RéussiR la "révoluti on verte" - dossier | révolution verte 10 - Université de Genève
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11 on verte» A l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis depuis l’élection à la pré- sidence de Barack Obama, de nombreux pays misent aujourd’hui sur un «Green New Deal» pour sortir de la crise Il ne suffira toutefois pas d’investir massivement dans les technologies propres pour réussir cette nouvelle «révolution verte», mais de modifier nos modes de consom- mation, ainsi que notre conception de la crois- sance économique A Genève comme ailleurs, de nombreux exemples montrent le chemin à suivre dans des domaines aussi divers que la gestion des eaux, le logement ou les transports Dossier réalisé par Anton Vos et Vincent Monnet Photographies: Olivier Vogelsang et agences Université de Genève
12 dossier | révolution verte «Ce qu’il nous faut, c’est une révolution» — Pour Franco Romerio, chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement, il est possible de parvenir à une société propre. A condition d’opérer un changement radical de notre mode de vie Campus: Que vous évoque la notion de «révolution verte»? Franco Romerio: C’est une idée, pas si récente, dont on reparle abondamment depuis le dé- clenchement de la crise financière et écono- mique que nous vivons actuellement. Basée sur l’investissement massif dans les nouvel- les technologies de l’énergie — et la décarbonisation pro- gressive de notre société, Franco la révolution verte (Green Romerio, chercheur New Deal, lire ci-dessous) à l’Institut est présentée non seulement des sciences comme une solution per- de l’environ mettant, dans une certaine nement mesure, de relancer l’écono- mie, mais aussi d’assurer une croissance économique à long terme. Et cela, bien sûr, tout en préservant l’environnement et en demeurant dans l’esprit du développe- ment durable. Le président des Etats-Unis, Ba- rak Obama, a affirmé qu’il favoriserait cette voie, notamment via son plan de relance qui prévoit de consacrer beaucoup d’argent au fi- nancement de projets de recherche et de dé- veloppement dans ce domaine. Il y a environ une année à Paris, le commissaire européen à l’Energie, Andris Piebalgs, tenait lui aussi un discours encourageant l’Union européenne à se lancer dans cette «troisième révolution in- dustrielle». Prend-on ce chemin, dans les faits? A mon avis, on n’agit pas assez. Je vois néan- moins des signes encourageants. Des indus- tries et des projets se créent dans le domaine des énergies renouvelables, notamment dans le so- laire. Très localement, au Tessin, par exemple, récolter, d’ici à 2050, l’énergie solaire dans le Quel est l’objectif de cette révolution verte? une usine de panneaux solaires a été inaugu- Sahara et de l’acheminer, via une nouvelle in- S’agit-il à terme de se passer du pétrole, du rée cet été avec une centaine d’emplois à la clé. terconnexion électrique qui s’étendra des pays gaz et du charbon dans notre approvision- A une tout autre échelle, le gigantesque projet du Maghreb à la Méditerranée, jusqu’en Europe nement en énergie? allemand Desertech a été présenté au public du Nord. On se dirige donc dans la bonne direc- Oui, mais pas seulement. Il s’agit certes de récemment (lire en page 21). L’objectif est de tion, notamment en Europe et aux Etats-Unis. développer les technologies nécessaires à la Campus N° 96
13 Inauguration officielle de l’Institut des sciences de l’environnement Fonctionnel depuis deux ans, l’Institut des nation de deux grands projets européens sciences de l’environnement (ISE) a été offi- ACQWA et ENVIROGRIDS, la participation ciellement inauguré le 24 septembre dernier. à de nombreux autres projets financés par L’événement a notamment été marqué par l’Union européenne, le Fonds national suisse une conférence de Claude Lorius, professeur de la recherche scientifique, le secteur public émérite au CNRS et membre du Groupe inter- ou le secteur privé. gouvernemental pour l’étude de l’évolution Les liens internationaux de l’ISE compren- du climat (GIEC) sur le thème «Climat et nent une participation active aux travaux Environnement: le message des glaces» du GIEC, co-récipiendaire en 2007 du Prix Fruit de la refonte du Centre universitaire Nobel de la paix, à ceux du Programme des d’écologie humaine (CUEH), du Centre uni- Nations unies pour l’environnement ainsi versitaire d’étude des problèmes de l’énergie qu’avec l’Organisation mondiale de la santé. (CUEPE) et de l’Institut d’architecture, l’ISE Pour renforcer son caractère international, mobilise également des membres de la plusieurs accords d’échange de chercheurs et Faculté des sciences économiques et sociales d’étudiants existent déjà avec des universités et de la Faculté des sciences. telles que l’UCLA (University of California La vocation de l’Institut est de promouvoir at Los Angeles) et l’UQAM (Université du l’enseignement et la recherche pluridiscipli- Québec à Montréal). naires dans des domaines comme le climat, Côté enseignement, depuis l’entrée en l’énergie, l’eau, la biodiversité, l’urbanisme, vigueur de la maîtrise universitaire en scien- la santé ou encore la gouvernance. ces de l’environnement (MUSE) à la rentrée Sur le plan de la recherche, l’ISE connaît académique de 2007, l’ISE accueille environ déjà d’importants succès avec la coordi- 40 nouveaux étudiants par année. de manière générale, une forte réduction de une mauvaise isolation thermique. Leur as- notre consommation. Dans ce domaine, le po- sainissement pourrait produire des résultats tentiel est énorme. spectaculaires. En fabriquant des appareils et des machines En combinant efficience énergétique et moins gourmands en énergie, par exem- énergies renouvelables, pourra-t-on se pas- ple? ser entièrement du pétrole un jour? C’est un des points importants. Certaines me- On y arrivera de toute façon, les réserves de sures ont d’ailleurs déjà été prises dans ce sens, pétrole n’étant pas illimitées. Selon les avis, comme l’usage d’ampoules économiques pour compte tenu des taux de prélèvement actuel, l’éclairage privé et public qui est entré dans la les ressources pourraient s’épuiser d’ici trente législation suisse. Mais il existe d’autres sec- à soixante ans. La grande difficulté qu’il faut teurs où les améliorations possibles sont im- surmonter est la transition. On ne peut pas se portantes. Le parc de voitures, par exemple, débarrasser de notre dépendance aux énergies est relativement inefficient. Il pourrait, dans fossiles (qui représentent aujourd’hui 80% de son ensemble, consommer beaucoup moins la consommation totale en énergie) du jour d’essence s’il était renouvelé et si les construc- au lendemain, ni même en dix ou vingt ans. production d’énergie renouvelable (via le so- teurs recouraient à certaines technologies L’inertie de l’industrie face aux changements laire, l’éolien, la biomasse, la géothermie…) qui sont déjà sur le marché. Cela dit, le do- est énorme (lire en page 22). C’est pourquoi, qui, dans l’idéal, devrait couvrir tous nos be- maine où les économies sont les plus faciles si l’on veut que cela se déroule de manière soins. Mais cela ne sera possible que si, paral- à réaliser est celui du chauffage des maisons. acceptable et pas trop douloureuse, il est fon- lèlement, on améliore l’efficience énergétique, De trop nombreux bâtiments, surtout ceux damental de prendre immédiatement les dé- ce qui implique une chasse au gaspillage et, construits dans les années 1960, possèdent cisions et les mesures politiques adéquates. Université de Genève
14 dossier | révolution verte Ces mesures doivent favoriser les économies Comment? parvenir à un consensus. Sans cela, le risque d’énergie et le développement de technolo- On peut imaginer une organisation sociale est grand de créer des résistances et il sera gies propres, mais aussi, et c’est là peut-être la moins basée sur les biens matériels et les res- alors impossible de faire passer des mesures de partie la plus ardue, préparer un changement sources, mais davantage sur des valeurs qua- protection de l’environnement. Les solutions important dans notre style de vie. Cela pren- litatives. Au lieu de créer du revenu et de la proposées doivent donc être politiquement dra du temps, mais il faut que dans le courant richesse à tout prix, pourquoi ne pas essayer et socialement acceptables et l’évolution des de ce siècle, d’ici cinquante ou cent ans, notre de mieux profiter du temps libre et des loisirs? mentalités encouragée de façon positive. En organisation sociale et nos comportements, En d’autres termes, remplacer un peu du pou- offrant, par exemple, un système de transports presque totalement basés sur le pétrole, se voir d’achat par un capital de temps libre, tout publics encore plus efficace et bon marché modifient radicalement. en résistant aux produits extravagants offerts afin que les gens renoncent petit à petit à leur par l’industrie des loisirs. voiture personnelle. Dans un pays comme la Suisse, il vaut mieux utiliser la carotte que le Est-ce encore tabou que de demander aux bâton. Certains économistes, de leur côté, pro- gens de changer leur mode de vie? posent de passer davantage par des mesures Ce n’est en tout cas pas une évolution triviale. incitatives comme les taxes (lire en page 18). Pour commencer, nous souffrons tous d’une Mais de telles idées ont toujours eu de la peine vue à court terme. Il n’est pas facile de de- à être acceptées par le parlement. mander aux gens, y compris aux décideurs, d’étendre leur horizon temporel à cinquante Pour vous, le changement de mentalité ou cent ans et d’imaginer quel serait le monde pourrait prendre un siècle. La situation en- si l’on ne fait rien. De plus, remettre en ques- vironnementale (changements climatiques, tion le modèle de société provoque des débats destruction des milieux naturels, chute de qui ne sont pas aisés à mener. Le politicien la biodiversité, surexploitation des ressour- qui s’y essaye court le risque de soulever une ces) semble pourtant appeler des mesures tempête de protestations et d’être désavoué urgentes. Ne peut-on pas aller plus vite? par ses électeurs. C’est d’autant plus difficile Nous sommes en effet en train de nous hâter que le modèle actuel, basé notamment sur lentement. C’est une question de volonté po- la croissance économique, fonctionne assez litique. Le Conseil fédéral a fixé comme ob- bien, en apparence du moins, puisque tout le jectif pour 2100 la mise en place d’une société monde en tire profit: le secteur privé, les tra- à 2000 watts (lire en page 16). Aujourd’hui, vailleurs, le système social, etc. Tous ces élé- chaque habitant en Suisse consomme en ments font que personne n’a vraiment envie moyenne 5000 W. L’effort à fournir n’est donc de tout remettre sur la balance, sauf peut-être pas négligeable puisqu’il faut diviser par deux les chercheurs universitaires qui ont la liberté et demi notre train de vie actuel. Mais cet ef- «L’effort à fournir de se poser ces questions fondamentales sans fort se heurte à de fortes résistances, notam- n’est pas négligeable entrer en conflit avec de puissants intérêts économiques et politiques. ment dans certaines branches de l’industrie qui ont des intérêts opposés. A cela s’ajoute le puisqu’il faut diviser fait que les politiciens ne sont pas toujours très Changer de mode de vie peut-il conduire à conscients de l’urgence environnementale et par deux et demi une diminution des libertés individuelles? qu’ils sont par ailleurs confrontés à toute une notre train de vie La Suisse est un pays démocratique qui dis- pose d’un instrument redoutable: le référen- panoplie d’autres problèmes sociaux et éco- nomiques perçus comme plus prioritaires. actuel» dum. Cela implique qu’il est indispensable de La meilleure preuve de cet état d’esprit est le Campus N° 96
Trois mots à la mode: «Green New Deal» ◗ Faisant référence au vaste plan de relance mis en œuvre par le président américain Franklin D. Roosevelt en 1933, le terme de Green New Deal est apparu pour la première fois sous la plume de l’éditorialiste Thomas Friedman dans les colonnes du New York Times le 19 janvier 2007. Constatant les effets du réchauffe- ment climatique et l’inaction de l’admi- nistration de George W. Bush, il pensait qu’un tel plan serait le seul capable de changer radicalement l’approvision nement en énergie des Etats-Unis. http://www.thomaslfriedman.com ◗ Début 2007, un groupe de pression britannique s’inspire lui aussi de Franklin D. Roosevelt lorsqu’il se baptise Green New Deal Group. Composé de personna- lités politiques, de journalistes, d’écono- financement que la Confédération consacre Faut-il remettre en cause la croissance? mistes et de défenseurs de la nature, aux problèmes de l’énergie. Il y a une quin- Le changement de mode de vie passe, inévi- il publie un rapport le 21 juillet 2008 zaine d’années, elle prévoyait d’allouer des tablement, par la remise en cause de la crois- dans lequel il énumère les mesures moyens importants à ces questions. Mais les sance économique et par un développement politiques qu’il faudrait prendre pour tenter de contrer les effets des change- autorités ont par la suite opéré des coupes plus qualitatif. D’aucuns vous diront que si ments climatiques, de la crise financière importantes à chaque fois que des difficultés l’on diminue la croissance, cela posera des actuelle et du peak oil, c’est-à-dire le économiques se sont présentées. Sachant cela, graves problèmes en ce qui concerne les as- moment où la production mondiale il peut paraître paradoxal que l’on entende surances sociales ou le remboursement des de pétrole commencera à décliner. maintenant de toutes parts qu’il faut profiter dettes publiques. De plus, les catégories so- Publié par the New Economics Founda- de la crise pour investir massivement dans le ciales les plus défavorisées ne vont certaine- tion, un think-and-do tank britannique, domaine de l’énergie. ment pas accepter de diminuer leurs revenus le rapport appelle à une nouvelle régula- déjà modestes, voire insuffisants. Idem pour tion de la finance, des taxes ainsi qu’à Ce qui nous ramène à une logique économi- les pays pauvres qui appellent de leurs vœux un investissement gouvernemental que, alors que vous parliez de changer les une croissance pure et dure afin de dévelop- massif dans les sources d’énergie renouvelable. comportements… per leurs systèmes sociaux, d’éducation ou de http://www.greennewdealgroup.org Le discours économique, mêlant rentabilité et santé. Comment leur donner tort? création de places de travail, est efficace et bien ◗ En octobre 2008, c’est au tour du connu des politiciens. En l’occurrence, préten- Comment faire alors? Programme des Nations unies pour dre que la révolution verte est potentiellement Au risque de rajouter un slogan, je me de- l’environnement (PNUE) de reprendre porteuse de croissance permet de montrer que mande si l’on ne pourrait pas mettre en place à son compte l’initiative du président l’environnement n’est pas nécessairement l’en- une sorte de plan Marshall global écologique Roosevelt. L’agence onusienne appelle nemi de l’économie et du travail. Toutefois, (il existe une initiative qui porte ce nom de- elle aussi à un Green New Deal, car la croissance économique, quel que soit son puis une décennie), dont l’objectif serait de «la mobilisation et la re-focalisation moteur (le progrès technologique par exem- combattre la pauvreté dans le monde en pas- de l’économie mondiale sur les investis sements dans des technologies propres ple), est elle-même un problème. Elle ne peut sant par la révolution verte. Du point de vue et des infrastructures naturelles, telles pas continuer sans fin à évoluer positivement, politique, l’idée est attrayante, par le simple que les forêts et les sols, sont le meilleur même à un taux de 1 ou 2% (des chiffres sur fait que le plan Marshall historique, instauré à pari pour une réelle croissance, pour lesquels des pays comme la Suisse comptent en la fin de la Deuxième Guerre mondiale et qui a combattre le changement climatique général). La Terre et ses ressources naturelles contribué au rebond économique de l’Europe et provoquer des créations d’emplois possèdent des limites physiques. Le système occidentale, a été un grand succès. Il ne faut au XXIe siècle». économique a lui-même ses propres limites. pas se cacher la complexité considérable http://www.unep.org Université de Genève
16 dossier | révolution verte Centrale solaire sur les crêtes du Jura. d’un tel plan. Tous les pays de- vraient participer à son élabo- ration, même si elle devrait être menée par les Etats industrialisés et émergents (surtout la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud) qui possèdent les moyens technologiques et financiers pour le réaliser. Un plan Mars- hall global écologique pourrait sans doute contribuer à accélérer l’avènement est le charbon. Il est vrai que de se tourner vers tie des débats scientifiques. Il existe un autre de la révolution verte, tout en ne laissant pas les énergies renouvelables et, de manière gé- scénario que l’on pourrait attribuer à l’Agence les pays pauvres sur le bas-côté de la route. nérale, vers le développement durable tout en internationale de l’énergie, sise à Paris: les réglant les problèmes économiques des uns et pays riches tentent de corriger le tir à coups Votre scénario est-il réaliste? des autres est un défi extraordinaire. de conférences internationales, de mesures du Je le pense en tout cas. D’autres experts esti- type de celles de Kyoto, etc. C’est un peu ce qui ment le contraire, il faut le reconnaître. Cer- Mais si l’on ne fait rien, les risques sont éga- se passe actuellement. Ce n’est pas suffisant, à tains prétendent que le XXIe siècle sera celui du lement considérables… mon avis. Et puis certains élaborent des scé- charbon. Ils se basent sur les chiffres, les pro- Un des scénarios étudiés par les scientifiques narios ambitieux auxquels j’adhère et dont on blèmes du développement des pays pauvres, les est celui que l’on appelle business as usual: on vient de parler. Mais pour qu’ils deviennent besoins des pays riches et émergents, etc. Selon continue comme si de rien n’était. Les plus op- réalité, il ne faut pas se contenter de réformet- eux, il ne faut pas se faire d’illusions. Nous ne timistes estiment que, même dans ce cas, les tes. Il faut une véritable révolution. ❚ pourrons pas diminuer la consommation éner- effets environnementaux seront contenus. Les A lire aussi: «Les Controverses de l’énergie», gétique mondiale, et la seule ressource qui peut autres prévoient des catastrophes naturelles et par Franco Romerio, collection Le savoir suisse, la soutenir sur le long terme avant épuisement humaines de grande envergure. Cela fait par- PPUR, 2007, 133 p. La Société à 2000 watts La Société à 2000 watts est un concept créé pourraient être tirés des énergies fossiles Ramener le train de vie de chacun à 2000 par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (pétrole, gaz et charbon). watts (ce qui revient à une consommation en 1998. Il s’agit d’une vision à long terme dans Deux mille watts correspondent à la puis- de 2700 litres de pétrole par an), c’est revenir laquelle chaque habitant des pays industrialisés sance moyenne consommée par chaque Terrien au niveau de consommation en vigueur dans ne consommerait qu’en moyenne 2000 watts, aujourd’hui. Mais les disparités sont grandes. les années 1960. Cela obligerait les riches à toutes énergies confondues (chauffage, mobi- Un Bangladeshi n’utilise que quelques centaines des économies drastiques, mais pas impossi- lité, électricité…), y compris l’énergie grise. de watts, alors qu’un Suisse en consomme 5000, bles, tout en offrant aux Etats plus pauvres Et ce, sans diminuer le niveau de confort ni ce qui est juste en dessous de la moyenne euro- une marge de développement importante. la qualité de vie auxquels l’Occidental est péenne, située à 6000 watts. Les habitants des En 2002, le Conseil fédéral a intégré le con- habitué. Les trois quarts de cette puissance Etats-Unis font exploser les jauges avec leurs cept de la Société à 2000 watts dans sa straté- proviendraient de sources renouvelables (soleil, 12 000 watts par tête. Le Genevois, quant à lui, gie pour le développement durable. En 2007, vent, biomasse, géothermie…). Seuls 500 watts obtient un score honorable avec 4000 watts. le canton de Genève a décidé d’adopter à son
17 Des économies qui se chiffrent — L’association Energie-Cités regroupe des villes qui se sont engagées à réduire les émissions de gaz carbonique de 20% d’ici à 2020. Florilège Afin d’encourager les collectivités locales et emplois ont été créés en vingt-cinq ans grâce À Eco-Viikki (Finlande, 2000 habitants), l’éner- les citoyens à dépasser les objectifs climati- à l’exploitation des énergies renouvelables lo- gie solaire fournit plus d’un tiers des besoins ques et énergétiques européens, l’UE a créé cales. énergétiques annuels en eau chaude sanitaire en 1990 l’Association Energie-Cités, qui re- des habitants et la consommation de chauf- groupe aujourd’hui plus de 1000 villes dans Sur l’île de Samso (Danemark, 4200 habi- fage globale est inférieure de 25% à celle des 26 pays. Elles se sont engagées à réduire leurs tants), 100% de l’électricité est produite à logements traditionnels. émissions de CO2 de plus de 20% d’ici à 2020 partir d’éoliennes locales et 75% de la chaleur grâce à des mesures visant à améliorer l’effica- grâce au solaire et à la biomasse. Mis à part la À Kronsberg (Allemagne, 6600 habitants): cité énergétique et à accroître l’utilisation des pollution engendrée par les véhicules, l’île est grâce à une isolation optimale, à la générali- énergies renouvelables. Exposition itinérante, aujourd’hui neutre en émission de carbone. sation du solaire et à des systèmes de récupé- présentée à Genève l’été dernier, «Imagine» ration de la chaleur innovants, les maisons présente quelques-unes des solutions adop- À Lausanne (Suisse, 127 000 habitants), un ré- «passives» de ce quartier de Hanovre ont une tées aux quatre coins du Vieux Continent dont seau de chauffage urbain permet de produire consommation de chauffage de 15 kWh/m2/ sont tirés les chiffres ci-dessous. plus de 50% de la chaleur à partir d’énergies an, soit environ 4 fois moins que la moyenne locales: boues d’épuration, ordures ménagères européenne. Kronsberg, où les solutions pro- Güssing (Autriche, 4000 habitants) est la et bois. La capitale vaudoise est par ailleurs pres de transport sont également favorisées, seule ville d’Europe totalement autonome en la première ville européenne de plus de 100 rejette un volume de CO2 inférieur de 75% à énergie. Pour parvenir à ce résultat, la muni- 000 habitants à avoir bénéficié du label Euro- celui d’un quartier classique et consomme 2 à cipalité a développé la production de biogaz pean Energy Award Globe, qui récompense des 3 fois moins d’énergie que la plupart des quar- et de biodiesel. Elle a également investi dans mesures exemplaires en matière de politique tiers des villes allemandes. des installations solaires et dans la production énergétique durable. de chaleur et d’électricité par gazéification À Vaxjo (Suède, 77 000 habitants), 84% du du bois. La production de chaleur, électricité À Bâle-Ville (Suisse, 186 000 habitants), la chauffage provient d’énergies renouvelables. et carburant est aujourd’hui supérieure aux mise en place de toits végétaux sur une surface Plus d’un tiers des besoins en électricité est besoins de la ville. Par ailleurs, plus de 1000 de 60 000 m2 (soit l’équivalent de huit terrains également couvert par les énergies renouvela- de football) permet d’économiser 4 millions de bles (biomasse, éolien, biogaz et solaire) et 80% kWh par an, soit la consommation de chauf- de l’éclairage public est assuré par des lampes fage de 260 foyers. basse consommation. Les émissions de CO2 ont ainsi été réduites de 25% en dix ans. À Odense (Danemark, 185 000 habitants), en- tre 1998 et 2005, la consommation de chaleur À BedZed (Beddington Zero (fossil) Energy De- tour ce principe dans sa nouvelle Conception a été réduite de 24%, celle d’électricité de 14% velopment, Londres, 220 habitants): dans ce qui générale de l’énergie. Cette stratégie fixe et celle de l’eau de 54%, ce qui représente une constitue le premier éco-quartier en Grande- un certain nombre d’objectifs à court terme. économie de 7,1 millions d’euros. Deux habi- Bretagne, la consommation de chauffage a été Il s’agit ainsi de parvenir, d’ici à 2010, à réduire tants sur trois ne possèdent par ailleurs pas de réduite de 90%, celle d’électricité de 60%. la consommation d’énergie fossile de 200 voiture. watts par habitant (-6,25% par rapport à À Ornans (France, 4000 habitants): un réseau 2005), d’augmenter l’approvisionnement À Nyiregyhaza (Hongrie, 119 000 habitants), de chaleur fonctionnant au bois et alimentant en énergies renouvelables de 100 watts grâce à un système de gestion «ouvert» pour 2 écoles et 169 logements sociaux a permis de par habitant (+11% par rapport à 2005) et le chauffage urbain, qui permet aux usagers réduire les charges de chauffage de 30% et les de maintenir un approvisionnement en élec tricité d’origine non nucléaire. de contrôler leur chauffage et de connaître rejets de polluants atmosphériques de 87% http://www.societe2000watts.com les données de consommation énergétique de par an. ❚ leur bâtiment, la consommation d’énergie a été réduite de 36% en dix ans. www.energie-cites.eu/ Université de Genève
18 La révolution verte passe par la vérité des prix — Parier sur l’innovation technologique ne suffira pas à compenser les menaces qui pèsent sur l’environnement. Selon Beat Bürgenmeier, la solution passe d’abord et surtout par une redéfinition de la croissance et des politiques tarifaires Pour rendre l’économie compatible avec la ment et membre de la Commission fédérale tivité dans le monde de la recherche, mais qui préservation de l’environnement, il ne suf- de la recherche environnementale, plaide demandera forcément du temps. fira pas d’investir dans les technologies du- pour la mise en place de mesures incitatives «Le point essentiel dans les discussions autour rables. Pour y parvenir, Beat Bürgenmeier, et, surtout, pour l’application du principe de du «Green New Deal», c’est de parvenir à mo- professeur d’économie politique, conseiller vérité des prix. Un processus complexe, qui difier les pratiques économiques pour qu’elles ré- auprès du Ministère français de l’environne- permettrait de maintenir une certaine créa- pondent aux exigences de la protection de l’envi- Campus N° 96
19 dossier | révolution verte ronnement, explique Pour y parvenir, deux al- — Beat Bürgenmeier. Et ternatives se présentent aux ceclatout en préservant pouvoirs publics: la politi- les valeurs qui sont les Beat que du bâton et celle de la ca- nôtres depuis le siècle Bürgenmeier rotte. «Les économistes sont en des Lumières: la promo- professeur général favorables à la seconde ordinaire au tion de la liberté indivi- option, les mesures incitatives Département duelle et de l’esprit d’en- étant jugées préférables aux d’économie po- treprise. Sachant que litique, Faculté visées planificatrices, poursuit la plupart des grandes des sciences Beat Bürgenmeier. Mais nous percées technologiques économiques avons perdu une partie de la sont le fruit du hasard, et sociales marge de manœuvre dans ce le vrai défi consiste à ne domaine en traînant les pieds: pas tuer toute créativité les effets du changement climatique se font déjà dans la société. Pour y sentir. L’incitation ne suffit donc plus, il nous faut parvenir, il faut éviter également une politique réactive.» toute vision planifica- Fondées sur des principes relativement sim- trice et surtout se tour- ples, les idées défendues par le professeur ge- ner vers des modes d’incitation appropriés.» nevois reposent sur des concepts bien établis sur le plan scientifique et largement acceptés Pollueur payeur par les spécialistes. Ce qui pose problème, En l’occurrence, le professeur prône l’adop- en revanche, c’est la promotion de ces idées tion du principe de vérité des prix. A l’heure auprès de l’opinion publique et des décideurs, actuelle, ces derniers reflètent essentielle- ainsi que la définition des modalités d’applica- ment la rentabilité privée des marchandises tion d’une telle politique. et des services. Ne prenant en compte que les coûts économiques induits par le processus de Donner du temps au temps production, ils négligent totalement les coûts «En Suisse, par exemple, le principe d’une taxe sociaux qui peuvent être infligés à des tiers sur le CO2 concernant également les carburants, ou à l’environnement, notamment en termes de pollution. Pour modifier cet état de fait, il qui irait tout à fait dans le sens des mesures inci- tatives que je défends, a été refusée par le peuple, «Les effets du s’agit donc d’évaluer la rentabilité économi- note Beat Bürgenmeier. Il y a toutefois un effort changement que non plus du point de vue d’un acteur par- constant d’information et de promotion dans ce do- ticulier, mais en fonction de l’ensemble de la maine. Enormément de progrès ont été faits, mais climatique se font collectivité. Autrement dit: ce qui pollue plus doit coûter plus cher. Comme c’est toujours la les bonnes idées ont parfois besoin de temps avant d’être acceptées par la majorité. On l’a vu dans le déjà sentir. L’incita- solution la moins chère qui finit par s’impo- cas de l’assurance maternité, qui a mis des décen- tion ne suffit donc ser, un tel changement de paradigme devrait nies à s’imposer et que pratiquement plus personne permettre à la fois de modifier les habitudes ne conteste aujourd’hui.» plus, il nous faut des consommateurs et d’influencer la politi- que technologique des entreprises en matière Du temps, il en faudra également pour permettre à l’économie de se convertir à la également une de recherche et développement. nouvelle donne. Il y a d’abord un problème politique réactive» Université de Genève
20 dossier | révolution verte Les vertes promesses Dans de nombreux pays, la révolution verte fait désormais figure de priorité sur l’agenda politique. Bref aperçu. ◗ Etats-Unis: Barack Obama a annoncé un plan d’investissement de 150 milliards de dollars en dix ans dans la recherche sur les énergies renouvelables, qui devraient générer 5 millions d’emplois dans ce secteur. Il souhaite que 25% de l’électricité consommée aux Etats-Unis soit issue de de méthode. «Plus on fait croire que l’on peut indicateurs qualitatifs tenant davantage sources renouvelables d’ici à 2025. Pour y remplacer des sources technologiques sales par des compte du bien-être et du respect de l’envi- parvenir, il compte promouvoir le solaire, sources énergétiques propres, moins on prépare le ronnement. l’éolien et la biomasse. Le président élu consommateur à la seule mesure qui est efficace «La part de la créativité immatérielle a signifi- est également partisan de la mise en pour le moment: l’économie d’énergie», résume cativement augmenté au cours des cinquante der- place d’un marché national contraignant d’échange de permis d’émissions de CO2, Beat Bürgenmeier. nières années, commente Beat Bürgenmeier. sur le modèle de ce qui existe au sein Il y a ensuite des difficultés inhérentes au Il s’agit de pousser plus loin cette tendance en ré- de l’Union européenne. fonctionnement d’une démocratie telle que la duisant les flux de matière première au profit des nôtre. Aucune réforme n’étant capable à elle flux de matière grise et d’une économie de symbole. ◗ Allemagne: Le nombre de personnes seule de prendre en charge les besoins de réo- Même si la prospérité matérielle est importante, il employées dans les énergies renouvela- rientation de l’économie, il s’agit en effet de faut surtout se rappeler que la croissance doit res- bles a quadruplé en dix ans pour atteindre trouver le dosage optimal entre les différents ter un moyen et non une finalité. Il n’est donc pas 260 000 cols verts. Entre 2001 et 2006, outils à disposition, le débat portant davan- question d’abolir les règles, comme le prétendent les 6 milliards d’euros de subventions publi- tage sur les processus d’acceptabilité sociale néolibéraux depuis trente ans, mais de les repen- ques ont par ailleurs été accordés pour que sur des questions d’ordre technologique. ser. Soit nous disposons d’assez de bon sens pour augmenter l’efficacité énergétique des bâtiments, ce qui a permis de créer ou «Pour le moment, le consensus au sein du parle- y parvenir, soit nous allons au-devant de blocages de préserver environ 140 000 emplois. ment est qu’il faut renforcer l’économie pour garan- tels que le système s’effondrera. Et à chaque fois que tir la prospérité future, complète le professeur. cela s’est produit, la conséquence a été la même: une ◗ France: le plan Grenelle 2, dont la mise La mise sur pied d’une politique environnementale énorme quantité de souffrance humaine.» en œuvre pourrait coûter 440 milliards active ne fait donc pas figure de priorité. Et cela res- Pour éviter ce scénario catastrophe, on d’euros sur la période 2009-2020 vise tera sans doute le cas aussi longtemps que perdu- aurait tort, selon le professeur, de s’en remet- la création de 535 000 emplois. rera l’idée selon laquelle le coût du changement est tre uniquement aux idées exprimées dans le plus élevé que celui du maintien du statu quo.» cadre du Green New Deal, en misant unique- ◗ Corée du Sud: le gouvernement a an- ment sur le progrès technologique. noncé qu’il investirait plus de 38 milliards Une économie de symbole Depuis l’équation d’Ehrlich, présentée en de dollars dans un plan destiné à créer 960 000 emplois verts. Franchir cette étape ne résoudra cependant 1968, il est en effet établi que les changements pas les délais liés à l’inertie propre à tout sys- environnementaux trouvent leur source dans ◗ Japon: le Ministère de l’environnement tème économique. Pour changer de mode de trois facteurs principaux: la technologie, bien a promis de créer 800 000 emplois production, il faut en effet être capable d’in- sûr, mais aussi la consommation et la démo- supplémentaires dans les technologies vestir et donc de disposer de suffisamment de graphie. Or, à l’échelle de la planète, nous propres. temps pour amortir les sommes engagées au consommons deux fois plus qu’il y a vingt-cinq moment de la création de l’activité. Et dans ans en étant deux fois plus nombreux qu’il y a ◗ Grande-Bretagne: le premier ministre certains domaines, c’est un processus qui cinquante ans. «Les technologies propres ne peu- Gordon Brown prévoit de créer 100 000 peut s’étaler sur quelques décennies. vent pas être la seule réponse face à des tendances emplois via de nouveaux projets d’infras- Opérer une telle transition ne signifie pas aussi lourdes, conclut Beat Bürgenmeier. Pour tructures, dont beaucoup pour réduire compenser ces processus, il faudrait un changement les émissions de CO2. qu’il faille rompre avec toute forme de crois- sance économique. Tout dépend des indica- technologique d’une ampleur bien supérieure à ce ◗ Suisse: La conseillère fédérale chargée teurs retenus pour définir la prospérité ma- que fut la révolution industrielle, avec l’invention de l’économie a invité, début janvier, térielle. Plutôt que de l’exprimer uniquement de la machine à vapeur. Parier uniquement là-des- le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), en fonction du produit intérieur par habitant, sus reviendrait à une simple récupération du débat à réfléchir au contenu «vert» qu’il fallait comme c’est encore majoritairement le cas environnemental par l’économie. Et si quelque chose donner à un deuxième paquet conjonctu- aujourd’hui, on peut en effet introduire des me fait peur, c’est bien cela.» ❚ rel de 600 millions de francs.
21 Desertec: des miroirs pour éclairer l’Europe — Des entreprises allemandes se sont engagées à construire, d’ici à quarante ans, un gigantesque réseau de centrales thermiques solaires dans le Sahara pour alimenter l’Europe en électricité propre Serait-ce le coup de pouce qui permettra les au gaz ou au charbon), mais tendra à baisser, fonctionnent avec un rayonnement direct (un d’enclencher la vitesse supérieure? En juillet surtout si une production de masse se met en ciel nuageux ne fait pas l’affaire), c’est pourquoi dernier, 12 entreprises allemandes – et pas marche. elles doivent être construites dans des régions des moindres – ont signé un accord lançant La surface nécessaire au captage de l’énergie présentant un ensoleillement maximum. officiellement le projet Desertec. L’objectif est solaire permettant de couvrir la totalité des Le hic, c’est que le soleil éclaire le jour, tandis de construire, le plus rapidement possible, un besoins en électricité des pays européens, afri- que l’Europe consomme également beaucoup gigantesque réseau de centrales thermiques cains et asiatiques concernés est pour le moins d’électricité la nuit. L’avantage des centrales solaires réparties dans le désert d’Afrique du modeste, au regard de l’étendue du désert. thermiques solaires, c’est qu’elles peuvent stoc- Nord ainsi que dans la péninsule Arabique. Des ker une partie de l’énergie lignes à haute tension sont censées acheminer au cours de la journée sous DR de l’électricité propre jusqu’en Europe du Nord forme de chaleur (grâce à du – tout en assurant, en passant, l’approvisionne- sel fondu, par exemple) qui ment des pays producteurs. En d’autres termes, peut être exploitée ensuite il s’agit d’aller chercher l’énergie solaire là où durant près d’une dizaine elle se trouve et de l’acheminer là où on en a d’heures en cas de temps besoin. Selon le Centre aérospatial allemand, couvert ou la nuit. Les cen- en moins de quarante ans, ces miroirs du désert trales sont donc capables de pourraient assurer 15% de la consommation produire de l’électricité en d’électricité du Vieux Continent. Et ce sans fonction des besoins, ce qui émissions de gaz carbonique. est indispensable à la stabi- Trois jours après le lancement de l’initiative, lité des réseaux. le Maroc a déjà annoncé sa volonté de jouer un Pour parcourir les lon- rôle de premier plan dans l’aventure. gues distances qui séparent le désert des villes euro- Production de masse péennes, les concepteurs de La technologie, même si elle peut encore Carte du projet Desertec dans les pays de l’EUMENA (Union européenne, Desertec proposent d’uti- profiter d’un certain nombre de perfectionne- Moyen-Orient et Afrique du Nord). liser des lignes de courant ments, est existante et éprouvée depuis plus continu – et non alternatif de vingt ans. Une centrale thermique solaire à Vingt mètres carrés de miroirs par personne – à haute tension, qui permettent de transpor- concentration existe en effet dans le désert de suffisent, soit une quinzaine de milliers de ter le courant avec des pertes inférieures à 3% Californie depuis 1985 et produit aujourd’hui, kilomètres carrés. Le Sahara à lui seul couvre tous les 1000 kilomètres. Il s’agit là d’un chan- après plusieurs agrandissements, plus de 9 millions de kilomètres carrés. tier indispensable au succès de l’entreprise. 350 MW – le tiers de la puissance de la cen- Quarante-cinq milliards d’euros seraient né- trale nucléaire de Gösgen. Il existe aujourd’hui Stocker l’énergie cessaires pour la construction de 20 lignes de de nombreuses installations comparables, Le concept de ces centrales est de concentrer 5 GW chacune. surtout en Espagne. Le pays le plus ensoleillé à l’aide de miroirs – disposés selon différentes Finalement, l’énergie produite par le réseau d’Europe projette d’installer plusieurs centai- géométries – les rayons solaires en un point Desertec pourrait également servir à la produc- nes de MW de centrales thermiques solaires (ou sur une ligne dans le cas de miroirs cylin- tion d’eau potable grâce au dessalement de l’eau supplémentaires dans les prochaines années. driques) et d’y chauffer à haute température de mer. Le projet pourrait ainsi contribuer à ré- Le prix du kilowattheure ainsi produit varie un liquide caloporteur. Ce dernier actionne soudre le problème croissant de la pénurie en actuellement entre 0,20 et 0,30 franc (trois ou alors directement ou indirectement une tur- eau dans les pays du sud de la Méditerranée. ❚ quatre fois plus cher que les centrales habituel- bine génératrice d’électricité. Les centrales http://www.desertec.org Université de Genève
22 dossier | révolution verte Le métabolisme de l’industrie fuit de toutes parts — Ce ne sont pas seulement les émissions de gaz à effet de serre qui posent problème à l’environnement. C’est le système industriel dans son ensemble qui devrait être restructuré si l’on veut préserver la biosphère. Parole d’un chercheur en écologie industrielle «Se focaliser sur le carbone fossile et les émissions de gaz carbonique, comme on le fait aujourd’hui, c’est bien, mais cela revient à voir le problème par le petit bout de la lorgnette.» Pour Suren Erkman, maîtriser les émissions de CO2 ne représente qu’une partie d’un effort plus vaste visant à développer une société du- rable qui préserve l’intégrité — de tous les écosystèmes, et pas seulement le climat. Suren Ce qu’il faudrait, selon lui, Erkman c’est une profonde restruc- professeur et turation de tout le système directeur du groupe Ecolo- industriel global. «Car il ne gie industrielle faut pas perdre de vue que ce de l’Institut dernier est toujours en phase de politiques d’expansion massive, précise territoriales et le chercheur. Et il progresse de d’environne- manière traditionnelle, à savoir ment humain qu’il passe par une croissance de l’Université rapide de la consommation glo- de Lausanne bale d’énergie et de matière.» Pour réorienter l’industrie mondiale, qui se dirige actuellement vers l’épuisement des ressources et la destruction de l’environnement, il n’y a pas de panacée. Suren Erkman propose néanmoins une straté- gie qui pourrait atteindre l’objectif voulu. Elle consiste à suivre les principes de l’écologie in- dustrielle, un domaine pluridisciplinaire qui imagine et cherche à identifier les mesures susceptibles de rendre le système économique industriel compatible avec la préservation de la biosphère. Système cyclique L’un des buts à atteindre est de rendre le sys- tème industriel quasiment cyclique. Cela signifie que les rejets des uns servent, autant que possible, de matière première aux autres.
23 mondiale Métabolisme industriel genevois L’économie industrielle genevoise consomme de tonnes. En troisième place, on trouve les plus de ressources que le territoire du canton produits alimentaires, avec 300 000 tonnes, peut en fournir et produit plus de déchets puis viennent le bois et le papier (140 000 que l’environnement peut en absorber. Elle tonnes), les métaux (60 000 tonnes) et n’est donc pas durable. Ce fait n’est pas nou- les plastiques (40 000 tonnes). Quant à veau, mais il est mis en évidence par l’étude la consommation totale d’énergie primaire, préliminaire du «métabolisme genevois» elle s’est élevée à 37 500 TJ (terajoules), publiée en 2005*. ce qui représente 870 000 tonnes d’équi valent mazout. Par analogie avec les êtres vivants, on peut Une telle imbrication des entreprises considérer qu’une entreprise, une société, ◗ Flux sortant. En plus des 62 millions et collectivités publiques implique un pays ou une région possède un métabo- de tonnes d’eaux usées traitées par les de valoriser systématiquement les lisme industriel ou régional. Etudier ce méta- stations d’épuration (qui contient une partie déchets afin que ces derniers acquiè- bolisme consiste à établir une comptabilité des produits alimentaires digérés), Genève rent une vie utile. Le cas de Kalund- physique décrivant l’ensemble des ressources a produit 640 000 tonnes de déchets. Envi- utilisées par les activités économiques, ron 350 000 tonnes (63%) ont été recyclées, borg, au Danemark, est l’exemple le y compris la consommation des ménages. et 160 000 tonnes ont été brûlées à l’usine plus emblématique d’une telle sym- A Genève, en l’an 2000, année de référence d’incinération des ordures ménagères des biose industrielle. Plusieurs firmes et pour l’étude, il est entré 63,74 millions de ton- Cheneviers. Le reste (100 000 tonnes) est une collectivité se sont progressive- nes de matière. Il en est sorti 62,64 millions. émis sous forme de CO2 par le corps humain, ment interconnectées et ont réussi à Les 1,1 million de tonnes restantes représen- lors de la respiration. Du point de vue de réduire considérablement la consom- tent le stock ajouté cette année-là. l’énergie, Genève a dégagé pour 37 500 TJ mation d’énergie et de matière de la de chaleur en 2000. région ainsi que la pollution qu’elle ◗ Consommateurs. Les plus gros consom- génère. «Le principe mis en œuvre à Ka- mateurs de ressources sont les ménages, ◗ Stock. Au total, le stock de matériaux à lundborg représente un outil intéressant suivis par le secteur tertiaire, plus le secon- Genève a augmenté de 1,1 million de tonnes daire. L’agriculture joue dans le métabolisme en 2000. Cette augmentation reflète l’ac- pour repenser le développement régio- genevois un rôle presque négligeable. croissement du nombre de bâtiments et du nal», note le chercheur. A Genève, parc automobile. Le stock total de ressources et plus récemment en Valais et dans ◗ Flux entrant. L’eau est la masse la plus en 2000 s’élève à 74,7 millions de tonnes. la région lausannoise, la détection importante consommée cette année-là à Pour l’essentiel, ce stock représente les maté- de telles synergies est d’ailleurs en Genève, avec 62 millions de tonnes (ou m3) riaux constituant les bâtiments et les routes. cours de réalisation. prélevés dans le lac Léman (80%) et la nappe souterraine de l’Arve (20%). La deuxième res- * «Ecologie industrielle à Genève, premiers résultats source consommée à Genève correspond aux et perspectives», publié par le Service cantonal de étanchéité gestion des déchets (Gedec), disponible à l’adresse: Le deuxième axe est d’étanchéifier matériaux de construction, qui représentent http://www.icast.org/pages/ecosite.html le système industriel, c’est-à-dire de le principal flux de matière solide: 1,3 million minimiser les pertes durant tout le cycle d’existence des biens et servi- ces, que ce soit au cours de leur pro- fuites. «Et quand les pertes ne peuvent pas être et surtout, d’alléger sérieusement toute l’in- duction, de leur utilisation ou de leur empêchées – le propre d’un engrais est d’être dis- frastructure des télécommunications, faite fin de vie. Dans le système industriel séminé, par exemple – il faut utiliser des produits d’ordinateurs, de relais, de transformateurs, actuel, un grand nombre de proces- moins polluants», commente Suren Erkman. d’onduleurs, de câbles, etc. sus est encore très inefficace. De nombreuses substances sont notam- Dématérialisation Diète industrielle ment disséminées dans l’environ- Dématérialiser est le maître mot du troisième Le dernier élément d’action consiste à rééquili- nement de manière involontaire et volet stratégique. L’idée est de découpler sys- brer la diète industrielle. «Le système industriel incontrôlée (rejets gazeux, chaleur, tématiquement la production de richesse et actuel est omnivore, souligne Suren Erkman. engrais, pesticides, micropolluants, de confort de la consommation de matière. Il «mange» de tout, ce qui est une première dans médicaments excrétés…). Le poten- Cela peut signifier, par exemple, de fabriquer l’histoire de l’humanité. Quasiment tout le tableau tiel d’économies est considérable si des appareils téléphoniques plus petits, ayant périodique des éléments y passe. Il se trouve cepen- l’on s’efforce de minimiser toutes ces une durée de vie utile prolongée, mais aussi, dant que ce régime est gravement déséquilibré.
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