R evueMusicale de Suisse Romande - L'avant-garde et la surdité

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R evueMusicale de Suisse Romande - L'avant-garde et la surdité
R evue Musicale
                    de Suisse Romande

                         Beethoven
                     L’avant-garde et la surdité

73 e année, N° 1                                   Mar s 2 0 2 0   [   13 CHF
R evueMusicale de Suisse Romande - L'avant-garde et la surdité
LES RICHES
HEURES DE
VALÈRE

27 MARS – 20H                            13 SEPTEMBRE – 17H
ÉGLISE DES JÉSUITESS                     ÉGLISE DES JÉSUITES

Le Poème                                 Mariana Flores
Harmonique                               & Hopkinson Smith
LEÇONS DE TÉNÈBRES                       THE GOLDEN AGE – EL SIGLO DE ORO
COUPERIN ET CLÉRAMBAULT                  PÉRIODE ÉLISABÉTHAINE ET 17E ESPAGNOL
(CONCERT AUX BOUGIES)

                                         9 OCTOBRE – 20H
17 AVRIL – 20H                           ÉGLISE DES JÉSUITES
ÉGLISE DES JÉSUITES

Christian                                Stylus Phantasticus
Zacharias                                & Victor Torres
                                         ZEICHEN IM HIMMEL
BACH, SCARLATTI, HAYDN ET SOLER          PHILIPP HEINRICH ERLEBACH
                                         ET DIETRICH BUXTEHUDE

10 MAI – 17H

                                                                                                                   photo: aline fournier

                                                                                                                                           photo: aline fournier
BASILIQUE DE VALÈRE
                                         8 NOVEMBRE – 17H

Giuliano Carmignola                      CATHÉDRALE

& Riccardo Doni                          The Gabrieli
LES SONATES DU ROSAIRE
HEINRICH IGNAZ FRANZ BIBER
                                         Consort & Players
                                         THE FAIRY QUEEN
                                         HENRY PURCELL
7 JUIN – 17H
BASILIQUE DE VALÈRE

The Tallis Scholars
                                         20
                                                    BILLETTERIE
REFLECTIONS                                         booking-event.com
CORNYSH, POULENC, MESSIAEN, CROCE,                  Office du Tourisme de Sion :
TALLIS, BYRD, DE VICTORIA, DE PADILLA,
ALLEGRI (MISERERE)                       20         027 327 77 27
                                                    lesrichesheuresdevalere.ch

                                                Logotype Bourgeoisie de Sion 1/2

                                                                  CMYK: 0/100/100/0 PANTONE 032 U PANTONE 1797 C

                                                                  CMYK: 0/0/0/50

                                                                  CMYK: 0/0/0/70

                                                                  Le logotype est indissociable.
R evueMusicale de Suisse Romande - L'avant-garde et la surdité
73ème année, n° 1 Mars 2020

Éditorial

Une découverte    Vincent Arlettaz			                         3

Musicologie

Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I)   V. Arlettaz      4

Actualités

Genève, l’Enlèvement au sérail     J. de Banes Gardonne       26

Les concerts de l’ACMA     Vincent Arlettaz		                 29

Rougemont, la Folia fête ses vingt ans    Vincent Arlettaz    30

Marie-Claude Chappuis, ‘Au cœur des Alpes’       C. Poloni    32

Alain Perroux à la tête de l’Opéra du Rhin      V. Arlettaz   34

Deux artistes romands à la Scala     Claudio Poloni           36

HEM de Neuchâtel, le dénouement          Vincent Arlettaz     38

Les 20 ans des Sommets Musicaux de Gstaad         C. Poloni   46

Pierre Huwiler, le bâtisseur de ponts    Laurent Mettraux     48

En bref…      					51

Livres

Paderewski président    Juliette de Banes Gardonne            53

Publications reçues    				54

D i s q u e s
B. Gandois, V.Giroud, J. de Banes, L. Mettraux, M. Pavillard 56

Couverture : Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865) : portrait de
Ludwig van Beethoven (1823). Vienne, Kunsthistorisches Museum,
Sammlung alter Musikinstrumente. © dr
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Revue
              Musicale
                                                                                                             U n e d é co u ve rt e
                                                                                           Stieler

                                                                                                             L
                                                                                                             Ludwig van Beethoven fait partie de ces
                                                                                                             icônes sur lesquelles toutes les légendes possibles et
                                                                                                             imaginables sont venues s’agréger : comment, dans
                                                                                                             la littérature pléthorique qui lui a été consacrée,
                                                                                                             distinguer le vrai du faux ? Deux portraits pourront
                       de Suisse Romande                                                                     illustrer mon propos : le premier, par Joseph Karl
                                                                                                             Stieler, est peut-être la plus connue de toutes les
                                                                                                             représentations du maître. Nous savons toutefois
                               http ://www.rmsr.ch/
                                                                                                             qu’elle est très trompeuse, et qu’en dépit d’une
                                                                                                             posture romantique qui semble plutôt bien
                                                                                                             correspondre à l’image que nous nous faisons de
Fondée en 1948 à Lausanne sous le nom de « Feuilles Musicales », la Revue                                    sa musique, elle ne nous conserve pas grand-chose
Musicale de Suisse Romande a reçu son titre définitif en 1963. Elle est                                      de la personne réelle. L’autre, une lithographie de
aujourd’hui réalisée avec le soutien de la Loterie Romande.                                                  Blasius Höfel d’après un dessin de l’artiste français
                                                                                                             Louis-René Letronne (voir aussi p. 22), est – aux
                                                                                                     Höfel   dires des contemporains – beaucoup plus proche
                          Com i té d’ h on n e ur                                                            de l’original, mais n’évoquera sans doute rien pour
                                                                                                             la plupart de nos lecteurs. De même, lorsqu’on
                        Mme Elisabeth Furtwängler †                                      éditorial           explore la biographie minutieuse du compositeur
                          Mme Pascale Honegger                                                               écrite au XIXe siècle par le bibliothécaire américain
                            Mme Frank Martin †                                                               Alexander Wheelock Thayer, d’innombrables
                           me
                         M Martha Schuricht †                                                                faits inconnus pourront paraître définitivement
                                                                                                             irréconciliables avec ce que nous croyons savoir de
                            M. Michel Corboz                                                                 l’auteur de l’Héroïque. Ainsi en est-il notamment
                                                                                                             de la surdité du maître : aujourd’hui encore
                            M. Charles Dutoit
                                                                                                             inexpliquée, elle ne vint que relativement tard
                          M. Léonard Gianadda
                                                                                                             dans la carrière de Beethoven, et ne fut pas aussi
                              M. Serge Gut †
                                                                                                             absolue qu’on ne le croit généralement. Objet
                            M. Tobias Richter                                                                de fascination – et même de fantasme – pour les
                       M. Karl Anton Rickenbacher †                                                          philosophes, ce célèbre handicap, certes réel, n’a pas
                             M. András Schiff                                                                été totalement sans recours pour le compositeur,
                                                                                                             qui continua jusqu’à la fin de sa vie à exploiter les
                                                                                                             moindres restes de son audition. Avoir à l’esprit
                                                                                                             de tels éléments pourra paraître excessivement
Éditeur Nouvelle Société de la Revue Musicale de Suisse Romande,
                                                                                                             prosaïque à certains ; mais ce n’est pas diminuer le
Lausanne Ré d a c t i o n , a d m i n i s t r a t i o n & p u b l i c i t é 39, rue de
                                                                                                             génie de Beethoven, à notre sens, que de le rendre
la Colombière, CH-1926 Fully, tél. +41 79 693 03 81, info@rmsr.ch
                                                                                                             compréhensible à nos intelligences humaines.
Abonnement Voir bulletin de souscription page 64.
                                                                                                             L’année 2020, 250e anniversaire de la naissance
                                                                                                             du maître, pourrait ainsi être l’occasion d’une
       Imprimé en Suisse. Prix de vente au numéro : 13 francs suisses.                                       découverte.
             Prochain numéro : juin 2020. ISSN 0035-3744
                                                                                                             Vincent Arlettaz
R evueMusicale de Suisse Romande - L'avant-garde et la surdité
Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I)

                               Beethoven                                                                            Willibrord Joseph
                                                                                                              Mähler (1778-1860) :
              L’ avant-garde et l a s urd it é ( I )                                                              Portrait de Ludwig
                                                                                                               van Beethoven, 1815.
                                                                                                               Peintre et compositeur
                                                                                                              originaire de Koblenz,

M
            algré les nombreuses études qui leur ont été consacrées, les dix                                 Mähler réalisa plusieurs
            dernières années de la vie de Ludwig van Beethoven (1770-1827)                                     portraits de musiciens
            restent un mystère bien opaque : après une période de moindre pro-                               viennois, parmi lesquels
ductivité qui correspond aux années 1813-1817, l’auteur de Fidelio devait finale-                                 Salieri, Hummel et
ment retrouver dès 1817 sa fécondité antérieure, et produisit encore une trentaine                           Seyfried. Il nous a laissé
d’œuvres, dont plusieurs de dimensions imposantes, telles la Missa solemnis ou la                               également un fameux
Neuvième symphonie. Dans l’intervalle toutefois, sa manière avait subi des change-                              portrait de Beethoven
ments spectaculaires : car même si des audaces intéressantes apparaissent dans son                               jeune (1804-1805).
langage musical dès la Sinfonia eroica (1803-1804), l’opéra Leonore (1804-1805)                              Beethoven-Haus, Bonn.
ou les Quatuors Razumovsky (1806), il était réservé à ses toutes dernières années
d’explorer un univers sonore encore inconnu, comportant parfois des accumula-
tions de dissonances qui n’avaient jamais été osées jusque-là, ou des pages entières                « Le sens du finale fugué3, en revanche, a complètement échappé au chro-
à l’appartenance tonale indéfinie. Les derniers quatuors à cordes, et plus particu-                 niqueur : c’était du chinois, incompréhensible. Lorsque les instrumentistes
lièrement la Grande Fugue de 1825, incarnent sans doute au mieux cette radicalité                   doivent s’agiter d’un extrême à l’autre (comme pour passer du pôle Sud au
inédite, qu’il n’est pas très difficile de mettre en relation avec certaines innovations            pôle Nord) au milieu d’incroyables difficultés, lorsque chacun fait entendre
marquantes de la musique du XXe siècle.                                                             une partie différente de celle de ses partenaires, et que les voix se croisent
   Alors que les contemporains du compositeur avaient rejeté ces déroutantes créa-                  par ce fait per transitum irregularem, dans une série de dissonances, lorsque
tions comme le produit d’une audition (voire d’un esprit) malade, les historiens                    enfin le musicien perd toute confiance en lui, n’étant plus même assuré de
et musicologues actuels y voient volontiers au contraire une anticipation vision-                   jouer juste, cela devient un désordre babylonien. Bref, un concert destiné
naire des voies dans lesquelles la musique occidentale allait bientôt s’engager. Le                 tout au plus à faire la jubilation des Marocains que nous avons accueillis à
débat est-il vraiment clos ? La surdité de Beethoven, dont les premiers symptômes                   Vienne pour l’opéra italien : le plus beau moment, pour eux, fut celui qui
étaient apparus vers la fin des années 1790, et qui avait provoqué une crise majeure                précédait le spectacle, lorsqu’une partie des musiciens fait sonner des quintes
en 1802 déjà, n’avait jamais été profonde jusqu’ici : ce n’est en effet qu’en 1818                  à vide pour accorder les instruments, alors que préludent les autres, simul-
qu’apparaissent les premiers cahiers de conversation1 ; jusqu’en 1816, le handicap                  tanément, dans toutes les tonalités. Tout cela ne serait peut-être pas énoncé,
du compositeur avait même pu rester caché au public2. Après cette date toutefois,                   si le maître pouvait entendre ce qu’il compose. Mais nous ne voulons pas
le problème sera âprement débattu ; voici par exemple une critique parue dans le                    conclure prématurément : le temps viendra peut-être, qui sait, où tout ce qui
principal journal musical allemand de l’époque, l’Allgemeine musikalische Zeitung                   nous semble, à première vue, confus et très embrouillé, paraîtra clair et plai-
de Leipzig ; le chroniqueur anonyme y commente la création, en mars 1826, de la                     samment construit. »4
fameuse Grande Fugue pour quatuor à cordes :
                                                                                                 (3)  À l’origine, la Grande Fugue avait été conçue comme finale du Quatuor à cordes op. 130
                                                                                                    en si bémol majeur. Ce n’est qu’à la fin de l’été 1826 que Beethoven, probablement selon
                                                                                                    le vœu de son éditeur, se décida à l’en détacher, et à la publier à part.
(1)  Knittel 1998, p. 59. Dans l’ensemble du présent article, nous donnerons en notes de         (4)  Voici le texte original : « […] Aber der Sinn des fugirten Finale wagt Ref. nicht zu deuten :
   bas de page des références bibliographiques abrégées, qui seront développées et explicitées      für ihn war es unverständlich, wie Chinesisch. Wenn die Instrumente in den Regionen
   dans la bibliographie, p.  23.                                                                   des Süd- und Nordpols mit ungeheuern Schwierigkeiten zu kämpfen haben, wenn jedes
(2)  Knittel 1998, p. 58.                                                                           derselben anders figurirt und sie sich per transitum irregularem unter einer Unzahl von

4                                                      Revue Musicale de Suisse Romande          73e année, n° 1    Mars 2020                                                                    5
Vincent Arlettaz                                                                                                                          Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I)

L’explication des audaces par la surdité n’est ici proposée, on l’observera, qu’à titre          Il peut être intéressant de relever que le concert évoqué ici par Berlioz comprenait en
d’hypothèse (« peut-être ») ; en effet, même lorsqu’ils nourrissent de profonds doutes           fait non pas un, mais deux quatuors : l’op. 131 en ut dièse mineur et l’op. 135 en fa
sur les œuvres en question, les commentateurs contemporains conservent de manière                majeur7. Or, ceux-ci ne sont probablement pas les œuvres les plus audacieuses de la
générale une attitude de respect envers le compositeur lui-même, dont les réussites              dernière manière beethovénienne ; et il serait certainement intéressant de connaître
antérieures lui ont depuis longtemps acquis un prestige considérable ; il n’en aurait            l’appréciation de l’auteur des Troyens sur d’autres compositions plus novatrices, no-
probablement pas été de même pour un auteur plus jeune, ayant à son actif moins de               tamment sur la Grande Fugue – si tant est qu’il l’ait connue. Cette lettre de 1829 n’a
réalisations reconnues. Avec quelques exceptions, cette posture de « rejet emprunté »            en outre été publiée qu’après la mort de son auteur8, et n’a donc guère pu influencer
restera de mise pendant plusieurs décennies : une sorte de voile pudique est jeté                de manière générale la réception du dernier Beethoven. À cet égard, ses collègues
sur ces compositions austères, que l’on ne parvient pas à réconcilier avec les chefs-            Franz Liszt et Richard Wagner auront eu plus d’importance ; en 1870 par exemple,
d’œuvre universellement admirés de la deuxième période (1803-1815)5. Toutefois,                  Liszt, parlant des trois périodes créatrices de Beethoven, les aurait décrites comme
dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un changement radical d’appréciation va se               correspondant respectivement à « l’enfant », à « l’homme » et au « dieu »9. C’est tou-
dessiner, à la faveur de l’avènement de l’« École de l’Avenir », autour de Liszt et de           tefois à Wagner qu’il était réservé de développer pleinement l’idée selon laquelle
Wagner : désormais, les courants progressistes se mettront à revendiquer ces œuvres              la troisième période surpasse et transcende les deux précédentes ; dans son essai
tardives comme faisant partie intégrante de l’héritage beethovénien, comme fonda-                Beethoven paru en 1870 (centenaire de la naissance du compositeur), l’auteur de
trices même des tendances modernes de l’écriture musicale.                                       Parsifal va jusqu’à affirmer que la surdité aurait été pour son illustre prédécesseur
   Hector Berlioz déjà, à la fin des années 1820, avait osé quelques lignes allant dans          non pas un handicap, mais bien un avantage, son imagination étant désormais libé-
ce sens – mais à son époque, il était un des très rares à le faire ; voici notamment ce          rée des contraintes matérielles10 !
qu’il écrit, en date du 29 mars 1829, dans une lettre à sa sœur Nanci :

    « […] L’autre jour, j’ai entendu l’un des derniers quatuors de Beethoven.                                                  L’ «   au d i t i o n i n t é r i e u r e   »
    M.  Baillot le faisait entendre dans l’une de ses soirées. J’y ai couru pour voir
    l’effet que cette incroyable production produirait sur l’assemblée. Il y avait               On a pu démontrer que Wagner, lorsqu’il adopte cette position – somme toute
    près de trois cents personnes, nous nous sommes trouvés six à demi morts à                   plutôt étonnante – sur la surdité de Beethoven, le fait sous l’influence de ses lectures
    la vérité de l’émotion que nous éprouvions, mais les seuls qui ne trouvassions               du philosophe Arthur Schopenhauer, pour qui la musique, expression directe de la
    pas cette composition absurde, incompréhensible, barbare… Il est monté si                    Volonté originelle, n’aurait en soi nul besoin de se servir du médium matériel pour
    haut que la respiration commence à manquer… Il était sourd quand il écrivit                  transmettre son message11. Cette conception, reprise par la suite par différents his-
    ce quatuor ; et pour lui comme pour Homère, « l’univers s’enferma dans son                   toriens et analystes, tels que Theodor Helm, Vincent D’Indy ou Hugo Riemann12,
    âme profonde ». C’est de la musique pour lui ou pour ceux qui ont suivi la                   reste relativement répandue aujourd’hui dans les milieux spécialisés ; son impact sur
    progression incalculable de son génie. […] »6                                                le grand public ne paraît en revanche pas être grand-chose à ce jour. Qu’on nous per-
                                                                                                 mette donc de poser, de manière sans doute un peu naïve, la question en ces termes :
   Dissonanzen durchkreuzen, wenn die Spieler, gegen sich selbst misstrauisch, wohl auch         la surdité peut-elle, vraiment, être un avantage pour un compositeur de musique ?
   nicht ganz rein greifen, freylich, dann ist die babylonische Verwirrung fertig ; dann giebt
   es ein Concert, woran sich allenfalls die Marokkaner ergötzen können, denen bey ih-
                                                                                                    On connaît bien le cas de musiciens qui, au bénéfice d’une formation appro-
   rer hiesigen Anwesenheit in der italienischen Oper nichts wohlgefiel, als das Accordiren      fondie et d’une longue expérience, sont capables de composer mentalement – « à la
   der Instrumente in leeren Quinten, und das gemeinsame Präludiren aus allen Tonarten
   zugleich. Vielleicht wäre so manches nicht hingeschrieben worden, könnte der Meister          (7)  Cf. ibid., note 1.
   seine eigenen Schöfpungen auch hören. Doch wollen wir damit nicht voreilig absprechen :
                                                                                                 (8)  Par Julien Tiersot (1857-1936) ; cf. ibid., p. 245.
   vielleicht kommt noch die Zeit, wo das, was uns beym ersten Blicke trüb und verworren
   erschien, klar und in wohlgefälligen Formen erkannt wird. » (Kunze 1987, p. 559-560).         (9)  Cf. Knittel (1998, p. 60), qui ne cite malheureusement pas sa source. Vincent D’Indy
   Nous empruntons ici la traduction française de Buchet (1966, p. 347-348) ; les autres            (1911, p. 6) cite ces propos comme un de ses souvenirs personnels de Liszt, et ne se réfère
   traductions du présent article sont un travail personnel.                                        pas à une source écrite.
(5)  Knittel 1998, p. 52-56.                                                                     (10)  Knittel 1998, p. 60-68.
(6)  Lettre à sa sœur Nanci, datée du 29 mars 1829 ; le concert en question a eu lieu le 24      (11)  Knittel 1998, p. 63-64.
   mars 1829 ; cf. Citron 1972, p. 244.                                                          (12)  Knittel 1998, p. 68-75.

6                                                      Revue Musicale de Suisse Romande          73e année, n° 1   Mars 2020                                                                 7
Vincent Arlettaz                                                                                                                Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I)

                                                                                             Tentons ici un parallèle avec le monde de la vision : par la pratique assidue de son
                                                                                          art, un peintre pourra développer des facultés tout à fait spéciales, lui permettant
                                                                                          par exemple de distinguer de subtiles nuances de couleurs ; il pourra également les
                                                                                          enregistrer, les restituer de mémoire, et notamment créer un tableau sans se baser sur
                                                                                          un modèle vivant. Néanmoins, que peut-il rester de tout cela au moment où, ayant
                                                                                          totalement perdu la vue, il se trouve enfermé depuis dix ans dans un univers sans
                                                                                          lumière ? Le cas de Beethoven pourrait être comparé à celui de cet artiste : écrivant
                                                                                          sur la base de sa mémoire des couleurs harmoniques et orchestrales, il aurait pu
                                                                                          finalement, après tant d’années, se fourvoyer dans l’effet produit sur l’auditeur ; ainsi
                                                                                          pourraient être expliquées, au moins en partie, les duretés des œuvres de sa dernière
                                                                                          période – et dans ce cas, quelle importance conviendrait-il d’accorder à de telles
                                                                                          innovations ? Pourraient-elles vraiment être considérées comme une anticipation des
                                                                                          découvertes du XXe siècle ?
                                                                                             L’exemple du peintre aveugle que nous venons d’évoquer n’est, on le sait, pas
                                                                                          entièrement théorique : une situation assez similaire se présente à nous dans la car-
                                                                                          rière de Claude Monet (1840-1926), dont les dernières années furent marquées par
                                                                                          de graves problèmes de cataracte – problèmes qui devaient altérer radicalement sa
                                                                                          perception du monde extérieur. Après de premiers symptômes apparus en 1908, la
                                                                                          maladie fut formellement diagnostiquée en 1912 ; l’artiste avait alors 72 ans14, et s’il
                                                                                          ne cessa nullement de travailler, le temps passant et le mal progressant, les œuvres
                                                                                          qu’il peignit au tournant des années 1920 montrent de profonds changements dans
            Claude Monet (1840-1926) : Le Pont japonais (1918-1924)                       sa palette, comportant désormais des tons extrêmement vifs, agressifs même, sans
                                                                                          comparaison avec les harmonies subtiles des décennies précédentes. Le Pont japonais,
                                                                                          tableau des années 1918-1924, reproduit ci-contre, pourra nous en donner une idée
table », pour utiliser une expression répandue dans le « métier » –, sans avoir recours   assez représentative15.
à un instrument pour vérifier l’effet de leurs idées mélodiques ou harmoniques.              En 1923, Claude Monet sera un des premiers cas réussis d’opération de la cata-
Ces cas ne sont en fait pas si rares ; en schématisant, on pourrait dire qu’il existe     racte16 ; et même si sa carrière ne devait plus beaucoup durer après cela (il mourra
deux groupes de compositeurs à cette époque : ceux qui, comme Chopin, Liszt ou            trois ans plus tard, le 5 décembre 1926), ces particularités extrêmes disparaîtront
Wagner, se basent en permanence sur le piano ; et ceux qui, comme Berlioz, pré-           à nouveau de son œuvre après l’intervention chirurgicale17. Dans son cas, il serait
fèrent s’affranchir de la « tyrannie »13 de cet instrument. Mais la question qui nous     difficile de parler de vision novatrice, d’anticipation géniale de l’évolution des beaux-
occupe ici est d’une nature fondamentalement différente : nous ne parlons pas d’un        arts vers l’abstraction ; l’altération de sa perception sensible apparaîtra, au contraire,
compositeur qui, lorsqu’il conçoit ses œuvres, s’abstrait l’espace de quelques heures     comme la cause manifeste des changements radicaux de son style. Ne pourrait-il pas
(ou de quelques jours) d’un environnement sonore vivant, pour revenir ensuite,            en être de même pour la dernière période de Beethoven ? – la différence étant, bien
tout aussi rapidement, au monde des entendants, renouvelant de toutes les manières        sûr, que dans le cas de ce dernier, il n’y a pas eu de guérison.
imaginables ses perceptions auditives. Nous devons bien plutôt nous représenter la
situation d’un musicien qui, depuis nombre d’années, aurait été totalement coupé
de l’univers des sons. Beethoven, à l’approche de sa troisième période créatrice, est     (14)  Monet 2010, p. 363.
certes au bénéficie d’une carrière exceptionnellement active, d’une durée de près de      (15)  Monet 2010, p. 349 (cat. 174).
trente ans ; il est certain que son audition intérieure avait alors acquis des réflexes   (16)  Monet 2010, p. 363. Seul l’œil droit aurait été opéré, Monet refusant catégorique-
uniques ; mais cela peut-il rester valable sans limite dans le temps ?                       ment l’opération de l’œil gauche ; cf. Wikipedia.org, article en français « Claude Monet »
                                                                                             (consulté le 15 février 2020).
(13)  H. Berlioz : Mémoires, chapitre IV.                                                 (17)  Voir par exemple le tableau Les Roses, de 1925-1926.

8                                                  Revue Musicale de Suisse Romande       73e année, n° 1   Mars 2020                                                                9
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Beethoven, l’avant-garde et la surdité (I)

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 Henle                                         les malentendus, Rueil-Malmaison,
Klinger, Wolfram (2006) : « Das                Ciba-Geigy
 Rätsel von Beethovens Gehörleiden :         Reiter, Christian (2007) : « The causes
 Eine Krankengeschichte » in : Bonner          of Beethoven’s death and his locks of
 Beethoven-Studien 5, p. 119-141               hair : A forensic-toxicological investi-
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 Zeit. Gesammelte Konzertberichte und          1993), p. 77-101
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 Verlag                                        de la vie et de l’œuvre de Ludwig van
Mackowiak, Philip A. (2007) : Post-            Beethoven (traduction par Albert
 mortem : Solving history’s great medical      Sowinski), Paris, Garnier (réédition :
 mysteries, Philadelphia, The American         Gallica)
 College of Physicians                       Schindler, Anton (1871) : Biographie
Mai, François Martin (2007) :                  von Ludwig van Beethoven, Münster,
 Diagnosing genius : The life and death        Aschedorff, 2 vol.
 of Beethoven, Montréal, McGill–             Thayer, Alexander W. (1967) : Thayer’s
 Queen’s University Press                      Life of Beethoven, revised and edited
Martin, Russell (2000) : Beethoven’s           by Elliot Forbes, Princeton, Princeton
 hair : An extraordinary historical            University Press, 2 vol.
 odyssey and a musical mystery solved,       Van der Meer, John Henry (1985) :
 London, Bloomsbury                            « Beethoven’s Graf Piano », in : Early
Massin, Jean et Brigitte (1967) :              Music, Vol. 13, No. 2 (May, 1985),
 Ludwig van Beethoven, s.l, Club               p. 335
 Français du Livre/Fayard                    Wainapel, Stanley F. (1995) : « Ludwig
Michaux, Jean-Louis (1999) : « Les             van Beethoven : The influence of
 énigmes de la maladie de Beethoven »,         hearing loss on his musical develop-
 in : Revue Belge de Musicologie, vol. 53      ment », in : Medical problems of perfor-
 (1999), p. 159-196                            ming artists 10(3) (September 1995),
Monet (2010) : Claude Monet 1840-              p. 90-93
 1926. Paris, Galeries nationales,           Wegeler, Franz, et Ries, Ferdinand
 Grand Palais, 22 septembre 2010-              (1838) : Biographische Notizen über
 24  janvier 2011, Paris, Réunion des          Ludwig van Beethoven, Coblenz,
 musées nationaux–Musée d’Orsay                Bädeker

73e année, n° 1   Mars 2020                                                          25
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Actualités

                                                                                               musicaux contestaient immédiatement                Devant se résoudre à une solution
           Haute École de Musique de Neuchâtel                                                 la réalité de l’économie prévue par le         longue, le Conseil d’État proposait en
                                                                                               Gouvernement, et appelaient à la réa-          avril 2019 un contre-projet à l’initia-
                                  Le dénouement                                                lisation d’une véritable étude d’impact        tive, contre-projet qui maintenait le
                                                                                               (encore inexistante à ce moment-là)            principe de la suppression de la HEM,
                                                                                               avant toute prise de décision. Rien n’y        tout en usant de largesses envers plu-
                               Par Vincent Arlettaz                                            faisait, et le Conseil d’État persistait in-   sieurs autres acteurs musicaux du can-
                                                                                               flexiblement dans son intention. Le plus       ton, dans l’idée probable de couper les
                                                                                               grave était pourtant à venir : le 29 mai       initiants d’une partie de leurs soutiens
Menacée dans son existence depuis décembre 2017, la Haute École de Musique de                  2018, le Grand Conseil (le législatif can-     dans la population. Chargée d’exami-
Neuchâtel sera très probablement sauvée. En date du 18 février 2020, le Grand                  tonal), saisi d’un postulat émanant de la      ner le bien-fondé de cette approche
Conseil adoptait en effet, par une majorité d’une dizaine de voix, un décret per-              gauche, refusait le principe de l’étude        (qui constitue peut-être une deuxième
mettant de faire entrer dans la loi le principe d’un enseignement professionnel                d’impact, et soutenait le Conseil d’État       maladresse stratégique), une commis-
de la musique dans le Canton. Sauf surprise de dernière minute, plutôt peu pro-                dans sa démarche expéditive.                   sion parlementaire ad hoc se mettait
bable, le peuple n’aura donc pas à se prononcer sur l’initiative populaire déposée                 Perdu par 43 voix contre 57 (et            à l’œuvre ; ses travaux occupèrent le
en septembre 2018.                                                                             10 abstentions), ce premier vote lais-         reste de l’année 2019, et débouchèrent
                                                                                               sait la Haute École dans une impasse           en janvier 2020 sur une recomman-

L
         es nuages s’éclaircissent en-                                                         totale, face à un Gouvernement et un           dation favorable à l’école : malgré de
         fin sur le site neuchâtelois de              Une course de vitesse                    Parlement qui lui étaient tous deux            fortes abstentions, une majorité de
         la Haute École de Musique                                                             défavorables. Mais la réaction fut im-         ladite commission (7 oui, 1 non, 7
qui, assurément, revient de loin – et        Petit retour en arrière1 : le 30 novembre         médiate : en quelques mois à peine, les        abstentions) appelait en effet le Grand
même de très loin ! En septembre 2018,       2017, le Conseil d’État neuchâtelois              soutiens de la HEM obtenaient large-           Conseil à accepter lui-même le texte de
il y a un an et demi, personne ne sem-       (l’exécutif cantonal) annonçait son               ment les 4’500 signatures nécessaires à        l’initiative, et à le faire entrer dans la
blait plus parier un centime sur son         intention de fermer sa Haute École de             déposer une initiative populaire deman-        loi cantonale sans passer par la consul-
avenir, et il fallait – plus que de l’opi-   Musique, pour des raisons budgétaires.            dant d’ancrer dans la loi cantonale le         tation populaire ; le 18 février 2020, le
niâtreté – un certain goût de la pensée      Dans les semaines suivantes, une forte            principe d’une formation musicale pro-         plénum approuvait cette solution, par
paradoxale pour oser envisager une issue     mobilisation de la part d’étudiants,              fessionnelle ; cette initiative était enre-    une majorité de 61 voix contre 51 (et 3
favorable. Pourtant, le miracle est adve-    d’enseignants et d’innombrables sym-              gistrée par la chancellerie dès le mois de     abstentions).
nu : s’il semble évident qu’une réforme      pathisants, permettait de récolter en             septembre 2018, dans ce qui se mettait             Le ralentissement du tempo obtenu
globale est incontournable, la vie s’ap-     quelques jours plus de 20’000 signatures          furieusement à ressembler à une course         en décembre 2018 aura donc permis
prête néanmoins à reprendre son cours        sur internet ; de nombreux articles de            de vitesse : le Conseil d’État annonçait       de confirmer le retournement de majo-
habituel, fait de leçons, d’auditions et     soutien paraissaient dans la presse, et des       en effet vouloir procéder immédiate-           rité au sein de l’assemblée législative, et
d’examens ; les séances de mobilisation,     émissions de radio se faisaient l’écho du         ment à la fermeture de l’institution,          de sauver une école d’art donnée par
le combat politique et les interventions     désarroi d’artistes pris, une fois de plus,       sans attendre les résultats du vote popu-      beaucoup pour morte dès la fin 2017 ;
médiatiques vont s’effacer, et laisser à     au piège. Les estimations des milieux             laire. Ceci fut probablement l’erreur          en particulier, le comité d’initiative,
nouveau toute la place aux arpèges et                                                          politique qui fit basculer les choses : le 4   regroupant des personnalités de tous
concertos. Ceci ne sera qu’une appa-         (1)  Pour de plus amples détails sur l’histoire   décembre 2018, le Grand Conseil, par           bords politiques, et présidé par Armand
rence toutefois : car tout indique que          des difficultés de la HEM de Neuchâtel,        54 voix contre 46 (et 15 abstentions)          Blaser, ancien président de la commune
les enseignements des deux dernières            je me permets de renvoyer le lecteur à         approuvait le principe d’un moratoire,         de Val-de-Ruz, aura joué finement sa
                                                mes précédents articles, parus dans la
années vont marquer en profondeur le            Revue Musicale de Suisse Romande de dé-        interdisant tout démantèlement tant            partition. Les bonnes nouvelles sont,
monde de la musique dans notre région,          cembre 2017 (p. 20), juin 2018 (p. 49) et      que le Souverain ne se serait pas pro-         paraît-il, devenues rares de nos jours ;
et même bien au-delà.                           décembre 2018 (p. 26).                         noncé.                                         savourons celle-ci !

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Actualités                                                                                                                                                                   Actualités

                                                   (trois conseillers sur cinq, dont la mi-      cadre le Haut du canton ; la crédibilité     Canton, c’est aussi et surtout parce que
           Le poids du « Haut »                    nistre en charge de l’éducation, Mme          politique du projet des Hautes Écoles        les chiffres avancés par le Gouvernement
                                                   Monika Maire-Hefti), aura pu compter          Spécialisées semble ici en jeu.              ne l’ont pas convaincue. Et c’est bien
Reprenant peu à peu nos esprits, nous              au départ sur une certaine solidarité de                                                   là, sans doute, l’enseignement le plus
pourrons laisser se ranimer en nous le             parti ; la mesure « austéritaire », si elle                                                important de deux pleines années de
goût des considérations analytiques :              avait été présentée par la droite, aurait             La guerre des chiffres               débats : alors que les membres de la
les vidéos et infographies disponibles             probablement échoué dès le premier                                                         communauté HEM ne s’étaient guère
sur le site de l’État de Neuchâtel2 nous           instant4. Mais il faut compter encore         La mise en œuvre de la HEM sur l’en-         intéressés jusque-là au coût réel de leur
permettent de suivre la lente évolution            sur une autre division : celle, fameuse,      semble du Canton, si elle n’est pas une      institution, nous disposons désormais
des rapports de force au sein du par-              qui sépare les députés du « Bas » du          chose forcément facile à réaliser, appar-    de chiffres précis et largement docu-
lement cantonal, amenant progressi-                Canton (Neuchâtel et le littoral) et          tient néanmoins certainement au do-          mentés ; leur analyse a déjà été présen-
vement l’issue heureuse. Assurément,               ceux du « Haut » (les « montagnes », au-      maine du possible ; une meilleure colla-     tée dans les colonnes de cette revue5, et
les lignes, si elles ont bougé, ne l’ont           tour des villes de La Chaux-de-Fonds et       boration avec le Conservatoire cantonal      se retrouve d’ailleurs, de manière très
fait que dans des proportions limitées :           du Locle). Rappelons que cette région         (l’école de musique non professionnelle)     similaire, dans le rapport de la com-
du début à la fin, le bloc de droite, à            avait été la grande perdante de la mise       en sera une clé essentielle. À la vérité,    mission ad hoc du Grand Conseil6 : si
savoir l’UDC (Union Démocratique                   en place du système des Hautes Écoles         les manipulations politiques des deux        le Canton de Neuchâtel investit un peu
du Centre, droite populiste) et le PLR             de Musique en 2008 : La Chaux-de-             dernières années ont mis quelque peu à       plus de deux millions par année dans sa
(Parti Libéral-Radical, droite d’af-               Fonds disposait jusque-là de son propre       l’épreuve le sentiment de solidarité entre   HEM, il en récupère immédiatement
faires), s’est massivement positionné              conservatoire professionnel, dont les         les deux écoles ; mais ceci appartient       600’000 francs, correspondant à la loca-
contre la Haute École : c’est à peine si           qualités n’étaient pas à démontrer, mais      désormais au passé. Rien ne semble plus      tion d’un bâtiment entièrement équipé
quelques voix se sont perdues ici ou               qui, masse critique oblige, avait dû          naturel que la coopération entre deux        pour la musique – il serait bien difficile
là3. En revanche, la gauche, divisée               s’effacer devant la capitale cantonale ;      entités qui partagent tant d’intérêts ; la   de convertir à un autre usage ces locaux,
au départ, s’est progressivement ras-              or, le texte de l’initiative pro-HEM pré-     tactique du « diviser pour régner » ayant    qui sont utilisés conjointement avec le
semblée, laissant finalement parler sa             voit expressément que l’activité de cette     échoué, il convient de s’atteler dès au-     Conservatoire cantonal, selon des ho-
majorité réelle. Cette évolution peut              dernière doit « rayonner sur l’ensemble       jourd’hui à la construction d’un réseau      raires parfaitement complémentaires.
s’expliquer de deux manières : d’abord,            du territoire » cantonal. La chose paraît     véritablement efficace qui soit au service   Si l’on ajoute à cela les revenus fiscaux,
le Conseil d’État, à majorité socialiste           en soi plutôt évidente, mais avait été        de l’ensemble des milieux musicaux du        ainsi que la problématique de la Caisse
                                                   jusqu’ici limitée par diverses considé-       canton. Ceci sera d’autant plus néces-       de pension, l’économie finale ne doit
(2)  Toutes les séances du Grand Conseil neu-      rations – notamment par l’inflexibilité       saire qu’un des points chauds du débat,      guère représenter plus d’un million de
   châtelois sont archivées et visualisables en    des officines fédérales, visant à dimi-       rappelons-le, est la question de l’inté-     francs ; elle est en tout cas inférieure à un
   ligne (sur www.ne.ch, choisir « Autorités »     nuer le plus possible le nombre de sites      gration des étudiants neuchâtelois – sur     million et demi. En contrepartie, la pré-
   / « Grand Conseil », puis « Site des débats     HEM, de manière à les renforcer. Sur          laquelle nous reviendrons plus en détail ;   sence de la HEM attire dans le canton
   en direct et archives audiovisuelles des        ce plan-là, il semble clair que Berne         le renforcement des classes préprofes-       un financement fédéral et intercantonal
   sessions »). Ces captations incluent les
   tableaux des résultats pour tous les scru-      devra faire davantage de concessions          sionnelles du Conservatoire représentera     d’environ deux millions et demi – une
   tins, ainsi que des plans de salle détaillant   au cantonalisme, et laisser une partie        sans doute un enjeu majeur.                  substance économique qui aurait dis-
   le vote de chaque député.                       des activités de la HEM prendre pour              Mais les considérations socio-géo-
(3)  Cette détermination aura duré jusqu’au                                                      graphiques ne sont sans doute pas
   dernier instant, le Président radical du                                                      l’unique explication du désaveu subi         (5)  Voir notre numéro de décembre 2017,
   Grand Conseil imposant même une                 (4)  En plus des députés socialistes, éco-                                                    page 26.
                                                                                                 par le Conseil d’État : si une majorité de
   étrange interruption de séance (une                logistes et « popistes » (Parti Ouvrier                                                 (6)  Voir page 7 de ce document, accessible
   « pause ») de plus d’une demi-heure entre          Populaire), l’initiative a été soutenue
                                                                                                 députés a finalement choisi de prendre          à l’adresse : www.ne.ch/autorites/GC/ob-
   les deux tours décisifs du scrutin final, le       par les centristes du Parti Démocrate      une autre voie, et de conserver une for-        jets/Documents/Rapports/2019/19007_
   18 février 2020.                                   Chrétien et par les Verts Libéraux.        mation musicale professionnelle dans le         com.pdf.

40                                                       Revue Musicale de Suisse Romande        73e année, n° 1   Mars 2020                                                            41
Actualités                                                                                                                                                                      Actualités

paru automatiquement en cas de ferme-         plus importantes que celle de s’oppo-            ment musical au meilleur niveau inter-             formation à l’étranger, si elle est envisa-
ture de l’école. Les retombées indirectes     ser à la fermeture d’une école d’art de          national. Dès 2008, la Confédération               geable pour une partie d’entre eux, n’est
(logement, consommation…), liées à la         cent étudiants. D’ailleurs, le même bloc         est venue soutenir l’effort financier              certainement pas une solution souhai-
présence d’une centaine d’étudiants et        de droite, dès le début, avait soutenu la        que les Cantons consentaient jusque-               table pour l’ensemble. Tous les acteurs
d’une partie des professeurs sur le terri-    volonté du Gouvernement de procéder              là ; le domaine a donc connu une forte             du terrain semblent donc souscrire au
toire cantonal, viennent encore arrondir      à ladite fermeture sans consulter qui que        expansion au cours des douze dernières             principe d’un renforcement de la forma-
le bilan global.                              ce soit ; le reproche de « déficit démocra-      années ; on s’est efforcé de recruter les          tion préprofessionnelle dispensée par les
   Au final, on se permettra d’obser-         tique » apparaît donc davantage comme            meilleurs enseignants – on a pu notam-             Conservatoires cantonaux ; mais cette
ver, une fois de plus, que ces sommes         une manœuvre de la dernière chance,              ment débaucher de nombreux pédago-                 mesure suffira-t-elle ? Selon moi, il ne
restent assez modestes. La présence           et n’a pas abusé grand-monde – même              gues réputés venant des pays voisins, où           devrait pas non plus être tabou d’ima-
d’une Haute École de Musique a donc           s’il est évident qu’un scrutin populaire         ils ne sont pas toujours très bien traités.        giner une forme de système de quotas
un coût, mais ce coût reste certainement      aurait été bien plus difficile à remporter       Dès lors, les candidatures d’étudiants             – pour autant qu’il soit géré de manière
proportionné aux avantages qui y sont         qu’un vote au Grand Conseil7.                    étrangers, déjà importantes avant 2008,            raisonnable et transparente.
liés. Une telle observation pourrait d’ail-       L’euphorie d’un dénouement favo-             se sont encore multipliées, d’autant plus
leurs être extrapolée à une bonne partie      rable – et même, disons-le, d’une des            que ces jeunes artistes n’ont souvent pas
des domaines culturels, qui entraînent        rares bonnes nouvelles qui nous soient           de perspectives dans leur propre pays,                             L’avenir
certes des dépenses, mais que l’on peut       parvenues récemment, tous domaines               du fait d’infrastructures sous-dimen-
voir comme un investissement partici-         confondus – ne doit pas nous empêcher            sionnées (c’est le cas chez nos voisins            À Neuchâtel même, la mise en applica-
pant au bien-être de la société et à l’at-    de jeter sur l’ensemble de la question un        français par exemple). Les auditions de            tion de la nouvelle loi « HEM » aura pro-
tractivité globale d’une région.              regard un peu plus distancié et prudent ;        recrutement des HEM romandes sont                  bablement pour conséquence une réor-
                                              en particulier, il semble clair que les          donc devenues de plus en plus relevées,            ganisation du site, plus ou moins pro-
                                              milieux musicaux ne peuvent plus rester          avec pour conséquence regrettable de               fonde. Malgré certaines voix entendues
        Le « protectionnisme »                sourds aux critiques qui ont été émises          rendre plus difficile l’accès des jeunes           récemment, il est peu probable que l’on
                                              à l’égard de leurs écoles. L’un de ces           artistes suisses à ces formations. Ces der-        renonce à la convention avec Genève
Indéniablement, les mésaventures de           reproches porte, on le sait, sur le faible       niers ne déméritent pourtant nullement,            pour se rapprocher d’un autre canton –
la HEM de Neuchâtel auront été pour           nombre d’étudiants suisses (et pas seule-        mais entrent désormais en concurrence              et d’ailleurs, les possibilités ne sont pas
beaucoup d’entre nous l’occasion de           ment neuchâtelois) dans leurs rangs. En          avec des musiciens qui, pour une partie            nombreuses. Des économies seront sans
découvrir maint aspect méconnu de             vérité, il faudra bien que la communauté         d’entre eux au moins, ont déjà large-              doute demandées en revanche ; peut-être
notre système de formation, voire de          HEM empoigne ce problème une bonne               ment entamé leur formation profession-             faut-il s’attendre à une certaine forme
notre organisation politique. Ainsi, je       fois, car le déni nous mènerait sur une          nelle. Que faire ?                                 de redéploiement, avec l’intégration
dois confesser pour ma part avoir ignoré      voie dont on sait désormais qu’elle peut             Il est vrai, de nombreux étudiants             de nouvelles disciplines instrumentales
jusqu’ici la possibilité juridique offerte    être très dangereuse. Mais la difficulté         étrangers formés dans nos HEM fi-                  (certains parlent des cuivres, importants
à un Parlement cantonal d’accepter une        est proprement redoutable : rappelons            nissent par s’établir dans notre région ;          dans le milieu musical local), et donc la
initiative législative populaire sans la      que les HEM ont reçu pour mission de             l’effort du contribuable n’est donc, de            fermeture possible d’autres classes. Il est
soumettre au peuple. Au cours du débat        développer dans notre pays un enseigne-          loin, pas en pure perte. Néanmoins, il             bien sûr trop tôt pour le dire, mais on ne
final au Grand Conseil, le bloc de droite                                                      semble évident que nos jeunes conci-               peut exclure que la victoire soit suivie de
s’est permis de dénoncer une procédure        (7)  Il reste possible, au moins théorique-      toyens doivent avoir toutes leurs chances          jours amers pour certains – la chose s’est
qu’il est allé jusqu’à qualifier de « défi-      ment, qu’un référendum soit réclamé           d’obtenir un ticket d’entrée pour ces              trop souvent produite déjà dans le passé.
cit démocratique » ; on oubliait toute-          dans le mois qui suit la votation d’une loi   Hautes Écoles, faute de quoi il ne leur               Le rapprochement avec les struc-
                                                 au Grand Conseil. Une conclusion défi-
fois ainsi que le Grand Conseil a reçu           nitive ne pourra donc pas être tirée avant    sera pas possible de développer le poten-          tures de formation non professionnelle
de ses électeurs le pouvoir législatif, qui      la mi-mars 2020, soit à peu près au mo-       tiel artistique qui est le leur ; car les alter-   est, d’autre part, mentionné explicite-
comporte des responsabilités autrement           ment où les présentes lignes paraîtront.      natives ne sont, ici, pas légion, et une           ment dans le nouveau texte de loi, et

42                                                  Revue Musicale de Suisse Romande           73e année, n° 1    Mars 2020                                                               43
Actualités                                                                                                                   Actualités

                                                ce chantier promet d’être conséquent.         être très rapidement. Concrètement, il
                                                Après quatre tentatives infructueuses de      est probable que le Valais et Fribourg,
                                                l’exécutif pour se débarrasser (dès 2005)     dont la situation dans le réseau HEM
                                                de l’enseignement musical profession-         est assez similaire à celle de Neuchâtel,
                                                nel – une tradition centenaire dans ce        auraient été mis sous pression. D’autre
                                                canton   –, on peut souhaiter que tous        part, les autres cantons où les partis de
                                                se mettent enfin à l’œuvre de manière         droite (UDC et PLR) sont fortement
                                                constructive et loyale pour améliorer et      représentés – soit Vaud et Genève – au-
                                                coordonner l’ensemble du dispositif de        raient vu le même type de problème se
                                                formation, pour mettre également le           produire tôt ou tard.
                                                savoir-faire de la HEM neuchâteloise au          La victoire remportée aujourd’hui à
                                                service de l’ensemble de la population.       Neuchâtel ne doit pas nous dissimuler
                                                    Souffre-douleur – depuis quinze           que le combat pour défendre la forma-
                                                ans – des volontés austéritaires du           tion musicale (et la culture en général)
                                                Gouvernement cantonal, le site neu-           connaîtra d’autres jours, dont la conclu-
                                                châtelois de la HEM sort probablement         sion pourrait être moins heureuse. Le
                                                aguerri et renforcé des épreuves qu’il a      principal espoir est donc, à terme, de
                                                traversées. Son histoire nous démontre        parvenir à démontrer, même à ces mi-
                                                que l’espoir n’est jamais perdu, et qu’il     lieux hostiles, que la culture et la forma-
                                                est possible de rétablir des situations       tion d’une part ne coûtent pas si cher ;
                                                qui paraissent totalement compro-             et d’autre part, qu’elles apportent à une
                                                mises. Cette leçon doit être fermement        région une identité et une attractivité
                                                retenue par l’ensemble des acteurs de         qui sont un apport fondamental, même
                                                la culture dans notre pays : dans la so-      en termes purement économiques. Ce
                                                ciété essentiellement utilitaire et terri-    n’est que lorsque les esprits sceptiques
                                                blement impatiente qui est désormais          auront été convaincus – au moins pour
                                                devenue la nôtre, chaque centimètre de        une partie d’entre eux – que l’on pourra
                                                terrain devra être défendu âprement. Je       considérer la crise de la HEM neuchâ-
                                                l’ai déjà écrit dans le passé, et le redis    teloise comme véritablement close. Les
                                                aujourd’hui : la disparition du site neu-     deux années qui viennent de s’écouler
                                                châtelois de la HEM aurait constitué de       n’ont pas encore apporté la résolution
                                                toute évidence un signal négatif pour les     de ces dissonances ; elles ont néanmoins
                                                destinées de la culture dans notre pays ;     montré la voie à suivre.
                                                d’autres démantèlements auraient, sinon
                                                suivi, du moins menacé de le faire, peut-                             Vincent Arlettaz

                                                       P ro c hai n e s m an i f e s tat i o n s p u bli qu e s (détails : hemge.ch)
                                                         Musique de chambre au campus (Neuchâtel, Espace de l’Europe 21) :
                                                      Jeudi 26 mars & jeudi 30 avril à 20h (Beethoven, Schumann & Brahms)
                                                      ‘Journées Dialogues’ : le 9 mai, La Chaux-de-Fonds, Conservatoire, avenue
                                                  Léopold-Robert 34 ; le 16 mai, Neuchâtel, Espace de l’Europe 21 (toute la journée)

44           Revue Musicale de Suisse Romande   73e année, n° 1   Mars 2020                                                            45
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6e édition du 21 au 24 mai 2020
                                 Les Folles Journées
                                 J. S. BACH
                                 de Lutry (au temple)
  21 MAI 2020 18H00              Conférence Gilles Cantagrel, « Bach entre le doute et la foi »
                                 HôtelLeRivageàLutry
                                  Réservation obligatoire, places limitées : 021 616 92 09
  22 MAI 2020 20H00              uria Rial, soprano
                                 N
                                 Die Freitagsakademie
                                 J.S.Bach:CantateBWV202"Hochzeitskantate"
                                 ConcertoBWV1053et1055
                                 Vivaldi:ConcertopourcelloenDomineur
  23 MAI 2020 11H00              nsemble vocal Buissonnier
                                 E
                                 Dir.:FruzsinaSzuromi
                                 "AscensionauCiel":musiquesàtravers10siècles
                   17H00         jasha Gafner, harpe
                                 T
                                 Augustin Lipp, marimba
                                 Œuvres:àpréciser
                   20H00         ichel Tirabosco, flûtedepan
                                 M
                                 Les Solistes de la Menuhin Academy
                                 CPEBach:ConcertopourflûteenLamineurWq.166
                                 J.S.Bach:ConcertoBWV1055
                                 G.Donizetti:Concertopourflûte
                                 Fr.Doppler:Andantepourdeuxflûtes
                                 Vivaldi:ConcertopourcordesenLamajeurRV156
  24 MAI 2020 10H00              élébration de la Parole
                                 C
                                 ChapellevocaleetinstrumentaledeLutry
                                 Direction:SébastienVonlanthen
                                 J.S.Bach:CantateBWV43"GottfähretaufmitJauchzen"
                   12H30        Podium des Jeunes artistes
                                 Amira et Marijam AbuZahra,violonsetalto
                                 Nora Emödy,piano
                                 J.S.Bach:Concertopour2violons;Massenet:MéditationdeThaïs
                                 Mozart:Symphonieconcertantepourviolonetalto
                   17H00         écital violoncelle et piano
                                 R
                                 Gary Hoffman et Sofja Gülbadamova
                                 Beethoven:SonateNr5enDomajeur
                                 Brahms:SonateenMimineur
                                 J.S.Bach:SuiteNr5

VENTE DE BILLETS :Achat en lignewww.monbillet.ch|Offices du tourismeGareCFFLausanneet
Ouchy(terminusmétro)|A l’entrée du Temple dès 16h
RÉSERVATIONS :« Point I » QuaiGustaveDoret•1095Lutry•Tél.+fax:+41217914765
INFORMATIONS :tél.:+41216169209•http://concerts-bach.lutry.ch
festival

                             de musique

                             ancienne

                             Rougemont

du 27 mai au 1er juin 2020   La
                             vingtième !
                             Chiome d’Oro
                             La Simphonie du Marais –
                             Hugo Reyne
                             Le Poème Harmonique
                             Kenneth Weiss
                             Laurence Dreyfus
                             Heidi Gröger
                             Le Banquet Céleste
                             Ground Floor
                             Bertrand Cuiller
                             Aedes

                             festival-la-folia.ch
                             T 026 925 11 62
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