de prendre de simples ment, il doit également permettre réel des vêtements Francesca Ballarin, consultante pour mesures comme déverrouiller une aux ouvriers de se défendre et (trailer sur Fair Trade International. www.youtube.com) issue de secours”, explique Sara de prendre part à l’action syndi- Selon F. Ballarin, Rana Plaza était Ceustermans (Campagne Vête- cale. Pour cela, ils doivent d’abord crucial pour le développement de la ments propres). connaître leurs droits. 1 En Afrique, l’industrie norme et pour d’autres changements Cette critique pertinente s’est L’Accord du Bangladesh permet textile se développe de dans le secteur. “Il est regrettable confirmée lors d’un incendie qui aux ouvriers de s’exprimer sur la plus en plus. Par exemple, que Rana Plaza fût nécessaire pour s’est déclaré début février 2016 sécurité incendie : ils se concertent des pays où l’on produit que l’aspect social soit mis en avant du coton comme l’Éthio- chez Gazipur - une usine bengalie directement avec les patrons. Les dans la chaîne de production. En fait, pie sont de plus en plus produisant pour H&M. La mer de ouvriers peuvent refuser de rentrer impliqués dans la chaîne nous devrions pouvoir déclencher feu a tout ravagé à 7 h 30 du matin, dans une usine qui leur paraît dan- mondiale du textile. le changement sans devoir d’abord juste avant que ne commence la gereuse – une obligation que Sohel 2 People Tree, la marque passer par une catastrophe.” journée de travail à Dhaka, la capi- Rana, propriétaire de Rana Plaza, britannique pionnière tale du Bangladesh. L’horaire - c’est imposait à ses ouvriers. créée par Sofia Minney se retrouve, entre autres, une chance - a permis d’éviter un Les salaires ont augmenté depuis chez Today is a good day ! ONLINE drame qui aurait pu coûter la vie à 2013, mais la rémunération des (Gand et Anvers) et Mieke 6.000 ouvriers. Cinq employés ont travailleurs pour leur dur labeur www.achact.be (Gand). I JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 5
TRAVAIL DÉCENT TRAVAILLER APRÈS LA CATASTROPHE Après l’effondrement du Rana Plaza, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a remué ciel et terre pour améliorer les conditions de travail au Bangladesh. Mission accomplie ! Des progrès doivent cependant encore être réalisés dans d’autres pays. Ci-dessous, trois témoignages nous provenant du Bangladesh. CHRIS SIMOENS © Shafiqul Alam Kiron © ILO © ILO DES INSPECTIONS UNE ENTREPRISE MODÈLE CONFECTION DE SACS PLUS STRICTES DE “RESCAPÉS” EN PAPIER À DOMICILE L’OIT veille à des inspections plus rigou- Naseer est sorti de la catastrophe avec Adori a été grièvement blessée et trau- reuses au Bangladesh. Fin 2013, Farzana des séquelles à la main. Aujourd’hui, il matisée lors de l’effondrement du Rana a été nommée inspectrice par le minis- est propriétaire de New Life, une petite Plaza. Elle n’aurait plus su travailler dans tère de l’Emploi. usine textile, avec un ami. Ils emploient une usine traditionnelle. Elle confec- “Après le Rana Plaza, je voulais faire six femmes, toutes “rescapées”. tionne aujourd’hui des sacs en papier quelque chose pour aider les travailleurs. “Après l’effondrement, je broyais du noir. chez elle, avec son mari. Une formation J’ai suivi une formation à l’OIT. Quand nous Avoir un rythme de production normal de l’OIT l’a aidée à démarrer. visitons une usine, nous examinons chaque était devenu impossible à cause de ma “Après la catastrophe, j’étais dépressive étage. Nous vérifions la sécurité incendie, main. Les séances de l’OIT m’ont aidé à mais la formation m’a rendu le sourire. l’état du sol et nous nous assurons que remonter la pente. Pouvoir parler avec des J’avais plus confiance en moi pour lancer tout est aux normes. Je ne renouvelle pas personnes qui ont aussi vécu la catastrophe ma propre affaire. J’emploie actuellement la licence d’une usine si un générateur aide énormément. Et les séances m’ont dix personnes que j’ai formées pour devenir ou une chaudière ne se trouve pas au donné la confiance nécessaire pour lancer des employés productifs. rez-de-chaussée. Tout est beaucoup plus ma propre affaire. Notre nom et numéro de téléphone figurent strict qu’avant. J’ai commencé avec deux machines dans sur tous les sacs. Hier soir, un nouveau un atelier que je louais. Un ami et moi client potentiel a appelé pour nous rencon- avons travaillé dur pour la première com- trer. Il a vu notre numéro sur les sacs. La Tout est beaucoup plus mande de leggings. Un échantillon de concurrence est rude mais nos sacs sont strict qu’avant Rana Plaza” 100 leggings a fait fureur et 1.000 ont été solides : plus robustes que la plupart des commandés. autres sacs car nous utilisons un papier De nombreux survivants sont traumatisés. de qualité et nous renforçons les coutures. Les ouvrières me parleront plus facilement. C’est pourquoi mon entreprise n’aura Ils se déchirent moins vite et peuvent être Si un collègue masculin demande “À quand jamais d’étage. Je ne veux pas imposer un réutilisés. Je me sens si bien quand je vois remontent vos derniers congés ?”, il n’ob- objectif de production élevé. Je n’emploie quelqu’un avec un de nos sacs !” tient pas de réponse. Si je demande : “Que que des survivantes. J’estime qu’il est fait votre mari ? Que fait votre enfant ? Et à important qu’elles ne soient pas séparées quand remontent vos derniers congés ?”, de leurs enfants. Mon atelier se situe près elle me répondra “Mes dernières vacances des écoles et nous avons un horaire flexible. PLUS D’INFOS SUR n’en étaient pas. J’ai travaillé jusque tard J’ai atteint mon objectif : une entreprise qui LA VERSION TABLETTE le soir.” peut servir d’exemple.” Je suis heureuse quand une ouvrière me dit “Farzana, j’ai touché mon salaire !”. S’il y a ONLINE un manquement et que la direction y remé- www.ilo.org/dhaka die, je sais que j’ai résolu un problème.” Source : ‘Rana Plaza – Two Years On’ (ILO) 6 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
TRAVAIL DÉCENT VIVRE ET AIDER À VIVRE VÊTEMENTS ÉQUITABLES MADE IN NEPAL le reste auprès de fournisseurs de © Bharat Shrestha confiance. “L’indépendance est fondamentale, je ne veux pas imposer un rythme journalier trop strict à mon personnel. Certaines travailleuses sont mères célibataires ou ont été défigurées et travaillent simplement à domicile, d’autres souffrent d’un handicap. Tous sont d’excellents employés qui ont retrouvé goût à la vie”. Et le salaire ? “Le salaire moyen au Népal s’élève à 170-180 euros par mois. Pour ma part je paie entre 300 et 500 euros en fonction des respon- sabilités. Mes employés reçoivent également une part des bénéfices après une bonne vente et/ou une grosse production. Je veille égale- ment à ce que leurs enfants accèdent à l’éducation. Ces dernières années, la formation de qualité et l’expé- rience professionnelle acquise dans Pour une véritable garde-robe écologique et équitable – du producteur à mon atelier ont permis à certains l’acheteur – c’est à Gand qu’il faut se rendre. “L’entraide et la sauvegarde collaborateurs de se mettre à leur de notre planète procurent davantage de joie de vivre que le profit pur”. compte. C’est l’âme de mon projet : si je peux leur apprendre à travailler seuls et prendre leur avenir en main, CHRIS SIMOENS relatives aux conditions de travail de ce n’est que du bonheur”. mes employés, mais mon distributeur La formule semble porter ses fruits, népalais me refusait constamment mais pas question cependant de M anteaux, chandails, l’accès à ses ateliers”. s’agrandir. Les 2 magasins gantois chemises, sacs, suffisent. Ses vêtements sont égale- écharpes de cou- Du producteur ment livrés à des enseignes situées leurs ocres chaudes, à l’acheteur dans d’autres villes pourvu qu’elles bijoux, carnets confectionnés à la Bharat n’avait donc plus le choix : Je m’épanouis partagent les mêmes préoccupa- main, musiques de l’Himalaya : le il se devait de faire un maximum de voir mes tions et fassent abstraction du profit. Népal s’offre à vous en plein centre lui-même, y compris la conception collaborateurs Bharat est au four et au moulin. Il de Gand. Le magasin Yak&Yeti de ses produits. S’il fait ses débuts conçoit tous les vêtements et dessine incarne la vocation du Népalais, avec 14 licenciés d’un atelier, il heureux des modèles pour certains clients, Bharat Shrestha. Tous ses vêtements emploie aujourd’hui 51 personnes et mes clients il est présent en magasin, s’occupe et articles cadeaux sont conçus au Népal. Et pas uniquement des satisfaits” de la gestion et se rend 2 à 3 fois avec le plus grand amour et le plus couturiers, mais aussi des tisseurs, par an au Népal. C’est loin d’être grand soin selon la devise : vivre et des coloristes, des tricoteurs ou un fardeau. “Je suis simplement ravi aider à vivre. encore du personnel administratif. de pouvoir faire quelque chose pour C’est sa rencontre au Népal avec Il se procure son coton auprès de mon prochain et pour le bien-être un vendeur de vêtements équi- petits agriculteurs biologiques dans EN SAVOIR de la planête. Je m’épanouis de voir tables qui lui a donné l’idée de faire le sud du Népal et en Inde. Il utilise PLUS SUR mes collaborateurs heureux et mes LA MODE de même en Belgique pour venir soie, laine et cuir de yak entièrement clients satisfaits”. ÉQUITABLE ? en aide à son pays. Les bénéfices écologiques en plus de matériaux étaient alors investis dans une école recyclés comme la laine polaire. Ses Slow fashion. Aesthetics meets destinée aux enfants des rues. colorants sont autant que possible ethics (Safia Minney) Il n’avait cependant pas encore végétaux. Barhat parvient à tisser Éditeur New trouvé son créneau : “Mes clients et tricoter la moitié de ses propres Internationalist ONLINE me posaient souvent des questions matières premières et se procure www.yak-yeti.be I JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 7
TRAVAIL DÉCENT ROYAL KNIT: une Une mode de luxe éthique Dans le sud du Pérou, il existe une tradition séculaire autour La Coopération belge au Dévelop- pement soutient Royal Knit depuis du textile artisanal. Si le tissage et le tricotage étaient très 2012 via le Trade for Development populaires à l’époque des Incas, les habitants des Andes Centre (TDC). Un premier projet sont parvenus à maintenir la tradition. L’entreprise familiale de 52.500 euros a mis en avant péruvienne Royal Knit y contribue, notamment dans les une collection devant préserver Royal Knit est les techniques ancestrales de tri- convaincu que provinces méridionales de Lampa ou Cusco. Son activité cotage et de tissage. La collection permet aux communautés agricoles de générer un salaire a été présentée dans des foires la formation raisonnable grâce à l’élevage d’alpagas et de lamas. internationales en Allemagne. Le sort les contact direct avec les acheteurs a travailleurs permis de démontrer les avantages de la pauvreté” STEFANIE BUYST tout un chacun d’articles de mode des articles. De nombreux clients de qualité. À l’époque des Incas, ont été séduits par la mission de les vêtements en laine d’alpaga Royal Knit. De génération étaient réservés aux membres de En 2014, un second projet autour de en génération la famille royale. la mode haut de gamme et éthique Il y a 40 ans, Benita et Sebastián s’est vu allouer le même montant. López étaient bénévoles pour Cari- Commerce équitable Objectif : surfer sur la vague des tas, dans le cadre d’un programme Depuis 2004 Royal Knit est membre vêtements de luxe entièrement faits d’aide alimentaire aux habitants de l’Organisation mondiale du com- main, respectueux du fabricant et de la région du lac Titicaca. Pen- merce équitable (WFTO). L’entre- de l’environnement. dant leur bénévolat, ils décidèrent prise a déjà organisé plus de 40 de dispenser des formations afin formations dans différentes régions d’apporter de la valeur ajoutée du pays et commercialise ses articles aux techniques de tissage et de dans le monde entier. Forte de cen- tricotage traditionnelles de la région. taines de tisserandes, l’entreprise L’objectif était de conserver l’identité familiale applique une dizaine de culturelle du Pérou en offrant un élan principes équitables, faisant appel économique à l’artisanat. En 1985, ils à des fournisseurs respectueux de commencèrent à commercialiser à l’environnement (coton biologique Cusco des vêtements faits main par et laine d’alpaga biodégradable) la population locale. Ces produits et utilisant du papier recyclé selon de qualité connurent un véritable les critères FSC pour l’affichage succès. des prix. La deuxième génération a depuis Après avoir suivi une formation, les pris le relais. Leurs enfants Mariela, tisserandes sont en mesure d’offrir Gabr iela et Yur y s’occupent des produits de qualité. Cela mérite aujourd’hui de la gestion quoti- un salaire décent, qui est défini de dienne. Pourtant, Benita crée toujours commun accord selon leurs besoins une grande partie des collections. Si spécifiques. elle réalisait ses croquis sur papier Royal Knit veille aussi à bannir le il y a quelques mois encore, ses travail des enfants et le travail forcé. patrons sont aujourd’hui faits à l’ordi- Des horaires flexibles sont proposés nateur. Elle s’épanouit à partager pour permettre aux femmes de s’oc- son expertise avec les tisserandes cuper de leurs enfants. L’entreprise et couturières. Néanmoins, tout n’est respecte en outre les lois nationales pas rose depuis le décès de son mari et reçoit deux fois par an la visite en 2015. Continuer l’aventure sans d’inspecteurs pour vérifier si le lieu lui est difficile, mais la famille veut de travail répond aux conditions © DGD poursuivre son rêve : faire bénéficier sanitaires, légales et de sécurité. 8 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
place de roi DU PÉROU À LA BELGIQUE Certaines créations de Royal Knit sont éga- lement vendues par le label de mode éthique belge LN Knits. Ellen Kegels a commencé à crocheter son 1er bonnet à l’âge de 16 ans. Quelques années plus tard, ses bonnets, ou « beanies », ont eu un tel succès qu’elle en a confectionné 350 durant l’hiver. Suite à ses études universitaires elle travaille un an et demi dans la publicité qu’elle abandonne pour se lancer dans la confection des bonnets et des écharpes. Ayant épargné l’argent de ses ventes durant toutes ces années, elle a fait appel à un designer, créé un site web et composé une équipe de 10 grands-mères qui assurent la production. Entre-temps des amis l’ont mise en contact avec une organisation belge au Pérou. Ils décident de lancer un projet qui offre un salaire décent aux mères adolescentes péruviennes grâce au crochetage et tricotage de laine de bébés alpagas. En octobre 2011, devenue indépendante à temps plein, Ellen avait deux collections à son actif : LN Beanies (B2C) et LN Andes (B2B). Elle travaille avec 3 fournisseurs péruviens dont Royal Knit qui fabrique principalement des gilets et des manteaux. © DGD La formation coudre des vêtements à ourlet invi- comme alternative sible et faire des boutonnières. Elles à la pauvreté doivent aussi maîtriser les techniques Royal Knit est convaincu que la for- de lavage des matières. La laine d’al- mation peut sortir les travailleurs de paga requiert en effet un traitement la pauvreté. L’entreprise organise dès spécial. Au fil des formations, tous lors des cours (niveau débutant, inter- les participants utilisent les mêmes médiaire ou avancé) et des ateliers techniques de tissage et tricotage. pour les autochtones. La formation Royal Knit assure l’émancipation des de base dure environ trois mois à femmes : leur salaire permet d’être raison de quatre heures par jour en moins dépendantes de leur mari. moyenne. La plupart des participants De plus, elles peuvent allier famille sont des femmes. Leur mari travaille et emploi, et assurer financièrement souvent dans le secteur minier, loin du la scolarité de leurs enfants. Bref, une foyer. Elles n’ont que quatre heures situation profitable à tous car les par jour pour se former car elles traditions séculaires se perpétuent, doivent s’occuper des enfants. la culture du travail manuel perdure Royal Knit fournit le matériel : et le niveau de vie de la population machines, fiches techniques et locale s’améliore. manuels. Les élèves apprennent notamment à calculer le nombre de ONLINE © DGD piqûres par ligne, réaliser un patron, http://rkperu.com/en/ I JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 9
Les syndicats du textile au créneau pour un salaire minimum digne au Cambodge En Europe, le Cambodge est surtout connu pour le superbe temple d’Angkor et pour son atroce génocide des années 70. On sait moins que ce pays est un important sous-traitant des grandes chaînes de vêtements occidentales. Solidarité Mondiale, l’ONG du mouvement ouvrier chrétien en Belgique, soutient ses partenaires syndicaux CLC et C.CAWDU dans leur lutte difficile en faveur de conditions de travail et de salaires dignes 1. JEROEN ROSKAMS des produits chimiques toxiques reste difficile et dangereuse. La SOLIDARITÉ MONDIALE employés. En plus des frais ali- majorité des ouvrières du secteur mentaires mensuels, les travailleurs sont employées sous contrat à durée L e Cambodge est l’un de Phnom Penh, la capitale, paient déterminée, d’où leur réticence à des pays les moins des loyers exagérément élevés aux s’engager syndicalement. Car beau- développés du monde. marchands de sommeil. coup craignent que leur contrat ne Il est grand Il figure en 136e posi- Le syndicat cambodgien CLC soit pas reconduit si elles prennent temps que les tion de l’Indice du Développement et sa fédération de l’habillement activement part à des actions syn- marques Humain des Nations unies. Au milieu C.CAWDU 2 dénoncent courageu- dicales dans l’entreprise. L’intimi- prennent leurs des années 90, le Cambodge a sement depuis plusieurs années les dation des militants syndicaux par libéralisé son économie. Lorsque conditions de travail désastreuses les employeurs, notamment dans responsabilités les USA et l’UE ont introduit des et dangereuses dans les usines de le cadre des grèves et manifes- et s’attaquent tarifs préférentiels et des quotas vêtements. Les deux syndicats sont tations, est fréquente. Les droits au problème” pour le textile, la production de des organisations partenaires de des travailleurs et des syndicats vêtements a connu un boum. Sous Solidarité Mondiale et sont, entre sont souvent bafoués. S’ajoute la l’impulsion des chaînes de vête- autres grâce aux subsides de la répression menée par la police et ments internationales comme H&M, Coopération belge au Développe- par l’appareil étatique. C&A et Walmart - en quête de main- ment, soutenus dans leur lutte pour d’œuvre bon marché peu qualifiée des conditions de travail dignes, une L’action Nord-Sud - les investisseurs ont afflué au pays. hausse du salaire minimum et une internationale porte La production de vêtements et de meilleure protection sociale. ses fruits chaussures de sport est ainsi deve- C.CAWDU compte plus de 80.000 C.CAWDU a surtout misé sur une nue un secteur important. Il emploie membres dans l’industrie de l’habil- augmentation substantielle du salaire aujourd’hui 700.000 Cambodgiens. lement et des chaussures. C’est la minimum national dans l’industrie La toute grande majorité d’entre eux plus grosse organisation syndicale du vêtement. Au cours de ces trois sont des femmes de moins de 30 ans. politiquement indépendante du dernières années, les syndicats et Les ouvrières de l’habillement ont pays. L’action syndicale dans l’indus- les employeurs du secteur n’ont une vie peu enviable. Avec un salaire trie du vêtement au Cambodge cependant trouvé aucun accord. Le minimum de 140 dollars par mois, elles doivent essayer de joindre les © H. Stilwell deux bouts. Or une étude - notez bien - exécutée pour le compte du gouvernement cambodgien montre que 177 dollars sont nécessaires pour pouvoir satisfaire les besoins vitaux de base. Le seul budget nourriture coûte à une ouvrière de l’habillement plus de 60 % de son salaire. L’Organisation internatio- nale du Travail a démontré en 2014 que 43 % des ouvrières cambod- giennes de l’industrie du vêtement souffraient d’anémie et que 15 % étaient trop maigres. Du fait de la faiblesse des salaires minimum, les ouvriers sont obligés d’effectuer des heures supplémentaires. Dans les © Bas de Meijer usines, ils tombent régulièrement en syncope par défaut d’alimentation saine, d’aération et d’éclairage, et d’épuisement ainsi que du fait 10 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
TRAVAIL DÉCENT En 2014, au Cambodge, une grève pacifique des travailleurs(-euses) du textile a fait 5 morts. Toutefois, le syndicat CLC poursuit sa lutte pour un salaire minimum décent de 177 dollars, mais avec des actions symboliques. gouvernement a unilatéralement fixé 2014, dans des dizaines de villes du locaux d’usines, les autorités cam- le nouveau salaire minimum pour monde entier, à des actions devant bodgiennes et les marques de vête- l’exercice. Ce salaire rencontrait des magasins de vêtements. Et aux ment internationales. La campagne communément les propositions de ambassades du Cambodge était est en premier lieu menée par le la fédération patronale nationale de posée cette question : “Un salaire biais d’un partenariat national de l’industrie de l’habillement, mais mensuel de 177 dollars par mois 6 syndicats cambodgiens de l’habil- tenait à peine compte du comporte- pour les ouvrières cambodgiennes lement, dont C.CAWDU réalise le ment de consommation des ouvriers du textile, est-ce trop demander ? ?” pilotage. Mais l’alliance internationale de l’industrie du vêtement et des Les actions de protestation n’ont que de syndicats comme la CSC, la CSI attentes syndicales quant à la dignité partiellement porté leurs fruits. Kong et les syndicats internationaux du des salaires. Athit, vice-président de C.CAWDU, secteur vêtement, CCC et Solida- Kong Athit vice-president van C.CAWDU En janvier 2014, cela a débouché sur explique : “La dernière augmentation rité Mondiale constitue un chapitre une grève nationale dans l’industrie du salaire minimum était de 12 dollars, essentiel de la stratégie. La cam- du vêtement. Elle a été suivie en celui-ci étant passé de 128 à 140 dol- pagne cible 8 marques de vêtements masse par des dizaines de milliers lars. Loin de suffire pour pouvoir (H&M, C&A, Inditex, Walmart, Puma, d’ouvriers : 80 % des employés ont parler d’un salaire digne. Mais les Adidas, Gap et Levi’s), qu’elle incite La dernière pris part à l’action et 127 usines ont employeurs et les autorités continuent à modifier leur politique de prix et débrayé. La grève s’est déroulée de soutenir que le salaire minimum pratiques d’achat afin de permettre augmentation pacifiquement, jusqu’à ce qu’à la ne peut augmenter : ils craignent que un salaire digne tout en continuant à du salaire demande d’une usine concernée, les marques de vêtement sous-traitent investir au Cambodge. La prochaine minimum les forces de l’ordre - munies de au Viêt Nam ou en Birmanie.” étape la conclusion d’un nouveau barres à mine, tubes métalliques, Et le Président Ath Thorn d’ajouter : type d’accord international entre ces était de couteaux et mitraillettes - s’attaquent “Les marques de vêtements interna- marques de vêtement et les syndicats 12 dollars, aux grévistes. Cinq manifestants tionales continuent de faire pression locaux et internationaux à propos des celui-ci étant ont perdu la vie, 39 ont été blessés, sur les petites marges bénéficiaires salaires dignes dans l’industrie du passé de 128 23 ont été appréhendés, puis mal- des usines de vêtements locales. Il vêtement au Cambodge constitue la traités. Pour éviter l’escalade de la est grand temps que les marques prochaine étape. Ce genre d’accord à 140 dollars, violence et de voir leurs dirigeants prennent leurs responsabilités et est le meilleur moyen de rappeler n’est que écroués, C.CAWDU et CLC inves- s’attaquent au problème à l’ori- les acteurs multinationaux à l’ordre dérisoire” tissent depuis lors dans des actions gine des nombreuses protesta- et de fixer certaines règles de base symboliques impliquant des arrêts tions : l’absence d’un salaire digne. pour leur chaîne de sous-traitance. de travail de courte durée. Cela lui a Augmenter le salaire à 177 dollars valu, de plus, le soutien international revient à franchir un pas dans cette 1 En dehors de WSM, Oxfam est également de syndicats, de la Confédération direction.” active au Cambodge comme partenaire syndicale internationale (IVV), de Par le biais de sa campagne en de CLC. Clean Clothes Campaign (CCC) et faveur d’une augmentation du salaire 2 CLC : Cambodian Labour Confederation ; de Solidarité Mondiale. C’est ainsi minimum C.CAWDU continue de C.CAWDU : Coalition of Cambodian que l’on a assisté, le 17 septembre faire pression sur les propriétaires Apparel Workers Democratic Union I JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 11
LES NOMBREUX OBSTACLES À UN TRAVAIL DÉCENT POUR TOUS © MARCEL CROZET Guy Ryder, le directeur-général de l’OIT. L’Organisation internationale du Travail (OIT) poursuit l’objectif d’un travail Les mesures doivent être générales (activer l’emploi) et axées sur les décent pour tous. Malheureusement, toute une série d’obstacles pavent jeunes. L’UE propose une ‘Youth encore le chemin de ce noble but. Pourtant, le chef de l’OIT, Guy Ryder, reste Employment Guarantee’. Cette garan- optimiste. Glo.be l’a interviewé. tie propose aux moins de 25 ans, chômeurs depuis 4 mois, de faire une expérience professionnelle ou de suivre une formation. Surtout dans CHRIS SIMOENS Le chômage des jeunes les pays en développement, on essaie TRAVAILLEURS constitue une menace PAUVRES de stimuler les jeunes à lancer leur Est-il vrai que la mission de énorme, tant dans les pays propre affaire. Un peu partout, des l’OIT est d’arriver à un travail décent pour tous ? Historiquement - si on remonte industrialisés que dans les pays en développement. Et Bruxelles montre qu’il peut 327 MILLIONS programmes sont mis sur pied pour apporter aux jeunes les compétences indispensables. On note, en effet, un à la création de l’OIT en 1919 - offrir un terreau fertile à la écart énorme entre ce que les jeunes le mandat de l’OIT était de pro- radicalisation des jeunes. de travailleurs pauvres apprennent et les besoins du marché mouvoir la justice sociale. Mais, Comment l’OIT aborde-t-elle sont extrêmement du travail. Attention : cette génération au cours de ces 10-15 dernières ce problème ? pauvres (moins de reste malgré tout la mieux formée, années, un “travail décent” s’est Quand on demande aux ministres 1,9 dollar/jour) et ce partout dans le monde. Mais, progressivement profilé comme de l’Emploi quel est leur plus gros l’enseignement supérieur n’offre une expression de cette justice sociale. Aujourd’hui, cette notion est profondément enracinée dans la problème, 9 sur 10 répondent : le chômage et surtout chez les jeunes. Pour deux raisons, la priorité doit 967 MILLIONS hélas aucune garantie d’emploi. En Afrique du Nord, plus on étudie, plus on risque d’être chômeur ! communauté internationale (défini- être accordée à la jeunesse. (1) Ils L’OIT prend le lead. Récemment, tion, voir encadré). L’Agenda 2030 sont les principales victimes du de travailleurs sont j’ai présenté, à New York, le ‘Global pour le Développement durable chômage : les jeunes de moins de pauvres à modérément Initiative on Decent Jobs for Youth’, en est l’exemple le plus parlant : 25 ans ont trois fois plus de risque pauvres (entre 1,9 une formule unique dans laquelle L’ODD8 mentionne explicitement d’être chômeur ; (2) Les jeunes sans et 5 dollars/jour) toutes les institutions des NU joignent ‘croissance économique’ et ‘travail travail productif représentent un leurs efforts pour donner du travail décent pour tous’. danger pour eux et pour la société. aux jeunes. 12 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
TRAVAIL DÉCENT TAUX D’EMPLOI PRÉCAIRE (2016) En pourcentage du taux d’emploi total par pays SOURCE : OIT Pas de données < 14 % 14 - 31 % 31 - 60 % > 60 % NOMBRE DE CHÔMEURS DANS LE MONDE 197,1 199,4 200,5 MILLIONS MILLIONS MILLIONS 170 MILLIONS 2008 2015 2016 2017 La numérisation est très réel. La coopération au déve- souvent prônée, entre Toute personne a droit au travail, au libre choix de son loppement dispose d’une belle autres par le ministre travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de opportunité, mais doit aussi assumer travail et à la protection contre le chômage. belge de la Coopération au ses responsabilités. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire développement, De Croo, égal pour un travail égal. comme un excellent outil de L’OIT a annoncé que le Quiconque travaille a droit à une rémunération équi- promotion de la coopération chômage augmenterait dans table et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille au développement. Cela, une existence conforme à la dignité humaine et com- les années à venir. Pourquoi ? alors qu’elle met de plétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protec- Comment créer suffisamment nombreux emplois en jeu. tion sociale. d’emplois ? Quelle est votre vision ? Toute personne a le droit de fonder avec d’autres Effectivement, les perspectives sont Historiquement, les innovations des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la mauvaises. On dénombre aujourd’hui créent plus d’emplois qu’elles n’en défense de ses intérêts. plus de 197 millions de chômeurs - détruisent. L’innovation est donc ART. 23 DE LA DÉCLARATION UNIVERSELLE 27 millions de plus qu’avant la crise une bonne chose, même si elle DES DROITS DE L’HOMME de 2008. Et les choses ne vont pas pose des problèmes transitoires. De aller mieux : + 2,3 millions cette plus, la numérisation peut apporter année et + 1,1 million en 2017. une nouvelle dimension qui peut et créent ainsi de nouvelles possi- Depuis 2008, la croissance tourne changer notre façon de travailler. bilités. La technologie numérique au ralenti. Pratiquement chaque mois, Dans les discussions sur Uber ou permet aussi une protection sociale l’OCDE et le FMI doivent revoir leur l’économie gig et de plate-forme, nous constatons que la production peut s’organiser tout à fait autrement. En ce qui concerne la coopération beaucoup plus efficiente : l’argent est versé directement via les cartes d’identité personnalisées. Il semble que la numérisation permettra aux 40 MILLIONS pronostic de croissance, récemment ramené à 3,2 %. C’est trop peu pour que tous aient un travail. Chaque année, 40 millions de jeunes arrivent au développement, j’ai en tête de pays en développement de faire un Chaque année, sur le marché du travail. Juste pour un beaux exemples dans lesquels la grand bond en avant. 40 millions de statu quo, il faut donc créer 40 mil- technologie numérique est d’une On ne peut cependant pas nier que jeunes arrivent sur le lions d’emplois. Le G20 donne donc grande aide. Les applications ban- cette médaille a aussi son revers. Qui marché du travail. la priorité à plus de croissance et caires mobiles, notamment au Kenya, va profiter des avantages ? Le risque d’emplois décents de qualité. ‘monétisent’ les activités productives d’agrandir le fossé numérique est I JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 13
C’EST QUOI LE TRAVAIL DÉCENT ? Le travail décent résume les aspirations des êtres humains au tra- vail. Il regroupe l’accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’expri- mer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux déci- sions qui affectent leur vie, et l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes. Cela correspond aux 4 principaux objectifs de l’Organisation inter- nationale du travail : • Respect des normes du travail et des droits fondamentaux • Création d’emploi • Fourniture d’une protection sociale © DGD/C. Simoens • Respect du dialogue social Source : www.ilo.org Mais, même ceux qui encourager : en simplifiant les procé- travaillent sont souvent dures administratives et la protection extrêmement pauvres. sociale, par une fiscalité adaptée, un Comment l’OIT peut-elle accès facile aux crédits, etc. y remédier ? La protection sociale est essen- Un travailleur sur dix vit dans la tielle. Nous avons donc formulé pauvreté. Pour cette raison, l’OIT ne une recommandation sur les ‘social veut pas seulement créer de l’em- protection floors’, une base minimale ploi mais aussi un travail décent. de protection sociale adaptée au Cela signifie, entre autres : qui niveau de développement des pays exclut la pauvreté. Cela concerne individuels (voir p. 23). Ces ‘floors’ un des secteurs du marché du peuvent contribuer à sortir les tra- Cela dépend donc d’éléments travail les plus difficiles à atteindre. vailleurs de la pauvreté extrême. sur lesquels l’OIT n’a pas L’année dernière, l’OIT a émis une d’influence ? recommandation sur la ‘formali- Qu’en est-il de la Les efforts de l’OIT s’inscrivent dans sation de l’économie informelle’. discrimination et des droits des efforts internationaux. Grâce à Récemment, employeurs, gouver- des femmes ? nous, le G20 a lancé l’initiative ‘Faster Toutes les nements et syndicats, ont convenu Il y a 60 ans, l’OIT a élaboré ses growth for more jobs’. L’OIT travaille parties qu’il s’agit là de l’approche idéale conventions clés sur ‘l’égalité de en étroite collaboration avec le G20. du développement. Le principal rémunération’ et contre la discrimi- Elle est présidée cette année par prenantes groupe des travailleurs pauvres se nation. Elles offrent une base légale la Chine pour augmenter l’impact de l’OIT - concentre, en effet dans l’économie solide pour répondre à cette injus- du G20 sur l’emploi. employeurs, informelle. Il s’agit des emplois tice. Bien qu’aujourd’hui la majorité À côté de cela, l’Agenda 2030 pour- précaires : les indépendants et des états membres aient ratifié ces syndicats et suit un objectif distinct de ‘plein les aidants non rémunérés, p. ex. conventions, l’inégalité reste une emploi’ et de ‘travail décent pour gouvernements dans l’agriculture. Sur base de la réalité. En moyenne, à travail égal, tous’. Je suis par ailleurs très recon- - sont à l’écoute recommandation, nous aidons nos une femme gagne 77 cents et un naissant à la Belgique pour le rôle clé de la vision états membres à formaliser leur homme 1 dollar. Le vendredi, les qu’elle a joué en qualité de co-pré- économie informelle. femmes travaillent donc pour rien. sident de ‘Friends of Decent Work’ des autres” Hélas, il n’y a aucune amélioration (voir p. 16). L’OIT soutient ses états Et en pratique ? en vue. Et les femmes travaillent membres à atteindre leurs objectifs D’une part, il y a des entreprises qui toujours beaucoup moins que les en matière de travail décent. Nous préfèrent rester informelles. Elles hommes. Soit elles n’ont pas accès disposons donc bien de plateformes évitent ainsi les impôts, n’offrent au travail, soit elles n’ont qu’un internationales clés pour réaliser aucune protection sociale, paient emploi sous-payé et sous-évalué. nos objectifs en matière d’emploi. de bas salaires… Réponse : renfor- Quel angle adopter pour transfor- Nous bénéficions aussi d’un élan cer l’inspection du travail. D’autre mer cette réalité ? Car après des positif et de belles choses ont été part, il y a des entreprises qui vou- décennies d’efforts il y a toujours réalisées. draient devenir formelles. Il faut les autant d’inégalités. Pour analyser 14 JANVIER-FÉVRIER-MARS-AVRIL 2016 I
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