LES SCIENCES DE LA VIE - UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU - BCGE
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LES SCIENCES DE LA VIE UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU NOVEMBRE 2020
NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU SOMMAIRE PRÉAMBULE__________________________________________________________________________________ 5 CE QU’IL FAUT EN RETENIR________________________________________________________________ 6 1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION__________________________________ 8 2. LES SCIENCES DE LA VIE EN SUISSE ROMANDE, UN CLUSTER ?_________________ 14 3. LE POIDS IMPORTANT DE L’ARC LÉMANIQUE________________________________________ 20 4. LES PRINCIPAUX ACTEURS GENEVOIS DE CETTE « HEALTH VALLEY »_________ 28 5. LA GENÈVE INTERNATIONALE DE LA SANTÉ_________________________________________ 38 6. QUELS FACTEURS POUR UNE PÉRENNISATION ?____________________________________ 43 GLOSSAIRE_________________________________________________________________________________ 50 13 ÉDITIONS DE L’ÉTUDE ÉCONOMIQUE_______________________________________________ 52 Dans ce document, l’emploi du masculin pour désigner des personnes ou des fonctions (telles que directeurs ou entrepreneurs) n’a d’autres fins que celle d’alléger le texte.
NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU 5 PRÉAMBULE Biotechs, technologies médicales, santé digitale. Ces termes ont occupé le devant de la scène depuis que le nouveau coronavirus a bouleversé la planète. Les sciences de la vie n’en restent pas moins un secteur économique méconnu du public. Elles constituent pourtant un centre d’excellence de l’Arc lémanique, comme le montre cette étude publiée par la CCIG et la BCGE, avec la collabo- ration de l’OCSTAT. La région possède en effet des acteurs très diversifiés (start-up, PME, grandes entreprises, centres de recherche, hautes écoles, hôpitaux universitaires, incu- bateurs, financiers) de grande qualité, actifs dans un nombre impressionnant de domaines d’expertise, allant des neurosciences à la bio-informatique, en passant par l’oncologie, la protonthérapie ou encore les technologies médi- cales. C’est d’ailleurs cette densité et cette complémentarité qui en consti- tuent l’une des grandes forces, au point où certains n’hésitent pas à appeler notre région la Health Valley, en clin d’œil à la célèbre Silicon Valley. Ce secteur contribue substantiellement au produit intérieur brut et à l’emploi dans nos cantons. Il méritait un inventaire et une analyse prospective. C’est chose faite avec l’excellente étude d’Aline Yazgi. Certes, la Suisse est un petit pays, l’empêchant de rivaliser avec les grands clus- ters (concept très prisé en innovation et thématisé au chapitre 2), notamment américains. Mais malgré sa taille, le pays occupe une place enviable sur l’échi- quier mondial des sciences de la vie. Quant au canton de Genève, il excelle sur un autre plan, lui aussi largement ignoré : il est l’une des capitales, voire la capi- tale mondiale, de la politique sanitaire globale. Au-delà de l’Organisation mon- diale de la santé, une myriade d’organisations, d’associations et de fédérations sont présentes dans le canton pour traiter de thématiques planétaires liées à la santé. Même si les liens sont – pour l’instant ? – peu nombreux entre les acteurs de la Genève internationale et ceux des sciences de la vie, ils se renforcent, notamment avec les hautes écoles et les hôpitaux universitaires. Le présent document esquisse des pistes pour soutenir ces enjeux. Comme le montre aussi l’étude, tous les ingrédients sont présents pour confé- rer à l’Arc lémanique une force, une spécificité et un rayonnement certains, dont on ne peut que se réjouir. Reste maintenant à pérenniser, voire – mieux – à ren- forcer ce cluster des sciences de la vie pour que la région se maintienne à la pointe dans ce secteur qui va toujours plus gagner en importance. Nos organi- sations s’y engagent. Nos vifs remerciements s’adressent à Aline Yazgi, auteure de l’étude, ainsi qu’au comité de pilotage, composé d’Alexandra Rys (CCIG), de Lydia Albrecht (BCGE) et d’Hervé Montfort (OCSTAT). Nous vous souhaitons une lecture inspirante et utile. Blaise Goetschin Vincent Subilia CEO Directeur général BCGE CCIG
6 CE QU’IL FAUT EN RETENIR Le premier chapitre montre que les biotechnologies,* 1 et plus encore les technologies médicales, ont une longue histoire dans la région romande et qu’elles revêtent des caractéristiques typiquement suisses. Mais les sciences de la vie englobent encore plusieurs autres domaines qui y sont décrits. Le secteur est en pleine mutation, avec une forte évolution technolo- gique, ainsi que l’arrivée en force du numérique et de l’intelligence artificielle. Autant d’éléments qui se tra- duisent par une complexité et une interdisciplinarité croissantes, mais aussi par des promesses de théra- pies plus ciblées et plus performantes. Si le secteur a de tout temps suscité l’intérêt, il mérite encore plus d’at- tention aujourd’hui pour plusieurs raisons : progrès tech- nologiques, arrivée de nouveaux acteurs issus d’autres horizons, créations de nombreuses sociétés, fortes capacités d’adaptation des entreprises actives dans les sciences de la vie et résistance face aux crises. 1 Les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire figurant en fin de publication.
NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU 7 Le deuxième chapitre se penche sur les « clusters », ces regroupements localisés d’organisations de diffé- rente nature (entreprises grandes et petites, hautes écoles, organismes d’aide, centres de recherche, sociétés de capital-risque, etc.) entretenant d’impor- tants liens et constituant ainsi une masse critique 1’100 entreprises dans les sciences de la vie en intéressante. En effet, l’Arc lémanique est souvent décrit Suisse occidentale comme un cluster des sciences de la vie. L’occasion de se pencher sur les fondements de ce concept, dont l’utilité ne fait pas l’unanimité, et sur la Silicon Valley, exemple suprême de cluster que nombre de régions essaient de copier. Le troisième chapitre explique que l’Arc lémanique, Le cinquième chapitre dévoile un aspect méconnu de et plus largement la Suisse, constituent des pôles la Genève internationale : le canton est en effet une parmi les plus dynamiques du monde en matière des capitales, voire la capitale de la santé globale. de sciences de la vie. Au-delà des chiffres, c’est la Outre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il densité des acteurs et le large éventail des technolo- compte en effet plus de 90 acteurs (organisations, gies représentées qui en font leur force. La Suisse occi- associations, fondations) actifs dans la santé. Même dentale compte plus de 1’100 entreprises et 39 instituts s’il entretient (pour l’instant ?) peu d’interactions avec de recherche de pointe, mondialement reconnus. Au les entreprises, ce statut enviable comporte de nom- niveau helvétique, les sciences de la vie pèsent des breux atouts, en termes d’image, mais aussi d’attraction dizaines de milliers d’emplois et plus de 100 milliards et d’écosystème. En outre, cette présence stimule des d’exportations. Il est toutefois difficile de donner des collaborations en matière de recherche, en particulier statistiques précises, les sciences de la vie étant hau- avec les HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève), et tement interdisciplinaires et ne faisant pas partie d’un est accompagnée par deux centres de formation et de agrégat communément présenté dans la nomenclature recherche de renommée internationale. générale des activités économiques (NOGA) qu’utilise la statistique publique. Le sixième chapitre aborde les points d’attention. En effet, malgré de nombreux atouts, Genève doit Le quatrième chapitre décrit les principaux acteurs être consciente de certaines problématiques si le genevois de cette « health valley » : start-up, PME, canton veut pérenniser, voire renforcer, ce cluster entreprises bien établies, sociétés de services, struc- des sciences de la vie. Manque de géants du secteur, tures d’aide, incubateurs, instituts de recherche, nombre restreint de sociétés à forte croissance, centres hautes écoles, hôpitaux universitaires, fonds de capi- de décisions se trouvant à l’étranger, ou nécessité de tal-risque. C’est un écosystème complet et varié, dans resserrer les liens entre les divers acteurs locaux des lequel le CERN, par exemple, joue un rôle important, sciences de la vie constituent quelques facteurs à mais encore peu connu. prendre en compte dans une optique de consolidation de ce secteur.
8 NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU 1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION Les sciences de la vie constituent un secteur qui se développe activement, pour de nombreuses raisons, et pas seulement à cause de la pandémie de Covid-19. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Et pourquoi ces technologies sont-elles si intéressantes ? Historique et explications. Il était une fois une entreprise fondée Voilà pour les biotechnologies. Dans D’ailleurs, tant les biotechs que les en 1906 qui était leader mondial du le secteur des technologies médi- medtechs sont intimement liés aux traitement contre l’infertilité et utili- cales et du domaine pharmaceu- compétences helvétiques. « Les sait de l’urine pour fabriquer ses pro- tique, la force de Genève et de la technologies médicales allient le duits. Au début des années 1980, Suisse remonte à bien plus long- meilleur des deux mondes en Ares-Serono (elle portait encore son temps encore. Claude Joris, secré- Suisse : le savoir-faire et de bons nom d’origine) prit le virage des bio- taire général de l’association BioAlps, ingénieurs ainsi que la tradition dans technologies* 1, ce qui lui permit de qui regroupe tous les acteurs (socié- la pharmacie et la microtechnique », créer de manière plus stable ses hor- tés, institutions académiques, asso- décrit Emmanuel de Watteville, du mones de fertilité. Elle grandit for- ciations et fondations) actifs dans les fonds genevois de capital-risque tement, raccourcit sa raison sociale sciences de la vie* de Suisse occiden- BlueOcean Ventures, spécialisé en Serono et se hissa parmi les plus tale, en attribue l’origine à … la révoca- dans les sociétés de technologies importantes sociétés biotechs du tion de l’Edit de Nantes (1685). « Plus médicales et biotechnologiques. monde. Elle positionna ainsi Genève de 200’000 Français ont fui leur pays sur la carte mondiale de ces techno- et se sont installés entre Genève et TYPIQUEMENT SUISSE logies, si bien qu’après son rachat Bâle. Ils sont venus avec leurs compé- (2006) par le groupe allemand Merck tences, en particulier dans le domaine Quant à la biotech, « elle est typique- KgaA puis sa triste fermeture (2012), la microtechnique (concrétisé dans l’hor- ment suisse. Elle est faite par et pour région est restée parmi les plus dyna- logerie puis les techniques médicales) la Suisse. D’abord, elle est basée sur miques dans ce domaine, même s’il et dans la teinturerie, ce qui s’est le savoir-faire, de l’idée scientifique lui manque aujourd’hui un vrai leader transformé en chimie, puis en chimie à son développement, sa produc- (voir chapitre 6 – Pérennisation). fine et, enfin, en pharmacie. » tion et sa commercialisation. C’est pourquoi elle nécessite une excel- Aujourd’hui, les différentes branches lente formation. Notre pays excelle des sciences de la vie constituent des dans ce domaine. Ensuite, c’est une secteurs qui se développent bien et industrie très globale. Chacun de qui ont un poids certain dans l’éco- nous sait qu’il ne peut se satisfaire nomie de la région (voir chapitre 3 du petit marché local et se doit d’être – Le poids de la Suisse), au point ouvert. C’est typiquement suisse. où l’on peut véritablement parler de Troisièmement, la biotech mène des « Health Valley », en clin d’œil à la projets de très longue durée. C’est Silicon Valley, ce dont peu de gens se très suisse. Nous savons planifier et rendent compte. sommes stables », décrivait le direc- teur de la Swiss Biotech Association dans Le Temps2. 1 Les mots accompagnés par un astérisque 2 GARESSUS Emmanuel, 2018. Michael Altorfer : sont définis dans le glossaire figurant en fin « La biotech est typiquement suisse ». de publication. Le Temps. 4 mai 2018.
1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION 9 DE QUOI PARLE-T-ON ? Mais de quoi parle-t-on exacte- ODEURS, GOÛTS ET SANTÉ ment lorsque l’on évoque les sciences Le fait d’inclure les cosmétiques dans la catégorie des sciences de de la vie ? Des biotechnologies et des la vie ne s’explique pas uniquement parce que les gels hydroalcoo- technologies médicales que l’on vient liques, indispensables alliés médicaux, entrent dans la catégorie d’évoquer, de même que des produits des produits cosmétiques. Une autre raison provient du fait que les pharmaceutiques, des diagnostics, de liens entre beauté et santé semblent de plus en plus marqués et la protéomique*, de la santé digitale, que la recherche s’est saisie du domaine. « C’est le futur », affirme de la bio-informatique*, de la nutrition Anne Abriat, fondatrice de Smell & Taste Lab, société qui accom- santé, etc., mais aussi – plus étonnant pagne les entreprises actives dans la beauté, le bien-être et la peut-être – des cosmétiques, arômes santé en matière d’innovation et de développement de produits. et parfums. « La composante hygiène « Pensez par exemple à la nutraceutique : les gens veulent que leur et bien-être est fortement apparentée système immunitaire soit renforcé sans forcément prendre des à la santé. Les métiers sont proches, médicaments. » Et d’indiquer que dans la région, des acteurs des avec l’intensité de la recherche dans cosmétiques, des arômes/parfums et des start-up travaillent sur de des mécanismes biologiques, l’impor- nouvelles technologies dans ce domaine. tance de la propriété intellectuelle, et Anne Abriat rappelle en outre que des sens qui étaient jusqu’ici les outils industriels mis en œuvre. Ce davantage associés à l’idée du plaisir (odorat et goût) sont toujours dernier point a été clairement illustré plus l’objet de recherches médicales. Ces dernières indiquent lors de la pandémie avec les contri- que leur altération peut constituer des signes avant-coureurs de butions faites par Firmenich et Givau- problèmes neurodégénératifs (tels Alzheimer et Parkinson) et doit dan dans l’approvisionnement en gel donc attirer l’attention. Quant à l’actualité récente, elle a montré hydroalcoolique de nos centres de que l’olfaction et le goût constituaient des marqueurs pour le dia- soins », détaille Jesús Martin-Garcia, gnostic de la Covid-19. président de l’association Genève Considérant que Genève abrite les deux géants des arômes et Sciences de la Vie et actif dans plu- des parfums ainsi que des centres de recherche de pointe, Anne sieurs sociétés biotechs de la région. Abriat estime que la région devrait davantage se spécialiser sur De manière plus générale, certaines ces liens entre olfaction/goût et santé, aussi bien en termes de sociétés, à l’image de l’américaine formation que d’activités économiques. Cette piste serait d’autant Moderna qui développe un vaccin plus intéressante, poursuit-elle, que se trouvent ici des partenaires contre la Covid-19 avec la valaisanne de recherche tels le CISA (Centre Interdisciplinaire des Sciences Lonza, créent des plateformes « repo- Affectives) et le Blue Brain Project ainsi que des professeurs spé- sant sur une technologie applicable cialisés dans les troubles de l’odorat. dans de nombreux domaines, de la cancérologie aux cosmétiques », comme l’évoquait dans Le Temps Pierre-Alain Wavre, directeur général de Pictet Investment Office3. Au-delà de la définition, il est inté- médecine plus préventive, prédic- ressant de constater que le secteur tive (en détectant certaines maladies Sans compter que les liens entre s’est profondément transformé ces plus tôt) et personnalisée (notamment les domaines de la beauté et de la dernières décennies, à la suite d’une grâce à la génomique), mais aussi de santé, de même qu’entre les odeurs convergence entre certaines tech- créer de nombreuses sociétés, dans et la santé sont toujours plus marqués nologies (biotechnologies et med- des domaines nouveaux et souvent (voir encadré). techs en particulier), de l’émergence très technologiques, parfois appelés de nouvelles connaissances notam- healthtechs, pour en souligner cette ment liées aux « -omics » (dont la géno- dernière caractéristique4. mique), et de l’arrivée en force du numérique et de l’intelligence artifi- cielle. Cette évolution a permis d’abor- der les questions de santé de manière plus globale, de se diriger vers une 3 FRISCHKNECHT Léa, 2020. 4 Pour en savoir plus : COMTESSE, Xavier, 2017. « La Suisse s’offre 4,5 millions de vaccins », Santé 4.0, Le tsunami du numérique. Genève : Le Temps. 8 août 2020. Georg éd.
10 NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU NUMÉRIQUE Plus proche de nous, MindMaze, spin- off de l’EPFL, a révolutionné les trai- ET INTELLIGENCE tements neurologiques, grâce à sa ARTIFICIELLE technologie recourant à la réalité vir- tuelle pour faciliter et accélérer la « Des thérapies numériques Plus impressionnant encore : les chan- réhabilitation des victimes d’accident commencent à voir le jour gements induits par le numérique. Et vasculaire cérébral (AVC). Sa plate- cela à plusieurs niveaux. Tout d’abord, forme, qui combine capteurs neuro- pour soigner diverses le numérique permet une meilleure naux, caméras et images de synthèse, pathologies. Un jeu vidéo information, disponible partout et à permet au patient de suivre une série est même désormais vendu chaque instant, ce qui facilite une prise d’exercices, de voir ses mouvements sur ordonnance pour les en charge collaborative du patient se reproduire à l’écran par un avatar et diminue le risque d’erreur médi- et de les corriger. enfants souffrant d’un trouble cale due à une mauvaise transmission du déficit de l’attention. » des renseignements. Les solutions de Comme le souligne Benoît Dubuis, « le traitement des données représente santé connectée ont particulièrement l’un des grands défis de la santé de été plébiscitées pendant la pandémie, demain, mais aussi une opportunité entre la volonté de nombreuses per- extraordinaire de contribuer à cette Il s’en est suivi une complexité et sonnes de suivre leur santé de près et médecine dite des quatre « P » : pré- une interdisciplinarité croissantes. celle de limiter au maximum les dépla- dictive, préventive, personnalisée Aujourd’hui, les biotechs et les med- cements, notamment chez le médecin. et participative ». techs sont bien plus liées que par le Mais les outils informatiques vont bien passé. « Prenez l’exemple du stent : Parallèlement à l’arrivée du numé- au-delà des processus. Il y a depuis à la base, c’est une sorte de ressort rique, l’intelligence artificielle s’in- quelques années le déferlement de que l’on introduit dans une artère pour vite toujours plus dans le secteur de la « mesure du soi » (« quantified self ») la dilater ou la maintenir ouverte, en la santé. Elle est notamment utilisée avec les smartphones mesurant le d’autres termes c’est un pur disposi- comme aide au diagnostic : depuis rythme cardiaque, les applications sur- tif médical. Désormais, on lui greffe 2019, les HUG l’utilisent par exemple veillant la glycémie, les objets connec- des molécules actives (domaine de en oncologie comme appui au dia- tés monitorant la tension et autres la biotech) ; il est donc à l’interface gnostic et sont en train de développer capteurs sous les matelas détec- entre un dispositif et un médicament. un stéthoscope électronique embar- tant l’apnée du sommeil. Autant de C’est dès lors un produit beaucoup quant un algorithme d’intelligence arti- domaines contribuant à la prévention, plus complexe, mais aussi plus effi- ficielle afin de détecter la signature mais aussi au suivi thérapeutique. cace que chacun de ces deux élé- acoustique de la Covid-19. ments pris séparément », illustre Des thérapies numériques com- Quant à la société de Saint-Sulpice Benoît Dubuis, directeur du Campus mencent également à voir le jour : Sophia Genetics, pionnière en matière Biotech et notamment ancien doyen elles ont été approuvées pour cer- de médecine basée sur les données, de la Faculté des sciences de la vie tains traitements, par exemple contre elle recourt à l’intelligence artifi- de l’EPFL. les troubles addictifs, et sont testées cielle et au big data pour favoriser pour d’autres problèmes à l’image des le dépistage de certaines maladies douleurs chroniques. Depuis cette tel le cancer. Régulièrement citée en année, un jeu vidéo est même vendu exemple, elle emploie après neuf ans sur ordonnance aux Etats-Unis pour les d’existence plus de 350 personnes, a enfants souffrant d’un trouble du déficit levé 77 millions de dollars en 2019 et de l’attention avec ou sans hyperacti- 110 millions en 2020, auprès de capi- vité (TDAH). Quant au groupe Novar- tal-risqueurs et affirme régulièrement tis, il a acquis en avril 2020 une société que de nombreuses percées vont sur- qui utilise les technologies du jeu vidéo venir grâce à la combinaison de l’in- reliées à des lunettes 3D pour traiter un telligence artificielle et des données problème d’acuité visuelle. de masse.
1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION 11 L’intelligence artificielle permet aussi d’améliorer les performances de cer- tains appareils : le Réseau Radiolo- LA COVID-19 A FAIT ÉMERGER gique Romand (3R) s’est récemment DES SOCIÉTÉS équipé de CT scanners équipés d’un Avec la Covid-19, le grand public a découvert foule de sociétés logiciel de reconstruction d’images actives dans ce secteur, dont certaines ont réussi de manière basé sur l’intelligence artificielle, per- très agile à réorienter leurs activités pour aider à lutter contre la mettant d’après son communiqué pandémie. C’est le cas de la PME de Monthey Augurix, relate « une diminution de la dose d’irradia- Emmanuel de Watteville dont le fonds de capital-risque détient des tion aux rayons X et une amélioration parts. La société valaisanne a en effet rapidement lancé un test de significative de la qualité des images ». dépistage sérologique de la Covid-19, en se basant sur l’expérience Enfin, l’intelligence artificielle joue un acquise lors de la validation de précédents tests de dépistage rôle important dans la recherche. Les qu’elle avait effectués (maladies infectieuses et nosocomiales ainsi géants de la pharma, Novartis et Roche que maladie cœliaque). « Plusieurs entreprises ont réussi à faire en tête, investissent des milliards pour pivoter leurs activités avec de très bons résultats. » Emmanuel de créer de nouveaux médicaments Watteville souligne que l’excellente image de marque de la Suisse via l’intelligence artificielle. Quant à s’est à nouveau ressentie, « ces tests étaient réclamés à l’étranger, la société familiale pharmaceutique car les clients voulaient le label suisse ». Debiopharm, basée à Lausanne, elle Autre exemple d’adaptation : Quotient Limited, société de dia- a créé un fonds de capital-risque qui gnostic basée à Eysins et cotée au Nasdaq (bourse technologique investit dans des sociétés actives dans américaine), qui a rapidement adapté ses appareils (permettant de la médecine digitale et basée sur les déceler diverses maladies) afin de produire des tests sérologiques smart datas, notamment pour changer sur la Covid-19. Ou encore Abionic, qui était en train de finaliser la manière de développer les médica- un tour de financement pour commercialiser son test sur le sepsis ments et de traiter les patients. (grave infection du sang) et qui a modifié ses activités pour que son test puisse soutenir la lutte contre le nouveau coronavirus, des études ayant montré qu’une majorité de décès liés à la Covid-19 étaient dus à des complications septiques. Sa technologie de dia- gnostic a obtenu le marquage CE1 et a été utilisée en soins intensifs des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) dans les cas de Une coronavirus. Dans le secteur des vaccins aussi, des adaptations ont été effec- centaine tuées : MaxiVAX, une biotech genevoise à l’origine spécialisée dans le domaine de l’immunothérapie des cancers, a démarré une colla- boration avec les HUG, la Faculté de médecine de l’Université de de sociétés de Suisse Genève et le Centre de recherche en infectiologie de l’Université occidentale actives dans Laval de Québec pour mettre au point un vaccin contre ce nouveau le domaine des sciences de coronavirus. la vie ont développé des produits, services ou solutions Certaines sociétés se sont fait remarquer à l’étranger, à l’image liés à la lutte contre le de la start-up genevoise Combioxin. Développant des traitements nouveau coronavirus innovants pour lutter contre les infections sévères et résistantes, elle a reçu le feu vert de l’autorité américaine du médicament FDA (Food and Drug Administration) pour commencer des essais cliniques sur sa thérapie qui neutralise les bactéries se développant conjointement à une infection grave à la Covid-19. La genevoise Relief Therapeutics a également vu son médicament approuvé par la FDA et est en phase d’essais cliniques avancés, avec des résultats semblant prometteurs, ce qui a totalement dopé le cours boursier de son action. En tout, une centaine de sociétés de Suisse occidentale actives dans le domaine des sciences de la vie auraient développé des produits, services ou solutions liés à la lutte contre le nouveau coronavirus, selon les estimations de l’association BioAlps. 1 Le marquage CE garantit que le produit peut être commercialisé sans restriction à l’intérieur de l’UE (et de l’EEE).
12 NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU Aujourd’hui, il y a en tout cas quatre raisons supplémentaires de se pencher sur ce domaine, sans compter l’impact de la Covid-19 (voir encadré). « On arrive dans le siècle des sciences de la vie. Ce secteur connaîtra de plus NOUVEAUX TRAITEMENTS en plus d’investissements, du masque Tout d’abord, les avancées technolo- aux médicaments, en passant par giques réalisées par exemple grâce aux meilleures connaissances du les vaccins. » génome permettent d’entrevoir une Igor Fisch — Selexis série de nouveaux traitements, plus ciblés et plus efficaces. C’est notam- ment le cas en oncologie, où de nombreuses sociétés effectuent des recherches prometteuses, à l’image On peut encore évoquer la start-up RISQUES ET PRÉCAUTIONS de la spin-off de l’EPFL Lunaphore genevoise Stalicla, qui fonde ses Ce déferlement numérique implique qui augmente la précision et réduit le recherches sur l’intelligence artifi- toutefois certains risques et précau- temps d’analyse des biomarqueurs* cielle, la bio-informatique et la géné- tions, qui touchent autant le domaine spécifiques de tissus cancéreux, et tique pour trouver un traitement technologique (cryptage des données, qui a levé 25 millions de francs en contre les troubles du spectre autis- capacité d’analyse et de stockage) mars 2020. tique. Souvent citée comme promet- qu’éthique (confidentialité et propriété teuse, cette entreprise d’une vingtaine Deuxièmement, le vieillissement de des données, mais aussi implications de personnes a déjà levé 22 millions la population rend ce secteur tou- au niveau individuel et sociétal de cette de francs. jours plus nécessaire (médicaments, meilleure connaissance, et accès pour technologies médicales ainsi que tout Autant d’initiatives qui se lisent sur tous aux traitements). ce qui touche à l’amélioration de la les graphiques des instituts de pro- qualité de vie). Et il attire un nombre priété intellectuelle : les brevets croissant d’entreprises, qui voient mêlant biotechnologies et intelli- gence artificielle sont toujours plus LES MULTIPLES RAISONS là une intéressante diversification. nombreux à être déposés, tant en DE S’INTÉRESSER Même Migros s’y intéresse : le groupe vient de créer en juin une entreprise Suisse qu’à l’étranger. AU SECTEUR (MiSENSO) dont le but commercial est On le voit, « il y a désormais une vraie la production et la distribution d’appa- De tout temps, ce secteur a suscité convergence des technologies dans reils acoustiques. Et le géant orange l’intérêt, car il touche l’être humain le domaine des sciences de la vie, d’expliquer : « La thématique de la dans ce qu’il a de plus précieux : son avec notamment la bio-informatique, santé est l’un des domaines d’activités corps et sa santé. l’intelligence artificielle, le big data, stratégiques pour Migros. »5 l’ingénierie, la robotique, etc. venant Dans la région, cet intérêt est renforcé s’ajouter aux sciences plus direc- par le fait que l’Arc lémanique excelle tement liées au domaine médical », dans les sciences de la vie, possède constate Antonio Gambardella, direc- des infrastructures de qualité et abrite teur de l’incubateur technologique de nombreuses entreprises (voir cha- Fongit, à Plan-les-Ouates. « D’ail- pitres suivants) qui tirent l’économie leurs, parmi les projets les plus inté- en avant. « Nous qui avons la chance ressants que la Fongit soutient dans de côtoyer un nombre important de le domaine médical, se trouvent des sociétés provenant de secteurs d’ac- sociétés issues du CERN spécialisées tivité très variés, nous constatons que dans la protonthérapie*, avec des les sciences de la vie figurent parmi chercheurs qui ont étudié la physique les secteurs les plus dynamiques », et la chimie, et pas forcément issus du relève Virginie Fauveau, membre de domaine médical. » la direction générale de la BCGE et responsable de la division dédiée aux entreprises. 5 BOLLETER Edouard, 2020. « Les projets secrets de Migros dans la santé » PME Magazine en ligne. 28 juillet 2020 https://www.pme.ch/actualites/2020/07/28/ projets-secrets-migros-sante.
1. PLONGÉE DANS UN MONDE EN PLEINE ÉVOLUTION 13 NOUVEAUX ENTRANTS Et cette tendance fait naître de nou- veaux besoins. Que l’on pense au Cette résistance se lit également dans les sommes levées par les start-up Troisièmement, corollaire du rôle séquençage du génome humain, qui des sciences de la vie pendant le important que jouent le numérique et produit des quantités phénoménales premier semestre 2020, alors même l’intelligence artificielle, de nouveaux de données qu’il faut stocker et faire que le reste de l’économie était qua- entrants ont fait leur apparition dans le circuler. Et pour cela, il faut les com- siment à l’arrêt. Ainsi, huit des dix plus domaine des sciences de la vie. Ainsi, presser et les standardiser (selon les grands investissements effectués Novartis s’est allié à Microsoft afin de normes ISO), ce qu’est en train de dans les start-up suisses concernent créer un laboratoire d’innovation en faire la start-up GenomSys (créée des sociétés biotechs ou med- intelligence artificielle, avec au final à Genève, désormais basée à Lau- techs, selon le Swiss Venture Capital l’objectif de trouver plus rapidement sanne) qui a récemment levé 9,3 mil- Report 9 qui constate aussi que les des médicaments. lions de francs pour accélérer son biotechs appartiennent au sous-sec- développement et devenir peut-être teur boursier qui a le mieux per- Hewlett Packard Entreprise (HPE) le « Netflix de la génomique », comme formé pendant cette période sur les est également très active dans les l’avait surnommée le magazine Bilan7. marchés financiers. sciences de la vie, informe Monica Gilles, directrice pour la Suisse Autant de raisons qui permettent de romande de HPE, en précisant que NUMÉRIQUE ET penser, tout comme Igor Fisch, direc- l’un des trois centres d’innovation INTELLIGENCE ARTIFICIELLE teur et fondateur de la biotech Selexis, client au monde du groupe se trouve que « l’on arrive dans le siècle des Cette poussée du numérique et de à Genève. Le groupe soutient via un sciences de la vie, secteur qui connaî- l’intelligence artificielle permet éga- programme d’accélération commer- tra de plus en plus d’investissements, lement à certaines sociétés de se ciale plusieurs start-up du domaine de du masque aux médicaments, en diversifier, à l’image de TIXnGo, filiale la santé, telle une jeune pousse qui passant par les vaccins ». d’Elca, dont la technologie basée utilise l’intelligence artificielle pour dia- sur la blockchain est utilisée dans le gnostiquer en temps réel Alzheimer et domaine de la billetterie, qui propose REINS SOLIDES les cancers de la peau (DeepCube) désormais une plateforme sécurisée ou une autre dont la plateforme de Une mise en garde s’impose toutefois : pour les certificats de santé. communication dédiée et sécurisée si le secteur dans son ensemble paraît permet d’améliorer la collaboration du Quatrième raison de s’intéresser au relativement résistant, ses entreprises personnel hospitalier (Komed Health), secteur : la manière dont il a résisté prises individuellement sont confron- pour reprendre deux exemples cités sur les marchés financiers lors de tées à bien des risques, n’ayant trouvé lors d’un événement healthcare virtuel la crise de la Covid-19. Comme l’ex- ni remède ni vaccin contre les revers organisé par HPE Genève.6 plique dans un entretien au quotidien ou les faillites. Quant à ses start-up, Le Temps Bernard Vogel, cofondateur elles ont souvent besoin de capitaux et associé du fonds de capital-risque importants et leurs retours sur investis- GÉANTS DE LA TECH genevois Endeavour Vision « ce sement sont très longs. Elles doivent De manière générale, tous les géants secteur résiste toujours bien aux donc avoir les reins assez solides et/ de la tech, ou presque, sont attirés crises et, durant la pandémie, les ou des investisseurs qui croient en par les sciences de la vie auxquelles investisseurs ont remarqué qu’il était elles malgré les inévitables difficul- ils fournissent avant tout leurs com- fiable, stable et constant. Selon nous, tés auxquelles sont confrontées les pétences en matière de données l’innovation médicale va jouer un plus jeunes pousses. numériques (capture, traitement, grand rôle ces prochaines années ». stockage, digitalisation, intelligence Ce fonds, qui a depuis sa création en artificielle, etc.). 2000 investi 650 millions de francs dans une trentaine de start-up, dont L’évolution digitale des sciences de la une dizaine en Suisse, à l’exemple de vie a aussi permis à toute une série de Sophia Genetics, a d’ailleurs décidé nouvelles entreprises de se créer, par d’accélérer sa cadence d’investisse- exemple dans les services de consul- ment en continuant à se concentrer tation médicale en ligne et/ou la prise sur les technologies médicales et la de rendez-vous en ligne (telle la gene- santé numérique8. voise OneDoc), un domaine qui n’exis- tait pas il y a quelques années. 7 DELAY Fabrice, 2018. « Des Suisses inventent le Netflix de la génomique » Bilan. 9 STARTUPTICKER.CH, en collaboration 8 février 2018. avec SECA, SWISS PRIVATE EQUITY & 8 BASSIN Aline, 2020. Bernard Vogel. CORPORATE FINANCE ASSOCIATION, 6 Transformer l’expérience médicale à travers « Pour les investisseurs, la santé est devenue 2020. Swiss Venture Capital Report Update. l’innovation, juin 2020. un secteur refuge », Le Temps. 30 mai 2020. Juillet 2020.
14 NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU 2. LES SCIENCES DE LA VIE EN SUISSE ROMANDE, UN CLUSTER ? L’Arc lémanique est souvent décrit comme un cluster biotech et medtech. L’occasion de se pencher sur ce terme qui fait rêver les uns et agace les autres. Avec en toile de fond, des enjeux de compétitivité et de politiques publiques. Dans les milieux technophiles, on entend souvent parler de clusters bio- CLUSTER, VOUS AVEZ DOUBLE PATERNITÉ techs ou de clusters informatiques. Peu DIT CLUSTER ? À CENT ANS D’ÉCART connu du grand public, ce mot a tou- Bien que le mot ait donné naissance Le premier à aborder le concept de tefois fait irruption dans le vocabulaire à des réalités assez différentes, « la lit- cluster est l’économiste anglais Alfred courant dès le début de l’épidémie de térature académique considère qu’il Marshall (1842-1924), avec sa notion coronavirus en France (puis en Suisse) existe un cluster dès lors que l’on de spécialisations industrielles régio- pour évoquer les cas groupés de per- observe un regroupement localisé nales. Il faudra attendre la fin des sonnes testées positivement à la Covid- d’organisations de différentes natures années 1990 pour que le terme s’im- 19. Si l’origine est la même, cluster (firmes, organisations publiques de pose dans la littérature scientifique. signifiant « grappe » ou « groupe » en recherche et autres institutions de La paternité en revient au professeur français, la connotation est bien diffé- transfert ou de financement), tourné de management de l’Université de rente : dans le cas de la pandémie, les vers un domaine technologique en Harvard Michael Porter, qui le décrit clusters effraient, alors que le terme particulier. Une telle forme de regrou- en 1998 dans un article remarqué paru fait d’ordinaire briller les yeux. Le Salon pement se distingue des agglomé- dans la Harvard Business Review. EPHJ, « le plus grand salon internatio- rations industrielles traditionnelles Dans une autre publication, il expli- nal de la haute précision » consacré par un certain degré de densité quera que « réfléchir en termes de notamment aux microtechnologies et relationnelle, sous-tendue par des clusters permet de comprendre l’inté- aux technologies médicales qui se tient formes de coopération et d’échanges rêt tangible et central qu’ont les firmes à Genève, ne vante-t-il pas sur son site de connaissances ».1 à s’insérer dans leur environnement la Health Valley lémanique, ce « cluster local. Un intérêt qui peut aller au-delà de plus de 1’000 entreprises de Suisse Dès lors, outre la concentration géo- des taxes, des coûts de l’énergie ou romande impliquées dans les sciences graphique et sectorielle d’entités très des salaires. La santé du cluster est de la vie » ? différentes (entreprises technolo- cruciale pour celle de chacune des giques, sous-traitants, hautes écoles, firmes2 ». Ainsi, un centre de recherche sociétés de services, associations très dynamique sera à l’origine de professionnelles, infrastructures spé- spin-off. Si les chercheurs à la base cialisées, etc.) y compris par leur de cette nouvelle société arrivent à la taille (start-up, PME, grandes entre- faire grandir, ils auront probablement prises), les notions de réseaux et d’in- besoin d’infrastructures spécifiques, terconnexion sont très importantes. de sous-traitants et de sociétés leur Autrement dit, ces entités mises venant en appui (par exemple pour ensemble génèrent plus de valeur leur propriété intellectuelle). (en termes de revenus et d’emplois, mais aussi d’idées et de brevets) que si elles travaillaient chacune dans leur coin. C’est ce qui s’appelle des externalités positives. 2 PORTER Michael, 2000 : « Location, competition and economic development. Local clusters in a global economy. » 1 VICENTE Jérôme, 2016. Economie des Economic Development Quaterly, vol. 14, n°1 clusters. La Découverte, Paris. pp. 15-34. Cité par Vicente Jérôme.
2. LES SCIENCES DE LA VIE EN SUISSE ROMANDE, UN CLUSTER ? 15 1’100 entreprises L’apport des 39 instituts de sciences de la recherche vie en Suisse occidentale 35’000 personnes occupées Source : BioAlps A la base des clusters, se trouvent promotion de l’innovation, le Conseil La Confédération mandate alors le généralement une université, une européen a fait des clusters l’une des bureau d’études genevois Eco’Dia- haute école et/ou un centre de neuf priorités stratégiques pour une gnostic, en association avec le bureau recherche forts et motivés par la coo- promotion fructueuse de l’innovation, de conseil en économie politique pération avec des entreprises locales comme le relève le Conseil fédéral5. et régionale ecopo Neuchâtel, pour ainsi que des chercheuses et cher- rédiger un rapport visant à y apporter cheurs attirés par l’entrepreneuriat. une réponse circonstanciée7. A noter que certains de ces pôles de compétences remontent à plusieurs LA ( NON ) POLITIQUE Sur cette base et « après mûre siècles et ont émergé de manière dif- DES CLUSTERS EN SUISSE réflexion, le Conseil fédéral estime qu’il n’est pas nécessaire d’instaurer une férente, souvent par les aléas de l’His- La question s’est posée en Suisse politique des clusters proprement dite toire, comme l’horlogerie et la finance de savoir s’il fallait instaurer une en Suisse. Pour faire naître des clusters en Suisse, et plus particulièrement telle politique. En 2006 également, et les voir se développer, il est primor- à Genève3. feu le conseiller national Jean-Noël dial de bénéficier de bonnes condi- Suite aux recherches de Michael Rey dépose un postulat chargeant tions-cadres économiques, de nature Porter, les politiques de clusters ont le Conseil fédéral « de présenter un à favoriser l’innovation. Or, dévelop- émergé dès le milieu des années rapport sur la création de systèmes per une politique des clusters implique 1990, indique le professeur français de valeur ajoutée dits clusters ». 6 que la Confédération et les cantons Jérôme Vicente dans son ouvrage unissent leurs efforts pour se concen- dédié à la thématique4, et ont consti- trer sur quelques priorités écono- tué le centre du renouveau de la miques et régionales. Cette approche politique industrielle. Au point où, en par le haut (top down) est assimilable 2006, pour donner un nouvel élan à la à une politique industrielle proprement dite, qui introduit donc une discrimina- tion dans les politiques économiques et d’innovation ».8 7 DEMBINKSI Paul, 2008. « Les clusters 5 Confédération suisse, 2010. Les clusters dans l’économie suisse : regard statistique dans la promotion économique. Rapport du et regard politique ». Novembre 2008. 3 CCIG-BCGE-OCSTAT, 2014. Les artisans Conseil fédéral en exécution du postulat Rey. 8 Confédération suisse, 2010. « Les clusters de l’économie genevoise. Mars 2010. dans la promotion économique. Rapport du 4 VICENTE Jérôme, 2016. Economie 6 Postulat Rey 06.3333, Réseaux Conseil fédéral en exécution du postulat des clusters. La Découverte. de développement économique. Rey ». Mars 2010.
16 NOVEMBRE 2020 – LES SCIENCES DE LA VIE : UN SECTEUR ÉCONOMIQUE MÉCONNU Historique du concept de cluster Dès 1890 Alfred Marshall (1842-1924) est le premier à aborder le concept de cluster. 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1946 Création du Stanford Research Park à la Silicon Valley, avec les trois ingrédients de bases d’un cluster : des hautes écoles (les universités de Stanford, Berkeley et Santa Clara), des entreprises technologiques et des financements (en particulier des fonds de capital-risque). La Confédération estime également que des politiques sectorielles bien UN CLUSTER « Beaucoup de régions se sont cassé les dents, en voulant créer des clus- établies au niveau fédéral existent NE SE DÉCRÈTE PAS ters de manière artificielle, basés par et visent à renforcer la place écono- exemple uniquement sur des inci- Si la tentation peut parfois être grande mique suisse, portant ainsi déjà de tations fiscales », explique Giovanni de favoriser certains secteurs, il faut fait sur des aspects qui seraient théo- Ferro Luzzi, professeur à la Haute avoir conscience que les clusters ne riquement couverts par une politique école de gestion (HEG) et à l’Univer- peuvent s’envisager qu’en liaison de cluster, qu’il s’agisse des efforts sité de Genève (Unige), responsable étroite avec les forces d’un territoire réalisés dans les domaines de la de l’Institut de recherche appliquée donné et non par volontarisme poli- formation et de la recherche, de la en économie et gestion (Ireg), insti- tique sorti ex nihilo. Le succès des formation professionnelle, de la pro- tut conjoint de la HES-SO Genève et grappes dans certains secteurs, en motion de l’innovation, de la politique de l’Unige. L’Etat peut encourager, se particulier hi-tech, est la résultante en faveur des PME ou encore des renseigner pour connaître les besoins, de facteurs complexes et interdé- mesures visant à faire connaître notre créer de bonnes conditions-cadres, pendants, dont les modèles ne sont pays à l’étranger. mais pas « clusteriser » l’économie, car pas reproductibles n’importe où. Or cela dépasse ses compétences. Un souvent, les régions parlent de « clus- cluster se met en place par lui-même. ters » là où il n’y a qu’un souhait poli- tique (concrétisé généralement par des aides et financements publics) qui ne se traduit pas dans les statis- MARKETING TERRITORIAL tiques. Ainsi, combien de clusters bio- Quels sont donc les intérêts des clus- techs ont-ils émergé dans le monde, ters ? Le premier est de l’ordre du mar- simplement parce que la technologie keting territorial. « C’est un mot qui est porteuse ? parle à l’imaginaire, car il permet de dire beaucoup de choses à la fois, incluant une volonté politique (impli- quant que les autorités ont mis quelque chose en place, qu’elles sont actives et qu’elles ont le secteur dans leur radar) et une réalité économique (indiquant qu’il se passe quelque chose, qu’il y a une certaine concentration de com-
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