Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins

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Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
médecins                           n° 61 | mai – juin 2019
                        Le bulletin de l’Ordre national des médecins

     Sur le terrain
   À la fac de médecine,
         des stages
 pour apprendre à écouter

 Entretiens croisés
   Dispositifs médicaux :
    comment améliorer
       leur sécurité ?

                                                                        Dossier

www.conseil-national.medecin.fr
                                                                        Remettre
                                                                        le soin
                                                                        au cœur de l’hôpital
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
sommaire
                                                            Retrouvez le bulletin, le webzine
                                                            et la newsletter de l’Ordre en ligne sur
                                                            www.conseil-national.medecin.fr

 04. focus
 Installation en libéral : cadre de vie,
 conditions d’exercice et travail en équipe…
 des facteurs déterminants

 06. en bref
 - Projet de loi et Grand débat national :
   ce que veulent les médecins
 - CNG Élections professionnelles
    du 25 juin au 2 juillet 2019
 - Besoin d’aide ? 0800 288 038

 09. e-santé
 Un « Health Data Hub » pour mettre
 les données au service de la santé

 10. sur le terrain
 À la fac de médecine, des stages
 pour apprendre à écouter

 12. entretiens croisés
 Dispositifs médicaux : comment améliorer
 leur sécurité ?

 le guide juridique
 24. en bref
 - Les directeurs d’établissement peuvent-ils
     assister aux réunions médicales ?
 - Échographie fœtale à visée non médicale
                                                 16         Remettre le soin
                                                            au cœur de l’hôpital
                                                 Lourdeurs administratives, contraintes
 - Accès au dossier médical : un droit trop    budgétaires de plus en plus prégnantes, relations
     souvent bafoué                              ville-hôpital compliquées, éloignement des
 - Résultats des élections départementales       médecins de la gouvernance des établissements…
                                                 Au fil de ces dernières décennies, sous la contrainte
 26. décryptage                                  économique, les médecins hospitaliers sont
 - Quelle prise en charge pour les patients    à la peine. Alors comment remettre le soin et
     atteints du VIH ?                           les soignants au cœur des priorités de l’univers
                                                 hospitalier ? Éléments de réflexion.
 28. pratique
 - Les tests osseux déclarés conformes
    à la Constitution
  - Information et publicité : vers une
     clarification de la législation

 30. vos questions, nos réponses
 Comment s’y retrouver dans les prestataires
                                                 restons connectés!
 de téléconsultation ?
                                                 Sur le Web : www.conseil-national.medecin.fr
 31. culture médicale                            Sur Twitter : suivez-nous sur @ordre_medecins
                                                 Par mail : conseil-national@cn.medecin.fr
 32. rencontre                                   Nous écrire : Conseil national de l’Ordre des médecins,
 Dr Didier Gallinet, radiologue à Pontarlier,
 président-fondateur de l’Orchestre              4, rue Léon Jost, 75855 Paris cedex 17
 symphonique des médecins de France

 médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
édito                             3

                                                                                                                                                                      DR
           L’hôpital en urgence vitale
           Refonte de la carte hospitalière, insécurité grandissante, manque de moyens et
           de personnel, course au financement… les établissements hospitaliers sont au
           bord de l’asphyxie. Ils ne tiennent que grâce à la pugnacité et à la volonté des
           personnels soignants d’accueillir et de prendre en charge au mieux les patients.
           Malgré de nombreuses prises de parole et alertes, malgré des grèves dans
           les services d’urgence et dans le secteur psychiatrie, aucune évolution n’est visible.
           Le projet de loi « Ma santé 2022 » pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses
           face à l’urgence de la situation. Malgré son orientation globalement positive, le texte
           n’accorde pas une pleine confiance aux acteurs de terrain. Il se tourne certes vers
           les territoires. Mais tout en conservant les outils qui produisent des normes,
           asphyxient les professionnels de santé et privent les initiatives locales de l’oxygène
           dont elles ont besoin. Alors que le rôle et les missions des futurs hôpitaux de
           proximité ne sont pas encore connus, le projet de loi prévoit déjà de transférer
           les commissions médicales aux hôpitaux pivots des GHT, les éloignant ainsi
           des territoires. Par ailleurs, le rôle des directeurs d’établissement
           et des directeurs de GHT est encore renforcé… Le texte semble aller à l’encontre
           de la philosophie affichée.
           Il est urgent de rendre conformes les décisions administratives à la stratégie
           médicale des groupements hospitaliers définie avec les commissions médicales
           et non pas seulement par les directions administratives.
           Il est urgent d’impliquer de nouveau les médecins dans la gestion des
           établissements. Cela fait partie des principales revendications émergeant de la
           concertation organisée par l’Ordre en février dans le cadre du Grand débat national.
           Nous avons déjà réussi à convaincre les parlementaires de laisser l’initiative des
           CPTS aux acteurs de la santé sur le terrain, et d’adapter la formation aux besoins
           des territoires. Nous continuerons à nous mobiliser dans les semaines qui viennent
           pour réinsérer le corps médical hospitalier au cœur de la gestion des hôpitaux.

           Dr Patrick Bouet
           Président du Conseil national de l’Ordre des médecins

Directeur de la publication : D r Walter Vorhauer - Ordre des Médecins, 4, rue Léon Jost, 75855 Paris Cedex 17. Tél. : 01 53 89 32 00.
E-mail : conseil-national@cn.medecin.fr – Rédacteur en chef : D r Jacques Lucas – Coordination : Isabelle Marinier
Conception et réalisation :               – 49, rue du Faubourg-Poissonnière, 75009 Paris – Responsable d’édition : Sarah Berrier
Direction artistique : David Corvaisier – Maquette : Nathalie Wegener – Secrétariat de rédaction : Christine Ferreri Fabrication :
Sylvie Esquer – Couverture : iStock – Impression : Imprimerie Vincent – Dépôt légal : à parution – n° 16758 ISSN : 1967-2845.             Ce document a été réalisé
                                                                                                                                          selon des procédés
Tous les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.                                                                   respectueux
                                                                                                                                          de l’environnement.

                                                                                                                             médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
4
    focus
    Texte : Jean-Baptiste Gauvin, Sarah Berrier

    Installation en libéral
    Cadre de vie, conditions
    d’exercice et travail en équipe…
    des facteurs déterminants
    Plus de 15 300 médecins installés, internes et remplaçants exclusifs ont
    répondu à la vaste enquête lancée début janvier par la commission Jeunes
    médecins du Cnom sur les déterminants à l’installation en libéral. L’essentiel…
    Pour la première fois, la commission          (services administratifs, transports,      internes et 87 % des remplaçants, il
    Jeunes médecins du Conseil national           infrastructures, établissements sco-       s’agit d’un point fondamental. L’exer-
    de l’Ordre des médecins (Cnom), com-          laires, équipements socioculturels et      cice groupé, dans le cadre d’une acti-
    posée des structures représentatives          sportifs) est primordiale. Lorsque les     vité mixte, libérale en groupe ou en
    des étudiants, internes et jeunes méde-       jeunes praticiens s’installent, ils sont   maison de santé pluridisciplinaire,
    cins, a mené une vaste enquête sur les        souvent déjà en couple, parfois avec       est enfin largement plébiscité par les
    déterminants à l’installation. L’objectif :   des enfants. L’installation en libéral     internes (72 %). Ces structures offrent
    tenter de comprendre pourquoi, alors          ne dépend donc pas uniquement de           en effet l’opportunité pour les jeunes
    que 72 % des internes envisagent de           facteurs professionnels. Elle s’inscrit    médecins d’être accompagnés dans les
    s’installer en libéral à court terme (en      dans un projet de vie qui peut engager     différentes démarches et de se fami-
    activité mixte, en groupe ou en MSP),         un conjoint, voire une cellule familiale   liariser avec l’exercice libéral dans un
    ils ne sont que 13 % à avoir opté pour cet    et demande une réflexion approfondie.      cadre rassurant.
    exercice lors de leur première inscrip-
    tion à l’Ordre, et 35 % cinq ans après.       Un bon réseau de professionnels
                                                  de santé
    Un exercice anxiogène                         Les jeunes médecins plébiscitent les        + d’infos
                                                                                             www.conseil-national.medecin.fr/node/3184
    Ce décalage entre les aspirations et          territoires dotés d’un réseau de pro-
    la réalité s’explique notamment par           fessionnels de santé. Pour 81 % des
    les craintes suscitées par l’exercice
    libéral. 59 % des internes et 43 % des
    remplaçants exclusifs admettent que
    la peur d’un échec économique est un
                                                  Point de vue de l’Ordre
    frein à l’installation. Une aide finan-       Dr Bruno Boyer président de la commission Jeunes médecins
                                                  du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom)
    cière pourrait apparaître comme une
    solution à ces difficultés. Mais l’en-
    quête révèle que moins de la moitié des       « Écouter et considérer                    à La Passerelle, dans la région
    répondants estiment que ce soutien            les attentes des jeunes »                  Grand Est. Une initiative visait
    budgétaire est déterminant. Ce frein                                                     à mettre en lien la demande
    économique nécessiterait d’être levé          Pour trouver des solutions favorisant      des territoires et les internes en
    par le biais de solutions systémiques         l’installation des jeunes médecins,        médecine générale. Le tout est
    visant à rassurer les jeunes médecins         il faut avant tout les écouter et          de trouver la clé pour transformer
    sur ce mode d’exercice.                       considérer leurs attentes.                 l’intention d’installation en action.
                                                  Aujourd’hui, les jeunes sont prêts         Cela passe aussi par une
                                                  à s’engager dans les territoires dès       professionnalisation des études
    Le projet de vie avant tout                   lors qu’ils sont accompagnés, qu’on        dès le deuxième cycle.
    À travers cette enquête, le cadre de          les aide à avancer sur leur projet,        Il faut effacer les inquiétudes liées
    vie est nettement apparu comme le             qu’ils sont réellement intégrés dans       à la méconnaissance par défaut
    principal déterminant à l’installation.       un réseau et qu’ils ne se sentent pas      de formation. Enfin, les territoires
    La majorité des jeunes médecins consi-        isolés. Des projets dans ce sens ont       ont une vraie responsabilité en
    dère que la qualité des services publics      été menés avec succès, par exemple         termes d’attractivité.

    médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
focus   5

           CE QUE VEULENT LES JEUNES MÉDECINS

             15 319                             répondants
                                                à l’enquête dont :

                                                    16 %                                      9 répondants sur 10
                                                    internes
                                                                                            sont issus de spécialités médicales
                                                                                               (60 % de médecine générale)
                                                    13,5 %
                                                    remplaçants
                    40 % 60 %
                                                    70,5 %
                                                    médecins
                                                    installés

               Une installation en libéral plébiscitée                                                 … mais peu concrétisée
            dans les projets professionnels des internes…

             Modes d’exercice envisagés                                         Modes d’exercice des nouveaux inscrits
                                                                                                                  Mixte
                     Autre
                                                                                            Autre
                                                                                                           1%                    Libéral

   Salarié              8%                          Mixte
                                                                                                       25 % 12 %
                    19 % 6027 %
                                                                                      Salarié                 62 %
                             45 %                   Libéral

                  Ce qui rend un territoire attractif…                                      Ce qui détermine le mode d’exercice…
62 %            61 %                                                                                                  87 %
                    60 %                          internes                                                                         internes
  57 %                                            remplaçants                  82 %                                81 %
     53 %                                                                                                                          remplaçants
                              52 %                médecins installés                                                               médecins installés

                                 37 %          37 %                                             59 %                    59 %
                                            36 %                     38 %          46 %
                     35 %          36 %
                                                              33 %               46 %
                                                 30 %                                             43 %

                                                                22 %

Services        Proximité    Transports   Attachement      Équipements       Les horaires   L’appréhension        Réseau de
 publics        familiale                  au territoire     culturels       ou le rythme      du risque        professionnels
                                                            et sportifs       de travail      économique          ou hôpital

                                                 Installation et remplacement… étroitement liés

                                                 81 %            des médecins installés
                                                                 ont été remplaçants exclusifs.
                                                                                                    41 %       d’entre eux se sont installés dans
                                                                                                               un territoire où ils ont remplacé.
Source : Cnom

                                                                                                                       médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
6
    en bref
    Texte : Sarah Berrier

    Projet de loi et Grand débat national
    Ce que veulent les médecins
    Dans un courrier envoyé mi-février, le Cnom invitait chaque médecin
    à prendre part au Grand débat initié par le gouvernement, notamment
    via un espace d’expression en ligne créé spécifiquement pour l’occasion.
    Près de 3 500 contributions ont ainsi été reçues. Synthèse…
    « Vos contributions viendront enri-         proximité (cf. Une organisation des           territoires ou encore améliorer l’at-
    chir le travail du Conseil national de      soins mieux coordonnée). Parmi les            tractivité des régions en difficulté…
    l’Ordre auprès du gouvernement et           propositions soumises : réaffecter des
    de nos parlementaires dans les mois         moyens alloués à l’administratif au           Une débauche de charges,
    à venir. Nous porterons haut et fort la     profit des postes de soignants, inclure       de contrôles et de contraintes
    voix de la profession devant les pou-       les médecins dans la gestion (cf.             administratives
    voirs publics… » Telle était l’ambition     Replacer les professionnels au cœur           À l’hôpital comme dans le secteur
    affichée par le Dr Patrick Bouet, pré-      des décisions), ou encore supprimer           libéral, le poids des contrôles et des
    sident du Conseil national de l’Ordre       la tarification à l’activité.                 contraintes administratives fait éga-
    des médecins (Cnom) lors de l’appel à                                                     lement partie des principales préoccu-
    contributions lancé à tous les méde-        … l’accès aux soins également                 pations des répondants qui pointent
    cins, dans le contexte du Grand débat       Les répondants estiment que la                « le nombre exponentiel des direc-
    national et du projet de loi Ma santé       situation est « scandaleuse et dés-           teurs et administrateurs nommés
    2022. Sur la plateforme créée à cet         honorante ». Le fait que les patients         dans les hôpitaux » et « les charges
    effet, les médecins pouvaient répondre      mettent parfois plusieurs semaines,           sous lesquelles croulent les médecins
    à six questions. Les deux premières,        voire mois, avant d’avoir un ren-             libéraux ». Un facteur qui contribue
    générales, proposaient aux médecins         dez-vous n’est pas acceptable. Parmi          au manque d’attractivité de la profes-
    de poster librement leurs messages          les solutions identifiées : favoriser         sion à l’hôpital comme en libéral. Ils
    destinés au Grand débat pour l’une, et      l’exercice mixte, soutenir les initia-        dénoncent enfin des tutelles éloignées
    leurs réactions vis-à-vis du projet de      tives locales tentant de répondre aux         des réalités du terrain. Les répondants
    loi santé pour la deuxième. Les quatre      besoins d’un territoire, développer           ont ainsi proposé que soient simplifiées
    autres questions portaient sur la for-      des mesures incitatives à l’instal-           les démarches administratives grâce
    mation, l’organisation territoriale         lation, proposer des stages dans les          à la création d’un guichet unique, et
    des soins, le numérique en santé et
    la démocratie sanitaire.
                                                  MESURES PRIORITAIRES SUR LA FORMATION (EN %)
    L’hôpital, au cœur
    des préoccupations…                                  Mieux lier la formation
                                                                                                                               50
                                                            au type d’exercice                     30
    Dans les réponses aux deux premières
    questions, les médecins ont largement
    exprimé leurs préoccupations vis-à-
    vis de l’hôpital : manque de moyens               Une révision du numerus
    matériels et humains, dégradations de                                                     16         20
                                                           clausus plébiscitée
    l’environnement de travail, difficultés
    à exercer, souffrance des soignants…
    À l’origine de ces maux : l’obstination à
                                                                     Humaniser
    faire des hôpitaux des établissements                                                 9         14
                                                           les études médicales
    rentables et ce, au détriment du soin.
    Les médecins souhaitent ainsi que
    soient redonnés à l’hôpital les moyens              Cité en premier         Autres citations          14 Total des citations
    d’assurer un service public de qua-
                                                 Source : Cnom/Elabe
    lité, y compris dans les hôpitaux de

    médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
en bref     7

que soient supprimés tous les certifi-
                                              MESURES PRIORITAIRES SUR LE NUMÉRIQUE (EN %)
cats inutiles. Ils souhaitent également
que la couverture sociale des médecins
libéraux soit améliorée afin de rendre                       La télémédecine
cet exercice plus attractif.                                                                            50                      58

Lier la formation au type
d’exercice                                                  L’appropriation et
Un médecin sur deux a choisi comme                     l’utilisation du dossier              24              30
mesure prioritaire de mieux lier la                           médical partagé
formation au type d’exercice (cf. gra-
phique). Nombreux sont ceux qui
déplorent en effet une formation trop         L’harmonisation des logiciels
hospitalo-centrée. La diversité des          entre la médecine hospitalière             13              20
pratiques médicales n’est pas suffi-                 et la médecine de ville
samment enseignée, en particulier
l’exercice libéral. Parmi les proposi-             Cité en premier            Autres citations           58 Total des citations
tions avancées : favoriser davantage
les stages en ambulatoire ou dans les
structures de proximité.                      MESURES PRIORITAIRES SUR LA DÉMOCRATIE SANITAIRE (EN %)

Une organisation des soins
mieux coordonnée                                        Replacer le médecin
                                                                                                   39                           59
La majorité des répondants estime                      au cœur des décisions
qu’une meilleure coordination des
acteurs est prioritaire pour améliorer
l’organisation territoriale des soins. À                   Mieux associer les
commencer par les liens entre ville et                              patients            9          16
hôpital. Il est nécessaire qu’ils soient
plus fluides, plus simples et plus
directs. Il n’est plus envisageable de
travailler en silo. Des solutions doivent     L’harmonisation des logiciels
également être trouvées pour prendre         entre la médecine hospitalière             9     10
en charge les soins non programmés                   et la médecine de ville
non urgents ailleurs que dans les ser-
                                                   Cité en premier            Autres citations           59 Total des citations
vices d’urgence. Pourquoi pas grâce
aux hôpitaux de proximité ou en valori-
sant les médecins de ville qui prennent
en charge les demandes urgentes ?           par… fax ! » Il est donc indispensable          instances ». De manière générale, le
                                            que tous les hôpitaux bénéficient d’un          pilotage de notre système de santé mais
La télémédecine plébiscitée,                accès à Internet sécurisé avec à disposi-       aussi la gouvernance des hôpitaux sont
mais…                                       tion des logiciels de partage de données        perçus comme étant strictement des-
La télémédecine est mentionnée par          et des messageries sécurisées.                  cendants, ne laissant que peu de place
un répondant sur deux comme étant                                                           à la concertation et à la codécision. Les
la mesure prioritaire à déployer en         Replacer les professionnels                     médecins souhaitent être davantage
matière de santé numérique (cf. gra-        au cœur des décisions                           écoutés et impliqués. Ils aspirent
phique). Néanmoins, elle cristallise        Concernant la question sur la démo-             ainsi à des modes de concertation et
encore des inquiétudes liées notam-         cratie sanitaire, une large majorité            de décision paritaires entre l’adminis-
ment aux craintes d’erreurs de diagnos-     de médecin estime prioritaire de                tration, les professionnels de santé et
tic. Un certain nombre de freins doivent    replacer le médecin au cœur des déci-           les patients dans toutes les instances
également être levés, en particulier en     sions (cf. graphique). Les répondants           décisionnaires (hôpitaux, ARS…).
termes d’équipements : « La plupart des     appellent à « une plus grande écoute
secrétariats des services hospitaliers      des acteurs de terrain face au “tout             + d’infos : www.conseil-national.medecin.
envoient encore les résultats urgents       administratif” dans les différentes             fr/node/3196

                                                                                                         médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
8
    en bref

                                                               CNG
       les                                                     Élections professionnelles
       tweets                                                  du 25 juin au 2 juillet 2019
       @ordre_medecins – 5 avril
       Réuni en Session, le Cnom a décidé
       de saisir la juridiction ordinale contre                De manière coordonnée au niveau national, le Centre national
       3 responsables du #Syngof pour avoir                    de gestion (CNG) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS)
       annoncé, dans une newsletter du                         organisent trois élections professionnelles. Le CNG pilote plus
       Syndicat, qu’il pourrait ordonner à ses                 particulièrement les élections des représentants des praticiens
       adhérents de cesser la pratique d’#IVG.                 hospitaliers (PH) à la Commission statutaire nationale (CSN)
                                                               et au Conseil de discipline (CD) et la DGOS, celles des représentants
       @ordre_medecins – 5 avril                               au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes
       #Sidaction2019 | MERCI à tous les                       et pharmaceutiques (CSPM).
       professionnels de santé et chercheurs                   Ces trois scrutins, auxquels sont électeurs tous les praticiens des
       qui se mobilisent pour lutter contre                    établissements de santé, sociaux et médico-sociaux publics, auront
       le #sida et accompagner les malades                     pour particularité d’être totalement dématérialisés. Les électeurs
       au quotidien.                                           recevront leurs codes par voie électronique et voteront uniquement
                                                               via internet, conformément au décret du 28 décembre 2017.
       @ordre_medecins – 4 avril                               Dès le 25 juin 2019, vous pourrez participer aux élections, munis de
       [Communiqué] Observatoire de                            vos codes de vote (distincts pour les élections à la CSN/CD et au
       la #sécurité des médecins : un nombre
                                                               CSPM) et de votre numéro ordinal. Alors, n’hésitez pas… VOTEZ !
       toujours plus important d’incidents
       déclarés. L’Ordre appelle une nouvelle
       fois les autorités à se saisir de cet enjeu              + d’infos
       majeur https://www.conseil-national.                    https://www.cng.sante.fr/praticiens-hospitaliers/elections-professionnelles-2019
       medecin.fr/node/3178

                                                                                                   Élections
    Besoin d’aide ?
    0800 288 038
    Le numéro unique d’écoute             ordinale ou d’une
    et d’assistance aux                   association régionale
    médecins et internes                  d’entraide), avec un
    change et devient                     psychologue clinicien ou
    le 0800 288 038.                      avec un interlocuteur
    Accessible gratuitement               spécifique pour évoquer
    24 heures sur 24 et 7 jours           toute difficulté financière,
    sur 7, ce service, lancé              administrative, juridique…                               Le Dr Frédéric Prudhomme a été
    début 2018 par le Conseil             En 2018, plus de                                         élu le 18 avril 2019 à l’occasion
    national des médecins,                4 000 appels ont été                                     de l’élection complémentaire
    permet d’être écouté et,              traités.                                                 au Conseil national de l’Ordre
    si besoin, d’être mis en                                                                       des médecins, représentant
    relation avec un confrère             + d’infos                                                la région Île-de-France,
    (de la commission                     https://www.conseil-national.                            département des Yvelines.
    départementale d’entraide             medecin.fr/node/3172

    médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
e-santé                  9

                                                               Propos recueillis par Sarah Berrier

Un « Health Data Hub »
pour mettre les données
au service de la santé
Le projet de loi santé devant le Parlement prévoit la création d’un Health
Data Hub, plateforme des données de santé. Son objectif est de faire de
la France un pays leader en termes d’utilisation des données de santé au
service du bien commun, en préservant un haut niveau de protection de la
vie privée. Le Dr Jacques Lucas, vice-président du Cnom, délégué général
au numérique, fait le point sur cette plateforme.

Qu’est-ce que le Health Data Hub?         encore pour développer des intelli-         Quelle est la position de l’Ordre ?
Il s’agit d’une plateforme publique,      gences artificielles qui ont besoin de      Nous essayons d’être très clairs, même
aux accès strictement contrôlés           grandes masses de données pour être         si les aspects techniques ne sont pas
et sécurisés, qui associera le Sys-       pertinentes. Le débat au Parlement a        simples à exposer. Les données ne
tème national des données de santé        permis de renforcer les garanties et        doivent pas rester une « mer morte ».
(SNDS) créé par la loi de santé de        les sécurités pour le citoyen.              Elles sont fondamentales pour la
2016, en le complétant avec d’autres                                                  recherche, l’organisation des soins,
sources de données. L’une des évolu-      Comment garantir la sécurité                voire l’élaboration des politiques
tions majeures réside dans l’origine      de ces données ?                            publiques. Ce n’est pas nouveau
des données. Aujourd’hui, le SNDS         C’est une question majeure pour les         puisque c’était ainsi que s’élaboraient
contient des données médico-admi-         libertés et la protection de la vie pri-    déjà des travaux scientifiques et des
nistratives issues essentiellement du     vée. La gouvernance de ce Health Data       thèses, mais nous changeons d’échelle.
Sniiram et du PMSI. Les données du        Hub sera déterminante pour apporter         C’est cette évolution qui pose l’exi-
Health Data Hub pourront provenir,        ces garanties et établir la confiance.      gence des garanties et sécurités
après leur anonymisation, des dos-        Elle doit reposer sur des principes de      relatives à la liberté individuelle
siers patients des établissements         démocratie sanitaire avec des repré-        des personnes, à commencer par leur
de santé, publics ou privés, ou des       sentants des professionnels, des usa-       information et leur consentement au
médecins de ville. La loi indique « des   gers, des organismes de recherche,          « don de leurs données ». Il est aussi
données collectées lors des actes pris    de la Cnam, du ministère, de la Cnil,       indispensable de s’assurer, dans le
en charge par l’Assurance mala-           du monde scientifique et institution-       système lui-même, que la « ré-iden-
die », mais également, avec l’accord      nel, des fédérations hospitalières, du      tification » sera impossible. Enfin,
du citoyen et sous son contrôle, les      CCNE… Jusqu’à maintenant, à l’Insti-        selon le Cnom, le comité éthique et
informations contenues dans son           tut des données de santé (INDS) – que le    scientifique du Health Data Hub devra
espace numérique de santé. Il est         Health Data Hub va remplacer –, deux        purger tout conflit de compétences
fondamental de comprendre que             comités distincts donnaient leurs avis      entre ce qui est scientifique et ce qui
toutes ces données seront « dé-iden-      pour l’accès au SNDS. L’un sur l’intérêt    est éthique. Sa composition sera à cet
tifiées » afin de respecter le secret     scientifique de la recherche envisagée      égard déterminante. Évidemment,
médical. Il s’agit là d’une exigence      et l’autre sur son intérêt général et non   tout ne sera pas opérationnel sitôt la
fondamentale que le Cnom a rappe-         pas purement privé, avec un regard          loi votée et promulguée, mais pour ce
lée. L’autre évolution majeure réside     éthique. Le projet de loi prévoit qu’un     qui le concerne, l’Ordre sera attentif
dans la simplification des autorisa-      seul comité éthique et scientifique,        à tous les développements à venir, à la
tions d’accès à des fins identifiées      dont la composition sera précisée par       fois sur les décrets et sur la convention
et connues de recherche clinique,         décret, étudiera les demandes d’accès       constitutive du GIP, puisque ce sera la
économique, en santé publique ou          aux données.                                forme juridique du Health Data Hub.

                                                                                                  médecins n° 61 mai-juin 2019
Au coeur de l'hôpital - Conseil National de l'Ordre des Médecins
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     sur le terrain
     Texte : Éric Allermoz | Photos : Julian Renard

     À la fac de médecine, des stages
     pour apprendre à écouter
     À Paris, des étudiants en médecine s’immergent quelques heures dans le
     quotidien des écoutantes du Collectif féministe contre le viol ou des
     maraudeurs du Samu social. L’objectif ? Les sensibiliser à l’écoute de l’autre.
     Casque vissé sur la tête, Vlad écoute
     attentivement le récit de Jade1, vic-
     time d’un viol, qui appelle pour la
     première fois le numéro vert natio-
     nal « Viols femmes informations »
     du Collectif féministe contre le viol
     (CFCV). Dans ses locaux parisiens, le
     collectif reçoit 7 000 appels par an.
     En France, une femme sur six a subi
     ou subira des violences sexuelles au
     cours de sa vie. Insupportable réalité.
     Une fois le téléphone raccroché,
     Séverine1, écoutante de l’associa-
     tion, débriefe avec le jeune étudiant,
     sonné par ce qu’il vient d’entendre.
     « Les médecins prennent régulière-
     ment en charge des femmes victimes
     de violences. Des phrases simples les
     rassurent, libèrent la parole : “Je vous
     crois”, “Vous avez raison de parler”,
     “Je vais vous aider” », explique-t-elle.
     Depuis 2012, la faculté de médecine
     Sorbonne Université envoie ses étu-
     diants de 4e année à la rencontre de
     personnes victimes de violences ou
                                                  Chaque année, 400 étudiants en médecine de Sorbonne Université participent
     en détresse. Un mini-stage obligatoire       à des stages d’écoute avec les écoutantes du Collectif féministe contre le viol.
     qui permet aux apprentis médecins de
     travailler leurs compétences relation-
     nelles avec les patients. « L’empathie     la façon dont les écoutantes créent             mais c’est un début. Le collectif milite
     du médecin, sa capacité à écouter          un climat de confiance. Cette expé-             pour que tous les médecins, généra-
     et à comprendre les maux de son            rience me permettra aussi, à l’avenir,          listes comme spécialistes, interrogent
     patient sont essentielles, mais insuf-     d’orienter mes patients vers le CFCV. »         chaque patient pour savoir s’il a été vic-
     fisamment développées au cours de sa       Les étudiants sont peu sensibilisés             time de violence, comme il demande
     formation », détaille le Pr Alexandre      à dépister et prendre en charge les             s’il a des allergies à des médicaments
     Duguet, vice-doyen chargé de la for-       violences sexuelles, la précarité, le           ou des antécédents de maladie car-
     mation à la faculté de médecine Sor-       handicap, les maladies mentales,                diaque », précise Véronique Wolf,
     bonne Université. C’est lui qui est à      qui ont pourtant un réel impact sur             coordinatrice d’équipe au CFCV.
     l’origine de ce module atypique.           la santé, même des années plus tard.
                                                Plus on connaît son patient, son vécu,          Un enseignement protéiforme
     Créer un climat de confiance               mieux on le soigne.                             À Sorbonne Université, plusieurs
     Pour Vlad, l’expérience est positive :     Ces quelques heures d’écoute et d’em-           initiatives tendent vers cette méde-
     « Je retiens l’importance des mots,        pathie sont-elles suffisantes ? « Non,          cine plus empathique. Formation

     médecins n° 61 mai-juin 2019
sur le terrain    11

                                                                                    Une mauvaise écoute des médecins réduit
                                                                                    l’efficacité d’une consultation. Selon une thèse
                                                                                    de médecine sur le sujet (violences sexuelles
                                                                                    et formation médicales initiales – Gaëlle
                                                                                    Auber, 2014), 83% des participants s’estiment
  Certains participants affichent leur stupeur face aux témoignages des personnes
                                                                                    insuffisamment formés à l’écoute.
  victimes de violences sexuelles.

à la communication non violente
(CNV), saynètes avec des étudiants              Témoignage
en théâtre pour travailler la relation          Pr Alexandre Duguet, pneumologue,
avec les familles, rencontres avec              vice-doyen chargé des formations, Sorbonne Université
des associations de patients pour
comprendre leurs attentes, etc. Les
étudiants effectuent aussi des stages           « Former des médecins                      patient s’il a été victime
                                                                                           de violence, quel que soit le motif
d’écoute avec le Samu social et SOS             plus empathiques »                         de sa visite. C’est une question
Amitiés. L’actuelle réforme des études                                                     simple, facile à poser, qui ne doit pas
de médecine prévoit également de                Nos patients attendent de nous             être taboue. Lorsque les stages
valoriser les compétences relation-             de la compétence, du savoir-faire,         d’écoute ont débuté, en 2012,
nelles des futurs médecins.                     mais aussi de l’écoute. Les études         certains collègues ont d’abord
                                                de médecine doivent former de              été réticents. Ils considéraient que
                                                meilleurs médecins, plus                   cette immersion n’avait pas sa place
1. Les prénoms ont été changés.
                                                empathiques – alors qu’eux-mêmes           dans un cursus de médecine.
                                                ne reçoivent pas souvent                   Ces stages constituent une
 + d’infos : Collectif féministe contre         d’empathie au cours de leur cursus.        expérience émotionnelle forte,
le viol. Numéro vert national « Viols           Il est tout à fait possible, comme         éclairante sur un sujet difficile dont
femmes informations » au 0 800 05 95 95,        le souhaite le Collectif féministe         les étudiants ne soupçonnent pas
www.cfcv.asso.fr                                contre le viol, de demander à notre        toujours l’impact sur la santé.

                                                                                                          médecins n° 61 mai-juin 2019
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     rubrique

      entretiens croisés
     Texte : Émilie Tran-Phong | Photos : DR

     Dispositifs médicaux
     Comment améliorer
     leur sécurité ?
     Fin 2018, une enquête journalistique internationale soulignait les failles du
     système actuel de régulation des dispositifs médicaux en Europe.
     Certaines sont déjà en voie d’amélioration, dans le cadre d’une
     réglementation adoptée en 2017, mais il reste une marge de progression.

                                    Le terme « dispositif médical » désigne         fait de conflits d’intérêts, les organismes

       18208                        aussi bien des pansements et des lunettes
                                    que des implants mammaires, des pro-
                                    thèses de hanche ou des pacemakers.
                                    Pourtant, aujourd’hui, « tous ces produits
                                                                                    chargés d’attribuer le précieux sésame
                                                                                    ne sont pas tous très regardants. » À cela
                                                                                    s’ajoutent des problèmes de transparence,
                                                                                    de traçabilité et de matériovigilance.
       effets indésirables          sont trop souvent considérés comme de           Les autorités sanitaires des États membres
       liés à des dispositifs       simples objets de consommation : il leur        en sont conscientes. Elles ont déjà poussé
       médicaux ont été             suffit d’obtenir le marquage CE, attestant      la Commission européenne à réécrire la
       déclarés à l’ANSM en         de leur conformité avec la législation, pour    réglementation sur les dispositifs médi-
       2017, soit 31 % de plus      bénéficier du droit à la libre circulation      caux. Adopté en avril 20171, le nouveau
       qu’en 2014 (13 855).         des marchandises en Europe, souligne le         texte s’appliquera en mai 2020. Pour les
                                    Dr Jean-Marcel Mourgues, président de la        experts interrogés ci-après, les amélio-
                                    section Santé publique du Conseil national      rations apportées seront notables mais
                                    de l’Ordre des médecins (Cnom). L’enquête       perfectibles.
                                    Implant Files, publiée en novembre 2018
                                    par le Consortium international des jour-       + d’infos
                                                                                    Pour signaler tout événement sanitaire indésirable :
                                    nalistes d’investigation (ICIJ), l’a montré :   signalement-sante.gouv.fr
                                    ce système n’est pas à la hauteur. Il n’y a
                                    aucune obligation d’essais cliniques et, du     1. Règlement (UE) 2017/745 du 5 avril 2017.

     médecins n° 61 mai-juin 2019
13

Dr Jean-Marcel                  Jean-Claude                 Isabelle                       Alain-Michel
Mourgues,                       Ghislain,                   Adenot,                        Ceretti,
président de la section         directeur des affaires      présidente de la               président de France
Santé publique du Cnom          scientifiques à l’ANSM      CNEDiMTS, à la HAS             Assos Santé

 Dr Jean-Marcel Mourgues                                  Alain-Michel Ceretti
 Contrairement aux médicaments, les                       Même s’ils font des essais cliniques avant mise
 dispositifs médicaux ne passent pas par                  sur le marché, les fabricants butent sur un
 une procédure d’autorisation de mise                     autre problème : celui de la matériovigilance.
 sur le marché (AMM). Ils ne font pas                     Les études préalables n’ont pas la puissance
 systématiquement l’objet d’essais cliniques              nécessaire pour déceler des effets indésirables
 et ne sont pas évalués par une agence                    rares ou liés à une utilisation en vie réelle.
 publique dédiée. Pourtant, certains qui                  Seules les données remontées du terrain peuvent
 sont implantables présentent des risques                 le faire. Or, celles-ci sont trop parsemées pour
 potentiels élevés et, une fois posés, sont               mettre en lumière les signaux qui permettraient
 difficiles à retirer. Ce ne sont pas de simples          d’éviter une crise. En cause : le nombre limité de
 marchandises, mais ils sont traités comme                personnes recevant un même implant, une faible
 telles. Et le système est d’autant moins                 implication de ces patients dans la démocratie
 contraignant que ce sont les fabricants qui              en santé (au sein d’associations notamment) et
 choisissent et paient les organismes notifiés            le fait que trop peu de médecins signalent les
 chargés d’évaluer leurs produits.                        incidents. Il y a par ailleurs un problème de
                                                          traçabilité : en cas d’alerte sur une prothèse, il
                                                          est très difficile aujourd’hui de retrouver et de
                                                          contacter les patients qui l’ont reçue.

Quelle est
la situation en France ?                                         Jean-Claude Ghislain
                                                                 L’Agence nationale de sécurité des
                                                                 médicaments et des produits de santé
                                                                 (ANSM) peut interdire un dispositif si
                                                                 celui-ci présente un risque important,
 Isabelle Adenot                                                 ou le suspendre en cas de forte
 À la Haute Autorité de santé (HAS), nous évaluons               suspicion. Si nous ne délivrons pas le
 le service médical rendu de dispositifs médicaux en             marquage CE, nous avons en effet pour
 vue de leur prise en charge par l’Assurance maladie.            mission de surveiller les produits de
 Ce travail, complémentaire au marquage CE, porte                santé sur le marché et de retirer ceux
 sur une très petite minorité de dispositifs. Dans               qui posent problème. Cela passe par le
 les établissements de santé notamment, nous ne                  traitement des incidents qui nous sont
 voyons que les dispositifs dont la liste est fixée par          remontés, par des contrôles proactifs
 arrêté (les défibrillateurs cardiaques, par exemple)            sur les produits qui nous paraissent
 et ceux inscrits sur une liste dite « en sus ». En              sensibles et, si besoin, par des
 dehors de ces deux situations, nous n’évaluons pas              inspections chez les fabricants. Nous
 les dispositifs utilisés à l’hôpital, soit une bonne            désignons et contrôlons par ailleurs les
 partie d’entre eux. Cela explique en partie que nous            organismes notifiés français (à ce jour,
 n’ayons pas eu à évaluer les prothèses mammaires,               il n’y en a qu’un : le LNE/G-MED). En
 jusqu’au récent arrêté paru en mars 2018. Nous en               revanche, nous ne supervisons pas ceux
 serons chargés à partir du 31 mars 2023.                        des autres pays. C’est l’un des points
                                                                 qui va être amélioré par la nouvelle
                                                                 réglementation.

                                                                                           médecins n° 61 mai-juin 2019
14
     entretiens croisés

       Dr Jean-Marcel Mourgues
       La réglementation de 2017 va dans le bon
       sens, elle devrait mieux encadrer l’activité                                 Dr Jean-Marcel Mourgues
       des organismes notifiés. Il faudra cependant
       attendre quelques années avant de pouvoir                « Les dispositifs médicaux sont traités
       évaluer son impact réel. La création d’une base          comme de simples marchandises. »
       de données européenne sur les dispositifs
       médicaux devrait faciliter le partage
       d’informations entre les autorités des différents           Alain-Michel Ceretti
       pays, qui disposeront ainsi de plus de données              Avec une supervision plus étroite des organismes
       pour réaliser leurs études. Mais le problème                notifiés, la nouvelle réglementation devrait conduire
       de sous-déclaration des incidents relève des                à en réduire le nombre, ainsi que la compétition
       médecins. Au Cnom, nous avons à mener un                    qu’ils se livrent pour être choisis par les fabricants.
       travail d’acculturation des professionnels à                Il sera aussi plus difficile pour un dispositif
       l’importance de remonter les effets indésirables            médical d’obtenir le marquage CE. On regrettera
       des médicaments ou dispositifs médicaux.                    néanmoins que l’Europe n’ait pas décidé de se doter
       C’est d’autant plus nécessaire, dans le cas                 d’une haute autorité de santé indépendante pour
       des dispositifs médicaux, que la nouvelle                   l’attribuer. Le texte va dans le bon sens mais il ne
       réglementation ne prévoit toujours pas de réelle            va pas assez loin puisqu’il ne supprime pas le lien
       procédure d’AMM.                                            commercial direct, qui a déjà montré ses failles,
                                                                   entre les fabricants et les entreprises chargées
                                                                   d’évaluer leurs produits. Même si les audits
                                                                   devraient être plus poussés, les risques liés aux

     Que va changer
                                                                   conflits d’intérêts persistent.

     la nouvelle
     réglementation ?                                      Isabelle Adenot
                                                           La nouvelle réglementation vise à améliorer le marquage CE,
                                                           donc la qualité des dispositifs médicaux mis sur le marché.
                                                           La mission de la HAS ne va pas changer. Mais nous aurons
                                                           peut-être moins d’avis négatifs à donner pour « service
                                                           médical insuffisant ». Au quatrième trimestre 2018, cela
                                                           concernait 36 % des dossiers ! Or, il faut rappeler qu’un tel
                                                           avis, s’il empêche le remboursement d’un produit, n’interdit
                                                           pas sa commercialisation. Cela limite néanmoins son usage.
                                                           C’est pourquoi, en complément de la révision des règles
                         Jean-Claude Ghislain              européennes, le ministère de la Santé a décidé en mars 2019
                                                           d’allonger la liste des dispositifs qui, même s’ils entrent dans
     « Les choses évoluent,                                le cadre du forfait hospitalier et ne demandent pas à être
     même s’il y a encore                                  remboursés en sus, doivent passer par notre commission
     des points à améliorer. »                             d’évaluation. Cela inclut, par exemple, des dispositifs utilisés
                                                           dans le traitement de l’incontinence urinaire.

                 Jean-Claude Ghislain
                 La réglementation européenne a été révisée en 2017, à la suite d’un bilan que nous avions réalisé
                 avec les autres autorités nationales compétentes. Cette réécriture visait à corriger les anomalies
                 identifiées. Ainsi, les organismes notifiés ne seront plus contrôlés par la seule autorité compétente
                 de leur pays, mais par plusieurs agences. Cela devrait harmoniser les pratiques, d’autant qu’ils ne
                 seront plus seuls à décider : avant d’attribuer un marquage CE, ils devront désormais consulter
                 un panel d’experts européens. Autre avancée : les essais cliniques deviennent obligatoires pour
                 les implants les plus à risque. Une base de données européenne sur les dispositifs médicaux
                 et leurs événements indésirables (Eudamed) va être créée et, pour améliorer la traçabilité, un
                 identifiant unique sera attribué à chaque dispositif.

     médecins n° 61 mai-juin 2019
entretiens croisés        15

 Dr Jean-Marcel Mourgues                                             Jean-Claude Ghislain
 La mission d’information sur la sécurité des                        La nouvelle réglementation continue de
 dispositifs médicaux, lancée par l’Assemblée nationale              s’appuyer sur les organismes notifiés. Mais
 consécutivement aux Implants Files, a rendu son                     ces derniers sont contraints de s’appuyer
 rapport le 6 mars 2019. Elle y donne quelques pistes                sur des études cliniques et peuvent
 pertinentes. Par exemple la nécessité de soutenir                   difficilement prendre une décision qui
 au niveau européen la mise en place d’une véritable                 va à l’encontre de l’avis, public, du panel
 AMM pour les implants les plus invasifs. Ou encore la               d’experts consulté. Les choses évoluent,
 modification du code de la Santé publique, en France,               même s’il y a encore des points à améliorer.
 pour élargir les types d’incidents devant faire l’objet             On regrette notamment que la proposition,
 d’une déclaration obligatoire. Cela permettrait de                  soutenue par la France, de transformer
 repérer plus vite des effets indésirables susceptibles              l’Agence européenne du médicament (EMA)
 de devenir des crises sanitaires. La traçabilité des                en Agence européenne du médicament
 dispositifs pourrait aussi être améliorée, pourquoi                 et des produits de santé, ait été rejetée.
 pas via le dossier médical partagé (DMP) : l’identifiant            Le renouvellement prochain des députés
 unique de l’implant reçu par le patient pourrait y être             européens sera peut-être l’occasion d’en
 indiqué, de manière à ce que celui-ci puisse être alerté            discuter. De même, nous aimerions que les
 en cas de problème ou pour informer directement les                 dispositifs médicaux ne dépendent plus de
 autorités en cas d’effet indésirable inhabituel.                    la direction générale des Entreprises mais
                                                                     de la direction générale de la Santé à la
                                                                     Commission européenne.

                                                            Que faire pour améliorer
                   Isabelle Adenot
                                                            encore la sécurité des
« La nouvelle réglementation                                dispositifs médicaux ?
vise à améliorer
le marquage CE, donc
la qualité des dispositifs                       Alain-Michel Ceretti
médicaux mis sur le                              Une fois leurs produits sur le marché, les fabricants n’ont que
marché. »                                        très peu d’informations sur la façon dont les patients les vivent,
                                                 ils ne savent pas s’ils ressentent une gêne en les utilisant ou si
                                                 des effets indésirables apparaissent à long terme. N’ayant aucun
                                                 lien direct avec eux, ils peuvent avoir recours à des associations
 Isabelle Adenot                                 de malades pour la réalisation d’études anonymisées sur un
 Les deux listes de dispositifs utilisés en      implant ou une machine. Mais, pour certaines pathologies, la
 établissements de santé et que la HAS           fracture du col du fémur par exemple, ce n’est pas possible, il
 peut évaluer sont trop figées. Il faudrait      n’y a pas de représentants. Il faudrait encourager les patients
 qu’elles soient revues de façon plus            à se mobiliser davantage, en remontant par exemple d’eux-
 dynamique, en fonction des risques et           mêmes les effets indésirables inhabituels sur le portail dédié au
 des innovations. De même, ne faudrait-          signalement des incidents. C’est le seul moyen, parfois, d’éclairer
 il pas que nous puissions aussi évaluer,        les industriels. En échange, il faudrait plus de transparence de
 facultativement, les logiciels d’aide aux       la part de ces derniers.
 diagnostics et choix thérapeutiques
 des médecins, notamment ceux qui
 engagent la vie (classe III ou IIb) ? Pour
 exemple, des logiciels qui dépistent
 les mélanomes sur photo peuvent être
 marqués CE puis mis sur le marché. Les
 professionnels ne souhaiteraient-ils pas
 un « label » pour diriger leurs choix ? Il
 est probable que les industriels soient                                      Alain-Michel Ceretti
 aussi intéressés par une telle option,
 pour une discrimination positive.                          « Les risques liés aux conflits
                                                            d’intérêts persistent. »

                                                                                            médecins n° 61 mai-juin 2019
16

     66 596
     MÉDECINS
     SALARIÉS
     HOSPITALIERS
     soit 30 % des médecins
     en activité, et
     24 134 médecins en
     exercice mixte.

     Sources : DREES
17

 dossier
Textes : Éric Allermoz, Dominique Fidel | Photos : iStock, DR

Remettre le soin
au cœur de l’hôpital
Lourdeurs administratives, contraintes budgétaires de plus en plus
prégnantes, relations ville-hôpital compliquées, éloignement des médecins
de la gouvernance des établissements… Au fil des dernières décennies,
sous la contrainte économique, les médecins hospitaliers sont à la peine.
Alors comment remettre le soin et les soignants au cœur des priorités
de l’univers hospitalier ? Éléments de réflexion.

Fin 2015, l’Ordre des médecins lan-
çait une grande consultation auprès         Point de vue de l’Ordre
des médecins, toutes spécialités            Dr François Simon, président
médicales et tous modes d’exercice          de la section Exercice professionnel du Cnom
confondus. Parmi les 30 000 parti-
cipants figuraient 5 000 médecins
hospitaliers. Le tableau dressé par         « Pour que la réforme annoncée soit à la hauteur
leurs témoignages était sans appel :        des enjeux »
on y découvrait des médecins fiers et
                                            Depuis quelques années,    gouvernance trop peu       de la loi. Cette dernière
globalement satisfaits de leur situa-       nous avons mis en place    partagée au sein           ayant été rédigée dans
tion professionnelle, mais aussi décri-     un groupe de réflexion     des établissements         l’urgence pour assurer
vant un métier dévalorisé, soumis à la      réunissant des médecins    comme dans le cadre        une entrée en vigueur
pression de la rentabilité et à des rela-   hospitaliers, issus pour   des groupements,           rapide de la réforme
tions conflictuelles avec le régulateur.    une bonne part de          confidentialité des        des études médicales,
Pour remettre sur pied un système de        centres hospitaliers       données remise en          de nombreux points qui
santé perçu comme à bout de souffle,        non universitaires. Nos    question… Sur tous ces     figuraient dans le plan
plusieurs pistes d’action avaient été       échanges ont confirmé      points le Cnom a été       gouvernemental ont
                                            les nombreuses failles     force de proposition, en   été renvoyés à des
évoquées. Quatre d’entre elles furent
                                            que nous pressentions :    amont du plan Ma Santé     ordonnances, ce qui nous
jugées prioritaires : l’augmentation        diminution du temps        2022 et dans les projets   semble regrettable. Lors
du temps médical, une gouvernance           disponible sous le poids   d’amendements              de leur rédaction, l’Ordre
partagée avec les directions adminis-       de l’administration,       qui ont été déposés        sera particulièrement
tratives, la lutte contre les inégalités    informatique en            en convergence avec        vigilant pour que la
territoriales d’accès aux soins et          décalage total avec les    d’autres acteurs pendant   réforme annoncée soit
enfin, une meilleure structura-             usages contemporains,      l’examen des articles      à la hauteur des enjeux.

                                                                                                  médecins n° 61 mai-juin 2019
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