Quelles sont les méthodes de travail des lobbyistes ? - Stratégie d'influence et représentation des intérêts

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Quelles sont les méthodes de travail des lobbyistes ? - Stratégie d'influence et représentation des intérêts
Leïla HAFEZ   Manon MOCHÉE
        Formation animée par :
                                 Agathe LE BARS Kadidja TRAORE

   Stratégie d’influence et
 représentation des intérêts :

quelles sont les méthodes
de travail des lobbyistes ?

                                                Le 14 Novembre
                                            à Sciences Po Bordeaux
Quelles sont les méthodes de travail des lobbyistes ? - Stratégie d'influence et représentation des intérêts
14 Novembre 2017                  Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

                     Objectifs de la formation :
•Comprendre de quoi il retourne quand on parle du lobbying
•Avoir toutes les clés pour faire face à un groupe de représentation
 d’intérêt
•Pouvoir se sortir subtilement et sans accrochage d’une « attaque » de
  lobbyiste

                        PARTIE 1:

                        Le lobbying à la loupe

                        PARTIE 2:

                        Le répertoire d’action des lobbyistes

                        PARTIE 3:

                        Glyphosate: la guerre des lobbies
14 Novembre 2017                                   Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

                                         PARTIE 1:
                       Le lobbying à la loupe

   Le lobbying: qu’est-ce que c’est ?

   Le « lobbying » est perçu comme un terme péjoratif en langue française et en France en général.
   C’est la raison de l’emploi assez rare de ce terme. Il lui est préféré celui de « représentation des
   intérêts » en ce qui concerne l’activité et de « groupe d’intérêt » en ce qui concerne l’acteur.

   Le terme « lobbying » a une double provenance. Il vient du « lobby », soit l’antichambre, lieu dans
   lequel des tractations secrètes s’exerçaient ; mais aussi du verbe « to lobby », soit exercer une
   pression sur quelque chose.

       Le lobbying peut se définir comme le fait de procéder à des interventions destinées à
     influencer directement ou indirectement l'élaboration, l'application ou l'interprétation de
      mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou
                                   décision des pouvoirs publics.
                                          (Frank J. Farnel)

   Pour l’Association française des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL), « le lobbying
   est l’expression identifiée des enjeux de décisions législatives ou réglementaires qui seront
   démocratiquement adoptées. Cela passe par une information des pouvoirs publics, mais aussi,
   plus largement, par l’information des médias, associations, experts, acteurs économiques etc. qui
   participent au débat public. […] Le lobbying a pour vocation d’expliquer, d’argumenter, de
   convaincre en transmettant la bonne information
   au bon interlocuteur, au bon moment ».

                                                                    Focus sur …
   Petit historique du lobbying                                            LE ROI DU LOBBYING

   Le lobbying ne naît pas aux Etats-Unis, comme il
   est courant de le penser, mais au Royaume-Uni.
   Le terme de « lobby » évoque ainsi les couloirs
   de la Chambre des Communes britannique, où
   des groupes de pression, non admis dans les
   salles, attendaient pour avoir des informations,
   donner leur opinion et tenter d’influencer les élus
   de la Chambre des Lords et des Communes.
                                                           Le lobbying est devenu une véritable pratique
                                                                avec le politicien Samuel Cutler Ward
   L’activité de lobbying se développe ensuite aux
                                                             surnommé le « Roi du Lobbying ». Il savait
   Etats-Unis. Le terme est employé pour la
                                                           combiner de la bonne nourriture, du bon vin à
   première fois par le président Ulysses Grant pour
                                                            des conversations très intéressantes lors des
   parler de la salle d’attente de l’Hôtel Willard à
                                                           soirées qu’il organisait pour obtenir des votes
   Washington, lieu où ses bureaux étaient établis,
                                                              de ses invités. Il inventa alors le lobbying
   où il recevait de nombreuses sollicitations.
                                                                                  social.
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   Qui pratique le lobbying ?

   L’univers du lobbying est vaste et comporte divers acteurs ou parties prenantes que l’on retrouve
   selon le sujet traité :
         • Parties publiques (institutions, organismes publics, élus)
         • Parties médiatiques (médias spécialisés, généralistes, locaux ou nationaux)
         • Parties financières (investisseurs, financeurs)
         • Parties directes (employés, résidents, clients, membres)
         • Parties représentatives (syndicats, ONG, groupes de pression)
         • Parties sectorielles (concurrents, sous-traitants, activités connexes)
         • Grand public concerné
         • Grand public spectateur
   Pour chaque sujet, une cartographie des acteurs s’impose pour mieux les appréhender.

   Néanmoins, seuls quelques acteurs s’adonnent à la pratique du lobbying en elle-même :

         • Les groupes d’intérêt
         C’est un groupe d’individus ayant des intérêts communs et agissant sur l’opinion publique
         et /ou l’Etat. Il s’agit d’un ensemble plus ou moins formel d’acteurs d’un secteur
        professionnel, constitué afin de défendre ses intérêts face à des institutions ou individus
        pouvant prendre des décisions qui pourraient les affecter.
   On utilise par convention quatre critères pour les définir :
   - organisation formalisée ( ce qui les différencie de la simple mobilisation)
   - organisation non-gouvernementale
   - organisation distincte des partis politiques
   - organisation qui agit auprès des agents politiques

         • Les entreprises
        Certaines font appel à des agences, ce qui est moins coûteux et plus discret, mais peut
        paraître suspect vu de l’extérieur. D’autres en revanche choisissent d’intégrer l’activité de
        lobbying au sein de leur structure en dédiant des ressources internes à leur stratégie
        d’influence . S’il y a ainsi un risque d’avancer à découvert, cela peut néanmoins être vu
   comme une volonté de transparence.
   Selon Bruno Gosselin, on peut distinguer plusieurs types d’entreprises lobbyistes selon la manière
   dont elles travaillent :
   - les faucons, qui font du lobbying de manière active et sont très visibles.
   - les hiboux, qui occupent déjà une position favorable mais désirent encore l’améliorer. Ils
     essaient ainsi d’influer sur les décisions par des intermédiaires et préfèrent travailler seuls et
     dans l’obscurité.
   - les grues, qui ont un intérêt à collaborer avec d’autres entreprises mais possèdent parfois leurs
     propres intérêts
   - les mouettes, qui usent d’un lobbying énergique mais en coopération avec d’autres entreprises.

         • Les think tanks, organisations professionnelles et associations

          • Les coalitions
          Elles regroupent des associations, entreprises ou groupes d’intérêt de taille réduite qui
          joignent leurs forces autour d’une même thématique pour mieux se faire entendre.
14 Novembre 2017                                      Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

   Depuis 2011, il existe un registre de transparence commun au Parlement européen et à la
   Commission pour l’enregistrement des personnes exerçant une activité d’influence auprès de l’une
   de ces institutions. L’enregistrement est facultatif mais reste nécessaire pour l’accès aux locaux.

   En France, la loi Sapin 2 a créé un tel registre, obligeant les lobbyistes à s’inscrire dès lors qu’ils
   entrent en contact avec des membres du parlement ou de leur cabinet et des Ministres ou leur
   cabinet. Cependant, encore très peu de lobbyistes sont aujourd’hui inscrits.

   Combien sont les lobbyistes ?

                                       Entre 5 000 et 30 000
                    c’est le nombre de lobbyistes qui exercent aujourd’hui à Bruxelles.

   Cette forchette reste vaste puisque l’activité s’exerce de manière assez confidentielle. Ils sont
   réunis au sein de 3 000 groupes de pression qui disposent aujourd’hui d’une représentation
   permanente à Bruxelles. Leur budget annuel total oscillerait entre 90 et 900 millions €.

   En France, depuis la fin des années 1980, le nombre de lobbies ne cesse d’augmenter et le
   marché du lobbying est en pleine croissance.

   On estime qu’aux USA, le lobbying concerne plus de 40 000 acteurs directs.

   Quels sont les différents types de lobbying ?

   Il existe 2 grandes branches au lobbying :

         • Le lobbying direct ou grasstops lobbying
   C’est le lobbying de réseau. Plus traditionnel, il est basé sur les relations personnelles
   qu'entretiennent les lobbyistes et les décideurs, relations qu’ils peuvent tisser autour d’une table de
   travail lors de l’élaboration d’un projet de loi, ou autour d’un café lors d’une rencontre informelle. Ils
   nouent ainsi des alliances indispensables pour leur travail. L’alliance peut se faire avec des acteurs
   de la même filière ou des représentants institutionnels. Œuvrer à l’intérieur du système est toujours
   plus intéressant pour le lobby. Ainsi, il développe une expertise et une connaissance des
   décideurs.
   Il est principalement mené par des particuliers pour exercer une influence directe auprès de
   décideurs, notamment les entreprises qui utilisent des lobbyistes « maison » ou des consultants
   spécialisés. Les syndicats et associations le pratiquent aussi de plus en plus souvent aujourd’hui.

         • Le lobbying indirect ou grassroot lobbying
   Il vise l’influence du pouvoir législatif par le biais de personnes intermédiaires, pouvant être des
   alliées, des media, ou l’opinion publique, et non en interpelant directement les décideurs. Le
   lobbying indirect peut être conduit par des lobbyistes qui cachent leur identité.
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   Quels sont les buts du
   lobbying ?

                                                                      Focus sur …
   Le lobbying a évidemment pour mission
   d’influencer les décideurs publics et/ou l’opinion.                       LE E-LOBBYING
   Cette influence peut poursuivre 4 buts (selon
   Loup Francart) :                                          « A l’évidence, les lobbies se sont emparés de la
                                                            toile. […] Si les lobbies n’ont pas inventé Internet,
                                                                          ils auraient pu le faire ! »
         • Le lobbying général et culturel                                     (Gilles Lamarque)
   Il cherche, à long terme, à faire changer les
   opinions, les habitudes et faire évoluer les
                                                                Les technologies de l’information et Internet
   décisions par l’évolution des mentalités.
                                                                 permettent actuellement d’appréhender le
                                                              lobbying sous une configuration nouvelle, celle
         • Le lobbying stratégique                              du cyber-lobbying. Les techniques de cyber-
   Il cherche à faire évoluer les visions particulières       lobbying permettent maintenant aux acteurs de
   vers une vision commune qui sert un groupe                  passer à une dimension stratégique nouvelle,
   particulier avec des finalités politiques,                      plus active voire combative et surtout
   économiques …                                                               d’anticipation.

         • Le lobbying général                                        Dans le cas des groupements de
   Il cherche à défendre un secteur particulièrement            consommateurs par exemple, le e-lobbying
   menacé ou à s’emparer d’un secteur dans son                donne à l’individu consommateur le pouvoir de
   ensemble.                                                 devenir un acteur-pivot en mettant le lobbying à
                                                                la portée de tous et en rendant la notion de
         • Le lobbying ciblé                                    stratégie d’influence potentiellement perçue
                                                             comme plus démocratique.Les groupements ont
   Il cherche à obtenir un avantage concurrentiel sur
   des groupes de concurrents ou même des Etats                    ainsi une capacité accrue de créativité,
   en s’attaquant à un problème particulier.                 d’efficacité et d’organisation On parle aujourd’hui
                                                                                d’open-lobbying.

   Quels sont les outils fondamentaux du lobbyiste ?

                         La cartographie des acteurs et l’analyse SWOT
                              ce sont les outils principaux des lobbyistes

   Ils leur permettant de caractériser les acteurs avec lesquels ils traitent. Il est donc indispensable à
   tout communiquant ou conseiller politique de connaître ses propres caractéristiques et celles de
   ses adversaires pour faire face aux lobbyistes.
14 Novembre 2017                                   Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

                                        PARTIE 2:
   Le répertoire d’action des lobbyistes

   Les techniques d’influence des lobbyistes sont nombreuses. Nous avons compilé ici les plus
   pertinentes et utilisées. Elles peuvent être regrouper en 3 catégories.

   Contrôle et utilisation de son réseau

               • Nouer des alliances
              Le carnet d’adresse est l’outil principal du lobbyiste. L’alliance peut se faire avec des
              acteurs de la même filière ou des représentants institutionnels. Il peut aussi se révéler
              intéressant d’embaucher d’anciens politiciens, qui auront plus facile l’accès et la
       confiance des autres politiciens. En oeuvrant directement à l’intérieur du système, le lobby
   développe une expertise et une connaissance des décideurs.

          • Participer à des auditions officielles

          • Influencer directement le législateur
            De très nombreux lobbies, bénéficiant d’un bon réseau au parlement, n’hésite pas à
           envoyer des argumentaires ainsi que des amendements complètement rédigés aux
            parlementaires.
             Ex: lors de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le
   terrorisme et leur financement en 2016, l’Unifab (association pour la protection de la propriété
   intellectuelle) a envoyé un mail à plusieurs député expliquant que ce projet de loi permettrait de
   renforcer la lutte contre la contrefaçon. Le mail présentait une série d’amendement qu’ils
   appelaient à soutenir, s’appuyant sur un argumentaire. Dans les jours qui ont suivi, des Députés
   différents ont déposé des amendements identiques, qui reprenaient justement l’argumentaire de
   l’Unifab, comme la création d'une incrimination juridique spécifique pour le commerce de
   contrefaçons.

             • Mobiliser les particuliers
              Cela permet de mettre la pression sur les hommes politiques.
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   Contrôle de l’information et légitimation de son propos

        « Lobbyists spend most of their time answering questions, giving information to decision
                                          makers » (McGrath)

              • Tenir des réunions d’information
              Des intervenants extérieurs forment alors un panel d’experts qui tient un débat
               contradictoire dans lequel l’argumentaire du lobbyiste organisateur sera largement
               diffusé. Le lobbyiste va essayer de présenter ça comme un débat pour ne pas perdre
               en crédibilité face à son auditoire.
              Ex: petit-déjeuner thématique

            • Organiser des conférences
           Le lobby peut l’organiser lui-même sur un sujet qu’il a choisi. Ainsi, il contrôle l’agenda. Il
            peut aussi participer à une conférence organisée par d’autres sur des sujets proches de
             ses préoccupations. Ainsi, il peut agir sur le cadrage du sujet. Il peut faire pression sur
              les décideurs pour qu’ils organisent une conférence sur leur sujet.

          • Utiliser les media
          Ils sont utilisés comme relai face à l’opinion publique. Le lobby peut ainsi maitriser le débat
          pour que l’action ne se retourne pas contre lui. Il arrive très souvent que plus il y a du bruit,
            plus les lobbyistes perdent le contrôle. Maitriser le système médiatique est alors
             indispensable.
             Ex: dossiers éditoriaux à l’attention des media ou organisation d’événements dédiés aux
            media qui leur fournit des informations.

          • Contrôle du web et de sa e-réputation
              Avec internet, le répertoire d’action des lobbies s’est enrichi mais leur travail est aussi
               devenu plus ardu. Il faut donc contrôler le web.
               Ex: création d’un site web ressemblant à un site institutionnel comme le site IVG.net,
              d’aspect très officiel, avec informations, témoignages et numéro vert, mais créé par des
   collectifs anti-avortement.
   Ex: google bombing (achat de mots-clés sponsorisées) pour nuire à quelqu’un ou à un projet.
   Ex: la multinationale américaine Dow Chemical a essayé, à de nombreuses reprises, d’effacer la
   partie « controverse » de sa page wikipedia.

              • Recourir à un expert
            Pour donner de la crédibilité à leur message, les lobbies obtiennent souvent d’un expert
            extérieur, une figure d’autorité, considéré comme neutre et indépendant. Cependant,
            l’expert est, dans la plupart des cas, payé par le lobby. On peut donc douter de son
            impartialité.
       Ex: Philip Morris a payé un ex policier de la Metropolitan Police, Willy O’Reilly, pour mener
   une campagne médiatique qui reliait le paquet neutre à la contrebande de tabac.
14 Novembre 2017                                    Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

         • Sponsoriser un think tank
         Le think thank produira des rapports et sera un point d’appui pour montrer que son propos
         est partagé par de nombreuses personnes.
          Ex: la BBC a ainsi invité le think tank néolibéral « Institute of Economic Affairs » pour
         parler de du paquet de cigarettes neutre sans révéler qu’il est financé par l’institut du tabac.
        Une fuite chez Philip Morris a d’ailleurs révélé que ce think tank était l’un de ses messagers
      dans les media.

            • Publier des rapports
            Le lobby peut le faire de manière plus ou moins couverte pour appuyer son propos.
            Ex: publier un rapport alarmiste avant un vote important pour manipuler le législateur.

   Utilisation des techniques de manipulation

               • Le cheval de Troie
                 Cette technique s’inspire du combat
                 entre grecs et troyens. Elle consiste
               pour un lobby à créer une entité qui se               Focus sur …
                constitue comme un comité de                                LE CADRE JURIDIQUE
                soutien, se faisant porte-parole de
               certains argumentaires sans                  Il est important de faire attention à ne pas tomber
   qu’apparaisse nécessairement l’identité de la              dans le trafic d’influence lorsque l’on traite avec
   structure à l’origine de ce comité. On se cache                                  un lobby.
   derrière l’information.
   Ex: l’AmCham EU (chambre de commerce                    Le trafic d’influence est une forme de corruption
   américaine à Bruxelles) est soupçonnée d’agir tel        consistant à recevoir des dons pour favoriser les
   un cheval de Troie au sein de l’Union                       intérêts d’une personne physique ou morale
   européenne afin de défendre les intérêts                    auprès des pouvoirs publics. L’importance de
   américains, de l’Etat ou de ses entreprises.            l’influence ne compte pas, mais le but doit être de
                                                             faire obtenir à une tierce personne un avantage
                                                               quelconque d’une autorité publique ou d’une
         • L’alibi                                             administration publique (exemples : emplois,
              Cette technique est utilisée lorsque de                        marchés publics).
               nouvelles règles émergent et
                peuvent mettre en péril une                  La corruption et les marchés publics frauduleux
               entreprise. Pour contourner ces              représentent un risque lorsque l’on traite de trop
       règles qui vont apparaître, l’entreprise va                     près avec certains lobbies.
   intégrer une partie des contraintes de cette
   nouvelle réglementation avant qu’elle n’entre en             Ex: Michel Ducros, PDG de Fauchon, est
   vigueur et ainsi montrer sa bonne volonté. De                soupçonné d‘avoir versé un pot de vin de
   cette manière, elle espère échapper à l’obligation       500.000 euros à un proche d‘Alexandre Guérini,
   de se conformer totalement à la nouvelle                 frère du président socialiste du Conseil général
   réglementation. Certains acteurs vont jusqu’à            des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini, pour
   revendiquer un statut d’exception de par la                débloquer un projet immobilier à la Ciotat en
   spécificité de leur profession ou de leur                     écartant une société concurrente. Une
   production.                                              instruction a donc été lancée pour des marchés
                                                              présumés frauduleux. Le cas est toujours en
                                                                                 cours.
14 Novembre 2017                                    Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

         • Le good cop / bad cop
       Cette technique nécessite une action coordonnée: un lobby tient une position ferme et assez
        extrêmes pendant qu’un autre lobby connexe prend une position qui, par contraste, paraît
         plus modérée.
         Ex: négociations intersyndicales

                   • L’hélicoptère de combat ou mitraillette
                  Cette technique de lobbying est très agressive et donc utilisée uniquement si les
                  autres techniques ne fonctionnent pas. Elle consiste à agiter la menace d’une
                  délocalisation, de pertes d’emplois, ou encore de pertes de voix si la législation mise
                 en place n’est pas remise en cause.
             Ex: durant l’examen de la « taxe soda » en France, le député Bernard Reynès a souhaité
   intégrer le light dans cette taxe. Il s’est alors fait harceler par les lobbyistes de coca cola qui ont
   promis d’investir en France, menacé de délocaliser (notamment dans le Nord de la France),
   menacé de véhiculer une image anti-américaine de la France … Le groupe était prêt à payer 250
   millions au gouvernement pour éviter ça mais la taxe a finalement vu le jour.
14 Novembre 2017                                   Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

                                        PARTIE 3:
        Glyphosate : la guerre des lobbies

   Le glyphosate: qu’est-ce que c’est ?

      Le glyphosate, sous sa forme scientifique le N-photosphonométhyl glycine, est une
      molécule pourvue de propriétés herbicides. Peu efficace utilisé seul, les industriels y
   ajoutent des produits chimiques pour le rendre plus actif et faciliter son absorption par les
    plantes. Il s’agit d’un herbicide dit « total », c’est-à-dire qu’il peut tuer toutes les plantes
             sans distinction, sauf celles génétiquement modifiées pour lui résister.

             La majorité des produits à base de glyphosate sont utilisés pour l’agriculture (céréales,
              tournesol, maïs, betterave, pâtures), même s’ils servent également dans certains pays
               dans des zones non agricoles, comme dans les complexes industriels ou les
               accotements de voies ferrées. Le produit le plus connu contenant du glyphosate est le
               célèbre « RoundUp » de l’industriel Monsanto, commercialisé depuis 1974. Pour ce
              dernier, le glyphosate représente 4 à 5 milliards d’euros de bénéfices annuels, soit
              40% du chiffre d’affaire annuel. En France, l’utilisation du glyphosate est interdite pour
            les particuliers depuis 2016.

                               Cet herbicide est aujourd’hui l’un des plus largement utilisé au
                                 monde. Plus de 750 produits à base de glyphosate sont
                                 commercialisés sur le marché, par plus de 90 fabricants répartis
                                 dans 20 pays différents. Il représente à lui tout seul environ 25% du
                                 marché mondial des désherbants, et est l’herbicide le plus utilisé en
                                 Europe. Plus de 700 000 tonnes de ce produit s’écoulent par an
                                 dans le monde, dont 8000 rien que sur le territoire français. En
                                 Allemagne, les produits contenant du glyphosate sont utilisés sur
                                 plus de la moitié de la superficie totale cultivée dans le pays. A titre
                                 d’exemple, l’Allemagne utilise les produits à base de glyphosate sur
                               plus de la moitié de la superficie totale cultivée dans le pays.

   La popularité du glyphosate s’explique car il a permis le remplacement du désherbage mécanique
   dans un certain nombre de cultures, impactant significativement les pratiques agricoles et les
   rendements. Eviter le désherbage mécanique permet en effet aux agriculteurs d’éviter de labourer,
   une activité nécessitant main d’œuvre, carburant, et temps. Les produits à base de glyphosate
   sont par ailleurs relativement peu chers comparés à d’autres herbicides commercialisés sur le
   marché.
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   Pourquoi son utilisation fait-elle polémique ?

   L’utilisation du glyphosate fait polémique depuis 2015, année au cours de laquelle un rapport du
   Centre International de recherche sur le cancer (CIRC), dépendant de l’OMS, a analysé le
   glyphosate comme étant une substance « cancérogène probable ».

   Plusieurs études ont, depuis lors, confirmé la toxicité du glyphosate :

         •   Etudes publiées dans la revue scientifique The Lancet évoquant des risques de
             lymphomes (cancer du sang), des impacts négatifs sur les organes de détoxification de
                   l'organisme (le foie et les reins), et des dysfonctionnements au niveau hormonal, en
                     cas de contact avec le glyphosate. Ces études pointent également du doigt le
                     glyphosate pour ses effets « tératogènes » (dans le fœtus). Et ce, même à très
                          faible dose.

                              • L’ONG Générations Futures a analysé plus de 30 échantillons de
                               produits alimentaires de la vie courante, dont plus de la moitié
                               contenaient des traces de glyphosate.

                              • Une étude américaine a analysé l’eau de pluie dans une région de
                           grande culture, et constaté la présence de glyphosate dans plus de ¾ des
                           échantillons analysés.

                          • Un autre problème lié à l’utilisation de ce glyphosate est qu’elle permet la
                      destruction de plantes adventices (mauvaises herbes), dont les abeilles raffolent.
             Or, une présence moindre des adventices, entraîne automatiquement une diminution du
             nombre d’abeilles, ce qui signifie une moindre pollinisation et donc, à terme, une
             biodiversité menacée.

   A ce titre, plusieurs organisations non gouvernementales réclament l’interdiction de ce qu’elles
   appellent un « poison chimique ».

                   Alors que la toxicité de la molécule semblait être établie, une étude de l’EFSA
                    (Agence Européenne de Sécurité des aliments), publiée en novembre 2015, vient
                    contredire cet avis de l’OMS, et annonce un « risque cancérigène improbable » lié
                    au glyphosate.

   A cette même période, en juin 2016, la licence d’exploitation du glyphosate au sein de l’Union
   Européenne, arrive à expiration. Les doutes sur la toxicité du produit conduisent la Commission
   Européenne à prolonger de 18 mois la licence du glyphosate, pour permettre pour permettre à
   l’Agence Européenne des produits chimiques (ECHA) de procéder à l’évaluation de sa
   cancérogénicité potentielle. L’avis de cette agence est rendu en mars 2017 : l’’instance
   européenne écarte le risque cancérogène du glyphosate.
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   En tenant compte des avis formulés par ses deux Agences, la Commission Européenne propose
   de renouveler la licence du glyphosate pour une durée de 10 ans, au lieu des 15 habituels,
   compte-tenu de l’évolution rapide des connaissances sur le sujet. Cette proposition suscite un tollé
   au sein des organisations de défense de l’environnement, et plus largement, au sein des opinions
   publiques européennes. Tollé d’autant plus fort que des journaux allemands révèlent que les
   études réalisées successivement par l’EFSA et l’ECHA ont été faites sur la base d’études
   confidentielles financées par certains industriels, dont Monsanto. Dans l’un des rapports rendus
   par les Agences Européennes, plus de 18 pages étaient en réalité des copier-coller de ces études
   financées par Monsanto.

   Suite à ces révélations, la Commission Européenne a annoncé un nouveau vote, portant cette fois
   sur un renouvellement de la licence du glyphosate, d’une durée de cinq ans seulement. Certains
   pays, comme la France, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas un renouvellement de
   la licence du glyphosate d’une durée supérieure à trois ans. Selon Nicolas Hulot, ministre de la
   Transition Ecologique français, « il existe un faisceau de présomptions liées au glyphosate qui
   justifie d’appliquer le principe de précaution ». Le gouvernement français a par ailleurs annoncé
   vouloir interdire l’usage du glyphosate d’ici à la fin du mandat, afin de permettre au secteur
   agricole de trouver des alternatives à ce produit.

   Ce vote, qui s’est tenu le 09 novembre, n’a pas permis d’adopter un renouvellement du glyphosate
   sur une durée de cinq ans, faute de majorité qualifiée.

   Ces nombreux revirements, tant concernant la durée de renouvellement de la licence du
   glyphosate que sur sa réelle toxicité, semblent beaucoup devoir à ce que les médias appellent
   désormais, « l’intense bataille de Bruxelles », puisque depuis plusieurs mois s’affrontent au sein de
   la capitale belge les ONG, lobbys industriels et agricoles, qui tentent chacun de faire primer leurs
   intérêts. Révélations, accusations, expertises et contre-expertises rendent l’analyse de ce débat
   encore plus complexe. « L’UE est perplexe : faut-il se ranger au principe de précaution et interdire
   la substance, ou suivre les avis de l’Agence Européenne de référence comme le recommande
   Bruxelles, bien que l’indépendance de ces études soit aujourd’hui remise en cause ? » La situation
   s’apparente à un véritable bras de fer, où scientifiques, élus, lobbyistes et ONG se déchirent sur la
   dangerosité de la molécule et où intérêts financiers, environnementaux et politiques se mêlent.
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   Cartographie des acteurs

   Pour mieux comprendre les problématiques liées au débat sur le glyphosate et le rôle des
   différents lobbies, nous pouvons réaliser la cartographie suivante.

   Les méthodes de lobbying utilisées par le secteur industriel:
   l’exemple de Monsanto

   Le lobbying de Monsanto s’exerce essentiellement par le biais d’associations de lobbying,
   organisées aux niveaux mondial, régional et local. Ces sociétés, qui œuvrent dans le même
   secteur, coordonnent des entreprises de lobbying conjointes pour leurs intérêts communs. Pour
   Monsanto, cette coordination se fait principalement entre les groupes de lobbying pour la chimie et
   les pesticides, les biotechnologies et les semences. Ces groupes coordonnent de nombreuses
   stratégies de communication et activités de lobbying direct auprès des décideurs.

   Au sein de l’Union européenne, les associations de lobbying de Monsanto comprennent le lobby
   des semences European Seed Association (ESA), le lobby des pesticides European Crop
   Protection Association (ECPA) et le lobby des biotechnologies EuropaBio. Les membres de ces
   groupes de lobbying incluent les sociétés mais aussi des lobbies d’envergure nationale, ce qui
   facilite les pressions à la fois au niveau européen et au niveau national. Les organisations
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   équivalentes aux États-Unis, sont l’American Seed Trade Association (ASTA), CropLife America et
   la Biotechnology Industry Organisation (BIO).

   Les techniques de lobbying utilisées par Monsanto pour peser sur les différents débats qui
   touchent son secteur ont été montrées du doigt à différentes reprises, surtout au cours des cinq ou
   dix dernières années. Nous avons choisi de concerner sur les techniques et « déviances »
   révélées par les Monsanto papers

          • Les Monsanto papers
          Les Monsanto Papers correspondent à un ensemble de révélations concernant les
           pratiques de Monsanto et qui ont été relayés par le Monde. Il s’agit de milliers de
             documents internes rendus publics à la suite de procédures judiciaires intentées aux
              Etats-Unis contre Monsanto. Ces documents révèlent que les méthodes utilisées par la
            firme sont aussi agressives que douteuses. L’une des tensions majeures de ces
   révélations porte sur le fait que les études fournies par Monsanto constituaient le socle sur lequel
   se sont basées les autorités américaines pour autoriser le glyphosate en 1974.

                   • Le ghostwritting                                 Focus sur …
                                                                             LE RETRAIT DE
                   Le Monde a dévoilé l'organisation
                 d'une stratégie d’ « écriture
                                                                                  L’ÉTUDE SERALINI
               fantôme » au sein de l'entreprise. Le
               quotidien explique notamment                 L’une des révélations faites par les Monsanto
               comment le géant américain a              Papers porte sur le retrait d’une étude incriminant
               demandé à un cabinet de consultants,          le glyphosate en 2012. L’étude conjointe du
             Intertek, de lui trouver près de              Professeur    Gilles-Éric Séralini et de son équipe
   15 experts, professeurs et consultants privés,            du   Criigen   sur les dangers sanitaires à long
   pour rédiger des synthèses sur les liens entre le      terme d’un OGM et de l’herbicide auquel il a été
   gyphosate et le cancer. Ces experts, rémunérés         rendu    tolérant, le Roundup, avait fait grand bruit.
   par Monsanto, ont ainsi écrit cinq articles sur le         Initialement   publié dans la revue Food and
   sujet. Selon Le Monde, qui s'appuie sur des            Chemical     Toxicology,   l’article a étrangement été
   correspondances issues des Monsanto Papers,           retiré un an plus tard, officiellement parce que les
   des employés de la société américaine les ont               résultats étaient soudainement jugés peu
   ensuite « passés en revue » et « lourdement              concluants.     La revue Environmental Sciences
   amendés ». Certaines équipes de Monsanto                  Europe    a  finalement   republié l’intégralité de
   auraient peut-être même directement écrit                                   l’étude en 2014.
   plusieurs de ces articles, avance le quotidien. En
   septembre 2016, ces cinq études sont publiées         Les stratégies utilisées par Monsanto face à cette
   dans une édition spéciale de la revue Critical         étude publiée en 2012, au début des débats sur
   Reviews in Toxicology. La revue scientifique                le Roundup et le glyphosate, reflètent ses
   précise que Monsanto a financé ces recherches.        stratégies    globales de lobbying poursuivies par la
   Les articles en question affirment que le                                         suite.
   glyphosate n'est pas cancérigène. « Ni les
   employés de la société Monsanto, ni ses avocats,
   n’ont passé en revue les manuscrits du panel d’experts avant leur soumission à la revue », affirme
   Monsanto en bas de chaque texte. Pourtant, les révélations du Monde prouvent le contraire. La
   technique du ghostwriting aurait été tellement utilisée par l’entreprise que certains employés
   utilisaient eux-mêmes ce terme dans leurs correspondances.
14 Novembre 2017                                             Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

   Le ghostwriting de Monsanto ne se limiterait pas aux publications scientifiques. Selon Le Monde,
   des salariés du groupe ont presque entièrement écrit plusieurs articles du biologiste américain
   Henry Miller, publiés par le magazine économique Forbes. Monsanto aurait pris contact avec le
   scientifique en février 2015, pour contrecarrer les travaux du Centre international de recherche sur
   le cancer (CIRC), concluant que le glyphosate est un « cancérogène probable » pour l'homme. Un
   cadre de l'entreprise a proposé le projet à Henry Miller, qui a accepté à condition de « partir d'un
   brouillon de haute qualité ». Un « brouillon » qui sera publié presque comme tel sur le site internet
   de Forbes.

                  • Des textes largement relayés par la littérature scientifique
                 Le quotidien explique notamment qu'un article sponsorisé par Monsanto, expliquant
                l'absence de danger de cette molécule présente dans de nombreux herbicides, a été
               c i t é p l u s d e 3 0 0 f o i s d a n s l a l i t t é r a t u r e s c i e n t i fi q u e . L e j o u r n a l
               développe aussi l'exemple emblématique d'une étude sur les liens entre le glyphosate
           et le développement du fœtus. En novembre 2010, l'une des principales toxicologues de
   Monsanto, Donna Farmer, envoie les "46 premières pages" d'un article à un cabinet de
   consultants, qui sera ensuite chargé de sa publication dans une revue scientifique. L'étude est
   publiée dans le Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B, mais le nom de Donna
   Farmer n'apparaît nulle part. Seuls les consultants extérieurs, missionnés par Monsanto, sont
   cités. Une nouvelle fois, l'étude affirme que le glyphosate ne présente pas de risques
   pour le fœtus.

     Cette stratégie, décrite en premier lieu par Bruno Latour, est nommé « la rhétorique de la
                                              science ».

               • La Stratégie de l’évitement
              Suite à ces évènements, les eurodéputés ont décidé de convoquer l'entreprise pour une
                audition le 11 octobre 2017 mais le géant a tout simplement décliné l’invitation. Le
                 géant de l'agrochimie a déclaré dans une lettre relayé par l’AFP « ne pas avoir le
                 sentiment que la discussion telle que proposée est le forum approprié pour aborder
                 de tels sujets ». Remontés par cette réponse, les chefs des groupes politiques du
                Parlement européen ont demandé d'interdire l'accès de l'institution aux cadres et
   lobbyistes de l'entreprise. D'autre part, en août 2017, la Commission européenne a ouvert une
   enquête afin d'évaluer le projet d'acquisition de Monsanto par Bayer, conduisant à une réduction
   de la concurrence dans l'agrochimie. Sa décision est attendue pour janvier 2018.

   En ne se rendant pas à la convocation des juges, Monsanto permet une fois encore de ne pas
   apparaître en tant qu’acteur principal de cette crise : il est plus aisé, pour eux, que le grand public
   s’en prenne aux industries chimiques en général, ou aux lobbys en général, plutôt qu’à une firme
   bien définie. Cette stratégie de l’évitement est une stratégie de la non-personnalisation des
   problèmes, maîtrisée depuis des décennies par Monsanto.

                 • La rhétorique de la science rigoureuse
                 La rhétorique de la science rigoureuse est une orientation stratégique toujours plus
14 Novembre 2017                                    Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

   utilisée par les lobbyistes et notamment Monsanto. Il s’agit d’insister, dans son

   argumentaire, sur la nécessité absolue de prendre des décisions politiques qui seraient
   entièrement fondées sur la science (rigueur que l’on n’applique pas forcément à soi-même…. A
   Bruxelles, ce slogan des lobbyistes est devenu un mot d’ordre. En gros, il s’agit de toujours
   reprocher à ses détracteurs le manque de démonstrations scientifiques dans leur rhétorique. Cette
   pratique permet d’écarter les citoyens sous couvert d’argumentations techniques trop complexes à
   cerner pour la majorité. Cette stratégie tend à rendre le débat hermétique et peu inclusif.
   Combinée à une décrédibilisation permanente des études scientifiques incriminantes ainsi qu’à la
   stratégie du doute, la rhétorique de la science rigoureuse vient fermer un débat, dont les enjeux
   sont déjà difficilement perceptibles.

         • La contre-offensive de Monsanto
   Des experts de la communication ont été recrutés par Monsanto (pour un budget annuel supérieur
   à 700 000 euro) pour approcher des journalistes. Des rencontres individuelles se sont organisées
   dans les cafés bruxellois avec des représentants de l’entreprise. Il s’est agi, auprès de ces
   journalistes, de jouer sur l’ambiguïté des résultats des différentes études incriminant la firme. Les
   experts en communication ont également engagé une réelle campagne contre Christopher Portier,
   expert toxicologue auprès du CIRC ayant publiquement critiqué l’AFSA. Il aurait notamment perçu
   160 000 euros pour un travail d’expertise auprès des avocats des victimes. La rhétorique à
   consister à démontrer que les réelles pratiques de lobbying les plus questionnables sont à trouver
   chez les détracteurs de Monsanto, et à relayer au maximum toutes ces informations sur les
   réseaux sociaux, dans l’optique d’englober le plus de parties, notamment le grand public.

   Dernièrement, une longue enquête de l’agence Routers est venue jeter des doutes sur la rédaction
   de la monographie de l’agence de l’OMS qui remet en cause le glyphosate affirmant qu’elle aurait
   été modifiée à la dernière minute. La journaliste à l’initiative de l’enquête a finalement reconnu
   avoir travaillé avec une base d’informations fournies par Monsanto. Le Circ a répliqué avec un long
   communiqué rejetant les « fausses accusations » et les « ambiguïtés ».

   Quelle riposte pour les ONG ?

   Face à ce lobbyisme intensif de la part de Monsanto et du secteur industriel en général, la contre-
   offensive s’est organisée du côté notamment des ONG qui militent pour la plupart pour une
   interdiction des produits à base de glyphosate. Mais d’autres acteurs s’impliquent également, et ce
   notamment aux Etats-Unis. En effet, au cours de ces dernières années plus de 3000 plaintes ont
   été déposées contre Monsanto par des victimes d’un syndrome non-hodgkinien (cancer du sang)
   qu’ils attribuent à une exposition au glyphosate. Plusieurs avocats ont regroupé ces plaintes
   « class actions », actions judiciaires qui ont obligé Monsanto à divulguer un certain nombre de
   documents internes, documents aujourd’hui connus sous le nom des « Monsanto Papers ».
   Des actions individuelles se mettent également en place. Ainsi, le 4 octobre 2017 une famille
   française a porté plainte contre le géant de l’agrochimie, le jugeant responsable du grave handicap
   de leur fils Théo, suite à une exposition au glyphosate de la mère, alors que celle-ci était enceinte
   d’un mois.

   Les ONG qui, pour la plupart, disposent de moins de moyens financiers que les lobbies agricoles
   ou industriels, axent la plupart de leurs stratégies sur l’opinion publique et les médias. Elles savent
   en effet que plus les opinions publiques seront alertées sur les dangers liés au glyphosate, plus
14 Novembre 2017                                     Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

   son interdiction sur le marché européen a des chances d’aboutir. L’opinion publique est en effet un
   levier important pour influencer les décideurs et eurodéputés, d’autant qu’aujourd’hui et ce grâce
   aux nouvelles technologies, les citoyens peuvent s’organiser, interpeller directement les décideurs
   publics, et leur force d’impact est décuplée.

   Les ONG ont également beaucoup insisté sur les doutes liés à l’intégrité des différentes Agences
   européennes ayant remis en doute la toxicité du glyphosate. Les révélations d’une association
   allemande indiquant que le rapport d’évaluation publié par l’ECHA comporte 18 pages de copier-
   coller d’un dossier fourni par l’industrie elle-même, ont permis de créer un fort climat de suspicion
   concernant l’indépendance de ces agences, d’autant que selon un rapport du CEO (l’Observatoire
   des lobbies), presque la moitié des scientifiques de l’EFSA sont en situation de conflit d’intérêts
   financiers.

   Certaines actions « chocs » ont également été organisées par les ONG. En octobre, à la veille
   d’une discussion sur le glyphosate au Parlement Européen, l’ECPA, l’organisation des fabricants
   de pesticides, sponsorise un dîner pour les députés européens. Les ONG s’invitent et accueillent
   les élus avec un cocktail au Roundup.

   La riposte des ONG s’est également organisée dans les médias, avec la publication d’un certain
   nombre d’articles et d’études aux titres « chocs », pour qu’ils soient relayés largement dans les
   médias, afin de toucher le plus possible les opinions publiques (glyphosate dans de nombreux
   produits de l’alimentation quotidienne : céréales, glaces Ben & Jerry’s, pesticides dans la majorité
   des fruits et légumes etc)…
   Des initiatives citoyennes sont également organisées, avec la mise en place d’une pétition
   réclamant l’interdiction du glyphosate, qui a recueilli plus de 2 millions de signatures à l’échelle
   européenne, et qui ont un impact sur les décisions politiques (la France, l’Italie et l’Autriche se sont
   engagées à voter contre un renouvellement du glyphosate pour 10 ans). Par ailleurs, depuis 2015,
   plus de 500 ONG ont été reçue par le Commissaire Européen à la santé.
14 Novembre 2017                                    Leïla Hafez — Agathe Le Bars — Manon Mochée — Kadidja Traore

Nos recommandations …
  • Bien connaître son environnement (veille) et les acteurs (cartographie)
  • Adapter sa stratégie à ses moyens, aux enjeux, et à ses interlocuteurs
  • Garder un oeil averti face aux lobbies

                    Pour en savoir plus …
                         • Sur les techniques de lobbying
                    Le lobbying: stratégie et techniques d’intervention
                    Ouvrage de Frank J. Farnel (1994, Editions d’Organisations)

                    L’industrie du lobbying. Les stratégies d’influence des groupements de
                    consommateurs en Europe, à l’heure d’internet.
                    Thèse de Sonia Lorenzani (disponible sur https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01340358/
                    document)

                    La communication d’influence. Lobbying mode d’emploi
                    Ouvrage de Patrick Romagni (1995, Les Presses du Management)

                         • Sur le glyphosate en particulier
                    « Glyphosate: ce qu’il faut retenir des révélations liées aux “Monsanto
                    Papers“ »
                    dans Sciences et Avenir (disponible sur https://www.sciencesetavenir.fr/sante/glyphosate-
                    ce-qu-il-faut-retenir-des-revelations-liees-aux-monsanto-papers_117118)

                    « Le Roundup face à ses juges »
                    reportage de la chaine Arte (disponible sur https://www.arte.tv/fr/videos/069081-000-A/le-
                    roundup-face-a-ses-juges/)

                    Le Lobbying de Monsanto: une attaque contre notre planète et la démocratie
                    rapport de la Corporate Europe Observatory (disponible sur https://corporateeurope.org/
                    sites/default/files/attachments/monsanto_lobbying_fr.pdf)
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