Pro natura magazine - La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
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pro natura magazine 2/ 2022 MARS La biodiversité est essentielle pour la santé et le bien-être des êtres humains
2 sommaire 16 Christian Flierl Raphael Weber 21 24 Yves Maurer pro natura magazine est reconnue par le Zewo Revue de Pro Natura – Ligue suisse pour la protection de la nature Impressum : Pro Natura Magazine 2 / 2022. Cette revue paraît cinq fois par an (plus le Pro Natura Magazine Spécial) et est envoyée à tous les membres de Pro Natura. ISSN 1422-6235 Rédaction : Florence Kupferschmid-Enderlin (fk), rédactrice édition française ; Raphael Weber (raw), rédacteur en chef ; Bettina Epper (epp), rédactrice en cheffe adjointe ; Nicolas Gattlen (nig), rédacteur édition allemande. Mise en pages : Vera Howard, Raphael Weber, Florence Kupferschmid-Enderlin. Couverture : IMAGO / Westend61. Ont collaboré à ce numéro : Urs Leugger, Sabine Mari, Daniela Pauli, Andrea Persico (apo), Muriel Raemy, Marianne Rutishauser, Tiffanie Steiner, Urs Tester (ut), Sara Wehrli. Traductions : Valentin Abbet, Fabienne Juilland, Yves Rosset, Bénédicte Savary. Délai rédactionnel 3 / 2022 : 12 avril 2022 Impression : Vogt-Schild Druck AG, 4552 Derendingen. Tirage : 170 000 (125 000 allemand, 45 000 français). Imprimé sur papier recyclé FSC. Adresse : Magazine Pro Natura, Ch. de la Cariçaie 1, 1400 Cheseaux-Noréaz, tél. 024 423 35 64, fax 024 423 35 79, e-mail : secretariat.romand@pronatura.ch, CCP 40-331-0 Secrétariat central de Pro Natura : case postale, 4018 Bâle, tél. 061 317 91 91 (9 h à 12 h et 14 h à 17 h), fax 061 317 92 66, e-mail : magazine@pronatura.ch Régie des annonces : CEBECO GmbH, Webereistr. 66, 8134 Adliswil, tél. 044 709 19 20, fax 044 709 19 25. Délai pour les annonces 3 / 2022 : 22 avril 2022 Pro Natura est membre fondateur de l’UICN — Union mondiale pour la nature et membre suisse de Friends of the Earth International www.pronatura.ch Pro Natura Magazine 2 / 2022
sommaire 3 4 dossier 4 a perte de biodiversité et la crise climatique rendent L la Terre malade – et les êtres humains aussi. 8 es espaces verts dans les villes nous aident à L rester en bonne santé. 10 Les médicaments à base de substances naturelles sont irremplaçables – et pourtant gravement menacés. 12 Pourquoi les sorties en forêt sont si bénéfiques et agissent comme une cure de jouvence. 13 La biodiversité est essentielle pour la santé de la planète. L’Initiative biodiversité va dans ce sens. 16 rendez-vous A net Spengler Neff : cette agronome a consacré éditorial toute sa vie de chercheuse aux ruminants. Quand notre santé dépend de la biodiversité 18 en bref Il est désormais prouvé que le contact avec la nature est essentiel 20 actuel pour le corps et l’esprit : il renforce les défenses immunitaires, il 20 L oup : un compromis historique sur la gestion contribue au bon fonctionnement de l’organisme et il diminue le du grand prédateur est à portée de main. stress. La santé humaine dépend de la présence de nombreux êtres 21 S tratégie Sol Suisse : il manque encore des outils vivants indispensables à son équilibre, pour faire face aux maladies efficaces. L’Initiative paysage en propose. par exemple. Personnellement, je n’ai pas attendu la pandémie pour être au 24 infogalerie contact de la nature. Une balade en forêt, un pique-nique au bord Eaux frontalières : des perles écologiques coulent du lac, une randonnée en montagne, le jardinage d’un potager au dans le no man’s land entre la France et la Suisse. pied de mon immeuble : tous ces moments – souvent à deux pas de chez moi, parfois dans des paysages grandioses – font partie de 30 nouvelles mon quotidien. Et ces deux dernières années, alors que la vie pre- 30 Andermatt : Pro Natura tire un bilan final critique nait un tour plus difficile, j’ai d’autant plus senti l’effet bénéfique du mégaprojet touristique. que procure une relation proche de la nature. 32 Egelmoos : comment Pro Natura a redonné vie à Ainsi, comme notre santé dépend de la biodiversité, il faut un ancien haut et bas-marais. mettre tout en œuvre pour la préserver. À l’heure de clôturer ce ma- gazine, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du 34 saison climat lance un appel à la communauté internationale pour réduire d’urgence les émissions de CO2 et protéger la biodiversité. « Retar- 36 service der l’action climatique réduit drastiquement les chances d’un ave- nir viable. » C’est sur ces mots très clairs que se termine son dernier 39 pro natura actif rapport. En matière de biodiversité, il s’agit avant tout pour ces scientifiques de préserver les milieux naturels, notamment de res- 41 shop taurer les forêts et les écosystèmes naturels, de stopper l’urbanisa- tion des zones côtières et d’enclencher un véritable mouvement de 43 cartoon végétalisation des villes. Face à ces grands défis, on peut être tenté de baisser les bras. 44 engagement Puisons alors la force nécessaire dans la nature justement. Car le patrimoine naturel est notre meilleur rempart au découragement, à la tristesse et au mal-être. FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN Rédactrice romande du Magazine Pro Natura Pro Natura Magazine 2 / 2022
4 dossier « La Terre a de la fièvre » La perte de biodiversité et la crise climatique rendent notre planète malade – et nous avec. La Terre ne va pas bien du tout. Christian Abshagen, respon- sable du CAS Santé et environnement à l’Ecole supérieure des sciences de la vie de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse (HLS FHNW), nous explique quels traitements appliquer pour l’aider à se rétablir et pour nous permettre de rester en bonne santé. Magazine Pro Natura : si la Terre était l’une de vos patientes, quel diagnostic poseriez-vous ? Christian Abshagen : la Terre a de la fièvre, des dysfonctionne- ments organiques comme la fonte des calottes polaires et la des- truction des forêts tropicales. Elle présente également des signes d’empoisonnement chronique, notamment par les particules fines ou les déchets plastiques. La Terre est donc malade. Est-ce que les hommes tombent malades pour autant ? Il y aurait évidemment des gens malades même si la Terre était en bonne santé. Mais l’état de la planète fait qu’il y a beaucoup plus de gens malades. Chaque année, jusqu’à 8 millions de per- sonnes meurent à cause de la pollution due aux particules fines. Une nature préservée est-elle un gage de santé pour ses habitants ? Oui, de manière très directe. Se promener en forêt permet par exemple de réduire le stress. Mais également de manière indi- recte : une nature intacte nous incite à faire plus d’exercice et nous aide à nous alimenter plus sainement. Comment la perte de biodiversité et le changement clima- tique nuisent-ils concrètement à la santé ? Le problème directement posé par le changement climatique est d’abord celui de la chaleur. Pendant l’« été du siècle » en 2003, on Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier 5 xxxx Christian Abshagen est docteur en médecine, titulaire d’un diplôme de médecine tropicale et d’un MBA. Il dirige le service de développement durable à l’Hôpital universitaire de Bâle. Il est également responsable de la filière et chargé de cours pour le CAS Santé et environnement à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse. Christian Abshagen vit à Bâle avec sa compagne et ses deux fils. Picture Alliance Pro Natura Magazine 2 / 2022
6 dossier « Protection du climat égale protection de la biodiversité égale protection de l’environnement égale protection de la santé. » a enregistré en Europe 30 000 à 70 000 décès de plus que les c’est-à-dire les maladies qui se transmettent de l’animal à moyennes habituelles. Des études montrent en outre qu’entre l’homme. C’était déjà le cas avant le Covid-19, avec le sida ou 1991 et 2015, un tiers des décès dus à la chaleur sont imputables Ebola. Les changements environnementaux entraînent l’extinc- au changement climatique. Les autres conséquences directes sont tion de certaines espèces, tandis que d’autres s’adaptent bien et les blessures et les décès liés aux catastrophes naturelles. Mais se répandent de manière excessive. Par exemple les chauves-sou- le changement climatique et la perte de biodiversité affectent éga- ris ou les rongeurs. Il s’agit souvent d’animaux vivant à proxi- lement notre santé de manière indirecte, par exemple avec l’ag- mité de l’être humain. Lorsque ces animaux sont infectés par gravation des allergies. Une saison pollinique plus longue et da- des agents pathogènes, la probabilité que ceux-ci se transmettent vantage de plantes envahissantes favorisent le rhume des foins à l’homme augmente. En outre, le changement climatique favo- et un plus grand nombre de personnes souffrent d’asthme. La sé- rise la propagation des moustiques et des tiques et, avec eux, curité alimentaire est également une préoccupation majeure. Le des maladies comme la dengue, la malaria ou les borrélioses. changement climatique et l’absence de pollinisation en raison du manque d’insectes entraînent plus de pertes de récoltes. Si la Terre était l’une de vos patientes, quel traitement lui prescririez-vous ? Les maladies infectieuses sont-elles liées aux changements Une bonne thérapie devrait toujours s’attaquer aux causes et ne environnementaux ? pas être purement symptomatique. Nous pouvons bien sûr en- Oui, tout à fait. voyer des particules de diamant dans la stratosphère pour atté- nuer le rayonnement solaire. Mais cela ne résout pas les pro- Comment cela ? blèmes sous-jacents. Notre société moderne endommage les écosystèmes et la bio diversité par son mode de vie, ce qui favorise les zoonoses, Comment les résoudre ? Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier 7 Il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, la pollution La Terre peut-elle encore aller bien ? Adobe Stock / Kristina Blokhin par les nitrates et la consommation de plastique, nous éloigner Ce qui rend le changement climatique et la perte de biodiversité de l’agriculture intensive et renforcer l’économie circulaire. Nous si dangereux, ce sont les points de basculement. La Terre fonc- devons absolument protéger les écosystèmes qui nous restent. tionne à cet égard comme l’organisme humain. Le corps peut Nous devons repenser la façon dont nous construisons nos villes, compenser très longtemps une affection chronique comme un dont nous concevons notre mobilité, notre alimentation. Bref, de foie malade, jusqu’à ce que la situation bascule, entraînant une grands changements sont nécessaires. défaillance organique et, dans le pire des cas, la mort. Il est très difficile d’estimer à l’avance quand cela se produira. C’est la La protection de la biodiversité, la lutte contre le changement même chose pour la Terre. Elle peut compenser longtemps, mais climatique et la protection de la santé doivent donc être inté- à un moment donné, on arrive à un point de basculement. grées dans tous les processus décisionnels importants ? Au 21e siècle, la formule qui prévaut est la suivante : protection N’est-il pas trop tard ? du climat égale protection de la biodiversité égale protection de Nous avons l’énorme privilège – ou le grand fardeau – d’être la l’environnement égale protection de la santé. L’Organisation première génération à connaître le diagnostic. Et nous sommes mondiale de la santé en appelle à ce que la santé soit intégrée l’une des dernières générations à avoir encore une marge de dans tous les domaines politiques : « Health in all policies ». Il manœuvre pour changer les choses. Nous avons encore des nous faut donc tenir compte des impératifs sanitaires dans tous atouts en main et il faut dire aux gens de ne pas se décourager. les domaines, dans l’économie, l’aménagement du territoire, etc. À tous ceux qui ont pris conscience de l’urgence de la situation Et puisque la santé et les changements environnementaux mon- et qui agissent, je dirais de ne pas baisser les bras, car nous pou- diaux sont si indissociables, j’ajouterais le mot « Planetary », vons faire quelque chose ! c’est-à-dire « Planetary Health in all policies ». BETTINA EPPER, rédactrice en cheffe adjointe du Magazine Pro Natura. Pro Natura Magazine 2 / 2022
8 dossier « Faire de l’exercice dans un espace vert en fournissant un effort normal est le meilleur des anti-stress. » Du vert diversifié plutôt que du béton gris Les espaces verts en ville offrent un habitat à de nombreuses espèces, contribuent à la pureté de l’air, atténuent le bruit et créent des oasis de fraîcheur. Ils nous aident également à rester en bonne santé. L’être humain évacue le stress et se détend en sortant dans la na- fique de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le ture. Pas seulement en forêt ou en montagne, mais aussi dans les paysage (WSL), elle mène différentes recherches sur le paysage espaces verts urbains. Nous en faisons toutes et tous l’expérience et les espaces de détente. Quand on vit à proximité d’espaces au quotidien et des décennies de recherche scientifique l’ont éga- verts attrayants, on bouge par exemple davantage. Et quand on lement prouvé. C’est dans les années 1980 que les scientifiques fait de l’exercice, on est non seulement en meilleure forme phy- se sont penchés pour la première fois sur le lien entre le contact sique mais aussi plus détendu et moins stressé. « Si l’on mesure avec la nature et la santé. Une étude américaine avait alors éta- le taux de cortisol, l’hormone du stress, on constate que l’activi- bli que les patients d’un hôpital qui voyaient une cour intérieure té physique dans la nature est le meilleur moyen de réduire le verdoyante de leur fenêtre se rétablissaient plus vite et avaient stress en fournissant un effort normal », explique Nicole Bauer. moins besoin d’analgésiques. En outre, les personnes qui bougent à l’extérieur ont plus de Les avantages d’une nature biodiversifiée sur la santé se ma- contacts sociaux, un facteur de bien-être important. nifestent déjà à très petite échelle, puisqu’ils sont visibles sur le On n’est pas obligé de faire du jogging dans un parc ou de se microbiome, c’est-à-dire l’ensemble des micro-organismes coloni- promener au bord d’un lac. Le jardinage a également un effet po- sant un être humain. L’environnement bactérien influence le mi- sitif sur la santé. « Nous avons mené une étude dans des jardins crobiome : plus les bactéries sont diversifiées, plus le microbiome familiaux en nous demandant dans quelle mesure le nombre l’est aussi, avec pour effet de renforcer le système immunitaire. d’espèces végétales présentes dans les jardins influait sur la dé- tente ressentie. » Résultat : plus il y a de plantes différentes, plus Un formidable anti-stress la détente est sensible. Mais la nature peut faire bien plus, comme le souligne la psycho- Les espaces verts sont particulièrement importants pour les logue de l’environnement Nicole Bauer. Collaboratrice scienti- enfants. Ainsi, une étude montre que les enfants des écoles dis- Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier 9 cole Bauer. « On peut y arriver même dans les villes denses, par exemple en créant des espaces pour jardiner. Des pistes cyclables et des chemins piétonniers attrayants et végétalisés jouent égale- ment un rôle important. Les villes ont besoin de ce type de cor- ridors verts. » Marco Moretti, biologiste au WSL : « Les villes doivent prendre leurs responsabilités et apporter leur contribution à la protection des espèces et de la biodiversité. » Mais attention : « Le tout n’est pas d’avoir de la verdure. Nous avons surtout besoin d’une végétation biodiversifiée qui offre des habitats variés et de la nourriture aux animaux. » Cela nécessite une planification soi- gneuse. « Il faut planter les bonnes espèces, ne pas les choisir uni- quement en fonction de facteurs esthétiques. Mettre des fleurs sans nectar ni pollen n’apporte rien aux abeilles. » Il est égale- ment essentiel de ne pas se contenter de créer des îlots de ver- dure, mais de les relier entre eux. « Ce genre de corridors de bio- diversité devraient s’étendre comme des veines à travers la ville. » Adobe Stock / Artinun En outre, il est nécessaire que les villes tiennent compte de leur environnement. « Si une ville se trouve à proximité d’une zone humide, il faudrait également y aménager des habitats humides. » Cependant, Marco Moretti estime que les villes et les com- munes ne sont pas les seules à devoir agir. Les grandes jardine- ries jouent aussi un rôle important. « Nombre d’entre elles tra- vaillent sur la base de structures identiques, elles utilisent les mêmes plantes, tout devient uniforme. Elles devraient se diver- sifier beaucoup plus. » Enfin, les particuliers sont également sol- licités. « Ils peuvent aussi contribuer à la biodiversité dans leurs jardins ou sur leurs balcons. » BETTINA EPPER. posant de cours de récréation végétalisées présentaient une ten- sion artérielle plus basse et arrivaient mieux à se concentrer après la récréation que ceux qui avaient une cour de récréation dépourvue de végétation. « Il existe également des études sur le Adobe Stock / mimagephotos fait que les enfants jouent différemment dans une cour végétali- sée : ils sont plus coopératifs et se disputent moins. » Les espaces verts urbains ont même la capacité d’influer sur le taux de criminalité. En effet, des chercheurs de Chicago ont comparé deux zones résidentielles avec des logements sociaux. L’une avec des espaces verts, l’autre sans. Plus l’environnement était vert, moins il y avait de délits. « Cela s’explique probable- ment par le fait qu’on est plus détendu dans un espace vert », précise Nicole Bauer. « Mais aussi par le fait que les gens se tiennent plus volontiers dehors dans un environnement agréable. » Do it yourself ! « Nous avons besoin d’espaces verts biodiversifiés » Vous souhaitez faire quelque chose pour la biodiversité dans votre jardin ou sur votre balcon ? Vous trouverez de nombreux conseils Les objectifs sont clairs : les villes doivent se faire plus biodiver- et astuces sur : www.pronatura.ch/fr/trucs-astuces-nature sifiées, plus vertes. « Plus il y a de vert, mieux c’est », affirme Ni- Pro Natura Magazine 2 / 2022
10 dossier « Près de la moitié des médicaments autorisés à ce jour n’existeraient pas sans l’étude de la nature. » Participation aux bénéfices La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) stipule qu’en cas d’utilisation de ressources génétiques ou de savoirs traditionnels associés, une par- tie des bénéfices doit être reversée aux détenteurs de ces savoirs traditionnels ou aux pays d’origine des ressources génétiques. La mise en œuvre de ce partage des bénéfices a été précisée en 2010 dans le Protocole de Nagoya et ratifiée par la plu- part des parties à la CDB, y compris la Suisse. Cependant, les génomes de ces orga- Picture Alliance / Gercke nismes peuvent aujourd’hui être décryptés et transmis sous forme d’« informations séquentielles numériques » (ISN) sans aucun partage des bénéfices. De nombreux pays du Sud et des ONG souhaitent donc que les ISN soient également réglemen- tées par la CDB et le Protocole de Nagoya. Or, le lobby pharmaceutique suisse et la Confédération s’y refusent. Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier 11 Naturellement sain Picture Alliance / Hecker La biodiversité favorise la santé de manière très directe, en nous fournissant des médicaments issus de substances naturelles. Mais la pharmacopée Les plantes sauvages et le savoir traditionnelle est menacée. traditionnel ne sont pas brevetables Les substances naturelles sont extrêmement intéressantes pour la médecine. « Les molécules issues de plantes, d’animaux ou de micro-organismes ont un énorme potentiel médicinal », explique Andreas Lardos. « Du fait de l’évolution, tous les êtres vivants ont, dans une certaine mesure, des structures similaires. Les com- posants qui servent de défense ou de protection à la plante pré- sentent souvent aussi un effet médicinal chez l’être humain. » Mal- gré cela, l’industrie pharmaceutique mise plutôt sur des molécules synthétiques. Cela s’explique notamment par la complexité du droit des brevets pour les substances actives végétales, en particulier lorsque celles-ci sont liées à un savoir traditionnel. Les grandes entreprises pharmaceutiques hésitent donc à investir des millions dans le développement de médicaments à base de substances naturelles. Quant aux petites et moyennes entreprises, elles n’ont pas assez de capitaux. Les hommes de l’âge de pierre le savaient déjà : les plantes plications médicales mais aussi comme produits de bien-être et peuvent rendre la santé. « Aujourd’hui comme hier, la majeure de beauté. Certaines plantes sont cultivées spécialement dans ce partie de l’humanité dépend de la médecine traditionnelle pour but mais cela n’est pas toujours possible. C’est ainsi qu’une très les soins médicaux de base, et celle-ci repose en premier lieu sur grande partie des plantes utilisées en médecine sont encore cueil- des principes actifs végétaux », souligne l’ethnopharmacologue lies dans la nature. Il n’est pas rare que cela entraîne une sur Andreas Lardos, directeur du groupe Chimie des substances na- exploitation de ces ressources. Au moins existe-t-il maintenant des turelles et phytopharmacie à la Haute école des sciences appli- directives et des normes légales qui ont pour but une cueillette quées de Zurich (ZHAW). durable des plantes médicinales et la protection de la biodiversi- Dans ce contexte, la médecine basée sur la nature joue un té en général. Malgré tout, le problème persiste « et nous sommes rôle plus important que beaucoup ne l’imaginent. « Près de la mis au défi d’y trouver des solutions », relève Andreas Lardos. moitié des médicaments autorisés à ce jour n’existeraient pas sans l’étude de la nature. » Environ 25% de tous les médicaments Une course que nous devons gagner sont directement issus de substances naturelles comme les La destruction progressive de la nature et sa surexploitation n’en- plantes, les champignons, les micro-organismes ou les animaux, traînent pas seulement la disparition d’une multitude de plantes. ou de leurs dérivés. Vingt-cinq autres pour cent sont certes syn- Les peuples indigènes et leurs langues disparaissent en même thétiques, mais inspirés de substances naturelles. temps que leur habitat naturel, et avec eux leurs connaissances médicinales sur les plantes, qui ne sont transmises que par voie Un potentiel à protéger orale. Les ethnobotanistes s’efforcent de documenter ce savoir et Il est impossible de chiffrer avec précision le nombre d’espèces de le préserver « mais c’est une course contre la montre ». végétales utilisées à des fins médicales : selon les estimations, Une course que nous devons absolument gagner, car le dé- elles seraient environ 20 000. Et il existe de nombreuses autres clin de la biodiversité représente une perte importante pour la plantes potentiellement intéressantes mais encore inconnues – médecine, donc pour l’humanité. Selon Andreas Lardos, il est dif- que personne ne découvrira peut-être jamais, car la biodiversité ficile d’estimer l’étendue réelle de cette perte mais « il ne faut pas ne cesse de régresser. sous-estimer son ampleur ainsi que les conséquences éventuelles L’un des problèmes réside dans le boom que connaissent ac- qui en découlent pour la médecine. » tuellement les plantes médicinales. Non seulement pour des ap- BETTINA EPPER. Pro Natura Magazine 2 / 2022
12 dossier « Passer du temps en forêt est un véritable bain de jouvence physique, émotionnel et spirituel. » Le bain de forêt, une immersion salutaire dans une mer de verdure Carine Roth pratique les bains de forêt depuis une dizaine d’années. Elle se met au service de la thérapie par la nature comme une guide et non comme une soignante, car c’est « la nature qui guérit ». Immersion en forêt pour un moment hors de la frénésie quotidienne, les sens en éveil. « La nature est ma religion. Les arbres et la forêt sont mes cathé- s’enthousiasme Carine alors que nous commençons notre marche drales. » Ces propos, Carine Roth aurait pu les tenir, elle qui à la rencontre des arbres. consacre une grande partie de son temps à la nature, et particu- lièrement à la forêt comme source de thérapie et de bien-être. « La Sentir battre le pouls de la forêt… nature a toujours été présente dans mon existence. Enfant, je La sylvothérapie, appelée shinrin-yoku au Japon, est reconnue jouais tout le temps dehors. Au fil des années, j’ai senti un réel depuis 1982 comme une médecine préventive dans ce pays. Pas appel de la forêt », raconte Carine. besoin d’avoir le pied marin pour faire un bain de forêt. Cette Lorsque nous nous retrouvons dans cette forêt des Bois du Jo- « médecine de la forêt » nous invite toutes et tous à nous rappro- rat dans les hauts de Lausanne, l’hiver n’a pas encore dit son der- cher de la nature et de son harmonie. Les arbres sont les seuls nier mot. Les chemins forestiers sont encore gelés, glissants, la êtres vivants à nous dépasser dans l’espace et dans le temps. Une neige tapisse çà et là le sous-bois. Le soleil tape, puissant, il em- réalité qui nous permet de retrouver notre véritable place. brase la cime des arbres et nous caresse le visage. « Voilà… sens… L’art des bains de forêt consiste à se relier aux arbres, aux vé- ressens… Même sans y prêter attention, la nature s’impose à toi. gétaux, à « embrasser » la nature par l’intermédiaire de nos sens. Tu en fais partie, et c’est tellement précieux de le savoir », « Ecouter le chant des oiseaux, le bruissement du vent dans les Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier 13 Adobe Stock / PhotoIris2021 Dans la nature – avec respect ! La nature fait du bien et offre un espace pour les activités de loisirs. Mais n’oubliez pas de la traiter avec respect. Soyez particulièrement attentifs aux points suivants : • Informez-vous au préalable sur les zones protégées et les règles en vigueur. • Restez sur les chemins, les routes et les sentiers. • Ne dérangez pas les animaux sauvages et ne cueillez pas de plantes protégées. • N’allumez de feu que dans les endroits prévus à cet effet et ne laissez pas de déchets derrière vous. Vous trouverez d’autres conseils pour des sorties dans la nature sur : www.pronatura.ch/fr/activites-de-loisirs feuilles. Regarder les nuances de vert, les rayons du soleil pas- rejetées par les arbres, on constate aussi une réduction de la pres- sant à travers les branches. Sentir le parfum de la forêt, respirer sion artérielle, une baisse du taux de glycémie, une amélioration les substances aromathérapeutiques naturelles des phytoncides. de la concentration et de la mémoire, mais aussi de la santé Goûter la fraîcheur de l’air en inspirant profondément. Prendre cardiovasculaire et métabolique. un arbre dans ses bras : le plaisir d’une balade en forêt est tou- « La forêt est comme notre mère, un lieu sacré, un cadeau du jours intense, car depuis la nuit des temps, notre corps et notre divin à notre intention, nous les êtres humains. Passer du temps cerveau sont faits pour vivre en symbiose avec la forêt, même si en forêt est un véritable bain de jouvence physique, émotionnel nous l’avons en grande partie oublié avec notre vie citadine », et spirituel. Les personnes que j’accompagne en forêt en re- poursuit Carine. viennent transformées. Voir que le lien entre l’être humain et la nature n’est pas rompu m’amène beaucoup d’espoir », conclut …pour être en meilleure santé notre guide. Les vertus de cette médecine douce sont multiples et démontrées FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN, rédactrice romande scientifiquement : outre un système immunitaire renforcé pour du Magazine Pro Natura. les « baigneurs » qui font le plein de phytoncides, ces molécules www.ceuxdici.ch Pro Natura Magazine 2 / 2022
14 dossier « Un avenir sain pour les êtres humains et une planète en bonne santé vont de pair. » Picture Alliance / Ohde Davantage de biodiversité – pour notre santé également La biodiversité est fortement menacée et, avec elle, c’est notre santé et celle des générations futures qui sont en danger. En Suisse aussi, il est urgent d’agir. Le contre- projet du Conseil fédéral à l’Initiative biodiversité est un premier petit pas dans ce sens. Un environnement sain et diversifié est essentiel à la survie de Mais cela ne semble pas intéresser grand monde. Du moins ne l’être humain. Tel était déjà le propos du documentaire « Des sommes-nous pas assez conscients de l’ampleur de la crise. Bien abeilles et des hommes » (More than honey) du cinéaste suisse des gens ne se rendent pas compte qu’un nouveau recul de la Markus Imhoof, sorti en 2012. Ce vibrant plaidoyer en faveur des biodiversité aura des conséquences au moins aussi graves que le abeilles mettait en évidence les liens existants entre une planète réchauffement climatique. saine et un avenir viable pour l’être humain. Les appels à l’action ne sont pas entendus. Nous avons aus- si tendance à montrer les autres du doigt et à attendre qu’ils La Suisse en queue de peloton agissent avant nous. Pourtant, la nécessité d’agir est particuliè- La biodiversité est essentielle à la santé de notre planète et nous rement grande en Suisse. Parmi les pays industrialisés, nous oc- aurions tout intérêt à en prendre soin. Or nous assistons actuel- cupons une première place peu glorieuse en ce qui concerne la lement à une extinction des espèces qui remet sérieusement en proportion d’espèces menacées. Il est tout aussi inquiétant que, question la viabilité de notre société. Les scientifiques parlent parmi 38 nations européennes, la Suisse présente la plus faible même de la sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre. proportion de surfaces naturelles protégées. Pro Natura Magazine 2 / 2022
dossier 15 L’Initiative biodiversité déposée en 2019 par Pro Natura, BirdLife Suisse, Patrimoine suisse et la Fondation suisse pour la protec- tion et l’aménagement du paysage demande plus d’argent et d’es- pace pour la biodiversité en Suisse. Ce sont deux revendications à propos centrales pour que la Suisse ne reste pas à la traîne en matière de promotion de la biodiversité et puisse enfin mettre en œuvre La santé : une autre bonne raison ses engagements internationaux dans le cadre de la Convention de protéger la nature sur la biodiversité. Huit millions d’espèces ont été décrites à ce jour dans le monde et Un premier pas dans la bonne direction jusqu’à un million d’entre elles sont menacées d’extinction. En Le Conseil fédéral a mis en consultation une révision de la Loi Suisse, plus d’un tiers des espèces de plantes, d’animaux, de cham- sur la protection de la nature et du paysage (LPN) en guise de pignons et de lichens sont menacées. La pression sur les milieux contre-projet indirect à l’initiative. Il reconnaît ainsi la grande né- naturels encore proches de l’état naturel ne cesse d’augmenter et les cessité d’agir, ce dont on ne peut que se réjouir. L’accueil majo- éventuelles améliorations ne sont que ponctuelles. Nous traversons ritairement positif réservé au contre-projet par les partis, les as- une crise majeure de la biodiversité. sociations et les institutions est également encourageant. Du Il existe pourtant une foule de bonnes raisons de protéger la bio- point de vue des promoteurs de l’Initiative biodiversité, c’est un diversité. Il y a d’abord l’amour de la nature. Quel bonheur de se premier pas dans la bonne direction, mais un pas bien trop pe- promener en forêt au printemps, d’entendre le chant d’une alouette tit. Dans notre prise de position, nous demandons des mesures des champs ou de sentir une prairie fleurie bourdonner et bruire de plus complètes, plus efficaces et pouvant être mises en œuvre ra- tout un petit monde de vie. Et la diversité biologique ne mérite-t-elle pidement. Il est décisif de sauvegarder sans délai les surfaces pas d’être protégée simplement parce qu’elle est là, fruit de l’évolu- riches en biodiversité encore existantes, de développer les sur- tion ou de la création ? faces à fort potentiel de biodiversité ainsi que leur mise en ré- Il y a encore un autre argument important en faveur de la pro- seau. L’objectif du Conseil fédéral en matière de surface reste tection de la nature : il faut la protéger parce que cela va dans notre quantitativement et qualitativement en deçà des besoins réels. intérêt. Notre bien-être dépend dans une large mesure de la bio En mars, le Conseil fédéral publiera son message sur la révi- diversité et du bon fonctionnement des écosystèmes. Ils fournissent sion de la LPN. Nous sommes impatients de voir quelles conclu- les bases d’une alimentation saine et des substances actives pour sions il tirera des réponses à la consultation. La phase parlemen- nos médicaments, décomposent les polluants et nous approvi- taire décisive suivra dès le printemps. Nous verrons alors si la sionnent en eau potable. Ils jouent un rôle de tampon contre le majorité du Parlement pose les jalons politiques qui permettront changement climatique et nous protègent des catastrophes environ- à la Suisse d’assumer sa part de responsabilité pour sortir de la nementales. crise mondiale de la biodiversité. Le fait que, dans le même La nature a également une influence positive majeure sur notre temps, d’autres interventions politiques soient déposées en vue santé psychique et physique : au contact de celle-ci, la mortalité due d’affaiblir les acquis actuels de la législation sur la protection de aux maladies cardiovasculaires diminue et le vieillissement cognitif la nature ne laisse pas présager que du bon. Nous restons mobi- est ralenti. Les personnes qui passent régulièrement du temps dans lisés, avec nos organisations partenaires. la nature sont moins sujettes au stress, à la fatigue, à l’anxiété et à URS LEUGGER-EGGIMANN est secrétaire central de Pro Natura. la dépression, augmentent leur attention, réduisent leur risque d’obésité et sont plus détendues. Le rythme cardiaque, la pression artérielle, les taux de vitamine D et de cortisol sont influencés positi- vement, certains types de diabète sont moins fréquents et la fonc- Prouvé scientifiquement tion immunitaire est améliorée. Dans les agglomérations, les espaces La biodiversité est un important facteur de verts renforcent la cohésion sociale et influent positivement sur le santé, comme le prouvent de nombreuses développement des enfants. études scientifiques. L’Académie des sciences naturelles (SCNAT) en a analysé La nature a un grand potentiel préventif et thérapeutique, que un grand nombre et a publié ses conclu- la recherche commence seulement à mettre en évidence. C’est là sions dans une fiche d’information com- un argument de poids pour tout mettre en œuvre afin d’enrayer plète : le déclin de la biodiversité. www.scnat.ch/fr/publications/ > Swiss Academies Factsheets > 2019 > DANIELA PAULI est membre du comité central de Pro Natura « La biodiversité, gage de santé ? » et responsable du Forum Biodiversité. Pro Natura Magazine 2 / 2022
16 rendez-vous Christian Flierl Pro Natura Magazine 2/ 2022
rendez-vous 17 « Les vaches ne peuvent pas simplement changer leurs organes digestifs » Qu’est-ce qui fait le bonheur des ruminants ? Cette question, l’ingénieure agronome Anet Spengler Neff n’a eu de cesse de se la poser pendant toute sa carrière. La réponse dessine la voie d’une agriculture durable, qui profite aussi à la biodiversité. « Regarde comme les animaux s’approchent nières années en matière de stabulation, non à l’efficience des pratiques d’élevage, spontanément de nous ! » Lors de notre vi- comme l’atteste notre ingénieure agro- mais au bien-être des animaux de rente. Si site à la ferme de l’Institut de recherche de nome, qui élève elle-même des moutons cela grève les comptes des agriculteurs, l’agriculture biologique (FiBL) à Frick en dans le canton de Bâle-Campagne. c’est à la société et à la politique de créer Argovie, plusieurs moutons d’Engadine se les conditions nécessaires à la viabilité des précipitent à notre rencontre, curieux de Ne pas porter atteinte à la dignité exploitations. faire connaissance. Pour Anet Spengler Lorsque l’on parle d’élevage respectueux Aujourd’hui déjà, le bien-être animal Neff, codirectrice du groupe élevage d’ani- des animaux, on oublie fréquemment un n’est nullement incompatible avec la ren- maux, c’est signe que les animaux de rente domaine pourtant essentiel, la nourriture. tabilité. Une étude d’Agroscope montre que peuvent se plaire en présence des humains. « Les bovins ont toujours mangé de l’herbe les vaches nourries exclusivement à « Cette coexistence est bénéfique aux et des plantes, et on le voit à leur anato- l’herbe, qui fournissent une performance deux parties », constate l’ingénieure agro- mie : d’une extrémité à l’autre de leur sys- laitière moyenne, génèrent davantage de nome. Pour les animaux, elle est syno- tème digestif, leurs organes sont conçus revenus pour les paysans que l’élevage de nyme de sécurité et d’alimentation abon- pour métaboliser des fourrages grossiers. » bêtes ultraproductives avec affouragement dante, pour les êtres humains de nourri- Dans l’agriculture conventionnelle et à l’étable. Certes, les quantités de lait sont ture. Mais aujourd’hui, ce pacte est rompu. industrialisée, les bovins sont trop souvent moindres, mais il n’y a pratiquement pas Quantité d’animaux de rente sont élevés bourrés de fourrages concentrés, céréales besoin d’acheter du fourrage concentré et dans des conditions qui ne tiennent pas et soja, afin de fournir les plus hauts ren- il faut moins de machines, pour des bêtes compte de leurs besoins. Pour Anet Spen- dements en un temps record. Pour Anet en meilleure santé, et sans doute plus heu- gler-Neff, c’est à l’être humain de prendre Spengler Neff, « ce type d’alimentation reuses. ses responsabilités pour rétablir l’équilibre. porte atteinte à la dignité des animaux, car il est impossible pour eux de modifier leurs Promouvoir la biodiversité Créer des possibilités de fuite organes ». En témoigne l’espérance de vie Pour Anet Spengler Neff, une agriculture À quoi ressemble cet équilibre dans l’éle- réduite de ces bovins élevés dans le souci respectueuse de l’environnement est né- vage ? La grande étable en stabulation libre de la performance maximale. cessairement aussi respectueuse des ani- du FiBL est un exemple. Elle comporte des Quel serait le menu idéal des bovins ? maux. Si les terres arables étaient utilisées couloirs et des mangeoires de belle taille, Pour le savoir, le département du FiBL dé- uniquement pour nourrir la population des aires de repos ouvertes, des logettes sé- dié aux animaux de rente investigue dès ce humaine et non pour produire des four- curisées et un secteur où les vaches printemps dans un « pâturage laboratoire ». rages destinés au bétail, les cheptels, sur- peuvent se faire traire par un robot. « L’im- Les vaches qui y paissent peuvent se dé- tout de porcs et de volailles, diminueraient portant, c’est de prévoir des issues pour les placer entre différentes parcelles dont la fortement, faisant baisser les émissions vaches de rang inférieur lorsqu’elles sont couverture végétale varie : les vaches lai- d’azote et de gaz à effet de serre, actuelle- pourchassées par des congénères plus éle- tières broutent à leur guise et se composent ment bien trop hautes. Les vaches parti- vées dans la hiérarchie. » un menu diversifié. Une liberté inacces- cipent en revanche à l’entretien des Parmi ces vaches tachetées et pourvues sible à de nombreux bovins, qui n’ont droit pâturages et des surfaces riches en biodi- de leurs cornes se trouve toujours un tau- qu’à des fourrages concentrés et de mono- versité qui stockent le carbone. Accusés reau. Les veaux passent les deux premières tones rations mélangées à base d’ensilage. aujourd’hui de détruire le climat, les rumi- semaines de leur existence dans le trou- Les recherches qu’Anet Spengler-Neff nants peuvent devenir des champions de peau, puis sont progressivement séparés mène depuis plusieurs années s’orientent la biodiversité, s’ils sont élevés dans les dans une aire voisine, mais continuent à dans une direction bien précise : convain- règles de l’art. avoir accès deux fois par jour à leurs mères. cue que « le plus important, c’est que les RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef du De gros progrès ont été accomplis ces der- bêtes aillent bien », elle accorde la priorité Magazine Pro Natura. Pro Natura Magazine 2 / 2022
18 en bref Blickwinkel / Held Les arbres des forêts souffrent longtemps des vagues de chaleur Les forêts ont souffert de la canicule de épicéas sont morts. La sécheresse et la cha- l’été 2018. Des analyses menées par une leur posent surtout problème aux endroits équipe internationale de chercheurs avec où les sols ont une faible capacité de réten- la participation de l’Institut fédéral de re- tion d’eau et là où les espèces plantées ne cherches sur la forêt, la neige et le paysage sont pas adaptées aux conditions clima- (WSL) montrent dans quelle proportion. tiques ou locales. De nombreux arbres ont subi un rétrécis- Grâce à leurs études, les chercheurs sement record de leur tronc durant l’été espèrent mieux comprendre les effets des 2018, les espèces de conifères étant les plus vagues de chaleur et identifier les espèces touchées. Malgré cela, la croissance des qui pourraient être plus vulnérables aux Les bouleaux peuvent absorber des métaux lourds et des microplastiques dans leurs tissus. arbres a été globalement peu affectée extrêmes climatiques. epp en 2018. Cependant, ce sont les années Biosphoto / Lenain suivantes que les conséquences de cet été Assainissement du caniculaire se firent sentir. L’épicéa, peu résistant à la sécheresse, sol par les arbres a particulièrement souffert. Après 2018, la croissance des épicéas a diminué, les Le sapin rouge souffre beaucoup du Les arbres permettent d’assainir les sols arbres affaiblis se sont montrés plus vulné- changement climatique et fera ses adieux pollués par les microplastiques. C’est le ré- rables au bostryche et de nombreux aux zones de basse altitude. sultat d’une étude de l’Institut Leibniz en Allemagne. Des recherches ont montré que le bouleau d’Europe (Betula pendula) ab- sorbait les microplastiques dans ses tissus Un poisson sur cinq via ses racines. meurt dans une turbine Le bouleau pleureur est déjà utilisé pour assainir les sols contaminés, car il En moyenne, 22,3% des poissons sont sons dits potamodromes – les poissons de peut stocker des polluants industriels et tués ou gravement blessés au niveau des rivière se déplaçant sur de longues dis- des métaux lourds dans ses tissus. Les mi- centrales hydroélectriques. C’est ce que tances comme le barbeau ou le hotu – sont crobes qui colonisent les arbres peuvent montrent les recherches effectuées par une particulièrement menacées. En outre, les décomposer les hydrocarbures et les mé- équipe de l’Institut Leibniz (Allemagne) gros poissons ont un risque de mortalité taux lourds. De plus, cette espèce d’arbre pour l’écologie des eaux et la pêche en eau plus élevé que les petits. Le type de turbine s’enracine peu profondément sous la sur- douce. Les données nécessaires ont été re- joue également un rôle décisif : les turbines face du sol, là où les sols sont les plus pol- cueillies lors de tests sur 122 sites hydro- à faible vitesse de rotation et les roues lués par les microplastiques. C’est pour- électriques de 15 pays. Elles concernent hydrauliques sont moins néfastes que la quoi elle a été choisie pour les études. plus de 275 000 poissons de 75 espèces. plupart des turbines conventionnelles. Les conséquences de l’absorption de Selon les scientifiques, les espèces de Les installations les plus sûres sont microplastiques sur la santé des arbres à poissons ayant un comportement migra- celles qui empêchent les poissons de péné- court et à long terme doivent encore être toire marqué, comme le saumon ou l’estur- trer dans les turbines grâce à des disposi- étudiées, fait savoir l’Institut Leibniz. Mais geon, mais aussi les populations de pois- tifs modernes de montaison et de dévalai- en principe, l’étude pilote indique un réel son. Toutefois, même les installations mé- Blickwinkel / Hartl potentiel de dépollution des sols. nageant les poissons peuvent avoir des ré- Plus de 400 millions de tonnes de plas- percussions négatives sur les écosystèmes tique sont produites chaque année dans le fluviaux dans leur ensemble, par exemple monde. On estime qu’un tiers des déchets en empêchant le transport des sédiments plastiques se retrouve dans les eaux et en- Le barbeau souffre lui aussi ou en interférant avec le régime d’écoule- core plus souvent dans les sols. raw du morcellement des rivières. ment naturel. epp Pro Natura Magazine 2 / 2022
en bref 19 Biosphoto / Weenink 600 millions d’oiseaux disparus Les populations d’espèces dites communes, comme le moineau domestique, sont également en net recul. Une analyse des données du programme Il est frappant de constater qu’un grand oiseaux dans la deuxième moitié de la européen de surveillance des oiseaux indi- nombre des espèces concernées vivent période d’étude. gènes de l’UE montre un déclin drama- dans les zones cultivées. Cela n’a guère Un autre projet de recherche mené au tique de la population d’oiseaux entre 1980 surpris les chercheurs : il est désormais niveau international a mis en lumière et 2017. Ce sont surtout les espèces com- prouvé qu’une agriculture intensive en- qu’en Amérique du Nord et en Europe, le munes comme le moineau domestique qui traîne un recul de la biodiversité. On a gazouillis des oiseaux était devenu moins ont enregistré un recul important, avec la également remarqué que la majorité des sonore et moins varié au printemps. En disparition de 247 millions d’individus, baisses enregistrées s’était produite durant Allemagne, par exemple, l’alouette des suivies par la bergeronnette printanière la première moitié de la période d’étude. champs et le vanneau huppé se font plus (moins 97 millions), l’étourneau sansonnet C’est dû aux succès des programmes de rarement entendre. Les paysages agricoles (75 millions) et l’alouette des champs promotion des espèces et des directives de sont particulièrement concernés, ce qui (68 millions). l’UE, qui auraient favorisé de nombreux n’est pas une surprise. epp Réduire les émissions et renforcer la biodiversité : le GIEC lance un appel à la communauté internationale « Retarder l’action climatique réduit drasti- et la sécurité alimentaire diminue. A partir d’exploiter les opportunités offertes par quement les chances d’un avenir viable. » de 2040, ces risques se multiplieraient en l’urbanisation. C’est sur ces mots très clairs que se ter- fonction de l’intensité du réchauffement Le GIEC lance donc un appel urgent à mine le dernier rapport du Groupe d’ex- climatique. la communauté mondiale pour qu’elle ac- perts intergouvernemental sur l’évolution Pour y remédier, le GIEC demande une célère le rythme des mesures. Car les ef- du climat (GIEC). réduction urgente des émissions de CO2. forts entrepris jusqu’ici ne suivront pas le Dans leur analyse détaillée, les 270 au- Parallèlement, il s’agirait d’augmenter ra- rythme des effets du changement clima- teurs montrent que le changement clima- pidement ce que l’on appelle la résilience tique. « Avec la poursuite du réchauffe- tique affecte déjà les êtres humains et la climatique, c’est-à-dire la capacité de résis- ment, les risques se multiplient et la capa- nature dans le monde entier. Ainsi, la moi- tance aux conséquences du changement cité d’adaptation de l’être humain et de la tié de la population mondiale souffre climatique. Pour cela, le GIEC estime que nature est de plus en plus dépassée », régulièrement de graves pénuries d’eau. la biodiversité et les écosystèmes doivent selon le communiqué de presse. raw En outre, certaines maladies se multiplient être renforcés. Le GIEC propose en outre Les loups réduisent les accidents de voitures En Suisse, on dénombre chaque année Les scientifiques de la Wesleyan University dommages économiques causés par les at- près de 20 000 accidents dus au gibier sur ont analysé les accidents de la route impli- taques de loups sur des animaux de rente. les routes et les voies ferrées, soit un coût quant des animaux sauvages et les dépla- Les chercheurs ont découvert un autre de plus de 50 millions de francs. Les loups cements de loups dans l’Etat américain du avantage des loups sur le plan écono- pourraient contribuer à réduire ces coûts, Wisconsin et ils ont constaté que les acci- mique : leur présence modifie le compor- comme le montre une étude scientifique dents avec des chevreuils étaient en tement des chevreuils, ce qui permet réalisée aux Etats-Unis : les accidents de la moyenne 24 % moins fréquents dans les également de réduire les atteintes aux route impliquant des chevreuils seraient districts où vivaient des loups que dans les cultures et aux forêts. epp moins nombreux lorsque des loups se sont districts sans loups. Il en résulte un béné- réinstallés dans une région. fice économique 63 fois plus élevé que les Pro Natura Magazine 2/ 2022
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