Programmes d'Appui à l'Emploi et Employabilité des Jeunes dans les Secteurs pourvoyeurs d'emplois au Sénégal
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Programmes d’Appui à l’Emploi et Employabilité des Jeunes dans les Secteurs pourvoyeurs d’emplois au Sénégal TSAMBOU André Dumas* Université de Yaoundé II. Email : tsamboudumas@yahoo.fr THIERNO MALICK Diallo Université Gaston Berger de Saint-Louis. Email : malikidiallo@gmail.com FOMBA KAMGA Benjamin Université de Yaoundé II. Email : fomba1@yahoo.fr Auteur Correspondant (*) : tsamboudumas@yahoo.fr Résumé La problématique de l’emploi des jeunes reste une préoccupation majeure au Sénégal. Au cours des dernières années, le pays a mis en œuvre plusieurs programmes visant à lutter contre le chômage et la précarité de l’emploi des jeunes sur le marché du travail. Toutefois, les résultats de ces programmes sont à ce jour peu perceptibles. L’objectif de ce travail est d’évaluer l’impact des programmes d’appui à l’emploi sur l’insertion des jeunes hommes et femmes dans les secteurs d’activité à forte capacité de création d’emploi de qualité. Pour ce faire, nous mettons l’accent sur quatre objectifs spécifiques. Premièrement, nous identifions les secteurs d’activité dans lesquels les jeunes sont principalement employés à partir des données d’enquêtes nationales sur les conditions de vie et l’emploi au Sénégal. Deuxièmement, nous analysons la qualité des emplois occupés par les jeunes dans les secteurs où ils sont davantage employés, en tenant en compte du niveau de sous-emploi visible et invisible et du degré de sécurité et de stabilité de l’emploi. Troisièmement, nous construisons un indice composite de la qualité de l’emploi et déterminons les secteurs d'activité les plus susceptibles de pourvoir d’emplois de qualité en corrigeant les potentiels biais de sélection. Quatrièmement, nous utilisons la méthode d’appariement des scores de propension pour évaluer l’impact des programmes d’appui à l’emploi sur l’accès des jeunes aux secteurs d’activité pourvoyeurs d’emplois de qualité, à l’aide des données d’enquête sur l’amélioration des politiques d’emploi réalisées en 2018 auprès de 2746 individus au Sénégal. Les résultats de l’approche descriptive révèlent que l’essentiel des emplois exercés par les jeunes se concentre respectivement dans l’agriculture, le commerce et l’industrie manufacturière. Cependant, la plupart des jeunes employés dans ces trois secteurs travaillent moins d’heures que la norme et souhaitent en faire plus, et ont des revenus insuffisants les conduisant à chercher un autre travail supplémentaire. En outre, moins de la moitié des jeunes évoluant dans ces trois secteurs dispose d’un emploi régulier et bénéficie d’un système de sécurité sociale dans le cadre de leur emploi. Les résultats de l’approche économétrique révèlent que les jeunes hommes et femmes travaillant dans le secteur du commerce sont plus susceptibles d'avoir des emplois de qualité supérieure, ce qui indique que le secteur du commerce offre de meilleures opportunités d'emploi aux jeunes par rapport aux autres secteurs d’activité. Enfin, nous trouvons que les programmes d'appui à l'emploi permettent aux jeunes bénéficiaires d'accéder à des emplois de meilleure qualité que les non-bénéficiaires. Ces emplois de qualité supérieure obtenus par les jeunes bénéficiaires des programmes d’appui à l’emploi se trouvent principalement dans les secteurs des services et de l'industrie. Les résultats obtenus attestent de la situation précaire des jeunes hommes et femmes sur le marché du travail sénégalais, et de la nécessité de multiplier les programmes d’appui à l'emploi pour améliorer l'employabilité des jeunes dans les secteurs offrant des emplois de qualité. Mots clés : Emploi, Employabilité, Jeunes, Marché du travail, Secteurs pourvoyeurs d’emplois. 1
1 Introduction Les pays africains victimes de la récession économique des années 1987 ont entrepris un certain nombre de mesures qui ont entrainé la suspension des recrutements à la fonction publique, laissant ainsi la place de recrutement au secteur privé quasi inexistant. Cette situation s’est aggravée par les conflits sociopolitiques, les guerres inter ethniques et les guerres civiles qui se sont soldés par la destruction du tissu économique. À cela, s’ajoute le boom démographique qui a fait multiplier la population africaine par 5 entre 1960 et 2020 (UNPD, 2019). Cela étant, l’ampleur de la rupture intervenue dans le rythme de création d’emplois a mis en évidence les faiblesses d’un modèle économique fondé sur la rente, entrainant la flambée du chômage et du sous-emploi des jeunes diplômés (AFDB, 2018). Avec un taux de chômage qui a atteint la barre des 40% dans certains pays africains, l’insertion des jeunes dans un emploi productif devient un défi majeur (UNDP, 2015). Les pays d’Afrique subsaharienne, en particulier, sont également confrontés à de nombreuses difficultés en termes d’emploi. Le marché du travail est caractérisé par une forte précarité avec 72% d’emplois vulnérables et entre 34% et 72% d’emplois informels. Par contre, si le taux de chômage des jeunes est estimé à plus de 12%, une bonne partie (38,1%) des jeunes qui travaillent vivent dans la pauvreté (ILO, 2018). Avec la croissance démographique, ce nombre de travailleurs vivant dans la pauvreté (environ 250 millions) devrait augmenter en moyenne de quatre millions par an (AFDB, 2019). Pour relever le défi de l’emploi des jeunes, de nombreux pays africains dont le Sénégal ont mis en œuvre des programmes actifs du marché du travail visant à relier les jeunes au travail salarié ou indépendant. Dans ce contexte, les politiques d’emploi axées sur le recrutement de jeunes dans la fonction publique et les entreprises publiques ont muté vers les politiques actives d’emploi qui traitent le chômage de manière économique en s’attaquant aux causes du chômage, et les politiques passives d’emploi qui traitent le chômage de manière sociale en s’attaquant aux conditions de vie des chômeurs. Cette mutation qui intègre de nouveaux volets tels que la formation professionnelle, l’intermédiation et l’appui à l’entrepreneuriat, s’est manifestée par la création des services publics donc l’objectif est la lutte contre l’exclusion socio-économique par le marché du travail. Le Sénégal a aussi entrepris plusieurs initiatives pour faire face à la problématique de l’emploi et de l’employabilité des jeunes. Cela s’est traduit par la création de plusieurs agences et fonds dont : l’Agence Nationale de l’Emploi des Jeunes (ANEJ), l’Agence pour l’Emploi des Jeunes des Banlieues (AJEB), l’Agence Nationale d’Appui aux Marchands Ambulants (ANAMA) et le Fonds National de Promotion des Jeunes (FNPJ). Ces initiatives, pour importantes qu’elles soient, se sont révélées peu efficaces, ce qui a conduit à la coordination des actions en faveur de l'emploi des jeunes dans une structure unique appelée Agence nationale pour la promotion de l'emploi des jeunes (ANPEJ)1. Depuis sa création en 2014, on note aussi une prolifération des intervenants avec de multiples programmes qui agissent directement et indirectement sur la politique de l’emploi comme l’agence nationale et de l’encadrement des petites et moyennes entreprises (ADEPME), l’Agence nationale d’insertion et de développement agricole (ANIDA), la délégation de l’entrepreneuriat rapide (DER) et l’Agence pour la promotion et le développement de l’artisanat (APDA), le Programme Formation École-Entreprise, la convention nationale État-Employeurs signée en 1987 renouvelée en 2000 et en 2009. En dépit de ces nombreuses interventions, force est de constater que le chômage et la précarité de l’emploi des jeunes constituent toujours une grande préoccupation, comme en témoigne les statistiques nationales (BIT, 2018 ; PAP, 2019-23 ; ENES, 2017). Un sénégalais sur deux a moins de 18 ans, et les moins 20 ans représentent plus de la moitié (63%) de la population totale 1 Voir Décret n° 2014-25 du 9 janvier 2014. http://www.jo.gouv.sn/spip.php?article10159 2
(UN DESA, 2019). Ces dernières années, le Sénégal a enregistré une croissance du PIB réel supérieure à 5% par an entre 2014 et 2019, ce qui le place parmi les pays les plus performants du continent (Banque Mondiale, 2020). Cependant, malgré ce contexte de croissance rapide, les créations d’emplois demeurent insuffisantes et la qualité des emplois est toujours un problème préoccupant (PAP, 2019-23, p.12). Les statistiques nationales révèlent que le chômage touche davantage les jeunes. Le taux de chômage est de 19,5% chez les jeunes âgés de 20 à 24 ans et 17,5% chez les jeunes âgées de 25 à 29 ans, contre 10% chez les adultes (ENES, 2017). L’analyse de la durée du chômage suivant le niveau d’éducation révèle que les jeunes diplômés du supérieur sont plus frappés par le chômage de longue durée. Viennent ensuite les jeunes diplômés du primaire (62%) et du secondaire (52%). Le pourcentage des jeunes en situation de chômage de longue durée est moins élevé chez les jeunes non instruits (41%), toute chose qui montre que les jeunes diplômés ont plus tendance à rester sans emploi (Document de Politique Nationale de l’Emploi actualisé en 2017, cité par BIT, 2018). Cette situation a priori contre-intuitif pourrait s’expliquer par la tendance des jeunes non-diplômés à rarement décliner les offres d’emploi qui leurs parviennent du fait de leurs faibles prétentions salariales, contrairement aux individus diplômés qui sont plus exigeants. Ceux-ci peuvent être conduits, dans des cas extrêmes, à rester sans emploi. Par ailleurs, cette situation reflète aussi une capacité d’absorption limitée du marché du travail formel. Le marché informel se révèle en réalité plus solvable de par sa plus grande disposition à recruter « ses élèves » en fin d’apprentissage. Selon les estimations, plus de 100 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail sénégalais, mais les possibilités limitées d’emploi formel et décent poussent la plupart d’entre eux à exercer dans le secteur informel (PAP, 2019-23). En effet, la quasi-totalité (90%) des jeunes opèrent dans l’économie informelle où on note généralement une forte précarité des emplois tant dans les conditions de travail que de rémunération (ICEJA, 2014 ; BIT, 2018). L’emploi informel massif et le taux de chômage élevé des jeunes s’explique en partie par la faible adéquation de la formation des jeunes aux besoins du marché (BIT, 2018). Cela s’explique également par le manque de qualifications de la plupart d’entre eux comme en attestent les résultats du Recensement Général de la Population de 2013. Selon ce Recensement, plus de 1,5 million d'enfants âgés de 7 à 16 ans n'ont reçu aucune éducation formelle, que ce soit dans le système français ou franco-arabe, et près de 47% des enfants en âge d'être scolarisés ne sont pas à l’école (ANDS, 2014). Ceci signifie que la plupart des jeunes qui arrivent actuellement sur le marché du travail n'ont jamais été scolarisés, tandis que ceux qui en ont eu la chance, n'ont pas acquis les compétences de base nécessaires avant de quitter l'école. Ainsi, la question de l’emploi des jeunes au Sénégal est loin d’être un défi simple ou unidimensionnel. Elle requiert la mise en œuvre de programmes d’appui à l’emploi bien ciblés et adaptés pour améliorer la situation des jeunes sur le marché du travail. Bien que la littérature existante montre un effet positif des programmes d’appui à la recherche d’emploi sur les indicateurs du marché du travail (Betcherman et al., 2007, Ehlert et al., 2012, Card et al., 2018, Groh et al., 2016, Ibarraran et al., 2014), très peu de travaux ont étudié le cas spécifique des pays africains en général et du Sénégal en particulier (Premand et al., 2016, Crépon et Van Den Berg, 2016; kane et al., 2020). Si la plupart de ces études théoriques et empiriques utilisent une méta analyse sur les sous-ensembles de données disponibles et les types d’intervention spécifiques dans certains pays à revenu faible, la question de l’efficacité des programmes d’assistance à la recherche d’emploi est toujours d’actualité. En outre, ces études, pour importantes qu’elles soient, aboutissent à des résultats divergents quant à l’efficacité des programmes (Attanasio et al., 2011, Chakravarty et al., 2019), et se focalisent peu sur la qualité de l’emploi et les secteurs potentiels pourvoyeurs d’emplois durables et rémunérateurs (Crépon et Van Den Berg, 2016 ; kane et al., 2021). 3
L’objectif de cette étude est d’évaluer l’impact des programmes d’appui à l’emploi sur l’insertion des jeunes hommes et femmes dans les secteurs pourvoyeurs d’emplois de qualité, notamment les secteurs d’activité offrant de meilleures perspectives d’emploi et de revenu aux jeunes arrivant sur le marché du travail. Pour ce faire, nous mettons l’accent sur quatre objectifs spécifiques. Premièrement, nous identifions les secteurs d’activité dans lesquels les jeunes sont principalement employés à partir d’une analyse de type descriptif. Deuxièmement, nous analysons la qualité des emplois occupés par les jeunes dans les secteurs où ils sont davantage employés, en tenant en compte du niveau de sous-emploi visible et invisible et du degré de sécurité et de stabilité de l’emploi. Troisièmement, nous construisons un indice composite de la qualité de l’emploi et déterminons les secteurs d'activité les plus susceptibles de pourvoir d’emplois de qualité aux jeunes présents sur le marché du travail. Quatrièmement, nous évaluons l’impact des différents programmes d’appui à l’emploi mis en œuvre dans le cadre de la convention nationale État-employeur sur l’accès des jeunes aux secteurs d’activité pourvoyeurs d’emplois de qualité. Dans cette étude, le choix est porté sur la Convention Nationale État-Employeurs en raison de la disponibilité des données. L’enquête utilisée a mis l’accent sur ladite Convention car elle constitue l’un des rares instruments de politique d’emploi mis en œuvre depuis des décennies. Jusqu’à nos jours. Elle a été signée pour la première fois en 1987 et a été renouvelée en 2000 puis en 2009. La convention est un cadre de partenariat efficace entre l’État et le Patronat en vue d’assurer une promotion active et régulière de l’emploi des jeunes quel que soit leur lieu de résidence (urbain ou rural). Les principaux groupes cibles sont les jeunes ayant un faible niveau d'éducation (c'est-à-dire les diplômés de l'enseignement secondaire général et de l'enseignement technique et professionnel) et les jeunes ayant un niveau d'éducation relativement élevé (c'est-à-dire les diplômés de l'enseignement supérieur). Ce travail s’articule autour de six sections : la deuxième fait un état lieu sur la problématique de l’emploi des jeunes, la troisième présente la revue de littérature. La quatrième présente les éléments méthodologiques et les résultats statistiques alors que la cinquième présente les résultats économétriques. La dernière présente la conclusion et propose diverses pistes pour la recherche future. 2 État des lieux sur la problématique de l’emploi des jeunes au Sénégal Au Sénégal, les jeunes représentent une frange importante de la population. Environ un sénégalais sur deux a moins de 18 ans et la moyenne d’âge de la population se situe à environ 23 ans (ANSD, 2020). Au lancement du Conseil présidentiel sur l’emploi et l’insertion socio- économique des jeunes en Avril 2021, le président du Sénégal, en parlant de la structure démographique du pays, l’a décrite comme « un défi majeur » pour l’État et pour les centaines de milliers de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Ainsi, si cette jeunesse de la population peut jouer un rôle important dans le développement socio-économique du pays, elle pose également d’énormes difficultés en matière d’emploi. Dans ce contexte, la problématique de l’emploi, de l’employabilité et de l'entrepreneuriat des jeunes occupe une place de plus en plus importante dans le discours politique et économique au Sénégal. Le gouvernement, dans son plan d’émergence, a mis la création d’emplois et l’amélioration des conditions de vie des populations au premier plan de ses priorités politiques (PSE, 2014). Confronté à une crise croissante en matière d’emploi des jeunes qui affecte 4
notamment les jeunes diplômés, l’État a mis en place un important cadre d’intervention chargé de traduire en actions la vision de la politique de l’emploi. Toutefois, les résultats de ces actions sont à ce jour peu perceptibles. Les problèmes liés à l’emploi des jeunes constituent toujours un défi, avec un nombre important de jeunes exposés au chômage ou cantonnés dans des emplois précaires. Cette situation est en partie due à une faible cohérence entre les politiques d’emploi et les politiques de croissance et de développement. En effet, malgré le contexte de croissance rapide sur la période 2014-2019 (Banque Mondiale, 2020), la création d’emplois est restée insuffisante et la qualité des emplois préoccupante (PAP, 2019-23, p.12). Cette situation d’ensemble révèle que pourvoir des emplois de qualité au grand nombre de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail est loin d’être un défi simple. Ainsi, pour fournir aux décideurs politiques une base solide pour la formulation de politiques destinées à améliorer la qualité de l’emploi des jeunes, il convient d’identifier au préalable les secteurs d’activité où les jeunes hommes et femmes sont généralement employés. Notre analyse repose sur l’exploitation de plusieurs enquêtes réalisées par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD). Il s’agit de l’Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages (ESAM- 2002), la première et deuxième enquête de Suivi de la pauvreté (ESPS-2006 -2011) et de l’Enquête Nationale sur l’Emploi au Sénégal (ENES-2015). Nous avons choisi ces enquêtes en raison de leur comparabilité et de leur représentativité nationale. Les trois premières enquêtes sont clairement comparables dans la mesure où leur base de sondage est constituée de la liste des districts de recensement (DR) obtenue à l’aide de la cartographie réalisée dans le cadre du troisième Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2002. L’ENES s’inscrit dans la continuité des enquêtes précédentes. Elle est menée sur l’étendue du territoire national afin de mieux intégrer les questions de travail décent et d'assurance maladie dans le champ d'analyse de l'emploi. Ces préoccupations n’ont pas été systématiquement prises en compte dans ESPS (2006 & 2011) et ESAM (2002). Cela dit, hormis ces quelques spécificités propres à ENES, l'enquête reste comparable, par bien des aspects, à celles qui l’ont précédé. Par ailleurs, de par leur couverture nationale, ces enquêtes permettent d’identifier avec une grande précision les principaux secteurs d’activité où les jeunes sont employés. La répartition des jeunes occupés âgés de 15 à 35 ans par secteur d’activité fait ressortir une nette prédominance de l’agriculture2, quelle que soit l’année d’enquête considérée (voir tableau 1). On observe également une tendance à la hausse du nombre de jeunes engagés dans l’agriculture entre 2002 et 2015, avec un pic d’environ 40% en 2011. Bien que la part des jeunes occupés dans l’agriculture soit en baisse sur la période 2011-2015, l’agriculture reste la catégorie d’emploi la plus importante. En effet, l’emploi agricole représentait près de 30 % de l’emploi total des jeunes en 2015 contre près de 40 % en 2011. La part des jeunes employés dans le commerce a également connu une baisse au fil du temps, mais ce secteur demeure le plus important pourvoyeur d’emplois après l’agriculture. 2 L’Agriculture est définie au sens large et comprend la production agricole, végétale et animale, la chasse et les services connexes, la sylviculture et l’exploitation forestière, ainsi que la pêche et l’aquaculture. 5
Tableau 1 : Répartition en pourcentage des jeunes occupés selon le secteur d’activité, l’année et le sexe Secteurs d'activité 2002 2006 2011 2015 Homme Femme Total Homme Femme Total Homme Femme Total Homme Femme Total % % % % % % % % % % % % Agriculture, Élevage, Forêt et 27,21 25,69 26,64 31,96 34,38 32,78 43,65 41,89 42,92 33,52 31,76 32,82 Pêche Extraction (mine, carrière) 0,95 0,91 0,93 0,54 0,14 0,41 2,34 0,54 1,59 0,56 0,36 0,48 Activités de Fabrication 11,34 5,39 9,12 12,09 5,01 9,69 14,17 4,99 10,37 10,62 6,26 8,89 Eau, Électricité et gaz 1,25 0,16 0,85 0,96 0,38 0,76 0,46 0,02 0,28 0,54 0,02 0,34 Bâtiments et Travaux Publics 11,98 0,32 7,63 10,51 0,73 7,19 6,36 0,37 3,87 11,00 0,45 6,82 Commerce/Vente 18,50 31,90 23,49 19,02 25,43 21,19 10,33 19,70 14,21 14,88 15,83 15,25 Restaurants et Hôtels 0,35 1,65 0,83 0,44 1,88 0,93 0,95 1,15 1,03 0,58 3,23 1,63 Transports et Communications 9,70 0,71 6,35 7,70 0,55 5,28 5,08 0,53 3,19 8,67 0,66 5,50 Banques, Assurances et autres Et, 0,35 0,35 0,35 0,41 0,42 0,42 0,34 0,27 0,31 0,30 0,46 0,36 fin, Autres services marchands 10,73 9,71 10,35 9,70 7,55 8,97 0,95 0,24 0,65 0,15 0,15 0,15 Services domestiques 1,98 18,83 8,26 1,92 18,76 7,63 0,18 3,97 1,75 3,17 25,09 11,85 Admin, publiques 3,00 2,20 2,70 3,28 3,19 3,25 2,77 3,05 2,88 3,45 4,35 3,80 Admin, Privées 2,47 1,98 2,29 1,20 1,37 1,26 3,64 7,74 5,34 1,06 0,40 0,80 Organisations internationales, 0,18 0,21 0,19 0,09 0,20 0,13 0,24 0,11 0,19 0,29 0,37 0,32 Ambassades Autres 0,00 0,00 0,00 0,18 0,03 0,13 8,54 15,44 11,40 11,21 10,64 10,98 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Effectif des occupés 629,020 373, 1,002,594 1,196,742 613 712 1,810,454 1 230511 870,892 2,101,403 1,154,733 757,302 1 912035 574 Sources : Calculs des auteurs à partir de ESAM 2 [2002], ESPS 1 [2006], ESPS 2 [2011] et ENES 1 [2015]. Les poids de pondération sont pris en compte dans les calculs pour avoir des résultats représentatifs de l’ensemble de la population sénégalaise. 6
Vient ensuite le secteur manufacturier (les activités de fabrication) dont la part des emplois a légèrement évolué dans le temps. Il ressort ainsi du tableau 1 que l’essentiel des emplois exercés par les jeunes se concentre dans trois des quinze secteurs d’activité retenus : l’agriculture, l’élevage, la forêt et la pêche, le commerce et les activités de fabrication. La structure par sexe montre une prédominance des jeunes hommes dans l’agriculture et les activités de fabrication et une plus forte concentration des jeunes femmes dans le secteur du commerce. On constate également une présence relativement faible des jeunes hommes et femmes dans les secteurs de l’exploitation minière, de la restauration et de l’hôtellerie, et de la finance. Quelle que soit l’année considérée, le pourcentage de jeunes employés dans les secteurs de l’exploitation minière, de la restauration, de l’hôtellerie, et de la finance n’atteint pas 4%. Ceci est également vrai pour les jeunes hommes et les jeunes femmes présents dans ces secteurs. Pour mieux guider les choix de politiques publiques, le reste de l’analyse se focalise sur les principaux secteurs où les jeunes sont respectivement plus et moins représentés. Ces secteurs sont : (i) l’Agriculture, Élevage, Forêt et Pêche, (ii) le Commerce, (iii) les Activités de fabrication, (iv) l’Exploitation minière ; (v) la Restauration et de l’Hôtellerie ; (vi) la finance. L’Agenda 2030 sur les Objectifs du Développement Durable auquel le Sénégal a souscrit montre que le pays semble bien disposé à expérimenter des interventions politiques visant à faciliter l’insertion des jeunes dans les secteurs d’activité offrant plus d’opportunités d’emplois. Cependant, on dispose de peu d’informations sur la qualité des emplois disponibles dans ces secteurs. Pour combler ce gap, nous analysons la qualité des emplois exercés par les jeunes dans les secteurs susmentionnés, en tenant en compte du niveau de sous-emploi visible et invisible et du degré de sécurité et de stabilité de l’emploi. Le sous-emploi visible est lié au temps de travail. Il s’agit des jeunes qui ont travaillé moins de 40 heures dans la semaine et qui sont disponibles pour faire davantage d’heures. Par contre, le sous-emploi invisible est une mesure de l’insuffisance du revenu du travail. Cette situation concerne les jeunes qui ont cherché à augmenter leurs revenus dans les 7 derniers jours précédant l’enquête et qui se sont déclarés prêts à prendre un emploi dans les quatre semaines suivant l’interview. La mesure de la sécurité de l’emploi s’appuie sur l’affiliation dans le cadre du travail à un système de sécurité sociale3 afin de pouvoir bénéficier entre autres d’une retraite, d’une assurance-maladie et d’une assurance-accident du travail. La stabilité de l’emploi est construite à partir d’une variable à deux modalités : l’une pour laquelle l’emploi est dit régulier (les CDI) et l’autre, à caractère irrégulier, qui comprend les CDD et les emplois sans contrat. Le tableau 2 révèle que les jeunes en situation de sous-emploi visible travaillaient principalement dans le commerce, l’agriculture et l’industrie au cours de la période 2002-2011. Entre 2011 et 2015, le taux de sous-emploi a cependant considérablement baissé dans le commerce et fortement augmenté dans les activités de fabrication, en passant de 43,27% à 9,36% dans le secteur du commerce et de 12,81% à 47,62% dans le secteur industriel. La structure par sexe montre que l’essentiel des jeunes hommes sous-employés se trouvent dans l’agriculture et l’industrie, quelle que soit l’année considérée. Par contre, si les jeunes femmes sous-employées ont principalement travaillé dans le commerce et l’agriculture durant la période 2002-2011, la majorité d’entre elles ont exercé dans les activités de fabrication (57,49%) et la restauration et l’hôtellerie (33,9%) en 2015. 3 Citons, comme exemples de systèmes de sécurité sociale, l’Institut de Prévoyance Assurance du Sénégal (IPRES), la Caisse de Sécurité Sociale (CSS), le Fond National de retraite (FNR) et les mutuelles de santé. 7
Tableau 2. Répartition des taux de sous-emploi visible des jeunes selon le secteur d’activité et le sexe Secteurs d'activité 2002 2011 2015 Homme Femme Total Homme Femme Total Homme Femme Total % % % % % % % % % Agriculture, Élevage, Forêt 44,87 27,42 38,49 65,33 26,88 40,75 42,23 5,58 20,09 et Pêche Activités de Fabrication) 19,41 11,22 16,41 13,41 12,81 13,03 32,54 57,49 47,62 Extraction (mine, carrière) 2,41 0,94 1,88 1,95 0,04 0,73 4,32 0,00 1,71 Commerce/Vente 32,85 58,44 42,21 14,33 59,60 43,27 19,02 3,03 9,36 Restaurants et Hôtels 0,38 1,71 0,87 4,91 0,67 2,20 0,00 33,90 20,48 Banques, Assurances et 0,07 0,27 0,15 0,07 0,00 0,02 1,89 0,00 0,75 autres Et, fin, Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Total Effectif 88,773 51,223 139,996 17,614 31,220 48,834 2,949 4,501 7,450 Sources : Calculs des auteurs à partir de ESAM 2 [2002], ESPS 2 [2011] et ENES 1 [2015]. Notes : ESPS 1 [2006] est exclu des calculs car l’enquête n’a pas collecté des informations concernant le nombre d’heures travaillées dans la semaine. Les poids de pondération sont pris en compte dans les calculs afin d’avoir des résultats représentatifs de l’ensemble de la population sénégalaise. Le tableau 3 ci-dessous indique que le taux de sous-emploi invisible touche principalement les jeunes travaillant dans l’agriculture et le commerce. Sur 100 jeunes employés dans l’agriculture, près de la moitié cherche activement un autre travail pour accroître leurs revenus. Cette situation concerne 37,51% des jeunes occupés dans le commerce en 2006 contre 27,55% en 2011. Le sous-emploi invisible varie également selon genre. En 2006, la plupart des jeunes hommes sous-employés ont travaillé dans l’agriculture (54.43%), le commerce (33,02 %) et l’industrie (10,91%). La même tendance est aussi observée en 2011. Le sous-emploi invisible est plus accentué chez les jeunes femmes travaillant dans le commerce (48,45% en 20006 et 51,45% en 2011), l’agriculture (41.71% en 2006 et 36.68% en 2011) et l’industrie (7,93% en 2006 et 9,03% en 2011). Globalement, les résultats montrent que le phénomène du sous-emploi visible et invisible est particulièrement répandu dans les principaux secteurs d’activité pourvoyeurs d’emplois aux jeunes. Il ressort du tableau 2 et 3 que la plupart des jeunes employés dans l’agriculture, le commerce et l’industrie travaillent moins d’heures que la norme et souhaitent en faire plus, et ont des revenus insuffisants les conduisant à chercher un autre travail supplémentaire. Tableau 3 : Répartition des taux de sous-emploi invisible des jeunes selon le secteur d’activité et le sexe Secteurs d'activité 2006 2011 Homme Femme Total Homme Femme Total % % % % % % Agriculture, Élevage, Forêt et Pêche 54,43 41,71 50,73 52,74 36,68 48,19 Activités de Fabrication 10,91 7,93 10,04 22,46 9,03 18,66 Commerce/Vente 33,02 48,45 37,51 18,11 51,45 27,55 Restaurants et Hôtels 0,94 1,23 1,02 1,93 1,21 1,73 Extraction (mine, carrière) 0,65 0,65 0,65 4,48 0,96 3,48 Banques, Assurances et autres Et, fin, 0,05 0,03 0,04 0,28 0,66 0,39 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Total Effectif 213,556 87,698 301,254 179,385 70,879 250,264 Sources : Calculs des auteurs à partir de ESPS 1 [2006] et ESPS 2 [2011]. 8
Notes : ESAM 2 [2002] et ENES [2015] sont exclus car ne disposant pas d'informations indiquant si l'individu a cherché (oui ou non) à augmenter son revenu. Les poids de pondération sont pris en compte dans les calculs afin d’avoir des résultats représentatifs de l’ensemble de la population sénégalaise. La précarité de l’emploi est aussi une réalité chez les jeunes hommes et les jeunes femmes dans la mesure où la quasi-totalité des emplois occupés dans l’agriculture, l’industrie et le commerce sont irréguliers. La tendance est la même aussi bien en 2011 qu’en 2015. Quelle que soit l’année d’enquête considérée, le pourcentage d’emplois réguliers est plus élevé dans les secteurs à faibles taux d’emploi des jeunes, notamment la restauration et l’hôtellerie, l’exploitation minière et les finances. Cela étant, l'emploi irrégulier prédomine chez les jeunes hommes et femmes, quel que soit le secteur d’activité dans lequel ils sont employés. Tableau 4 : Répartition en pourcentage des jeunes occupées selon la nature de l’emploi et le sexe 2011 2015 Homme Femme Homme Femme Secteurs Emploi Emploi Total Emploi Emploi Total Emploi Emploi Total Emploi Emploi Total d'activité régulier irrégulier effectif régulier irrégulier effectif régulier irrégulier effectif régulier irrégulier effectif % % % % % % % % Agriculture, 0,27 99,73 530 680 0,10 99,90 362780 1,14 98,86 387087 0,20 99,80 240484 Élevage, Forêt et Pêche Activités de 3,28 96,72 170 103 3,14 96,86 42 637 4,95 95,05 122610 2,31 97,69 47 437 Fabrication Extraction (mine, 10,74 89,26 27 983 32,26 67,74 4 593 15,18 84,82 6 479 0,00 100,00 2 730 carrière) Commerce/Vente 1,05 98,95 124 081 1,07 98,93 167328 3,67 96,33 171812 2,67 97,33 119861 Restaurants et 30,43 69,57 11 344 5,88 94,12 9 238 33,62 66,38 6708 7,21 92,79 24 467 Hôtels Banques, 12,83 87,17 4,219 39,15 60,85 2 312 40,22 59,78 3 471 80,87 19,13 3 4489 Assurances et autres Et, fin, Sources : Calculs des auteurs à partir de ESPS 2 [2011] et ENES 1 [2015]. Notes : ESAM 2 [2002] et ESPS [2006] sont exclus car ne disposant pas d'informations permettant de capter le type de contrat. Les poids de pondération sont pris en compte dans les calculs afin d’avoir des résultats représentatifs de l’ensemble de la population sénégalaise. L’analyse de la sécurité de l’emploi permet de mettre en exergue une autre facette de la précarité de l’emploi des jeunes. En effet, le secteur industriel affiche le niveau de sécurité de l’emploi le plus élevé avec seulement près de 27 jeunes sur 100 bénéficiant d’un système de sécurité sociale dans leur emploi en 2011 contre 33 en 2015. Ensuite suivent l’agriculture (26,49% en 2011 contre 13% en 2015) et le commerce (14,9% en 2011 contre 18,27 en 2015). On observe la même tendance chez les jeunes hommes et les jeunes femmes, à ceci près que la sécurité de l’emploi féminin reste plus élevée dans le commerce que dans les autres secteurs en 2015. Dans l’ensemble, moins de la moitié des jeunes bénéficie d’un système de sécurité sociale dans le cadre de leur emploi. Ce faible niveau de sécurité de l’emploi témoigne de la situation de précarité à laquelle sont confrontés la plupart des jeunes hommes et femmes sur le marché du travail sénégalais. 9
Tableau 5 : Répartition de la sécurité sociale de l’emploi des jeunes selon le secteur d’activité, l’année et le sexe Secteurs d'activité 2011 2015 Homme Femme Total Homme Femme Total % % % % % % Agriculture, Élevage, Forêt et Pêche 25,43 29,41 26,49 18,11 5,18 13,00 Activités de Fabrication 32,40 11,59 26,87 42,94 17,04 32,70 Extraction (mine, carrière) 11,88 6,09 10,34 9,16 ND 5,54 Commerce/Vente 8,85 31,63 14,90 12,52 27,07 18,27 Restaurants et Hôtels 16,65 6,53 13,96 3,25 16,25 8,39 Banques, Assurances et autres Et, fin, 4,80 14,76 7,44 14,02 34,47 22,10 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Effectif des occupés 30,399 11,005 41,404 10,745 7,021 17,766 Sources : Calculs des auteurs à partir de ESPS 2 [2011] et ENES 1 [2015]. Notes : ESAM 2 [2002] et ESPS [2006] sont exclus car ne disposant pas d'informations permettant de capter la sécurité sociale de l’emploi. Les poids de pondération sont pris en compte dans les calculs afin d’avoir des résultats représentatifs de l’ensemble de la population sénégalaise 3 Revue de la littérature 3.1 Déterminants de l’accès aux opportunités d’emploi La théorie de la recherche d’emploi basée sur plusieurs modes de recherche (la recherche sur le marché et la recherche dans l’emploi) a largement explicité les conditions d’accès à l’emploi (Mortensen, 1986). Cette recherche de l’emploi s’articule autour de plusieurs stratégies (les procédures marchandes, le recours aux intermédiaires institutionnels et le réseau social) qui peuvent avoir des impacts discriminants sur l’accès aux opportunités d’emploi (Osberg, 1993). Chercher un emploi dépend de la volonté de se mobiliser, se prendre en charge soi-même et de construire son projet professionnel. Cette recherche va être liée aux caractéristiques individuelles, à des politiques publiques ainsi qu’aux stratégies qui influencent le comportement de recherche d’emploi. La stratégie marchande (autonomie de la recherche) où le chercheur d’emploi ne compte que sur lui-même pour trouver un emploi et non sur les institutions, consiste à présenter ses services ou mettre en valeur sa force de travail pour obtenir des opportunités d’emploi. Cette stratégie fortement autonome s’accompagne d’un fort degré de mobilisation des ressources personnelles (en temps, en persévérance, en moyens financiers, …) pour s’assurer d’une forte probabilité d’insertion. La stratégie d’intermédiation (recours aux intermédiaires institutionnels) se distingue par la dépendance à l’égard d’une institution d’appui à la recherche d’emploi, sur qui l’on compte pour trouver un emploi. En prenant en compte l’action des services publics d’emploi dans le modèle de recherche d’emploi, Bull et al. (1987) montrent l’impact significatif des intermédiaires sur la probabilité d’accéder à l’emploi. Quelle que soit la stratégie adoptée, l’accès à un emploi sur le marché du travail est une activité coûteuse et la décision d’accepter ou refuser un emploi est basée sur le principe d’optimisation. Bien que le marché du travail opère des divisions drastiques parmi les chercheurs d’emploi en termes de facteurs qui limitent ou favorisent l’accès aux opportunités, le chercheur d’emploi optimise les conditions d’accès auxdites opportunités par l’arbitrage entre la durée de recherche et le salaire demandé, les coûts 10
directs et indirects de la recherche d’information et ses avantages attendus pour déterminer le statut de la recherche. Face à plusieurs stratégies, le chercheur d’emploi choisit celle qui lui procure le plus d’avantages afin de maximiser l’espérance de gain de sa recherche. L’approche séquentielle de la théorie de recherche d’emploi montre que la recherche d’emploi s’effectue en environnement stationnaire où les individus sont supposés neutres aux risques et homogènes (McCall, 1970 ; Mortensen, 1970). Si les caractéristiques des postes vacants sont connues de tous les demandeurs d’emploi hormis le salaire offert, certaines caractéristiques personnelles du chercheur sont inconnues de l’employeur. Dans ce cas, le comportement du chercheur d’emploi dépend des efforts individuels de recherche consenti, des caractéristiques individuelles et de la combinaison des modes de recherche mobilisés (Kahn et Low, 1990). L’approche par l’appariement considère que le marché est le lieu de rencontre dynamique entre l’offre et la demande de travail. En s’intéressant sur la qualité de l’appariement entre l’individu et l’emploi, cette approche (théorique du job matching) se situe dans le cadre théorique de l’économie néoclassique traditionnelle (concurrence et agent maximisateur) avec hétérogénéité du travail et imperfection de l’information sur les caractéristiques des chercheurs d’emploi et des emplois disponibles (Jovanovic, 1979). Cette approche explique la coexistence du chômage et de la difficulté de recrutement sur le marché du travail. Elle formalise le chômage frictionnel en montrant l’importance de considérer les difficultés d’appariement, tout en tenant compte des obstacles à un fonctionnement efficient du marché du travail (Cahuc et Zylberberg, 2005). Même si cette approche est basée sur l’imperfection de l’information sur le marché du travail, il existe parfois une hétérogénéité et une segmentation du marché du travail qui exposent le chercheur d’emploi au risque de ne pas trouver un emploi (Glick et Sahn, 1997). Ces différentes approches de la théorie de la recherche d’emploi indiquent que les caractéristiques personnelles (l’âge, la qualification, la situation matrimoniale, le genre), le voisinage et les spécificités des localités de résidence du chercheur d’emploi, le réseau social et les intermédiaires institutionnels influencent tous le comportement de recherche d’emploi. Pour Benoit-Guilbot (1990), le sexe, l'âge et le niveau de qualification du demandeur d'emploi permettent au marché de faire le tri entre ceux qui sont employables et ceux qui ne le sont pas, entre ceux qui trouvent un emploi classique (CDI), un emploi non classique (CDD) et ceux qui ne trouvent rien. La qualification de l’individu est l’aptitude à mettre en œuvre un certain type de travail qualifié, constitué d’ensemble de tâches complexes et diversifiées, manuelles et intellectuelles pour être exercées avec efficacité à un instant donné. Elle se caractérise par une combinaison de connaissances et savoirs acquis par la formation initiale et par la formation acquise sur le marché du travail de façon formelle ou informelle et des expériences professionnelles qui incarnent la capacité productive du chercheur d’emploi (Rose, 2012). Cette aptitude qui s’apprend au cours de la formation suivie dans le système d’éducation, s’entretient, se développe, se transforme ou se régresse dans le cursus professionnel. Cette qualification se mesure à partir du type et du niveau d’étude ou formation, le nombre d’année d’études ou le temps d’apprentissage, le produit de la formation initiale reçue ou des emplois occupés au cours de la vie active (Salais, 1976). Bien qu’il puisse exister une adéquation entre le contenu de la formation et les capacités demandées dans les emplois, l’apprentissage au cours de la formation complémentaire et par 11
expérience au cours des emplois occupés renforce le décalage (Salais, 1976). Barlet et De Vreyer (2007) montrent que certains chercheurs d’emploi ne peuvent pas toujours travailler dans les secteurs jugés plus rentables du fait de leur qualification. Cette qualification impose d’intégrer certains segments du marché liés à l’hétérogénéité professionnelle. Ceci peut entrainer une violation de l’hypothèse du modèle classique standard qui considère que l’individu évolue dans un marché anonyme sans distinction. En tenant compte de l’hétérogénéité du marché du travail en Afrique Subsaharienne, Glick et Sahn (1997) trouvent que l’éducation n’est pas un déterminant important de la recherche d’emploi en Guinée. En outre, la théorie du capital humain, l’analyse du travail comme un facteur quasi-fixe, les modèles de tournoi, de contrat à paiement différé et l’analyse du marché interne, considèrent l’âge comme un critère de choix dans la relation d’emploi (Jolivet, 2003). Les décisions des entreprises conduisent à exclure les plus âgés de l’emploi, du fait de leur coût salarial très élevé par rapport à leur productivité marginale et la nécessité d’ajuster quantitativement ou qualitativement la main-d’œuvre (Jolivet, 2001). Sabatier (2002) montre que le chercheur d’emploi de sexe masculin recherche plus les emplois par les intermédiaires institutionnels que ceux du sexe féminin, alors que les chercheurs d’emploi diplômés préfèrent la procédure marchande et ceux faiblement qualifiés préfèrent les intermédiaires institutionnels et les relations personnelles (Bouabdallah et al., 2002) Indépendamment du niveau de qualification et de l’âge, les individus sans qualification recherchent n’importe quel type d’emploi. Bien que les plus âgés ou les plus diplômés émettent quelques exigences, mais la vie et les opportunités saisies peuvent déjouer les plans et procurer un emploi meilleur que ce qui était envisagé. Ceci montre qu’un projet d’emploi dans un environnement hostile s’oriente vers une recherche plus autonome d’emploi sans fixer des objectifs trop précis qui détournent des occasions qui se présentent. Kingdon et Knight (2001) expliquent le comportement des chercheurs d’emploi dans les pays en développement par le rôle de transferts intra-ménage qui peut pousser les individus á rester au chômage, le niveau de pauvreté du milieu de résidence et la pauvreté de l’individu qui rend le coût de la recherche de l’emploi plus insupportable. Kingdon et Knight (2004) montrent pour le cas de l’Afrique du Sud que les chercheurs d’emploi arbitrent entre le marché et le loisir lorsqu’il s’agit d’intégrer le marché. En évaluant la pénibilité du travail et le niveau de rémunération, le chercheur d’emploi considère le chômage comme le moindre mal. A la lumière cette littérature, on s’attend à ce que les chercheurs d’emploi au Sénégal soient plus susceptibles de chercher du travail avec plus d’intensité suivant leur niveau de qualification, leur âge et le genre. Avec la pression démographique croissante, le taux du chômage élevé et la prolifération du sous-emploi, il est impératif que les autorités politiques fassent de l’emploi des jeunes leur principale préoccupation. Cet intérêt s’est manifesté par les politiques passives et actives du marché du travail qui interviennent directement sur le marché du travail pour générer plus d’opportunité d’emploi et améliorer l’employabilité ou la qualité d’emploi. 12
3.2 Programmes d’appui à l’emploi et l’insertion socioprofessionnelle Pour apporter des réponses pratiques à la problématique de l’emploi des jeunes, de nombreux pays ont créé les services publics d’emploi pour une mise en œuvre efficace des politiques actives d’emploi. Si peu de travaux ont évalué l’effet de ces programmes sur les jeunes, les quelques études d’impact existantes ne sont pas unanimes sur l’efficacité de ces programmes (Card et al., 2010). Certaines études montrent que la participation à un programme public d’appui à l’emploi ne permet pas toujours aux jeunes d’avoir un emploi ou de réduire leur durée de chômage (Cockx et Dejemeppe, 2002, Kluve et al., 2019). En revanche, d’autres montrent un effet positif des programmes d’assistance à l’emploi sur l’employabilité et le revenu des bénéficiaires (Betcherman et al., 2007, Ehlert et al., 2012, Ibarraran et al., 2014, Groh et al., 2016, Card et al., 2018). La littérature en la matière identifie plusieurs types de programmes dont : les programmes de formation professionnelle, les programmes d’intermédiation et les programmes d’appui à l’entrepreneuriat. Les programmes de formation professionnelle visent à accroitre les compétences de la main- d’œuvre des individus, à augmenter la demande d’emploi, à apparier les demandeurs et les offreurs d’emploi qui puissent passer les contrats les uns avec les autres. Ceci permet aux primo demandeurs de sortir rapidement du chômage en améliorant leurs qualifications (McKenzie, 2017). Ces programmes ont eu un effet favorable sur l’insertion des jeunes diplômés en Belgique en augmentant leurs chances de trouver un emploi (Bollens et Nicaise (1994), en améliorant leur employabilité et en réduisant la durée des épisodes de chômage (Torp, 1994, Cockx, 2000). De même, les études américaines montrent que les programmes de formation professionnelle augmentent la fréquence d’embauche et des gains de revenus (Eberwein et al., 1997). Cet effet positif des programmes de formation professionnelle sur l’employabilité et le revenu s’observe aussi dans certains pays en développement. À l’aide de la méthode de discontinuité de la régression, Chakravarty et al. (2019) montrent un effet positif de la formation professionnelle sur la probabilité d’avoir un emploi et sur le revenu des bénéficiaires dudit programme au Népal. De même, Maitra et Mani (2017) montrent à partir des expériences aléatoires que la participation des femmes aux programmes de formation professionnelle en Inde a des effets positifs sur leurs chances de trouver un emploi et sur leurs revenus comparativement aux femmes non bénéficiaires. En utilisant la méthode d’assignation aléatoire, Alzúa et al. (2013) et Attanasio et al. (2017) montrent que les programmes de formation professionnelle ont aussi des effets positifs à court terme sur l’emploi formel et le revenu en Argentine et en Colombie. Si les programmes de formation professionnelle sont généralement mis en œuvre pour améliorer les qualifications des individus, les programmes d’intermédiation permettent souvent de conseiller et d’orienter les demandeurs d’emploi. Les études d’impact sur l’efficacité de ces politiques d’intermédiation ont utilisé une méta-analyse sur plusieurs politiques d’emploi à travers le monde et ont trouvé que lesdits programmes d’intermédiation sont plus susceptibles de produire des effets positifs à court terme (Card et al., 2018, Kluve et al., 2019). De même, Dammert et al. (2015) montrent que les politiques d’intermédiation en termes d’informations plus rapides, moins chères et actualisées sur les offres d’emploi par messages téléphoniques ont un effet positif à court terme sur l’emploi. Alors que Jensen (2012) montre pour le cas de l’Inde que les programmes d’intermédiation qui mettent en contact les services de recrutement et les 13
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