Théâtre & Justice au Burundi - Recherche menée en collaboration avec RCN Justice & Démocratie au Burundi
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ART & TRANSFORMATION DES CONFLITS Théâtre & Justice au Burundi Spectacle Habuze Iki, Burundi, 2005 (photo Frédérique Lecomte) Recherche menée en collaboration avec RCN Justice & Démocratie au Burundi
Béatrice Pouligny (CERI-Sciences Po/CNRS, Paris, France & Georgetown University School of Foreign Service, Washington DC, USA) 2
TABLE DES MATIERES Préface & Remerciements Qui sommes-nous? Avant Propos (directeur de RCN Justice & Démocratie) 1. Introduction 1.1. Théâtre & Justice au Burundi 1.1.1. Le programme de RCN Justice & Démocratie au Burundi 1.1.2. Le programme théâtre 1.1.3. Les groupes de parole 1.2. Art & Transformation des conflits Un projet de recherche qualitative et comparative dans différentes régions du monde 1.2.1. Cadrage général de la recherche 1.2.2. Principaux objectifs de la recherche 1.2.3. Etudes de cas 1.2.4. Méthodologie 1.2.5. Composantes et outils de recherche au Burundi 2. Les principales fonctions du théâtre dans la transformation du conflit et la reconstruction au Burundi 2.1. Au-delà des non-récits et récits impossibles, l’ouverture d’espaces pour un dialogue et un questionnement citoyen 2.2. La participation à un processus thérapeutique et cathartique 2.3. La contribution à un processus de re-symbolisation 2.4. La valorisation de la capacité créatrice de la société 3. Les conditions dans lesquelles le théâtre peut effectivement participer d’un processus de transformation & les outils de suivi et d’évaluation 4. Conclusion Annexes: - Tableaux récapitulatifs des participants aux différents focus groups (avec les indications d’âge, sexe et statut social) - Guide d’entretien pour les focus groups spectateurs - Guide d’entretien pour le focus group avec des participants à un atelier d’improvisation - Guide d’entretien pour le focus group avec les comédiens - Bibliographie générale sur l’art & la transformation des conflits 3
Préface & Remerciements Ce rapport présente les principaux résultats d’enquêtes de terrain sur l’art & la transformation des conflits menées au Burundi du 2 au 15 mars 2007. Je tiens à remercier tous les collègues de RCN Justice & Démocratie au Burundi pour leur collaboration et leur accueil chaleureux tout au long de mon séjour. Un merci tout particulier à Hélène Morvan, Responsable du projet « Appui à la société civile », avec laquelle l’idée d’une collaboration a germé il y a déjà plusieurs années, ainsi qu’à Danny Nkurikiye, Antoine Bucucu et Alexis Ndimubandi. Grâce à eux, cette recherche a été un véritable travail d’équipe mais aussi une très belle aventure humaine. Ce fut un honneur et une joie de travailler avec eux. Merci également à Emile Ndigiriye qui nous précédait sur les routes du Burundi pour préparer nos rencontres ainsi qu’à nos deux chauffeurs. Merci à Sylvestre Barancira, coordonnateur du programme de RCN Justice & Démocratie au Burundi pour ses conseils et contributions à notre réflexion. Enfin, je suis reconnaissante à Frédérique Lecomte, auteure et metteure en scène, d’avoir si gentiment et si longuement témoigné de sa démarche et de son expérience au Burundi ; ce rapport témoigne des multiples traces qu’elle y a laissées. Ce rapport est dédié aux comédiens de la troupe de RCN Justice & Démocratie : Thérèse Ntibagengeza, Patricie Ntirampeba, Purcheline Matega, Eleonora Ndikiminwe, Fabiola Mukezamfura, Anthime Baransakaje, Dominique Mboninyeretse, Lucien Irakoze, Jean-Claude Minani, Mbarushimana, ainsi qu’à Mathias Rwasa qui n’a malheureusement pas pu nous rejoindre à Bujumbura pour le focus group. Merci pour votre disponibilité et votre sincérité dans le partage de votre expérience. Merci également pour vos chants et vos danses. Ce rapport est également dédié à tous les spectateurs et citoyens burundais qui ont accepté de partager avec nous leurs impressions et, bien au-delà, leur vécu, leurs souffrances, leurs doutes, leurs peurs mais aussi leurs espoirs avec beaucoup d’émotion. Merci à Thomas Bigirimana, Edwige Mirarago, Désiré Musongera, Espérance Kanyange, Immaculée Ntibarwiga, Jean-Marie Nahimana, Anaclet Nindabira, Chantal Gatamba, Anne-Marie Kanyugunyugu, Anastasie Munyazi, Chantal Kamariza, Elias Bagomwa, Marthe Ntakarutimana, Didace Kampaya, Gracien Nzeyimana, Salvator Hakizimana, Stany Kadende, Joseph Sinzinkayo, Pascasie Nimbona, Innocent Nsabiyumva, Donatien Bandirubusa, Bernadette Nyagahunga, Salvator Matanwa, Daniel Habonimana, Gaspard Niyonsaba, Onésphore Nduwayo, Jean Bosco Manirabona, Hermès Sinzumusi, Fidèle Ndarisigaranye, Marie-Justine Hashazinyange, Herménegilde Ndayisenga, Floride Kanyange, Anatole Mvuyekure, Anne-Marie Ndayishimiye, Caritas Nsabimana, Barutwanayo Jeanine, Ndabadugitse Louis, Nahimana Jean, Karikurubu Albert, Joseph Ndayisenga, Gaudence Ntunguka, Charlotte Ntukamazina, Prosper Nzosabimana, Léopold Hatungimana, Stany (Stanislas) Bukuru, Anne Barisize, Evelyne Nizigiyimana, Pélagie Nibaruta, Jocelyne Niyibizi, Didace Bambara, Godelieve Manirambona, Audrigue Igiraneza, Gabriel Bitesbu, Laurent Ngendakumana, Denis Manirambona, Ange Bénédicte Ndayisenga, Innocente Inamahoro, Emmanuel Kwizera. Cette recherche a pu se faire grâce à un grant de l’United States Institute of Peace que je remercie pour son soutien. Elle a été réalisée avec l’appui technique et logistique de l’ONG RCN Justice & Démocratie au Burundi dans le cadre du programme triennal 2006-2008 « Pour une justice légitimée », financé par la Commission Européenne et le Service Public Fédéral des Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement du Royaume de Belgique. Béatrice Pouligny Washington DC, Juillet-Septembre 2007 4
Qui sommes-nous ? Dr. Béatrice Pouligny est docteur en sciences politiques, chercheure au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI-Sciences Po/CNRS, Paris France) et Professeure invitée à Georgetown University School of Foreign Service (Washington DC, USA). Elle a auparavant travaillé pour l’ONU et pour des organisations non gouvernementales internationales et locales dans différentes régions du monde. Ses travaux de recherche portent notamment sur les différentes dimensions de la reconstruction des sociétés post-conflit, avec une attention particulière aux perceptions et stratégies des acteurs locaux ainsi qu’aux interactions entre les processus locaux et internationaux. En 2002-2003 puis en 2004, elle a été distinguée par la Commission Fulbright pour son travail sur les conflits et la construction de la paix (New Century Scholar and Alumni Initiative Award). Ses travaux de recherche ont bénéficié de soutiens financiers de différentes sources privées et publiques en Europe et en Amérique du Nord, y compris la Ford Foundation et l’United States Institute of Peace. CERI-Sciences Po/CNRS Le Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI) a été fondé en 1952 au sein de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP). Unité mixte de recherche du CNRS, le CERI est, en France, le principal centre de recherche sur le système politique international. L’analyse des conflits armés et de leur résolution constitue une composante centrale de son programme de recherche. Il abrite le site internet bilingue du projet de recherche-action internationale Re-Imagining Peace (Ré-inventer la paix) : http://www.ceri-sciencespo.com/themes/re-imaginingpeace/index.htm RCN Justice & Démocratie RCN Réseau de Citoyens/Citizen’s Network a été fondé en 1994, en réponse au besoin de justice au Rwanda après le génocide et les massacres. RCN a ensuite développé ses programmes en Haïti (1997-1999), en Belgique, au Burundi, au Congo (Kinshasa-Bas Congo, Katanga, Ituri). RCN Justice & Démocratie est présent au Burundi depuis 2001. Dans le cadre du processus de transition initié par l’accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation (28 août 2000), l’organisation a conduit deux programmes d’appui à la justice au Burundi qui avaient pour objectifs de renforcer la confiance de la population dans la justice et de contribuer à l’affirmation d’une justice accessible, reconnue par tous et offrant à tous les citoyens burundais une égale protection devant la loi. Dans l’objectif de favoriser l’ouverture d’espaces de dialogue, l’organisation a produit, entre 2002 et 2005, avec les services de l’auteure et metteure en scène belge Frédérique Lecomte (et l’ASBL « Le Château de Barbe Bleue - Théâtre et Réconciliation »), deux pièces de théâtre en kirundi : «Si Ayo Guhora» (« On ne peut pas se taire »), et « Habuze Iki ? » (« Qu’est-ce qui a manqué ? »). Ces spectacles sont interprétés par une troupe de théâtre composée d’une dizaine de comédiens des trois groupes ethniques (twa, tutsi, hutu) du Burundi. Le théâtre a été utilisé comme un moyen de rassembler des publics séparés, briser le déni du conflit, susciter le questionnement et le dialogue. Des groupes de parole ont également été organisés à la suite des représentations à travers tout le pays. Une nouvelle pièce est en cours de production. Pour plus d’information : Janouk Bélanger, Responsable du programme Burundi à Bruxelles, janouk.belanger@rcn-ong.be info@rcn-ong.be Sylvestre Barancira, Coordonnateur du programme au Burundi rcn-burundi-coordo@cbinf.com 5
Théâtre & Réconciliation (anciennement Château de Barbe Bleue) Théâtre & Réconciliation (anciennement Château de Barbe Bleue) est une Association Sans But Lucratif crée à l’initiative de Frédérique Lecomte en 1994 et basée à Bruxelles. Depuis 15 ans, l’ASBL crée des spectacles professionnels avec des acteurs issus de communautés vulnérables : populations dans des zones de conflits, marginalisés, détenus, victimes de tortures, toxicomanes, patients en milieu thérapeutique etc. A l’heure où les structures traditionnelles de la coopération au développement s’interrogent sur les manières d’aider à la reconstruction non seulement des infrastructures et du patrimoine matériel dans les pays sortant de conflits, il importe de se demander comment on peut soutenir la reconstruction des âmes et des consciences. L’approche théâtrale de Théâtre et Réconciliation permet de travailler sur les espoirs, les peurs et les perceptions de l’autre ; quand la guerre n’existe plus par les armes mais qu’elle demeure dans les esprits… Théâtre et Réconciliation a collaboré avec Search For Common Ground (Congo, Burundi), Conseil Norvégiens pour les Réfugies (Burundi), Transcultural Psychosocial Organisation (Burundi), La Chaire de Unesco (Burundi), Fedasil (Belgique), Rhapsodie (Belgique), Centre Espagnol de Formation (Belgique), RCN Justice & Démocratie (Burundi), Théâtre de la Cité (France), Gare au Théâtre (France)… Pour plus d’information : Frédérique Lecomte, auteure, metteure en scène, directrice de « Théâtre et Réconciliation » lecomte.frederique@reconciliation.be http://www.reconciliation.be/ 6
Avant Propos Le théâtre et RCN Justice & Démocratie Pourquoi RCN a-t-il appelé l’art théâtral à participer à la reconstruction de l’état de droit. Au séminaire de Buta, le 30 avril 1997, des écoliers ont été assassinés parce qu’ils avaient refusé de se séparer en deux groupes. Les assaillants leur avaient en effet enjoint de se ranger d’un côté ou de l’autre du mur selon leur appartenance ethnique. Leur acte était fréquemment rappelé comme exemplaire. En tant que défenseur des droits et des valeurs qui les fondent, RCN ne pouvait manquer d’être frappé par leur caractère instituant, alors même que la loi et la constitution ne faisaient plus sens, alors même que la loi et la constitution sont un engagement au respect de la vie, et au respect de l’autre. Quand les institutions sociales, puis juridiques se délitent, ne restent que des actes. Et quand ces actes, rares, se manifestent, ils frappent par leur justesse. Nous les avons appelés des actes justes. Ces actes sont souvent spontanés, ils ne sont pas prévus, mais ils viennent d’une sorte de conscience du juste qui trouve certainement son fond dans une transmission de maîtres, de parents… Il y a pourtant un sérieux décalage entre la constitution burundaise d’inspiration occidentale et la vie quotidienne des burundais des collines. Ce n’est donc pas la Constitution qui est respectée, c’est un fond culturel burundais. Il faut donc en prendre connaissance. Il faut relier les valeurs de la constitution aux actes justes commis par des burundais. Une autre énigme reconnue dans tous les pays à propos des actes justes, c’est leur caractère de résistance, de désobéissance même : quand les valeurs sont inversées, le fou c’est bien celui qui continue à appliquer le respect, qui ne discrimine pas, qui ne tue pas. Et faire ce pas de côté, c’est sortir de ce qui est devenu la norme. C’est très rare. Si on veut en faire la promotion, de ces actes justes, on risque de tomber très vite dans l’éloge du bien contre le mal. Et tout le monde d’être d’accord sur le bien qu’il va faire et le mal qu’il ne fera pas. La fonction moraliste est assurée par les campagnes du bien, mais la fonction d’initiation à la résistance a-t-elle lieu ? On peut utiliser les arts pour rendre les discours moraux plus ludiques, mais l’art véritable ne se prête pas à ce type de fonction. Il a valeur initiatique : il propose au spectateur des tensions entre la vie, la mort, la solidarité, la solitude, l’amour, la haine, il les exacerbe, il humanise jusqu’au plus encombrant des assassins et questionne les cœurs purs… Il permet d’embrasser idées, images et pensées que la morale ou les normes n’autorisent pas d’explorer « en vrai ». Et cette initiation a valeur de reconstruction, de fondation. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer une pièce de théâtre au Burundi avec un metteur en scène qui ne « craignait pas de faire entrer le diable dans l’église. » Là où la morale sociale et le droit ne s’aventuraient pas, le théâtre pouvait ajouter à la compréhension des crimes et des meurtriers, des victimes et de leurs souffrances, des juges et de la difficulté de juger. 7
Mais cette idée ne s‘est pas imposée tout de suite. Alors qu’au Rwanda, les autorités ont préféré ne pas soutenir une initiative du même type à partir de l’argument de la mise en danger des personnes ayant affiché leur résistance et ayant sauvé des Tutsis, le ministre des droits de l’homme du Burundi a pesé les risques de l’exercice en posant immédiatement la question de la catharsis : le théâtre allait-il mettre en danger des personnes ? Réveiller la mémoire c’est en effet réveiller aussi les dénis, les volontés de revanche, l’accusation de trahison vis à vis de ceux qui se sont désolidarisés de leur communauté en sauvant des gens de l’autre communauté. La volonté de RCN Justice & Démocratie d’aller au fond des choses et la volonté de ne pas exacerber le conflit ont un moment été mises en balance. Les autorités n’avaient pas la garantie que RCN Justice & Démocratie avait cette capacité. Elles ont néanmoins fait ce pari et confié à RCN ce travail l’alignant certainement dans le chef du ministre, dans la perspective de pacification en cours à Arusha. La dimension politique de la catharsis apparaît ici au premier plan dans la genèse des spectacles confiés à chaque fois à des metteurs en scène parfaitement identifiés comme capables de contribuer à une représentation cathartique de l’histoire du Burundi. La fonction cathartique du théâtre a d’autant plus vocation à être animée, que les blessures, les actes, sont encore dans les esprits et les corps. La séparation d’avec eux doit encore s’opérer. La guérison passe par cette séparation. On est loin des pièces occidentales sur la difficulté d’être et les névroses bourgeoises. Il faut donc quelque part insister et profiter de cette occasion pour dire que ce n’est pas l’acte de produire une pièce de théâtre dans un pays pauvre qui est important mais plutôt que produire une pièce de théâtre dans un pays qui naît est tout à fait opportun. C’est la vocation même du théâtre et sa période la plus intense dans une démocratie. Le théâtre est à l’origine de la démocratie. Il le fut en Grèce antique et il le fut également lors de leur avènement en Europe. La comparaison va plus loin encore. Avant la démocratie, ce sont en général les contes, les mythes et les légendes qui font la culture, mais il n’y a pas de représentation au sens strict. En démocratie l’acte de représentation naît dans trois champs en même temps ; justice, loi, théâtre. L’avocat représente une personne, et le jugement représente les faits. L’élu représente un citoyen. Et l’acteur représente une personne. La création d’un théâtre au Burundi est donc un acte politique comme la création d’un tribunal et d’un parlement. Il est le lieu de parole du peuple. Il est tout à fait important de rappeler à cet égard que la pièce Habuze Iki fut présentée au Parlement. Ce jour-là, au parlement, le peuple parla de la justice. Partie d’une intuition que le théâtre pouvait dire ce que le droit et la morale ne disent pas, ce jour-là, les trois argument d’une construction d’un état démocratique se sont trouvées confondues en un moment dans un lieu symboliquement fondamental. Produire du théâtre c’est produire de la représentation, c’est produire de la démocratie. RCN Justice & Démocratie, en effet. Pierre Vincke Directeur de RCN Justice & Démocratie 8
I INTRODUCTION 9
1.1. Théâtre & Justice au Burundi 1.1.1. Le programme de RCN Justice & Démocratie au Burundi RCN Réseau de Citoyens/Citizen’s Network a été fondé en 1994, en réponse au besoin de justice au Rwanda après le génocide et les massacres. RCN a ensuite développé ses programmes en Haïti (1997-1999), en Belgique, au Burundi, au Congo (Kinshasa-Bas Congo, Katanga, Ituri). RCN Justice & Démocratie est présent au Burundi depuis 2001. Dans le cadre du processus de transition initié par l’accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation (28 août 2000), RCN Justice & Démocratie a mis en œuvre trois programmes d’appui à la justice au Burundi : 2001-2002 « Appui à la justice au Burundi », 2003-2005 « Pour une égale protection devant la loi » et 2006-2008 « Pour une justice légitimée ». Les deux premiers programmes avaient pour objectifs de renforcer la confiance de la population dans la justice et de contribuer à l’affirmation d’une justice accessible, reconnue par tous et offrant à tous les citoyens burundais une égale protection devant la loi. La stratégie proposait de renforcer la qualité de la justice rendue par les tribunaux de proximité et de sensibiliser la population aux valeurs de la Justice et aux droits humains fondamentaux. Le programme 2006-2008 en cours, vise à la construction d’un Etat de droit fondé sur une justice légitimée, à la consolidation de la paix sociale et à la reconstruction individuelle, collective et institutionnelle. Il crée du lien entre la société et la justice, en restaurant la primauté de la société dans la définition des normes et des structures qui régissent la justice. Il œuvre au plus près des réalités culturelles, historiques et sociales qui constituent les fondements du processus de reconstruction du Burundi. L’objectif du programme « Pour une Justice légitimée» est de contribuer à ce que la justice et des espaces de parole soient restaurés peu à peu au sein de la société burundaise et soient garantis par les institutions. En 2005, une évaluation externe de l’action de RCN Justice & Démocratie au Burundi a montré des résultats tangibles quant à l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire et de l’accessibilité du droit pour la population.1 au renforcement du fonctionnement du système judiciaire par l’appui logistique des Tribunaux de Résidences et des services judicaires, l’appui logistique pour l’attribution des compétences en matière criminelles aux Tribunaux de Grande Instance, et un projet pilote d’informatisation des Parquets de la République et Parquets Généraux du Burundi ; à l’amélioration des compétences du personnel judiciaire par la formation de 200 greffiers, de 500 magistrats des Tribunaux de Résidence et de 183 Officiers de Police Judiciaire ; la traduction, publication et diffusion à l’attention du personnel judiciaire d’un « Recueil de textes et lois nationales et internationales » et d’un « Recueil d’actes de procédures en matière civile et pénale » ; 1 . Sources : Markus Weilenmann, Promouvoir la Justice et la Démocratie au Burundi, rapport d’évaluation du programme des activités de RCN Justice & Démocratie, juillet 2005 ; Programme triennal 2006-2008 « Pour une Justice Légitimée », p. 13. 10
à la clarification et la diffusion des pratiques en matière foncière par la réalisation et la diffusion de « l’Etude sur les pratiques foncières au Burundi, Essai d’harmonisation » ; à la sensibilisation de la population aux droits humains fondamentaux et aux valeurs positives qui les fondent par la diffusion de 54 émissions radio « Ntunganiriza », des séminaires de promotion de la justice auprès de 1249 autorités de base et la diffusion d’outil de vulgarisation du droit ; au renforcement des compétence et expertise des associations locales : par la formation de 90 représentants de 12 associations partenaires, l’appui à la réalisation de projets de défense et de promotion des droits humains (20) et un soutien en documentation juridique des acteurs de la société civile. L’outil théâtre complète ce dispositif. Il permet de rassembler des publics séparés, briser le déni du conflit, susciter le questionnement et le dialogue. L’action théâtre est complétée par une autre activité de création artistique s’appuyant cette fois sur le conte. RCN Justice & Démocratie soutient l’écriture, la publication et la diffusion de 10 contes. Ce recueil de contes devrait aider à assurer la transmission orale et mise en discussion des valeurs immémoriales, des attitudes et des repères identitaires fondateurs de justice, et proposer des nouvelles figures d’identification, remplacer les figures guerrières et violentes par des figures de justice, de sagesse et de solidarité. 1.1.2. L’action théâtre Par-delà le résultat escompté de l’action, qui est « d’ouvrir des espaces de dialogue en référence à la culture et à l’histoire du Burundi »1 , l’action théâtre de RCN Justice & Démocratie / Burundi vise à : 2 Susciter une interpellation individuelle et collective sur les questions de responsabilité citoyenne ; Favoriser l’émergence d’une histoire plurielle du Burundi ; Favoriser la rencontre et le dialogue entre les criminels et les victimes, entre populations balkanisées ; Recréer du lien et de la reconnaissance sociale autour de l’expression de l’injustice et de la souffrance (notamment par l’identification dans la souffrance de l’autre) ; Relayer les attentes et propositions de la population sur la justice post-conflits ; Favoriser l’émergence de nouvelles appartenances sociales, culturelles, économiques ; Renforcer les compétences des comédiens et favoriser une transformation également à leur niveau. L’organisation a produit, entre 2002 et 2005, deux pièces de théâtre en kirundi : «Si Ayo Guhora» (« On ne peut pas se taire »), et « Habuze Iki ? » (« Qu’est-ce qui a manqué ? ») écrites et mises en scène par l’auteure et metteure en scène belge Frédérique Lecomte. Ces spectacles ont été interprétés par une troupe de théâtre composée d’une dizaine 1 . « Le projet politique de RCN Justice & Démocratie vise à plus de justice et à plus de pratiques démocratiques. Il est fondé sur la conviction que les Hommes ne peuvent construire la justice qu’à partir de la discussion, sur base d’un échange de parole garantie pour chacun : le droit ne mène à plus de justice que s’il naît de la discussion et s’il la permet ». (Charte RCN J&D) 2 . Ibid, p. 40 et réunion de travail à Bujumbura, le 5 mars 2007. 11
de comédiens représentatifs non seulement de tous les groupes ethniques (twa, tutsi, hutu) du Burundi mais aussi de la plupart des provinces. Artistes de théâtre mais aussi tambourinaires, musiciens, chanteurs, danseurs, ils puisent dans les différentes traditions artistiques de leur pays. Une nouvelle pièce est en cours de production. L’écriture des spectacles s’est inspirée des récits de vie des acteurs eux-mêmes mais aussi de plusieurs groupes de populations (prisonniers, habitants des collines, personnes déplacées, combattants), recueillis et re-travaillés lors d’ateliers d’improvisation. Le processus de création a cherché à restaurer le sens de la justice en tant que valeur fondatrice de la société, en apportant une analyse critique des relations de domination, d’exploitation, de haine et de violence vécues par la population burundaise. Les ateliers d’improvisations ont permis de rassembler des populations antagonistes et de créer des interactions entre prisonniers et déplacés, des récits d’ex-combattants, de rapatriés, des habitants des collines. Public lors d’une représentation à Karuzi, octobre 2006 (photo RCN) La pièce « SI AYO GUHORA » (« On ne peut pas se taire »), interroge l’acteur et le spectateur sur sa capacité d’être juste, sa capacité à juger, en son âme et conscience, de ce qui est juste. La sincérité, la vérité sans fards, la parole du cœur permettent d’exorciser ses peurs, de changer, de se changer. Elle permet aussi d’interroger le public sur sa capacité de transformation, sur sa capacité à élargir ses points d’ancrage identitaires pour ne pas réduire son appartenance à une identité meurtrière. La pièce « HABUZE IKI ? » (« Qu’est-ce qui a manqué ? ») met en scène un procès au cours duquel toutes les parties impliquées (auteurs de crimes, victimes, juge) dans les conflits successifs qui ont jalonné l’histoire du Burundi s’expriment sur la souffrance et la violence vécue et questionnent la pertinence de la justice comme moyen de reconstruction sociale. Le juge est joué alternativement par différents comédiens qui renoncent à juger. Le spectacle interroge constamment le spectateur sur ses responsabilités, la difficulté à connaître la vérité, les moyens de rendre justice et de reconstruire. Il met en scène les différentes formes de violence (massacres, corps découpés à la machette, bébés pilés…), les évènements qui les ont précédés (les processus de mobilisation, l’entraînement des différents acteurs de violence : l’un des personnages montre à un autre comment tuer à la machette ou se servir d’une arme automatique), les drames individuels et collectifs qu’ils ont provoqués, les souffrances physiques et mentales qui ont touché tous les Burundais. La question « qu’est-ce qui a manqué ? » résonne sans fin et les scènes s’enchaînent comme autant de coups de poing, 12
scandées par les paroles du conteur et chanteur qui interroge le public et à travers lui la société dans son ensemble : « toi, le pays » [wa gihugu we]. 13
Chacune des pièces de théâtre a été jouée sur l’ensemble des collines du Burundi, afin de sensibiliser un maximum de public. Ont été ciblés en priorité les espaces où les conflits ont été les plus déstructurants, ainsi que les populations déracinées, à l’instar de celles vivant dans les camps de démobilisés, de déplacés, de réfugiés (camps de Mtabila et Muyovozi en Tanzanie)… Le premier spectacle a tourné à travers l’ensemble du pays de septembre 2002 à décembre 2004, avec un total de 160 représentations. Le processus de création du second spectacle a duré de mai 2003 à juin 2004 ; 167 représentations en ont été données à travers l’ensemble du pays de février 2005 à décembre 2006. Des groupes de parole ont également été organisés à la suite des représentations de ce second spectacle. RCN Justice & Démocratie estime qu’au total quelques 162 990 personnes ont assisté à ces spectacles à travers l’ensemble du Burundi, avec une moyenne de 800 spectateurs par représentation, tous âges confondus. La présente recherche a porté principalement sur le spectacle « HABUZE IKI ? », le plus récent dans l’esprit de tous. Représentation de « HABUZE IKI ? » dans la commune de Butaganzwa, province de Kayanza, août 2006 (Photo RCN) 14
1.1.3. Les groupes de parole Parce que le spectacle pose des questions difficiles et provoque la verbalisation de souffrances, il était essentiel de ne pas laisser le spectateur seul face à ces questionnements et ses traumas. Lors du premier spectacle, «Si Ayo Guhora» (« On ne peut pas se taire »), après chaque représentation, les comédiens se répartissaient dans le public et s’asseyaient pour parler avec ceux qui le souhaitaient, répondre aux questions, écouter. Ce furent les « cercles des anges », beaux moments de partage mais extrêmement difficiles à assumer émotionnellement pour les comédiens alors qui venaient tout juste d’assurer la représentation d’un spectacle déjà très éprouvant. Par ailleurs, chacun se retrouvait seul face à un groupe de spectateurs, sans soutien ni réelle formation pour assurer ce travail tout autre. Discussions avec les comédiens, 2002 (Photo Frédérique Lecomte) La formule a donc été changée pour le second spectacle. Depuis février 2005, les représentations sont accompagnées d’ateliers d’échanges et de réflexions avec les populations locales : les groupes de parole. Ceux-ci ont été animés par Antoine Bucucu et Alexis Ndimubandi, psychologues. Ces groupes de parole réunissent des spectateurs de deux représentations (dix pour chacune), vivant dans des localités distinctes. Un groupe de parole est donc composé de 20 participants qui n’ont parfois jamais eu l’occasion de se rencontrer et d’échanger. Lors de la mission de préparation des tournées théâtrales, l’assistant de production repère cinq leaders de communauté (personnes dont la fonction ou la réputation leur confère une position de leader dans leur milieu) susceptibles de participer aux groupes de parole. Lors de la représentation, les psychologues sélectionnent cinq autres personnes parmi celles qu’ils ont repérées comme étant particulièrement attentives et réactives au spectacle. 15
Ces groupes sont des espaces de discussion sur le spectacle, l’histoire du Burundi et la justice post-conflit. En effet, si les débats sur la justice transitionnelle reviennent souvent sur les ondes des radios nationales et mobilisent les organisations nationales et internationales actives dans le domaine de la justice, les populations demeurent largement silencieuses et sous- informées. Avec le temps, les groupes de parole sont devenus la finalité de l’action théâtre. Ils font l’objet de rapports écrits par les psychologues.1 Groupes de parole, Commune de Mutumba, province de Karuzi, septembre 2006 (Photo RCN) 1 . Un ouvrage basé sur les rapports établis par Antoine Bucucu et Alexis Ndimubandi en 2006 et 2007 vient d’être publié au Burundi par RCN Justice & Démocratie : Paroles de Burundais sur la justice d'après-guerre. Expérience de consultations réalisées auprès de la population sur la justice et le conflit au Burundi. Il est consultable sur le site Re-Imagining Peace : http://www.ceri-sciencespo.com/themes/re-imaginingpeace/index.htm 16
1.2. Art & Transformation des conflits : un projet de recherche qualitative et comparative dans différentes régions du monde 1.2.1. Cadrage général de la recherche Les enquêtes menées au Burundi sur l’action théâtre de l’organisation RCN Justice & Démocratie font partie d’une recherche comparative sur des projets utilisant l’art pour la transformation des conflits dans différents pays. La notion d’« art » renvoie ici à un ensemble de processus de création musicale, scénique (théâtre et danse) et d’arts visuels. A la différence d’autres travaux,1 cette recherche est focalisée sur des projets dans lesquels l’art a été consciemment et activement utilisé pour soutenir un processus de transformation de conflit et de construction de la paix. Tous ont également un fort ancrage communautaire et privilégient une approche participative et interactive, offrant de ce fait un plus grand potentiel transformateur. Aux fins de cette recherche, je me réfère généralement à une acception large de la notion de « transformation de conflit ». Adam Curle,2 Johan Galtung,3 et plus encore Jean Paul Lederach4 sont trois analystes qui ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration d’un cadre théorique et méthodologique pour cette notion. Pour Lederach, la transformation des conflits renvoie à une approche globale et polyvalente de la gestion d’un conflit violent à ses différentes phases. Il s’agit d’un processus continu de transformation positive des relations, comportements, attitudes et structures du conflit.5 L’approche intégrée de transformation des conflits et construction de la paix à laquelle je me réfère prend en compte la complexité et le caractère multi-facettes de l’expérience humaine et s’appuie sur une large participation sociale. A travers le monde, des ONG internationales de renom mais aussi des organisations locales et groupes communautaires ont, à l’instar de RCN Justice & Démocratie, développé des programmes liant l’expression artistique et la construction de la paix. Ces acteurs ont perçu le potentiel de l’art pour approcher des dimensions plus émotionnelles et profondes des conflits qui ne sont généralement pas touchées par les approches conventionnelles. L’acte créateur est également un canal important pour re-penser les relations entre communautés. Ce mouvement s’est inscrit dans la continuité de l’expansion des « arts communautaires » qui, depuis les années 1970, se sont impliqués dans les mouvements civiques, jouant un rôle renouvelé sur les questions de transformation des identités et de changement social.6 De 1 . Voir par exemple Lisa Schirch, L., Ritual and Symbol in Peacebuilding, Bloomfield, CT: Kumarian Press, 2005 et M. Shank, L. Schirch, “Strategic Arts-Based Peacebuilding”, Social Justice Journal:Anthropology, Peace and Human Rights, George Mason University, 2006. 2 . Adam Curle, “New challenges for citizen peacemaking”, Medicine and War, Vol. 10, No. 2, 1994, p. 96-105. 3 . Johan Galtung, Peace by Peaceful Means, London: Sage, 1996, pp. 70-126. 4 . J.-P. Lederach, Preparing for Peace. Conflict transformation across cultures, Syracuse, 1995; J.-P. Lederach, Building Peace. Sustainable Reconciliation in Divided Societies, Washington: USIP, 1997. 5 . J.-P. Lederach, “Conflict Transformation in Protracted Internal Conflicts: The Case for a Comprehensive Framework”, in K. Rupesinghe (Ed.), Conflict Transformation, London: Macmillan, 1995, pp. 201-222. 6 . Voir J. Cohen-Cruz, An Introduction to Community Arts and Activism. Community Arts Network Reading Room:http://www.communityarts.net/readingroom/archive/intro-activism.php B.S. Bacon, C. Yuen, & P. Korza, Animating democracy: The artistic imagination as a force in civic dialogue. Washington, DC: Americans for the Arts, 1999; A. Deavere-Smith, A. (2004) Institute on the Arts and Civic Dialogue, 2004: http://www.artsandcivicdialogue.org/ 17
même, dans le domaine de la coopération au développement, les arts – et tout particulièrement le théâtre – se sont posés de plus en plus souvent en accompagnateurs du changement.1 Dans le passé, les praticiens de la construction de la paix qui s’appuyaient sur de telles approches tout comme les artistes engagés dans ce type de travail ont souvent fait part de leur frustration de n’être pas pris au sérieux ; l’art tendait à être relégué au chapitre des « distractions » et peu ou pas considéré dans son rôle effectif d’appui à une transformation sociale. Cette perception n’a pas totalement disparue mais elle a évolué. Elle a parfois laissé la place à une approche plus instrumentale de l’art comme mode alternatif de sensibilisation du public. La recherche sur l’art et la transformation des conflits est beaucoup plus récente et limitée. Un groupe encore restreint mais dynamique d’analystes et de professionnels du peacebuilding a commencé à développer, ces dernières années, une véritable pensée sur ces questions.2 Toute une littérature sur l’articulation entre art et construction de la paix est en train de se constituer. Les travaux vont du plus anecdotique au plus méditatif, d’études de cas (encore rares) – à l’instar du travail de Craig Zelizer sur le rôle de l’art pendant et après la guerre en Bosnie-Herzégovine – à l’ouvrage de référence de Lederach The Moral Imagination, en passant par des considérations plus philosophiques sur « l’esthétique » de la médiation de conflit et de la réconciliation par Cynthia Cohen.3 Une partie de la littérature est également de nature essentiellement descriptive et prescriptive. On y retrouve un certaine nombre de thèmes centraux : le rôle des arts dans le développement et le renforcement des identités communautaires ; la valeur métaphorique des arts pour aborder des questions délicates en matière de coexistence ; la capacité des arts à accommoder une multitude d’interprétations du réel et à favoriser la participation du plus grand nombre ; l’ouverture à des modalités de rencontre de « l’autre » qui soient perçues comme moins menaçantes ; la simple possibilité de participer à des activités communes de collaboration et de co-création ; les fonctions thérapeutiques de l’art, en particulier dans l’expression de mémoires traumatisantes. Mais dans bien des cas, les analyses relèvent de l’hypothèse ou de la prescription plus que de l’analyse empirique de processus concrets. De fait, la principale limite de l’ensemble de cette littérature est le manque de recherche empirique approfondie et a fortiori d’analyse comparative. De ce fait, on manque de données concrètes concernant l’impact et la contribution effective de l’art à des processus de paix. Ceci n’est du reste pas spécifique au domaine du peacebuilding. Dans leur travail Americans for the Arts, Bacon et ses collègues soulignent que l’une des principales limites du discours sur le rôle social de l’art tient au manque d’évaluation de l’impact réel des projets. 1 . Voir en particulier Kess Epskamp, “Healing Divided Societies” In People Building Peace: 35 Inspiring Stories from Around the World. Utrecht, Netherlands: European Platform for Conflict Prevention, 1999, ainsi que les travaux de Paolo Freire sur l’approche participative du changement social dont Pedagogy of the Oppressed, New York: Continuum, 1997, (20th anniversary edition). 2 . On peut citer en particulier John Paul Lederach à la Eastern Mennonite University (EMU) et au Joan B. Kroc Institute for International Peace Studies at the University of Notre Dame; Craig Zelizer de l’Alliance for Conflict Transformation et Georgetown University; Lisa Schirch à EMU; Cynthia Cohen au Slifka Program in Intercommunal Coexistence at Brandeis University; Mariann Liebmann qui a dirigé l’ouvrage Arts Approaches to Conflict; James Thompson et l’équipe de ‘In Place of War’, projet basé à l’University of Manchester et qui s’intéresse spécifiquement à des projets de théâtre ; le Community Arts Network. Voir la bibliographie en annexe ainsi que les sites internet: http://www.inplaceofwar.net http://www.brandeis.edu/ethics/bif/index.html 3 . Voir la bibliographie en annexe. 18
Comme ils l’expliquent dans leur rapport, des éléments de nature anecdotique suggèrent que les artistes comme les institutions culturelles jouent un rôle crucial dans le discours public, mais tout le monde reconnaît que l’on manque d’évaluation sérieuse et concrète des résultats.1 Enfin, l’articulation entre les dimensions individuelles et collectives de ces processus est au nombre des questions peu documentées à ce jour. Ainsi, en matière d’art thérapie, nombreux sont les témoignages de thérapeutes qui évoquent leurs expériences avec des populations variées ; mais cette approche reste peu théorisée et surtout on sait très peu de choses de son application au-delà de la stricte expérience individuelle voire interpersonnelle.2 Ceci explique qu’aux fins de ce programme aient été retenus des projets qui rentrent dans le cadre de ce qu’on appelle « l’art communautaire ». Toutes s’appuient sur un engagement collectif, au-delà du niveau individuel. Comme l’a fort justement souligné J. Cohen-Cruz, toutes les expériences d’art communautaire n’ont pas nécessairement un agenda progressiste ; elles peuvent tout aussi bien être destinées à célébrer les « traditions culturelles » et à renforcer, de fait, le statu quo, qu’à ouvrir un espace de réflexion voire de transformation pour la communauté.3 Dans la mesure du possible, ce distinguo a été fait dans le repérage d’expériences menées à travers le monde. 1.2.2. Principaux objectifs de la recherche Cette recherche a pour objectif général de contribuer à la réflexion sur les fonctions spécifiques de l’art dans des programmes de transformation des conflits ainsi que les conditions dans lesquelles de telles expériences peuvent effectivement soutenir la résolution pacifique des conflits et la reconstruction d’un tissu social. Elle s’articule autour de trois axes principaux : L’évaluation des fonctions spécifiques de l’art dans des programmes de transformation de conflit ; j’ai travaillé autour de quelques hypothèses principales : - Contribution au processus de re-symbolisation et à la réinsertion des individus dans la culture et l’histoire de leur communauté (ce qui peut inclure une dimension « réconciliation » liée précisément à ce processus de re- symbolisation) : - Possibilité d’aller au-delà des non-récits et récits impossibles ; - Alternatives à des méthodes plus classiques d’éducation et de sensibilisation du public ; - Participation à un processus thérapeutique / de guérison ; 1 . B.S. Bacon, C. Yuen & P. Korza, Animating democracy: The artistic imagination as a force in civic dialogue, Washington, DC: Americans for the Arts, 1999, p. 6. 2 . Voir par exemple Marian Liebmann (ed.) Arts Approaches to Conflict, Bristol: Jessica Kingsley Publishers, 1996. 3 . J. Cohen-Cruz, An Introduction to Community Arts and Activism. Community Arts Network Reading Room:http://www.communityarts.net/readingroom/archive/intro-activism.php 19
- Valorisation de la créativité des individus et groupes concernés alors que la violence et la guerre sont d’abord perçues dans leurs dimensions destructrices (possibilité de transformer un évènement destructeur en une création). Une meilleure compréhension des conditions dans lesquelles de telles expériences peuvent effectivement participer d’un processus de transformation et contribuer à la reconstruction d’un tissu social dans des sociétés en transition. L’évaluation de la manière dont ces activités peuvent aider à comprendre et à suivre les changements en cours dans les systèmes de croyance et systèmes de référence (ou « représentations sociales ») des individus et communautés concernés – en d’autres termes, à comprendre ce qu’est le processus de « transformation de conflit » dans un contexte donné. L’attention que je porte à ces dimensions résulte de mes expériences précédentes à la fois comme praticienne et comme chercheure dans différentes régions du monde. Pendant plusieurs années, j’ai initié et coordonné un programme de recherche-action international et trans-disciplinaire intitulé Re-imagining Peace (Ré-inventer la Paix). Dans ce cadre, je me suis notamment intéressée aux transformations radicales que les violences de masse produisent dans les systèmes de référence (ou « cultures » locales), les codes de conduite, réseaux de solidarité et systèmes de pouvoir qui organisent la vie collective des populations touchées, afin d’identifier les ressources locales pour construire la paix.1 Le titre du programme souligne l’importance que tout processus de transformation de conflit devrait accorder aux symboliques et imaginaires locaux. Il s’agit de s’intéresser à la façon dont les populations locales doivent ré-inventer les modalités d’un vivre ensemble, au même titre qu’elles doivent reconstruire l’économie, les institutions et les infrastructures de leur pays. Comprendre ce que l’art peut produire dans la vie de ceux qui le créent comme de ceux qui en sont les spectateurs revient à s’intéresser à un ensemble de significations culturelles qui le plus souvent nous échappent mais qui font et défont un contrat social. C’est également une manière de s’intéresser aux effets et expériences de la violence de la guerre au-delà des catégories d’analyse habituelles en matière de psychologie ou de sociologie politique. Enfin, c’est une manière de s’interroger sur la façon dont chacun peut mobiliser ses ressources internes pour penser et construire le présent et le futur. 1.2.3. Etudes de cas La phase préparatoire du projet international a permis d’identifier une large diversité de projets menés dans différentes régions du monde afin d’avoir une vision aussi large que possible des différents usages de l’art dans des programmes de transformation de conflit. Des fiches ont été préparées sur ces expériences et sont accessibles sur une base de données en ligne : http://www.ceri-sciences-po.org/themes/re-imaginingpeace/va/base/database_art.php Ces projets illustrent la diversité des modalités selon lesquelles l’art peut être utilisé dans des processus de peacebuilding. Des activités artistiques peuvent être organisées pour la 1 . Pour plus d’information, voir le site : http://www.ceri-sciencespo.com/themes/re-imaginingpeace/index.htm Un ouvrage collectif restituant les résultats de la première phase du projet a récemment été publié : Béatrice Pouligny & al. (Eds), After Mass Crime: Rebuilding States and Communities, Tokyo/New York/Paris: United Nations University Press, 2007. 20
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