DÉSÉQUILIBRE guide de l'exposition FFrançais - Museum Dr Guislain

La page est créée Louis Coste
 
CONTINUER À LIRE
DÉSÉQUILIBRE
  guide de l’exposition

       FFrançais
CORPS ET ESPRIT
    A                                         aussi vite que possible; bientôt son souci
                                              majeur et toute sa jouissance consiste-
Anonyme, By veele zit de kei in ’t hooft      ront uniquement en promenades à la
om dat men in de wind gelooft, 1720,          campagne. »
gravure. Collection Nauta, Rotterdam
     L’extraction de la pierre est un motif   Appareil à électrochocs,
de la littérature de la fin du Moyen-Âge :    s.d., bois et métal.
un charlatan fait croire à quelqu’un          Musée Dr. Guislain, Gand
qu’il peut le guérir de sa stupidité en            À partir du dix-neuvième siècle
extrayant une pierre de sa tête. Ce fut un    l’électricité était utilisée pour manipuler
symbole de crédulité ou de sottise. L’on      les nerfs. Dans les années 1930 les chocs
croyait aussi que l’extraction de la pierre   électriques semblaient avoir un effet
pouvait guérir également de la folie.         bénéfique sur des dépressions et des
La pratique partait de la supposition         symptômes de schizophrénie. La
selon laquelle un insecte, une araignée,      thérapie à électrochocs était appliquée
une mouche ou un scarabée s’installaient      massivement et est aujourd’hui encore
dans la tête en passant par les narines       appliquée — bien que sous anesthésie.
pour s’y transformer en une pierre qui        Plusieurs fois de nouvelles thérapies
rendait folle la personne. Des charlatans     expérimentales étaient découvertes par
voyageurs auraient tiré profit de cette       hasard. Étant donné que des malades
croyance populaire en extrayant soi-          mentaux agités semblaient plus gérables
disant la pierre lors des foires et des       après de la forte fièvre, on injectait du
marchés.                                      sang de personnes souffrant de malaria
                                              afin de créer artificiellement de la fièvre.
Anonyme, Paysage, 18ième siècle,              Le médecin autrichien Manfred Sakel
huile sur toile. Archives Gand                (1900–1957) a remarqué que des patients
     Joseph Guislain (1797–1860)              schizophrènes se portaient mieux après
voyait une utilité thérapeutique dans         un coma. La thérapie à l’insuline visait
la peinture d’après nature. Elle incitait     à un effet similaire. Une dose d’insuline
le malade à se trouver au grand air et        baissait le taux de sucre et mettait le
avait une incidence sur sa guérison.          patient dans un état comateux. Après il
Guislain réalisa lui-même une collection      était réveillé avec une solution sucrée.
d’art qui comportait, entre autres,
beaucoup de paysages, mais aussi des              B
natures mortes, des portraits et des
représentations religieuses.                  Balnéothérapie, 1ière moitié
     « En peinture le malade préférera        du 20ième siècle, photo.
en priorité le genre des paysages et des      Musée Dr. Guislain, Gand
scènes marines. […] Cette distraction              Des bains et des douches ont un
mène naturellement à une autre. Le            effet salutaire et apaisant. Cette con­
moindre progrès chez le peintre, pro-         viction existant depuis des siècles est
voque son désir de consulter la nature        mise en œuvre au début du vingtième

    CORPS ET ESPRIT
siècle par des psychiatres qui font          Pierre Camper, Dissertation physique,
des expériences avec l’intention, la         1791, Utrecht. Musée Dr. Guislain, Gand
fréquence et la durée des sessions de             Le médecin néerlandais Petrus
balnéothérapie. Des patients agités          Camper (1722–1789) a attiré l’attention
sont traités avec des bains à l’eau tiède    sur l’angle facial, qui déterminait si une
pendant des heures ou parfois pendant        personne était plus proche du singe, d’un
des jours entiers. Cela aurait des effets    peuple primitif ou de l’Européen blanc.
positifs sur l’humeur, le sommeil et         L’angle facial apparaît en reliant, sur le
l’appétit. Des sessions de douches           crâne, le profil de la racine du nez et le
froides et chaudes auraient des effets       canal auditif par des lignes imaginaires
calmants. Des objections éthiques            aux incisives avant de la mâchoire
mettent fin aux hydrothérapies et ini-       supérieure et la partie la plus saillante
tient le chemin vers la redécouverte         du front. Les statues grecques avaient
de la thérapie de travail plus active.       l’angle le plus marqué, les singes le plus
                                             petit. Bien que Camper insiste sur le
    C                                        fait que cela n’avait qu’une signification
                                             physique — pratique pour les dessins —
Santiago Ramón y Cajal,                      de nombreux anthropologues et phréno-
Dessin de cellules nerveuses dans :          logues en ont tiré des conclusions plus
Trabajos del Laboratorio de investi­         poussées.
gaciones biológicas de la Universidad
de Madrid, 1911, Madrid.                     Crâne phrénologique, 19ième siècle,
Musée Dr. Guislain, Gand                     os et encre. Musée Dr. Guislain, Gand
     Selon Santiago Ramón y Cajal                 D’après le médecin viennois Franz
(1852–1934), père de la science neuro­       Joseph Gall (1758–1828), il était possible
logique moderne, les cellules du cerveau     de lire la personnalité intérieure à partir
étaient des agglomérats qui entrent          des bosses sur le crâne. Gall a dressé une
continuellement en contact afin de           carte du cerveau qui localisait ces bosses
passer des informations. Jusqu’alors         pour déterminer des traits de caractère.
on croyait que le système nerveux était      Un trait de caractère très marqué se
une seule structure sans composantes         reconnaissait à une protubérance sur
isolées. Les dessins précis et esthétiques   le crâne, tandis que les caractéristiques
de sa Revista trimestral de histologia       moins développées n’étaient pas per­
normal y patologica (1888) sont devenus      ceptibles. Gall considérait les crânes
célèbres dans le monde entier et avaient     de génies, de criminels et de malades
un grand impact sur le développement         mentaux comme le matériel d’étude
de la science neurologique. Sa théorie       le plus intéressant, car ils avaient les
s’avérait correcte : c’est par des signaux   caractéristiques les plus marquées.
électriques que les cellules du cerveau      La phrénologie est devenue une ten-
communiquent entre elles et qu’elles         dance à la mode dans le monde occi­
parlent dans notre tête.                     dental. Les employeurs faisaient même
                                             appel à des phrénologues pour tester
                                             les candidats.

    CORPS ET ESPRIT
D                                         Denmark, Headlines, 1994,
                                              encre noire sur papier buvard blanc.
Mark De Fraeye, Mongolia, Male &              Musée Dr. Guislain, Gand
Female Shaman, 1998, photo.                        La quantité de livres et de matériel
Collection De Fraeye-Verburg. Fondation       documentaire empilée le long des murs
Roi Baudouin. Musée Dr. Guislain, Gand        de la chambre de Denmark (1950) après
     Le chaman, auquel on attribue des        ses études d’histoire de l’art, ne lui ont
pouvoirs médicinaux, forme le lien entre      pas apporté la sérénité espérée. Au début
deux mondes. En pratiquant certains           des années septante, en réaction au flux
rituels, il est capable d’entrer en contact   d’information ingérable, il a commencé
avec des aïeux ou des esprits. Une mu-        à découper, plier, compresser et encoller
sique répétitive, une danse et des rituels    des livres, des journaux et des maga-
permettent d’atteindre un état de transe      zines, qu’il transformait en sculptures
qui ouvre la porte du monde des esprits.      et en installations. Headlines est une
Bien souvent, personne à part le chaman       déclaration visuelle qui peut être lue
ne comprend quels sont les signes que         sur le bord des installations d’archives.
les esprits envoient vers ce monde.           L’œuvre se compose de 365 impressions
Ceux qui sont accablés par une grande         méticuleuses différentes de son front,
souffrance psychique, utilisent parfois       à l’encre noire sur papier buvard blanc.
cette pratique. Dans certaines cultures,      À l’aide de cachets, 24 activités céré-
le chamanisme coexiste aux côtés              brales ont été frappées dans le bas du
d’autres croyances religieuses.               papier, comme classifying, deciding,
                                              desiring, doubting, fearing, forgetting,
Giambattista della Porta, Della fisio­        knowing, understanding.
nomia di tutto il corpo humano, 1637,
Rome. Musée Dr. Guislain, Gand                Rembert Dodoens, Cruydt-Boeck,
     Cette réédition de l’œuvre standard      1608, Anvers. Musée Dr. Guislain, Gand
de Giambattista della Porta (1535–1615)            Dans son Cruydt-Boeck (Livre des
de 1586 comprend de nombreuses com-           herbes, 1608), le médecin et botaniste
paraisons homme-animal. Il s’appuyait         Rembert Dodoens (1517 ou 1518–1585)
sur les idées d’Aristote qui considérait      a fait un classement de différentes
la tête comme le siège de la conscience       plantes et de leur « potentiel ». Il accordait
et le visage comme le miroir de l’âme.        un grand intérêt aux vertus médicinales
Les théories de Della Porta présentent        du romarin et de la lavande par exemple,
un lien avec les idées contemporaines         deux ingrédients d’une recette de « sirop
sur l’épilation des sourcils. Des sourcils    pour la folie » datant du seizième siècle.
droits sont un signe de bonté, des sour-      Les expériences avec les mélanges
cils ascendants de sens de l’humour           d’herbes se sont poursuivies au siècle
mais aussi d’hypocrisie. Quant aux            suivant, également dans un contexte
yeux largement écarquillés, ils feraient      psychiatrique. Des plantes comme la
référence à l’effronterie.                    valériane et le millepertuis, mais aussi
                                              l’arum des marais, ont été utilisées
                                              durant des siècles dans le traitement
                                              des maladies mentales. Au milieu du
                                              vingtième siècle, son composant

    CORPS ET ESPRIT
réserpine était même distillé pour être       été appliquée à de multiples reprises
intégré dans des médicaments comme            par le neurologue américain Walter
le Serpasil, administré chez les patients     Freeman (1895–1972), n’était pas sans
psychotiques et trop tendus.                  risques. Bien que la lobotomie semblât
                                              pouvoir guérir la dépression ou l’anxiété,
Guillaume Duchenne de Boulogne,               le patient perdait bien souvent ses
Electrothérapie, milieu 19ième siècle,        émotions et la conscience de soi.
réproduction.
     Le neurologue français Guillaume             G
Duchenne (de Boulogne) (1806–1875)
fut un des fondateurs des recherches sur      Francisco José de Goya y Lucientes,
la stimulation électrique des muscles.        Patio avec des fous, 1793–1794,
Il utilisait de l’électricité non seulement   reproduction.
comme thérapie, mais aussi comme un                 Francisco de Goya (1746–1828) fit
moyen pour étudier l’anatomie du corps.       de nombreuses œuvres représentant
Ses photos iconiques montrent comment         des malades mentaux. La peinture Patio
il provoque des expressions de visage         avec des fous fut conçue en 1793–1794
chez des personnes d’essai au moyen de        lors d’une visite à un asile pour aliénés
stimulation électrique. Ainsi il découvrit    à Saragosse. L’œuvre est non seulement
que lors d’un sourire spontané ce ne sont     une critique latente sur le traitement
pas uniquement les muscles autour des         de malades mentaux, mais tout aussi
coins de la bouche qui se mettent en          bien une recherche sur ce que c’est
marche, mais aussi les muscles autour         la folie précisément. Ainsi les visages
des yeux. Ce sourire sincère est aussi        des deux personnages sur le devant
appelé sourire Duchenne.                      de la scène montrent des expressions
                                              typiques de folie. Les regards du reste
    F                                         des personnages sont dirigés vers deux
                                              hommes en train de lutter. Le peintre
Walter Freeman, Lobotomie dans :              les représente dans une pose classique,
Psychosurgery in the Treatment of             qui irradie de la force. Par leur position
Mental Disorders and Intractable Pain,        à l’intérieur d’un environnement
1950, Oxford. Musée Dr. Guislain, Gand        emmuré et obscur il pose la question
     Pendant la première moitié du            de savoir comment un être humain,
vingtième siècle, les psychiatres             qui physiquement fait preuve d’une
pensaient que lorsque les troubles psy-       force et d’une bonne santé, peut
chiques étaient ancrés dans le corps,         néanmoins avoir un esprit faible.
des traitements expérimentaux agissant
directement sur le corps pouvaient
offrir une solution. L’électrothérapie est
connue et toujours utilisée de nos jours,
tandis que la lobotomie n’a plus bonne
réputation. Dans cette intervention,
les liaisons entre les lobes frontaux
du cerveau et le tronc cérébral sont
coupées. Cette technique, qui a surtout

    CORPS ET ESPRIT
H                                          sa carrière, il est parti du principe que
                                               chaque maladie pouvait être ramenée
Hippocrate, Magni Hippocratis                  à un défaut physique. Par la suite, il
medi­corum omnium facile principis,            s’est intéressé à la « vie spirituelle in-
opera omnia quae extant, 1657,                 soupçonnée » et aux idées de Freud sur
Genève. Musée Dr. Guislain, Gand               l’inconscient. Gerbrandus Jelgersma
     Selon Hippocrate (ca. 460–370             complétait ainsi ses connaissances
av. J. Chr.) la cause de la maladie résida     neurologiques et anatomiques avec des
dans un déséquilibre des fluides corpo-        opinions d’autres disciplines agissant
rels. Ceci pouvait être dû à la conduite,      depuis une perspective psychique.
telle qu’une consommation excessive
d’alcool, ou à des facteurs externes,          Viviane Joakim, de la série Secrets
comme le temps. Il était important de          of Souls, 2004-2005, photo.
faire le diagnostic juste sur base de re-      Musée Dr. Guislain, Gand
cherches simples, par exemple par une               Le canapé est l’une des images les
imposition des mains en cas de fièvre.         plus iconiques de la psychothérapie.
Le médecin constate les caractéris-            Depuis la talking cure de Sigmund Freud
tiques : froid ou chaud par opposition         (1856–1939), le canapé est devenu une
à sec ou humide. La combinaison déter-         composante essentielle du cabinet de
minait de quel fluide corporel il s’agissait   psychothérapie. Dans la thérapie de la
et où l’on pouvait faire agir la cure. Il      parole, l’association libre permet d’arri-
n’y avait aucune question d’une division       ver jusqu’à des motifs inconscients.
entre le corps et l’esprit. Par ses opinions   Tout analysant comprend rapidement
biologiques concernant le caractère            que la condition à l’association libre
du malade mental, Hippocrate est le            — la levée de tous les freins dans le
premier à rompre avec des déclarations         discours — n’est pas simple. La psy­
faisant partie de la sphère des mauvais        chanalyse a été le principal précurseur
esprits et des puissances supérieures.         de nombreuses formes de thérapie
                                               par la parole qui, au vingtième siècle,
    J                                          allaient de plus en plus s’orienter sur
                                               l’esprit, le comportement et la parole.
Gerbrandus Jelgersma, Atlas anato­             En 2004 et 2005, Viviane Joakim
micum cerebri humani. 168 doorsneden           a photographié des cabinets de
van menschelijke hersenen, 108 licht­          psychiatres, de psychologues et de
drukplaten naar photographische                psychanalystes pour les regrouper
opnamen van praeparaten, 1931,                 dans la série Secrets of Souls.
Amsterdam. Musée Dr. Guislain, Gand
      Gerbrandus Jelgersma (1859–1942)             K
est connu pour ses recherches neuro­
anatomiques et le célèbre atlas du cer-        Fritz Kahn, Infographie du corps
veau auquel il a travaillé durant 25 ans.      humain dans : Het leven van de
L’anatomie cérébrale jouait un rôle            mens, 1939, Amsterdam.
majeur dans sa réflexion sur les affec-        Musée Dr. Guislain, Gand
tions telles que la neurasthénie, l’hysté-         Le médecin juif né en Allemagne
rie, la chorée et l’épilepsie. Au début de     Fritz Kahn (1888–1968) était un pionnier

    CORPS ET ESPRIT
de l’infographie. Cette méthode recourt          L
à des dessins pour transmettre des
in­formations. Dans un certain sens,         Livre des statistiques Sint-Jozefhuis,
Fritz Kahn est le précurseur de la           1851, papier. Maison du patrimoine Sœurs
célèbre série française d’animation Il       de la Charité JM, Gand
était une fois ... la Vie, qui expliquait          Joseph Guislain (1797–1860) croyait
aux enfants le fonctionnement du             en une combinaison de moyens théra-
corps humain. Les livres Das Leben           peutiques, tels des bains ou le grand air,
des Menschen étaient particulièrement        mais aussi l’isolement et la médication.
populaires et ont été traduits à de          Une subdivision entre des méthodes
multiples reprises. Fritz Kahn parvenait     corporelles et spirituelles était, selon
à visualiser des aspects complexes du        lui, inutile, car « si l’opium fait chanter
fonctionnement du corps humain par           le patient est-ce alors un médicament
des dessins compréhensibles. Comme           psychique ? Et si l’opium fait dormir le
les livres de beaucoup d’érudits et          malade est-ce alors un médicament
d’écrivains juifs, les nazis ont brûlé ses   physique ? » Dans un livre de statistiques
livres durant la Nuit de Cristal. Après      de 1851 il est décrit comment un kilo
la guerre, son œuvre a été plusieurs         et demi d’opium servait de traitement
fois réimprimée, sauf en Allemagne.          pour treize patients. Quarante grammes
                                             de digitale pourpre étaient administrés
Mathew Kneebone, de la série                 comme calmant à une patiente ma-
Mechanical Systems Drawing, 2016,            niaque. Le crâne rasé était enduit
électrographique IBM et crayon graphite      plusieurs fois avec de la baume à base
sur papier. Musée Dr. Guislain, Gand         de saindoux. Étaient fréquents aussi
     Au dix-neuvième siècle, les spiri­      les traitements avec du vin au quinquina
tualistes croyaient au lien entre les        rouge, du mercure, de la valérienne,
champs magnétiques et « l’énergie vitale »   du iodure et du sulfate de cuivre ou de
humaine. D’après eux, le corps humain        quinine.
avait un rayonnement magnétique
invisible, également appelé aura, qui        Albert Londe, Note sur l’application
influençait l’état émotionnel et spirituel   de la méthode de M. Roentgen,
d’une personne. Les Techbanes d’au-          dans: Nouvelle Iconographie de
jourd’hui pensent qu’une force éner­         la Salpêtrière, tome 9, 1896, Paris.
gétique trop active dans leur corps          Musée Dr. Guislain, Gand
perturbe le champ magnétique. Une                 Jusqu’à la fin du dix-neuvième
promenade à l’extérieur peut faire           siècle, seule l’autopsie permettait
vaciller une lumière publique ou régler      d’examiner l’intérieur du corps humain.
un autoradio sur une autre fréquence.        Lorsque Wilhelm Röntgen (1845–1923)
Les œuvres de Mathew Kneebone (1982)         découvrit les rayons X en 1895, les
étudient la façon dont nous nous com-        psychiatres et les neurologues se sont
portons par rapport aux innovations          immédiatement montrés intéressés :
technologiques.                              « Dès que la fabuleuse découverte de
                                             M. Roentgen fut publiée, nous avons
                                             voulu reproduire les expériences de
                                             ce scientifique étranger qui, au vu des

    CORPS ET ESPRIT
implications en physique pure, doit           sur un polytome pour la recherche
témoigner d’applications en médecine          neuroanatomique. Cet appareil, fait de
et en chirurgie. […] Nous poursuivons         fer rouillé et d’éléments destinés à la
ces expériences et espérons en apporter       construction, découpait de fines coupes
la preuve aux lecteurs de la Nouvelle         du cerveau qui étaient ensuite étudiées
Iconographie de la Salpêtrière à propos       au microscope. André Dewulf a fait des
de différents sujets relatifs à diverses      recherches innovantes sur la structure
lésions osseuses, ou des fractures pour       de l’hypothalamus. Grâce aux connais-
lesquelles nous cherchons des corps           sances de la physique contemporaine,
étrangers là où il était auparavant im­       nous avançons aujourd’hui dans l’étude
possible de déterminer la localisation. »     du cerveau. Les neuroscientifiques
                                              peuvent approfondir leurs recherches
Albert Londe, Suggestions par les sens        et utiliser diverses techniques pour
dans la période cataleptique du grand         mener des études plus spécifiques et
hypnose, in: Nouvelle iconographie            plus ciblées.
de la Salpêtrière, tome 4, 1891, Paris.
Musée Dr. Guislain, Gand                      James Tilly Matthews, The Air Loom
     « Après l’avoir hypnotisée, nous         dans : John Haslam, Illustrations of
avons placé un verre rouge devant ses         Madness: Exhibiting a Singular Case
yeux. Une grande angoisse est immé­           of Insanity, and a No Less Remarkable
diatement apparue sur son visage. Elle        Difference of Medical Opinion: Develo­
lève les bras, et ses yeux, qui regardent     ping the Nature of Assailment, and the
au loin, semblent observer un spectacle       Manner of Working Events; with a Des­
atroce (Pl. VI, fig. 1). Verre bleu. — Elle   cription of the Tortures Experienced by
lève les yeux au ciel, joint les mains        Bomb-Bursting, Lobster-Cracking and
en l’air dans une attitude de prière et       Lengthening the Brain. Embellished
finit par s’agenouiller. (Pl. VI, fig. 2).    with a Curious Plate, 1810, Londres.
Verre jaune. — Elle fronce les sourcils,      Bethlem Museum of the Mind, Kent
cligne des paupières et place ses mains            James Tilly Matthews (1770–1815)
en écran devant ses yeux, comme si            croyait qu’un appareil appelé « The
elle voulait se protéger d’une lumière        Air Loom » perturbait et contrôlait son
trop forte. »                                 corps et son esprit. Ce faiseur de thé
                                              londonien fut admis à l’hôpital psychi-
    M                                         atrique de Bethlem en 1797. Il fit des
                                              dessins et des descriptions méticuleuses
Machine à découper le cerveau                 de l’appareil. Selon lui, The Air Loom
du professeur André Dewulf, 20ième            était contrôlé par « the Glove Woman »,
siècle. Musée Dr. Guislain, Gand              « Sir Archy », « Jack the Schoolmaster »
     Au milieu des développements             et « The Middleman » : une bande qui
technologiques dans le domaine de             non seulement le torturait à distance,
l’imagerie médicale, comme la radiologie      mais dessinait aussi sans cesse ce qu’il
et le scanner cérébral, le professeur         faisait. Ou comment le psychotique
André Dewulf (1903–2000) travaillait,         invente des alternatives pour nommer
dans un grenier du Centre universitaire       et comprendre ses illusions et ainsi
psychiatrique Sint-Kamillus de Bierbeek,      structurer son monde.

    CORPS ET ESPRIT
Hieronymo Mengo, Flagellum                       O
Daemonum Exorcismos Terribiles,
1587, Venise. Musée Dr. Guislain, Gand       Objets avalés découverts sur
      Rédigé par le franciscain italien      des radiographies, s.d. Musée
Jérôme Mengo en 1587, Flagellum              Dr. Guislain, Gand
daemonum, exorcismos terribiles,                  Ces objets étaient localisés au
potentissimos, et efficaces (…) explique     moyen de radiographies. Elles montrent
à l’aide de sept exorcismes comment          comment les patients avalaient des
reconnaître un possédé, quelles âmes         aiguilles, des capsules, des trombones
sont les plus vulnérables face au diable     et des punaises comme une forme
et quels moyens l’exorciste peut utiliser    d’automutilation ou comme consé-
dans son combat.                             quence d’une compulsion. Dans ce cas
                                             la radiologie offrait une solution très
Friedrich Anton Mesmer,                      concrète. Dans un contexte plus large
Mesmerismus, oder, System der                ce fut une révolution en médecine.
Wechselwirkungen: Theorie und                Avant la découverte des rayons X en
Anwendung des thierischen Magne­             1895 l’on ne pouvait étudier l’intérieur
tismus als die allgemeine Heil­kunde         du corps humain qu’au moyen d’une
zur Erhaltung des Menschen,                  autopsie. La radiologie a permis de
1814, Berlin. Musée Dr. Guislain, Gand       mieux étudier le fonctionnement et
     La méthode de Franz Anton Mesmer        les défaillances du cerveau. Des CT-scan
(1734–1815) s’éloigna de l’approche par      et des appareils à IRM permettant de
les sciences de la nature et il fut donc     visualiser le système nerveux en trois
impossible de la prouver. Il n’ouvrirait     dimensions sont apparus. Dans la lignée
jamais un corps, ne s’occuperait pas         de scientifiques comme Franz Joseph
d’anatomie ou ne prescrirait jamais          Gall (1758–1828), les localisations de
des traitements à l’aide de purges ou        fonctions cérébrales ont fait l’objet
de saignées. En s’appuyant sur ses           d’études plus poussées. Des zones
connaissances d’astrologie Mesmer            spécifiques ont été liées à des sensations
voyait un lien entre le corps et l’univers   de douleur ou à la prise de décisions
par le biais du champ magnétique.            morales.
À travers l’utilisation des aimants et
du métal il pourrait aider les malades           P
à rétablir ce lien. Trouver des explica-
tions était impossible. Sa théorie fut       Psychologie expérimentale, s.d.,
un rétablissement de la magie dans           photo. Musée Dr. Guislain, Gand
un monde rationalisé.                             Par le biais d’expériences les psy-
                                             chologues expérimentaux étudient les
                                             fonctions de base du cerveau, telles que
                                             la sensation et la perception, la mémoire,
                                             la cognition, la motivation, l’émotion…
                                             Les bases de cette branche de la psycho-
                                             logie étaient jetées au dix-neuvième
                                             siècle, avec des fondateurs comme
                                             Wilhelm Wundt et Gustav Fechner.

    CORPS ET ESPRIT
Jusqu’alors la psychologie était une         de la saignée est toujours utilisée
discipline théorique, qui posait toutes      aujourd’hui. On emploie par exemple
sortes de vues sur le fonctionnement         des sangsues pour certains traitements
de l’esprit et de la conduite humains,       médicaux.
sans vérification systématique dans
la pratique.                                 Stade tertiaire de la syphilis, années
                                             1930, cire. Musée Dr. Guislain, Gand
Psychotropes, 2ième moitié du 20ième              La dementia paralytica est une
siècle. Musée Dr. Guislain, Gand             forme de neurosyphilis, le stade tertiaire
     Ce n’est que dans les années 1950       de la syphilis non traitée, décrite pour
que les premiers psychotropes furent         la première fois au dix-neuvième siècle.
développés. Dans les hôpitaux psychia-       On la retrouvait souvent dans la psychia-
triques on voyait apparaître de la           trie de l’époque, mais ce diagnostic n’est
médication telle que le Lithium pour         plus que rarement posé aujourd’hui.
équilibrer des patients maniaques,           Les symptômes étaient la mégalomanie,
l’antidépresseur Imipramine ou l’an-         la démence, les états dépressifs et la
ti-psychotique Haloperidol (Haldol).         détérioration mentale. Avant le déve­
L’impact était grand : la psychiatrie        loppement de la pénicilline, on traitait
vécut une période de « silence chimique ».   la dementia paralytica par la paludo­
Comment ces médicaments fonction-            thérapie. Les symptômes sont repré­
naient exactement n’était pas clair, mais    sentés sur cette tête en cire de l’institut
la paix s’installa dans les hôpitaux et      Sint-Norbertus de Duffel. Jusqu’au
pour les patients une vie en dehors de       milieu du vingtième siècle, on utilisait
l’institution fut de nouveau possible.       des statues de cire comme matériel di-
Bien que des critiques dénoncent             dactique pour les formations médicales.
la seule lutte contre les symptômes,
les effets secondaires et les dangers            T
d’ad­diction ou de tolérance, pendant
les années 1960 les psychotropes             Thérapie de la peur, gravure dans :
gagnèrent de plus en plus de terrain.        Joseph Guislain, Traité sur l’aliénation
                                             mentale et sur les hospices des aliénés,
    S                                        1876, Amsterdam. Musée Dr. Guislain, Gand
                                                  Selon Joseph Guislain (1797–1860),
Scarificateurs, s.d., métal.                 le fait de susciter une angoisse soudaine
Musée Dr. Guislain, Gand                     avait un effet thérapeutique favorable.
     Au Moyen Âge, on pratiquait des         Les thérapies de la peur impliquaient
saignées pour éliminer un trop-plein de      souvent de l’eau : des douches froides,
sang ou « purifier » le « mauvais sang »     un « bain d’arrosage » ou un « bain sur-
des malades mentaux. En appliquant           prise ». « L’appareil consiste en un petit
des tasses en verre chauffées sur la peau,   temple chinois », écrit Joseph Guislain,
on acheminait plus de sang vers une          « dont l’intérieur contient une cage en
zone déterminée du corps. À l’aide d’une     fer mobile qui s’enfonce dans l’eau par
petite lame, les scarificateurs faisaient    son propre poids. On guidait la personne
des incisions dans la peau, par lesquelles   aliénée dans cette petite maison : un
le sang pouvait s’écouler. La technique      aidant fermait la porte de l’extérieur,

    CORPS ET ESPRIT
tandis qu’un autre commandait un levier          V
permettant d’immerger le malade dans
l’eau. Une fois le traitement voulu          Arthur Van Gehuchten, Les maladies
effectué, on remontait la cage. »            nerveuses, 1920, Louvain. Musée
                                             Dr. Guislain, Gand
Simon Thomassin, Le Cholerique,                   Arthur Van Gehuchten (1861–1914),
Le Sanguin, Le Flegmatique, Le               le premier professeur belge de neuro­
Melancolique, 1695, gravure.                 logie, visualisait ses recherches avec des
Musée Dr. Guislain, Gand                     dessins, des photos et des films. Il était
     Aujourd’hui nous faisons une            une autorité mondialement reconnue
distinction entre comment notre corps        dans son domaine. Son travail a inspiré
est ressenti et de quelle manière il est     les scientifiques les plus renommés de
géré par notre esprit, mais à l’origine il   l’époque. Parmi eux, Ramón y Cajal
n’était pas question d’une dualité entre     (1852–1934), avec lequel Arthur Van
le corps et l’esprit. Le cosmos était        Gehuchten a entretenu toute sa vie une
composé de quatre éléments (terre, air,      correspondance et partageait l’intérêt
eau et feu), l’année de quatre saisons,      d’illustrer les résultats des recherches.
de la sorte le corps devait lui-aussi com-   Arthur Van Gehuchten utilisait des
porter quatre éléments. Ces éléments,        images de patients atteints de Parkinson,
les fluides corporels, étaient combinés      de chorée, de dystonie et d’hystérie
avec quatre caractéristiques : humide,       dans ses cours, lors de congrès et dans
sec, chaud et froid. À leur tour ces         les revues professionnelles.
caractéristiques appartenaient à
quatre caractères ou tempéraments.               W
Trépanation du crâne, 16ième–17ième          Johannes Wier, De praestigiis
siècle, os. Musée Dr. Guislain, Gand         daemonum, & incantationibus ac
     Déjà depuis l’ère néolithique la tré-   ueneficiis libris sex, postrema editione
panation du crâne était utilisée comme       sexta aucti et recogniti, 1583, Basel.
traitement de la folie. Étant donné que      Musée Dr. Guislain, Gand
la cause de la maladie mentale était un           À l’apogée des procès des sorcières
mauvais esprit, on essayait de le laisser    le médecin Johannes Wier (1515–1588)
s’évader par un trou dans le crâne. Cer-     écrivit un livre dans lequel il va à
tains crânes trépanés ont du cartilage       l’encontre de la condamnation et de
récent autour de la blessure. Ceci prouve    l’exécution des femmes qualifiées de
que la personne en question a encore         sorcières. La cause de leur comporte-
vécu longtemps après l’intervention,         ment était, selon Wier, à trouver dans
bien que les possibilités d’anesthésie       la maladie, la vieillesse ou les halluci­
et de désinfection soient quasiment          nations : « Des sorcières sont de vieilles
inexistantes. À partir du 16ième siècle      personnes féminines, ayant souvent
les trépanations étaient exécutées à         une condition physique imparfaite et
l’aide d’un ensemble de trépanation.         un âge avancé. Elles ne possèdent plus
Ce n’était plus pour laisser s’évader des    tous leurs sens, ce sont de tristes figures
esprits mais bien pour évacuer le sang       actives. Dans leur fantaisie et imagina-
qui exerçait une pression sur le cerveau.    tion le diable comme esprit très subtil

    CORPS ET ESPRIT
s’installe et se cache, quand elles sont
accablées de mélancolie ou quand elles
sont découragées. Les sorcières ont
perdu la raison par leur âge avancé, par
désespoir et misère, par leur défaut
qu’est la fantaisie et par les pommades
qui les rendent furieuses. »

    CORPS ET ESPRIT
CLASSIFICATION
    B                                           C
Christian Boltanski, Gymnasium              Claude Cahun, Self Portait et Suzanne
Chases, 1991, gravure photo.                Malherbe/Marcel Moore, 1928,
Collection privée                           reproduction. Jersey Heritage Collections
     Christian Boltanski (1944) est un           La femme écrivain, activiste et
enfant de parents judéo-français et il      photographe française Claude Cahun
naquit le jour où Paris fut libéré. Dans    (née Lucy Schwob, 1894–1954) était
son œuvre le souvenir de la guerre          pionnière dans la représentation des
occupe une place centrale. Les installa-    questions autour de ce que l’on appelle-
tions de Boltanski, qui nous font souvent   rait plus tard le « genre » : « Féminin,
penser à des autels, visualisent ce pas-    masculin, je suis capable des deux… mais
sage obscur de l’histoire d’une manière     neutre, là je me sens à l’aise. » Dans ses
presque sacrée. Une photo de classe         autoportraits expérimentaux et mis en
de 1931 d’une école secondaire juive à      scène elle se métamorphose et se met
Vienne revient régulièrement. Boltanski     dans la peau de personnages aussi bien
agrandissait la photo et faisait des        masculins que féminins. La tête râpée,
découpes afin d’obtenir un portrait de      déguisée en boxeur sûr de lui ou mas-
chaque étudiant à part. Ainsi tous les      quée sur une plage. Avant tout elle in­
élèves apparaissent ensemble et toute-      carnait la liberté, le droit à la neutralité
fois individuellement : « L’extermination   en matière de genre ou le droit à avoir
des Juifs européens ne se dirigeait         des pensées mélancoliques. Autour
pas à une masse inconnue, mais à des        des années 1920 Claude Cahun et son
individus. »                                partenaire de vie Marcel Moore (née
                                            Suzanne Malherbe, 1892–1972) optèrent
Sergey Bratkov, Motiv #1, #2, #5,           pour un nom sans genre.
de la série Kids III, 2004, photo.
Galerie Transit, Malines                        D
     La série critique de la société,
Kids III, du photographe ukrainien          Ebergiste De Deyne, Particularités
Sergey Bratkov (1960) montre des            diverses des oreilles, vers 1930, photo
préadolescents comme antihéros              et papier. Musée Dr. Guislain, Gand
d’une communauté rude. L’idéal de               Le criminologue et agent de police
l’enfance innocente ne semble plus          français Alphonse Bertillon (1853–1914)
accessible. Le rôle que l’on attend         a développé un système de classification
qu’ils remplissent n’est pas clair.         anthropométrique pour identifier des
Les enfants sont-ils vraiment des           suspects. Des mesures corporelles
individus fragiles tels qu’on les           minutieuses et d’autres caractéristiques
perçoit souvent ?                           physiques — comme la couleur des yeux,
                                            des cheveux et de la peau, et la forme
                                            du nez et des oreilles — ont été rassem-
                                            blées dans des fiches. La méthode était

    C L A S S I F I C AT I O N
particulièrement influente et a égale-        Dieter De Lathauwer, de la série I Loved
ment inspiré Ebergiste De Deyne               My Wife — Killing Children Is Good for
(1887–1943), un Gantois qui était péda-       the Economy, 2013-2017, installation.
gogue, photographe et responsable de          Collection de l’artiste, Gand
l’institut Sint-Jozef, dans ses recherches         Le génocide mené par les nazis
sur les types d’enfants peu doués. Par        contre des adversaires, des dissidents
analogie aux catégories de Bertillon,         et des « impurs » — Juifs, homosexuels,
il regroupait les enfants sur base de         gitans — est une page noire connue de
leurs caractéristiques physiques, comme       l’histoire. Beaucoup moins connu est
la forme de leurs oreilles, de leur nez       le meurtre des personnes ayant une
ou de leurs lèvres.                           problématique psychiatrique ou un
                                              handicap physique dans la période
Ébergiste De Deyne, Quelques                  avant l’Holocauste. En septembre 1939
caractéristiques frontales, photo,            la dite Aktion T4 mena à l’extermination
vers 1930. Musée Dr. Guislain, Gand           systématique de 73.000 patients d’insti-
     Ce portrait de groupe montre les         tutions psychiatriques dans des centres
traits du visage des élèves de l’Institut     de de­struction T4. Les membres de
gantois Sint-Jozef pour des « enfants         la famille recevaient des « lettres de
anormaux », en termes modernes des            consolation » avec une cause de décès
enfants en situation de handicap phy-         inventée, basée sur des dossiers médi-
sique ou de légère incapacité mentale.        caux. Exceptée de l’Action T4 une bonne
Avant sa fondation en 1901 l’ « espace        200.000 victimes mouraient dans les
récré » — l’unité pour enfants de l’Hospice   hôpitaux par négligence, famine ou
Guislain — fut le seul endroit en Belgique    empoisonnement. Les photos sobres
destiné aux enfants arriérés. Depuis le       de Dieter De Lathauwer (1978) captant
tournant du siècle surgirent toujours         les terrains d’hôpitaux psychiatriques
plus d’instituts spécialisés destinés aux     autrichiens donnent leur témoignage
enfants. Ébergiste De Deyne (1887–1943),      silencieux. Les traces d’une histoire
directeur de Sint-Jozef, légua une riche      inhumaine sont fixées dans un mur
collection photo avec des portraits,          blanc, une pièce d’une façade ou des
des images médicales et des photos            endroits à couvert dense.
didactiques. Le matériel nous permet
de comprendre le regard de l’époque           Ovide Decroly, Observation et classifi­
sur l’enfant. De Deyne fit des recherches     cation d’enfants, début 20ième siècle,
sur les caractéristiques physiques et         extrait de film. Musée Dr. Guislain, Gand
mentales des garçons et les catégorisa             Le neuropsychiatre, pédagogue et
selon des caractéristiques similaires.        psychologue pour enfants belge Ovide
En même temps il croyait fort en leurs        Decroly (1871–1932) étudia le dévelop­
capacités. Par la stimulation des sens        pement mental des enfants « normaux »
les facultés latentes pouvaient continuer     et « inadaptés ». Selon Decroly chaque
à se développer. Il n’est jamais question     enfant peut, par l’observation d’autres
d’accentuer la limitation, mais bel et        enfants et du monde qui l’entoure,
bien le potentiel et le processus d’ap-       découvrir, apprendre et évoluer selon
prentissage.                                  son propre rythme. Toutes les activités,
                                              allant du coloriage au jardinage, peuvent

    C L A S S I F I C AT I O N
motiver. Il conçut une série de tests             G
de la langue, de l’intellect, des sens et
des intérêts spontanés. Des tournages         Amand Gautier, Folles de la Salpétrière.
permettaient d’observer les enfants de        Cour des agitées, 1857, lithographie.
façon encore plus méticuleuse. Dans           Collection Nauta, Rotterdam
son test de l’imitation chez des enfants            À la demande du médecin français,
il les divisait en trois groupes selon leur   Paul Gachet (1828–1909), l’artiste peintre
niveau de développement. Les enfants          et lithographe, Amand Gautier (1825–
« supérieurs » recevaient l’ordre d’éter-     1894), réalisa une série d’esquisses de
nuer. Decroly filme la réaction des autres    patientes de l’Hôpital parisien de la
enfants. Est-ce qu’ils imitent ou est-ce      Salpêtrière. Dans ce portrait de groupe,
qu’ils restent indifférents ?                 l’accent est mis sur l’expression et les
                                              gestes de huit femmes souffrant de
    E                                         mégalomanie, de manies aigües, de
                                              mélancolie, de démence, de folie,
Hans Eijkelboom, de la série                  d’hallucinations, de manies érotiques et
Fotonotities, s.d., photo.                    de paralysie. L’image montre comment
Collection de l’artiste, Amsterdam.           au milieu du dix-neuvième siècle les
     Inspiré par Antlitz der Zeit (Visage     signes extérieurs formaient la base
d’une époque, 1929) d’August Sanders,         de l’analyse médicale.
l’artiste photographe néerlandais Hans
Eijkelboom a commencé ses Fotonotities        Gruppe von schizophrenen
en 1992. Les portraits de rue montrent        Endzuständen, dans : Oswald Bumke,
des passants avec à chaque fois un point      Lehrbuch der Geisteskrankheiten,
commun : un cache-poussière terne, des        1929, Munich. Musée Dr. Guislain, Gand
vêtements à l’imprimé panthère ou à tête           La légende de ce portrait de
de mort, un bomber, un ciré... Dans un        groupe — Abb. 145. Gruppe von schizo­
lieu très fréquenté, l’appareil photo à la    frenen Endzuständen — dans le Lehrbuch
poitrine et le déclencheur automatique        du psychiatre allemand Oswald Bumke
dans la poche, Hans Eijkelboom cherche        (1877–1950) montre de l’objectivation :
dans la foule des petites ou grandes simi-    pas de femmes mais des « états schizo-
litudes entre les individus. Il regroupe      phrènes », et pas de patient mais un
ensuite ses photos en grilles, dotées         syndrome. Onze femmes sont assises et
d’une date, d’un lieu et d’une indication     centrées, sur une ligne droite. La lumière
de l’heure. Ensemble, elles forment           naturelle qui baigne la pièce jette des
des catégories banales et absurdes qui        ombres sur les visages et les vêtements
remettent en question l’unicité de l’in­      sobres. La composition harmonieuse
dividu. Du coup, l’échec de la catégori­      laisse supposer une mise en scène et
sation y est implicite.                       témoigne d’une grande qualité photo­
                                              graphique et esthétique. Dix femmes
                                              détournent le regard vers le sol ou vers
                                              leurs mains, ou ferment les yeux. Une
                                              femme refuse de détourner les yeux et
                                              regarde droit vers l’objectif. Le regard
                                              est central et il est plutôt inconfortable

    C L A S S I F I C AT I O N
que scientifique ou classifiant, tant      « maniaque, agressif et confus ». Avec
pour les femmes du portrait que pour       les photos de Hugh Diamond, la série de
le spectateur aujourd’hui.                 Hering sont les premières impressions
                                           photographiques de la folie dans
Guerrilla Girls, The hysterical Herstory   l’Angleterre victorienne.
of Hysteria and How it Was Cured,
from Ancient Times until Now, 2012,        Magnus Hirschfeld, Geschlechtskunde
reproduction. Guerrilla Girls              auf Grund dreißigjähriger Forschung
     Pourquoi les artistes féminines       und Erfahrung bearbeitet, 1930,
sont-elles sous-représentées dans les      Stuttgart. Musée Dr. Guislain, Gand
musées ? Vaut-il mieux que les femmes           Le médecin et sexologue allemand
se tiennent éloignées du monde de la       Magnus Hirschfeld (1868–1935) était un
culture et de l’art, comme différents      pionnier du mouvement pour émanci­
psychiatres du dix-neuvième siècle le      pation des LHBTI. Il luttait pour les
prétendaient ? Depuis 1985, le collectif   droits des femmes lesbiennes (L), des
Guerrilla Girls dénonce la discrimina-     hommes homosexuels (H), des bisexuels
tion dans le monde de l’art avec des       (B), des personnes transgenres (T) et
affiches, des actions, des livres, des     des personnes intersexuées (I). Avec
cartes postales et des revues. Le livre    nombre de publications, conférences
The Hysterical Herstory of Hysteria        et actions il essayait de changer à l’aide
montre comment, à travers l’histoire, le   de son Institut de sexologie berlinois
corps féminin est traité, mais également   l’opinion publique négative sur une
maltraité. On s’amuse de Dr. Feelgood,     « autre » sexualité ou expression du genre.
une version caricaturale des médecins      Il collaborait aussi au film Anders als
qui vers 1900 tentaient de refouler        die Andern (1919), une accusation contre
les symptômes de l’hystérie avec des       l’article 175 du droit pénal allemand qui
massages du plancher pelvien.              interdisait des relations homosexuelles.
                                           Hirschfeld voyait l’homosexualité
    H                                      comme une préférence innée et ren­
                                           forçait ainsi et sans le vouloir l’inter­
Henry Hering, Portraits de patients        férence médicale qui mènerait à des
diagnostiqué avec manie, mélancolie et     traitements d’hormones forcés.
démence aigu, années 1850, facsimile.
Bethlem Museum of the Mind, Kent           Frans Hogenberg, De terechtstelling
    Au milieu du dix-neuvième siècle,      van vier minderbroeders en een
le photographe britannique, Henry          augustijnen op de brandstapel en
Hering (1814–1893), photographia des       de geseling van drie anderen, allen
patients de l’hôpital Bethlem de Londres   schuldig bevonden aan sodomie,
dans son studio photos à proximité         op de Vrijdagmarkt op 28 juni 1578,
immédiate de l’établissement. Les          1581–1585, gravure. Archives Gand
photos servaient d’illustration d’une           À travers l’histoire, l’homosexualité
publication du psychiatre John Conolly.    a été nommée consécutivement comme
Le comportement de la couturière           étant un péché, dangereuse et déséquili-
Harriet Jordan (H.J. Acute Mania),         brée. Dans l’Europe de la fin du Moyen
âgée de 24 ans, est décrit comme étant     Âge et au début des temps modernes,

    C L A S S I F I C AT I O N
l’homosexualité reçut le nom de sodo-        même temps surgissait lentement
mie : une dénomination commune pour          le désir de liberté et de libération de
les agissements sexuels « contre nature »    la morale sexuelle.
tels que la masturbation et la bestialité.
La gravure montre l’exécution publique       Illustrations botaniques de The Bota­
pendant le procès gantois de la sodomie      nical Magazine, Plants represented
en 1578. À la fin du dix-neuvième siècle,    in their natural Colours. To which are
le psychiatre allemand, Richard von          added, Their Names, Class, Order,
Krafft-Ebing (1840–192), reprit l’homo-      Generic and Specific Characters,
sexualité dans son Psychopathia Sexualis     according to the celebrated Linnaeus,
(1886), un catalogue de perversions et de    fin du 18ième siècle, Londres. Société
troubles sexuels. Ce n’est qu’en 1974 que    royale d’agriculture et de botanique, Gand
l’homosexualité fut supprimée du DSM              Dans The Botanical Magazine, des
(Diagnostic and Statistical Manual of        espèces de plantes sont représentées et
Mental Disorders), non pas pour des rai-     décrites en détail suivant le système de
sons scientifiques, mais sous la pression    classification du médecin, botaniste et
du mouvement homosexuel marginalisé          zoologue suédois, Carolus Linnaeus
qui exigeait d’avoir une place dans la       (1707–1778). Sa classification claire de la
société.                                     faune et de la flore a inspiré les premiers
                                             psychiatres. Tous comme les plantes et
    I                                        les animaux ont été classés dans toutes
                                             sortes de catégories, ils souhaitaient ré-
Iconographie photographique de la            pertorier les syndromes. Le psychiatre
Salpêtrière, tome 2, 1877–1878, Paris.       allemand, Emil Kraepelin (1856–1926),
Musée Dr. Guislain, Gand                     réunit les symptômes communs de
     Les photos de l’Iconographie photo-     centaines de maladies mentales dans un
graphique de la Salpêtrière montrent         inventaire psychiatrique systématique.
des patientes de l’Hôpital parisien de       Son manuel est un précurseur de l’actuel
la Salpêtrière, où Jean-Martin Charcot       DSM (Diagnostic and Statistical Manual
(1825–1893) fit des recherches sur l’hys-    of Mental Disorders).
térie à partir des années 1870. La femme
hystérique était toujours représentée de         K
façon stéréotypée avec des mouvements
du corps incontrôlés et des membres du       Katatonikergruppe, dans : Emil
corps convulsés ou paralysés. Les symp-      Kraepelin, Psychiatrie. Ein Lehrbuch für
tômes étaient des douleurs inexplicables,    Studierende und Ärzte, 1899, Leipzig.
crises d’angoisse, insomnie, dysfonctions    Musée Dr. Guislain, Gand
sexuelles, comportement passionnel               Le psychiatre allemand Emil
ou brutal et opiniâtreté. L’hystérie deve-   Kraepelin (1856–1926) a écrit que l’on
nait le diagnostic en vogue à la fin du      pouvait sans problème faire prendre
dix-neuvième siècle et montrait aussi        la pose souhaitée aux malades de ce
bien les angoisses que les ambitions         Katatonikergruppe. Certains rient,
de ce temps. On attendait des femmes         d’autres sont sérieux, mais ils conservent
qu’elles soient passives, flexibles et       leur attitude propre lorsqu’ils sont re-
extraordinairement désirables, mais en       groupés. Quelqu’un tient sa chaussure

    C L A S S I F I C AT I O N
Vous pouvez aussi lire