LES SCIENCES DE LA VIE - UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU - BCGE

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LES SCIENCES DE LA VIE - UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU - BCGE
LES
SCIENCES
DE LA VIE
UN SECTEUR
ÉCONOMIQUE
MÉCONNU
NOVEMBRE 2020
LES SCIENCES DE LA VIE - UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU - BCGE
LES
SCIENCES
DE LA VIE
UN SECTEUR
ÉCONOMIQUE
MÉCONNU
NOVEMBRE 2020
NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU

SOMMAIRE
                                       PRÉAMBULE__________________________________________________________________________________ 5
                                       CE QU’IL FAUT EN RETENIR________________________________________________________________ 6
                                   1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION__________________________________ 8
                                   2. LES SCIENCES DE LA VIE EN SUISSE ROMANDE, UN CLUSTER ?_________________ 14
                                   3. LE POIDS IMPORTANT DE L’ARC LÉMANIQUE________________________________________ 20
                                   4. LES PRINCIPAUX ACTEURS GENEVOIS DE CETTE « HEALTH VALLEY »_________ 28
                                   5. LA GENÈVE INTERNATIONALE DE LA SANTÉ_________________________________________ 38
                                   6. QUELS FACTEURS POUR UNE PÉRENNISATION ?____________________________________ 43
                                       GLOSSAIRE_________________________________________________________________________________ 50
                                       13 ÉDITIONS DE L’ÉTUDE ÉCONOMIQUE_______________________________________________ 52

                                       Dans ce document, l’emploi du masculin pour désigner des personnes ou des
                                       fonctions (telles que directeurs ou entrepreneurs) n’a d’autres fins que celle
                                       d’alléger le texte.
NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU                                                     5

PRÉAMBULE
                                       Biotechs, technologies médicales, santé digitale. Ces termes ont occupé le
                                       devant de la scène depuis que le nouveau coronavirus a bouleversé la planète.
                                       Les sciences de la vie n’en restent pas moins un secteur économique méconnu
                                       du public. Elles constituent pourtant un centre d’excellence de l’Arc lémanique,
                                       comme le montre cette étude publiée par la CCIG et la BCGE, avec la collabo-
                                       ration de l’OCSTAT.
                                       La région possède en effet des acteurs très diversifiés (start-up, PME, grandes
                                       entreprises, centres de recherche, hautes écoles, hôpitaux universitaires, incu-
                                       bateurs, financiers) de grande qualité, actifs dans un nombre impressionnant
                                       de domaines d’expertise, allant des neurosciences à la bio-informatique, en
                                       passant par l’oncologie, la protonthérapie ou encore les technologies médi-
                                       cales. C’est d’ailleurs cette densité et cette complémentarité qui en consti-
                                       tuent l’une des grandes forces, au point où certains n’hésitent pas à appeler
                                       notre région la Health Valley, en clin d’œil à la célèbre Silicon Valley. Ce secteur
                                       contribue substantiellement au produit intérieur brut et à l’emploi dans nos
                                       cantons. Il méritait un inventaire et une analyse prospective. C’est chose faite
                                       avec l’excellente étude d’Aline Yazgi.
                                       Certes, la Suisse est un petit pays, l’empêchant de rivaliser avec les grands clus-
                                       ters (concept très prisé en innovation et thématisé au chapitre 2), notamment
                                       américains. Mais malgré sa taille, le pays occupe une place enviable sur l’échi-
                                       quier mondial des sciences de la vie. Quant au canton de Genève, il excelle sur
                                       un autre plan, lui aussi largement ignoré : il est l’une des capitales, voire la capi-
                                       tale mondiale, de la politique sanitaire globale. Au-delà de l’Organisation mon-
                                       diale de la santé, une myriade d’organisations, d’associations et de fédérations
                                       sont présentes dans le canton pour traiter de thématiques planétaires liées à la
                                       santé. Même si les liens sont – pour l’instant ? – peu nombreux entre les acteurs
                                       de la Genève internationale et ceux des sciences de la vie, ils se renforcent,
                                       notamment avec les hautes écoles et les hôpitaux universitaires. Le présent
                                       document esquisse des pistes pour soutenir ces enjeux.
                                       Comme le montre aussi l’étude, tous les ingrédients sont présents pour confé-
                                       rer à l’Arc lémanique une force, une spécificité et un rayonnement certains, dont
                                       on ne peut que se réjouir. Reste maintenant à pérenniser, voire – mieux – à ren-
                                       forcer ce cluster des sciences de la vie pour que la région se maintienne à la
                                       pointe dans ce secteur qui va toujours plus gagner en importance. Nos organi-
                                       sations s’y engagent.
                                       Nos vifs remerciements s’adressent à Aline Yazgi, auteure de l’étude, ainsi qu’au
                                       comité de pilotage, composé d’Alexandra Rys (CCIG), de Lydia Albrecht (BCGE)
                                       et d’Hervé Montfort (OCSTAT).
                                       Nous vous souhaitons une lecture inspirante et utile.

                                       Blaise Goetschin                            Vincent Subilia
                                       CEO                                         Directeur général
                                       BCGE                                        CCIG
6

CE QU’IL
FAUT EN RETENIR
         Le premier chapitre montre que les biotechnologies,* 1
         et plus encore les technologies médicales, ont une
         longue histoire dans la région romande et qu’elles
         revêtent des caractéristiques typiquement suisses.
         Mais les sciences de la vie englobent encore plusieurs
         autres domaines qui y sont décrits. Le secteur est en
         pleine mutation, avec une forte évolution technolo-
         gique, ainsi que l’arrivée en force du numérique et de
         l’intelligence artificielle. Autant d’éléments qui se tra-
         duisent par une complexité et une interdisciplinarité
         croissantes, mais aussi par des promesses de théra-
         pies plus ciblées et plus performantes. Si le secteur a
         de tout temps suscité l’intérêt, il mérite encore plus d’at-
         tention aujourd’hui pour plusieurs raisons : progrès tech-
         nologiques, arrivée de nouveaux acteurs issus d’autres
         horizons, créations de nombreuses sociétés, fortes
         capacités d’adaptation des entreprises actives dans les
         sciences de la vie et résistance face aux crises.

         1   Les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire figurant
             en fin de publication.
NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU                                                 7

Le deuxième chapitre se penche sur les « clusters »,
ces regroupements localisés d’organisations de diffé-
rente nature (entreprises grandes et petites, hautes
écoles, organismes d’aide, centres de recherche,
sociétés de capital-risque, etc.) entretenant d’impor-
tants liens et constituant ainsi une masse critique
                                                                     1’100
                                                                     entreprises dans les
                                                                     sciences de la vie en
intéressante. En effet, l’Arc lémanique est souvent décrit           Suisse occidentale
comme un cluster des sciences de la vie. L’occasion de
se pencher sur les fondements de ce concept, dont
l’utilité ne fait pas l’unanimité, et sur la Silicon Valley,
exemple suprême de cluster que nombre de régions
essaient de copier.

Le troisième chapitre explique que l’Arc lémanique,            Le cinquième chapitre dévoile un aspect méconnu de
et plus largement la Suisse, constituent des pôles             la Genève internationale : le canton est en effet une
parmi les plus dynamiques du monde en matière                  des capitales, voire la capitale de la santé globale.
de sciences de la vie. Au-delà des chiffres, c’est la          Outre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il
densité des acteurs et le large éventail des technolo-         compte en effet plus de 90 acteurs (organisations,
gies représentées qui en font leur force. La Suisse occi-      associations, fondations) actifs dans la santé. Même
dentale compte plus de 1’100 entreprises et 39 instituts       s’il entretient (pour l’instant ?) peu d’interactions avec
de recherche de pointe, mondialement reconnus. Au              les entreprises, ce statut enviable comporte de nom-
niveau helvétique, les sciences de la vie pèsent des           breux atouts, en termes d’image, mais aussi d’attraction
dizaines de milliers d’emplois et plus de 100 ­milliards       et d’écosystème. En outre, cette présence stimule des
d’exportations. Il est toutefois difficile de donner des       collaborations en matière de recherche, en particulier
statistiques précises, les sciences de la vie étant hau-       avec les HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève), et
tement interdisciplinaires et ne faisant pas partie d’un       est accompagnée par deux centres de formation et de
agrégat communément présenté dans la nomenclature              recherche de renommée internationale.
générale des activités économiques (NOGA) qu’utilise la
statistique publique.                                          Le sixième chapitre aborde les points d’attention.
                                                               En effet, malgré de nombreux atouts, Genève doit
Le quatrième chapitre décrit les principaux acteurs            être consciente de certaines problématiques si le
genevois de cette « health valley » : start-up, PME,           canton veut pérenniser, voire renforcer, ce cluster
entreprises bien établies, sociétés de services, struc-        des sciences de la vie. Manque de géants du secteur,
tures d’aide, incubateurs, instituts de recherche,             nombre restreint de sociétés à forte croissance, centres
hautes écoles, hôpitaux universitaires, fonds de capi-         de décisions se trouvant à l’étranger, ou nécessité de
tal-risque. C’est un écosystème complet et varié, dans         resserrer les liens entre les divers acteurs locaux des
lequel le CERN, par exemple, joue un rôle important,           sciences de la vie constituent quelques facteurs à
mais encore peu connu.                                         prendre en compte dans une optique de consolidation
                                                               de ce secteur.
8                                                          NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU

1. PLONGÉE DANS UN MONDE
   EN PLEINE ÉVOLUTION
  Les sciences de la vie constituent un secteur qui se développe
  activement, pour de nombreuses raisons, et pas seulement à cause
  de la pandémie de Covid-19. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
  Et pourquoi ces technologies sont-elles si intéressantes ?
  Historique et explications.

  Il était une fois une entreprise fondée              Voilà pour les biotechnologies. Dans         D’ailleurs, tant les biotechs que les
  en 1906 qui était leader mondial du                  le secteur des technologies médi-            medtechs sont intimement liés aux
  traitement contre l’infertilité et utili-            cales et du domaine pharmaceu-               compétences helvétiques. « Les
  sait de l’urine pour fabriquer ses pro-              tique, la force de Genève et de la           technologies médicales allient le
  duits. Au début des années 1980,                     Suisse remonte à bien plus long-             meilleur des deux mondes en
  Ares-Serono (elle portait encore son                 temps encore. Claude Joris, secré-           Suisse : le savoir-faire et de bons
  nom d’origine) prit le virage des bio-               taire général de l’association BioAlps,      ingénieurs ainsi que la tradition dans
  technologies* 1, ce qui lui permit de                qui regroupe tous les acteurs (socié-        la pharmacie et la microtechnique »,
  créer de manière plus stable ses hor-                tés, institutions académiques, asso-         décrit Emmanuel de Watteville, du
  mones de fertilité. Elle grandit for-                ciations et fondations) actifs dans les      fonds genevois de capital-risque
  tement, raccourcit sa raison sociale                 sciences de la vie* de Suisse occiden-       BlueOcean Ventures, spécialisé
  en Serono et se hissa parmi les plus                 tale, en attribue l’origine à … la révoca-   dans les sociétés de technologies
  importantes sociétés biotechs du                     tion de l’Edit de Nantes (1685). « Plus      médicales et biotechnologiques.
  monde. Elle positionna ainsi Genève                  de 200’000 Français ont fui leur pays
  sur la carte mondiale de ces techno-                 et se sont installés entre Genève et
                                                                                                    TYPIQUEMENT SUISSE
  logies, si bien qu’après son rachat                  Bâle. Ils sont venus avec leurs compé-
  (2006) par le groupe allemand Merck                  tences, en particulier dans le domaine       Quant à la biotech, « elle est typique-
  KgaA puis sa triste fermeture (2012), la             microtechnique (concrétisé dans l’hor-       ment suisse. Elle est faite par et pour
  région est restée parmi les plus dyna-               logerie puis les techniques médicales)       la Suisse. D’abord, elle est basée sur
  miques dans ce domaine, même s’il                    et dans la teinturerie, ce qui s’est         le savoir-faire, de l’idée scientifique
  lui manque aujourd’hui un vrai leader                transformé en chimie, puis en chimie         à son développement, sa produc-
  (voir chapitre 6 – Pérennisation).                   fine et, enfin, en pharmacie. »              tion et sa commercialisation. C’est
                                                                                                    pourquoi elle nécessite une excel-
                                                       Aujourd’hui, les différentes branches
                                                                                                    lente formation. Notre pays excelle
                                                       des sciences de la vie constituent des
                                                                                                    dans ce domaine. Ensuite, c’est une
                                                       secteurs qui se développent bien et
                                                                                                    industrie très globale. Chacun de
                                                       qui ont un poids certain dans l’éco-
                                                                                                    nous sait qu’il ne peut se satisfaire
                                                       nomie de la région (voir chapitre 3
                                                                                                    du petit marché local et se doit d’être
                                                       – Le poids de la Suisse), au point
                                                                                                    ouvert. C’est typiquement suisse.
                                                       où l’on peut véritablement parler de
                                                                                                    Troisièmement, la biotech mène des
                                                       « Health Valley », en clin d’œil à la
                                                                                                    projets de très longue durée. C’est
                                                       Silicon Valley, ce dont peu de gens se
                                                                                                    très suisse. Nous savons planifier et
                                                       rendent compte.
                                                                                                    sommes stables », décrivait le direc-
                                                                                                    teur de la Swiss Biotech Association
                                                                                                    dans Le Temps2.

  1   Les mots accompagnés par un astérisque                                                        2   GARESSUS Emmanuel, 2018. Michael Altorfer :
      sont définis dans le glossaire figurant en fin                                                    « La biotech est typiquement suisse ».
      de publication.                                                                                   Le Temps. 4 mai 2018.
1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION                                                                                                   9

DE QUOI PARLE-T-ON ?
Mais de quoi parle-t-on exacte-                            ODEURS, GOÛTS ET SANTÉ
ment lorsque l’on évoque les sciences                      Le fait d’inclure les cosmétiques dans la catégorie des sciences de
de la vie ? Des biotechnologies et des                     la vie ne s’explique pas uniquement parce que les gels hydroalcoo-
technologies médicales que l’on vient                      liques, indispensables alliés médicaux, entrent dans la catégorie
d’évoquer, de même que des produits                        des produits cosmétiques. Une autre raison provient du fait que les
pharmaceutiques, des diagnostics, de                       liens entre beauté et santé semblent de plus en plus marqués et
la protéomique*, de la santé digitale,                     que la recherche s’est saisie du domaine. « C’est le futur », affirme
de la bio-informatique*, de la nutrition                   Anne Abriat, fondatrice de Smell & Taste Lab, société qui accom-
santé, etc., mais aussi – plus étonnant                    pagne les entreprises actives dans la beauté, le bien-être et la
peut-être – des cosmétiques, arômes                        santé en matière d’innovation et de développement de produits.
et parfums. « La composante hygiène                        « Pensez par exemple à la nutraceutique : les gens veulent que leur
et bien-être est fortement apparentée                      système immunitaire soit renforcé sans forcément prendre des
à la santé. Les métiers sont proches,                      médicaments. » Et d’indiquer que dans la région, des acteurs des
avec l’intensité de la recherche dans                      cosmétiques, des arômes/parfums et des start-up travaillent sur de
des mécanismes biologiques, l’impor-                       nouvelles technologies dans ce domaine.
tance de la propriété intellectuelle, et                   Anne Abriat rappelle en outre que des sens qui étaient jusqu’ici
les outils industriels mis en œuvre. Ce                    davantage associés à l’idée du plaisir (odorat et goût) sont toujours
dernier point a été clairement illustré                    plus l’objet de recherches médicales. Ces dernières indiquent
lors de la pandémie avec les contri-                       que leur altération peut constituer des signes avant-coureurs de
butions faites par Firmenich et Givau-                     problèmes neurodégénératifs (tels Alzheimer et Parkinson) et doit
dan dans l’approvisionnement en gel                        donc attirer l’attention. Quant à l’actualité récente, elle a montré
hydroalcoolique de nos centres de                          que l’olfaction et le goût constituaient des marqueurs pour le dia-
soins », détaille Jesús Martin-Garcia,                     gnostic de la Covid-19.
président de l’association Genève
                                                           Considérant que Genève abrite les deux géants des arômes et
Sciences de la Vie et actif dans plu-
                                                           des parfums ainsi que des centres de recherche de pointe, Anne
sieurs sociétés biotechs de la région.
                                                           Abriat estime que la région devrait davantage se spécialiser sur
De manière plus générale, certaines                        ces liens entre olfaction/goût et santé, aussi bien en termes de
sociétés, à l’image de l’américaine                        formation que d’activités économiques. Cette piste serait d’autant
Moderna qui développe un vaccin                            plus intéressante, poursuit-elle, que se trouvent ici des partenaires
contre la Covid-19 avec la valaisanne                      de recherche tels le CISA (Centre Interdisciplinaire des Sciences
Lonza, créent des plateformes « repo-                      Affectives) et le Blue Brain Project ainsi que des professeurs spé-
sant sur une technologie applicable                        cialisés dans les troubles de l’odorat.
dans de nombreux domaines, de
la cancérologie aux cosmétiques »,
comme l’évoquait dans Le Temps
Pierre-Alain Wavre, directeur général
de Pictet Investment Office3.                        Au-delà de la définition, il est inté-     médecine plus préventive, prédic-
                                                     ressant de constater que le secteur        tive (en détectant certaines maladies
Sans compter que les liens entre
                                                     s’est profondément transformé ces          plus tôt) et personnalisée (notamment
les domaines de la beauté et de la
                                                     dernières décennies, à la suite d’une      grâce à la génomique), mais aussi de
santé, de même qu’entre les odeurs
                                                     convergence entre certaines tech-          créer de nombreuses sociétés, dans
et la santé sont toujours plus marqués
                                                     nologies (biotechnologies et med-          des domaines nouveaux et souvent
(voir encadré).
                                                     techs en particulier), de l’émergence      très technologiques, parfois appelés
                                                     de nouvelles connaissances notam-          healthtechs, pour en souligner cette
                                                     ment liées aux « -omics » (dont la géno-   dernière caractéristique4.
                                                     mique), et de l’arrivée en force du
                                                     numérique et de l’intelligence artifi-
                                                     cielle. Cette évolution a permis d’abor-
                                                     der les questions de santé de manière
                                                     plus globale, de se diriger vers une

3   FRISCHKNECHT Léa, 2020.                                                                     4   Pour en savoir plus : COMTESSE, Xavier, 2017.
    « La Suisse s’offre 4,5 millions de vaccins »,                                                  Santé 4.0, Le tsunami du numérique. Genève :
    Le Temps. 8 août 2020.                                                                          Georg éd.
10                                              NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU

                                                    NUMÉRIQUE                                    Plus proche de nous, MindMaze, spin-
                                                                                                 off de l’EPFL, a révolutionné les trai-
                                                    ET INTELLIGENCE                              tements neurologiques, grâce à sa
                                                    ARTIFICIELLE                                 technologie recourant à la réalité vir-
                                                                                                 tuelle pour faciliter et accélérer la
« Des thérapies numériques                          Plus impressionnant encore : les chan-       réhabilitation des victimes d’accident
commencent à voir le jour                           gements induits par le numérique. Et         vasculaire cérébral (AVC). Sa plate-
                                                    cela à plusieurs niveaux. Tout d’abord,      forme, qui combine capteurs neuro-
pour soigner diverses                               le numérique permet une meilleure            naux, caméras et images de synthèse,
pathologies. Un jeu vidéo                           information, disponible partout et à         permet au patient de suivre une série
est même désormais vendu                            chaque instant, ce qui facilite une prise    d’exercices, de voir ses mouvements
sur ordonnance pour les                             en charge collaborative du patient           se reproduire à l’écran par un avatar
                                                    et diminue le risque d’erreur médi-          et de les corriger.
enfants souffrant d’un trouble                      cale due à une mauvaise transmission
du déficit de l’attention. »                        des renseignements. Les solutions de
                                                                                                 Comme le souligne Benoît Dubuis, « le
                                                                                                 traitement des données représente
                                                    santé connectée ont particulièrement
                                                                                                 l’un des grands défis de la santé de
                                                    été plébiscitées pendant la pandémie,
                                                                                                 demain, mais aussi une opportunité
                                                    entre la volonté de nombreuses per-
                                                                                                 extraordinaire de contribuer à cette
          Il s’en est suivi une complexité et       sonnes de suivre leur santé de près et
                                                                                                 médecine dite des quatre « P » : pré-
          une interdisciplinarité croissantes.      celle de limiter au maximum les dépla-
                                                                                                 dictive, préventive, personnalisée
          Aujourd’hui, les biotechs et les med-     cements, notamment chez le médecin.
                                                                                                 et participative ».
          techs sont bien plus liées que par le
                                                    Mais les outils informatiques vont bien
          passé. « Prenez l’exemple du stent :                                                   Parallèlement à l’arrivée du numé-
                                                    au-delà des processus. Il y a depuis
          à la base, c’est une sorte de ressort                                                  rique, l’intelligence artificielle s’in-
                                                    quelques années le déferlement de
          que l’on introduit dans une artère pour                                                vite toujours plus dans le secteur de
                                                    la « mesure du soi » (« quantified self »)
          la dilater ou la maintenir ouverte, en                                                 la santé. Elle est notamment utilisée
                                                    avec les smartphones mesurant le
          d’autres termes c’est un pur disposi-                                                  comme aide au diagnostic : depuis
                                                    rythme cardiaque, les applications sur-
          tif médical. Désormais, on lui greffe                                                  2019, les HUG l’utilisent par exemple
                                                    veillant la glycémie, les objets connec-
          des molécules actives (domaine de                                                      en oncologie comme appui au dia-
                                                    tés monitorant la tension et autres
          la biotech) ; il est donc à l’interface                                                gnostic et sont en train de développer
                                                    capteurs sous les matelas détec-
          entre un dispositif et un médicament.                                                  un stéthoscope électronique embar-
                                                    tant l’apnée du sommeil. Autant de
          C’est dès lors un produit beaucoup                                                     quant un algorithme d’intelligence arti-
                                                    domaines contribuant à la prévention,
          plus complexe, mais aussi plus effi-                                                   ficielle afin de détecter la signature
                                                    mais aussi au suivi thérapeutique.
          cace que chacun de ces deux élé-                                                       acoustique de la Covid-19.
          ments pris séparément », illustre         Des thérapies numériques com-
                                                                                                 Quant à la société de Saint-Sulpice
          Benoît Dubuis, directeur du Campus        mencent également à voir le jour :
                                                                                                 Sophia Genetics, pionnière en matière
          Biotech et notamment ancien doyen         elles ont été approuvées pour cer-
                                                                                                 de médecine basée sur les données,
          de la Faculté des sciences de la vie      tains traitements, par exemple contre
                                                                                                 elle recourt à l’intelligence artifi-
          de l’EPFL.                                les troubles addictifs, et sont testées
                                                                                                 cielle et au big data pour favoriser
                                                    pour d’autres problèmes à l’image des
                                                                                                 le dépistage de certaines maladies
                                                    douleurs chroniques. Depuis cette
                                                                                                 tel le cancer. Régulièrement citée en
                                                    année, un jeu vidéo est même vendu
                                                                                                 exemple, elle emploie après neuf ans
                                                    sur ordonnance aux Etats-Unis pour les
                                                                                                 d’existence plus de 350 personnes, a
                                                    enfants souffrant d’un trouble du déficit
                                                                                                 levé 77 millions de dollars en 2019 et
                                                    de l’attention avec ou sans hyperacti-
                                                                                                 110 millions en 2020, auprès de capi-
                                                    vité (TDAH). Quant au groupe Novar-
                                                                                                 tal-risqueurs et affirme régulièrement
                                                    tis, il a acquis en avril 2020 une société
                                                                                                 que de nombreuses percées vont sur-
                                                    qui utilise les technologies du jeu vidéo
                                                                                                 venir grâce à la combinaison de l’in-
                                                    reliées à des lunettes 3D pour traiter un
                                                                                                 telligence artificielle et des données
                                                    problème d’acuité visuelle.
                                                                                                 de masse.
1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION                                                                                         11

L’intelligence artificielle permet aussi
d’améliorer les performances de cer-
tains appareils : le Réseau Radiolo-         LA COVID-19 A FAIT ÉMERGER
gique Romand (3R) s’est récemment            DES SOCIÉTÉS
équipé de CT scanners équipés d’un           Avec la Covid-19, le grand public a découvert foule de sociétés
logiciel de reconstruction d’images          actives dans ce secteur, dont certaines ont réussi de manière
basé sur l’intelligence artificielle, per-   très agile à réorienter leurs activités pour aider à lutter contre la
mettant d’après son communiqué               pandémie. C’est le cas de la PME de Monthey Augurix, relate
« une diminution de la dose d’irradia-       Emmanuel de Watteville dont le fonds de capital-risque détient des
tion aux rayons X et une amélioration        parts. La société valaisanne a en effet rapidement lancé un test de
significative de la qualité des images ».    dépistage sérologique de la Covid-19, en se basant sur l’expérience
Enfin, l’intelligence artificielle joue un   acquise lors de la validation de précédents tests de dépistage
rôle important dans la recherche. Les        qu’elle avait effectués (maladies infectieuses et nosocomiales ainsi
géants de la pharma, Novartis et Roche       que maladie cœliaque). « Plusieurs entreprises ont réussi à faire
en tête, investissent des milliards pour     pivoter leurs activités avec de très bons résultats. » Emmanuel de
créer de nouveaux médicaments                Watteville souligne que l’excellente image de marque de la Suisse
via l’intelligence artificielle. Quant à     s’est à nouveau ressentie, « ces tests étaient réclamés à l’étranger,
la société familiale pharmaceutique          car les clients voulaient le label suisse ».
Debiopharm, basée à Lausanne, elle           Autre exemple d’adaptation : Quotient Limited, société de dia-
a créé un fonds de capital-risque qui        gnostic basée à Eysins et cotée au Nasdaq (bourse technologique
investit dans des sociétés actives dans      américaine), qui a rapidement adapté ses appareils (permettant de
la médecine digitale et basée sur les        déceler diverses maladies) afin de produire des tests sérologiques
smart datas, notamment pour changer          sur la Covid-19. Ou encore Abionic, qui était en train de finaliser
la manière de développer les médica-         un tour de financement pour commercialiser son test sur le sepsis
ments et de traiter les patients.            (grave infection du sang) et qui a modifié ses activités pour que
                                             son test puisse soutenir la lutte contre le nouveau coronavirus, des
                                             études ayant montré qu’une majorité de décès liés à la Covid-19
                                             étaient dus à des complications septiques. Sa technologie de dia-
                                             gnostic a obtenu le marquage CE1 et a été utilisée en soins intensifs
                                             des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) dans les cas de

      Une
                                             coronavirus.
                                             Dans le secteur des vaccins aussi, des adaptations ont été effec-

      centaine
                                             tuées : MaxiVAX, une biotech genevoise à l’origine spécialisée dans
                                             le domaine de l’immunothérapie des cancers, a démarré une colla-
                                             boration avec les HUG, la Faculté de médecine de l’Université de
      de sociétés de Suisse                  Genève et le Centre de recherche en infectiologie de l’Université
      occidentale actives dans               Laval de Québec pour mettre au point un vaccin contre ce nouveau
      le domaine des sciences de             coronavirus.
      la vie ont développé des
      produits, services ou solutions        Certaines sociétés se sont fait remarquer à l’étranger, à l’image
      liés à la lutte contre le              de la start-up genevoise Combioxin. Développant des traitements
      nouveau coronavirus                    innovants pour lutter contre les infections sévères et résistantes,
                                             elle a reçu le feu vert de l’autorité américaine du médicament
                                             FDA (Food and Drug Administration) pour commencer des essais
                                             cliniques sur sa thérapie qui neutralise les bactéries se développant
                                             conjointement à une infection grave à la Covid-19. La genevoise
                                             Relief Therapeutics a également vu son médicament approuvé par
                                             la FDA et est en phase d’essais cliniques avancés, avec des résultats
                                             semblant prometteurs, ce qui a totalement dopé le cours boursier
                                             de son action.
                                             En tout, une centaine de sociétés de Suisse occidentale actives dans
                                             le domaine des sciences de la vie auraient développé des produits,
                                             services ou solutions liés à la lutte contre le nouveau coronavirus,
                                             selon les estimations de l’association BioAlps.

                                             1   Le marquage CE garantit que le produit peut être commercialisé sans restriction à
                                                 l’intérieur de l’UE (et de l’EEE).
12                                                NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU

                                                                                        Aujourd’hui, il y a en tout cas quatre
                                                                                        raisons supplémentaires de se
                                                                                        pencher sur ce domaine, sans compter
                                                                                        l’impact de la Covid-19 (voir encadré).
         « On arrive dans le siècle des sciences
         de la vie. Ce secteur connaîtra de plus                                        NOUVEAUX TRAITEMENTS
         en plus d’investissements, du masque                                           Tout d’abord, les avancées technolo-
         aux médicaments, en passant par                                                giques réalisées par exemple grâce
                                                                                        aux meilleures connaissances du
         les vaccins. »                                                                 génome permettent d’entrevoir une
             Igor Fisch — Selexis                                                       série de nouveaux traitements, plus
                                                                                        ciblés et plus efficaces. C’est notam-
                                                                                        ment le cas en oncologie, où de
                                                                                        nombreuses sociétés effectuent des
                                                                                        recherches prometteuses, à l’image
On peut encore évoquer la start-up          RISQUES ET PRÉCAUTIONS
                                                                                        de la spin-off de l’EPFL Lunaphore
genevoise Stalicla, qui fonde ses
                                            Ce déferlement numérique implique           qui augmente la précision et réduit le
recherches sur l’intelligence artifi-
                                            toutefois certains risques et précau-       temps d’analyse des biomarqueurs*
cielle, la bio-­informatique et la géné-
                                            tions, qui touchent autant le domaine       spécifiques de tissus cancéreux, et
tique pour trouver un traitement
                                            technologique (cryptage des données,        qui a levé 25 millions de francs en
contre les troubles du spectre autis-
                                            capacité d’analyse et de stockage)          mars 2020.
tique. Souvent citée comme promet-
                                            qu’éthique (confidentialité et propriété
teuse, cette entreprise d’une vingtaine                                                 Deuxièmement, le vieillissement de
                                            des données, mais aussi implications
de personnes a déjà levé 22 millions                                                    la population rend ce secteur tou-
                                            au niveau individuel et sociétal de cette
de francs.                                                                              jours plus nécessaire (médicaments,
                                            meilleure connaissance, et accès pour
                                                                                        technologies médicales ainsi que tout
Autant d’initiatives qui se lisent sur      tous aux traitements).
                                                                                        ce qui touche à l’amélioration de la
les graphiques des instituts de pro-
                                                                                        qualité de vie). Et il attire un nombre
priété intellectuelle : les brevets
                                                                                        croissant d’entreprises, qui voient
mêlant biotechnologies et intelli-
gence artificielle sont toujours plus
                                            LES MULTIPLES RAISONS                       là une intéressante diversification.
nombreux à être déposés, tant en            DE S’INTÉRESSER                             Même Migros s’y intéresse : le groupe
                                                                                        vient de créer en juin une entreprise
Suisse qu’à l’étranger.
                                            AU SECTEUR                                  (MiSENSO) dont le but commercial est
On le voit, « il y a désormais une vraie                                                la production et la distribution d’appa-
                                            De tout temps, ce secteur a suscité
convergence des technologies dans                                                       reils acoustiques. Et le géant orange
                                            l’intérêt, car il touche l’être humain
le domaine des sciences de la vie,                                                      d’expliquer : « La thématique de la
                                            dans ce qu’il a de plus précieux : son
avec notamment la bio-informatique,                                                     santé est l’un des domaines d’activités
                                            corps et sa santé.
l’intelligence artificielle, le big data,                                               stratégiques pour Migros. »5
l’ingénierie, la robotique, etc. venant     Dans la région, cet intérêt est renforcé
s’ajouter aux sciences plus direc-          par le fait que l’Arc lémanique excelle
tement liées au domaine médical »,          dans les sciences de la vie, possède
constate Antonio Gambardella, direc-        des infrastructures de qualité et abrite
teur de l’incubateur technologique          de nombreuses entreprises (voir cha-
Fongit, à Plan-les-Ouates. « D’ail-         pitres suivants) qui tirent l’économie
leurs, parmi les projets les plus inté-     en avant. « Nous qui avons la chance
ressants que la Fongit soutient dans        de côtoyer un nombre important de
le domaine médical, se trouvent des         sociétés provenant de secteurs d’ac-
sociétés issues du CERN spécialisées        tivité très variés, nous constatons que
dans la protonthérapie*, avec des           les sciences de la vie figurent parmi
chercheurs qui ont étudié la physique       les secteurs les plus dynamiques »,
et la chimie, et pas forcément issus du     relève Virginie Fauveau, membre de
domaine médical. »                          la direction générale de la BCGE et
                                            responsable de la division dédiée
                                            aux entreprises.

                                                                                        5   BOLLETER Edouard, 2020.
                                                                                            « Les projets secrets de Migros dans la santé »
                                                                                            PME Magazine en ligne. 28 juillet 2020
                                                                                            https://www.pme.ch/actualites/2020/07/28/
                                                                                            projets-secrets-migros-sante.
1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION                                                                                                        13

NOUVEAUX ENTRANTS                                 Et cette tendance fait naître de nou-
                                                  veaux besoins. Que l’on pense au
                                                                                                       Cette résistance se lit également dans
                                                                                                       les sommes levées par les start-up
Troisièmement, corollaire du rôle                 séquençage du génome humain, qui                     des sciences de la vie pendant le
important que jouent le numérique et              produit des quantités phénoménales                   premier semestre 2020, alors même
l’intelligence artificielle, de nouveaux          de données qu’il faut stocker et faire               que le reste de l’économie était qua-
entrants ont fait leur apparition dans le         circuler. Et pour cela, il faut les com-             siment à l’arrêt. Ainsi, huit des dix plus
domaine des sciences de la vie. Ainsi,            presser et les standardiser (selon les               grands investissements effectués
Novartis s’est allié à Microsoft afin de          normes ISO), ce qu’est en train de                   dans les start-up suisses concernent
créer un laboratoire d’innovation en              faire la start-up GenomSys (créée                    des sociétés biotechs ou med-
intelligence artificielle, avec au final          à Genève, désormais basée à Lau-                     techs, selon le Swiss Venture Capital
l’objectif de trouver plus rapidement             sanne) qui a récemment levé 9,3 mil-                 Report 9 qui constate aussi que les
des médicaments.                                  lions de francs pour accélérer son                   biotechs appartiennent au sous-sec-
                                                  développement et devenir peut-être                   teur boursier qui a le mieux per-
Hewlett Packard Entreprise (HPE)
                                                  le « Netflix de la génomique », comme                formé pendant cette période sur les
est également très active dans les
                                                  l’avait surnommée le magazine Bilan7.                marchés financiers.
sciences de la vie, informe Monica
Gilles, directrice pour la Suisse                                                                      Autant de raisons qui permettent de
romande de HPE, en précisant que                  NUMÉRIQUE ET                                         penser, tout comme Igor Fisch, direc-
l’un des trois centres d’innovation               INTELLIGENCE ARTIFICIELLE                            teur et fondateur de la biotech Selexis,
client au monde du groupe se trouve                                                                    que « l’on arrive dans le siècle des
                                                  Cette poussée du numérique et de
à Genève. Le groupe soutient via un                                                                    sciences de la vie, secteur qui connaî-
                                                  l’intelligence artificielle permet éga-
programme d’accélération commer-                                                                       tra de plus en plus d’investissements,
                                                  lement à certaines sociétés de se
ciale plusieurs start-up du domaine de                                                                 du masque aux médicaments, en
                                                  diversifier, à l’image de TIXnGo, filiale
la santé, telle une jeune pousse qui                                                                   passant par les vaccins ».
                                                  d’Elca, dont la technologie basée
utilise l’intelligence artificielle pour dia-
                                                  sur la blockchain est utilisée dans le
gnostiquer en temps réel Alzheimer et
                                                  domaine de la billetterie, qui propose               REINS SOLIDES
les cancers de la peau (DeepCube)
                                                  désormais une plateforme sécurisée
ou une autre dont la plateforme de                                                                     Une mise en garde s’impose toutefois :
                                                  pour les certificats de santé.
communication dédiée et sécurisée                                                                      si le secteur dans son ensemble paraît
permet d’améliorer la collaboration du            Quatrième raison de s’intéresser au                  relativement résistant, ses entreprises
personnel hospitalier (Komed Health),             secteur : la manière dont il a résisté               prises individuellement sont confron-
pour reprendre deux exemples cités                sur les marchés financiers lors de                   tées à bien des risques, n’ayant trouvé
lors d’un événement healthcare virtuel            la crise de la Covid-19. Comme l’ex-                 ni remède ni vaccin contre les revers
organisé par HPE Genève.6                         plique dans un entretien au quotidien                ou les faillites. Quant à ses start-up,
                                                  Le Temps Bernard Vogel, cofondateur                  elles ont souvent besoin de capitaux
                                                  et associé du fonds de capital-risque                importants et leurs retours sur investis-
GÉANTS DE LA TECH
                                                  genevois Endeavour Vision « ce                       sement sont très longs. Elles doivent
De manière générale, tous les géants              secteur résiste toujours bien aux                    donc avoir les reins assez solides et/
de la tech, ou presque, sont attirés              crises et, durant la pandémie, les                   ou des investisseurs qui croient en
par les sciences de la vie auxquelles             investisseurs ont remarqué qu’il était               elles malgré les inévitables difficul-
ils fournissent avant tout leurs com-             fiable, stable et constant. Selon nous,              tés auxquelles sont confrontées les
pétences en matière de données                    l’innovation médicale va jouer un plus               jeunes pousses.
numériques (capture, traitement,                  grand rôle ces prochaines années ».
stockage, digitalisation, intelligence            Ce fonds, qui a depuis sa création en
artificielle, etc.).                              2000 investi 650 millions de francs
                                                  dans une trentaine de start-up, dont
L’évolution digitale des sciences de la
                                                  une dizaine en Suisse, à l’exemple de
vie a aussi permis à toute une série de
                                                  Sophia Genetics, a d’ailleurs décidé
nouvelles entreprises de se créer, par
                                                  d’accélérer sa cadence d’investisse-
exemple dans les services de consul-
                                                  ment en continuant à se concentrer
tation médicale en ligne et/ou la prise
                                                  sur les technologies médicales et la
de rendez-vous en ligne (telle la gene-
                                                  santé numérique8.
voise OneDoc), un domaine qui n’exis-
tait pas il y a quelques années.

                                                  7   DELAY Fabrice, 2018. « Des Suisses
                                                      inventent le Netflix de la génomique » Bilan.    9   STARTUPTICKER.CH, en collaboration
                                                      8 février 2018.                                      avec SECA, SWISS PRIVATE EQUITY &
                                                  8   BASSIN Aline, 2020. Bernard Vogel.                   CORPORATE FINANCE ASSOCIATION,
6   Transformer l’expérience médicale à travers       « Pour les investisseurs, la santé est devenue       2020. Swiss Venture Capital Report Update.
    l’innovation, juin 2020.                          un secteur refuge », Le Temps. 30 mai 2020.          Juillet 2020.
14                                                   NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU

2. LES SCIENCES
   DE LA VIE EN SUISSE ROMANDE,
   UN CLUSTER ?
   L’Arc lémanique est souvent décrit comme un cluster biotech
   et medtech. L’occasion de se pencher sur ce terme qui fait rêver
   les uns et agace les autres. Avec en toile de fond, des enjeux
   de compétitivité et de politiques publiques.

   Dans les milieux technophiles, on
   entend souvent parler de clusters bio-
                                                 CLUSTER, VOUS AVEZ                            DOUBLE PATERNITÉ
   techs ou de clusters informatiques. Peu       DIT CLUSTER ?                                 À CENT ANS D’ÉCART
   connu du grand public, ce mot a tou-
                                                 Bien que le mot ait donné naissance           Le premier à aborder le concept de
   tefois fait irruption dans le vocabulaire
                                                 à des réalités assez différentes, « la lit-   cluster est l’économiste anglais Alfred
   courant dès le début de l’épidémie de
                                                 térature académique considère qu’il           Marshall (1842-1924), avec sa notion
   coronavirus en France (puis en Suisse)
                                                 existe un cluster dès lors que l’on           de spécialisations industrielles régio-
   pour évoquer les cas groupés de per-
                                                 observe un regroupement localisé              nales. Il faudra attendre la fin des
   sonnes testées positivement à la Covid-
                                                 d’organisations de différentes natures        années 1990 pour que le terme s’im-
   19. Si l’origine est la même, cluster
                                                 (firmes, organisations publiques de           pose dans la littérature scientifique.
   signifiant « grappe » ou « groupe » en
                                                 recherche et autres institutions de           La paternité en revient au professeur
   français, la connotation est bien diffé-
                                                 transfert ou de financement), tourné          de management de l’Université de
   rente : dans le cas de la pandémie, les
                                                 vers un domaine technologique en              Harvard Michael Porter, qui le décrit
   clusters effraient, alors que le terme
                                                 particulier. Une telle forme de regrou-       en 1998 dans un article remarqué paru
   fait d’ordinaire briller les yeux. Le Salon
                                                 pement se distingue des agglomé-              dans la Harvard Business Review.
   EPHJ, « le plus grand salon internatio-
                                                 rations industrielles traditionnelles         Dans une autre publication, il expli-
   nal de la haute précision » consacré
                                                 par un certain degré de densité               quera que « réfléchir en termes de
   notamment aux microtechnologies et
                                                 relationnelle, sous-tendue par des            clusters permet de comprendre l’inté-
   aux technologies médicales qui se tient
                                                 formes de coopération et d’échanges           rêt tangible et central qu’ont les firmes
   à Genève, ne vante-t-il pas sur son site
                                                 de connaissances ».1                          à s’insérer dans leur environnement
   la Health Valley lémanique, ce « cluster
                                                                                               local. Un intérêt qui peut aller au-delà
   de plus de 1’000 entreprises de Suisse        Dès lors, outre la concentration géo-
                                                                                               des taxes, des coûts de l’énergie ou
   romande impliquées dans les sciences          graphique et sectorielle d’entités très
                                                                                               des salaires. La santé du cluster est
   de la vie » ?                                 différentes (entreprises technolo-
                                                                                               cruciale pour celle de chacune des
                                                 giques, sous-traitants, hautes écoles,
                                                                                               firmes2 ». Ainsi, un centre de recherche
                                                 sociétés de services, associations
                                                                                               très dynamique sera à l’origine de
                                                 professionnelles, infrastructures spé-
                                                                                               spin-off. Si les chercheurs à la base
                                                 cialisées, etc.) y compris par leur
                                                                                               de cette nouvelle société arrivent à la
                                                 taille (start-up, PME, grandes entre-
                                                                                               faire grandir, ils auront probablement
                                                 prises), les notions de réseaux et d’in-
                                                                                               besoin d’infrastructures spécifiques,
                                                 terconnexion sont très importantes.
                                                                                               de sous-traitants et de sociétés leur
                                                 Autrement dit, ces entités mises
                                                                                               venant en appui (par exemple pour
                                                 ensemble génèrent plus de valeur
                                                                                               leur propriété intellectuelle).
                                                 (en termes de revenus et d’emplois,
                                                 mais aussi d’idées et de brevets) que
                                                 si elles travaillaient chacune dans
                                                 leur coin. C’est ce qui s’appelle des
                                                 externalités positives.

                                                                                               2   PORTER Michael, 2000 : « Location,
                                                                                                   competition and economic development.
                                                                                                   Local clusters in a global economy. »
                                                 1   VICENTE Jérôme, 2016. Economie des            Economic Development Quaterly, vol. 14, n°1
                                                     clusters. La Découverte, Paris.               pp. 15-34. Cité par Vicente Jérôme.
2. LES SCIENCES DE LA VIE EN SUISSE ROMANDE, UN CLUSTER ?                                                                                        15

                                                                                                                      1’100
                                                                                                                         entreprises

                                           L’apport des
39
instituts de
                                           sciences de la
 recherche
                                           vie en Suisse
                                           occidentale

                                                             35’000
                                                             personnes occupées

                                                                                                                                 Source : BioAlps

A la base des clusters, se trouvent        promotion de l’innovation, le Conseil               La Confédération mandate alors le
généralement une université, une           européen a fait des clusters l’une des              bureau d’études genevois Eco’Dia-
haute école et/ou un centre de             neuf priorités stratégiques pour une                gnostic, en association avec le bureau
recherche forts et motivés par la coo-     promotion fructueuse de l’innovation,               de conseil en économie politique
pération avec des entreprises locales      comme le relève le Conseil fédéral5.                et régionale ecopo Neuchâtel, pour
ainsi que des chercheuses et cher-                                                             rédiger un rapport visant à y apporter
cheurs attirés par l’entrepreneuriat.                                                          une réponse circonstanciée7.
A noter que certains de ces pôles de
compétences remontent à plusieurs
                                           LA ( NON ) POLITIQUE                                Sur cette base et « après mûre
siècles et ont émergé de manière dif-      DES CLUSTERS EN SUISSE                              réflexion, le Conseil fédéral estime qu’il
                                                                                               n’est pas nécessaire d’instaurer une
férente, souvent par les aléas de l’His-
                                           La question s’est posée en Suisse                   politique des clusters proprement dite
toire, comme l’horlogerie et la finance
                                           de savoir s’il fallait instaurer une                en Suisse. Pour faire naître des clusters
en Suisse, et plus particulièrement
                                           telle politique. En 2006 également,                 et les voir se développer, il est primor-
à Genève3.
                                           feu le conseiller national Jean-Noël                dial de bénéficier de bonnes condi-
Suite aux recherches de Michael            Rey dépose un postulat chargeant                    tions-cadres économiques, de nature
Porter, les politiques de clusters ont     le Conseil fédéral « de présenter un                à favoriser l’innovation. Or, dévelop-
émergé dès le milieu des années            rapport sur la création de systèmes                 per une politique des clusters implique
1990, indique le professeur français       de valeur ajoutée dits clusters ». 6                que la Confédération et les cantons
Jérôme Vicente dans son ouvrage                                                                unissent leurs efforts pour se concen-
dédié à la thématique4, et ont consti-                                                         trer sur quelques priorités écono-
tué le centre du renouveau de la                                                               miques et régionales. Cette approche
politique industrielle. Au point où, en                                                        par le haut (top down) est assimilable
2006, pour donner un nouvel élan à la                                                          à une politique industrielle proprement
                                                                                               dite, qui introduit donc une discrimina-
                                                                                               tion dans les politiques économiques
                                                                                               et d’innovation ».8

                                                                                               7   DEMBINKSI Paul, 2008. « Les clusters
                                           5   Confédération suisse, 2010. Les clusters            dans l’économie suisse : regard statistique
                                               dans la promotion économique. Rapport du            et regard politique ». Novembre 2008.
3   CCIG-BCGE-OCSTAT, 2014. Les artisans       Conseil fédéral en exécution du postulat Rey.   8   Confédération suisse, 2010. « Les clusters
    de l’économie genevoise.                   Mars 2010.                                          dans la promotion économique. Rapport du
4   VICENTE Jérôme, 2016. Economie         6   Postulat Rey 06.3333, Réseaux                       Conseil fédéral en exécution du postulat
    des clusters. La Découverte.               de développement économique.                        Rey ». Mars 2010.
16                                                NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU

  Historique du concept de cluster

                           Dès    1890
                           Alfred Marshall (1842-1924)
                           est le premier à aborder
                           le concept de cluster.

1890                1900                    1910                1920                  1930                 1940                 1950

                                            1946
                                              Création du Stanford Research Park à la Silicon Valley, avec les trois
                                              ingrédients de bases d’un cluster : des hautes écoles (les universités de
                                              Stanford, Berkeley et Santa Clara), des entreprises technologiques et
                                              des financements (en particulier des fonds de capital-risque).

  La Confédération estime également
  que des politiques sectorielles bien
                                              UN CLUSTER                                  « Beaucoup de régions se sont cassé
                                                                                          les dents, en voulant créer des clus-
  établies au niveau fédéral existent         NE SE DÉCRÈTE PAS                           ters de manière artificielle, basés par
  et visent à renforcer la place écono-                                                   exemple uniquement sur des inci-
                                              Si la tentation peut parfois être grande
  mique suisse, portant ainsi déjà de                                                     tations fiscales », explique Giovanni
                                              de favoriser certains secteurs, il faut
  fait sur des aspects qui seraient théo-                                                 Ferro Luzzi, professeur à la Haute
                                              avoir conscience que les clusters ne
  riquement couverts par une politique                                                    école de gestion (HEG) et à l’Univer-
                                              peuvent s’envisager qu’en liaison
  de cluster, qu’il s’agisse des efforts                                                  sité de Genève (Unige), responsable
                                              étroite avec les forces d’un territoire
  réalisés dans les domaines de la                                                        de l’Institut de recherche appliquée
                                              donné et non par volontarisme poli-
  formation et de la recherche, de la                                                     en économie et gestion (Ireg), insti-
                                              tique sorti ex nihilo. Le succès des
  formation professionnelle, de la pro-                                                   tut conjoint de la HES-SO Genève et
                                              grappes dans certains secteurs, en
  motion de l’innovation, de la politique                                                 de l’Unige. L’Etat peut encourager, se
                                              particulier hi-tech, est la résultante
  en faveur des PME ou encore des                                                         renseigner pour connaître les besoins,
                                              de facteurs complexes et interdé-
  mesures visant à faire connaître notre                                                  créer de bonnes conditions-cadres,
                                              pendants, dont les modèles ne sont
  pays à l’étranger.                                                                      mais pas « clusteriser » l’économie, car
                                              pas reproductibles n’importe où. Or
                                                                                          cela dépasse ses compétences. Un
                                              souvent, les régions parlent de « clus-
                                                                                          cluster se met en place par lui-même.
                                              ters » là où il n’y a qu’un souhait poli-
                                              tique (concrétisé généralement par
                                              des aides et financements publics)
                                              qui ne se traduit pas dans les statis-      MARKETING TERRITORIAL
                                              tiques. Ainsi, combien de clusters bio-
                                                                                          Quels sont donc les intérêts des clus-
                                              techs ont-ils émergé dans le monde,
                                                                                          ters ? Le premier est de l’ordre du mar-
                                              simplement parce que la technologie
                                                                                          keting territorial. « C’est un mot qui
                                              est porteuse ?
                                                                                          parle à l’imaginaire, car il permet de
                                                                                          dire beaucoup de choses à la fois,
                                                                                          incluant une volonté politique (impli-
                                                                                          quant que les autorités ont mis quelque
                                                                                          chose en place, qu’elles sont actives et
                                                                                          qu’elles ont le secteur dans leur radar)
                                                                                          et une réalité économique (indiquant
                                                                                          qu’il se passe quelque chose, qu’il y
                                                                                          a une certaine concentration de com-
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