64 journal de l'adc association pour la danse contemporaine genève

 
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septembre — décembre 2014 — adc / association pour la danse contemporaine — salle des eaux-vives — 82 - 84 rue des eaux-vives − 1207 genève

                                                               64
                                                               journal de l’adc
                                                               association pour la danse contemporaine
                                                               genève
à l’affiche József Trefeli et Mike Winter −− Cindy Van Acker

Sankai Juku −− Ioannis Mandafounis −− Aurélien Bory
                Amagatsu, le signe blanc de Sankai Juku

focus rencontre avec Anne Emery-Torracinta
dossier Ushio

                                                                                                                                                                                    P.P.
                                                                                                                                                                                1207 Genève
2 / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014                                                                                                                                                                                                                                                                          3

                                                                                                                                             dossier                            focus

                                                                                                                                             4 − 13                             27 − 29
                                                                                                                                             Ushio Amagatsu,                    Entretien avec Anne
                                                                                                                                             le signe blanc                     Emery-Torracinta
                                                                                                                                             La compagnie japonaise             La Conseillère d’Etat en
                                                                                                                                             Sankai Juku et son choré-          charge de la culture porte
                                                                                                                                             graphe Ushio Amagatsu              un regard mitigé sur les
                                                                                                                                             sont de passage à Genève.          premiers mois de sa
                                                                                                                                             Plusieurs rendez-vous              législature et nous dessine
                                                                                                                                             permettent d’appréhender           un avenir inquiétant.
                                                                                                                                             l’esthétique singulière
                                                                                                                                             d’Amagatsu. Notre dossier
                                                                                                                                             se penche sur cette figure
                                                                                La carte postale                                             majeure de la danse butô.
                                                                             reçue à l’adc le 4 juillet 2014

                                                                                                                                             à l’affiche                        carnet de bal                        histoires de corps                              édito

                                                                                                                                             16 − 17                            29 − 31                              34                                              Si polis, si sages
                                                                                                                                             UP                                 ce que font les                      une danseuse se
                                                                                                                                                                                                                                                                     Cet été, la Conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta, en
                                                                                                                                             József Trefeli                     danseurs genevois                    raconte en trois
                                                                                                                                                                                                                                                                     charge de la culture depuis l’automne dernier, nous a re-
                                                                                                                                             et Mike Winter                     et autres nouvelles                  mouvements :                                    çus dans son bureau. C’était notre premier rendez-vous
                                                                                                                                                                                de la danse                          Pauline Wassermann                              avec elle. Pour notre journal, nous souhaitions nous entre-
                                                                                                                                             18 − 19                                                                                                                 tenir des prochains enjeux, mais aussi connaître la vision
                                                                                                                                             Diffraction                                                                                                             culturelle de l’Etat pour les années à venir.
                                                                                                                                             Cindy Van Acker                    bus, livres, chronique               mémento                                               Lorsque nous entrons dans son bureau le 1er juillet,
                                                                                                                                                                                                                                                                     la Conseillère d’Etat est détendue. C’est la fin de la jour-
                                                                                                                                                                                32 − 33                              35                                              née, elle a du temps pour nous. Ses notes sont posées sur
                                                                                                                                             20 − 21                            les deux bus en-cas                  lieux choisis en                                sa table, nous enclenchons notre enregistreur. Nous res-
                                                                                                                                             ApersonA                           de l’automne                         Suisse et en France                             terons plus d’une heure avec elle (voir pages 26 à 28). Une
                                                                                                                                             Ioannis                                                                 voisine et les
                                                                                                                                                                                                                                                                     heure au cours de laquelle la magistrate se montrera vive,
                                                                                                                                             Mandafounis                        les dernières                                                                        disponible et affable.
                                                                                                                                                                                                                     festivals de l’été                                    Quand nous la quittons, nous nous sentons pour-
                                                                                                                                                                                acquisitions
                                                                                                                                                                                                                                                                     tant bizarrement abattus. Certes, le mauvais film qui nous
                                                                                                                                             22 − 23                            du centre de                                                                         a été présenté — la dette, le régime d’austérité, le parle-
                                                                                                                                             Plexus                             documentation de                                                                     ment imprévisible — n’a rien de réjouissant. Mais notre
                                                                                                                                             Aurélien Bory                      l’adc                                                                                abattement a une autre origine. Une fois encore, nous
                                                                                                                                                                                                                                                                     sommes de trop bons élèves, pris au piège du filet de la
                                                                                                                                                                                                                                                                     bonne volonté et de l’assiduité au dialogue. Depuis
                                                                                                                                                                                la chronique
                                                                                                                                                                                                                                                                     quelques années, le politique, en jouant le jeu de la
                                                                             La plage d’Ostende                                                                                 sur le gaz                                                                           consultation, en répétant le discours de l’impuissance
                                            Cindy Van Acker, chorégraphie pour 53 danseurs de P.A.R.T.S pour le festival Expeditie Dansand                                      de Claude Ratzé                                                                      bienveillante, ou encore en nous démontrant, powerpoint
                                                                                                                                                                                                                                                                     à l’appui, comment les intérêts de la dette sont à craindre
                                                                                                                                                                                                                                                                     plus que la dette elle-même, nous aurait-il lentement ino-
                                                                                                                                                                                                                                                                     culé une forme d’autocensure ?
                                                                                                                                                                                                                                                                           En sortant de ce rendez-vous, nous sommes encore
                                                                                                                                                                                                                                                                     lourds de non-dits. Entre autres choses, nous n’avons pas
                                                                                                                                                                                                                                                                     réussi à savoir quelle était la vision d’Anne Emery-
                                                                                                                                                                                                                                                                     Torracinta d’une politique culturelle désirable. Nous
                                                                                                                                                                                                                                                                     n’avons pas parlé de notre projet culturel et artistique, ni
                                                                                                                                                                                                                                                                     de notre nécessaire développement, de nos envies et be-
                                                                                                                                                                                                                                                                     soins prochains et lointains. Dans le pli de la prudence,
                                                                                                                                                                                                                                                                     qui contamine qui : la magistrate semble se brimer elle
                                                                                                                                                                                                                                                                     aussi. Elle nous explique pourquoi dans l’entretien que
                                                                                                                                             Association pour la danse          Ont collaboré à ce numéro :          Photo de couverture :
                                                                                                                                             contemporaine (adc)                Gregory Batardon, Anne Davier, Guy   UP de József Trefeli et Mike Winter.            nous avons retranscrit.
                                                                                                                                             Rue des Eaux-Vives 82−84           Delahaye, Alexandre Demidoff,        Photo : Grégory Batardon                              Avec l’autocensure, l’imaginaire va diminuant. Il va
                                                                                                                                             1207 Genève                        Hélène Mariéthoz, Aloys Lolo,
                                                                                                                                             tél. + 41 22 329 44 00             Sylviane Pagès, Michèle Pralong,
                                                                                                                                                                                                                     L’adc bénéficie du soutien de
                                                                                                                                                                                                                     la Ville de Genève et de la République
                                                                                                                                                                                                                                                                     pourtant falloir retrouver de la vigueur et réaffirmer la né-
                                                                                                                                             fax + 41 22 329 44 27              Claude Ratzé, Sonja Schoonejans,     et canton de Genève.                            cessité culturelle, choisir les formes de combats que l’on
                                                                                                                                             www.adc-geneve.ch                  Cécile Simonet
                                                                                                                                                                                                                     Ce journal est réalisé sur du papier recyclé.   pourra mener, travailler politiquement sur de nouveaux
                                                                                                                                             Responsable de publication :       Graphisme : Silvia Francia, blvdr
                                                                                                                                             Claude Ratzé                       Impression : SRO Kundig                                                              systèmes financiers et reconquérir des espaces d’expéri-
                                                                                                                                             Rédactrice en chef : Anne Davier   Tirage : 8’000 exemplaires,
                                                                                                                                             Comité de rédaction : Caroline     septembre 2014
                                                                                                                                                                                                                                                                     mentations et de liberté.
                                                                                                                                             Coutau, Anne Davier, Thierry                                                                                            Anne Davier
                                                                                                                                                                                Prochaine parution :
                                                                                                                                             Mertenat, Claude Ratzé
                                                                                                                                                                                janvier 2015
                                                                                                                                             Secrétariat de rédaction :
                                                                                                                                             Manon Pulver
4 / dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014                                                                                                                                                                dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014 /   5

                                                                   Ushio Amagatsu —
                                                                                                                                                                  reuse. La danse butô était née, elle      l’interprète. Alors qu’Hijikata n’avait
                                                                                                                                                                  allait très vite symboliser la moder-     jamais quitté le Japon, les danseurs
                                                                                                                                                                  nité chorégraphique japonaise.            de la deuxième génération, dont cer-
                                                                                                                                                                                                            tains s’installent aux Etats-Unis ou

                                                                     le signe blanc
                                                                                                                                                                      Certes, dans cette recherche          en Europe, essaiment la danse butô
                                                                                                                                                                  d’une nouvelle identité les in-           dans le monde entier.
                                                                                                                                                                  fluences et les filiations sont bien           Ko Morobushi, ancien élève de
                                                                                                                                                                  plus larges et plus complexes. S’il y     Hijikata dont il est considéré comme
                                                                                                                             Ushio Amagatsu dans Kinkan Shonen,   a rejet des valeurs traditionnelles et    le véritable héritier, mène une re-
                                                                                                                             1978 — Photo : Guy Delahaye
                                                                                                                                                                  des codes d’une morale en faillite, la    cherche toujours plus approfondie
                                                                                                                                                                  danse butô reprend néanmoins cer-         sur les racines japonaises tout en

                                                                                                                              L’obscure                           tains traits caractéristiques du
                                                                                                                                                                  théâtre nô comme par exemple l’ex-
                                                                                                                                                                                                            s’ouvrant à tous les courants de la
                                                                                                                                                                                                            danse contemporaine. Akaji Maro,
                                                                         Ushio Amagatsu est aujourd’hui l’un des
                                                                         chorégraphes et danseurs les plus impor-             beauté du                           trême lenteur des mouvements.
                                                                                                                                                                  Cette ambiguïté vis-à-vis du passé
                                                                                                                                                                                                            lui aussi élève de Hijikata, privilégie
                                                                                                                                                                                                            l’outrance et la parodie. Avec sa
                                                                         tants du butô. Né en 1949, il appartient à la
                                                                         deuxième génération du butô, appelée                    butô                             nippon qui oscille entre amour et
                                                                                                                                                                  aversion, entre rejet et assimilation,
                                                                                                                                                                  entre haine et fascination, se re-
                                                                                                                                                                                                            troupe Dairakudakan, qu’il a créé
                                                                                                                                                                                                            avec sept autres danseurs, dont
                                                                                                                                                                                                            Amagatsu, il réalise une fusion entre
                                                                         aussi « danse des ténèbres ». Sa compagnie            par Sonia Schoonejans
                                                                                                                                                                  trouve aussi dans l’attitude face à       le théâtre et la danse butô. C’est
                                                                         Sankai Juku, créée en 1975, l’a fait connaître                                           l’Occident : la première génération       avec lui qu’on voit pour la première
                                                                         dans le monde entier. On dit de lui qu’il au-    Pour désigner la grande diversi-        de danseurs butô — celle de Hijikata      fois des danseurs au corps poudré
                                                                         rait soufflé sur les corps poudrés des avant-    té de cette danse, on met volon-        et de Kazuo Ohno — a pu voir les ex-      et au crâne rasé.
                                                                         gardistes et trouvé l’équilibre avec les         tiers butô au pluriel. Nous avons       pressionnistes allemands en tour-              Carlotta Ikeda introduit l’élément
                                                                         formes contemporaines du spectacle occi-         demandé à Sonia Schoonejans             née au Japon durant la décennie           féminin dans un univers jusqu’ici
                                                                                                                          de déployer son regard sur les          1920-1930, comme Mary Wigman              presque exclusivement masculin.
                                                                         dental, se rapprochant, pourquoi pas, de
                                                                                                                          butôs, du père fondateur Hijikata       ou le couple Harald Kreutzberg et         En 1972, elle crée avec Ko Moro-
                                                                         Peter Brook ou de Bob Wilson.                    à Sankai Juku, et de nous délivrer      Yvonne Georgi. Ils ont été frappés        bushi une troupe de jeunes femmes,
                                                                                                                          un condensé d’histoire.                 par la modernité de cette « danse         Ariadone.

                                                                                                                          L
                                                                         Notre dossier permet de mieux comprendre                    a pièce considérée com-      libre ». Ils en ont retenu la force ex-        Ushio Amagatsu, lui, va s’éloi-
                                                                         l’esthétique singulière de l’œuvre de Sankai                me fondatrice du butô        pressive. Le choc de la bombe, l’in-      gner de la violence originelle pour
                                                                         Juku et, plus largement, du butô. Son ori-                  s’appelle Kinjiki. Elle a    fluence d’une certaine littérature        insuffler au butô davantage de spiri-
                                                                                                                                     été créée en 1959 par        française « maudite » tel Lautréa-        tualité et d’esthétisme. Avec son
                                                                         gine underground, sa réception en France
                                                                                                                                     Tatsumi Hijikata, adaptée    mont, Antonin Artaud ou Jean Genêt        groupe créé en 1975, Sankai Juku
                                                                         dans les années quatre-vingt, son impact         du roman de Yukio Mishima, mais         et le climat de révolte en ont accen-     (« atelier de la montagne et de la
                                                                         sur la scène contemporaine occidentale.          aussi inspirée par les écrits du Mar-   tué le côté sombre et morbide.            mer ») dont les membres sont tous
                                                                         Les raisons d’être de ses codes tels que les     quis de Sade. Kinjiki est une perfor-       Le corps butô de la première gé-      des hommes, il va élaborer une ges-
                                                                         corps blancs ou la lenteur, et les forces qui    mance assimilable à celles des          nération est un corps souffrant,          tuelle de plus en plus stylisée.
                                                                         travaillent ses corps, comme la fragilisation    actionnistes viennois et plus géné-     transgressif et résistant, où la provo-
                                                                         de la posture et l’abaissement des centres       ralement du body art, qui occupaient    cation et l’orgiaque sont de mises, Sonia Schoonejans a créé la collection
                                                                                                                          les scènes alternatives américaines     dans une tentative d’abolir toute dis- «L’art de la danse» aux éditions Actes sud
                                                                         de gravité.
                                                                                                                          et européennes dans les mêmes           tance entre le public et le danseur, et «Territoires de la danse» aux éditions
            Ushio Amagatsu — Photo : Kazumi Kurigami
                                                                                                                          années. Même utilisation violente,      entre l’art et la vie. Le beau se mêle Complexes. Elle est l’auteure de la série
                                                                         Amagatsu et ses huit danseurs masculins          crue et radicale d’un corps devenu      au grotesque, l’austérité à l’érotisme, documentaire Un siècle de danse et
                                                                         font une halte à Genève. Au cœur de l’évé-       vecteur de rébellion. Dans Kinjiki      le prosaïque au poétique. Le lan- donne la conférence dans le cadre de
                                                                         nement, l’accueil d’une pièce récente de         (qui signifie « amours interdites »),   gage corporel est minimal. Le plus l’accueil de Sankai Juku (voir p.12).
                                                                                                                          Hijikata met en scène un adolescent     souvent nus, les corps sont crispés,
                                                                         Sankai Juku au Bâtiment des forces mo-
                                                                                                                          simulant l’accouplement avec une        arqués, mais il n’existe pas encore
                                                                         trices, une conférence, une projection de        poule qu’il égorge avant d’être lui-    de style déterminé, quoique Hijikata
                                                                         deux films, une masterclass et un « brunch       même violé par un adulte. Le happe-     mette au point une série d’exercices                                                        Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno, Hommage à
                                                                                                                                                                                                                                                              La Argentina, 1977 — Photo : Naoya Ikegami
                                                                         bavard » avec Ushio Amagatsu. Une se-            ning ne durait que cinq minutes         réunis en une méthode qu’il intitule-
                                                                         maine d’exception pour s’immerger dans           mais provoqua un énorme scandale        ra butô-fu.
                                                                         l’esprit du butô.                                que l’homosexualité explicite de la
                                                                                                                          pièce ne faisait qu’accentuer. Mishi-   Un butô apaisé
                                                                                                                          ma lui-même intervint pour dé-          Dans les années septante, une nou-
                                                                                                                          fendre l’interprétation théâtrale de    velle génération d’artistes s’empare
                                                                                                                          Hijikata, ce qui fit immédiatement      de la danse butô, la fait évoluer et la
                                                                                                                          connaître le chorégraphe et installa    diversifie en opérant des change-
                                                                                                                          définitivement sa réputation sulfu-     ments dans l’identité corporelle de
6 / dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014                                                                                                                                                                                            dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014 /   7

                                                                                           « Le désir               Quand le butô arrive en France, il
                                                                                                                    devient très rapidement un évé-
                                                                                                                                                             Qu’est-ce qui a le plus marqué
                                                                                                                                                             les esprits des premiers spec-
                                                                                                                                                                                                        butô se font à la fin des années cin-
                                                                                                                                                                                                        quante et surtout dans le contexte

                                                                                          d’exotisme                nement médiatique et artistique
                                                                                                                    fascinant, mais aussi propice aux
                                                                                                                                                             tateurs de butô en France ?
                                                                                                                                                             Avant tout, ce sont les signes du butô.
                                                                                                                                                                                                        d’effervescence artistique et poli-
                                                                                                                                                                                                        tique des avant-gardes des années

                                                                                              s’est                 malentendus. La chercheuse Syl-
                                                                                                                    viane Pagès tente de déconstruire
                                                                                                                                                             La nudité, la couleur blanche, le crâne
                                                                                                                                                             rasé sont immédiatement repérés et
                                                                                                                                                                                                        soixante. Bien sûr toute la société ja-
                                                                                                                                                                                                        ponaise est marquée par les explo-

Kinkan Shonen, reprise en 2010 — Photo : Guy Delahaye                                    incarné dans               les représentations dominantes de
                                                                                                                    cette danse, comme par exemple
                                                                                                                                                             nommés pour signifier cette étrange-
                                                                                                                                                             té. En revanche, les forces en jeu,
                                                                                                                                                                                                        sions atomiques de 1945, mais le
                                                                                                                                                                                                        lien entre les artistes butô et Hiroshi-

                                                                                             le butô                son association systématique à
                                                                                                                    Hiroshima. Avec un regard précis
                                                                                                                                                             comme la corporéité propre au butô,
                                                                                                                                                             sont beaucoup moins analysées.
                                                                                                                                                                                                        ma est plus complexe. Ils n’ont du
                                                                                                                                                                                                        moins pas la volonté d’évoquer et de
                                                                                                                                                                                                                                                    Ushio Amagatsu dans Utsuri, 2003 — Photo : Guy Delahaye

                                                                                                et                  sur le geste, elle relève toute la
                                                                                                                    proximité du butô avec la danse          Le butô découvert en France
                                                                                                                                                                                                        représenter ce cataclysme sur
                                                                                                                                                                                                        scène, excepté un seul danseur,

                                                                                           le Japon »               contemporaine.                           au début des années quatre-
                                                                                                                                                             vingt est-il le même que celui
                                                                                                                                                                                                        Ôsuka Isamu. Tous les autres ne re-
                                                                                                                                                                                                        vendiquent aucun lien direct avec cet

                                                                                                                    J
                                                                                                                                ournal de l’adc : Le         qui se pratiquait alors au Japon ?         événement ; au contraire, ils ne
                                                                                                   entretien avec               butô est arrivé en           Il n’est pas différent. En réalité, plu-   cessent de s’en défendre. C’est plu-
                                                                                                   Sylviane Pagès               Occident par la              sieurs esthétiques butô arrivent en        tôt le contexte d’après-guerre qui se-
                                                                                                                                France, n’est-ce pas ?       France, issues de différentes géné-        rait à envisager ici, et qui ne se limite
                                                                                                                                Sylviane Pagès : En          rations. Mais certains artistes sont       pas aux explosions atomiques. Pour-
                                                                                                                    1978, le Carré Montfort puis le Festi-   privilégiés dans les choix de pro-         tant en France, ce stéréotype appa-
                                                                                                                    val d’automne consacrent chacun un       grammation par rapport à d’autres.         raît dès le premier article de presse
                                                                                                                    temps fort sur le butô, qui marque le    C’est le cas de Ushio Amagatsu et          écrit dans Libération en 1978. Il est
                                                                                                                    début de l’histoire du butô en           de sa compagnie Sankai Juku, mais          repris sans cesse depuis.
                                                                                                                    France. Il y a bien eu, auparavant,      aussi de Carlotta Ikeda, Kazuo Ôno
                                                                                                                    quelques invitations d’artistes japo-    ou encore Kô Murobushi. Tatsumi            Comment le champ de la
                                                                                                                    nais, notamment au festival de Nan-      Hijikata, pourtant fondateur du butô,      danse contemporaine fran-
                                                                                                                    cy mais non repérés sous le label        connaît moins de succès et passe           çaise des années quatre-vingt
                                                                                                                    butô et passés relativement inaper-      quasi inaperçu en France. Deux de          accueille-t-elle le butô ?
                                                                                                                    çus. C’est donc véritablement à Pa-      ses pièces sont diffusées en 1978 et       Il lui ouvre les bras ! Les lieux qui
                                                                                                                    ris en 1978 que le butô est reçu         1983, sans que lui ne se déplace en        programment le butô se multiplient
                                                                                                                    comme un événement, à la fois mé-        France. La compagnie Dairakudakan          très vite. Si au début ce sont les
                                                                                                                    diatique, artistique et public.          d’Akaji Maro est elle-aussi invitée        théâtres et les structures pluridisci-
                                                                                                                                                             plusieurs fois mais sans rencontrer,       plinaires qui permettent sa décou-
                                                                                                                    D’emblée, l’accueil a été                jusqu’il y a peu, beaucoup de suc-         verte, le butô se diffuse ensuite de
                                                                                                                    enthousiaste…                            cès. Son butô, marquée par l’esthé-        plus en plus dans le domaine de la
                                                                                                                    Oui, l’accueil a été exceptionnel. Les   tique ero guro, mélange d’érotisme         danse contemporaine, qui se l’ap-
                                                                                                                    articles de presse de l’époque sont      et de grotesque, est davantage sar-        proprie, reconnaissant rapidement
                                                                                                                    unanimes, tous parlent d’un « choc ».    castique, avec parfois un côté             le travail corporel qui est en jeu.
                                                                                                                    Ensuite, les programmations butô se      presque kitsch, qui a rendu sa récep-
                                                                                                                    sont enchaînées. Entre 1978 et 1985,     tion en France plus difficile.             Et quels sont les effets du
                                                                                                                    la plupart des danseurs butô de                                                     butô sur l’esthétique de la
                                                                                                                    l’époque ont été invités en France, y    Tout ne plaît pas dans le butô.            danse en France ?
                                                                                                                    compris Sankai Juku. C’est le début      Il y aurait donc eu une forme              Je parlais tout à l’heure d’un choc
                                                                                                                    d’un phénomène de fascination.           de sélection artistique ?                  esthétique et des signes immédiate-
                                                                                                                                                             Oui, la France a privilégié un butô        ment repérables par le public,
                                                                                                                    Qu’est-ce qui a provoqué                 sérieux et grave, qui répondait aux        comme la lenteur ou le corps blanc.
                                                                                                                    ce choc ?                                horizons d’attentes du public fran-        Les danseurs, eux, perçoivent forte-
                                                                                                                    Il s’agit du choc que l’on peut res-     çais, voulant voir dans le butô une        ment les forces du butô qui sont en
                                                                                                                    sentir face à une étrangeté. Face à      incarnation d’Hiroshima. Ce stéréo-        jeu, et principalement la fragilisation
                                                                                                                    leur incompréhension, les journa-        type du butô né sur les cendres            de la posture et de la verticalité. Avec
                                                                                                                    listes n’ont pu que rendre compte        d’Hiroshima a encore aujourd’hui la        le butô, on assiste à un affaissement
                                                                                                                    de leur réaction sensible. Ils ont ré-   vie dure.                                  des corps sur scène et un abaisse-
                                                                                                                    digé des récits de spectateur, avec                                                 ment des centres de gravité, qui pri-
                                                                                                                    une écriture critique qui s’est inven-   Entre la naissance du butô et              vilégient des postures accroupies
                                                                                                                    tée au fur et à mesure, très poétique    Hiroshima, il n’y a rien à voir ?          ou au ras du sol.
                                                                                                                    et métaphorique et qui marque en-        Il y a un premier malentendu chrono-
                                                                                                                    core aujourd’hui la façon dont on        logique. Les discours critiques n’ont      Cette fragilisation de la pos-
                                                                                                                    écrit sur le butô.                       cessé de présenter le butô comme           ture et de la verticalité propre
                                                            Kinkan Shonen, 1978 — Photo : Guy Delahaye
                                                                                                                                                             né sur les cendres de Hiroshima. Or        au butô est-elle si étonnante
                                                                                                                                                             les premières expérimentations du          pour la danse au début des
8                                                                                                                                                                                                                                                                                      dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014 /     9

                                                                                                                                                                                                                        ter très régulièrement les artistes      naises. Rappelez-vous L’empire des
                                                                                                                                                                              Ce regard exotique est-il                 butô. Peut-être y a-t-il eu un petit     signes de Roland Barthes en 1970 :
             Ushio                                                                                                                                                            justifié ?                                tassement dans les programma-            le Japon a fasciné, au-delà d’un quel-                        à lire…
           Amagatsu                                                                                                                                                           Encore un malentendu ! Dans les           tions autour des années quatre-          conque effet de mode.
            en cinq                                                                                                                                                           discours, on lit souvent que le butô      vingt dix, mais cela a repris depuis.    Propos recueillis par Anne Davier                    Livres disponibles sur Ushio
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Amagatsu et Sankai Juku dans
             dates                                                                                                                                                            est une danse rituelle. Mais c’est un     Dans les années 2000, un dévelop-                                                            notre centre de documentation
                                                                                                                                                                              lieu commun que d’accoler à une           pement conséquent de la scène
                                                                                                                                                                                                                                                                 Sylviane Pagès est enseignante-                    —— Dialogue avec la gravité, Ushio
              —— 1949 ——                                                                                                                                                      danse non occidentale le terme « ri-      butô s’est encore produit, avec une                                                          Amagatsu, Actes Sud, collection
       Ushio Amagatsu naît un 31                                                                                                                                                                                                                                 chercheuse en danse à l’université Paris             « Le souffle de l’esprit », 2000
                                                                                                                                                                              tuel » ou parfois même « tradition-       nouvelle génération d’artistes plus
  décembre, à Yokosuka, une petite                                                                                                                                                                                                                               8 et assure la direction du département
  ville de pêcheurs. Contrairement à                                                                                                                                          nel ». Le butô est une danse d’avant-     jeunes, qui vivent entre France et Ja-   danse de 2013 à 2015. Elle est l’auteure          —— Sankai Juku Amagatsu Delahaye
      certains parents japonais qui                                                                                                                                           garde des années soixante, donc au        pon, ou s’installent en France. On a                                                       (nouvelle édition), photographies de
 préféraient que leur enfant naisse le                                                                                                                                                                                                                           d’un ouvrage à paraître en 2015, Le butô            Guy Delahaye, Actes Sud, 2003
     1er janvier, signe d’un nouveau                                                                                                                                          sens anthropologique, il n’est pas à      également redécouvert Tatsumi Hiji-      en France, malentendus et fascination
        départ, et modifiaient en                                                                                                                                             proprement parler un rituel.              kata, notamment grâce à une publi-                                                           —— Ushio Amagatsu, des rivages
conséquence la date de naissance, les
                                                                                                                                                                                                                                                                 aux éditions du Centre national de la
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    d’enfances au butô de Sankai Juku,
        siens ne la changent pas.                                                                                                                                                                                       cation dirigée par Odette Aslan aux      danse.                                              propos recueillis par Kyoko Iwaki,
 « Fin d’une année, mais début d’une                                                                                                                                          Suite à la découverte de cette            éditions du CNRS qui permet de dé-                                                                   Actes Sud, 2013
 autre et d’un nouveau cycle », glisse
   en souriant le chorégraphe, dont                                                                                                                                           danse, est-ce que les danseurs            couvrir le butô à ses débuts et des      Les photos ont été réalisées par le photo-
   chaque pièce semble faire le tour                                                                                                                                          français sont partis au Japon ?           films rares, sur les performances        graphe français Guy Delahaye. Celui-ci a
                d’un cercle.                                                                                                                                                                                                                                     eu l’occasion de pendre de nombreux cli-
                                                                                                                                                                              En 1982, Catherine Diverrès et Ber-       des années 1960 et les pièces des
             —— 1978 ——                                                                                                                                                       nado Montet sont partis les premiers      années 1970, sont dorénavant proje-      chés de Sankai Juku et Ushio Amagatsu
Tout jeune chorégraphe — il fonde sa
                                                                                                                                                                              au Japon pour travailler avec Kazuo       tés, notamment à la Cinémathèque         depuis leur début en France. Il a eu l’ama-
     compagnie en 1975 —, Ushio
                                                                                                                                                                                                                                                                 bilité de nous en livrer quelques-unes pour
  Amagatsu conçoit et danse Kinkan                                                                                                                                            Ohno. Ce voyage a été fondateur et        de la danse.
Shonen (« graine de kumquat »), où un                                                                                                                                                                                                                            notre journal.
  enfant qui lui ressemble remonte le
                                                                                                                                                                              marquant, il a remis en cause leur
temps jusqu’aux origines aquatiques                                                                                                                                           conception de la danse et a inauguré      Finalement, le butô d’Hijikata
  de la vie. « Je suis né au bord de la
 mer et je me retrouve toujours sur la
                                                                                                                                                                              une série d’autres voyages de nom-        séduit…
  plage de mon enfance, raconte-t-il.                                                                                                                                         breux artistes au Japon. Ce mouve-        Et il a pas mal d’effets sur la danse
    Ce spectacle était directement
                                                                                                                                                                              ment récurrent et régulier par la         contemporaine. Boris Charmatz,
 inspiré par ce moment de ma vie. » Il
   a dansé Kinkan Shonen pendant                                                                                                                                              suite ne s’est jamais arrêté. Il faut     dans La danseuse malade, exhume
                quinze ans.                                                                                                                                                   rappeler que dans les années              en quelque sorte ses textes, très
             —— 1980 ——                                                                                                                                                       quatre-vingt, pour les danseurs, le       peu connus. Julia Cima interprète
Le danseur et sa compagnie arrivent                                                                                                                                           voyage se fait essentiellement en di-     dans Visitations l’un de ses solos. De
      à Paris. Ushio Amagatsu est
 programmé au Carré Silvia-Monfort                                                                                                                                            rection de New York, et principale-       nouveaux désirs de butô appa-
                                                                     Ushio Amagatsu dans Kinkan Shonen, 1978 — Photo : Guy Delahaye
    et dans la foulée au Festival de                                                                                                                                          ment pour se former ou suivre un          raissent dans les années 2000 et
Nancy, et au Festival d’Avignon, etc...
  « La situation était difficile pour les                                                                                                                                     stage dans le studio de Merce Cun-        des citations apparaissent comme
jeunes artistes à Tokyo, explique-t-il.                                                                                                                                       ningham. L’envers du voyage à New         dans le travail de Xavier Leroy dans
Il y avait peu de lieux où se produire.
Danser à Paris a été la chance de ma        années quatre-vingt ?                      Mais est-ce vraiment nou-                      Le butô permet-il de relire             York, c’est le Japon. Là-bas, on allait   Autre produit de circonstances. Au-
     vie. Venus pour un mois, nous          Oui, vraiment. A ce moment-là, la          veau ? N’y a-t-il pas eu précé-                l’histoire de la danse en               chercher tout à fait autre chose, une     jourd’hui, le butô comme beaucoup
  sommes restés une année entière,
 basés en France et tournant partout
                                            scène est encore très imprégnée par        demment d’autres expérimen-                    France ?                                autre conception de la danse              d’autres esthétiques ou techniques
  en Europe et même au Mexique... !         l’esthétique néoclassique, avec des        tations qui allaient déjà dans                 Disons que l’histoire de la danse en    comme du métier de danseur.               fait partie de l’entraînement du dan-
   Nous avons, depuis, toujours été
 soutenus par la France. Dès 1983, le
                                            corps athlétiques et très tenus. Je        l’expression du sensible ?                     France s’est aussi construite sur le                                              seur, voire de sa formation comme
 Théâtre de la Ville a coproduit avec       pense aussi à l’esthétique cunnin-         En quelque sorte, le butô est une              discours de l’explosion d’une « jeune   Ces voyages au Japon, ces                 lors de la direction d’Emmanuelle
            mes spectacles. »
                                            ghamienne, dominante en danse              réactivation du geste expression-              danse française », qui doit pourtant    imprégnations à la source                 Huynh au CNDC d’Angers qui a invi-
             —— 1984 ——                     contemporaine au début des an-             niste. Il existe en effet une grande           beaucoup aux circulations choré-        du butô sont-ils visibles dans            té Min Tanaka, Kô Murobushi et Aki-
      Première tournée aux USA, à           nées 1980. L’arrivée dans ce               proximité dans les processus de fa-            graphiques internationales. Dans le     les œuvres des chorégraphes               ra Kasai pour intervenir auprès des
 l’invitation du Arts Festival des Jeux
  olympiques de 1984 à Los Angeles.         contexte d’une verticalité précaire et     brique du geste, dans l’esthétique             champ de la danse, à ce moment-là,      de l’époque ?                             jeunes danseurs.
    « Ce festival rassemblait les plus      instable, d’une esthétique spectrale,      du conflit, et dans les différentes            des Jacqueline Robinson, Karin          Pas au niveau des signes reconnais-
       grands artistes du moment,
    notamment le polonais Tadeusz           de corps fantômes, et de marches           modalités de possession et d’ex-               Waehner, Françoise et Dominique         sables (blancheur, crâne rasé, etc.),     D’autres transferts culturels
Kantor, Peter Brook, venu de France,        somnambuliques n’est pas anodine.          tase. Des liens forts existaient d’ail-        Dupuy, tous marqués d’une certaine      mais davantage dans leur travail sur      ont eu lieu par la suite. Les
ou encore la chorégraphe allemande
 Pina Bausch. Je n’avais pas vraiment       Les corps dansants ne sont plus des        leurs entre les modernités chorégra-           façon par l’héritage de Mary Wigman     la façon de faire émerger le geste,       danses d’Inde, tel que le bha-
    le sentiment qu’il s’agissait d’un      sujets décideurs et triomphants. Ils       phiques allemandes et japonaises               ou Jean Weidt, n’avaient pas la         sur les forces du butô, principale-       ratha natyam, les danses afri-
festival américain !» Développant dès
    cette date des tournées dans le         sont des corporéités traversées de         dans la première moitié du XXème               même visibilité et reconnaissance       ment dans la fragilisation de la pos-     caines…
  monde entier, la compagnie Sankai         forces, des êtres mus, quasi possé-        siècle, qui ont marqué les fonda-              que les esthétiques américaines, in-    ture et la prédominance accordée à        Oui, mais aucun n’a eu l’impact et la
   Juku devint et reste la compagnie
  japonaise de butô la plus présente
                                            dés. Pour le danseur, l’état de            teurs du butô. Si bien que l’on pour-          carnées notamment par Nikolais,         la sensorialité.                          réception prestigieuse que le butô a
             à l’international.             conscience est modifié, à partir           rait dire que le butô fait réapparaître        Carlson et Cunningham. L’avène-                                                   connu en 1978 en France. Le désir
                                            d’une focalisation intense sur ses         le geste expressionniste qui était             ment du butô en France est, dans un     La fascination du butô                    d’exotisme s’est incarné à ce mo-
            —— 2015 ——
 Ushio Amagatsu fêtera les quarante         sensations. A tel point que ce sont        justement occulté en France à ce               certains sens, un détour par le Japon   perdure-t-elle après le choc              ment-là dans le butô et le Japon. Cet             Kagemi, 2000 — Photo : Guy Delahaye
     ans de sa compagnie par une
création, pour la première fois depuis
                                            les sensations qui deviennent le mo-       moment-là.                                     pour s’autoriser à voir sur scène un    des années quatre-vingt ?                 engouement pour le Japon n’a pas
  longtemps, au Japon. Recevant en          teur du mouvement.                                                                        geste expressionniste ! Pour le dire    Oui, étonnamment. Depuis trente-          uniquement concerné la danse. Il
2013 le prestigieux Japan Foundation                                                                                                  autrement, le regard exotique per-      cinq ans, il y a très peu de critiques    s’inscrit aussi dans un moment par-
  Award, Ushio Amagatsu écrit avec
      malice: « nous sommes très                                                                                                      met de considérer le travail sur la     négatives, de déception ou de lassi-      ticulier de curiosité pour la littéra-
reconnaissants que cette récompense                                                                                                   sensorialité et le corps possédé.       tude. Les théâtres continuent à invi-     ture, le cinéma, les études japo-
   (japonaise, NDLR) soit le fruit du
  soutien et des encouragements de
 tous les spectateurs que nous avons
rencontrés à travers le monde durant
    toutes ces années d’activité… »

 avec la complicité de Pierre Barnier
          et Rosita Boisseau
10/ dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014                                                                                                      dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014 / 11

                                                                                                                                                                                                 Florilège
                        TOBARI                                                                                                                                                                   Tobari

                 les 14 et 15 novembre
                                                                                                                                                                                                 « En japonais, tobari est un rideau
                                                                                                                                                                                                 très fin que l’on fait tomber quand la

                         au BFM
                                                                                                                                                                                                 nuit vient, pour séparer l’espace en
                                                                                                                                                                                                 deux et dormir. C’est aussi le mot uti-
                                                                                                                                                                                                 lisé pour exprimer ce moment entre
                                                                                                                                                                                                 le jour et la nuit. Pour moi, il dit aussi

                                                                   Entre loge et plateau, Amagatsu
                                                                                                                                                                                                 le temps qui passe. La nuit, la lumière
                                                                                                                                                                                                 des étoiles que nous voyons est la

                                                                   prend le temps d’un échange bref,
                                                                                                                                                                                                 conséquence d’un événement lumi-
                                                                                                                                                                                                 neux qui a eu lieu bien avant ! Quand

                                                                   courtois et délicat
                                                                                                                                                                                                 les étoiles meurent, on les voit en-
                                                                                                                                                                                                 core briller. C’est là toute l’histoire de
                                                                                                                                                                                                 l’humanité. »

                                                                                                        O
                                                                                                                         n rencontre Ushio        la compagnie, le pilier ; il donne les
                                                                                                                         Amagatsu à Gre-          masterclass et les stages. Il est là           8000 étoiles
                                                                                                                         noble en avril der-      pour assurer la traduction du japo-            « La lumière est une respiration, elle
                                                                                                                         nier, à l’heure du thé   nais à l’anglais. Pierre Barnier se            compte beaucoup dans mes spec-
                                                                                                                         dans la cantine de la    charge de traduire en français, ajou-          tacles. Dans Tobari, il y a eu très vite
                                                                                                        MC2. Avec sa compagnie Sankai             tant précisions et anecdotes pour              cette idée d’un ciel étoilé, représenté
                                                                                                        Juku, Amagatsu a été invité durant la     étoffer les phrases concises du cho-           par un rideau troué en fond de scène,
                                                                                                        saison à présenter dans ce théâtre        régraphe. En novembre, Amagatsu                avec derrière lui une source lumi-
                                                                                                        plusieurs de ses pièces. Le soir          est attendu à Genève au Bâtiment               neuse. Avec les danseurs, nous
                                                                                                        même, les grenoblois vont découvrir       des forces motrices avec TOBARI –              avons percé sur ce rideau 8000 trous
                                                                                                        Umusuma, sa dernière création. Le         comme dans un flux inépuisable,                qui correspondent, tant au niveau de
                                                                                                        chorégraphe n’a pas beaucoup de           une pièce créée en 2008 au Théâtre             leur taille que de leur emplacement,
                                                                                                        temps. Il explique que ses danseurs       de la Ville dans laquelle il danse. Il         à la cartographie d’un ciel d’août
                                                                                                        sont déjà dans les loges. Bientôt, il     faut organiser tout cela — ils seront          étoilé au Pôle Nord. Au centre, il y a
                                                                                                        va les rejoindre et tous vont se ma-      une douzaine, resteront une petite             un disque ovoïde qui reprend le ciel
                                                                                                        quiller, se transformer en créatures      semaine, aimeraient pouvoir se faire           d’été au Japon. »
                                                                                                        blanches, une fleur sanguine peinte       eux-mêmes à manger, rester en-
                                                                                                        autour de l’oreille gauche — à moins      semble, être connectés pour skyper             10 centimètres
                                                                                                        que cela ne soit une déchirure ?          avec leur famille au Japon… Ushio              « Chaque danseur de butô a un corps
                                                                                                        « Cette oreille peinte, c’est un peu la   Amagatsu dit aussi quelques mots               et un style différent. J’aime cette li-
                                                                                                        marque de fabrique des Sankai »,          sur TOBARI, poétiques et factuels              berté, on la voit dans TOBARI, chacun
                                                                                                        commente Pierre Barnier, chargé de        (voir ci-contre), puis se lève, invite à       a une technique, un parcours, des in-
                                                                                                        la diffusion de la compagnie en Eu-       le suivre. Nous passons dans les               fluences qui lui sont propres. Notre
                                                                   TOBARI — Comme dans un flux
                                                                   inépuisable                          rope depuis vingt-deux ans. Ushio         loges, croisons ses jeunes danseurs            époque a elle aussi façonné autre-
                                                                   Création mondiale au Théâtre         Amagatsu sourit. C’est bien plus          (jogging blanc, chaussettes                    ment les corps. Au début, je tra-
                                                                   de la Ville en 2008
                                                                                                        que cela, mais il n’en dira pas plus.     blanches, écouteurs de iPod dans               vaillais avec des danseurs qui
                                                                   Mise en scène, chorégraphie          Cette métamorphose prend du               les oreilles). Il nous prépare un café,        avaient dix centimètres de moins
                                                                   et conception : Ushio Amagatsu
                                                                   Création musicale : Takashi Kako,    temps, près de trois heures.              nous conduit sur le plateau encore             que ceux qui sont dans ma compa-
                                                                   Yas-Kaz, Yoichiro Yoshikawa          Lorsqu’ils entreront sur scène, l’état    en montage, puis s’en va.                      gnie aujourd’hui. Un corps plus long,
                                                                   Danseurs : Ushio Amagatsu,
                                                                   Semimaru, Sho Takeuchi,              singulier dans lequel ils se trouve-      Anne Davier                                    ça change la façon de danser. »
                                                                   Akihito Ichihara, Ichiro Hasegawa,   ront aura été le fruit d’une longue                                                      Propos recueillis par AD
                                                                   Dai Matsuoka, Norihito Ishii,
                                                                   Shunsuke Momoki
                                                                                                        préparation, physique et méditative,
                                                                                                        commencée face au miroir, un pou-
                                                                                                        drier dans la main.
                                                                   Bâtiment des forces motrices
                                                                   2, place des Volontaires
                                                                                                        Mais revenons dans la cantine de la
                                                                   Les 14 et 15 novembre à 20h30
                                                                   Billetterie www.adc-geneve.ch        MC2. C’est l’heure du thé, disions-
                                                                   Service culturel Migros              nous, Amagatsu n’a pas soif. Il a le
                                                                   Stand Info Balexert /
                                                                   Migros Nyon La Combe                 regard doux, connaît quelques mots
                                                                                                        de français, dit-il, mais préférera
                                                                                                        parler en japonais. A ses côtés, Se-
                                                                   Photo : Jacques Denardaud
                                                                                                        mimaru, danseur spectral et essen-
                                                                                                        tiel des Sankai Juku. C’est l’aîné de
12 / dossier / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014                                                                                                                                                                                                                                                                     13

                             Agenda                                                        — Vendredi 14                                   — Lundi 17, mardi 18
                                                                                             et samedi 15 novembre                             et mercredi 19 novembre
                           Sankai Juku                                                       à 20h30, BFM                                      Studio de l’adc,
                                                                                           TOBARI — Comme dans un flux                         Maison des arts du Grütli,
                           — du 6 au 25                                                    inépuisable                                         de 14h à 17h
                                                                                           Vêtus de robes qui les font moines                  Masterclass de butô
                           novembre —                                                      ou majestés, les Sankai Juku sug-                   Enseignement de Semimaru
                                                                                           gèrent l’impitoyable parcours vers la               Cie Sankai Juku
                              2014                                                         sérénité. Le chaos règne sous la                Danseur principal de la compagnie
                                                                                           tranquille surface, la beauté gronde            Sankai Juku, Semimaru donne une
                                                                                           et le néant d’Ushio Amagatsu est                masterclass de trois jours iden-
                                                                                           sans limite (voir pages 10 et 11).              tiques au travail quotidien de la
                                                                                             Infos et billetterie : adc-geneve.ch          compagnie. Il expliquera quelques
                                                                                             Service culturel Migros Genève, stand         mouvements simples en un même
                                                                                             Info Balexert, Migros Nyon-La-Combe
— Jeudi 6 novembre à 19h                        — Mardi 11 novembre à 19h30                                                                geste lent qui conduira progressive-
  Flux Laboratory                                 Flux Laboratory                                                                          ment à un état permettant de faire
  Conférence par                                  Projection de films                      — Samedi 15 novembre à 12h                      l’expérience de la gravité terrestre
  Sonia Schoonejans                             KAGEMI — Par-delà les métaphores               BFM, foyer des artistes                     comme unique partenaire de leurs
Ushio Amagatsu ou le butô                       du miroir (2000)                               Brunch avec Amagatsu                        mouvements.
transfiguré                                     Captation du spectacle d’Ushio             Un rendez-vous gourmand et bavard                  Pour danseurs avancés
Pour celui qui désire connaître les             Amagatsu, Cie Sankai Juku par              avec Ushio Amagatsu et Alexandre                   Enseignement à suivre sur les trois jours
                                                                                                                                              Prix unique : CHF 150.-
transformations successives de la               Yoichiro Yoshikawa, édition                Demidoff, chef de la rubrique
                                                                                                                                              Inscriptions nécessaires : adc-geneve.ch
danse butô, il suffit de suivre l’itiné-        IoFactory/Sankai Juku, 1h25                culturelle du Temps, qui partagent
raire artistique du danseur, choré-             Musique : Takashi Kako et Yoichiro         avec nous leur conversation sur le
graphe et metteur en scène Ushio                Yoshikawa                                  travail de Sankai Juku. Ce moment               — Mardi 25 novembre à 20h30
Amagatsu. Depuis ses débuts au-                 Depuis sa création au Théâtre de la        convivial est aussi l’occasion de                 Octogone de Pully
près de Maro Akaji, lui-même dis-               Ville de Paris en 2000, Kagemi, par-       revenir sur le spectacle Tobari pour            UTSUSHI – Entre deux miroirs
ciple de Hijikata, père fondateur du            delà les métaphores du miroir, sème        ceux qui l’auront vu la veille, ou de           Le périple des Sankai Juku se clôt à
butô, jusqu’à ses dernières créa-               ses inoubliables images et méta-           l’anticiper agréablement pour ceux              Pully avec Utsushi , morceaux choi-
tions, Amagatsu a vécu l’évolution              morphoses visuelles. Dans une fo-          qui le découvriront le soir même.               sis dans les trente ans de travail de
de cette « danse des ténèbres », et             rêt de feuilles de lotus géantes et          Places limitées, entrée libre, réservation    Sankai Juku et redistribués selon
lui a apporté une spiritualité et une           immaculées, des créatures mi-                nécessaire : adc-geneve.ch                    un dessein secret par Ushio Ama-
esthétique à la fois sauvage et so-             hommes, mi-esprits, obéissent à un                                                         gatsu. Synthèse déraisonnable ou
phistiquée qui caractérise le travail           rituel étrange, cycle du vivant dans                                                       portrait éclaté ? Utsushi est avant
de sa compagnie Sankai Juku.                    son incessante transformation.                                                             tout une œuvre-rétrospective pas-
   Places limitées, entrée libre, réservation                                                                                              sionnante à regarder.                                                                              C R É AT I O N M O N D I A L E
   nécessaire : adc-geneve.ch                   Eléments de doctrine (1993)                                                                   Infos et billetterie : theatre-octogone.ch
                                                Documentaire sur le travail d’Ushio
                                                Amagatsu, Cie Sankai Juku, 65 min.
                                                In La Danse au travail, André S.                                                                                                                                                                                                                    AU GRAND THÉÂTRE

                                                                                                                                                                                                                                         Casse-Noisette
                                                Labarthe, éditions Caprici, 2012.                                                                                                                                                                                                                  C R É AT I O N M O N D I A L E

                                                Ushio Amagatsu et ses danseurs ré-
                                                pètent Graine de kumquat, pièce fé-
                                                tiche de la compagnie créée en 1978
                                                et qui relate l’initiation au monde
                                                d’un petit garçon japonais. Sous-titré
                                                éléments de doctrine, la belle qualité
                                                de ce documentaire est de laisser la                        La réalisation du programme autour      La conférence et les films sont
                                                                                                            de Sankai Juku est une production       présentés en complicité avec le Flux                                                            B A L L E T- F É E R I E E N 2 A C T E S , 3 TA B L E A U X E T 1 5 S C È N E S
                                                parole au chorégraphe, dont la préci-
                                                sion de la pensée n’a d’égale que
                                                                                                            de l’adc.
                                                                                                            L’ensemble du projet est réalisé avec
                                                                                                                                                    Laboratory.
                                                                                                                                                    Production et tournées de Sankai                                                                    PIOTR ILITCH TCHAIKOVSKI
                                                l’exactitude quasi sacrée des gestes.                       le soutien de JTI.                      Juku en Europe Per Diem & Co /
                                                                                                            La tournée d’Ushio Amagatsu,            Pierre Barnier
                                                   Infos et réservations : adc-geneve.ch                    Cie Sankai Juku, reçoit le soutien
                                                                                                            de l’Agency for cultural Affairs,       Programme établi sous réserve de
                                                                                                            gouvernement du Japon, pour             changements.                                                                                                                                           CHORÉGRAPHIE
                                                                                                            l’année 2014.
                                                                                                            Le projet Ushio Amagatsu, Cie Sankai                                                                                                                          JEROEN VERBRUGGEN
                                                                                                            Juku à Genève, reçoit le soutien
                                                                                                            moral de la Swiss-Japanese Society,
                                                                                                            et de l’ambassade du Japon en Suisse
                                                                                                            dans le cadre du 150ème anniversaire
                                                                                                            des relations diplomatiques entre la
                                                                                                            Suisse et le Japon.                                                                                                                               BALLET DU GRAND THÉÂTRE
                                                                                                                                                                                                                                                                               DIRECTION          PHILIPPE COHEN
                                                                                                                                                                                                                                              ORCHESTRE DE LA SUISSE ROMANDE

                                                                                                                                                                                                                                                                       13>21.11.2014
                                                                                                                                                                                             SAISON1314                                                                                     WWW.GENEVEOPERA.CH
                                                                                                                                                                                                                                                                                               +41(0)22 322 5050

                                                                                                                                                                                           Annonce_ADC_CasseNoisette_210x141_NB.indd 1                                                                                  14.07.14 15:16
14                                                                                                                                                                                                                                                                                             15

                                                                                                                                                                                                            NEONS
                                                                                                                                                                                                     Never Ever, Oh! Noisy Shadows

              Olivier Dubois                                                                                    première
                                                                                                          19-30 nov. 2014                                                                                              19-20 sept. 2014

                                                                                                                                                 design graphique & photographie : matière grise
            Ambra Senatore                                                                                                 Théâtre Sévelin 36,                                                                Skorohod Swiss Week, Saint-Pétersbourg (RU)
           Thierry Malandain
                                                                                                                                                                                                                          6-7 nov. 2014
                                                                                                                              Lausanne (CH)
     Héla Fattoumi - Eric Lamoureux                                                                                       4-5 déc. 2014
                                                                                                                                                                                                                      Théâtre Sévelin 36, Lausanne (CH)
        Bouba Landrille Tchouda                                                                             Théâtre Forum Meyrin, Meyrin (CH)
                                             © Alexandre Dhordain

                                                                                                                                                                                                       location : +41 21 620 00 11 \ reservation@theatresevelin36.ch
             Thomas Guerry                                                                                              9-10 déc. 2014
                                                                                                              Théâtre Nuithonie, Fribourg (CH)
               Kader Attou                                                                                            11-12 déc. 2014
                                                                                   www.philippesaire.ch   Forum Saint-Georges, Delémont (CH)                                                       www.philippesaire.ch                           design graphique & photographie : matière grise
        www.chateau-rouge.net

                                                                    CieSaire_ADC64_140918_01.indd 2                                          28.07.14 14:34
                                                                                                                                             CieSaire_ADC64_140918_01.indd 1                                                                                                                28.07.14 14:34

            Rue de Genève 57 1004 Lausanne
16 / à l’affiche / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014                                                              à l’affiche / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014 / 17

                                                                                                                                                                             Repères biographiques
                                                                                                                                                                             Australien d’origine hongroise,
                                                                                                                                                                             József Trefeli a rejoint en 1996 la
                                                                                                                                                                             Compagnie Alias pour laquelle

                                                                                       UP                                                                                    il a dansé pendant huit ans. Il
                                                                                                                                                                             fonde sa compagnie en 2005.
                                                                                                                                                                             Récemment, il a présenté Mutant

                                                                          — du 1er au 12 octobre —                                                                           Slappers & The Planet Bang, créé
                                                                                                                                                                             en collaboration avec Kylie
                                                                                                                                                                             Walters et le groupe KMA, JinX

                                                                         József Trefeli et Mike Winter                                                                       103, un duo avec Gabor Varga,
                                                                                                                                                                             et LIFT, sa première collaboration
                                                                                                                                                                             avec Mike Winter.

                                                                          ont convié six danseurs à de                                                                       Ce dernier est originaire du Pays
                                                                                                                                                                             de Galles, établi à Genève où
                                                                                                                                                                             il a dansé notamment pour Alias,

                                                                         belles et puissantes envolées                                                                       Philippe Saire, Kylie Walters
                                                                                                                                                                             et Nicole Seiler.

                                                                        qui redresseront les plus avachis
                                                                                                                                                                             UP
                                                                                                                                                                             Concept et chorégraphie :
                                                                                                                                                                             József Trefeli et Mike Winter, en
                                                                                                                                                                             Collaboration avec les danseurs
                                                                                                                                                                             Danse : Leif Firnhaber, Nuhacet
                                                                                                                                                                             Guerra, Edouard Hue, Amaury
                                                                                                                                                                             Reot, Carl Staaf, Mike Winter
                                                                                                                                                                             Remplaçant : Gyula Cserepes
                                                                                                                                                                             Musique : Charles Mugel
                                                                                                                                                                             Lumières : Laurent Junod
                                                                                                                                                                             Costumes : Toni Teixeira
                                                                                                                                                                             Photos : Gregory Batardon
                                                                                                                                                                             Administration : Laure Chapel,
                                                                                                                                                                             Pâquis Production

                                                                                                                                                                             Salle des Eaux-Vives
                                                                                                                                                                             82-84 rue des Eaux-Vives
                                                                                                                                                                             1207 Genève
                                                                                                                                                                             Du 1er au 12 octobre à 20h30
                                                                                                                                       Atelier de dégustation
                                                                                                                                                                             samedi à 19h, dimanche à 18h
                                                                                                                                       de bières artisanales :
                                                                                                                                                                             Relâche lundi et mardi
                                                                                                                                       ça mousse naturellement !
                                                                                                                                                                             Rencontre avec l’équipe
                                                                                                                                       Animé par Barbara
                                                                                                                                                                             artistique à l’issue de la
                                                                                                                                       et Christophe Grellier, gérant
                                                                                                                                                                             représentation du jeudi 2
                                                                                                                                       et brasseur de la Brasserie des
                                                                                                                                                                             octobre
                                                                                                                                       Voirons, le vendredi 3 octobre
                                                                                                                                       autour du spectacle UP                Billetterie www.adc-geneve.ch
                                                                                                                                       Inscription indispensable             Service culturel Migros
                                                                                                                                       Infos : www.adc-geneve.ch

                                                                                                                                                                             Photo : Gregory Batardon

                                                                        L
                                                                                      a génération Y vit dans      syllabe pour une proposition artis-          bruts, sans fioritures. Sur scène c’est
                                                                                      une bulle, solitaire, les    tique intègre et exaltante.                  une épreuve d’endurance, les corps
                                                                                      écouteurs enfoncés                                                        des six interprètes à la fois ancrés
                                                                                      dans les oreilles. Plus      It’s UP to you                               au sol et aériens se lancent, s’entre-
                                                                                      qu’un marqueur généra-       Six hommes, habiles connaisseurs             choquent. Le groupe prime sur l’indi-
                                                                        tionnel, il s’agit là du syndrome gran-    des forces qui régissent leurs corps         vidu en une apothéose jubilatoire.
                                                                        dissant d’une société toute entière        et déterminés à les unir pour maxi-              La gestuelle spontanée et dyna-
                                                                        reliée constamment à l’interface           miser leur vigueur. Les portés des           mique qu’ils emploient, ainsi que la
                                                                        d’une machine, « addict » au réseau        six danseurs de UP sont à leur parti-        recherche d’actions inattendues,
                                                                        internet, qui vit les yeux rivés sur des   tion ce que les chevaux sont à la            sert en effet de tremplin à de véri-
                                                                        écrans en tous genres. Forts de ce         puissance d’un moteur. À la question         tables interactions entre les dan-
                                                                        constat, et notamment des consé-           « Pourquoi six hommes ? », Mike et           seurs, mais aussi entre eux et les
                                                                        quences qu’un tel comportement             József répondent simplement « La             spectateurs. Pour accentuer cette
                                                                        génère sur la posture du corps, de         pièce aurait pu être écrite pour six         proximité de manière immédiate et
                                                                        plus en plus courbé sur lui-même,          femmes. L’important étant de réunir          faire ressentir au public le potentiel
                                                                        les yeux focalisés sur une surface         six fois les mêmes capacités de ro-          énergique qui les anime, ils rompent
                                                                        restreinte, József Trefeli et Mike Win-    bustesse. » Dans UP, l’énergie mas-          le rapport scène-gradins et dépla-
                                                                        ter présentent un spectacle salva-         culine explose entre risque et réac-         cent l’assise tout autour d’eux sur le
                                                                        teur. Les deux chorégraphes, dési-         tion. L’écriture chorégraphique de           plateau. La direction est claire, l’invi-
                                                                        reux de créer une pièce qui s’ouvre        József Trefeli et de Mike Winter joue        tation déclarée : l’œil pétillant et es-
                                                                        vers l’extérieur, ont invité six dan-      des contrastes et des effets de sur-         piègle, József Trefeli et Mike Winter
                                                                        seurs prêts à défier la gravité en ef-     prise. La tension entre apesanteur et        espèrent bien que le public se re-
                                                                        fectuant des portés virtuoses et ori-      élévation est à son paroxysme. Ils           dressera avec eux, au sens propre et
                                                                        ginaux. L’espace est tracé : une           explorent et combinent toutes les            figuré, transporté par un même élan
                                                                        orientation verticale pointée vers le      gammes de portés possibles, dans             d’enthousiasme : UP !
                                                                        haut. UP. Le ton est donné, une seule      une esthétique de mouvements                 Cécile Simonet
18                                                                                                                                                         à l’affiche / journal de l’adc n° 64 / septembre — décembre 2014 /19

                                                                                               D
                                                                                                                 iffraction est une       De six soli à PP6                          de manière lente et parfois anthro-
                                                                                                                 œuvre évolutive de       Puis les interprètes des solis ont été     pomorphisée, lorsque les spots
                                                                                                                 Cindy Van Acker.         invités dans une première mise en          viennent regarder le public au-delà
                                                                                                                 Non seulement elle       rythme et en espace appelée Pièce          de la limite scène-salle. Et puis c’est
                                                                                                                 s’est construite par     pour six (PP6) et consignée sur par-       une machine à néons blancs, qui
                    Diffraction                                                                étapes, mais la chorégraphe conti-         tition. On sait que certaines pièces       obéit aussi à une partition de mou-
                                                                                               nue à en modeler la matière. L’artiste     de Cindy van Acker sont comman-            vements : la même que les danseurs
      — du 29 octobre au 2 novembre —                                                          flamande installée à Genève a pris         dées par écrit, dictées par une gra-       pour la partie PP6.
                                                                                               un chemin buissonnier et patient           phie qui n’obéit à aucun des sys-
     En 2013, la pièce recevait le prix suisse                                                 pour construire cette pièce de             tèmes de notations de danse                De Diffraction à Diffraction
                                                                                               groupe : de 2008 à 2009, elle a            existants : lorsque la chorégraphe a       Cette première version de Diffrac-
      de la chorégraphie. Cindy van Acker,                                                     d’abord travaillé six soli avec six in-    besoin d’une écriture sur papier, elle     tion a été retravaillée par la choré-
                                                                                               terprètes différents, pour entrer          l’invente, elle produit son propre al-     graphe pour lier encore davantage
        infiniment patiente, affûte encore                                                     dans les potentialités, les rythmes,       phabet et sa propre grammaire, pro-        ces neuf tubes fluorescents à la réa-
                                                                                               les lignes, les intériorités et extério-   duisant ainsi de passionnants proto-       lité des corps sur le plateau. Tout a
                ce fascinant opus                                                              rités de chacun, chacune. Se sont          coles ad hoc. Ici, il s’agit de rendre     été repris pour que les danseurs et

                                                                                               ainsi succédées des compositions           une phrase rythmique de 11 temps à         leurs ombres puissent influer sur le
                                                                                               aux noms aussi courts qu’électri-          33 beats par minute, qui évolue tout       déplacement des néons, et qu’ils
                                                                                               fiants : Obvie dansé par Tamara Bac-       au long de PP6. Et pour tenir une          gardent en quelque sorte la main sur
                                                                                               ci, Lanx dansé par Cindy Van Acker,        exécution rythmique au cordeau, les        la machine. L’effet en est moins ro-
                                                                                               Obtus dansé par Marthe Krumme-             interprètes portent un petit métro-        botique, beaucoup plus organique,
                                                                                               nacher, Nixe dansé par Perrine Valli,      nome dans l’oreille.                       comme d’un pas de deux très fluide
                 Repères biographiques                    Salle des Eaux-Vives                 Nodal dansé par Pascal Gravat et                                                      et presque sensuel entre danseuses
                 Le parcours de Cindy Van Acker est       82-84 rue des Eaux-Vives
                 marqué par ses collaborations au         1207 Genève
                                                                                               Antre dansé par Rudi van Der Merwe.        De PP6 à Diffraction                       et tubes fluos.
                 sein de la Cie Greffe. En 2013, elle                                          Un projet qui prend le temps de            Enfin, PP6 a été intégrée dans une             Hormis ce déplacement d’in-
                                                          Du 29 octobre au 2 novembre
                 créée le duo Drift à l’adc. En juillet                                        chercher le mouvement, tout en pro-        pièce plus vaste, Diffraction,             fluence dans le rapport entre lu-
                                                          à 20h30
                 2014, elle est invitée par le festival
                                                          Samedi à 19h, dimanche à 18h         duisant un environnement lumière/          construite autour du comportement          mière et corps, hormis cette insis-
                 Expeditie Dansand à Ostende à
                 créer une pièce sur la plage pour                                             scénographie très fort. De facture         des ondes lorsqu’elles rencontrent         tance à préciser une plus juste
                                                          Rencontre avec l’équipe artistique
                 cinquante-quatre danseurs de
                 P.A.R.T.S., l’école bruxelloise d’Anne
                                                          à l’issue de la représentation du    chorégraphique plutôt simple, répé-        un obstacle. Diffraction est aussi         relation, cette pièce reste la même.
                                                          jeudi 30 octobre
                 Teresa De Keersmaecker. Cela                                                  titifs et minimalistes, ces soli           l’aboutissement d’un questionne-           Elle se vit toujours comme un exal-
                 s’appelait ANECHOIC (voir une            Billetterie www.adc-geneve.ch
                 image p. 2). www.ciegreffe.org           Service culturel Migros              convoquent ainsi le vertige, l’illusion    ment de Cindy Van Acker, posé dès          tant hommage au chaos progressif,
                                                                                               d’optique, le court-circuit corporel.      2008, sur la manière dont la lumière       comme un renversant appel à sen-
                 Diffraction                                                                   On y voit clairement cette qualité dé-     peut transformer le mouvement. A           sations, via des mouvements sé-
                 (création en 2011 — reprise en 2013)
                 Chorégraphie : Cindy Van Acker           Photos : Louise Roy                  crite par Romeo Castellucci, le met-       ce titre, Obtus et Nixe ont amené la       riels, logiques, systématiques.
                 Interprètes : Tamara Bacci,                                                   teur en scène italien avec qui la cho-     chorégraphe au seuil d’une fusion          Michèle Pralong
                 Stéphanie Bayle, Carole Garriga,
                 Anne-Lise Brevers, Luca Nava,
                                                                                               régraphe travaille régulièrement,          presque liquide entre une danseuse
                 Rudi van der Merwe                                                            lorsqu’il parle de sa danse : « … ainsi    et un environnement de barres fluo-
                 Musique : Mika Vainio, Denis Rollet
                 Scénographie : Victor Roy
                                                                                               les trajectoires et les vecteurs de        rescentes. De même, dans la pre-
                 Lumière : Luc Gendroz, Victor Roy,                                            mouvement sont-ils tracés dans le          mière version de Diffraction, créée à
                 Cindy Van Acker
                 Costumes : VRAC
                                                                                               corps, retenant l’énergie comme            l’adc en 2011, la lumière est-elle trai-
                 Administration : Aude Seigne                                                  dans une marionnette transparente          tée comme un septième interprète,
                 Diffusion : Véronique Maréchal /                                              dont les fils seraient tendus à l’inté-    une septième réalité chorégraphiée.
                 Tutu Production
                                                                                               rieur de la cavité corporelle. C’est       Ce sont d’abord des spots svoboda
                                                                                               comme si les danseurs étaient en           doux et jaunes, montés sur un bras
                                                                                               verre car nous réussissons à voir ce       articulé capable d’aller trouver et
                                                                                               qui les meut de l’intérieur. ».            éclairer tous les espaces du plateau
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