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« Religions et droit international humanitaire : histoire et actualité d’un dialogue nécessaire »,
  in Anne-Sophie MILLET-DEVALLE (Ed.) Religions et Droit International Humanitaire.
                                  Paris, Pedone, 2008, pp. 9-45

                         “Religions et droit international humanitaire:
                         histoire et actualité d’un dialogue nécessaire”

                                          Michel Veuthey    ∗

Introduction

L’Institut international de droit humanitaire est heureux d’organiser avec l’I.D.P.D. ce
Colloque sur un thème “Religions et Droit international humanitaire”qui gagne constamment
en actualité. Il y a deux semaines, le 7 juin, se tenait à San Remo une réunion de Prix Nobel
de la Paix sur le dialogue inter-religieux et la paix. La semaine dernière, à Genève, en marge
du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, des dirigeants spirituels, dont le Grand
Rabbin Guedj, qui nous fait l’honneur de participer à ce Colloque de Nice, se réunissaient sur
le thème “Religions et pauvreté”.

Permettez-moi aussi d’adresser un hommage au Professeur Jovica Patrnogic, décédé le 6 mai
dernier, qui a été un des fondateurs de l’Institut International de Droit Humanitaire de San
Remo et qui l’a présidé pendant de longues années. Il a été un des principaux artisans de
l’ « esprit de San Remo », caractérisé par un dialogue sérieux et informel à la fois, dans un
respect mutuel. Il aurait certainement pu apporter une contribution importante à nos travaux.

« Religions et droit international humanitaire », la juxtaposition de ces deux thèmes a semblé
de prime abord difficile aux organisateurs de ce Colloque comme à plusieurs orateurs, juristes
ou religieux. Le dialogue entre religions et juristes positivistes n’a en effet longtemps porté
que sur des sujets particuliers, comme la protection des aumôniers, la liberté des personnes
détenues et des populations occupées à exercer leur religion ou la prise en compte des rites
religieux dans les sépultures en temps de conflit armé.1 Le droit international humanitaire a
vécu, comme le reste de la société occidentale, l’ « éclipse du religieux ».2

∗
  Docteur en droit (Genève), Vice-Président de l’Institut International de droit humanitaire (San Remo),
Professeur associé, I.D.P.D., Université de Nice. L’auteur voudrait remercier Bertrand LOZE pour ses
précieux conseils sur la structure de cet article ainsi qu’Anne QUINTIN pour la mise en forme des
notes de bas de page.
1
  Voir notamment Jean-Luc HIEBEL, Assistance spirituelle et conflits armés, Institut Henry-Dunant,
Genève,1980, 462 p.; Stefan LUNZE, The Protection of Religious Personnel in Armed Conflict, Lang,
Franfurt am Main, 2004, 219 p. ; et, du même auteur, “Serving God and Caesar: Religious personnel
and their protection in armed conflict”, Revue Internationale de la Croix-Rouge, No. 853 (Mars 2004),
pp. 69-92. Voir aussi Captain Paul McLAUGHLIN, The Chaplain’s Evolving Role in Peace and
Humanitarian Relief Operations, Washington DC, United States Institute of Peace (USIP), 2002, 42 p.
(Peaceworks 46) et CONSEIL PONTIFICAL “JUSTICE ET PAIX” et CONGREGATION POUR LES
EVEQUES, Le droit humanitaire et les aumôniers militaires. Cours international pour la formation des
aumôniers catholiques militaires au droit humanitaire (Rome, 25-26 mars 2003), Cité du Vatican,
2004, 166 p.
2
   Voir Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion,
Gallimard, Paris, 1985, 457 p. ; et, du même auteur, La religion dans la démocratie, Gallimard, Paris,
1998, 127 p.

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Et, pourtant, à l’heure du « retour du religieux »,3 ce dialogue entre religions et droit
humanitaire nous semble aujourd’hui nécessaire sous trois aspects :

- d’abord pour étudier les sources historiques et anthropologiques du droit international
humanitaire dans toutes les civilisations, sources auxquelles les religions ne sont pas
étrangères comme nous le verrons par la suite ;

- ensuite, pour approfondir les motivations des parties en conflit de respecter le droit
international humanitaire dans les conflits contemporains, où les convictions religieuses,
occupant une place croissante, peuvent appuyer la légitimité de ce droit tout en diffusant ses
fondements et son esprit au-delà des milieux juridiques ;

- enfin, pour contribuer à la réaffirmation des principes fondamentaux du droit
international humanitaire en ancrant ces principes à nouveau dans la conscience publique de
toutes les civilisations, dans la mesure où l’aspect religieux constitue, particulièrement en
dehors de l’Europe occidentale contemporaine, un aspect majeur de la conscience publique.

L’étude des sources historiques et anthropologiques des limites à la violence et de la
protection des victimes des conflits armés permet en effet de retracer les origines du droit
humanitaire, les motivations qui peuvent amener les protagonistes aux conflits passés et
contemporains à les respecter, et également d’en fonder l’acceptabilité universelle et d’en
réaffirmer plus largement les normes essentielles à un moment où les normes du droit positif
sont remises en cause par certains Etats – et non des moindres – ainsi que par des acteurs non-
étatiques.

Si l’on veut commencer par définir ce qu’est le droit humanitaire, la définition la plus simple
et la plus universelle s’en trouve dans une norme fondamentale d’origine religieuse : la Règle
d’Or (“Faites aux autres ce que vous voudriez que l’on vous fasse” ou, dans la formulation
négative, “Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas que les autres vous fassent”),
qui implique une double exigence d’interdiction et d’obligation, de réciprocité dans les
limitations de l’usage de la violence et de solidarité dans l’action humanitaire. Cette Règle
d’Or est contenue dans la plupart des traditions religieuses:4 Hindouisme,5 Confucianisme,6
Bouddhisme,7 Taoïsme,8 Zoroastrisme,9 Judaïsme,10 Christianisme,11 Islam,12 Bahaïsme.13 En

3
   Voir notamment à ce sujet Patrick de LAUBIER, Phénoménologie de la religion. Paris, Desclée de
Brouwer, 2007, 198 p.
4
  Les citations qui suivent se trouvent sur le site http://prolib.net/ethique/203.000.regle_dor.htm
5
   "Telle est la somme du devoir : ne fais pas aux autres ce qui, à toi, te causerait de la peine"
(Mahabarata, 5; 15,17)
6
  "Voici certainement la maxime d'amour : ne pas faire aux autres ce que l'on ne veut pas qu'ils nous
fassent" (CONFUCIUS, Analectes, 15; 23)
7
  "Ne blesse pas les autres avec ce qui te fait souffrir toi-même" (Sutta Pikata, Udanavagga 5,18)
"Dans le bonheur et la souffrance, nous devons nous abstenir d'infliger aux autres ce que nous
n'aimerions pas de nous voir infliger" (Mahavira, Yogashatra 2,20)
8
  "Considère que ton voisin gagne ton pain, et que ton voisin perd ce que tu perds " (T'ai shang Kan
Ying Pien)
9
  "La nature seule est bonne qui se réprime pour ne point faire à autrui ce qui ne serait pas bon pour
elle" (Dadistan-i-dinik, 94)
10
    - "Ce que tu tiens pour haïssable, ne le fais pas à ton prochain. C'est là toute la Loi, le reste n'est
que commentaire" (Rabbin HiLLEL, Talmud, sabbat, 31-A)
- "Aime ton prochain comme toi-même" (Lévitique 19; 18)

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outre, sacré et interdit ont plus que le mot arabe “haram” ou le terme, d’origine polynésienne,
“tabou”,14 en commun. Ainsi, dans l’Antiquité européenne, grecque et latine, comme le
montre Fustel de Coullanges, le droit a une origine religieuse.15 Héraclite et Cicéron
l’expriment de la manière suivante :
“Ceux qui parlent avec intelligence doivent tenir ferme à ce qui est commun à tous, de même qu’une cité tient
ferme à sa loi, et même plus fortement. Car toutes les lois humaines sont nourries par une seule loi divine. Elle
prévaut autant qu’elle le veut, suffit à toutes choses sans même s’épuiser.” (Héraclite)16

“Il existe une loi conforme à la nature, commune à tous les hommes, raisonnable et éternelle, qui nous
commande la vertu et nous défend l'injustice. Cette loi n'est pas de celles qu'il est permis d'enfreindre et d'éluder,
ou qui peuvent être changées entièrement. Ni le peuple, ni les magistrats, n'ont le pouvoir de délier des
obligations qu'elle impose. Elle n'est pas autre à Rome, autre à Athènes, ni différente aujourd'hui de ce qu'elle
sera demain ; universelle, inflexible, toujours la même, elle embrasse toutes les nations et tous les siècles. Cette
loi, on ne peut l'infirmer par d'autres lois, ni la rapporter en quelque partie, ni l'abroger en entier ; il n'est ni
sénatus-consulte, ni plébiscite qui puisse délier de l'obéissance que nous lui devons ; elle n'a pas besoin du
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secours d'un interprète qui l'explique et la commente à nos âmes." (Cicéron)

La limite de ces règles religieuses imposant des normes d’humanité en temps de conflit armé
sur des fondements très proches est qu’elles n’étaient ordinairement applicables qu’entre
membres de la même civilisation (voire du même peuple ou de la même tribu) : Platon lui-
même écrit qu’il fallait observer certaines limitations dans les guerres entre cités grecques,
mais que ces limites n’avaient plus cours dans les guerres contre les Perses…18 Chaque
civilisation a ainsi formé des « îles d’humanité »19 à l’intérieur desquelles certaines règles

11
   - " Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux :
voilà la Loi et les Prophètes" (Matthieu, 7; 12)
- "Comme vous voulez que les gens agissent envers vous, agissez de même envers eux" (Luc 6; 31)
12                                                                                                 e
   "Nul de vous n'est un croyant s'il ne désire pour son frère ce qu'il désire pour lui-même" (13 des 40
Hadiths de Nawawi)
13
   "Ne souhaitez pas aux autres ce que vous ne souhaitez pas à vous-mêmes" (Kitab-i-Aqdas 148)
14
   Voir notamment Salomon REINACH, “Coup d’oeil sur les divers tabou”, Leçon professée en 1900 à
l’Ecole du Louvre, Cultes, mythes et religions, Tome II, Éd. Ernest Leroux, Paris, 1906, pp. 23-35,
disponible en ligne : http://www.psychanalyse-paris.com/783-Coup-d-oeil-sur-les-divers.html :
“Le sens ordinaire est « sacré ». Mais ce sens n’implique aucune qualité morale ; il s’agit seulement
d’une connexion avec ce qui est divin, d’une séparation d’avec les choses d’usage ordinaire, d’une
appropriation exclusive à des personnes et à des choses considérées comme sacrées. Quelquefois
tabou signifie « consacré comme par un voeu ». Des chefs qui retracent leur généalogie jusqu’aux
dieux sont dits arii tabu « chefs sacrés » et un temple est dit wahi tabu « place sacrée ».”
15
   Numa Denis FUSTEL de COULLANGES, La Cité antique: étude sur le culte, le droit, les institutions
de la Grèce et de Rome, Disponible en ligne: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k88408d
16
   HERACLITE, Fragments, traduits et commentés par Marcel COCHE, PUF, Paris, 1984, fragment
114. Disponible en ligne: http://philoctetes.free.fr/heraclite.pdf
17
   CICERON, De Republica, III, 43. Disponible en ligne:
http://www.philo5.com/Les%20philosophes%20Textes/Ciceron_LoiNaturellePlaisirsEtMort.htm#_ftnl
18
   PLATON, La République, Introduction, traduction et notes de R. BACCOU, Garnier, Paris, 1966, pp.
224-227. Voir aussi la traduction de Georges LEROUX, Deuxième édition corrigée, Flammarion, Paris,
2004, p. 297 (V, 471a et 471b).
19
   Citons ici le très beau poème de John DONNE (1572-1631) Devotions Upon Emergent Occasions,
Meditation XVII “No man is an island”, en ligne sur: http://www.phrases.org.uk/meanings/257100.html
"All mankind is of one author, and is one volume; when one man dies, one chapter is not torn out of
the book, but translated into a better language; and every chapter must be so translated...As therefore
the bell that rings to a sermon, calls not upon the preacher only, but upon the congregation to come:
so this bell calls us all: but how much more me, who am brought so near the door by this
sickness....No man is an island, entire of itself...any man's death diminishes me, because I am
involved in mankind; and therefore never send to know for whom the bell tolls; it tolls for thee."

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limitent la violence et imposent une solidarité à l’égard des victimes du conflit. La tentation
du repli –et donc du déni d’humanité à ceux qui n’appartiennent pas au groupe – est
malheureusement toujours actuelle.

Ces règles, d’origine sacrée, visaient à garantir la survie de la civilisation, du peuple et de la
tribu : les guerriers ne devaient pas s’attaquer aux femmes ni aux enfants, ni détruire récoltes
et arbres fruitiers, ni non plus empoisonner l’eau ni détruire les lieux et édifices sacrés ; ces
actions auraient en effet pu mettre en péril la survie de la communauté. Nous voyons donc
clairement un lien entre la religion et l’idée du droit humanitaire à partir du fondement
historique sacré de l’interdit et sa formulation la plus simple qui nous apparaît universelle
sous la forme de la Règle d’Or.

Ce lien entre religions et droit humanitaire peut être illustré par quelques exemples, du Proche
à l’Extrême-Orient.20

Le Judaïsme montre des convergences entre traditions religieuses et droit international
humanitaire contemporain.21 De même le Christianisme dans ses différentes traditions
développera des limitations à la guerre, tant dans le jus in bello que le jus ad bellum. Comme
nous le verrons aussi dans ce Colloque de Nice, avec les interventions de Mohammed Amin
Al-Midani, Abdewahab Biad, Rachid Lahlou, et Zidane Mériboute, l’Orient est aussi riche en
traditions humanitaires se basant sur l’Islam.22 Les tribus africaines ont encore des traditions
originales immémoriales de limites de la violence en temps de conflit armé fondées sur des
convictions religieuses.23 L’Asie, avec l’Hindouisme et le Bouddhisme, tout comme le
Taoïsme, le Confucianisme24 et le Shintoïsme, connaît, bien avant la codification moderne

20
    Voir aussi Philippe GAUDIN (Dir.), La Violence. Ce qu’en disent les religions. Paris, Les Editions de
l’Atelier, 2002, 175 p. et la bibliographie en page 175 sur la philosophie, le judaïsme, le christianisme,
l’islam, l’hindouisme et le bouddhisme. Plus généralement, voir aussi l’ouvrage collectif publié sous la
direction de Daniel L. SMITH-CHRISTOPHER (Ed.), Subverting Hatred. The Challenge of Nonviolence
in Religious Traditions. New York, Orbis Books, 1998, 177 p. et en particulier: “Warfare and social
conflict at the end of the twentieth century are inseparable from issues of ethnic and religious identity”
(p. 11); et aussi Richard SORABJI et David RODIN, The Ethics of War. Shared Problems in Different
Traditions. London, Ashgate Publishing, 2006, 253 p.
21
    Voir notamment Erich FROMM, You Shall Be As Gods, Rinehart and Wilson, New York, Holt, 1966;
Norman SOLOMON, “Judaism and the Ethics of War”, International Review of the Red Cross, Vol. 87,
Nr. 858 (June 2005), pp. 295-309. Erich FROMM commente entre autres le Lévitique, soulignant que
certains lui en donnent une interprétation restrictive, limitée au Peuple d’Israël, tandis que d’autres
l’étendent à l’ensemble de l’humanité. Voir aussi les écrits de Martin BUBER, en particulier “Ich und
Du”, en traduction française Je et Tu, Aubier Montaigne, Paris, 1992, 173 p.
22
    Voir notamment: Marcel BOISARD, L’Humanisme de l’Islam, Albin Michel, Paris, 1979 ; Jean-Paul
CHARNEY, L’Islam et la guerre. De la guerre juste à la révolution sainte, Paris, 1986 ; M. K.
EREKSOUSSI, “Le Coran et les Conventions humanitaires”, Revue internationale de la Croix-Rouge,
Mai 1962 ; Ameur ZEMMALI, Combattants et prisonniers de guerre en droit islamique et en droit
international humanitaire, Pedone, Paris, 1997, 519 p. ; Sheikh Wahbeh AL-ZUHILI, “Islam and
International Law”, Vol. 87, Nr. 858 (June 2005), pp.269-283. Voir aussi Jonathan BENTHALL,
“L’humaniarisme islamique”, Culture & Conflits, No 60 (2005), pp. 103-122, disponible en ligne:
http://www.conflits.org/document1928.html
23
    Voir notamment: Emmanuel BELLO, African Customary Humanitarian Law, ICRC, Geneva, 1980,
157 p. ; Yolande DIALLO, Traditions africaines et droit humanitaire: similitudes et divergences, CICR,
Genève, 1976, 2 vol. 19, 23 p. ; E. E. EVANS-PRITCHARD, The Nuer. A Description of the Modes of
Livelihood and Political Institutions of a Nilotic People, Oxford University Press, London, 1940, 271 p.
24
    Voir ainsi Huston SMITH, The World’s Religions. Our Great Wisdom Traditions. San Francisco,
HarperSanFrancisco, 1991, 399 p. ad pp. 172-180 : sur “Jen” (“a feeling of humanity towards others
and respect for oneself, an indivisible sense of the dignity of human life wherever it appears”), “Chun

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du droit international humanitaire, des principes d’humanité à l’égard de l’ennemi en temps
de conflit armé. Le Bushido japonais en est un exemple.25 Le Bouddhisme a deux principes
fondamentaux: maitri (bienveillance)26 et karuna (miséricorde, compassion), très proches du
principe d’humanité. L’Hindouisme contient des règles de traitement humain de l’ennemi
vaincu27 comme aussi de loyauté dans le combat28 et interdit l’usage d’armes indiscriminées
et causant des souffrances superflues.29 Ainsi, selon le Mahâbhârata, «les ennemis faits
prisonniers au cours d’une guerre ne doivent pas être tués ; nous devons, au contraire, les traiter
                           30
comme nos propres enfants.» De même, les Lois de Manou prescrivaient les règles suivantes :

“90. Un guerrier ne doit jamais, dans une action, employer contre ses ennemis des armes perfides, comme des
bâtons renfermant des stylets aigus, ni des flèches barbelées, ni des flèches empoisonnées, ni des traits
enflammés.”
“91. Qu’il ne frappe ni un ennemi qui est à pied, si lui-même est sur un char, ni un homme efféminé, ni celui qui
joint les mains pour demander merci, ni celui dont les cheveux sont défaits, ni celui qui est assis, ni celui qui dit:
‘Je suis ton prisonnier’.”
“92. Ni un homme endormi, ni celui qui n’a pas de cuirasse, ni celui qui est nu, ni celui qui est désarmé, ni celui
qui regarde le combat sans y prendre part; ni celui qui est aux prises avec un autre.
“93. Ni celui dont l’arme est brisée, ne celui qui est accablé par le chagrin, ni un homme grièvement blessé, ni un
                                                                        31
lâche, ni un fuyard; qu’il se rappelle le devoir des braves guerriers.”

L’Océanie, avec les religions de peuples premiers, témoigne parfois de traditions d’humanité
plus généreuses que nos codifications modernes.32

Pour détailler un exemple, l’Occident chrétien essaiera de mettre des limites à la guerre à
travers les traditions chevaleresques33 et instaurera aux Xe et XIe siècles la Trève-Dieu
(« Treuga Dei ») et la Paix de Dieu (« Pax Dei ») à l’initiative de l’Eglise : la Trève de Dieu
prohibe toute hostilité pendant certaines périodes du calendrier liturgique ( du premier
dimanche de l’Avent à l’Epiphanie, et du Mercredi des Cendres à l’Ascension) et certains
jours de la semaine (du mercredi soir au lundi matin, en mémoire de la Passion et de la

tzu” (“Humanity-at-its-Best”, “Armed with a self-respect that generates respect for others, he
approaches them wondering not “What can I get from them?” but “What can I do to accomodate
them?””), “Li” (“comme il faut”, à propos...), “Te” (“the power of the morale example”), “Wen” (“The arts
of peace”).
25
    Sumio ADACHI, “Traditional Asian Approaches: A Japanese View”, Australian Yearbook of
International Law, Vol. 9, 1885, pp. 158-167 ; et, du même auteur, “The Asian Concept”, UNESCO,
International Dimensions of Humanitarian Law, Paris, 1986, pp. 13-19
26
   Etymologiquement, en sanscrit : unir, “devenir-un”
27
   Voir ainsi le MAHABHARATA, XII, 3487, 3488, 3489, 3782, 8235
28
   Ibid. XII, 3541, 3542, 3544 à 3551, 3557 à 3560, 3564, 3580, 3659, 3675, 3677.
29
    Nagendra SINGH, “Armed conflicts and humanitarian laws of ancient India”, in Christophe
SWINARSKI (Ed.), Etudes et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la
Croix-Rouge, CICR, Genève, 1984, pp. 531-536 ; Manoj KUMAR SINHA, “Hinduism and International
Humanitarian Law”, International Review of the Red Cross, Vol. 87, Nr. 858 (June 2005), pp. 285-294
30
    Mahabharata, Santi Parva, 102.32. ; Nagendra SINGH, loc. cit., cité par Jacques MEURANT,
“Approche         interculturelle    et       droit      international    humanitaire”,     en      ligne:
http://www.aidh.org/uni/biblio/pdf/2-4.pdf
31
     Lois de Manou (Manava-Dharma-Sastra), traduites du sanscrit par A. LOISELEUR-
DESLONGCHAMPS, Garnier, Paris, Livre Septième, paragraphes 90 à 93, page 184.
32
   Frank KEITSCH, Formen der Kriegführung in Melanesien, Bamberg, 1967, 380 p.
33
   G.I.A.D. DRAPER, “The interaction of Christianity and Chivalry in the historical development of the
law of war”, International Review of the Red Cross, Nov.-Dec. 1979, pp. 283-300

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Résurrection du Christ). 34 La doctrine scolastique du droit de la guerre,35 puis les positions de
l’Eglise catholique36 et d’autres Eglises chrétiennes37 jusqu’à nos jours contiennent des appels
à la paix, à la modération dans la guerre et en particulier à la protection des personnes civiles.
Les premiers promoteurs en Europe de ce qui est aujourd’hui le droit international
humanitaire ont été des religieux,38 reconnaissant la dignité inhérente à tout être humain, créé
à l’image de Dieu, son Créateur :39 saint Thomas d’Aquin (1225-1274), le Dominicain
Francisco de Vitoria40 (1483-1546), Balthasar Ayala41 (1548-1584), le Jésuite Francisco
Suarez42 (1548-1617). Et encore Emer de Vattel, Suisse protestant, au milieu du XVIIIe
siècle, intitule son oeuvre majeure Le droit des gens; ou: Principe de la loi naturelle43 ... Le
Puritain John Locke soutiendra - dans la lignée de la tradition du droit naturel divin - que le
fondement de la loi naturelle est la préservation de l’humanité :

“... the Law of Nature stands as an Eternal Rule to all Men, Legislators as well as others, the Rules that make for
other Men’s actions must...be confortable to the Law of Nature, i.e. to the Will of God, of Which that is a
Declaration; and the fundamental Law of Nature being the Preservation of Mankind, no human action can be
good or valid against it.”44

Les Dominicains Bartolomé de Las Casas (notamment lors de la controverse de Valladolid en
1550)45 et Francisco de Vitoria, par leur défense des Amérindiens, par l’affirmation de leur
34
   G. GOYAU, “L’Eglise catholique et le droit des gens”, R.C.A.D.I., 1925, pp. 150-151, cité par
Stanislas GANUCHAUD, L’influence de l’Eglise sur le droit de la guerre et sur le droit international
humanitaire. Mémoire de Master de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, Décembre 2005, p. 17.
35
   Alfred VANDERPOL, La doctrine scolastique du droit de la guerre, Pedone, Paris, 1919, 534 p.
36
   Joseph JOBLIN, L’Eglise et la Guerre. Conscience, violence, pouvoir, Desclée de Brouwer, Paris,
1988, en particulier pp. 193 ss.
37
   Voir notamment le site du Conseil Oecuménique des Eglises (COE): http://vaincrelaviolence.org/fr
38
   Voir notamment Wilhelm G. GREWE, The Epochs of International Law. Translated and revised by
Michael Byers, De Gruyter, Berlin, 2000, 780 p. (titre original allemand: Epochen der
Völkerrechtgeschichte). Et aussi Antonio TRUYOL Y SERRA, Histoire du droit international public,
Economica, Paris, 1995 ; et, du même auteur, Doctrines sur le fondement du droit des gens, Pedone,
Paris, 2007 ; Antonio CASSESE, International Law, OUP, Oxford, 2001, p. 20.
39
   Genèse (Bereshit) 1, 26-27
40
   Francisco de VITORIA, Relectiones: De Indis et De Jure Belli ; Bartolome de LAS CASAS, Très
brève relation sur la destruction des Indes, 1552, trad. franç. par Fanchita Gonzalez Batlle, La
Découverte, Paris, 1996, 151 p ; Francisco de VITORIA, Leçons sur les Indiens et le droit de la
guerre, 1539, trad. franç., Droz, Genève, 1966. Sur leurs différences, voir Philippe ANDRE-VINCENT,
"Le dialogue Las Casas-Vitoria : deux interprétations nouvelles du droit des gens", dans l’ouvrage
collectif, De la dégradation du droit des gens dans le monde contemporain, Anthropos, Economica,
Paris, 1981, p. 39. Dès l’époque des conquistadors, les dominicains du Siècle d’Or espagnol (Las
Casas, Vitoria) avaient affirmé l’humanité chrétienne des méso-américains : leur condition d’hommes
sauvés par Jésus sur la croix.
41
   Balthasar AYALA, De jure et Officis Bellicis et Disciplina Militari Libri Tres, 1582.
42
   Francisco SUAREZ, De legibus as Deo legislatore, 1613. Voir la traduction de Jean-Paul COUJOU,
Des lois et du Dieu législateur, Dalloz, Paris, 2003, 688 p.
43
   Emmerich de VATTEL, Le droit des gens ou Principes de la loi naturelle, appliqués à la conduite et
aux affaires des nations et des souverains, Leide, 1758
44
   John LOCKE, Of Civil Government, Vol. II., XI, par. 135-138, cité par Donald W. SHRIVER Jr., An
Ethic for Enemies. Forgiveness in Politics, OUP, Oxford, 1995, 284 p. ad p. 59. Le texte original de
Locke en ligne :
http://www.constitution.org/jl/2ndtreat.txt
45
   Charles Quint réunit à Valladolid des juristes et des théologiens pour déterminer la manière dont les
Indiens peuvent être légitimement soumis et convertis. Charles Quint souhaite établir le meilleur
constat possible et réunit pour ce faire, deux spécialistes du problème indien, qu'il va décider
d'opposer dans cette controverse : le frère dominicain Bartolomé de Las Casas et le Dr Ginès de
Sépulveda. Voir le livre de Jean-Claude CARRIERE, La controverse de Valladolid, Paris, Flammarion,

                                                                                                                      6
dignité humaine, inspireront Suarez et même Grotius, souvent qualifié de « père du droit
international public », dans leur conception du droit international moderne.

Enfin, Henry Dunant, initiateur du droit international humanitaire contemporain, en
particulier de la Première Convention de Genève de 1864, était un homme profondément
religieux, un chrétien engagé dans l’action caritative et ouvert tant au Judaïsme qu’à l’Islam.46
Ses convictions religieuses l’ont certainement inspiré dans son action humanitaire. De même,
Max Huber, Président du CICR, qui a aussi présidé la Cour Permanente de Justice,47 écrira, à
titre personnel, un commentaire sur la parabole du Bon Samaritain comme une réflexion sur
l’Evangile et l’action de la Croix-Rouge.48 Il voyait, dans cette parabole, une première
description des fondements du droit humanitaire : l’humanité, qui demande le respect de tout
être humain, connu ou inconnu, et de l’aider de manière impartiale. C’est aussi Max Huber
qui dira, montrant aussi la nécessité d‘ancrer le droit dans un contexte plus large de valeurs
religieuses universelles protégeant la vie et la dignité de l’homme : “Le droit ne protège
qu’une partie des êtres vivants; l’exigence du respect devant la vie, telle que l’a définie Albert
Schweitzer, va bien au-delà.”49 Cette référence à Albert Schweitzer, théologien protestant
alsacien, Prix Nobel de la Paix en 1952, dépasse les religions du Livre (Judaïsme,
Christianisme, Islam) et s’appuie également sur les principes des grandes religions de l’Inde.50

Michael Walzer, dans un chapitre consacré aux règles de la guerre de son ouvrage Guerres
justes et injustes, inclut les religions dans la « notion de convention » :

«Je propose d’appeler convention relativement à la guerre l’ensemble constitué par l’articulation des normes, des
coutumes, des codes professionnels, des préceptes juridiques, des principes philosophiques ou religieux et des
accommodements réciproques qui informent nos jugements sur le comportement militaire.»51

Sans être exhaustifs, ces exemples montrent dans l’histoire et l’actualité la richesse et
l’importance de l’apport religieux aux fondements du droit humanitaire. Il serait intéressant
de se demander dans quelle mesure le dialogue de la religion et du droit humanitaire s’avère
nécessaire pour redonner aujourd’hui et partout sa légitimité et sa force morale au droit
humanitaire.

2006, 119 p., ainsi que le film de Jean-Daniel VERHAEGHE (DVD-Warner Home Video, 2001).
46
   Voir Henry DUNANT, Mémoires. Texte établi et présenté par Bernard GAGNEBIN, L’Age d’Homme,
Lausanne, 1971, 364 p. et plus particulièrement p. 53, où Dunant écrit dans Souvenir de Solférino:
“C’est évident. L’inspiration vient de Lui ; les défauts du livre sont de moi” ; Felix CHRIST, Henry
Dunant. Leben und Glauben des Rotkeuzgründers, Imba, Freiburg, 1979, 64 p. ; Willy HEUDTLASS,
J. Henry Dunant. Gründer des Roten Kreuzes. Urheber der Genfer Konventionen. Eine Biographie in
                                                                       e
Dokumenten und Bildern. Stuttgart, Verlag W. Kohlhammer, 1977 (2 éd.), 25 p. ; Max HUBER, La
pensée et l’action de la Croix-Rouge, CICR, Genève, 1954, p. 18
47
   Max Huber fut Membre de la Cour Permanente de Justice de 1922 à 1932, Président de 1925 à
1927.
48
   Max HUBER, Le Bon Samaritain. Considérations sur l’Evangile et le travail de Croix-Rouge, La
Baconnière, Neuchâtel, 1943, 196 p. (Traduit de l’original allemand Der Barmherzige Samariter.
Betrachtungen über Evangelium und Rotkreuzarbeit, Zurich, Schulthess, 1943).
49
   Max HUBER, La pensée et l’action de la Croix-Rouge, CICR, Genève,1954, p. 271
50
   Albert SCHWEITZER, Grands penseurs de l’Inde, Payot, Paris, 2006, 2007 p. (Édition originale de
1936)
51
   Michael WALZER, Guerres justes et injustes. Argumentation morale avec des exemples
historiques. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simone Chambon et Anne Wicke. Paris, Gallimard,
2006, p. 115.

                                                                                                                    7
Il s’agit de redécouvrir certains aspects du droit humanitaire qui ont été oubliés ou mis à
l’écart par une vision trop technicienne ou occidentale du droit. Dans un premier temps,
redécouvrir le lien fondamental entre la religion et le droit humanitaire permettrait de rendre à
ce dernier sa légitimité. Dans un second temps, s’appuyer sur les dimensions universelles du
droit humanitaire (et notamment de la clause de Martens) rééquilibrerait les exigences de
l’humanité – sa finalité – par rapport aux exigences de sécurité.

Le droit international humanitaire est en effet au point d’équilibre de deux exigences –
l’humanité et la sécurité - qui ne s’opposent pas nécessairement. Comme l’écrit Jean Pictet
dans le Commentaire du CICR de la Première Convention de 1949 :

« Le droit de Genève comporte une faiblesse inhérente à sa nature : il fait partie du droit de la guerre. Comme la
guerre met en cause l’existence même des Etats, les règles juridiques, dans une guerre devenue totale, risquent
d’être foulées aux pieds, sous prétexte que nécessité fait loi. […] Un élément tend à compenser la faiblesse dont
nous avons parlé : le droit de Genève a trait à des intérêts supérieurs, puisqu’il s’agit de sauvegarder la vie et la
dignité d’êtres humains.

Mais sa validité ne tient pas seulement à ce qu’il est l’expression d’un idéal moral transcendant à tout ordre
juridique ; elle s’explique aussi par l’intérêt réciproque et bien compris des Etats. »52

         I.       Rendre au droit humanitaire sa légitimité

Au moment où se multiplient les violations du droit humanitaire et où certains de ses règles
fondamentales sont contestées, il faut chercher à rendre au droit humanitaire son autorité en
droit naturel, sa légitimité. La légitimité fait appel à des aspects extra-juridiques, au
consensus, à la moralité ; la religion en constitue une part importante. Le terme de
« légitimité » évoque le fondement du pouvoir et l’obéissance qui lui est due, au-delà du droit
positif.53 Pour le Dictionnaire de la langue française Robert,

« Légitime évoque l‘idée d’un droit fondé sur la justice et l’équité droit supérieur que le droit positif peut
contredire. Dans ce cas, légitime, synonyme de « juste », s’oppose à légal. »54

 En ce qui concerne le droit humanitaire, il ne suffit en effet pas de constater avec satisfaction
la ratification universelle des quatre Conventions du 12 août 1949 et le développement et la
multiplication de mécanismes de mise en œuvre sur le plan national et international. Il faut
encore constater que les Conventions – et le CICR - ne seront parfois pas acceptés avant un
examen critique de leurs dispositions – et de l’action du CICR – à la lumière des traditions
religieuses dominantes dans le pays en conflit. Une synergie entre juristes et religieux pourrait
aussi permettre de sortir de querelles sur la lettre du droit humanitaire (en particulier sur le
statut du conflit, des territoires, des personnes) et d’en retrouver l’esprit, qui est de protéger,
compte tenu des circonstances, la vie et la dignité humaine de tous.

52
   Jean S. PICTET, Commentaire. La Convention pour l’amélioration du sort des blessés et des
malades dans les forces armées en campagne. Genève, CICR, 1952, pp. 10-11.
53
   ENCYCLOPEDIE UNIVERSALIS. « Légitimité », en ligne :
www.universalis.fr/encyclopedie/K103081/LEGITIMITE.htm
54
   Paul ROBERT, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris, Le Robert,
1966, Tome Quatrième, p. 68

                                                                                                                        8
A. Retrouver les racines universelles du droit humanitaire par les religions

Les dernières années du XXe siècle avaient été marquées par une suite de célébrations
d’instruments du droit positif : cinquantièmes anniversaires de la Charte des Nations Unies
(1995), de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1998), des Conventions de
Genève de 1949... Le 11 septembre 2001 a amené plusieurs Gouvernements, à commencer
par celui des Etats-Unis,55 à remettre en question les acquis humanitaires fondamentaux
de plusieurs siècles de luttes, que les instruments du droit positif avaient consacrés dans le
droit international des droits de l’homme (sur le plan universel et sur le plan régional) comme
dans le droit international humanitaire : interdiction de la torture, traitement humain des
prisonniers de guerre et des autres personnes détenues, garanties judiciaires, protection des
personnes civiles et du personnel médical et humanitaire dans sa mission en faveur des
victimes.

Cette position officieuse du National Intelligence Council américain est révélatrice d’un
désarroi devant des formes de guerre qui ne sont pas nouvelles (les Américains y avaient eu
recours durant leur Guerre d’Indépendance et avaient notamment soutenu les résistants
afghans qui luttaient contre les Soviétiques)56 et des questions de statut, que l’Article 3
commun de 1949 devrait permettre d’écarter (l’application de ses dispositions ne doit pas
avoir d’effet sur le statut des parties en conflit):57

The Rules of War: Entering “No Man’s Land”

With most armed conflict taking unconventional or irregular forms—such as humanitarian interventions and
operations designed to root out terrorist home bases— rather than conventional state-to-state warfare, the
principles covering resort to, and use of, military force will increasingly be called into question. Both the
international law enshrining territorial sovereignty and the Geneva Conventions governing the conduct of war
were developed before transnational security threats like those of the twenty-first century were envisioned. In the
late 1990s, the outcry over former Serbian President Milosevic’s treatment of Kosovars spurred greater
acceptance of the principle of international humanitarian interventions, providing support to those in the “just
war” tradition who have argued since the founding of the UN and before that the international community has a
“duty to intervene” in order to prevent human rights atrocities. This principle, however, continues to be
vigorously contested by countries worried about harm to the principle of national sovereignty. The legal status
and rights of prisoners taken during military operations and suspected of involvement in terrorism will be a
subject of controversy—as with many captured during Operation ENDURING FREEDOM in Afghanistan. A
debate over the degree to which religious leaders and others who are perceived as abetting or inciting violence
should be considered international terrorists is also likely to come to the fore. The Iraq war has raised questions
about what kind of status, if any, to accord to the increasing number of contractors used by the US military to
provide security, man POW detention centers, and interrogate POWs or detainees. Protection for
nongovernmental organizations (NGOs) in conflict situations is another issue that has become more complicated
as some charitable work—such as Wahabi missionaries funding terrorist causes—has received criticism and
enforcement action at the same time that Western and other NGOs have become “soft targets” in conflict
situations. The role of the United States in trying to set norms is itself an issue and probably will complicate

55
   Voir Stuart J. TAYLOR, “We Don’t Need to Be Scofflaws to Attack Terror. Disregarding the Geneva
Conventions will undermine the ability of the United States to wage war”, The Atlantic Monthly, 2002-
02-05 (available online on 12 December 2007 at http://www.theatlantic.com/politics/nj/taylor2002-02-
05.htm ) et Michel VEUTHEY, “Disregarding the Geneva Conventions on the Protection of War
Victims”, in Kevin M. CAHILL (Ed.), “Traditions, Values, and Humanitarian Action”, A joint publication
of Fordham University Press and The Center for International Health and Cooperation, New York,
2003, pp. 276-304
56
   Cf. Michel VEUTHEY, Guérilla et droit humanitaire, Genève, CICR, 1983, 432 p.
57
   Le dernier alinéa de l’Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 se lit
en effet ainsi : « L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique
des Parties au conflit »

                                                                                                                  9
efforts by the global community to come to an agreement on a new set of rules. Containing and limiting the scale
and savagery of conflicts will be aggravated by the absence of clear rules.58

A peine célébrées, les Conventions de Genève de 1949 ont ainsi été fondamentalement
contestées...59 Et même si l’adoption – difficilement acquise - d’un Troisième Protocole
additionnel en décembre 2005 est venue compléter ces Conventions par l’adjonction d’un
emblème protecteur supplémentaire,60 la codification de nouveaux instruments ne semble
pouvoir, dans la conjoncture internationale actuelle, n’être que très sectorielle au mieux, et, au
pire, amènerait une régression de la protection, particulièrement des civils contre les attaques
et des prisonniers soumis à interrogatoire. L’invocation de “conflits nouveaux”61 du XXIe
siècle qui rendraient les Conventions de 1949 dépassées ne tient, pour l’essentiel, pas. Et
l’utilisation de ces « conflits nouveaux » pour faire table rase des instruments existants du
droit international humanitaire demande une réponse. Cette réponse peut d’abord venir du
droit positif lui-même, comme la Cour Internationale de Justice (CIJ) et le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) l’ont fait.

L’inventaire dressé par le CICR des normes à caractère coutumier62 de leurs principes
essentiels et de certains articles, comme l’Article 3 commun de 1949 ou l’Article 75 du
Protocole I de 1977 est important : ces deux articles prévoient en effet des garanties
fondamentales applicables en temps de conflit armé international (pour l’Article 75) ou non
(pour l’Article 3, également applicable en temps de conflit international) qui s’étendent à
l’ensemble des victimes, nationales ou non. Ces garanties sont très proches de celles
accordées par les dispositions indérogeables des instruments des Droits de l’Homme.

De son côté, la CIJ a reconnu l’Article 3 comme de droit coutumier dans l’Arrêt Nicaragua.63
Plus généralement, les règles fondamentales des Conventions de Genève ont été reconnues

58
   National Intelligence Council, op.cit., p. 103. A mettre en parallèle avec cette disposition de la
Constitution américaine, citée par Leo STRAUSS, Droit naturel et histoire. Traduit de l’anglais par
Monique Nathan et Eric de Dampierre. Paris, Flammarion, 1986, p. 13) : « Nous tenons pour
évidentes en elles-mêmes ces vérités que tous les hommes naissent égaux, qu’ils ont été investis par
leur Créateur de certains Droits inaliénables parmi lesquels les droits à la Vie, la Liberté et la
recherche du Bonheur. »
59
   Cette contestation évoque de bien fâcheux précédents historiques : tant le Troisième Reich que
l’Union soviétique avaient en effet refusé l’application de la Seconde Convention de 1929 aux
prisonniers de guerre qu’ils capturaient dans leur affrontement réciproque ; les conséquences
humaines et politiques de ce déni d’humanité ont été largement ignorées face à la tragédie des civils
dans les camps de concentration et dans les territoires occupés
60
   Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à l'adoption d'un signe
distinctif additionnel (Protocole III), du 8 décembre 2005
61
   Conflits “nouveaux” par leur perception davantage que par leur nature: voir Irène HERRMANN et
Daniel PALMIERI, “Les nouveaux conflits: une modernité archaïque?”, International Review of the Red
Cross, Vol. 85, No 849 (Mars 2003), pp. 23-44. Voir aussi Renée de NEVERS, “The Geneva
Conventions and New Wars”, Political Science Quarterly, Vol. 121, Nr. 3 (2006) p. 369-379.
62
    Les règles fondamentales des Conventions de Genève de 1949, aujourd’hui universellement
ratifiées, et de leurs Protocoles additionnels constituent pour l’essentiel du droit coutumier. Le CICR
en a fait récemment un inventaire important, même s’il est parfois contesté. Voir Jean-Marie
HENCKAERTS et Louise DOSWALD-BECK, avec des contributions de Carolin ALVERMANN, Knut
DOERMANN et Baptiste ROLLE, Droit international humanitaire coutumier. Volume I: Règles. Traduit
de l’anglais par Dominique Leveillé, Bruylant, Bruxelles, 2006, 878 p.
63
   The Prosecutor v. Tadic, ICTY, Trial Chamber, 10 Aug. 1995, noting especially the same recognition
by the ICJ in Nicaragua v. United States, 1986, ICJ 4, at paras. 218, 255, 814, 823, 829-31

                                                                                                                   10
par la CIJ, dans l’Avis consultatif sur les armes nucléaires (1996) comme aussi dans l’Avis
consultatif sur le Mur israélien (2005), comme des règles coutumières:

« 157. En ce qui concerne le droit international humanitaire, la Cour rappellera que, dans son avis consultatif sur
la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, elle a indiqué qu'un grand nombre de règles du droit
humanitaire applicable dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et
pour des considérations élémentaires d'humanité..., qu'elles s'imposent ... à tous les Etats, qu'ils aient ou non
ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu'elles constituent des principes intransgressibles
du droit international coutumier (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79). De l'avis de la Cour, les règles en
question incorporent des obligations revêtant par essence un caractère erga omnes. » 64

La réaffirmation de l’importance, en droit positif, des règles fondamentales du droit
humanitaire par la CIJ et par le CICR (s’appuyant sur une longue et large consultation
d’experts) ne suffit plus : il y a aujourd’hui nécessité de ré-ancrer les règles et principes du
droit international humanitaire dans les différentes traditions religieuses et culturelles pour en
assurer la compréhension universelle, l’application et la mise en œuvre en s’appuyant sur la
« conscience publique ».

Le lien entre religions et droit international humanitaire n’est en effet pas seulement
historique.65 Lors du 50e anniversaire des Conventions de Genève de 1949, le CICR avait
mené une étude sur les motivations qui pouvaient amener combattants et populations civiles à
respecter le droit humanitaire. 66 Un facteur relevé par les enquêteurs - déjà évoqué
notamment par le Professeur Roger Fisher67 près de vingt ans auparavant dans son étude sur
le droit international en général - avait été celui des convictions religieuses :

« For the great majority of people in these countries, war must have limits. It is an unconditional principle,
rooted in norms with diverse origins. International law and conventions are mentioned often, but for the most
part, people root their norms in a notion of human dignity or in religion, traditions or a personal code.

· A majority of the respondents across all the settings say that human dignity lies at the centre of their beliefs
that certain actions are wrong. Focus group participants and in-depth interviewees frequently spoke of the need
to retain “humanness” in settings where state structures and law are faltering and barbaric behaviour are
becoming commonplace.

· A very large bloc of people – 37 per cent – say that certain actions are wrong because they contradict their
religious beliefs. This is particularly true in areas where Islam is a strong presence: Afghanistan (78 per cent),
among Muslims in Lebanon (71 per cent) and among Palestinians (80 per cent).

64
    Conséquences juridiques de l’édification d’un mur en territoire palestinien occupé, CIJ, avis
consultatif, 9 juillet 2004, disponible en ligne: http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1670.pdf
65
    Voir Carolyn EVANS, “The Double-Edged Sword: Religious Influences on International
Humanitarian Law”, Melbourne Journal of International Law, 2005. Disponible en ligne:
http://www.austlii.edu.au/au/journals/MelbJIL/2005/1.html
66
   International Committee of the Red Cross, People on War. ICRC worldwide consultation on the
rules of war. Country Report. Parallel Research Program, ICRC, Geneva, 1999, 125 p. ad p. 5. Voir le
résumé en anglais disponible en ligne:
http://www.icrc.org/Web/Eng/siteeng0.nsf/htmlall/p0758/$File/ICRC_002_0758.PDF!Open
67
    Roger FISHER, Improving Compliance with International Law, University of Virginia Press,
Charlottesville, 1981, 370 p. ad p. 143 (cité par William BRADFORD, “In the Minds of Men: A Theory
of Compliance with the Laws of War”, Bepress Legal Series, Year 2004, Berkeley, CA, Paper 290, 121
p. ad p. 17 n. 139. Disponible en ligne: http://law.bepress.com/expresso/eps/290/

                                                                                                                     11
· Many people in these settings draw on a “personal code”, mentioned by 31 per cent of all respondents. This is
particularly important for Israelis (73 per cent), for white South Africans (50 per cent) and Somalis (53 per
        68
cent).”

et, plus loin:

· The one area in which people everywhere are clear on the limits in war is the destruction of religious, cultural
and historical sites to weaken the enemy. More than 80 per cent of the people who have lived through conflict
                                       69
reject combatants targeting such sites.

Trois juristes internationaux ont successivement plaidé pour l’inclusion du facteur religieux
dans le droit international : un Américain de confession israélite, Richard Falk, en 2001, un
Tunisien musulman, Yadh Ben Achour, et un Sri Lankais chrétien. Le Juge Christopher
Weeramantry, du Sri Lanka, a publié en 2004 un ouvrage qui pourrait être une importante
contribution au débat juridique de l’après 11 septembre.70 Il propose une approche
interdisciplinaire pour universaliser le droit international par un dialogue avec les religions.
C’est aussi l’approche du Professeur Yadh Ben Achour, juriste international tunisien, dans
son étude sur le rôle des civilisations dans le système international.71

En 2004, le CICR a publié une étude sur Les origines du comportement en temps de guerre:
comprendre et prévenir les violations du droit international humanitaire. Le constat au coeur
de cette étude montre très clairement une bipolarité entre une approche religieuse et une
conception profane qu’on serait tenté de qualifier d’opposition entre Orient et Occident
:

“Les références morales invoquées par les personnes interrogées pour expliquer leur adhésion aux normes du
DIH sont ancrées culturellement. Ces références morales s’organisent principalement dans une distinction entre
les communautés qui se réclament de principes religieux et celles qui se réfèrent davantage à des traditions
séculières.”72

Devant les limites mises par les Etats et par les acteurs non-étatiques à l’application et à la
mise en oeuvre du droit international humanitaire positif dans les conflits contemporains,73 on
est tenté mutatis mutandis de citer Max Huber, qui déclarait le 15 mai 1952 sur “Le droit des
gens et la personne humaine”:

“Le positivisme, issu des sciences de la nature, a, depuis le milieu du XIXe siècle, éliminé de plus en plus de la
jurisprudence et du droit des gens l’idée de droit naturel, jusqu’à ce que dans les dernières décennies, la
dégénérescence du droit positif que l’on a constatée dans les Etats totalitaires ait poussé l’esprit public à aspirer

68
   Ibid. p. x
69
   Ibid. p. xii
70
    Christopher WEERAMANTRY, Universalising International Law. Leiden, Nijhoff, 2004, 538 p.
71
   Yadh BEN ACHOUR, Le rôle des civilisations dans le système international : Droit et relations
internationales. Bruxelles, Emile Bruylant, 2003, 324 p.
72
    Daniel MUNOZ-ROJAS et Jean-Jacques FRESARD, Origines du comportement dans la guerre.
Comprendre et prévenir les violations du droit international humanitaire, CICR, Genève, 2004, 16 p.,
p. 5
73
   Voir notamment Le Rapport de la CIA.. Comment sera le monde en 2020. Présenté par Alexandre
Adler, Laffont, Paris, 2005, 268 p. ad pp. 234-235-236 (“Les lois de la guerre: l’entrée dans le no
man’s land”). L’original anglais de ce rapport (NATIONAL INTELLIGENCE COUNCIL, Mapping the
Global Future. Report of the National Intelligence Council’s 2020 Project. Based on consultations with
nongovernmental experts around the world. Philadelphia, PA, USGPO, 2004, 123 p. est disponible en
ligne : http://www.foia.cia.gov/2020/2020.pdf . Voir p. 103 “The Rules of War: Entering “No Man’s
Land”

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