Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains

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Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
pro natura magazine

                                             2/ 2022 MARS

La biodiversité est essentielle pour
la santé et le bien-être des êtres humains
Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
2                       sommaire

                                                                                  16
                        Christian Flierl

                                                                                                                                                                                                   Raphael Weber

                                     21
                                                                                                                                                                               24
                                                                                                                     Yves Maurer

pro natura magazine                                                                                                                                                           est reconnue par le Zewo
Revue de Pro Natura – Ligue suisse pour la protection de la nature
Impressum : Pro Natura Magazine 2 / 2022. Cette revue paraît cinq fois par an (plus le Pro Natura Magazine Spécial) et est envoyée à tous les membres de Pro Natura. ISSN 1422-6235
Rédaction : Florence Kupferschmid-Enderlin (fk), rédactrice édition française ; Raphael Weber (raw), rédacteur en chef ; Bettina Epper (epp), rédactrice en cheffe adjointe ; Nicolas Gattlen (nig),
rédacteur édition allemande.
Mise en pages : Vera Howard, Raphael Weber, Florence Kupferschmid-Enderlin. Couverture : IMAGO / Westend61.
Ont collaboré à ce numéro : Urs Leugger, Sabine Mari, Daniela Pauli, Andrea Persico (apo), Muriel Raemy, Marianne Rutishauser, Tiffanie Steiner, Urs Tester (ut), Sara Wehrli.
Traductions : Valentin Abbet, Fabienne Juilland, Yves Rosset, Bénédicte Savary.
Délai rédactionnel 3 / 2022 : 12 avril 2022
Impression : Vogt-Schild Druck AG, 4552 Derendingen. Tirage : 170 000 (125 000 allemand, 45 000 français). Imprimé sur papier recyclé FSC.
Adresse : Magazine Pro Natura, Ch. de la Cariçaie 1, 1400 Cheseaux-Noréaz, tél. 024 423 35 64, fax 024 423 35 79, e-mail : secretariat.romand@pronatura.ch, CCP 40-331-0
Secré­tariat central de Pro Natura : case postale, 4018 Bâle, tél. 061 317 91 91 (9 h à 12 h et 14 h à 17 h), fax 061 317 92 66, e-mail : magazine@pronatura.ch
Régie des annonces : CEBECO GmbH, Weberei­str. 66, 8134 Adliswil, tél. 044 709 19 20, fax 044 709 19 25. Délai pour les annonces 3 / 2022 : 22 avril 2022
Pro Natura est membre fondateur de l’UICN — Union mondiale pour la nature et membre suisse de                  Friends of the Earth International                     www.pronatura.ch
                                                                                                                                                                                     Pro Natura Magazine 2 / 2022
Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
sommaire                              3

4          dossier
          4      a perte de biodiversité et la crise climatique rendent
                L
                la Terre malade – et les êtres humains aussi.

           8     es espaces verts dans les villes nous aident à
                L
                rester en bonne santé.

           10 Les médicaments à base de substances naturelles
               sont irremplaçables – et pourtant gravement menacés.

           12 Pourquoi les sorties en forêt sont si bénéfiques et
               agissent comme une cure de jouvence.

           13	La biodiversité est essentielle pour la santé de
               la planète. L’Initiative biodiversité va dans ce sens.

16	rendez-vous
           	   A
                 net Spengler Neff : cette agronome a consacré            éditorial
                toute sa vie de chercheuse aux ruminants.

                                                                           Quand notre santé dépend de la biodiversité
18	en bref
                                                                           Il est désormais prouvé que le contact avec la nature est essentiel
20 	actuel                                                                pour le corps et l’esprit : il renforce les défenses immunitaires, il
           20 L
               oup : un compromis historique sur la gestion               contribue au bon fonctionnement de l’organisme et il diminue le
              du grand prédateur est à portée de main.                     stress. La santé humaine dépend de la présence de nombreux êtres
           21 S
               tratégie Sol Suisse : il manque encore des outils          vivants indispensables à son équilibre, pour faire face aux maladies
              efficaces. L’Initiative paysage en propose.                  par exemple.
                                                                               Personnellement, je n’ai pas attendu la pandémie pour être au
24         infogalerie                                                     contact de la nature. Une balade en forêt, un pique-nique au bord
           	Eaux frontalières : des perles écologiques coulent            du lac, une randonnée en montagne, le jardinage d’un potager au
             dans le no man’s land entre la France et la Suisse.           pied de mon immeuble : tous ces moments – souvent à deux pas de
                                                                           chez moi, parfois dans des paysages grandioses – font partie de
30	nouvelles                                                              mon quotidien. Et ces deux dernières années, alors que la vie pre-
           30	Andermatt : Pro Natura tire un bilan final critique         nait un tour plus difficile, j’ai d’autant plus senti l’effet bénéfique
               du mégaprojet touristique.                                  que procure une relation proche de la nature.
           32	Egelmoos : comment Pro Natura a redonné vie à                   Ainsi, comme notre santé dépend de la biodiversité, il faut
               un ancien haut et bas-marais.                               mettre tout en œuvre pour la préserver. À l’heure de clôturer ce ma-
                                                                           gazine, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
34         saison                                                          climat lance un appel à la communauté internationale pour réduire
                                                                           d’urgence les émissions de CO2 et protéger la biodiversité. « Retar-
36         service                                                         der l’action climatique réduit drastiquement les chances d’un ave-
                                                                           nir viable. » C’est sur ces mots très clairs que se termine son dernier
39         pro natura actif                                                rapport. En matière de biodiversité, il s’agit avant tout pour ces
                                                                           scientifiques de préserver les milieux naturels, notamment de res-
41 	shop                                                                  taurer les forêts et les écosystèmes naturels, de stopper l’urbanisa-
                                                                           tion des zones côtières et d’enclencher un véritable mouvement de
43         cartoon                                                         végétalisation des villes.
                                                                               Face à ces grands défis, on peut être tenté de baisser les bras.
44         engagement                                                      Puisons alors la force nécessaire dans la nature justement. Car le
                                                                           patrimoine naturel est notre meilleur rempart au découragement, à
                                                                           la tristesse et au mal-être.

                                                                           FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN
                                                                           Rédactrice romande du Magazine Pro Natura

Pro Natura Magazine 2 / 2022
Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
4   dossier

« La Terre a de la fièvre »

    La perte de biodiversité et la crise
    climatique rendent notre planète
    malade – et nous avec.

    La Terre ne va pas bien du tout. Christian Abshagen, respon-
    sable du CAS Santé et environnement à l’Ecole supérieure des
    sciences de la vie de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest
    de la Suisse (HLS FHNW), nous explique quels traitements
    appliquer pour l’aider à se rétablir et pour nous permettre de
    rester en bonne santé.

    Magazine Pro Natura : si la Terre était l’une de vos patientes,
    quel diagnostic poseriez-vous ?
    Christian Abshagen : la Terre a de la fièvre, des dysfonctionne-
    ments organiques comme la fonte des calottes polaires et la des-
    truction des forêts tropicales. Elle présente également des signes
    d’empoisonnement chronique, notamment par les particules
    fines ou les déchets plastiques.

    La Terre est donc malade. Est-ce que les hommes tombent
    malades pour autant ?
    Il y aurait évidemment des gens malades même si la Terre était
    en bonne santé. Mais l’état de la planète fait qu’il y a beaucoup
    plus de gens malades. Chaque année, jusqu’à 8 millions de per-
    sonnes meurent à cause de la pollution due aux particules fines.

    Une nature préservée est-elle un gage de santé pour ses
    habitants ?
    Oui, de manière très directe. Se promener en forêt permet par
    exemple de réduire le stress. Mais également de manière indi-
    recte : une nature intacte nous incite à faire plus d’exercice et
    nous aide à nous alimenter plus sainement.

    Comment la perte de biodiversité et le changement clima-
    tique nuisent-ils concrètement à la santé ?
    Le problème directement posé par le changement climatique est
    d’abord celui de la chaleur. Pendant l’« été du siècle » en 2003, on

                                                                           Pro Natura Magazine 2 / 2022
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                               xxxx

                                            Christian Abshagen est docteur en
                                           médecine, titulaire d’un diplôme de
                                      médecine tropicale et d’un MBA. Il dirige
                                         le service de développement durable
                                        à l’Hôpital universitaire de Bâle. Il est
                                           également responsable de la filière
                                        et chargé de cours pour le CAS Santé
                                            et environnement à la Haute école
                                       spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse.
                                           Christian Abshagen vit à Bâle avec
                                                  sa compagne et ses deux fils.

                                                                    Picture Alliance

Pro Natura Magazine 2 / 2022
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6   dossier

                                       « Protection du climat égale
                      protection de la biodiversité égale protection
                 de l’environnement égale protection de la santé. »

    a enregistré en Europe 30 000 à 70 000 décès de plus que les          c’est-à-dire les maladies qui se transmettent de l’animal à
    moyennes habituelles. Des études montrent en outre qu’entre           l’homme. C’était déjà le cas avant le Covid-19, avec le sida ou
    1991 et 2015, un tiers des décès dus à la chaleur sont imputables     Ebola. Les changements environnementaux entraînent l’extinc-
    au changement climatique. Les autres conséquences directes sont       tion de certaines espèces, tandis que d’autres s’adaptent bien et
    les blessures et les décès liés aux catastrophes naturelles. Mais     se répandent de manière excessive. Par exemple les chauves-sou-
    le changement climatique et la perte de biodiversité affectent éga-   ris ou les rongeurs. Il s’agit souvent d’animaux vivant à proxi-
    lement notre santé de manière indirecte, par exemple avec l’ag-       mité de l’être humain. Lorsque ces animaux sont infectés par
    gravation des allergies. Une saison pollinique plus longue et da-     des agents pathogènes, la probabilité que ceux-ci se transmettent
    vantage de plantes envahissantes favorisent le rhume des foins        à l’homme augmente. En outre, le changement climatique favo-
    et un plus grand nombre de personnes souffrent d’asthme. La sé-       rise la propagation des moustiques et des tiques et, avec eux,
    curité alimentaire est également une préoccupation majeure. Le        des maladies comme la dengue, la malaria ou les borrélioses.
    changement climatique et l’absence de pollinisation en raison du
    manque d’insectes entraînent plus de pertes de récoltes.              Si la Terre était l’une de vos patientes, quel traitement lui
                                                                          prescririez-vous ?
    Les maladies infectieuses sont-elles liées aux changements            Une bonne thérapie devrait toujours s’attaquer aux causes et ne
    environnementaux ?                                                    pas être purement symptomatique. Nous pouvons bien sûr en-
    Oui, tout à fait.                                                     voyer des particules de diamant dans la stratosphère pour atté-
                                                                          nuer le rayonnement solaire. Mais cela ne résout pas les pro-
    Comment cela ?                                                        blèmes sous-jacents.
    Notre société moderne endommage les écosystèmes et la bio­
    diversité par son mode de vie, ce qui favorise les zoonoses,          Comment les résoudre ?

                                                                                                                       Pro Natura Magazine 2 / 2022
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Il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, la pollution   La Terre peut-elle encore aller bien ?                                 Adobe Stock / Kristina Blokhin

par les nitrates et la consommation de plastique, nous éloigner       Ce qui rend le changement climatique et la perte de biodiversité
de l’agriculture intensive et renforcer l’économie circulaire. Nous   si dangereux, ce sont les points de basculement. La Terre fonc-
devons absolument protéger les écosystèmes qui nous restent.          tionne à cet égard comme l’organisme humain. Le corps peut
Nous devons repenser la façon dont nous construisons nos villes,      compenser très longtemps une affection chronique comme un
dont nous concevons notre mobilité, notre alimentation. Bref, de      foie malade, jusqu’à ce que la situation bascule, entraînant une
grands changements sont nécessaires.                                  défaillance organique et, dans le pire des cas, la mort. Il est très
                                                                      difficile d’estimer à l’avance quand cela se produira. C’est la
La protection de la biodiversité, la lutte contre le changement       même chose pour la Terre. Elle peut compenser longtemps, mais
climatique et la protection de la santé doivent donc être inté-       à un moment donné, on arrive à un point de basculement.
grées dans tous les processus décisionnels importants ?
Au 21e siècle, la formule qui prévaut est la suivante : protection    N’est-il pas trop tard ?
du climat égale protection de la biodiversité égale protection de     Nous avons l’énorme privilège – ou le grand fardeau – d’être la
l’environnement égale protection de la santé. L’Organisation          première génération à connaître le diagnostic. Et nous sommes
mondiale de la santé en appelle à ce que la santé soit intégrée       l’une des dernières générations à avoir encore une marge de
dans tous les domaines politiques : « Health in all policies ». Il    manœuvre pour changer les choses. Nous avons encore des
nous faut donc tenir compte des impératifs sanitaires dans tous       atouts en main et il faut dire aux gens de ne pas se décourager.
les domaines, dans l’économie, l’aménagement du territoire, etc.      À tous ceux qui ont pris conscience de l’urgence de la situation
Et puisque la santé et les changements environnementaux mon-          et qui agissent, je dirais de ne pas baisser les bras, car nous pou-
diaux sont si indissociables, j’ajouterais le mot « Planetary »,      vons faire quelque chose !
c’est-à-dire « Planetary Health in all policies ».                    BETTINA EPPER, rédactrice en cheffe adjointe du Magazine Pro Natura.

Pro Natura Magazine 2 / 2022
Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
8        dossier

     « Faire de l’exercice dans un espace
    vert en fournissant un effort normal
         est le meilleur des anti-stress. »

Du vert diversifié plutôt que du béton gris
Les espaces verts en ville offrent un habitat à de nombreuses espèces, contribuent
à la pureté de l’air, atténuent le bruit et créent des oasis de fraîcheur. Ils nous aident
également à rester en bonne santé.

         L’être humain évacue le stress et se détend en sortant dans la na-      fique de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le
         ture. Pas seulement en forêt ou en montagne, mais aussi dans les        paysage (WSL), elle mène différentes recherches sur le paysage
         espaces verts urbains. Nous en faisons toutes et tous l’expérience      et les espaces de détente. Quand on vit à proximité d’espaces
         au quotidien et des décennies de recherche scientifique l’ont éga-      verts attrayants, on bouge par exemple davantage. Et quand on
         lement prouvé. C’est dans les années 1980 que les scientifiques         fait de l’exercice, on est non seulement en meilleure forme phy-
         se sont penchés pour la première fois sur le lien entre le contact      sique mais aussi plus détendu et moins stressé. « Si l’on mesure
         avec la nature et la santé. Une étude américaine avait alors éta-       le taux de cortisol, l’hormone du stress, on constate que l’activi-
         bli que les patients d’un hôpital qui voyaient une cour intérieure      té physique dans la nature est le meilleur moyen de réduire le
         verdoyante de leur fenêtre se rétablissaient plus vite et avaient       stress en fournissant un effort normal », explique Nicole Bauer.
         moins besoin d’analgésiques.                                            En outre, les personnes qui bougent à l’extérieur ont plus de
             Les avantages d’une nature biodiversifiée sur la santé se ma-       contacts sociaux, un facteur de bien-être important.
         nifestent déjà à très petite échelle, puisqu’ils sont visibles sur le       On n’est pas obligé de faire du jogging dans un parc ou de se
         microbiome, c’est-à-dire l’ensemble des micro-organismes coloni-        promener au bord d’un lac. Le jardinage a également un effet po-
         sant un être humain. L’environnement bactérien influence le mi-         sitif sur la santé. « Nous avons mené une étude dans des jardins
         crobiome : plus les bactéries sont diversifiées, plus le microbiome     familiaux en nous demandant dans quelle mesure le nombre
         l’est aussi, avec pour effet de renforcer le système immunitaire.       d’espèces végétales présentes dans les jardins influait sur la dé-
                                                                                 tente ressentie. » Résultat : plus il y a de plantes différentes, plus
         Un formidable anti-stress                                               la détente est sensible.
         Mais la nature peut faire bien plus, comme le souligne la psycho-           Les espaces verts sont particulièrement importants pour les
         logue de l’environnement Nicole Bauer. Collaboratrice scienti-          enfants. Ainsi, une étude montre que les enfants des écoles dis-

                                                                                                                                  Pro Natura Magazine 2 / 2022
Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
dossier                 9

                                                                                    cole Bauer. « On peut y arriver même dans les villes denses, par
                                                                                    exemple en créant des espaces pour jardiner. Des pistes cyclables
                                                                                    et des chemins piétonniers attrayants et végétalisés jouent égale-
                                                                                    ment un rôle important. Les villes ont besoin de ce type de cor-
                                                                                    ridors verts. »
                                                                                        Marco Moretti, biologiste au WSL : « Les villes doivent
                                                                                    prendre leurs responsabilités et apporter leur contribution à la
                                                                                    protection des espèces et de la biodiversité. » Mais attention : « Le
                                                                                    tout n’est pas d’avoir de la verdure. Nous avons surtout besoin
                                                                                    d’une végétation biodiversifiée qui offre des habitats variés et de
                                                                                    la nourriture aux animaux. » Cela nécessite une planification soi-
                                                                                    gneuse. « Il faut planter les bonnes espèces, ne pas les choisir uni-
                                                                                    quement en fonction de facteurs esthétiques. Mettre des fleurs
                                                                                    sans nectar ni pollen n’apporte rien aux abeilles. » Il est égale-
                                                                                    ment essentiel de ne pas se contenter de créer des îlots de ver-
                                                                                    dure, mais de les relier entre eux. « Ce genre de corridors de bio-
                                                                                    diversité devraient s’étendre comme des veines à travers la ville. »
                                                            Adobe Stock / Artinun

                                                                                    En outre, il est nécessaire que les villes tiennent compte de leur
                                                                                    environnement. « Si une ville se trouve à proximité d’une zone
                                                                                    humide, il faudrait également y aménager des habitats humides. »
                                                                                        Cependant, Marco Moretti estime que les villes et les com-
                                                                                    munes ne sont pas les seules à devoir agir. Les grandes jardine-
                                                                                    ries jouent aussi un rôle important. « Nombre d’entre elles tra-
                                                                                    vaillent sur la base de structures identiques, elles utilisent les
                                                                                    mêmes plantes, tout devient uniforme. Elles devraient se diver-
                                                                                    sifier beaucoup plus. » Enfin, les particuliers sont également sol-
                                                                                    licités. « Ils peuvent aussi contribuer à la biodiversité dans leurs
                                                                                    jardins ou sur leurs balcons. »

                                                                                    BETTINA EPPER.

posant de cours de récréation végétalisées présentaient une ten-
sion artérielle plus basse et arrivaient mieux à se concentrer
après la récréation que ceux qui avaient une cour de récréation
dépourvue de végétation. « Il existe également des études sur le
                                                                                                                                                                     Adobe Stock / mimagephotos

fait que les enfants jouent différemment dans une cour végétali-
sée : ils sont plus coopératifs et se disputent moins. »
     Les espaces verts urbains ont même la capacité d’influer sur
le taux de criminalité. En effet, des chercheurs de Chicago ont
comparé deux zones résidentielles avec des logements sociaux.
L’une avec des espaces verts, l’autre sans. Plus l’environnement
était vert, moins il y avait de délits. « Cela s’explique probable-
ment par le fait qu’on est plus détendu dans un espace vert »,
précise Nicole Bauer. « Mais aussi par le fait que les gens se
tiennent plus volontiers dehors dans un environnement
agréable. »
                                                                                                Do it yourself !
« Nous avons besoin d’espaces verts biodiversifiés »                                            Vous souhaitez faire quelque chose pour la biodiversité dans votre
                                                                                                jardin ou sur votre balcon ? Vous trouverez de nombreux conseils
Les objectifs sont clairs : les villes doivent se faire plus biodiver-
                                                                                                et astuces sur : www.pronatura.ch/fr/trucs-astuces-nature
sifiées, plus vertes. « Plus il y a de vert, mieux c’est », affirme Ni-

Pro Natura Magazine 2 / 2022
Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
10           dossier

« Près de la moitié des médicaments
autorisés à ce jour n’existeraient pas
          sans l’étude de la nature. »

Participation aux bénéfices
La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) stipule qu’en cas
d’utilisation de ressources génétiques ou de savoirs traditionnels associés, une par-
tie des bénéfices doit être reversée aux détenteurs de ces savoirs traditionnels ou
aux pays d’origine des ressources génétiques. La mise en œuvre de ce partage des
bénéfices a été précisée en 2010 dans le Protocole de Nagoya et ratifiée par la plu-
part des parties à la CDB, y compris la Suisse. Cependant, les génomes de ces orga-
                                                                                                                       Picture Alliance / Gercke

nismes peuvent aujourd’hui être décryptés et transmis sous forme d’« informations
séquentielles numériques » (ISN) sans aucun partage des bénéfices. De nombreux
pays du Sud et des ONG souhaitent donc que les ISN soient également réglemen-
tées par la CDB et le Protocole de Nagoya. Or, le lobby pharmaceutique suisse et la
Confédération s’y refusent.

                                                                                        Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier                  11

Naturellement sain

                                                                                                                                                         Picture Alliance / Hecker
La biodiversité favorise la santé de
manière très directe, en nous fournissant
des médicaments issus de substances
naturelles. Mais la pharmacopée                                                  Les plantes sauvages et le savoir
traditionnelle est menacée.                                                      traditionnel ne sont pas brevetables
                                                                                 Les substances naturelles sont extrêmement intéressantes pour
                                                                                 la médecine. « Les molécules issues de plantes, d’animaux ou de
                                                                                 micro-organismes ont un énorme potentiel médicinal », explique
                                                                                 Andreas Lardos. « Du fait de l’évolution, tous les êtres vivants ont,
                                                                                 dans une certaine mesure, des structures similaires. Les com-
                                                                                 posants qui servent de défense ou de protection à la plante pré-
                                                                                 sentent souvent aussi un effet médicinal chez l’être humain. » Mal-
                                                                                 gré cela, l’industrie pharmaceutique mise plutôt sur des molécules
                                                                                 synthétiques. Cela s’explique notamment par la complexité du droit
                                                                                 des brevets pour les substances actives végétales, en particulier
                                                                                 lorsque celles-ci sont liées à un savoir traditionnel. Les grandes
                                                                                 entreprises pharmaceutiques hésitent donc à investir des millions
                                                                                 dans le développement de médicaments à base de substances
                                                                                 naturelles. Quant aux petites et moyennes entreprises, elles n’ont
                                                                                 pas assez de capitaux.

Les hommes de l’âge de pierre le savaient déjà : les plantes         plications médicales mais aussi comme produits de bien-être et
peuvent rendre la santé. « Aujourd’hui comme hier, la majeure        de beauté. Certaines plantes sont cultivées spécialement dans ce
partie de l’humanité dépend de la médecine traditionnelle pour       but mais cela n’est pas toujours possible. C’est ainsi qu’une très
les soins médicaux de base, et celle-ci repose en premier lieu sur   grande partie des plantes utilisées en médecine sont encore cueil-
des principes actifs végétaux », souligne l’ethnopharmacologue       lies dans la nature. Il n’est pas rare que cela entraîne une sur­
Andreas Lardos, directeur du groupe Chimie des substances na-        exploitation de ces ressources. Au moins existe-t-il maintenant des
turelles et phytopharmacie à la Haute école des sciences appli-      directives et des normes légales qui ont pour but une cueillette
quées de Zurich (ZHAW).                                              durable des plantes médicinales et la protection de la biodiversi-
     Dans ce contexte, la médecine basée sur la nature joue un       té en général. Malgré tout, le problème persiste « et nous sommes
rôle plus important que beaucoup ne l’imaginent. « Près de la        mis au défi d’y trouver des solutions », relève Andreas Lardos.
moitié des médicaments autorisés à ce jour n’existeraient pas
sans l’étude de la nature. » Environ 25% de tous les médicaments     Une course que nous devons gagner
sont directement issus de substances naturelles comme les            La destruction progressive de la nature et sa surexploitation n’en-
plantes, les champignons, les micro-organismes ou les animaux,       traînent pas seulement la disparition d’une multitude de plantes.
ou de leurs dérivés. Vingt-cinq autres pour cent sont certes syn-    Les peuples indigènes et leurs langues disparaissent en même
thétiques, mais inspirés de substances naturelles.                   temps que leur habitat naturel, et avec eux leurs connaissances
                                                                     médicinales sur les plantes, qui ne sont transmises que par voie
Un potentiel à protéger                                              orale. Les ethnobotanistes s’efforcent de documenter ce savoir et
Il est impossible de chiffrer avec précision le nombre d’espèces     de le préserver « mais c’est une course contre la montre ».
végétales utilisées à des fins médicales : selon les estimations,        Une course que nous devons absolument gagner, car le dé-
elles seraient environ 20 000. Et il existe de nombreuses autres     clin de la biodiversité représente une perte importante pour la
plantes potentiellement intéressantes mais encore inconnues –        médecine, donc pour l’humanité. Selon Andreas Lardos, il est dif-
que personne ne découvrira peut-être jamais, car la biodiversité     ficile d’estimer l’étendue réelle de cette perte mais « il ne faut pas
ne cesse de régresser.                                               sous-estimer son ampleur ainsi que les conséquences éventuelles
     L’un des problèmes réside dans le boom que connaissent ac-      qui en découlent pour la médecine. »
tuellement les plantes médicinales. Non seulement pour des ap-       BETTINA EPPER.

Pro Natura Magazine 2 / 2022
12       dossier

             « Passer du temps en forêt
       est un véritable bain de jouvence
     physique, émotionnel et spirituel. »

Le bain de forêt, une immersion
salutaire dans une mer de verdure
Carine Roth pratique les bains de forêt depuis une dizaine d’années. Elle se met
au service de la thérapie par la nature comme une guide et non comme une
soignante, car c’est « la nature qui guérit ». Immersion en forêt pour un moment
hors de la frénésie quotidienne, les sens en éveil.

        « La nature est ma religion. Les arbres et la forêt sont mes cathé-      s’enthousiasme Carine alors que nous commençons notre marche
         drales. » Ces propos, Carine Roth aurait pu les tenir, elle qui         à la rencontre des arbres.
         consacre une grande partie de son temps à la nature, et particu-
        lièrement à la forêt comme source de thérapie et de bien-être. « La      Sentir battre le pouls de la forêt…
         nature a toujours été présente dans mon existence. Enfant, je           La sylvothérapie, appelée shinrin-yoku au Japon, est reconnue
        jouais tout le temps dehors. Au fil des années, j’ai senti un réel       depuis 1982 comme une médecine préventive dans ce pays. Pas
        appel de la forêt », raconte Carine.                                     besoin d’avoir le pied marin pour faire un bain de forêt. Cette
            Lorsque nous nous retrouvons dans cette forêt des Bois du Jo-        « médecine de la forêt » nous invite toutes et tous à nous rappro-
         rat dans les hauts de Lausanne, l’hiver n’a pas encore dit son der-     cher de la nature et de son harmonie. Les arbres sont les seuls
         nier mot. Les chemins forestiers sont encore gelés, glissants, la       êtres vivants à nous dépasser dans l’espace et dans le temps. Une
         neige tapisse çà et là le sous-bois. Le soleil tape, puissant, il em-   réalité qui nous permet de retrouver notre véritable place.
         brase la cime des arbres et nous caresse le visage. « Voilà… sens…          L’art des bains de forêt consiste à se relier aux arbres, aux vé-
         ressens… Même sans y prêter attention, la nature s’impose à toi.        gétaux, à « embrasser » la nature par l’intermédiaire de nos sens.
        Tu en fais partie, et c’est tellement précieux de le savoir »,           « Ecouter le chant des oiseaux, le bruissement du vent dans les

                                                                                                                                 Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier     13

                                                                                                                         Adobe Stock / PhotoIris2021
                                                                       Dans la nature – avec respect !
                                                                       La nature fait du bien et offre un espace pour les activités de loisirs.
                                                                       Mais n’oubliez pas de la traiter avec respect. Soyez particulièrement
                                                                       attentifs aux points suivants :
                                                                       • Informez-vous au préalable sur les zones protégées et les règles
                                                                         en vigueur.
                                                                       • Restez sur les chemins, les routes et les sentiers.
                                                                       • Ne dérangez pas les animaux sauvages et ne cueillez pas de
                                                                         plantes protégées.
                                                                       • N’allumez de feu que dans les endroits prévus à cet effet et
                                                                         ne laissez pas de déchets derrière vous.

                                                                         Vous trouverez d’autres conseils pour des sorties dans la nature
                                                                         sur : www.pronatura.ch/fr/activites-de-loisirs

feuilles. Regarder les nuances de vert, les rayons du soleil pas-     rejetées par les arbres, on constate aussi une réduction de la pres-
sant à travers les branches. Sentir le parfum de la forêt, respirer   sion artérielle, une baisse du taux de glycémie, une amélioration
les substances aromathérapeutiques naturelles des phytoncides.        de la concentration et de la mémoire, mais aussi de la santé
Goûter la fraîcheur de l’air en inspirant profondément. Prendre       cardio­vasculaire et métabolique.
un arbre dans ses bras : le plaisir d’une balade en forêt est tou-       « La forêt est comme notre mère, un lieu sacré, un cadeau du
jours intense, car depuis la nuit des temps, notre corps et notre     divin à notre intention, nous les êtres humains. Passer du temps
cerveau sont faits pour vivre en symbiose avec la forêt, même si      en forêt est un véritable bain de jouvence physique, émotionnel
nous l’avons en grande partie oublié avec notre vie citadine »,       et spirituel. Les personnes que j’accompagne en forêt en re-
poursuit Carine.                                                      viennent transformées. Voir que le lien entre l’être humain et la
                                                                      nature n’est pas rompu m’amène beaucoup d’espoir », conclut
…pour être en meilleure santé                                         notre guide.
Les vertus de cette médecine douce sont multiples et démontrées       FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN, rédactrice romande
scientifiquement : outre un système immunitaire renforcé pour         du Magazine Pro Natura.
les « baigneurs » qui font le plein de phytoncides, ces molécules     www.ceuxdici.ch

Pro Natura Magazine 2 / 2022
14       dossier

   « Un avenir sain pour les êtres
 humains et une planète en bonne
             santé vont de pair. »

                                                                                                                                                             Picture Alliance / Ohde
Davantage de biodiversité –
pour notre santé également
La biodiversité est fortement menacée et, avec elle, c’est notre santé et celle des
générations futures qui sont en danger. En Suisse aussi, il est urgent d’agir. Le contre-
projet du Conseil fédéral à l’Initiative biodiversité est un premier petit pas dans ce sens.

         Un environnement sain et diversifié est essentiel à la survie de      Mais cela ne semble pas intéresser grand monde. Du moins ne
         l’être humain. Tel était déjà le propos du documentaire « Des         sommes-nous pas assez conscients de l’ampleur de la crise. Bien
         abeilles et des hommes » (More than honey) du cinéaste suisse         des gens ne se rendent pas compte qu’un nouveau recul de la
         Markus Imhoof, sorti en 2012. Ce vibrant plaidoyer en faveur des      biodiversité aura des conséquences au moins aussi graves que le
         abeilles mettait en évidence les liens existants entre une planète    réchauffement climatique.
         saine et un avenir viable pour l’être humain.                            Les appels à l’action ne sont pas entendus. Nous avons aus-
                                                                               si tendance à montrer les autres du doigt et à attendre qu’ils
         La Suisse en queue de peloton                                         agissent avant nous. Pourtant, la nécessité d’agir est particuliè-
         La biodiversité est essentielle à la santé de notre planète et nous   rement grande en Suisse. Parmi les pays industrialisés, nous oc-
         aurions tout intérêt à en prendre soin. Or nous assistons actuel-     cupons une première place peu glorieuse en ce qui concerne la
         lement à une extinction des espèces qui remet sérieusement en         proportion d’espèces menacées. Il est tout aussi inquiétant que,
         question la viabilité de notre société. Les scientifiques parlent     parmi 38 nations européennes, la Suisse présente la plus faible
         même de la sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre.     proportion de surfaces naturelles protégées.

                                                                                                                              Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier                    15

L’Initiative biodiversité déposée en 2019 par Pro Natura, BirdLife
Suisse, Patrimoine suisse et la Fondation suisse pour la protec-
tion et l’aménagement du paysage demande plus d’argent et d’es-
pace pour la biodiversité en Suisse. Ce sont deux revendications
                                                                          à propos
centrales pour que la Suisse ne reste pas à la traîne en matière
de promotion de la biodiversité et puisse enfin mettre en œuvre
                                                                          La santé : une autre bonne raison
ses engagements internationaux dans le cadre de la Convention
                                                                          de protéger la nature
sur la biodiversité.
                                                                          Huit millions d’espèces ont été décrites à ce jour dans le monde et
Un premier pas dans la bonne direction                                    jusqu’à un million d’entre elles sont menacées d’extinction. En
Le Conseil fédéral a mis en consultation une révision de la Loi           Suisse, plus d’un tiers des espèces de plantes, d’animaux, de cham-
sur la protection de la nature et du paysage (LPN) en guise de            pignons et de lichens sont menacées. La pression sur les milieux
contre-projet indirect à l’initiative. Il reconnaît ainsi la grande né-   naturels encore proches de l’état naturel ne cesse d’augmenter et les
cessité d’agir, ce dont on ne peut que se réjouir. L’accueil majo-        éventuelles améliorations ne sont que ponctuelles. Nous traversons
ritairement positif réservé au contre-projet par les partis, les as-      une crise majeure de la biodiversité.
sociations et les institutions est également encourageant. Du                 Il existe pourtant une foule de bonnes raisons de protéger la bio-
point de vue des promoteurs de l’Initiative biodiversité, c’est un        diversité. Il y a d’abord l’amour de la nature. Quel bonheur de se
premier pas dans la bonne direction, mais un pas bien trop pe-            promener en forêt au printemps, d’entendre le chant d’une alouette
tit. Dans notre prise de position, nous demandons des mesures             des champs ou de sentir une prairie fleurie bourdonner et bruire de
plus complètes, plus efficaces et pouvant être mises en œuvre ra-         tout un petit monde de vie. Et la diversité biologique ne mérite-t-elle
pidement. Il est décisif de sauvegarder sans délai les surfaces           pas d’être protégée simplement parce qu’elle est là, fruit de l’évolu-
riches en biodiversité encore existantes, de développer les sur-          tion ou de la création ?
faces à fort potentiel de biodiversité ainsi que leur mise en ré-             Il y a encore un autre argument important en faveur de la pro-
seau. L’objectif du Conseil fédéral en matière de surface reste           tection de la nature : il faut la protéger parce que cela va dans notre
quantitativement et qualitativement en deçà des besoins réels.            intérêt. Notre bien-être dépend dans une large mesure de la bio­
     En mars, le Conseil fédéral publiera son message sur la révi-        diversité et du bon fonctionnement des écosystèmes. Ils fournissent
sion de la LPN. Nous sommes impatients de voir quelles conclu-            les bases d’une alimentation saine et des substances actives pour
sions il tirera des réponses à la consultation. La phase parlemen-        nos médicaments, décomposent les polluants et nous approvi-
taire décisive suivra dès le printemps. Nous verrons alors si la          sionnent en eau potable. Ils jouent un rôle de tampon contre le
majorité du Parlement pose les jalons politiques qui permettront          changement climatique et nous protègent des catastrophes environ-
à la Suisse d’assumer sa part de responsabilité pour sortir de la         nementales.
crise mondiale de la biodiversité. Le fait que, dans le même                  La nature a également une influence positive majeure sur notre
temps, d’autres interventions politiques soient déposées en vue           santé psychique et physique : au contact de celle-ci, la mortalité due
d’affaiblir les acquis actuels de la législation sur la protection de     aux maladies cardiovasculaires diminue et le vieillissement cognitif
la nature ne laisse pas présager que du bon. Nous restons mobi-           est ralenti. Les personnes qui passent régulièrement du temps dans
lisés, avec nos organisations partenaires.                                la nature sont moins sujettes au stress, à la fatigue, à l’anxiété et à

URS LEUGGER-EGGIMANN est secrétaire central de Pro Natura.
                                                                          la dépression, augmentent leur attention, réduisent leur risque
                                                                          d’obésité et sont plus détendues. Le rythme cardiaque, la pression
                                                                          artérielle, les taux de vitamine D et de cortisol sont influencés positi-
                                                                          vement, certains types de diabète sont moins fréquents et la fonc-
              Prouvé scientifiquement                                     tion immunitaire est améliorée. Dans les agglomérations, les espaces
              La biodiversité est un important facteur de                 verts renforcent la cohésion sociale et influent positivement sur le
              santé, comme le prouvent de nombreuses
                                                                          développement des enfants.
              études scientifiques. L’Académie des
              sciences naturelles (SCNAT) en a analysé                        La nature a un grand potentiel préventif et thérapeutique, que
              un grand nombre et a publié ses conclu-                     la recherche commence seulement à mettre en évidence. C’est là
              sions dans une fiche d’information com-
                                                                          un argument de poids pour tout mettre en œuvre afin d’enrayer
              plète :
                                                                          le déclin de la biodiversité.
              www.scnat.ch/fr/publications/
              > Swiss Academies Factsheets > 2019 >                       DANIELA PAULI est membre du comité central de Pro Natura
              « La biodiversité, gage de santé ? »                        et responsable du Forum Biodiversité.

Pro Natura Magazine 2 / 2022
16   rendez-vous

                                                 Christian Flierl

                   Pro Natura Magazine 2/ 2022
rendez-vous                   17

« Les vaches ne peuvent pas simplement
changer leurs organes digestifs »
Qu’est-ce qui fait le bonheur des ruminants ? Cette question, l’ingénieure agronome
Anet Spengler Neff n’a eu de cesse de se la poser pendant toute sa carrière. La
réponse dessine la voie d’une agriculture durable, qui profite aussi à la biodiversité.

« Regarde comme les animaux s’approchent         nières années en matière de stabulation,         non à l’efficience des pratiques d’élevage,
spontanément de nous ! » Lors de notre vi-       comme l’atteste notre ingénieure agro-           mais au bien-être des animaux de rente. Si
site à la ferme de l’Institut de recherche de    nome, qui élève elle-même des moutons            cela grève les comptes des agriculteurs,
l’agriculture biologique (FiBL) à Frick en       dans le canton de Bâle-Campagne.                 c’est à la société et à la politique de créer
Argovie, plusieurs moutons d’Engadine se                                                          les conditions nécessaires à la viabilité des
précipitent à notre rencontre, curieux de        Ne pas porter atteinte à la dignité              exploitations.
faire connaissance. Pour Anet Spengler           Lorsque l’on parle d’élevage respectueux             Aujourd’hui déjà, le bien-être animal
Neff, codirectrice du groupe élevage d’ani-      des animaux, on oublie fréquemment un            n’est nullement incompatible avec la ren-
maux, c’est signe que les animaux de rente       domaine pourtant essentiel, la nourriture.       tabilité. Une étude d’Agroscope montre que
peuvent se plaire en présence des humains.       « Les bovins ont toujours mangé de l’herbe       les vaches nourries exclusivement à
     « Cette coexistence est bénéfique aux       et des plantes, et on le voit à leur anato-      l’herbe, qui fournissent une performance
deux parties », constate l’ingénieure agro-      mie : d’une extrémité à l’autre de leur sys-     laitière moyenne, génèrent davantage de
nome. Pour les animaux, elle est syno-           tème digestif, leurs organes sont conçus         revenus pour les paysans que l’élevage de
nyme de sécurité et d’alimentation abon-         pour métaboliser des fourrages grossiers. »      bêtes ultraproductives avec affouragement
dante, pour les êtres humains de nourri-             Dans l’agriculture conventionnelle et        à l’étable. Certes, les quantités de lait sont
ture. Mais aujourd’hui, ce pacte est rompu.      industrialisée, les bovins sont trop souvent     moindres, mais il n’y a pratiquement pas
Quantité d’animaux de rente sont élevés          bourrés de fourrages concentrés, céréales        besoin d’acheter du fourrage concentré et
dans des conditions qui ne tiennent pas          et soja, afin de fournir les plus hauts ren-     il faut moins de machines, pour des bêtes
compte de leurs besoins. Pour Anet Spen-         dements en un temps record. Pour Anet            en meilleure santé, et sans doute plus heu-
gler-Neff, c’est à l’être humain de prendre      Spengler Neff, « ce type d’alimentation          reuses.
ses responsabilités pour rétablir l’équilibre.   porte atteinte à la dignité des animaux, car
                                                 il est impossible pour eux de modifier leurs     Promouvoir la biodiversité
Créer des possibilités de fuite                  organes ». En témoigne l’espérance de vie        Pour Anet Spengler Neff, une agriculture
À quoi ressemble cet équilibre dans l’éle-       réduite de ces bovins élevés dans le souci       respectueuse de l’environnement est né-
vage ? La grande étable en stabulation libre     de la performance maximale.                      cessairement aussi respectueuse des ani-
du FiBL est un exemple. Elle comporte des            Quel serait le menu idéal des bovins ?       maux. Si les terres arables étaient utilisées
couloirs et des mangeoires de belle taille,      Pour le savoir, le département du FiBL dé-       uniquement pour nourrir la population
des aires de repos ouvertes, des logettes sé-    dié aux animaux de rente investigue dès ce       humaine et non pour produire des four-
curisées et un secteur où les vaches             printemps dans un « pâturage laboratoire ».      rages destinés au bétail, les cheptels, sur-
peuvent se faire traire par un robot. « L’im-    Les vaches qui y paissent peuvent se dé-         tout de porcs et de volailles, diminueraient
portant, c’est de prévoir des issues pour les    placer entre différentes parcelles dont la       fortement, faisant baisser les émissions
vaches de rang inférieur lorsqu’elles sont       couverture végétale varie : les vaches lai-      d’azote et de gaz à effet de serre, actuelle-
pourchassées par des congénères plus éle-        tières broutent à leur guise et se composent     ment bien trop hautes. Les vaches parti-
vées dans la hiérarchie. »                       un menu diversifié. Une liberté inacces-         cipent en revanche à l’entretien des
     Parmi ces vaches tachetées et pourvues      sible à de nombreux bovins, qui n’ont droit      pâturages et des surfaces riches en biodi-
de leurs cornes se trouve toujours un tau-       qu’à des fourrages concentrés et de mono-        versité qui stockent le carbone. Accusés
reau. Les veaux passent les deux premières       tones rations mélangées à base d’ensilage.       aujourd’hui de détruire le climat, les rumi-
semaines de leur existence dans le trou-             Les recherches qu’Anet Spengler-Neff         nants peuvent devenir des champions de
peau, puis sont progressivement séparés          mène depuis plusieurs années s’orientent         la biodiversité, s’ils sont élevés dans les
dans une aire voisine, mais continuent à         dans une direction bien précise : convain-       règles de l’art.
avoir accès deux fois par jour à leurs mères.    cue que « le plus important, c’est que les       RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef du
De gros progrès ont été accomplis ces der-       bêtes aillent bien », elle accorde la priorité   Magazine Pro Natura.

Pro Natura Magazine 2 / 2022
18           en bref

                                                       Blickwinkel / Held
                                                                                                  Les arbres des forêts souffrent
                                                                                                  longtemps des vagues de chaleur
                                                                                                  Les forêts ont souffert de la canicule de       épicéas sont morts. La sécheresse et la cha-
                                                                                                  l’été 2018. Des analyses menées par une         leur posent surtout problème aux endroits
                                                                                                  équipe internationale de chercheurs avec        où les sols ont une faible capacité de réten-
                                                                                                  la participation de l’Institut fédéral de re-   tion d’eau et là où les espèces plantées ne
                                                                                                  cherches sur la forêt, la neige et le paysage   sont pas adaptées aux conditions clima-
                                                                                                  (WSL) montrent dans quelle proportion.          tiques ou locales.
                                                                                                  De nombreux arbres ont subi un rétrécis-            Grâce à leurs études, les chercheurs
                                                                                                  sement record de leur tronc durant l’été        espèrent mieux comprendre les effets des
                                                                                                  2018, les espèces de conifères étant les plus   vagues de chaleur et identifier les espèces
                                                                                                  touchées. Malgré cela, la croissance des        qui pourraient être plus vulnérables aux
Les bouleaux peuvent absorber des métaux lourds
et des microplastiques dans leurs tissus.                                                         arbres a été globalement peu affectée           extrêmes climatiques. epp
                                                                                                  en 2018. Cependant, ce sont les années

                                                                                                                                                                                                         Biosphoto / Lenain
                                                                                                  suivantes que les conséquences de cet été

Assainissement du                                                                                 caniculaire se firent sentir.
                                                                                                      L’épicéa, peu résistant à la sécheresse,
sol par les arbres                                                                                a particulièrement souffert. Après 2018, la
                                                                                                  croissance des épicéas a diminué, les
                                                                                                                                                  Le sapin rouge souffre beaucoup du
      Les arbres permettent d’assainir les sols                                                   arbres affaiblis se sont montrés plus vulné-    changement climatique et fera ses adieux
      pollués par les microplastiques. C’est le ré-                                               rables au bostryche et de nombreux              aux zones de basse altitude.
       sultat d’une étude de l’Institut Leibniz en
      Allemagne. Des recherches ont montré que
      le bouleau d’Europe (Betula pendula) ab-
       sorbait les microplastiques dans ses tissus
                                                                                                  Un poisson sur cinq
      via ses racines.                                                                            meurt dans une turbine
          Le bouleau pleureur est déjà utilisé
      pour assainir les sols contaminés, car il                                                   En moyenne, 22,3% des poissons sont             sons dits potamodromes – les poissons de
      peut stocker des polluants industriels et                                                   tués ou gravement blessés au niveau des         rivière se déplaçant sur de longues dis-
       des métaux lourds dans ses tissus. Les mi-                                                 centrales hydroélectriques. C’est ce que        tances comme le barbeau ou le hotu – sont
      crobes qui colonisent les arbres peuvent                                                    montrent les recherches effectuées par une      particulièrement menacées. En outre, les
       décomposer les hydrocarbures et les mé-                                                    équipe de l’Institut Leibniz (Allemagne)        gros poissons ont un risque de mortalité
      taux lourds. De plus, cette espèce d’arbre                                                  pour l’écologie des eaux et la pêche en eau     plus élevé que les petits. Le type de turbine
       s’enracine peu profondément sous la sur-                                                   douce. Les données nécessaires ont été re-      joue également un rôle décisif : les turbines
      face du sol, là où les sols sont les plus pol-                                              cueillies lors de tests sur 122 sites hydro-    à faible vitesse de rotation et les roues
      lués par les microplastiques. C’est pour-                                                   électriques de 15 pays. Elles concernent        hydrauliques sont moins néfastes que la
      quoi elle a été choisie pour les études.                                                    plus de 275 000 poissons de 75 espèces.         plupart des turbines conventionnelles.
          Les conséquences de l’absorption de                                                        Selon les scientifiques, les espèces de          Les installations les plus sûres sont
      microplastiques sur la santé des arbres à                                                   poissons ayant un comportement migra-           celles qui empêchent les poissons de péné-
      court et à long terme doivent encore être                                                   toire marqué, comme le saumon ou l’estur-       trer dans les turbines grâce à des disposi-
      étudiées, fait savoir l’Institut Leibniz. Mais                                              geon, mais aussi les populations de pois-       tifs modernes de montaison et de dévalai-
      en principe, l’étude pilote indique un réel                                                                                                 son. Toutefois, même les installations mé-
                                                                            Blickwinkel / Hartl

      potentiel de dépollution des sols.                                                                                                          nageant les poissons peuvent avoir des ré-
          Plus de 400 millions de tonnes de plas-                                                                                                 percussions négatives sur les écosystèmes
      tique sont produites chaque année dans le                                                                                                   fluviaux dans leur ensemble, par exemple
      monde. On estime qu’un tiers des déchets                                                                                                    en empêchant le transport des sédiments
      plastiques se retrouve dans les eaux et en-                                                 Le barbeau souffre lui aussi                    ou en interférant avec le régime d’écoule-
      core plus souvent dans les sols. raw                                                        du morcellement des rivières.                   ment naturel. epp

                                                                                                                                                                          Pro Natura Magazine 2 / 2022
en bref                      19
                                                                                                                                                Biosphoto / Weenink

600 millions
d’oiseaux disparus                                                             Les populations d’espèces dites communes, comme le moineau
                                                                               domestique, sont également en net recul.

Une analyse des données du programme            Il est frappant de constater qu’un grand         oiseaux dans la deuxième moitié de la
européen de surveillance des oiseaux indi-      nombre des espèces concernées vivent             période d’étude.
gènes de l’UE montre un déclin drama-           dans les zones cultivées. Cela n’a guère             Un autre projet de recherche mené au
tique de la population d’oiseaux entre 1980     surpris les chercheurs : il est désormais        niveau international a mis en lumière
et 2017. Ce sont surtout les espèces com-       prouvé qu’une agriculture intensive en-          qu’en Amérique du Nord et en Europe, le
munes comme le moineau domestique qui           traîne un recul de la biodiversité. On a         gazouillis des oiseaux était devenu moins
ont enregistré un recul important, avec la      également remarqué que la majorité des           sonore et moins varié au printemps. En
disparition de 247 millions d’individus,        baisses enregistrées s’était produite durant     Allemagne, par exemple, l’alouette des
suivies par la bergeronnette printanière        la première moitié de la période d’étude.        champs et le vanneau huppé se font plus
(moins 97 millions), l’étourneau sansonnet      C’est dû aux succès des programmes de            rarement entendre. Les paysages agricoles
(75 millions) et l’alouette des champs          promotion des espèces et des directives de       sont particulièrement concernés, ce qui
(68 millions).                                  l’UE, qui auraient favorisé de nombreux          n’est pas une surprise. epp

Réduire les émissions et renforcer la biodiversité :
le GIEC lance un appel à la communauté internationale
« Retarder l’action climatique réduit drasti-   et la sécurité alimentaire diminue. A partir     d’exploiter les opportunités offertes par
quement les chances d’un avenir viable. »       de 2040, ces risques se multiplieraient en       l’urbanisation.
C’est sur ces mots très clairs que se ter-      fonction de l’intensité du réchauffement             Le GIEC lance donc un appel urgent à
mine le dernier rapport du Groupe d’ex-         climatique.                                      la communauté mondiale pour qu’elle ac-
perts intergouvernemental sur l’évolution           Pour y remédier, le GIEC demande une         célère le rythme des mesures. Car les ef-
du climat (GIEC).                               réduction urgente des émissions de CO2.          forts entrepris jusqu’ici ne suivront pas le
     Dans leur analyse détaillée, les 270 au-   Parallèlement, il s’agirait d’augmenter ra-      rythme des effets du changement clima-
teurs montrent que le changement clima-         pidement ce que l’on appelle la résilience       tique. « Avec la poursuite du réchauffe-
tique affecte déjà les êtres humains et la      climatique, c’est-à-dire la capacité de résis-   ment, les risques se multiplient et la capa-
nature dans le monde entier. Ainsi, la moi-     tance aux conséquences du changement             cité d’adaptation de l’être humain et de la
tié de la population mondiale souffre           climatique. Pour cela, le GIEC estime que        nature est de plus en plus dépassée »,
régulièrement de graves pénuries d’eau.         la biodiversité et les écosystèmes doivent       selon le communiqué de presse. raw
En outre, certaines maladies se multiplient     être renforcés. Le GIEC propose en outre

Les loups réduisent les accidents de voitures
En Suisse, on dénombre chaque année             Les scientifiques de la Wesleyan University      dommages économiques causés par les at-
près de 20 000 accidents dus au gibier sur      ont analysé les accidents de la route impli-     taques de loups sur des animaux de rente.
les routes et les voies ferrées, soit un coût   quant des animaux sauvages et les dépla-         Les chercheurs ont découvert un autre
de plus de 50 millions de francs. Les loups     cements de loups dans l’Etat américain du        avantage des loups sur le plan écono-
pourraient contribuer à réduire ces coûts,      Wisconsin et ils ont constaté que les acci-      mique : leur présence modifie le compor-
comme le montre une étude scientifique          dents avec des chevreuils étaient en             tement des chevreuils, ce qui permet
réalisée aux Etats-Unis : les accidents de la   moyenne 24 % moins fréquents dans les            également de réduire les atteintes aux
route impliquant des chevreuils seraient        districts où vivaient des loups que dans les     cultures et aux forêts. epp
moins nombreux lorsque des loups se sont        districts sans loups. Il en résulte un béné-
réinstallés dans une région.                    fice économique 63 fois plus élevé que les

Pro Natura Magazine 2/ 2022
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