R evueMusicale de Suisse Romande - L'avant-garde et la surdité
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R evue Musicale de Suisse Romande Beethoven L’avant-garde et la surdité 73 e année, N° 1 Mar s 2 0 2 0 [ 13 CHF
LES RICHES HEURES DE VALÈRE 27 MARS – 20H 13 SEPTEMBRE – 17H ÉGLISE DES JÉSUITESS ÉGLISE DES JÉSUITES Le Poème Mariana Flores Harmonique & Hopkinson Smith LEÇONS DE TÉNÈBRES THE GOLDEN AGE – EL SIGLO DE ORO COUPERIN ET CLÉRAMBAULT PÉRIODE ÉLISABÉTHAINE ET 17E ESPAGNOL (CONCERT AUX BOUGIES) 9 OCTOBRE – 20H 17 AVRIL – 20H ÉGLISE DES JÉSUITES ÉGLISE DES JÉSUITES Christian Stylus Phantasticus Zacharias & Victor Torres ZEICHEN IM HIMMEL BACH, SCARLATTI, HAYDN ET SOLER PHILIPP HEINRICH ERLEBACH ET DIETRICH BUXTEHUDE 10 MAI – 17H photo: aline fournier photo: aline fournier BASILIQUE DE VALÈRE 8 NOVEMBRE – 17H Giuliano Carmignola CATHÉDRALE & Riccardo Doni The Gabrieli LES SONATES DU ROSAIRE HEINRICH IGNAZ FRANZ BIBER Consort & Players THE FAIRY QUEEN HENRY PURCELL 7 JUIN – 17H BASILIQUE DE VALÈRE The Tallis Scholars 20 BILLETTERIE REFLECTIONS booking-event.com CORNYSH, POULENC, MESSIAEN, CROCE, Office du Tourisme de Sion : TALLIS, BYRD, DE VICTORIA, DE PADILLA, ALLEGRI (MISERERE) 20 027 327 77 27 lesrichesheuresdevalere.ch Logotype Bourgeoisie de Sion 1/2 CMYK: 0/100/100/0 PANTONE 032 U PANTONE 1797 C CMYK: 0/0/0/50 CMYK: 0/0/0/70 Le logotype est indissociable.
73ème année, n° 1 Mars 2020 Éditorial Une découverte Vincent Arlettaz 3 Musicologie Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I) V. Arlettaz 4 Actualités Genève, l’Enlèvement au sérail J. de Banes Gardonne 26 Les concerts de l’ACMA Vincent Arlettaz 29 Rougemont, la Folia fête ses vingt ans Vincent Arlettaz 30 Marie-Claude Chappuis, ‘Au cœur des Alpes’ C. Poloni 32 Alain Perroux à la tête de l’Opéra du Rhin V. Arlettaz 34 Deux artistes romands à la Scala Claudio Poloni 36 HEM de Neuchâtel, le dénouement Vincent Arlettaz 38 Les 20 ans des Sommets Musicaux de Gstaad C. Poloni 46 Pierre Huwiler, le bâtisseur de ponts Laurent Mettraux 48 En bref… 51 Livres Paderewski président Juliette de Banes Gardonne 53 Publications reçues 54 D i s q u e s B. Gandois, V.Giroud, J. de Banes, L. Mettraux, M. Pavillard 56 Couverture : Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865) : portrait de Ludwig van Beethoven (1823). Vienne, Kunsthistorisches Museum, Sammlung alter Musikinstrumente. © dr
Revue Musicale U n e d é co u ve rt e Stieler L Ludwig van Beethoven fait partie de ces icônes sur lesquelles toutes les légendes possibles et imaginables sont venues s’agréger : comment, dans la littérature pléthorique qui lui a été consacrée, distinguer le vrai du faux ? Deux portraits pourront de Suisse Romande illustrer mon propos : le premier, par Joseph Karl Stieler, est peut-être la plus connue de toutes les représentations du maître. Nous savons toutefois http ://www.rmsr.ch/ qu’elle est très trompeuse, et qu’en dépit d’une posture romantique qui semble plutôt bien correspondre à l’image que nous nous faisons de Fondée en 1948 à Lausanne sous le nom de « Feuilles Musicales », la Revue sa musique, elle ne nous conserve pas grand-chose Musicale de Suisse Romande a reçu son titre définitif en 1963. Elle est de la personne réelle. L’autre, une lithographie de aujourd’hui réalisée avec le soutien de la Loterie Romande. Blasius Höfel d’après un dessin de l’artiste français Louis-René Letronne (voir aussi p. 22), est – aux Höfel dires des contemporains – beaucoup plus proche Com i té d’ h on n e ur de l’original, mais n’évoquera sans doute rien pour la plupart de nos lecteurs. De même, lorsqu’on Mme Elisabeth Furtwängler † éditorial explore la biographie minutieuse du compositeur Mme Pascale Honegger écrite au XIXe siècle par le bibliothécaire américain Mme Frank Martin † Alexander Wheelock Thayer, d’innombrables me M Martha Schuricht † faits inconnus pourront paraître définitivement irréconciliables avec ce que nous croyons savoir de M. Michel Corboz l’auteur de l’Héroïque. Ainsi en est-il notamment de la surdité du maître : aujourd’hui encore M. Charles Dutoit inexpliquée, elle ne vint que relativement tard M. Léonard Gianadda dans la carrière de Beethoven, et ne fut pas aussi M. Serge Gut † absolue qu’on ne le croit généralement. Objet M. Tobias Richter de fascination – et même de fantasme – pour les M. Karl Anton Rickenbacher † philosophes, ce célèbre handicap, certes réel, n’a pas M. András Schiff été totalement sans recours pour le compositeur, qui continua jusqu’à la fin de sa vie à exploiter les moindres restes de son audition. Avoir à l’esprit de tels éléments pourra paraître excessivement Éditeur Nouvelle Société de la Revue Musicale de Suisse Romande, prosaïque à certains ; mais ce n’est pas diminuer le Lausanne Ré d a c t i o n , a d m i n i s t r a t i o n & p u b l i c i t é 39, rue de génie de Beethoven, à notre sens, que de le rendre la Colombière, CH-1926 Fully, tél. +41 79 693 03 81, info@rmsr.ch compréhensible à nos intelligences humaines. Abonnement Voir bulletin de souscription page 64. L’année 2020, 250e anniversaire de la naissance du maître, pourrait ainsi être l’occasion d’une Imprimé en Suisse. Prix de vente au numéro : 13 francs suisses. découverte. Prochain numéro : juin 2020. ISSN 0035-3744 Vincent Arlettaz
Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I) Beethoven Willibrord Joseph Mähler (1778-1860) : L’ avant-garde et l a s urd it é ( I ) Portrait de Ludwig van Beethoven, 1815. Peintre et compositeur originaire de Koblenz, M algré les nombreuses études qui leur ont été consacrées, les dix Mähler réalisa plusieurs dernières années de la vie de Ludwig van Beethoven (1770-1827) portraits de musiciens restent un mystère bien opaque : après une période de moindre pro- viennois, parmi lesquels ductivité qui correspond aux années 1813-1817, l’auteur de Fidelio devait finale- Salieri, Hummel et ment retrouver dès 1817 sa fécondité antérieure, et produisit encore une trentaine Seyfried. Il nous a laissé d’œuvres, dont plusieurs de dimensions imposantes, telles la Missa solemnis ou la également un fameux Neuvième symphonie. Dans l’intervalle toutefois, sa manière avait subi des change- portrait de Beethoven ments spectaculaires : car même si des audaces intéressantes apparaissent dans son jeune (1804-1805). langage musical dès la Sinfonia eroica (1803-1804), l’opéra Leonore (1804-1805) Beethoven-Haus, Bonn. ou les Quatuors Razumovsky (1806), il était réservé à ses toutes dernières années d’explorer un univers sonore encore inconnu, comportant parfois des accumula- tions de dissonances qui n’avaient jamais été osées jusque-là, ou des pages entières « Le sens du finale fugué3, en revanche, a complètement échappé au chro- à l’appartenance tonale indéfinie. Les derniers quatuors à cordes, et plus particu- niqueur : c’était du chinois, incompréhensible. Lorsque les instrumentistes lièrement la Grande Fugue de 1825, incarnent sans doute au mieux cette radicalité doivent s’agiter d’un extrême à l’autre (comme pour passer du pôle Sud au inédite, qu’il n’est pas très difficile de mettre en relation avec certaines innovations pôle Nord) au milieu d’incroyables difficultés, lorsque chacun fait entendre marquantes de la musique du XXe siècle. une partie différente de celle de ses partenaires, et que les voix se croisent Alors que les contemporains du compositeur avaient rejeté ces déroutantes créa- par ce fait per transitum irregularem, dans une série de dissonances, lorsque tions comme le produit d’une audition (voire d’un esprit) malade, les historiens enfin le musicien perd toute confiance en lui, n’étant plus même assuré de et musicologues actuels y voient volontiers au contraire une anticipation vision- jouer juste, cela devient un désordre babylonien. Bref, un concert destiné naire des voies dans lesquelles la musique occidentale allait bientôt s’engager. Le tout au plus à faire la jubilation des Marocains que nous avons accueillis à débat est-il vraiment clos ? La surdité de Beethoven, dont les premiers symptômes Vienne pour l’opéra italien : le plus beau moment, pour eux, fut celui qui étaient apparus vers la fin des années 1790, et qui avait provoqué une crise majeure précédait le spectacle, lorsqu’une partie des musiciens fait sonner des quintes en 1802 déjà, n’avait jamais été profonde jusqu’ici : ce n’est en effet qu’en 1818 à vide pour accorder les instruments, alors que préludent les autres, simul- qu’apparaissent les premiers cahiers de conversation1 ; jusqu’en 1816, le handicap tanément, dans toutes les tonalités. Tout cela ne serait peut-être pas énoncé, du compositeur avait même pu rester caché au public2. Après cette date toutefois, si le maître pouvait entendre ce qu’il compose. Mais nous ne voulons pas le problème sera âprement débattu ; voici par exemple une critique parue dans le conclure prématurément : le temps viendra peut-être, qui sait, où tout ce qui principal journal musical allemand de l’époque, l’Allgemeine musikalische Zeitung nous semble, à première vue, confus et très embrouillé, paraîtra clair et plai- de Leipzig ; le chroniqueur anonyme y commente la création, en mars 1826, de la samment construit. »4 fameuse Grande Fugue pour quatuor à cordes : (3) À l’origine, la Grande Fugue avait été conçue comme finale du Quatuor à cordes op. 130 en si bémol majeur. Ce n’est qu’à la fin de l’été 1826 que Beethoven, probablement selon le vœu de son éditeur, se décida à l’en détacher, et à la publier à part. (1) Knittel 1998, p. 59. Dans l’ensemble du présent article, nous donnerons en notes de (4) Voici le texte original : « […] Aber der Sinn des fugirten Finale wagt Ref. nicht zu deuten : bas de page des références bibliographiques abrégées, qui seront développées et explicitées für ihn war es unverständlich, wie Chinesisch. Wenn die Instrumente in den Regionen dans la bibliographie, p. 23. des Süd- und Nordpols mit ungeheuern Schwierigkeiten zu kämpfen haben, wenn jedes (2) Knittel 1998, p. 58. derselben anders figurirt und sie sich per transitum irregularem unter einer Unzahl von 4 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 5
Vincent Arlettaz Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I) L’explication des audaces par la surdité n’est ici proposée, on l’observera, qu’à titre Il peut être intéressant de relever que le concert évoqué ici par Berlioz comprenait en d’hypothèse (« peut-être ») ; en effet, même lorsqu’ils nourrissent de profonds doutes fait non pas un, mais deux quatuors : l’op. 131 en ut dièse mineur et l’op. 135 en fa sur les œuvres en question, les commentateurs contemporains conservent de manière majeur7. Or, ceux-ci ne sont probablement pas les œuvres les plus audacieuses de la générale une attitude de respect envers le compositeur lui-même, dont les réussites dernière manière beethovénienne ; et il serait certainement intéressant de connaître antérieures lui ont depuis longtemps acquis un prestige considérable ; il n’en aurait l’appréciation de l’auteur des Troyens sur d’autres compositions plus novatrices, no- probablement pas été de même pour un auteur plus jeune, ayant à son actif moins de tamment sur la Grande Fugue – si tant est qu’il l’ait connue. Cette lettre de 1829 n’a réalisations reconnues. Avec quelques exceptions, cette posture de « rejet emprunté » en outre été publiée qu’après la mort de son auteur8, et n’a donc guère pu influencer restera de mise pendant plusieurs décennies : une sorte de voile pudique est jeté de manière générale la réception du dernier Beethoven. À cet égard, ses collègues sur ces compositions austères, que l’on ne parvient pas à réconcilier avec les chefs- Franz Liszt et Richard Wagner auront eu plus d’importance ; en 1870 par exemple, d’œuvre universellement admirés de la deuxième période (1803-1815)5. Toutefois, Liszt, parlant des trois périodes créatrices de Beethoven, les aurait décrites comme dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un changement radical d’appréciation va se correspondant respectivement à « l’enfant », à « l’homme » et au « dieu »9. C’est tou- dessiner, à la faveur de l’avènement de l’« École de l’Avenir », autour de Liszt et de tefois à Wagner qu’il était réservé de développer pleinement l’idée selon laquelle Wagner : désormais, les courants progressistes se mettront à revendiquer ces œuvres la troisième période surpasse et transcende les deux précédentes ; dans son essai tardives comme faisant partie intégrante de l’héritage beethovénien, comme fonda- Beethoven paru en 1870 (centenaire de la naissance du compositeur), l’auteur de trices même des tendances modernes de l’écriture musicale. Parsifal va jusqu’à affirmer que la surdité aurait été pour son illustre prédécesseur Hector Berlioz déjà, à la fin des années 1820, avait osé quelques lignes allant dans non pas un handicap, mais bien un avantage, son imagination étant désormais libé- ce sens – mais à son époque, il était un des très rares à le faire ; voici notamment ce rée des contraintes matérielles10 ! qu’il écrit, en date du 29 mars 1829, dans une lettre à sa sœur Nanci : « […] L’autre jour, j’ai entendu l’un des derniers quatuors de Beethoven. L’ « au d i t i o n i n t é r i e u r e » M. Baillot le faisait entendre dans l’une de ses soirées. J’y ai couru pour voir l’effet que cette incroyable production produirait sur l’assemblée. Il y avait On a pu démontrer que Wagner, lorsqu’il adopte cette position – somme toute près de trois cents personnes, nous nous sommes trouvés six à demi morts à plutôt étonnante – sur la surdité de Beethoven, le fait sous l’influence de ses lectures la vérité de l’émotion que nous éprouvions, mais les seuls qui ne trouvassions du philosophe Arthur Schopenhauer, pour qui la musique, expression directe de la pas cette composition absurde, incompréhensible, barbare… Il est monté si Volonté originelle, n’aurait en soi nul besoin de se servir du médium matériel pour haut que la respiration commence à manquer… Il était sourd quand il écrivit transmettre son message11. Cette conception, reprise par la suite par différents his- ce quatuor ; et pour lui comme pour Homère, « l’univers s’enferma dans son toriens et analystes, tels que Theodor Helm, Vincent D’Indy ou Hugo Riemann12, âme profonde ». C’est de la musique pour lui ou pour ceux qui ont suivi la reste relativement répandue aujourd’hui dans les milieux spécialisés ; son impact sur progression incalculable de son génie. […] »6 le grand public ne paraît en revanche pas être grand-chose à ce jour. Qu’on nous per- mette donc de poser, de manière sans doute un peu naïve, la question en ces termes : Dissonanzen durchkreuzen, wenn die Spieler, gegen sich selbst misstrauisch, wohl auch la surdité peut-elle, vraiment, être un avantage pour un compositeur de musique ? nicht ganz rein greifen, freylich, dann ist die babylonische Verwirrung fertig ; dann giebt es ein Concert, woran sich allenfalls die Marokkaner ergötzen können, denen bey ih- On connaît bien le cas de musiciens qui, au bénéfice d’une formation appro- rer hiesigen Anwesenheit in der italienischen Oper nichts wohlgefiel, als das Accordiren fondie et d’une longue expérience, sont capables de composer mentalement – « à la der Instrumente in leeren Quinten, und das gemeinsame Präludiren aus allen Tonarten zugleich. Vielleicht wäre so manches nicht hingeschrieben worden, könnte der Meister (7) Cf. ibid., note 1. seine eigenen Schöfpungen auch hören. Doch wollen wir damit nicht voreilig absprechen : (8) Par Julien Tiersot (1857-1936) ; cf. ibid., p. 245. vielleicht kommt noch die Zeit, wo das, was uns beym ersten Blicke trüb und verworren erschien, klar und in wohlgefälligen Formen erkannt wird. » (Kunze 1987, p. 559-560). (9) Cf. Knittel (1998, p. 60), qui ne cite malheureusement pas sa source. Vincent D’Indy Nous empruntons ici la traduction française de Buchet (1966, p. 347-348) ; les autres (1911, p. 6) cite ces propos comme un de ses souvenirs personnels de Liszt, et ne se réfère traductions du présent article sont un travail personnel. pas à une source écrite. (5) Knittel 1998, p. 52-56. (10) Knittel 1998, p. 60-68. (6) Lettre à sa sœur Nanci, datée du 29 mars 1829 ; le concert en question a eu lieu le 24 (11) Knittel 1998, p. 63-64. mars 1829 ; cf. Citron 1972, p. 244. (12) Knittel 1998, p. 68-75. 6 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 7
Vincent Arlettaz Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I) Tentons ici un parallèle avec le monde de la vision : par la pratique assidue de son art, un peintre pourra développer des facultés tout à fait spéciales, lui permettant par exemple de distinguer de subtiles nuances de couleurs ; il pourra également les enregistrer, les restituer de mémoire, et notamment créer un tableau sans se baser sur un modèle vivant. Néanmoins, que peut-il rester de tout cela au moment où, ayant totalement perdu la vue, il se trouve enfermé depuis dix ans dans un univers sans lumière ? Le cas de Beethoven pourrait être comparé à celui de cet artiste : écrivant sur la base de sa mémoire des couleurs harmoniques et orchestrales, il aurait pu finalement, après tant d’années, se fourvoyer dans l’effet produit sur l’auditeur ; ainsi pourraient être expliquées, au moins en partie, les duretés des œuvres de sa dernière période – et dans ce cas, quelle importance conviendrait-il d’accorder à de telles innovations ? Pourraient-elles vraiment être considérées comme une anticipation des découvertes du XXe siècle ? L’exemple du peintre aveugle que nous venons d’évoquer n’est, on le sait, pas entièrement théorique : une situation assez similaire se présente à nous dans la car- rière de Claude Monet (1840-1926), dont les dernières années furent marquées par de graves problèmes de cataracte – problèmes qui devaient altérer radicalement sa perception du monde extérieur. Après de premiers symptômes apparus en 1908, la maladie fut formellement diagnostiquée en 1912 ; l’artiste avait alors 72 ans14, et s’il ne cessa nullement de travailler, le temps passant et le mal progressant, les œuvres qu’il peignit au tournant des années 1920 montrent de profonds changements dans Claude Monet (1840-1926) : Le Pont japonais (1918-1924) sa palette, comportant désormais des tons extrêmement vifs, agressifs même, sans comparaison avec les harmonies subtiles des décennies précédentes. Le Pont japonais, tableau des années 1918-1924, reproduit ci-contre, pourra nous en donner une idée table », pour utiliser une expression répandue dans le « métier » –, sans avoir recours assez représentative15. à un instrument pour vérifier l’effet de leurs idées mélodiques ou harmoniques. En 1923, Claude Monet sera un des premiers cas réussis d’opération de la cata- Ces cas ne sont en fait pas si rares ; en schématisant, on pourrait dire qu’il existe racte16 ; et même si sa carrière ne devait plus beaucoup durer après cela (il mourra deux groupes de compositeurs à cette époque : ceux qui, comme Chopin, Liszt ou trois ans plus tard, le 5 décembre 1926), ces particularités extrêmes disparaîtront Wagner, se basent en permanence sur le piano ; et ceux qui, comme Berlioz, pré- à nouveau de son œuvre après l’intervention chirurgicale17. Dans son cas, il serait fèrent s’affranchir de la « tyrannie »13 de cet instrument. Mais la question qui nous difficile de parler de vision novatrice, d’anticipation géniale de l’évolution des beaux- occupe ici est d’une nature fondamentalement différente : nous ne parlons pas d’un arts vers l’abstraction ; l’altération de sa perception sensible apparaîtra, au contraire, compositeur qui, lorsqu’il conçoit ses œuvres, s’abstrait l’espace de quelques heures comme la cause manifeste des changements radicaux de son style. Ne pourrait-il pas (ou de quelques jours) d’un environnement sonore vivant, pour revenir ensuite, en être de même pour la dernière période de Beethoven ? – la différence étant, bien tout aussi rapidement, au monde des entendants, renouvelant de toutes les manières sûr, que dans le cas de ce dernier, il n’y a pas eu de guérison. imaginables ses perceptions auditives. Nous devons bien plutôt nous représenter la situation d’un musicien qui, depuis nombre d’années, aurait été totalement coupé de l’univers des sons. Beethoven, à l’approche de sa troisième période créatrice, est (14) Monet 2010, p. 363. certes au bénéficie d’une carrière exceptionnellement active, d’une durée de près de (15) Monet 2010, p. 349 (cat. 174). trente ans ; il est certain que son audition intérieure avait alors acquis des réflexes (16) Monet 2010, p. 363. Seul l’œil droit aurait été opéré, Monet refusant catégorique- uniques ; mais cela peut-il rester valable sans limite dans le temps ? ment l’opération de l’œil gauche ; cf. Wikipedia.org, article en français « Claude Monet » (consulté le 15 février 2020). (13) H. Berlioz : Mémoires, chapitre IV. (17) Voir par exemple le tableau Les Roses, de 1925-1926. 8 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 9
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Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I) Werkverzeichnis, Bd. 1, München, Porot, Maurice (1986) : Beethoven et Henle les malentendus, Rueil-Malmaison, Klinger, Wolfram (2006) : « Das Ciba-Geigy Rätsel von Beethovens Gehörleiden : Reiter, Christian (2007) : « The causes Eine Krankengeschichte » in : Bonner of Beethoven’s death and his locks of Beethoven-Studien 5, p. 119-141 hair : A forensic-toxicological investi- Knittel, Kristin Marta (1998) : gation », in : The Beethoven journal 22 « Wagner, deafness, and the reception (1), Summer 2007, p. 2-5 of Beethoven’s late style », in : Journal Saffle, Michael et Saffle, Jeffrey R. of the American Musicological Society, (1993) : « Medical Histories of Spring, 1998, 51(1) p. 49-82 Prominent Composers : Recent Kunze, Stefan (1987) : Ludwig van Research and Discoveries », in : Acta Beethoven. Die Werke im Spiegel seiner Musicologica 65, fasc. 2 (Jul.-dec. Zeit. Gesammelte Konzertberichte und 1993), p. 77-101 Rezensionen bis 1830, Laaber, Laaber- Schindler, Anton (1864) : Histoire Verlag de la vie et de l’œuvre de Ludwig van Mackowiak, Philip A. (2007) : Post- Beethoven (traduction par Albert mortem : Solving history’s great medical Sowinski), Paris, Garnier (réédition : mysteries, Philadelphia, The American Gallica) College of Physicians Schindler, Anton (1871) : Biographie Mai, François Martin (2007) : von Ludwig van Beethoven, Münster, Diagnosing genius : The life and death Aschedorff, 2 vol. of Beethoven, Montréal, McGill– Thayer, Alexander W. (1967) : Thayer’s Queen’s University Press Life of Beethoven, revised and edited Martin, Russell (2000) : Beethoven’s by Elliot Forbes, Princeton, Princeton hair : An extraordinary historical University Press, 2 vol. odyssey and a musical mystery solved, Van der Meer, John Henry (1985) : London, Bloomsbury « Beethoven’s Graf Piano », in : Early Massin, Jean et Brigitte (1967) : Music, Vol. 13, No. 2 (May, 1985), Ludwig van Beethoven, s.l, Club p. 335 Français du Livre/Fayard Wainapel, Stanley F. (1995) : « Ludwig Michaux, Jean-Louis (1999) : « Les van Beethoven : The influence of énigmes de la maladie de Beethoven », hearing loss on his musical develop- in : Revue Belge de Musicologie, vol. 53 ment », in : Medical problems of perfor- (1999), p. 159-196 ming artists 10(3) (September 1995), Monet (2010) : Claude Monet 1840- p. 90-93 1926. Paris, Galeries nationales, Wegeler, Franz, et Ries, Ferdinand Grand Palais, 22 septembre 2010- (1838) : Biographische Notizen über 24 janvier 2011, Paris, Réunion des Ludwig van Beethoven, Coblenz, musées nationaux–Musée d’Orsay Bädeker 73e année, n° 1 Mars 2020 25
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Actualités musicaux contestaient immédiatement Devant se résoudre à une solution Haute École de Musique de Neuchâtel la réalité de l’économie prévue par le longue, le Conseil d’État proposait en Gouvernement, et appelaient à la réa- avril 2019 un contre-projet à l’initia- Le dénouement lisation d’une véritable étude d’impact tive, contre-projet qui maintenait le (encore inexistante à ce moment-là) principe de la suppression de la HEM, avant toute prise de décision. Rien n’y tout en usant de largesses envers plu- Par Vincent Arlettaz faisait, et le Conseil d’État persistait in- sieurs autres acteurs musicaux du can- flexiblement dans son intention. Le plus ton, dans l’idée probable de couper les grave était pourtant à venir : le 29 mai initiants d’une partie de leurs soutiens Menacée dans son existence depuis décembre 2017, la Haute École de Musique de 2018, le Grand Conseil (le législatif can- dans la population. Chargée d’exami- Neuchâtel sera très probablement sauvée. En date du 18 février 2020, le Grand tonal), saisi d’un postulat émanant de la ner le bien-fondé de cette approche Conseil adoptait en effet, par une majorité d’une dizaine de voix, un décret per- gauche, refusait le principe de l’étude (qui constitue peut-être une deuxième mettant de faire entrer dans la loi le principe d’un enseignement professionnel d’impact, et soutenait le Conseil d’État maladresse stratégique), une commis- de la musique dans le Canton. Sauf surprise de dernière minute, plutôt peu pro- dans sa démarche expéditive. sion parlementaire ad hoc se mettait bable, le peuple n’aura donc pas à se prononcer sur l’initiative populaire déposée Perdu par 43 voix contre 57 (et à l’œuvre ; ses travaux occupèrent le en septembre 2018. 10 abstentions), ce premier vote lais- reste de l’année 2019, et débouchèrent sait la Haute École dans une impasse en janvier 2020 sur une recomman- L es nuages s’éclaircissent en- totale, face à un Gouvernement et un dation favorable à l’école : malgré de fin sur le site neuchâtelois de Une course de vitesse Parlement qui lui étaient tous deux fortes abstentions, une majorité de la Haute École de Musique défavorables. Mais la réaction fut im- ladite commission (7 oui, 1 non, 7 qui, assurément, revient de loin – et Petit retour en arrière1 : le 30 novembre médiate : en quelques mois à peine, les abstentions) appelait en effet le Grand même de très loin ! En septembre 2018, 2017, le Conseil d’État neuchâtelois soutiens de la HEM obtenaient large- Conseil à accepter lui-même le texte de il y a un an et demi, personne ne sem- (l’exécutif cantonal) annonçait son ment les 4’500 signatures nécessaires à l’initiative, et à le faire entrer dans la blait plus parier un centime sur son intention de fermer sa Haute École de déposer une initiative populaire deman- loi cantonale sans passer par la consul- avenir, et il fallait – plus que de l’opi- Musique, pour des raisons budgétaires. dant d’ancrer dans la loi cantonale le tation populaire ; le 18 février 2020, le niâtreté – un certain goût de la pensée Dans les semaines suivantes, une forte principe d’une formation musicale pro- plénum approuvait cette solution, par paradoxale pour oser envisager une issue mobilisation de la part d’étudiants, fessionnelle ; cette initiative était enre- une majorité de 61 voix contre 51 (et 3 favorable. Pourtant, le miracle est adve- d’enseignants et d’innombrables sym- gistrée par la chancellerie dès le mois de abstentions). nu : s’il semble évident qu’une réforme pathisants, permettait de récolter en septembre 2018, dans ce qui se mettait Le ralentissement du tempo obtenu globale est incontournable, la vie s’ap- quelques jours plus de 20’000 signatures furieusement à ressembler à une course en décembre 2018 aura donc permis prête néanmoins à reprendre son cours sur internet ; de nombreux articles de de vitesse : le Conseil d’État annonçait de confirmer le retournement de majo- habituel, fait de leçons, d’auditions et soutien paraissaient dans la presse, et des en effet vouloir procéder immédiate- rité au sein de l’assemblée législative, et d’examens ; les séances de mobilisation, émissions de radio se faisaient l’écho du ment à la fermeture de l’institution, de sauver une école d’art donnée par le combat politique et les interventions désarroi d’artistes pris, une fois de plus, sans attendre les résultats du vote popu- beaucoup pour morte dès la fin 2017 ; médiatiques vont s’effacer, et laisser à au piège. Les estimations des milieux laire. Ceci fut probablement l’erreur en particulier, le comité d’initiative, nouveau toute la place aux arpèges et politique qui fit basculer les choses : le 4 regroupant des personnalités de tous concertos. Ceci ne sera qu’une appa- (1) Pour de plus amples détails sur l’histoire décembre 2018, le Grand Conseil, par bords politiques, et présidé par Armand rence toutefois : car tout indique que des difficultés de la HEM de Neuchâtel, 54 voix contre 46 (et 15 abstentions) Blaser, ancien président de la commune les enseignements des deux dernières je me permets de renvoyer le lecteur à approuvait le principe d’un moratoire, de Val-de-Ruz, aura joué finement sa mes précédents articles, parus dans la années vont marquer en profondeur le Revue Musicale de Suisse Romande de dé- interdisant tout démantèlement tant partition. Les bonnes nouvelles sont, monde de la musique dans notre région, cembre 2017 (p. 20), juin 2018 (p. 49) et que le Souverain ne se serait pas pro- paraît-il, devenues rares de nos jours ; et même bien au-delà. décembre 2018 (p. 26). noncé. savourons celle-ci ! 38 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 39
Actualités Actualités (trois conseillers sur cinq, dont la mi- cadre le Haut du canton ; la crédibilité Canton, c’est aussi et surtout parce que Le poids du « Haut » nistre en charge de l’éducation, Mme politique du projet des Hautes Écoles les chiffres avancés par le Gouvernement Monika Maire-Hefti), aura pu compter Spécialisées semble ici en jeu. ne l’ont pas convaincue. Et c’est bien Reprenant peu à peu nos esprits, nous au départ sur une certaine solidarité de là, sans doute, l’enseignement le plus pourrons laisser se ranimer en nous le parti ; la mesure « austéritaire », si elle important de deux pleines années de goût des considérations analytiques : avait été présentée par la droite, aurait La guerre des chiffres débats : alors que les membres de la les vidéos et infographies disponibles probablement échoué dès le premier communauté HEM ne s’étaient guère sur le site de l’État de Neuchâtel2 nous instant4. Mais il faut compter encore La mise en œuvre de la HEM sur l’en- intéressés jusque-là au coût réel de leur permettent de suivre la lente évolution sur une autre division : celle, fameuse, semble du Canton, si elle n’est pas une institution, nous disposons désormais des rapports de force au sein du par- qui sépare les députés du « Bas » du chose forcément facile à réaliser, appar- de chiffres précis et largement docu- lement cantonal, amenant progressi- Canton (Neuchâtel et le littoral) et tient néanmoins certainement au do- mentés ; leur analyse a déjà été présen- vement l’issue heureuse. Assurément, ceux du « Haut » (les « montagnes », au- maine du possible ; une meilleure colla- tée dans les colonnes de cette revue5, et les lignes, si elles ont bougé, ne l’ont tour des villes de La Chaux-de-Fonds et boration avec le Conservatoire cantonal se retrouve d’ailleurs, de manière très fait que dans des proportions limitées : du Locle). Rappelons que cette région (l’école de musique non professionnelle) similaire, dans le rapport de la com- du début à la fin, le bloc de droite, à avait été la grande perdante de la mise en sera une clé essentielle. À la vérité, mission ad hoc du Grand Conseil6 : si savoir l’UDC (Union Démocratique en place du système des Hautes Écoles les manipulations politiques des deux le Canton de Neuchâtel investit un peu du Centre, droite populiste) et le PLR de Musique en 2008 : La Chaux-de- dernières années ont mis quelque peu à plus de deux millions par année dans sa (Parti Libéral-Radical, droite d’af- Fonds disposait jusque-là de son propre l’épreuve le sentiment de solidarité entre HEM, il en récupère immédiatement faires), s’est massivement positionné conservatoire professionnel, dont les les deux écoles ; mais ceci appartient 600’000 francs, correspondant à la loca- contre la Haute École : c’est à peine si qualités n’étaient pas à démontrer, mais désormais au passé. Rien ne semble plus tion d’un bâtiment entièrement équipé quelques voix se sont perdues ici ou qui, masse critique oblige, avait dû naturel que la coopération entre deux pour la musique – il serait bien difficile là3. En revanche, la gauche, divisée s’effacer devant la capitale cantonale ; entités qui partagent tant d’intérêts ; la de convertir à un autre usage ces locaux, au départ, s’est progressivement ras- or, le texte de l’initiative pro-HEM pré- tactique du « diviser pour régner » ayant qui sont utilisés conjointement avec le semblée, laissant finalement parler sa voit expressément que l’activité de cette échoué, il convient de s’atteler dès au- Conservatoire cantonal, selon des ho- majorité réelle. Cette évolution peut dernière doit « rayonner sur l’ensemble jourd’hui à la construction d’un réseau raires parfaitement complémentaires. s’expliquer de deux manières : d’abord, du territoire » cantonal. La chose paraît véritablement efficace qui soit au service Si l’on ajoute à cela les revenus fiscaux, le Conseil d’État, à majorité socialiste en soi plutôt évidente, mais avait été de l’ensemble des milieux musicaux du ainsi que la problématique de la Caisse jusqu’ici limitée par diverses considé- canton. Ceci sera d’autant plus néces- de pension, l’économie finale ne doit (2) Toutes les séances du Grand Conseil neu- rations – notamment par l’inflexibilité saire qu’un des points chauds du débat, guère représenter plus d’un million de châtelois sont archivées et visualisables en des officines fédérales, visant à dimi- rappelons-le, est la question de l’inté- francs ; elle est en tout cas inférieure à un ligne (sur www.ne.ch, choisir « Autorités » nuer le plus possible le nombre de sites gration des étudiants neuchâtelois – sur million et demi. En contrepartie, la pré- / « Grand Conseil », puis « Site des débats HEM, de manière à les renforcer. Sur laquelle nous reviendrons plus en détail ; sence de la HEM attire dans le canton en direct et archives audiovisuelles des ce plan-là, il semble clair que Berne le renforcement des classes préprofes- un financement fédéral et intercantonal sessions »). Ces captations incluent les tableaux des résultats pour tous les scru- devra faire davantage de concessions sionnelles du Conservatoire représentera d’environ deux millions et demi – une tins, ainsi que des plans de salle détaillant au cantonalisme, et laisser une partie sans doute un enjeu majeur. substance économique qui aurait dis- le vote de chaque député. des activités de la HEM prendre pour Mais les considérations socio-géo- (3) Cette détermination aura duré jusqu’au graphiques ne sont sans doute pas dernier instant, le Président radical du l’unique explication du désaveu subi (5) Voir notre numéro de décembre 2017, Grand Conseil imposant même une (4) En plus des députés socialistes, éco- page 26. par le Conseil d’État : si une majorité de étrange interruption de séance (une logistes et « popistes » (Parti Ouvrier (6) Voir page 7 de ce document, accessible « pause ») de plus d’une demi-heure entre Populaire), l’initiative a été soutenue députés a finalement choisi de prendre à l’adresse : www.ne.ch/autorites/GC/ob- les deux tours décisifs du scrutin final, le par les centristes du Parti Démocrate une autre voie, et de conserver une for- jets/Documents/Rapports/2019/19007_ 18 février 2020. Chrétien et par les Verts Libéraux. mation musicale professionnelle dans le com.pdf. 40 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 41
Actualités Actualités paru automatiquement en cas de ferme- plus importantes que celle de s’oppo- ment musical au meilleur niveau inter- formation à l’étranger, si elle est envisa- ture de l’école. Les retombées indirectes ser à la fermeture d’une école d’art de national. Dès 2008, la Confédération geable pour une partie d’entre eux, n’est (logement, consommation…), liées à la cent étudiants. D’ailleurs, le même bloc est venue soutenir l’effort financier certainement pas une solution souhai- présence d’une centaine d’étudiants et de droite, dès le début, avait soutenu la que les Cantons consentaient jusque- table pour l’ensemble. Tous les acteurs d’une partie des professeurs sur le terri- volonté du Gouvernement de procéder là ; le domaine a donc connu une forte du terrain semblent donc souscrire au toire cantonal, viennent encore arrondir à ladite fermeture sans consulter qui que expansion au cours des douze dernières principe d’un renforcement de la forma- le bilan global. ce soit ; le reproche de « déficit démocra- années ; on s’est efforcé de recruter les tion préprofessionnelle dispensée par les Au final, on se permettra d’obser- tique » apparaît donc davantage comme meilleurs enseignants – on a pu notam- Conservatoires cantonaux ; mais cette ver, une fois de plus, que ces sommes une manœuvre de la dernière chance, ment débaucher de nombreux pédago- mesure suffira-t-elle ? Selon moi, il ne restent assez modestes. La présence et n’a pas abusé grand-monde – même gues réputés venant des pays voisins, où devrait pas non plus être tabou d’ima- d’une Haute École de Musique a donc s’il est évident qu’un scrutin populaire ils ne sont pas toujours très bien traités. giner une forme de système de quotas un coût, mais ce coût reste certainement aurait été bien plus difficile à remporter Dès lors, les candidatures d’étudiants – pour autant qu’il soit géré de manière proportionné aux avantages qui y sont qu’un vote au Grand Conseil7. étrangers, déjà importantes avant 2008, raisonnable et transparente. liés. Une telle observation pourrait d’ail- L’euphorie d’un dénouement favo- se sont encore multipliées, d’autant plus leurs être extrapolée à une bonne partie rable – et même, disons-le, d’une des que ces jeunes artistes n’ont souvent pas des domaines culturels, qui entraînent rares bonnes nouvelles qui nous soient de perspectives dans leur propre pays, L’avenir certes des dépenses, mais que l’on peut parvenues récemment, tous domaines du fait d’infrastructures sous-dimen- voir comme un investissement partici- confondus – ne doit pas nous empêcher sionnées (c’est le cas chez nos voisins À Neuchâtel même, la mise en applica- pant au bien-être de la société et à l’at- de jeter sur l’ensemble de la question un français par exemple). Les auditions de tion de la nouvelle loi « HEM » aura pro- tractivité globale d’une région. regard un peu plus distancié et prudent ; recrutement des HEM romandes sont bablement pour conséquence une réor- en particulier, il semble clair que les donc devenues de plus en plus relevées, ganisation du site, plus ou moins pro- milieux musicaux ne peuvent plus rester avec pour conséquence regrettable de fonde. Malgré certaines voix entendues Le « protectionnisme » sourds aux critiques qui ont été émises rendre plus difficile l’accès des jeunes récemment, il est peu probable que l’on à l’égard de leurs écoles. L’un de ces artistes suisses à ces formations. Ces der- renonce à la convention avec Genève Indéniablement, les mésaventures de reproches porte, on le sait, sur le faible niers ne déméritent pourtant nullement, pour se rapprocher d’un autre canton – la HEM de Neuchâtel auront été pour nombre d’étudiants suisses (et pas seule- mais entrent désormais en concurrence et d’ailleurs, les possibilités ne sont pas beaucoup d’entre nous l’occasion de ment neuchâtelois) dans leurs rangs. En avec des musiciens qui, pour une partie nombreuses. Des économies seront sans découvrir maint aspect méconnu de vérité, il faudra bien que la communauté d’entre eux au moins, ont déjà large- doute demandées en revanche ; peut-être notre système de formation, voire de HEM empoigne ce problème une bonne ment entamé leur formation profession- faut-il s’attendre à une certaine forme notre organisation politique. Ainsi, je fois, car le déni nous mènerait sur une nelle. Que faire ? de redéploiement, avec l’intégration dois confesser pour ma part avoir ignoré voie dont on sait désormais qu’elle peut Il est vrai, de nombreux étudiants de nouvelles disciplines instrumentales jusqu’ici la possibilité juridique offerte être très dangereuse. Mais la difficulté étrangers formés dans nos HEM fi- (certains parlent des cuivres, importants à un Parlement cantonal d’accepter une est proprement redoutable : rappelons nissent par s’établir dans notre région ; dans le milieu musical local), et donc la initiative législative populaire sans la que les HEM ont reçu pour mission de l’effort du contribuable n’est donc, de fermeture possible d’autres classes. Il est soumettre au peuple. Au cours du débat développer dans notre pays un enseigne- loin, pas en pure perte. Néanmoins, il bien sûr trop tôt pour le dire, mais on ne final au Grand Conseil, le bloc de droite semble évident que nos jeunes conci- peut exclure que la victoire soit suivie de s’est permis de dénoncer une procédure (7) Il reste possible, au moins théorique- toyens doivent avoir toutes leurs chances jours amers pour certains – la chose s’est qu’il est allé jusqu’à qualifier de « défi- ment, qu’un référendum soit réclamé d’obtenir un ticket d’entrée pour ces trop souvent produite déjà dans le passé. cit démocratique » ; on oubliait toute- dans le mois qui suit la votation d’une loi Hautes Écoles, faute de quoi il ne leur Le rapprochement avec les struc- au Grand Conseil. Une conclusion défi- fois ainsi que le Grand Conseil a reçu nitive ne pourra donc pas être tirée avant sera pas possible de développer le poten- tures de formation non professionnelle de ses électeurs le pouvoir législatif, qui la mi-mars 2020, soit à peu près au mo- tiel artistique qui est le leur ; car les alter- est, d’autre part, mentionné explicite- comporte des responsabilités autrement ment où les présentes lignes paraîtront. natives ne sont, ici, pas légion, et une ment dans le nouveau texte de loi, et 42 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 43
Actualités Actualités ce chantier promet d’être conséquent. être très rapidement. Concrètement, il Après quatre tentatives infructueuses de est probable que le Valais et Fribourg, l’exécutif pour se débarrasser (dès 2005) dont la situation dans le réseau HEM de l’enseignement musical profession- est assez similaire à celle de Neuchâtel, nel – une tradition centenaire dans ce auraient été mis sous pression. D’autre canton –, on peut souhaiter que tous part, les autres cantons où les partis de se mettent enfin à l’œuvre de manière droite (UDC et PLR) sont fortement constructive et loyale pour améliorer et représentés – soit Vaud et Genève – au- coordonner l’ensemble du dispositif de raient vu le même type de problème se formation, pour mettre également le produire tôt ou tard. savoir-faire de la HEM neuchâteloise au La victoire remportée aujourd’hui à service de l’ensemble de la population. Neuchâtel ne doit pas nous dissimuler Souffre-douleur – depuis quinze que le combat pour défendre la forma- ans – des volontés austéritaires du tion musicale (et la culture en général) Gouvernement cantonal, le site neu- connaîtra d’autres jours, dont la conclu- châtelois de la HEM sort probablement sion pourrait être moins heureuse. Le aguerri et renforcé des épreuves qu’il a principal espoir est donc, à terme, de traversées. Son histoire nous démontre parvenir à démontrer, même à ces mi- que l’espoir n’est jamais perdu, et qu’il lieux hostiles, que la culture et la forma- est possible de rétablir des situations tion d’une part ne coûtent pas si cher ; qui paraissent totalement compro- et d’autre part, qu’elles apportent à une mises. Cette leçon doit être fermement région une identité et une attractivité retenue par l’ensemble des acteurs de qui sont un apport fondamental, même la culture dans notre pays : dans la so- en termes purement économiques. Ce ciété essentiellement utilitaire et terri- n’est que lorsque les esprits sceptiques blement impatiente qui est désormais auront été convaincus – au moins pour devenue la nôtre, chaque centimètre de une partie d’entre eux – que l’on pourra terrain devra être défendu âprement. Je considérer la crise de la HEM neuchâ- l’ai déjà écrit dans le passé, et le redis teloise comme véritablement close. Les aujourd’hui : la disparition du site neu- deux années qui viennent de s’écouler châtelois de la HEM aurait constitué de n’ont pas encore apporté la résolution toute évidence un signal négatif pour les de ces dissonances ; elles ont néanmoins destinées de la culture dans notre pays ; montré la voie à suivre. d’autres démantèlements auraient, sinon suivi, du moins menacé de le faire, peut- Vincent Arlettaz P ro c hai n e s m an i f e s tat i o n s p u bli qu e s (détails : hemge.ch) Musique de chambre au campus (Neuchâtel, Espace de l’Europe 21) : Jeudi 26 mars & jeudi 30 avril à 20h (Beethoven, Schumann & Brahms) ‘Journées Dialogues’ : le 9 mai, La Chaux-de-Fonds, Conservatoire, avenue Léopold-Robert 34 ; le 16 mai, Neuchâtel, Espace de l’Europe 21 (toute la journée) 44 Revue Musicale de Suisse Romande 73e année, n° 1 Mars 2020 45
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6e édition du 21 au 24 mai 2020 Les Folles Journées J. S. BACH de Lutry (au temple) 21 MAI 2020 18H00 Conférence Gilles Cantagrel, « Bach entre le doute et la foi » HôtelLeRivageàLutry Réservation obligatoire, places limitées : 021 616 92 09 22 MAI 2020 20H00 uria Rial, soprano N Die Freitagsakademie J.S.Bach:CantateBWV202"Hochzeitskantate" ConcertoBWV1053et1055 Vivaldi:ConcertopourcelloenDomineur 23 MAI 2020 11H00 nsemble vocal Buissonnier E Dir.:FruzsinaSzuromi "AscensionauCiel":musiquesàtravers10siècles 17H00 jasha Gafner, harpe T Augustin Lipp, marimba Œuvres:àpréciser 20H00 ichel Tirabosco, flûtedepan M Les Solistes de la Menuhin Academy CPEBach:ConcertopourflûteenLamineurWq.166 J.S.Bach:ConcertoBWV1055 G.Donizetti:Concertopourflûte Fr.Doppler:Andantepourdeuxflûtes Vivaldi:ConcertopourcordesenLamajeurRV156 24 MAI 2020 10H00 élébration de la Parole C ChapellevocaleetinstrumentaledeLutry Direction:SébastienVonlanthen J.S.Bach:CantateBWV43"GottfähretaufmitJauchzen" 12H30 Podium des Jeunes artistes Amira et Marijam AbuZahra,violonsetalto Nora Emödy,piano J.S.Bach:Concertopour2violons;Massenet:MéditationdeThaïs Mozart:Symphonieconcertantepourviolonetalto 17H00 écital violoncelle et piano R Gary Hoffman et Sofja Gülbadamova Beethoven:SonateNr5enDomajeur Brahms:SonateenMimineur J.S.Bach:SuiteNr5 VENTE DE BILLETS :Achat en lignewww.monbillet.ch|Offices du tourismeGareCFFLausanneet Ouchy(terminusmétro)|A l’entrée du Temple dès 16h RÉSERVATIONS :« Point I » QuaiGustaveDoret•1095Lutry•Tél.+fax:+41217914765 INFORMATIONS :tél.:+41216169209•http://concerts-bach.lutry.ch
festival de musique ancienne Rougemont du 27 mai au 1er juin 2020 La vingtième ! Chiome d’Oro La Simphonie du Marais – Hugo Reyne Le Poème Harmonique Kenneth Weiss Laurence Dreyfus Heidi Gröger Le Banquet Céleste Ground Floor Bertrand Cuiller Aedes festival-la-folia.ch T 026 925 11 62
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