Quelle est la place des thérapeutiques adjuvantes au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë ? Place of adjuvant therapeutics in the ...

 
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Réanimation 14 (2005) 373–389
                                                                                                                      http://france.elsevier.com/direct/REAURG/

                                                                          Champ 8

   Quelle est la place des thérapeutiques adjuvantes au cours du syndrome
                        de détresse respiratoire aiguë ?
                         Place of adjuvant therapeutics in the acute phase of
                                 acute respiratory distress syndrome
                                             J.-D. Chiche a,*, C. Guérin b, M. Gainnier c
            a
              Service de réanimation médicale, groupe hospitalier Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75679 Paris cedex 14, France
            b
              Service de réanimation médicale, hôpital de la Croix-Rousse, 103, grande rue de la Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France
            c
              Service de réanimation médicale, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France

Mots clés : Monoxyde d’azote inhalé ; Décubitus ventral ; Syndrome de détresse respiratoire aiguë ; Surfactant ; Ventilation liquide partielle ; Ventilation à
haute fréquence par oscillations

Keywords: Inhaled nitric oxyde; Prone position; Acute respiratory distress syndrome; Surfactant; Partial liquid ventilation; High frequency oscillatory ventilation

    Les progrès accomplis dans la prise en charge symptoma-                          toire incontrôlable et d’aggravation rapide, malgré l’augmen-
tique du SDRA ont permis une amélioration indiscutable du                            tation de la fréquence respiratoire. Enfin, pour certains
pronostic des patients [1,2]. L’amélioration des échanges                            patients, il est difficile de maintenir des niveaux acceptables
gazeux n’est plus le seul objectif de la ventilation mécanique                       de SaO2 et de PaCO2 sans utiliser une pression de plateau
et les stratégies actuelles ont également pour but de protéger                       dépassant 30–35 cmH2O et sans exposer le patient au risque
le poumon des lésions induites par la ventilation, de prévenir                       de volotraumatisme. Il faut d’ailleurs noter que mêmes les
l’apparition de nouvelles défaillances d’organes et de réduire                       stratégies de réduction du VT ne modifient pas significative-
la mortalité. Une étude récente portant sur 861 patients                             ment l’incidence des manifestations macroscopiques de baro-
démontre le bénéfice de ces stratégies de « protection » alvéo-                      traumatisme [1]. L’échec de la ventilation conventionnelle
laire : diminuer le volume courant (VT) de 12 à 6 ml/kg per-                         rend alors nécessaire l’utilisation de techniques alternatives
met de réduire de 25 % la mortalité du SDRA [1].                                     ou de thérapeutiques adjuvantes afin d’améliorer l’hématose.
    Trois types de situation peuvent conduire à envisager l’uti-                     Il est possible de distinguer les approches instrumentales des
lisation de thérapeutiques adjuvantes. D’une part, l’optimi-                         approches pharmacologiques.
sation de la ventilation mécanique conventionnelle (VMC)
ne permet pas toujours d’assurer une oxygénation artérielle
compatible avec la survie chez les patients les plus graves                          1. Approches instrumentales
[3–8]. Certes, la valeur pronostique du rapport PaO2/FiO2
n’est pas formellement établie [4,5,9,10] mais la persistance                        1.1. Décubitus ventral (DV)
d’une hypoxémie profonde pourrait favoriser l’évolution vers
une défaillance multiviscérale associée à la majeure partie                          1.1.1. Effets physiologiques
des décès. D’autre part, certains patients posent également le                          De nombreuses études cliniques ouvertes ont rapporté une
problème d’une hypercapnie majeure avec acidose respira-                             amélioration spectaculaire du DV sur l’oxygénation arté-
                                                                                     rielle [11]. Les mécanismes par lesquels le DV améliore l’oxy-
                                                                                     génation ne sont pas clairement élucidés chez l’homme. Ils
  * Auteur correspondant.
    Adresses e-mail : jean-daniel.chiche@cch.ap-hop-paris.fr                         passent par une réduction du shunt intrapulmonaire sans modi-
(J.-D. Chiche), claude.guerin@chu-lyon.fr (C. Guérin),                               fication du débit cardiaque [12], sans doute consécutive à une
marc.gainnier@ap-hm.fr (M. Gainnier).                                                homogénéisation de la distribution des rapports ventilation–
1624-0693/$ - see front matter © 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2005.04.016
374                                         J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389

perfusion au sein du poumon agressé. Si la part respective de           quent l’absence de dégradation circulatoire liée au DV. La
la redistribution de la ventilation alvéolaire et de la perfusion       mise en DV n’aggrave pas l’hémodynamique régionale rénale
pulmonaire n’est pas clairement établie, il y a plus d’argu-            et hépatosplanchnique, et ce malgré l’augmentation de la pres-
ments en faveur d’une redistribution de la ventilation. L’effet         sion abdominale [26].
du DV sur le recrutement alvéolaire a été bien mis en évi-                  La durée optimale d’une séance de DV ainsi que la fré-
dence expérimentalement [13]. Dans cette étude très élé-                quence de répétition des séances de DV ne sont pas connues
gante, le DV entraînait une amélioration de l’oxygénation               avec précision. L’essai italien (6 heures de DV par jour),
comparable à l’addition de 7 cmH2O à la pression expiratoire            l’essai français (8 heures par jour) et l’essai espagnol (20 heu-
positive réglée en décubitus dorsal. Chez l’homme, la mise              res prévues par jour, en pratique 13 heures) n’ont pas permis
en évidence d’un recrutement alvéolaire induit par le DV                d’établir la supériorité d’une stratégie particulière. La faisa-
repose sur un petit nombre d’observations [14]. Les études              bilité de séances de DV systématiquement longues, de l’ordre
tomodensitométriques thoraciques révèlent une redistribu-               de 12 heures, a été confirmée dans des études non-contrôlées
tion des opacités dans les premières minutes suivant le retour-         [27]. Les séances de DV peuvent être faites sans matelas spé-
nement [15]. On ne peut toutefois apprécier au sein des opa-            cifique. Il n’y a pas eu de comparaison entre différents sup-
cités la distribution respective de l’œdème, de l’excès de tissu        ports.
lié à l’inflammation, du sang ou des atélectasies. Pelosi et al.
                                                                        1.1.2. Effets du DV sur le devenir du patient
ont mis en évidence chez 16 malades avec SDRA une corré-
                                                                            La situation actuelle est caractérisée par un paradoxe entre
lation positive entre les changements de PaO2 entre décubi-
                                                                        d’une part, les abondantes preuves d’efficacité physiologi-
tus dorsal (DD) et DV et la compliance de la paroi thoracique
                                                                        que du DV en terme d’oxygénation ou de prévention des effets
en DD, ainsi qu’une corrélation inverse entre la PaO2 30 minu-
                                                                        délétères de la ventilation mécanique sur la structure pulmo-
tes après le passage en DV et la variation de compliance de la
                                                                        naire, et d’autre part l’absence de bénéfice clinique démontré
paroi thoracique induite par la mise en DV [16]. Les auteurs
                                                                        en terme de la survie [28].
expliquent ces variations de compliance par une diminution
                                                                            À notre connaissance, trois essais thérapeutiques rando-
de la liberté de mouvement de la partie sternale de la paroi
                                                                        misés contrôlés évaluant l’impact de la mise en DV sur le
thoracique en DV. Il en résulte une uniformisation des gra-             devenir du malade sont terminés. Dans chacune de ces étu-
dients de pression transpulmonaire et des compliances régio-            des, les patients du groupe témoin sont laissés en DD. L’essai
nales conduisant à la redistribution du VT dans les zones pré-          italien a testé l’effet sur la mortalité à dix jours de séances de
vertébrales et à la réouverture des zones atélectasiées. Cette          DV d’au moins six heures par jour, chez des patients avec
hypothèse a été vérifiée expérimentalement [17,18]. En revan-           agression pulmonaire aiguë. Cet essai, stoppé après inclu-
che, la perfusion reste préférentiellement dirigée vers les zones       sion de 304 patients, n’a pas révélé de réduction significative
dorsales en DV. Très peu de critères permettent de prédire              de mortalité [28]. Une analyse posthoc a montré une réduc-
l’effet d’une séance de DV sur l’oxygénation au cours du                tion significative de mortalité dans le groupe DV chez les
SDRA. Seules la compliance de la paroi thoracique en DD et              patients les plus hypoxémiques (quartile PaO2 < 88 mmHg),
sa diminution en DV [16] sont corrélées aux variations de               les plus sévères à la randomisation, et ventilés avec un
PaO2. L’analyse de l’examen tomodensitométrique thoraci-                VT > 12 ml/kg. L’essai espagnol a étudié l’effet sur la mor-
que en DD ne permet pas de prédire l’effet du DV sur la PaO2            talité en réanimation de 20 heures de DV par jour chez
[19].                                                                   136 patients avec SDRA. L’étude, interrompue prématuré-
    L’effet du DV sur la PaCO2 est variable d’un patient à              ment par difficulté d’inclusion, n’a pas montré de différence
l’autre. Des données récentes suggèrent une amélioration du             significative. Une étude française a testé l’effet de la mise en
pronostic chez les patients dont la PaCO2 diminue dans les              DV au moins huit heures par jour chez 791 patients consécu-
six heures suivant la mise en DV [20]. Cette diminution de la           tifs, intubés avec une insuffisance respiratoire aiguë hypoxé-
PaCO2 en DV indique une réduction de l’espace mort phy-                 miante. Les malades ont été randomisés en DV pour
siologique secondaire à un recrutement alvéolaire.                      413 d’entre eux et en DD pour 378 [29]. Cet essai n’a pas
    Les connaissances actuelles concernant l’effet du DV sur            montré de différence significative de mortalité à J28. Les trois
les lésions induites par la VM (ventilator-induced lung injury,         essais souffrent des mêmes limites : interruption prématurée
VILI) sont réduites. Les effets physiologiques du DV permet-            (d’où manque de puissance), hétérogénéité des patients, durée
tent de penser qu’il réduit le VILI, comme cela a été mis en            de DV variable, ventilation mécanique non standardisée.
évidence expérimentalement [21]. Cet effet protecteur du DV
vis-à-vis du risque de VILI n’est pas actuellement démontré             1.1.3. Limites
chez l’homme. Toutefois l’essai clinique randomisé contrôlé                 Il existe des risques potentiels lors du retournement (mobi-
conduit chez des malades comateux avec rapport PaO2/FIO2                lisation de la prothèse trachéale ou des cathéters vasculaires)
> 300 pourrait être interprété comme une preuve indirecte de            qui rendent les équipes soignantes hésitantes à utiliser le DV
limitation du VILI [22].                                                en routine, ce d’autant que :
    Le DV potentialise l’effet sur l’oxygénation d’une manœu-             • les essais randomisés n’emportent pas la conviction et que ;
vre de recrutement [23] ou du monoxyde d’azote inhalé                     • l’optimisation des réglages du respirateur permet de régler
[24,25]. Les données hémodynamiques disponibles indi-                       un grand nombre de situations cliniques. Des lits spéciaux
J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389                                      375

   sont en cours de développement et d’évaluation pour mini-             fidèlement le syndrome dont la complexité et l’hétérogénéité
   miser la charge de travail du personnel soignant et aug-              sont bien reconnues. Aussi les données expérimentales
   menter la sécurité du changement postural.                            doivent-elles être extrapolées au SDRA humain avec précau-
                                                                         tion. Toutefois, les modèles expérimentaux sont probable-
1.2. Manœuvres de recrutement                                            ment pertinents pour interpréter le stade précoce du SDRA,
                                                                         lorsqu’existe un œdème floride et que le poumon est particu-
1.2.1. Bases rationnelles                                                lièrement recrutable [31].
    Plusieurs facteurs contribuent à la perte d’aération cons-               Pelosi et al. [31] ont clairement montré qu’il était possible
tamment retrouvée au cours du SDRA. L’atteinte parenchy-                 de réaérer totalement un poumon totalement dérecruté par
mateuse est responsable d’une perte de volume pulmonaire                 l’acide oléique en imposant une pression de plateau téléins-
(« baby lung ») à l’origine d’un syndrome restrictif majeur              piratoire > 40 cmH 2 O par une combinaison de PEP
dont témoignent les valeurs basses de capacité résiduelle fonc-          (15 cmH2O) et VT (35 ml/kg). Ce recrutement maximal
tionnelle et de compliance pulmonaire habituellement mesu-               coexiste avec une surdistension d’une fraction très modeste
rée. La ventilation mécanique peut accentuer encore le dére-             (< 10 %) du parenchyme pulmonaire. Rimensberger et al. ont
crutement par différents mécanismes : sédation–curarisation,             apporté deux notions essentielles en étudiant des lapins déplé-
réglages de FiO2 entre 0,8 et 1 qui facilitent les atélectasies          tés en surfactant (lavage salé) et ventilés avec un petit VT
de résorption, aspirations trachéales itératives, faibles VT,            (5 ml/kg) [37,38]. Premièrement, une manœuvre induisant
diminution du temps inspiratoire et fréquence respiratoire éle-          un recrutement maximal (pression téléinspiratoire de 30 cm
vée pour minimiser la PEP intrinsèque et contrôler l’hyper-              H2O pendant 30 secondes) non seulement réaère le poumon
capnie facilitée par les faibles VT. L’existence de lésions indui-       mais déplace les cycles ventilatoires de la branche inspira-
tes par la ventilation mécanique à bas volume pulmonaire et              toire vers la branche expiratoire de la courbe pression–
par des phénomènes de fermeture et réouverture répétée des               volume, c’est-à-dire à un niveau de volume plus élevé.
petites voies aériennes a été suggérée sans être formellement            Deuxièmement, le même niveau de PEP (8 cmH2O) non pré-
démontrée chez l’homme [30]. Chercher à induire un recru-                cédé de la manœuvre de recrutement laisse persister les cycles
tement et/ou à prévenir un dérecrutement alvéolaire sont donc            ventilatoires à un volume pulmonaire plus bas (entre la bran-
des objectifs thérapeutiques logiques.                                   che inspiratoire et la branche expiratoire de la courbe pres-
    Le bénéfice escompté en termes de recrutement alvéolaire             sion–volume). La manœuvre de recrutement permet donc bien
dépend du potentiel de recrutement [31], c’est-à-dire essen-             la réouverture du poumon et le maintien de cette ouverture
tiellement du niveau de deaération téléexpiratoire, et de la             grâce à un faible niveau de PEP. Dans cette étude, les pou-
pression plateau téléinspiratoire. Celle-ci intervient de deux           mons ventilés avec un niveau de PEP deux fois plus élevé
façons : d’une part, le volume recruté est d’autant plus impor-          (placé au-dessus du point d’inflexion inférieur de la partie
tant que, pour le même niveau de volume pulmonaire téléex-               inspiratoire de la courbe pression–volume) présentent des
piratoire, la pression plateau téléinspiratoire est élevée [31],         lésions histologiques de VILI très importantes contrairement
d’autre part, le volume recruté, par exemple par la PEP, est             aux deux autres stratégies. L’effet d’une manœuvre de recru-
d’autant plus important que la pression plateau téléinspira-             tement sur l’oxygénation et le volume recruté est plus impor-
toire à PEP nulle est basse [32].                                        tant en DV, Cakar et al. [13] ont montré que le DV potentia-
    Dans le but d’améliorer l’oxygénation et de minimiser les            lise une manœuvre de recrutement et agit comme l’addition
lésions induites par la ventilation à bas volume pulmonaire,             de 7 cmH2O à la PEP.
les réanimateurs ont imaginé des stratégies cherchant à conci-               Il faut souligner que l’effet des manœuvres de recrute-
lier d’une part la nécessité de recruter le poumon, de le lais-          ment dépend du modèle utilisé [39]. Dans une série d’expé-
ser ouvert, de prévenir son dérecrutement [33–35] et d’autre             riences menées chez le chien agressé par l’acide oléique et en
part d’éviter la surdistension. Ces stratégies consistent à réa-         observant l’expansion régionale d’un lobe pulmonaire, Hub-
liser périodiquement une manœuvre de recrutement qui va                  mayr et al. ont trouvé des arguments pour remettre en ques-
ponctuellement maintenir le poumon insufflé à une pression               tion le concept même d’ouverture et de fermeture cyclique
téléinspiratoire supérieure à 35 cmH2O. Il existe différentes            des petites voies aériennes, les mécanismes d’action de la PEP
modalités de manœuvre de recrutement comme par exem-                     et l’intérêt des manœuvres de recrutement [17,40,41].
ple : induction d’une pression téléinspiratoire de 30 à
50 cmH2O maintenue pendant 30 à 50 secondes, soupirs, aug-               1.2.3. Études cliniques
mentation séquentielle des niveaux de PEP [23,36]. Il n’y a                  Depuis la publication du travail d’Amato et al. [34], l’uti-
actuellement pas d’argument pour favoriser une de ces moda-              lité de manœuvres de recrutement a été évaluée par plusieurs
lités par rapport à l’autre.                                             équipes. Dès 1999, Pelosi et al. ont montré que la réalisation
                                                                         de soupirs à 45 cmH2O chez des patients ventilés avec des
1.2.2. Données expérimentales                                            niveaux de PEP élevés (14 ± 2 cmH2O) améliore significati-
   Aucun des modèles expérimentaux cherchant à repro-                    vement l’oxygénation, le shunt et la mécanique respiratoire
duire le SDRA (lavage salé, acide oléique, injection d’endo-             [36]. Foti et al. retrouvent une amélioration de l’oxygénation
toxine, inoculation intrapulmonaire de bactérie,...) ne reflète          et du recrutement alvéolaire seulement lorsque les manœu-
376                                         J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389

vres sont réalisés chez des patients ventilés avec des niveaux          artérielle moyenne et une augmentation de la pression intra-
de PEP modestes, indiquant que l’application d’une PEP plus             crânienne qui contribuent à abaisser transitoirement (10 minu-
élevée stabilisent les alvéoles et prévient le dérecrutement            tes) la pression de perfusion cérébrale. À la phase tardive du
[42]. Lim et al. retrouvent également une amélioration de               SDRA, les manœuvres de recrutement ont été associées à la
l’oxygénation qui persiste environ une heure après un soupir,           survenue d’épisodes de pneumothorax, de désynchronisation
mais cet effet disparaît lorsque la ventilation se poursuit avec        du respirateur ou d’instabilité hémodynamique [46,48,49].
les mêmes niveaux de PEP et de Pplat [43]. Ces résultats                    En résumé, les manœuvres de recrutement peuvent être
concordent avec ceux de Lapinsky et al., qui démontrent que             utiles à la phase aiguë du SDRA et améliorer l’oxygénation
l’amélioration induite par les manœuvres de recrutement n’est           (i) chez les patients ventilés avec un VT et une PEP limités
maintenue que si la PEP est augmentée après une manœuvre                (ii) ou dans les minutes suivant un dérecrutement (aspira-
efficace [44]. L’efficacité des manœuvres de recrutement                tions trachéales, débranchement...). L’intérêt semble plus
dépend vraisemblablement de la cause du SDRA et du poten-               hypothétique à la phase tardive du SDRA, chez les patients
tiel de recrutement. Ainsi, un effet bénéfique des manœuvres            ventilés avec une PEP élevée ou qui présentent une altération
de recrutement est retrouvé chez la majorité des patients trau-         sévère de la compliance pariétale. Il n’existe pas de consen-
matisés ventilés avec un VT limité et des niveaux de PEP éle-           sus sur les modalités de réalisation des manœuvres de recru-
vés [45]. Pour Grasso et al., les manœuvres de recrutement              tement, et les données actuelles ne permettent pas d’en recom-
augmentent le rapport PaO2/FiO2 d’environ 175 ± 23 % chez               mander l’utilisation systématique.
11 patients répondeurs mais seulement de 20 ± 3 % chez
11 non-répondeurs [46]. Ces patients sont caractérisés par              1.3. Ventilation haute fréquence (HFO)
une compliance pariétale plus basse et une durée de ventila-
tion plus longue avant le début des manœuvres.                          1.3.1. Principes de fonctionnement et bases physiologiques
   D’autres études retrouvent un effet modeste ou variable                 Principale technique de ventilation à haute fréquence
des manœuvres de recrutement sur l’oxygénation lorsque les              actuellement disponible, la ventilation par oscillations à haute
patients sont ventilés avec des niveaux de PEP élevés [47,48].          fréquence (HFO) repose sur l’insufflation rapide (180–
Dans le travail de Richard et al., l’association d’une PEP éle-         900/minute) de VT souvent inférieur à l’espace mort anato-
vée et de manœuvres de recrutement prévient le dérecrute-               mique (2–4 ml/kg). Deux différences fondamentales distin-
ment observé lorsque le VT est réduit à 6 ml /kg mais la réa-           guent la HFO des autres modes de ventilation à haute
lisation des manœuvres n’améliore pas l’oxygénation des                 fréquence. D’une part, l’expiration se fait de façon active, ce
patients ventilés avec des niveaux de PEP élevés [47]. Chez             qui minimise le risque de « trapping » gazeux et de PEP intrin-
quelques patients, Villagra et al. retrouvent même une aug-             sèque [52]. Ce risque est encore plus réduit si des manœuvres
mentation du shunt suggérant une surdistension alvéolaire de            de recrutement contribuent à homogénéiser la distribution
territoires déjà aérés et la redistribution du débit sanguin de         régionale des volumes insufflés [52]. D’autre part, l’injection
ces territoires vers des zones collabées [47–49]. Une étude             des gaz (30 à 60 l/minute) se fait à basse pression, ce qui
prospective randomisée a évalué chez 72 patients l’effet de             limite les complications trachéales et simplifie les problèmes
manœuvres de recrutement chez des patients ventilés avec un             d’humidification et de réchauffement des gaz.
VT égal à 6 ml/kg et des niveaux de PEP élevés [49]. Ce tra-               En HFO, l’oxygénation dépend de la pression de disten-
vail ne retrouve pas de bénéfice majeur sur l’oxygénation.              sion permanente (PDP) contrôlée par le débit de gaz et l’infla-
D’autres études soulignent la plus grande efficacité des                tion d’une valve pneumatique placée sur le circuit expiratoire
manœuvres de recrutement lorsqu’elles sont effectuées en                [53]. Cette pression de distension permanente est générale-
décubitus dorsal ou lors de l’initiation des premières séances          ment réglée entre 25 et 35 cmH2O de façon à maintenir le
de DV, avant que le DV ait permis l’aération de territoires             volume pulmonaire (VDP) au-dessus du volume de fermeture
préalablement collabés [23,43]. Ces données suggèrent une               et à améliorer l’oxygénation. L’épuration de CO2 dépend des
moindre efficacité des manœuvres de recrutement lorsque le              oscillations d’un piston solidaire d’une membrane de haut-
poumon est déjà recruté de façon optimale par la PEP et le              parleur qui permet de mobiliser le VT et de faire osciller le
VT. Néanmoins, ces manœuvres peuvent être utiles en cas de              thorax autour du VDP à une fréquence de 3 à 10 Hertz. Ainsi,
dérecrutement brutal induit par les aspirations trachéales ou           la HFO permet de découpler oxygénation et épuration de
un débranchement inopiné [50].                                          CO2 : le réglage de la fréquence et de l’amplitude des mou-
   Lorsqu’elles sont réalisées à la phase aiguë du SDRA, les            vements du piston permet de faire varier la PaCO2 indépen-
manœuvres de recrutement sont généralement bien tolérées.               damment de la PDP [53].
Les principaux effets secondaires des manœuvres de recrute-                Si la ventilation en HFO a fait depuis longtemps la preuve
ment consistent en une diminution transitoire de la pression            de sa capacité à assurer l’hématose [54], les mécanismes qui
artérielle et du débit cardiaque. Bein et al. ont évalué l’impact       gouvernent les échanges gazeux restent complexes et incom-
des manœuvres de recrutement sur l’hémodynamique et la                  plètement compris. Cinq mécanismes de transport des gaz
pression intracrânienne chez des traumatisés crâniens avec              (asymétrie des profils de vélocité, phénomènes de convec-
atteinte respiratoire associée [51]. Chez ces patients, les             tion par effet « Pendeluft », dispersion de Taylor, diffusion
manœuvres de recrutement induisent une baisse de pression               moléculaire de l’O2 et du CO2, oscillations cardiogéniques)
J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389                                     377

s’ajoutent à la ventilation alvéolaire directe et contribuent à         l’oxygénation artérielle chez des patients particulièrement
l’efficacité de la technique [55]. À chaque mécanisme de                sévères [64]. Dans cette série, l’amélioration de l’index d’oxy-
transport semble correspondre une zone anatomique, et leur              génation était significative dès la douzième heure et la tolé-
importance relative varie en fonction de l’hétérogénéité de la          rance hémodynamique de la technique était jugée satisfai-
répartition des hyperdensités et des constantes de temps alvéo-         sante malgré l’utilisation de PDP élevées (> 30 cmH2O) [64].
laires.                                                                 Depuis, ces résultats ont été confirmés par trois études por-
                                                                        tant au total sur un collectif de 108 patients traités pour un
1.3.2. Études expérimentales                                            SDRA sévère et réfractaire à l’optimisation de la VMC
   La possibilité de recruter le parenchyme pulmonaire grâce            [65–67]. Dans toutes ces études, l’utilisation de la HFO est
à l’utilisation de niveaux élevés de PDP tout en assurant la            associée à une amélioration significative de l’index d’oxygé-
normocapnie malgré des oscillations d’amplitude limitée                 nation et une réduction de la PaCO2 permettant de contrôler
autour de la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) font de            l’acidose respiratoire chez tous les patients. Une durée éle-
la HFO une stratégie de recrutement alvéolaire théorique-               vée de VMC avant l’initiation de la HFO et l’absence d’amé-
ment adaptée à la ventilation du SDRA [56]. Idéalement, la              lioration de l’oxygénation après 24 heures de ventilation en
ventilation en HFO doit permettre de maintenir le poumon                HFO sont associées à une surmortalité dans toutes les études.
recruté, au-dessus du point d’inflexion situé sur la partie expi-       L’intérêt d’une utilisation précoce de la HFO au cours des
ratoire de la courbe pression–volume, tout en réduisant la              SDRA ne répondant pas à la VMC doit être évalué par une
surdistension potentielle grâce à l’utilisation d’un VT limité.         étude prospective randomisée.
Cette stratégie devrait également minimiser la possibilité de              À ce jour, une seule étude multicentrique prospective ran-
lésions induites par le recrutement et dérecrutement séquen-            domisée a comparé l’efficacité de la HFO à celle de la VMC
tiel d’alvéoles instables.                                              au cours du SDRA [68]. Un total de 150 patients ont été ran-
   De nombreuses études expérimentales, réalisées principa-             domisés précocement pour être ventilés en HFO (PDP = Pmoy
lement en utilisant des modèles de déplétion de surfactant,             en VMC + 5 cmH2O, F = 5 Hz) ou en VMC (pression contrô-
démontrent l’efficacité de la HFO. Dans toutes ces études, la           lée, VT 6–10 ml/kg). Si ce travail retrouve également une amé-
HFO permet une amélioration des échanges gazeux, une                    lioration de l’oxygénation au cours des 24 premières heures
réduction des lésions pulmonaires histologiques, et une dimi-           en HFO, il ne met en évidence aucune réduction significative
nution de l’incidence des dysplasies bronchopulmonaires                 de mortalité à 30 jours (HFO 37 % vs VMC 52 %).
[57–59]. D’autres travaux plus récents démontrent que la HFO
permet de limiter les altérations structurelles et fonctionnel-         1.4. Techniques de circulation extracorporelle
les du surfactant [60] et d’atténuer la réponse inflammatoire
induite par la ventilation mécanique [61–63]. En dehors des                Pendant longtemps, l’hypoxémie réfractaire a constitué une
caractéristiques particulières des modèles expérimentaux de             cause fréquente de mortalité au cours du SDRA. Aujourd’hui
SDRA utilisés, deux points méritent d’être soulignés avant              encore, dans quelques cas exceptionnels, la sévérité de
de transposer ces résultats chez l’adulte atteint de SDRA.              l’atteinte pulmonaire est telle que les échanges gazeux ne per-
D’une part, dans la majeure partie de ces études, aucune stra-          mettent pas la survie au-delà de quelques heures. C’est dans
tégie de recrutement alvéolaire n’était appliquée aux ani-              ce contexte que se sont développées des techniques d’assis-
maux ventilés en ventilation mécanique conventionnelle                  tance respiratoire non-conventionnelles visant à assurer
(VMC). D’autre part, ces études étaient réalisées en utilisant          l’hématose en attendant la guérison des lésions pulmonaires
des sondes d’intubation de faible diamètre, des fréquences              [69,70]. Dès la fin des années 1970, l’utilisation d’une circu-
plus élevées et des P plus bas que ce qui est actuellement              lation extracorporelle (CEC) permettant d’assurer les échan-
préconisé chez l’adulte.                                                ges gazeux a été proposée dans le but de limiter le risque
   Dans certaines études expérimentales, l’institution de la            barotraumatique et de mettre le poumon au repos. Deux tech-
ventilation par HFO est précédée de manœuvres de recrute-               niques ont été principalement utilisées chez l’adulte.
ment qui favorisent son efficacité [52]. Ces manœuvres de                  Pendant les CEC d’oxygénation (ECMO- extracorporeal
recrutement, réalisées en augmentant transitoirement la PDP             membrane oxygenation), le sang veineux est prélevé par une
pourraient permettre d’augmenter séquentiellement la CRF                canule placée dans la veine cave inférieure ou l’oreillette
et de diminuer plus rapidement la FiO2 et/ou la PDP. L’intérêt          droite, oxygéné sur un oxygénateur à membrane comparable
de l’association systématique de manœuvres de recrutement               à ceux utilisés en chirurgie cardiaque, et réinjecté dans
alvéolaire n’a cependant pas été spécifiquement évalué.                 l’oreillette droite (CEC veinoveineuse) ou l’aorte (CEC vei-
                                                                        noartérielle, permettant également une assistance circula-
1.3.3. Études cliniques                                                 toire). L’institution d’une ECMO permet la réduction des
   Plusieurs études cliniques ont évalué l’efficacité de la HFO         pressions pulmonaires et des volumes insufflés, et pourrait
chez des adultes présentant un SDRA sévère ne s’améliorant              ainsi prévenir la survenue de lésions induites par la ventila-
pas en VMC [64–67]. En utilisant une stratégie de recrute-              tion mécanique. La réduction des pressions intrathoraciques
ment alvéolaire fondée sur l’augmentation progressive de la             est également associée à une meilleure stabilité hémodyna-
PDP, Fort et al. ont rapporté les premiers, une amélioration de         mique. Récemment, une stratégie d’assistance extracorpo-
378                                          J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389

relle sans pompe à galet, fondée sur une canulation artério-             tôt qu’un échangeur de chaleur et d’humidité (§ 2–2), 2) uti-
veineuse, a été développée [71,72]. L’ECMO est efficace pour             liser la ventilation à haute fréquence (§ 1–3), et 3) rincer
le traitement des détresses respiratoires du nouveau-né. Chez            l’espace mort anatomique.
l’adulte, de nombreuses séries cliniques rapportent l’effica-               Le rinçage de VD/VTanat repose sur l’addition d’un débit
cité de cette technique dans des SDRA sévères [73–77]. À ce              de gaz frais (le plus souvent de l’O2) soit au cours de l’inspi-
jour, une seule étude prospective randomisée a démontré                  ration, soit au cours de l’expiration, soit pendant la totalité du
l’absence d’intérêt de l’ECMO par rapport à la ventilation               cycle respiratoire. Le gaz frais additionnel peut arriver soit
mécanique conventionnelle [69]. Cependant, dans cette étude              au niveau de la carène (à travers un cathéter descendu dans la
ancienne, la mortalité était très élevée dans les deux groupes           sonde d’intubation trachéale), soit à l’extrémité de la sonde
et ces résultats ne sont pas transposables à la pratique actuelle.       d’intubation trachéale [88,89]. Une sonde spécifique a
    Simultanément, Kolobow et Gattinoni ont développé une                d’ailleurs été développée pour le rinçage de VD/VTanat [90].
technique alternative fondée sur l’association d’une ventila-            Le débit de gaz frais additionnel varie selon les études entre
tion à basse fréquence avec une épuration extracorporelle de             2 et 15 l/minute [88,89,91].
CO2 (LFPPV-ECCO2R - Low frequency positive pressure
ventilation - Extracorporeal CO2 removal) [78]. Cette tech-              1.5.2. Éffets physiologiques
nique fait également appel à l’utilisation d’un circuit de CEC              Le rinçage de l’espace mort par insufflation intrachéale de
veinoveineuse après canulation percutanée. Les débits de                 gaz entraîne une diminution de la PaCO2, une augmentation
pompe sont plus faibles mais permettent d’assurer l’épura-               du pH et de la PaO2. En revanche, cette technique induit une
tion de CO2. Les poumons restent ventilés à basse fréquence              auto-PEP qui augmente la pression plateau de fin d’inspira-
avec un VT limité (4 cycles/minute, 150–250 ml), et l’admi-              tion et expose donc au risque de volotrauma. Sur le plan hémo-
nistration d’O2 par un cathéter placé à 1 cm de la carène assure         dynamique, on constate une diminution du débit cardiaque.
l’oxygénation. Cette technique permet d’assurer l’oxygéna-               L’utilisation du rinçage de l’espace mort au cours de l’expi-
tion et de limiter le risque de barotraumatisme chez des                 ration et pendant toute la durée de celle-ci semble la méthode
patients présentant un SDRA extrêmement sévère [79,80].                  la plus efficace [89,91].
Plusieurs équipes, qui ont acquis une large expérience dans
la sélection des indications et la réalisation de ces techni-            1.5.3. Limites
ques, ont rapporté des taux de survie encourageants chez des                 L’expérience publiée dans le SDRA est actuellement limi-
adultes traités pour un SDRA sévère [81–85]. Dans une étude              tée à un faible nombre de malades. L’administration du gaz
prospective randomisée comparant ECCO2R et ventilation                   frais, non humidifié et non réchauffé, par un cathéter trans-
conventionnelle, Morris et al. n’ont mis en évidence aucune              prothétique peut induire des lésions trachéales. La méthode
différence de survie entre les deux approches [86]. Une autre            est limitée par la nécessité de disposer d’un système spécifi-
étude prospective comparant ECMO et ventilation conven-                  que pour l’administration pendant l’expiration, si on admet
tionnelle est actuellement en cours en Angleterre. Malgré les            la supériorité de cette dernière méthode de réalisation. La sur-
progrès technologiques récents (membranes pré-héparinées,                venue d’une auto-PEP doit être détectée et prise en charge
biocompatibilité accrue,...), ces techniques restent coûteu-             par une réduction de la PEP externe ou une augmentation du
ses, invasives, et sources de complications hémorragiques et             temps expiratoire.
infectieuses particulièrement sévères. De plus, la diminution
de l’incidence de SDRA et les progrès de la ventilation                  1.5.4. Éffets sur le devenir du patient
conventionnelle limitent encore les indications de ces techni-              À notre connaissance, aucune étude randomisée testant le
ques et risquent de freiner l’acquisition de l’expertise néces-          rôle du rinçage de l’espace mort sur le devenir du patient n’a
saire à leur mise en œuvre. L’utilisation de l’ECMO et de                été publiée.
l’ECCO2R est donc actuellement restreinte aux protocoles
de recherche clinique ou à des indications compassionnelles.             1.6. Humidification

1.5. Prise en charge de l’espace mort                                    1.6.1. Problématique
                                                                            Deux méthodes permettent l’indispensable conditionne-
1.5.1. Problématique                                                     ment de l’air inspiré au cours de la ventilation mécanique, les
   Au cours du SDRA, l’augmentation de l’espace mort                     systèmes d’humidification réchauffement (SHR) et les filtres
alvéolaire (VD/VTalv) aurait un rôle pronostique péjoratif [87].         échangeurs de chaleur et d’humidité (ECH). Dans la problé-
L’utilisation de petits VT expose à l’hypercapnie et à l’aci-            matique du SDRA, ces systèmes sont à évaluer à l’aune de
dose respiratoire en augmentant l’importance de l’espace mort            deux critères, le contrôle de la PaCO2 et l’incidence des pneu-
anatomique (VD/VTanat). La réduction de VD/VTalv dépend de               mopathies nosocomiales.
l’efficacité des stratégies thérapeutiques visant à modifier la
distribution de la ventilation alvéolaire et de la perfusion pul-        1.6.2. Éffets physiologiques
monaire. En revanche, trois types de mesure permettent de                   Du fait de leurs propriétés résistives et de leur espace mort,
réduire VD/VTanat : 1) utiliser un humidificateur chauffant plu-         les ECH imposent des contraintes mécaniques (augmenta-
J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389                                       379

tion des résistances à l’écoulement aérien, augmentation de             ventilation/perfusion. La place du NO dans la prise en charge
l’auto-PEP, augmentation de la demande ventilatoire et du               de l’hypoxémie du SDRA se situe en aval des moyens instru-
travail respiratoire) qui peuvent être préjudiciables au malade         mentaux (ventilation mécanique, PEP, ...) et posturaux (DV)
en cours de sevrage du ventilateur [92]. Le contrôle de la              utilisés lors de la prise en charge de l’hypoxémie du SDRA
PaCO2 est moins facile avec les ECH qui augmentent d’autant             lorsque ceux-ci n’ont pas permis d’améliorer l’oxygénation
plus l’importance du VD/VTanat que le VT est réduit comme               des SDRA les plus sévères (PaO2/FiO2 < 100 mmHg). Un
au cours de la ventilation mécanique du SDRA. Logique-                  certain nombre d’arguments plaident en faveur de cette atti-
ment, à réglages du ventilateur constants, l’utilisation des SHR        tude.
au cours du SDRA permet une réduction significative de la                   Le NOi vasodilate la circulation pulmonaire dans les zones
PaCO2 par rapport aux ECH [93].                                         les mieux ventilées; son action a donc d’autant plus de chance
   Les pneumopathies nosocomiales acquises au cours de la               d’être bénéfique en termes d’oxygénation que la quantité
ventilation mécanique sont fréquentes au cours du SDRA.                 d’alvéoles ventilées est grande. La réponse au NO est
L’incidence de celles-ci n’est pas significativement diffé-             meilleure lors de l’application d’une PEP [115], et certains
rente entre les deux systèmes d’humidification.                         malades non-répondeurs en l’absence de PEP le deviennent
   Il est donc recommandé de privilégier systématiquement               après application d’une PEP. Un travail évaluant le recrute-
les SHR par rapport aux ECH au cours de la ventilation méca-            ment induit par la PEP chez 20 patients atteints de SDRA, a
nique du SDRA avec hypercapnie.                                         montré que la PEP potentialise l’amélioration de l’oxygéna-
                                                                        tion induite par le NOi (2 ppm) chez les patients recrutés par
1.6.3. Limites                                                          la PEP mais pas chez les patients non recrutés [116]. Le NO
   Les SHR sont beaucoup plus coûteux que les ECH. De                   et le DV ont également des effets additifs sur l’oxygénation
plus plusieurs études ont montré qu’il n’est pas nécessaire de          au cours du SDRA [24,117,118]. Par ailleurs, les patients non
changer les ECH tous les jours, aussi bien en termes d’effi-            répondeurs au NO avant le DV peuvent le devenir secondai-
cacité que d’incidence de pneumopathie nosocomiale [94–97].             rement [24,117,118].
                                                                            L’ensemble de ces éléments tend a faire proposer de recou-
2. Approches pharmacologiques                                           rir au NOi uniquement si l’oxygénation est précaire
                                                                        (PaO2/FiO2 < 100 mmHg) malgré des mesures de recrute-
2.1. Monoxyde d’azote inhalé (NOi)                                      ment optimales comprenant un essai de décubitus ventral.

   Découvert en 1980 [98] puis identifié en 1987 [99,100], le           2.1.2. NOi, performance ventriculaire droite et foramen
monoxyde d’azote (NO) est formé dans l’organisme à partir               ovale
de la L-arginine sous l’effet des NO synthases constitutives               Le SDRA s’accompagne fréquemment d’une hyperten-
neuronales ou endothéliales en présence d’oxygène molécu-               sion artérielle pulmonaire (HTAP) dont l’origine est multi-
laire [101].                                                            factorielle. Dans quelques cas, cette HTAP peut entraîner une
   Le NO est un vasodilatateur artériel pulmonaire sélectif             insuffisance ventriculaire droite parfois responsable d’une
qui module le tonus vasculaire pulmonaire de base chez les              insuffisance circulatoire avec hypotension systémique. Plu-
sujets sains grâce à une synthèse continue de NO par les cel-           sieurs travaux ont évalué l’intérêt du NOi dans cette indica-
lules endothéliales [102]. Administré sous forme inhalée, le            tion [105,119]. Le NO permet parfois d’améliorer la fraction
NO abaisse les résistances vasculaires pulmonaires (RVP)                d’éjection du ventricule droit, mais reste sans effet sur le débit
sans induire d’hypotension artérielle systémique chez des               cardiaque en l’absence de défaillance ventriculaire droite éta-
malades atteints de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [102–            blie [120,121].
107]. Cet effet vasodilatateur pulmonaire sélectif est expli-              Environ 20 à 30 % des sujets adultes ont un foramen ovale
qué par la fixation rapide du NO sur l’hémoglobine qui                  perméable [122]. Chez ces patients, la ventilation mécanique
l’empêche d’exercer des effets systémiques [108]. En favori-            avec PEP ainsi que l’HTAP observée dans le SDRA peuvent
sant la vasodilatation artériolaire pulmonaire dans les zones           inverser le gradient de pression oreillette gauche : oreillette
ventilées dans lesquelles il diffuse, le NO améliore le rapport         droite, et entraîner ainsi un shunt droit–gauche pouvant majo-
ventilation–perfusion et diminue l’hypoxémie des patients               rer l’hypoxémie. Le NOi peut dans cette indication particu-
atteints de SDRA [104,109]. Ces mécanismes d’action ren-                lière réduire l’HTAP et le gradient de pression droit/gauche
dent légitime l’utilisation du NO inhalé (NOi) dans le traite-          contribuant à la fermeture du foramen ovale [123].
ment de l’hypoxémie du SDRA. Le NOi a été utilisé dans                     En dehors de son effet sur l’oxygénation, le NOi peut être
cette indication depuis le début des années 1990 [103]. Tou-            indiqué au cours du SDRA (1) en présence d’une HTAP avec
tefois, les études pronostiques même les plus récentes n’ont            dilatation du ventricule droit, septum paradoxal et bas débit
pas permis de mettre en évidence une influence de l’usage du            cardiaque, (2) pour favoriser la fermeture d’un foramen ovale
NOi sur le pronostic et la mortalité du SDRA [110–114].                 responsable d’une hypoxémie par shunt droit–gauche.

2.1.1. Indications                                                      2.1.3. NOi et ventilation alvéolaire
   Le NOi reste un traitement symptomatique adjuvant de                    Quelques travaux ont retrouvé une diminution significa-
l’hypoxémie du SDRA par manipulation des rapports                       tive de la PaCO2 et de l’espace mort sous NOi [103,104,116,
380                                        J.-D. Chiche et al. / Réanimation 14 (2005) 373–389

124]. Ces modifications sont de faibles amplitudes (quelques           teur chauffant, doit être utilisée en pratique clinique. L’admi-
mmHg) et par conséquent d’intérêt clinique limité, ce d’autant         nistration continue et l’administration séquentielle sont poten-
plus que la technique des gaz inertes n’a pas mis en évidence          tiellement utilisables. Seule cette dernière assure des
de baisse de l’espace mort sous NOi [103,109]. Le NOi n’a              concentrations inspiratoires stables de NO [137] et évite l’effet
aucune indication pour améliorer la ventilation alvéolaire au          « bolus » bien démontré lors de l’utilisation de la technique
cours du SDRA.                                                         continue [138] Deux systèmes d’administration utilisables sur
                                                                       tous les ventilateurs sont actuellement disponibles [136] :
2.1.4. Réponse clinique et posologies                                    • l’Opti-NO™ (Taema) est fiable pour des modes ventilatoi-
    Les effets du NO sont dose-dépendants [106,125–127]. Si                res à débit constant [138]. Simple à utiliser, il nécessite
on peut observer des effets sur l’oxygénation à partir de poso-            néanmoins une modification des débits de NO dès que l’on
logies d’environ 0,1 ppm, la majorité des études rapportent                modifie les réglages du ventilateur et ne permet pas un
un effet maximal entre 2 et 10 ppm chez les patients non-                  monitorage des concentrations de NO et de NO2.
septiques [127].                                                         • L’INO-Vent™ (Datex-Ohmeda) est le seul système auto-
    La réponse au NOi est évaluée sur la diminution de la pres-            risé par la FDA et l’agence européenne pour l’administra-
sion artérielle pulmonaire et/ou l’amélioration de l’oxygéna-              tion du NOi. La concentration de NOi est indépendante
tion. Dans la plupart des travaux, on considère qu’un patient              des modes ventilatoires et son réglage se fait directement
est répondeur si on observe une augmentation de 20 % du                    en ppm [139]. Une cellule électrochimique permet la
rapport PaO2/FiO2. Toutefois, la variabilité interindividuelle             mesure les concentrations de NO, NO2 et O2 avec une pré-
de la réponse au NOi est grande. La sévérité de l’atteinte de              cision de ± 3 %, une résolution de 0,1 ppm et un temps de
la circulation pulmonaire au cours du SDRA, les modifica-                  réponse de 30 secondes. Son principal problème est son
tions du lit vasculaire pulmonaire induites par la ventilation             coût.
(niveaux de PEP), l’état hémodynamique, le groupe sanguin                  Même si les risques de toxicité sont faibles pour des poso-
[128] ou l’existence d’une sepsis peuvent influencer la                logies inférieures à 15 ppm [126,140], le monitorage des
réponse. Chez les patients septiques, il est souvent nécessaire        concentrations de NOi et de NO2 est souhaitable afin de sécu-
d’utiliser des posologies plus élevées pour améliorer l’oxy-           riser l’administration du NO et de surveiller des variations
génation sans toutefois dépasser 15–20 ppm [127,129–131].              brutales des concentrations de NO et de NO2 [136,141,142].
    S’il n’existe pas de facteurs prédictifs fiables de réponse        En effet, la baisse brutale des concentrations de NO inhalé
au NOi au cours du SDRA, un niveau élevé des RVP semble                peut conduire à une dégradation des conditions respiratoires
un indice prédictif de la réponse hémodynamique ou gazo-               et hémodynamiques par effet rebond [143]. Précise et à
métrique au NOi [116,131–133]. La réponse au NO peut éga-              réponse rapide, la chimiluminescence reste la technique de
lement fluctuer dans le temps [134], des patients initialement         référence mais son coût élevé en fait essentiellement un outil
non-répondeurs pouvant devenir répondeurs. Enfin, en cas               de recherche. L’électrochimie est plus adaptée au monito-
d’administration prolongée, la sensibilité au NO devient plus          rage clinique, toutefois sa précision est faible pour des concen-
importante et nécessite la réévaluation de la courbe dose–             trations de NO inférieures à 1 ppm [144].
réponse et une réduction des posologies [107].                             En pratique, si on utilise une ventilation à débit constant,
    En pratique, un bon compromis semble être une posologie            l’usage du Opti-NO™ paraît suffisant. Dans tous les autres
moyenne de 0,5 à 2 ppm pour observer un effet sur l’oxygé-             cas, il est souhaitable d’utiliser un appareil de type INO-
nation. Compte tenu de la grande variabilité inter- et intra-          Vent™ avec un monitorage des taux de NO et NO2. Le moni-
individuelle de la réponse au NOi, il paraît raisonnable de            torage de la méthémoglobinémie n’est indispensable que pour
titrer l’effet du NOi pour chaque patient de manière quoti-            des posologies contrôlées supérieures à 40 ppm : cependant,
dienne afin de déterminer la dose minimale efficace pour obte-         la recherche de méthémoglobinémie reste souhaitable en cas
nir l’effet recherché sur l’oxygénation [135].                         d’administration prolongée.

2.1.5. Administration et monitorage                                    2.1.6. Contre-indications
    Les avantages et inconvénients des différentes modalités              Le déficit congénital ou acquis en méthémoglobine réduc-
d’administration et de monitorage ont été discutés en détail           tase est une contre-indication absolue à l’administration de
par Branson et al. [136]. Idéalement ces systèmes doivent              NO ainsi que la grossesse du fait des risques mutagènes poten-
permettre l’administration de concentrations précises et sta-          tiels. Les contre-indications relatives sont représentées par
bles de NO indépendamment des modes et réglages de ven-                l’existence d’un syndrome hémorragique, d’une hémorragie
tilation, et limiter la production de NO2. Ils ne doivent pas          intracrânienne, d’une thrombopénie sévère (< 50,000 Giga/l),
perturber le fonctionnement du ventilateur, et en particulier          ou d’une dysfonction ventriculaire gauche.
des alarmes ou des systèmes de déclenchement, et doivent
enfin permettre de piéger le NO pour éviter sa dissémination           2.2. Almitrine
dans l’atmosphère,
    Seule l’administration sur la partie initiale de la branche           L’almitrine (Vectarion®, Servier, Suresnes) est un analep-
inspiratoire du circuit ventilatoire, en aval de l’humidifica-         tique respiratoire périphérique qui majore la vasoconstric-
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