La Vie économique Plateforme de politique économique - Die Volkswirtschaft
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93e année N° 8 – 9 / 2020 Frs. 12.– La Vie économique Plateforme de politique économique UN CERTAIN REGARD ENTRETIEN PRÉVOYANCE VIEILLESSE ALIMENTATION Ne croire aucun modèle Les conseils de l’économiste Augmenter l’âge de la retraite Un champignon menace 30 Stefan Wolter aux jeunes en alimente-t-il le chômage ? les bananeraies quête d’apprentissage 39 42 32 L’ÉVÉNEMENT Comment estimer l’écart de production ?
ÉDITORIAL Savoir où se trouve notre potentiel Connaissez-vous vos capacités, par exemple dans vos activités sportives ? Et à l’échelle du pays, pensez-vous que la Suisse exploite tout son potentiel ? Les économistes du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) estiment le potentiel écono- mique du pays, puis comparent les projections avec les performances effectivement réalisées. La différence est ce qu’on appelle « l’écart de production » : il s’agit d’un instru- ment important des analyses conjoncturelles, car il fournit des indications concernant la santé de l’économie à court terme. Autrement dit, comment les facteurs de production que sont le travail et le capital sont-ils utili- sés ? La crise de la Covid-19 a engendré un écart de production d’une ampleur historique en Suisse comme à l’étranger. Le Seco produit les indicateurs de l’écart de production et de la croissance potentielle depuis fin 2019. Ceux-ci aident à prendre des décisions en matière de politique économique, sociale et financière. Ils constituent égale- ment une « boussole à long terme » pour la politique économique, contribuant à couvrir les déficits. Le taux de croissance de la productivité du travail recule par exemple depuis des années. Les indicateurs sont en outre importants pour calculer les besoins futurs en énergie ou la densité du trafic à venir. L’entretien du mois aborde la formation professionnelle duale avec l’économiste Stefan Wolter, spécialiste du secteur de l’éducation. En Suisse, deux jeunes sur trois devraient commencer un apprentissage cet été après la fin de leur scolarité obligatoire. Quels seront les effets de la crise du coronavirus sur le marché des places d’apprentissage ? Bonne lecture ! Guido Barsuglia et Nicole Tesar, rédacteurs en chef
SOMMAIRE 4 14 L’ÉVÉNEMENT Comment estimer l’écart de production ? 4 L’économie exploite-t-elle 8 Un écart de production 11 Mesurer l’écart de production son potentiel ? record ? au moyen d’enquêtes Ronald Indergand, Simon Jäggi Sarah Fischer, Caroline Schmidt, conjoncturelles Secrétariat d’État à l’économie Philipp Wegmüller Klaus Abberger, Alexander Rathke, Secrétariat d’État à l’économie Sina Streicher, Jan-Egbert Sturm Centre de recherches conjoncturelles KOF 14 Comment la population 18 La crise du coronavirus nuira 21 La mobilité en Suisse à de la Suisse va-t-elle évoluer à la prospérité jusqu’en 2050 l’horizon 2050 d’ici 2070 ? Sarah Fischer, Philipp Wegmüller, Andreas Justen, Joséphine Leuba, Marc Zahner Nicole A. Mathys Raymond Kohli Secrétariat d’État à l’économie Office fédéral du développement territorial Office fédéral de la statistique 24 Sur la voie d’un système 26 Le psychisme détermine énergétique la réussite dans le sport à faibles émissions de haut niveau Giulia Lechthaler-Felber, Michael Kost Hanspeter Gubelmann Office fédéral de l’énergie École polytechnique fédérale de Zurich
SOMMAIRE 39 42 RUBRIQUES Retraite, bananes et intelligence artificielle 31 LE REGARD DES ÉCONOMISTES 36 DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL EN CHEF Bad RagARTz, une Ne croire aucun modèle manifestation c ulturelle qui Martin Neff stimule l’économie local Raiffeisen Suisse Franz Kronthaler Haute école spécialisée des Grisons 32 ENTRETIEN 39 PRÉVOYANCE VIEILLESSE « Attendre une année 42 ALIMENTATION Le relèvement de l’âge ne sert à rien » Le coronavirus des bananes de la retraite a limente-t-il Isabelle Schluep Entretien avec l’économiste de l’éducation Université de Zurich le chômage ? Stefan Wolter. Andreas Haller Norwegian School of Economics 45 ÉCHANGE DE QUOTAS D’ÉMISSION 47 MARCHÉ DU TRAVAIL 50 POUVOIR DE MARCHÉ Compensation climatique Marché du travail : L’initiative pour des prix à l’étranger : le rôle pionnier l’excès de confiance équitables, plutôt de la de la Suisse en soi, un avantage ? politique structurelle Reto Burkard, Edi Medilanski Luís Santos-Pinto Samuel Rutz, Christian Jaag Office fédéral de l’environnement Université de Lausanne Swiss Economics 53 INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 56 INFLATION 58 ÉCONOMIE MONDIALE Gérer l’intelligence artificielle Le financement monétaire Les baromètres de l’économie de manière responsable public et ses conséquences mondiale du KOF à l’épreuve Clemens Mader, Laboratoire fédéral d’essai des Dirk Niepelt de la pratique matériaux et de recherches Université de Berne Michael Graff, Oliver Müller, Jan-Egbert Sturm, Johann Čas, Académie autrichienne des sciences Klaus Abberger Anne Scherer, Université de Zurich Centre de recherches conjoncturelles KOF 60 INFOGRAPHIE 61 DANS LE PROCHAIN NUMÉRO / IMPRESSUM La Suisse, un pays d’agglomérations
CROISSANCE L’économie exploite-t-elle son potentiel ? Tous les indicateurs de l’économie suisse pointent actuellement vers le bas. Mais il s’agit seulement d’un instantané : la productivité est par exemple un facteur déterminant plus important que les crises pour la croissance économique à long terme. Ronald Indergand, Simon Jäggi Abstract Le concept de « potentiel économique » et l’écart de production de 2008–2009. Enfin, le PIB accuse aujourd’hui qui en est déduit constituent des bases de décision essentielles pour la sa plus forte baisse des quatre dernières décen- politique économique. La croissance potentielle constitue le compas à nies à cause de la crise de la Covid-19. long terme de cette dernière : elle permet d’évaluer dans quelle mesure L’histoire de l’économie suisse ne manque les milieux politiques parviennent à accroître la prospérité matérielle de la population. L’écart de production est quant à lui un outil clé de l’ana- donc pas de hauts et de bas. Une tendance claire lyse conjoncturelle : il renseigne sur l’état à court terme de l’économie et à la croissance s’observe néanmoins, autour de peut donner des indications sur l’évolution future d’autres indicateurs laquelle le PIB a fluctué ces 40 dernières années macroéconomiques. (voir illustration). Distinguer les fluctuations conjoncturelles de la tendance sous-jacente à long terme est essentiel, mais s’avère relative- L a Suisse a connu plusieurs phases de réces- sion ces 40 dernières années. Au début des années 1980, elle a été prise dans les remous ment difficile. Qu’est-ce que la croissance d’une récession mondiale. Une décennie plus potentielle ? tard, l’éclatement de la bulle immobilière a déclenché une récession à double creux, avec La politique économique à long terme est géné- une première chute du produit intérieur brut ralement moins axée sur le PIB réel mesuré que (PIB), puis une rechute plus profonde. Après sur le concept de (croissance de) la production le tournant du millénaire, la récession liée à la potentielle. Le potentiel est une valeur hypo- bulle Internet a été suivie par la crise financière thétique qui n’est pas directement observable. Pour la calculer, on essaie de saisir l’évolution du PIB sans les fluctuations conjoncturelles à court PIB et production potentielle de la Suisse (1980–2020) terme. L’idée est de mesurer une valeur s’inscri- 12,2 Valeur logarithmique (réelle et corrigée des variations saisonnières), en millions de francs vant dans le long terme qui exprime comment une économie se développe en faisant une uti- 12 lisation « normale » ou « moyenne » des facteurs de production que sont le travail et le capital. Le niveau de prospérité durablement atteignable 11,8 et le niveau des salaires dépendent directement de cette valeur. De nombreux économistes ima- 11,6 ginent une série chronologique relativement lisse et exempte de fortes fluctuations. SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE 11,4 La production potentielle n’est pas seu- lement définie par le capital disponible et le 11,2 travail fourni, mais dépend aussi largement du 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 progrès technologique et d’une combinaison PIB Production potentielle judicieuse du capital et du travail. Autrement 4 La Vie économique 8– 9 / 2020
Le niveau d’utilisation des capacités de production des entreprises montre où se trouve l’économie dans le cycle conjoncturel. Un entrepôt du groupe industriel Georg Fischer, à Nidau (BE). KEYSTONE
CROISSANCE KEYSTONE La recherche et le développement contri- dit, plus le capital et le travail sont utilisés de buent à améliorer la par une utilisation du travail et du capital supé- façon productive, plus la production potentielle productivité. L’athlète rieure à la moyenne en comparaison internatio- est grande. Dans la théorie de la croissance, le handisport Silke Pan nale1. Le niveau de la productivité reste heureu- teste un exosquelette concept de « productivité » explique la diffé- sement lui aussi élevé, bien que sa croissance ait à l’École polytechnique rence de prospérité entre les pays. La croissance fédérale de Lausanne. été inférieure à la moyenne internationale ces de la productivité est par conséquent un objectif dernières décennies. Cette évolution signifie clé de la politique économique. que d’autres pays utilisent toujours plus efficace- ment leurs facteurs de production et rattrapent Une productivité élevée la Suisse en termes de prospérité. L’évolution de la production potentielle est Pour accroître la productivité et donc la pros- essentielle pour étudier le développement de la périté, la politique économique encourage la prospérité, mais également pour de nombreux recherche et le développement, facilite l’inno- domaines politiques. La politique sociale peut vation et aide à ouvrir de nouveaux marchés ou par exemple mieux évaluer si le financement à briser des monopoles dans le but de pousser des assurances sociales est durable à la lumière les entreprises vers de nouveaux sommets de de l’évolution démographique prévue et de la performance grâce à la concurrence. Chacune production potentielle attendue. La politique de de ces mesures politiques vise une utilisation 1 Seco (2019), « Évolution l’énergie et des transports peut, sur cette base, de la productivité du plus efficace (plus « productive ») du travail et du travail 2008–2018 », élaborer des scénarios de mobilité et de consom- capital pour accroître la production potentielle. Principes de base de la politique économique, mation d’énergie et adopter une approche À cet égard, la Suisse se distingue notamment n° 5, Berne. ciblée dans la planification à long terme des 6 La Vie économique 8– 9 / 2020
FOKUS infrastructures. Enfin, l’évolution attendue de et il peut se mettre en déficit en temps de vaches la production potentielle permet également maigres (écart de croissance négatif). à la politique budgétaire de se faire une idée des dépenses et recettes fiscales futures – et Estimer plutôt qu’observer de réagir suffisamment tôt lorsque ces valeurs s’éloignent les unes des autres. Le fait que les concepts décrits ne soient pas observables constitue un problème. Contrai- Où en sommes-nous ? rement au PIB, il n’est en effet pas possible de mesurer directement la croissance potentielle Alors que le PIB potentiel décrit le niveau de et l’écart de production, qui doivent donc être production théoriquement atteignable si les estimés à l’aide de méthodes mathématiques. ressources disponibles sont utilisées « nor- La croissance potentielle est par exemple calcu- malement », l’écart de croissance montre où lée sur la base de prévisions conjoncturelles et nous nous situons réellement. Si la croissance d’estimations concernant l’évolution future des du PIB est nettement inférieure au potentiel, il facteurs de production. Les scénarios tiennent est négatif. Dans cette situation, les capacités compte de cette incertitude en ce qui concerne disponibles sont sous-utilisées. Les entreprises l’évolution à long terme. ont plutôt tendance à supprimer des emplois, Malgré leurs points faibles, ces approches le besoin d’investissements est faible et les restent essentielles pour la politique éco- pressions inflationnistes s’atténuent. nomique. Tant l’analyse à court terme de la À l’inverse, un écart de croissance positif conjoncture que l’orientation générale de la indique que l’économie est en plein essor. Des politique économique retirent une plus-value insuffisances de capacités se manifestent et les substantielle de la distinction conceptuelle entreprises doivent investir pour répondre à la entre le véritable développement économique et demande. Le besoin de main-d’œuvre augmente le potentiel de croissance hypothétique. et le chômage baisse. Cette situation engendre une pression sur les salaires et les prix. Dans cette logique, l’écart de production est utilisé pour situer l’économie d’un pays dans le cycle conjoncturel, ce qui permet d’obtenir des indications sur l’évolution des investissements ou de l’inflation. De nombreux gouvernements recourent également à ce concept pour établir le budget. En Suisse, le frein à l’endettement Ronald Indergand Simon Jäggi déploie par exemple automatiquement un effet Chef du secteur Conjonc- Chef du secteur Crois- ture, Secrétariat d’État à sance et politique de la stabilisateur : le gouvernement peut accumuler l’économie (Seco), Berne concurrence, Secrétariat des excédents et réduire la dette en période de d’État à l’économie (Seco), Berne haute conjoncture (écart de croissance positif) La Vie économique 8– 9 / 2020 7
CROISSANCE Un écart de production record ? Indicateur clé de la conjoncture, l’écart de production mesure la différence entre la créa- tion de valeur et la production potentielle. Il atteint actuellement des niveaux extrêmes en raison de la crise de la Covid-19. Sarah Fischer, Caroline Schmidt, Philipp Wegmüller Abrégé La crise de la Covid-19 devrait entraîner en 2020 l’un des reculs Les politiques économiques visent, par des les plus importants du produit intérieur brut depuis des décennies. L’éco- mesures de politique conjoncturelle, à éviter nomie suisse se retrouve dans une phase de sous-exploitation des capa- les surchauffes importantes tout comme les cités en raison de la baisse de la demande et des restrictions imposées de situations de large sous-utilisation des moyens l’offre. Sur le plan de la politique économique, la question de l’ampleur des de production. En cas de récession, la banque mesures à prendre se pose. Pour proposer des politiques fiscales et moné- taires adaptées, il est essentiel d’évaluer l’écart de production – soit le centrale peut par exemple abaisser les taux d’in- taux d’utilisation des capacités de l’ensemble de l’économie. Le Secrétariat térêt pour stimuler la demande alors que l’État d’État à l’économie publie depuis décembre 2019 une mesure de cet écart peut augmenter les dépenses publiques. En cas calculée selon plusieurs méthodes établies. Ces chiffres doivent toutefois de boom, en revanche, la banque centrale aura être interprétés avec une certaine retenue dans le contexte actuel, compte la possibilité d’augmenter les taux et l’État de tenu de l’énorme différence entre l’offre potentielle et l’offre effective. faire des économies et de se désendetter pour limiter la surchauffe et l’inflation. Dans un cas comme dans l’autre, l’écart de production sert I maginez-vous le marché du samedi d’une ville suisse. Cent marchands y vendent chaque semaine leurs produits et créent ainsi une valeur de repère aux politiques fiscales et monétaires, en permettant de situer l’économie dans le cycle conjoncturel. ajoutée totale moyenne de 100 000 francs. La valeur créée par ces producteurs varie chaque Treize approches en une semaine en fonction de la météo, alors que leur potentiel – résultant des moyens de production Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) publie dont ils disposent (travail, capital et technolo- depuis décembre 2019 des données trimes- gie) – n’évolue que lentement au fil du temps. trielles sur l’écart de production de l’économie L’« écart de production » mesure la différence suisse. Leur élaboration pose toutefois un entre la valeur ajoutée générée et le potentiel de important défi : alors que le produit intérieur production disponible. En cas d’écart positif, la brut (PIB), en tant que somme totale de la valeur demande dépasse l’offre, il y a moins de mar- ajoutée, est calculé régulièrement, il n’existe pas chandises sur le marché et les prix montent. de telles données observables sur le potentiel de L’écart est en revanche négatif s’il pleut et que production – et donc sur l’écart de production. les clients se font rares, laissant les marchands Ces données doivent donc être obtenues à partir avec un surplus de produits sur les bras. d’estimations. Cet exemple illustre ce qui vaut pour l’en- Comme l’écart de production ne peut être semble de l’économie : si la performance écono- directement mesuré même a posteriori, il est mique réelle dépasse sensiblement le potentiel difficile d’évaluer de manière définitive les résul- de production, l’économie se trouve dans une tats d’une méthode d’estimation par rapport à phase de boom, créant une pression inflation- une autre. Il est également impossible d’iden- niste. Si, à l’inverse, la performance économique tifier avec certitude la méthode la plus fiable. tombe nettement en dessous du potentiel, l’éco- C’est pourquoi le Seco a basé son calcul sur nomie se retrouve en situation de ralentisse- 13 méthodes différentes. Outre plusieurs tech- 1 Voir l’article de Ronald ment, voire de récession, et le risque de chômage niques de filtrage univariées et multivariées, il Indergand et Simon Jäggi (Seco), p. 4–7. et de déflation augmente. utilise également deux approches fondées sur la 8 La Vie économique 8– 9 / 2020
L’ÉVÉNEMENT fonction de production. Toutes distinguent une La Covid-19, une crise historique composante de tendance et une composante cyclique de la production économique globale. Du fait de la pandémie de Covid-19, l’économie La tendance est utilisée pour interpréter le suisse se retrouve désormais à la veille d’une potentiel de production de l’économie, la com- quatrième phase de nette sous-utilisation des posante cyclique pour fournir une mesure de capacités. Les prévisions actuelles annoncent l’écart de production1. Les résultats sont ensuite pour 2020 le plus fort recul du PIB depuis des regroupés et publiés sous forme de moyenne décennies. Cet indicateur a déjà plongé de 2,6 % pondérée (voir illustration, p. 10). au premier trimestre 2020. L’écart de produc- Depuis les années 1980, il y a eu trois phases tion s’est par conséquent aussi creusé pour d’écart de production nettement positif : l’écono- atteindre -2,5 %, soit sa baisse la plus marquée mie était en surchauffe à la fin des années 1980, depuis 2003. Il devrait reculer encore davantage au tournant du millénaire et durant la période au second trimestre 2020 au vu du plongeon de qui a précédé la crise financière internatio- l’économie attendu durant cette période. nale de 2008–2009. À l’inverse, au milieu des Dans le contexte actuel, l’écart de production années 1980 et 1990, puis durant l’éclatement de doit cependant être interprété avec prudence. la bulle Internet de 2003–2004 et la crise finan- Pourquoi ? Revenons à notre exemple du marché cière de 2008–2009, la Suisse a connu un écart du samedi et imaginons qu’une pandémie cau- de production négatif. De 2010 à 2019, cet écart sée par un nouveau virus touche notre ville : des Le marché hebdoma- est resté relativement proche de zéro jusqu’à la daire de Lucerne, sur mesures sanitaires sont alors prises, prévoyant pandémie de Covid-19. les rives de la Reuss, que seuls les marchands ne vendant ni viande début mai. KEYSTONE La Vie économique 8– 9 / 2020 9
CROISSANCE ni produits laitiers ont le droit de proposer Écart de production de la Suisse (1980–2020) leurs denrées. Dans ce cas, le potentiel reste en 6 Écart dans le PIB (en pourcentage du potentiel de production) principe inchangé selon les méthodes de calcul habituelles, car les marchands souhaitant 4 vendre leurs produits restent au nombre de 100. Cependant, les restrictions imposées causent 2 une diminution de l’offre effective. 0 Parallèlement, la demande connaît une forte SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE baisse : le revenu de nombreux clients a diminué –2 en raison de la mauvaise situation économique et une partie de la population préoccupée par –4 sa santé renonce à ses courses hebdomadaires 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 en ville. Ainsi, même les marchands autorisés à poursuivre leur activité vendent moins de produits que d’habitude et la valeur ajoutée réa- Alors que cette mesure de l’écart de produc- lisée sur le marché hebdomadaire est également tion reflète bien la perte de revenu causée par la moins grande. crise de la Covid-19, ce signal doit aujourd’hui Cet exemple montre que la sous-utilisa- être interprété avec prudence au niveau de tion des capacités est énorme par rapport au la politique économique. C’est pourquoi il est potentiel inchangé des 100 marchands et que encore plus important que d’habitude de disposer la pandémie a engendré un écart de production d’une large image basée sur d’autres indicateurs mesuré fortement négatif. À première vue, la (comme le niveau d’utilisation des capacités) et nécessité d’agir sur le plan de la politique éco- sur les interactions économiques afin d’analyser nomique peut sembler immense dans une telle la conjoncture économique et de déterminer les situation. réponses de politique économique appropriées. La prudence est toutefois de mise, car Cette problématique devrait toutefois être une stimulation massive de la demande (par limitée dans le temps. L’assouplissement puis la exemple par une distribution de bons) pourrait levée des mesures sanitaires vont permettre à la notamment causer une forte hausse des prix production de redémarrer. L’écart de production en raison de l’offre limitée. Une politique réa- coïncidera par conséquent à nouveau davantage gissant mécaniquement à l’écart de production avec la sur- ou la sous-utilisation des capacités manquerait donc son but. de production liée au niveau de la demande. Cet indicateur devrait alors fournir des signaux plus Le potentiel initialement clairs concernant la politique économique et l’évolution des prix. peu affecté Les méthodes d’évaluation de l’écart de produc- tion appliquées par le Seco dans le contexte de la pandémie de Covid-19 admettent également que, dans un premier temps, la crise affectera peu le potentiel de l’économie en dépit de la forte limitation de l’offre effective temporairement engendrée par les mesures sanitaires. Dans le Sarah Fischer Caroline Schmidt Philipp Wegmüller contexte actuel, l’écart de production mesuré Collaboratrice scienti- Collaboratrice scienti- Collaborateur scientifique, par le Seco reflète ainsi non seulement la baisse fique, secteur Conjonc- fique, secteur Conjonc- secteur Conjoncture, de la demande, mais également la contraction ture, Secrétariat d’État à ture, Secrétariat d’État à Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne l’économie (Seco), Berne l’économie (Seco), Berne de l’offre. 10 La Vie économique 8– 9 / 2020
L’ÉVÉNEMENT Mesurer l’écart de production au moyen d’enquêtes conjoncturelles Les sondages auprès des entreprises aident à mieux évaluer le cycle économique. En Suisse, les enquêtes conjoncturelles du KOF jouent à cet égard un rôle important. Klaus Abberger, Alexander Rathke, Sina Streicher, Jan-Egbert Sturm Abrégé Quel est le taux d’utilisation des capacités de l’économie suisse ? Le manque de stabilité des estimations par Les enquêtes conjoncturelles permettent de répondre rapidement à cette rapport à l’évolution actuelle constitue souvent question sur la base d’observations sectorielles et d’obtenir des valeurs un point critique et nécessite d’effectuer des pouvant être comparées à l’échelle internationale. L’exploitation des révisions majeures des estimations dérivées capacités d’une économie est étroitement liée à l’écart de production, non pour l’écart de production. Cela a notamment observable. Une utilisation des capacités supérieure à la moyenne conduit à un écart de production positif, une sous-utilisation à un écart négatif. Les été le cas lors de la crise financière de 2008– indicateurs ad hoc dérivés des enquêtes menées auprès des entreprises 2009 (voir illustration 1, p. 12) : la première peuvent aider à mieux estimer l’écart de production. estimation pour le 2e trimestre 2008 prévoyait un écart de production pour ainsi dire comblé, mais des estimations ultérieures ont révélé un P ouvoir situer une économie dans le cycle conjoncturel revêt une grande importance du point de vue de la politique économique. Cette écart positif d’environ 3 %. Ces révisions et l’évolution de l’écart de production se situent donc dans une fourchette similaire. position est souvent évaluée à l’aide de l’écart Pour éviter de telles révisions, on recourt de production, qui calcule la différence entre la aux enquêtes conjoncturelles. Celles-ci ciblent production totale et la production potentielle directement la conjoncture, offrent des résul- d’une économie. Mesure des capacités produc- tats disponibles assez rapidement et ne sont tives d’une économie, la production potentielle pas soumises à de tels ajustements. Elles consti- tient largement compte de facteurs de croissance tuent ainsi un outil idéal pour effectuer des comme l’évolution démographique et inclut la estimations par rapport à la situation actuelle, migration de la main-d’œuvre. À court terme, la mais également pour établir des comparai- production économique nationale fluctue autour sons entre pays, car elles suivent les normes de la production potentielle, parce que des chocs internationales. entraînent des réactions cycliques de l’économie. Les enquêtes conjoncturelles menées auprès L’écart de production permet par exemple d’iden- des entreprises englobent souvent des ques- tifier les tensions inflationnistes (courbe de Phil- tions sur l’utilisation des capacités. Celles-ci lips) ou des signaux pour le marché du travail (loi se rapportent en général au taux d’utilisation d’Okun). des capacités de production dont dispose l’en- La production potentielle ne peut toutefois treprise concernée. Les concepts d’« écart de pas être observée directement. Différentes production » et d’« utilisation des capacités » méthodes d’estimation ont donc été mises au sont étroitement liés. En phase d’essor, le taux point pour estimer le potentiel et, sur cette base, de croissance de la production de l’ensemble l’écart de production. Elles ont toutes leurs de l’économie est supérieur à la croissance dite avantages et leurs inconvénients spécifiques. « potentielle » de l’économie et l’utilisation des La plupart utilisent des méthodes de lissage capacités augmente également. En revanche, en statistique, lissant en quelque sorte le cycle phase de fléchissement, le taux de croissance est économique à partir des données pour obtenir inférieur à celui du potentiel et l’utilisation des une estimation de la production potentielle. capacités diminue. Partant de là, les résultats La Vie économique 8– 9 / 2020 11
CROISSANCE Ill. 1. Estimation trimestrielle de l’écart de production pendant la crise financière de 2008–2009 4 En pourcentage du potentiel de production 2 0 –2 KOF / LA VIE ÉCONOMIQUE –4 –6 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Les écarts de production ont été estimés sur une base trimestrielle avec le filtre Hodrick-Prescott à partir du 2e tri- mestre 2007. Cette analyse a été effectuée en temps réel. Les révisions du PIB contribuent également à l’instabilité, mais le facteur dominant reste – de loin – l’instabilité des valeurs limites. Ill. 2. Écart de production et indicateurs d’utilisation des capacités (1995–2019) 4 En pourcentage du potentiel de production Valeur standardisée 3,0 2 1,5 0 0 KOF / LA VIE ÉCONOMIQUE –2 – 1,5 –4 – 3,0 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 2019 Écart de production (échelle de gauche) Utilisation des capacités dans l’industrie (échelle de droite) Indicateur de la construction (échelle de droite) Indicateur du secteur des services (échelle de droite) des enquêtes permettent déjà d’estimer l’écart l’utilisation des capacités. Les entreprises de l’in- de production, sans estimation économétrique dustrie de transformation, de la construction et préalable de la production potentielle. de divers secteurs des services sont interrogées sur le degré d’utilisation de leurs capacités exis- Évaluation des entreprises tantes. Elles répondent en indiquant un pour- centage, mais il s’agit souvent d’une évaluation Les enquêtes conjoncturelles du Centre de de leur part, sans que les chiffres reposent sur recherches conjoncturelles (KOF) de l’École un calcul exact. Les séries chronologiques qui polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) pour la en résultent permettent tout de même d’évaluer Suisse sont menées quatre ou douze fois par an l’importance de la fluctuation conjoncturelle, et (selon le secteur économique) auprès de plus de donc de l’écart de production. L’effondrement 8000 entreprises. Elles peuvent servir à mesurer marqué de la production industrielle pendant 12 La Vie économique 8– 9 / 2020
L’ÉVÉNEMENT la crise financière de 2008–2009 a ainsi pu être évaluation de la situation des affaires et de l’évo- atténué – du moins en partie – par une évolution lution passée et attendue de la demande. Dans plutôt stable dans la construction. la construction, il reflète l’évolution actuelle Pour garantir la comparabilité avec les pays des carnets de commandes et les attentes en voisins de l’Union européenne (UE), le KOF cal- matière d’emploi pour les trois prochains mois. cule l’écart de production selon la méthodologie Les deux indicateurs ESI reproduisent le solde de la Commission européenne1, qui s’appuie moyen entre les réponses positives et négatives également sur des enquêtes conjoncturelles. La des entreprises interrogées. production potentielle est scindée en trois élé- En période de faible conjoncture, les trois ments au moyen d’une fonction de production : indicateurs d’utilisation issus des enquêtes sont le volume potentiel de travail, le stock de capital souvent bien en dessous de zéro, c’est-à-dire non financier et la tendance de la productivité inférieurs la moyenne à long terme (voir illus- totale des facteurs (PTF). La PTF représente la tration 2). Dans les phases de haute conjoncture partie du produit intérieur brut qui ne peut pas cependant, elles se situent généralement bien être expliquée par l’utilisation quantitative des au-dessus. Il apparaît toutefois que les différents facteurs de production que sont le travail et le secteurs économiques ne sont pas toujours tou- capital. Elle reflète à la fois l’efficacité d’utilisa- chés de la même manière : alors que le bâtiment tion et l’exploitation des facteurs de production. a davantage souffert de l’éclatement de la bulle Les enquêtes conjoncturelles servent à détermi- immobilière au milieu des années 1990, les ner la tendance PTF. Dans cette optique, l’indi- services ont accusé une baisse d’utilisation mar- cateur d’utilisation des capacités et de confiance quée à la suite du choc du franc en janvier 2015. des entreprises (« capacity utilization business En conclusion, les enquêtes conjoncturelles sentiment », Cubs) est dérivé des enquêtes. Il 1 Voir Havik et al. permettent une évaluation d’un cycle conjonc- (2014), The production exprime l’utilisation des capacités dans diffé- turel qui soit actuelle, stable et comparable au function methodology for calculating potential rents secteurs. niveau international. Elles contribuent ainsi à growth rates and output réduire les incertitudes dans la détermination gaps, Economic Papers n° 535, Commission Répartition par secteurs de l’écart de production. européenne. Selon la méthodologie de l’UE, le calcul de l’indi- Klaus Abberger Responsable des enquêtes conjoncturelles, Centre de cateur Cubs intègre les indicateurs d’utilisation recherches conjoncturelles (KOF), École polytechnique de l’industrie, des services et de la construction. fédérale de Zurich (EPFZ) Pour l’industrie, il recourt à la question quan- titative concernant l’utilisation des capacités. Alexander Rathke Pour quantifier l’utilisation des capacités dans Collaborateur scientifique, section Science des données et méthodes macroéconomiques, Centre de recherches les secteurs des services et de la construction, conjoncturelles (KOF), École polytechnique fédérale de il s’appuie sur l’indice du climat économique Zurich (EPFZ) (« economic sentiment indicator », ESI) propre à chaque secteur. Les résultats concernant Sina Streicher l’utilisation des capacités ne sont ici pas utilisés Collaboratrice scientifique, section Conjoncture suisse, Centre de recherches conjoncturelles (KOF), École directement, car la question correspondante polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) n’est pas obligatoire dans l’UE pour le secteur du bâtiment et les données ne sont donc pas Jan-Egbert Sturm disponibles pour tous les pays. Pour les services, Directeur du Centre de recherches conjoncturelles les séries chronologiques ont par ailleurs une (KOF) et professeur de macroéconomie appliquée, École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) histoire assez courte. L’ESI y est composé d’une La Vie économique 8– 9 / 2020 13
CROISSANCE Comment la population de la Suisse va-t-elle évoluer d’ici 2070 ? Trois scénarios permettent de déterminer comment pourrait évoluer la population du pays. Une constante ressort : alors que la proportion de personnes de 65 ans et plus va rapidement augmenter, les migrations s’avéreront essentielles à la croissance démographique. Raymond Kohli Abrégé Les différents scénarios de l’Office fédéral de la statistique particulières et quantitativement importantes montrent que le vieillissement démographique sera extrêmement rapide sont observées ces prochains mois, l’OFS pour- en Suisse entre 2020 et 2030. La proportion de personnes ayant atteint rait calculer de nouvelles variantes aux scéna- l’âge de la retraite augmentera rapidement au cours des dix prochaines rios 2020–2050 afin d’en tenir compte. années et restera à un niveau très élevé par la suite. La société et l’écono- mie helvétiques devront ainsi s’adapter rapidement et pour très longtemps à cette nouvelle structure d’âge de la population. Les flux migratoires per- Plus de 10 millions de résidents mettront à la population du pays de ne pas diminuer, mais ils n’auront que permanents dès 2040 ? peu d’impact sur son vieillissement. Le scénario de référence actuel suppose que la Suisse reste attractive en raison d’un rapide L’ Office fédéral de la statistique (OFS) met régulièrement à jour les scénarios de l’évolution future de la population de la Suisse. rétablissement de la situation économique après la crise de la Covid-19, situation qui demeurera bonne par la suite. Les flux migra- Ces adaptations permettent de tenir compte toires n’atteignent cependant plus des niveaux des tendances démographiques récentes aussi élevés que ceux observés durant la der- ainsi que des changements politiques, éco- nière décennie en raison de l’amélioration de la nomiques et sociaux. L’OFS a ainsi publié au conjoncture dans la plupart des pays de l’Union mois de mai 2020 de nouveaux scénarios pour européenne. L’arrivée à l’âge de la retraite des les années 2020 à 20501. Il les a prolongés générations les plus nombreuses des baby- jusqu’en 2070, car certains travaux prospectifs boomers (nées entre 1950 et 1970) laisse beau- (scénarios économiques à long terme, aména- coup de places de travail vacantes. gement du territoire, etc.) de l’administration Pour compenser en partie ces départs, le fédérale nécessitent des projections sur une solde migratoire des personnes actives croît plus large période. légèrement entre 2020 et 2030. Les actifs immi- Trois scénarios de base ont été calculés. Le grant en Suisse ont en majorité une formation scénario de référence correspond à la pour- élevée et sont donc souvent très mobiles. La suite des tendances de ces dernières années. Le plupart d’entre eux ne restent en Suisse que scénario « haut » se base sur une combinaison quelques années. Le solde migratoire dimi- d’hypothèses plus favorables à la croissance nue ainsi rapidement après 2030 en raison de démographique, tandis que le scénario « bas » cette plus grande mobilité et du vieillissement repose sur des hypothèses moins favorables à démographique accéléré des pays européens, cette croissance. ce dernier engendrant une concurrence entre Ces trois scénarios ont été conçus et calcu- la Suisse et l’UE pour attirer des actifs qualifiés. 1 OFS (2020). Évolution lés avant la pandémie de Covid-19. Il est toute- Le solde migratoire passe d’environ 50 000 per- de la population de 2020 à 2050 : croissance, vieil fois encore difficile d’évaluer quels seront les sonnes en 2020 à 55 000 en 2030. Il diminue lissement et concentra effets de cette dernière sur l’évolution future ensuite à 35 000 en 2040 et reste inchangé tion autour des grandes villes. Neuchâtel, 28 mai. de la population de la Suisse. Si des évolutions jusqu’à la fin de la période de projection. 14 La Vie économique 8– 9 / 2020
L’ÉVÉNEMENT KEYSTONE La fécondité n’est plus assez élevée pour Le développement de l’égalité des genres permettre, seule, aux peu à peu en la matière. L’espérance de vie des et une amélioration de la compatibilité entre générations de se hommes passe de 82,2 ans en 2020 à 87,2 ans le travail et la famille permettent aux parents renouveler en Suisse. en 2050 puis 88,7 ans en 2070, contre respec- de concilier plus facilement leur vie privée et tivement 85,7 ans, 89,6 ans et 91,2 ans pour les leur carrière professionnelle. De nombreuses femmes. femmes suivent des formations plus longues qui La population résidante permanente de la retardent leur entrée dans le monde du travail Suisse passe de 8,6 millions d’habitants en 2020 et qui entraînent un report de leur première à 11,1 millions en 2070, dépassant le cap des grossesse à des âges plus élevés. La fécondation 10 millions dès 2040 (voir illustration 1, p. 16). médicalement assistée permet toutefois à une Alors que les 1,6 million de 65 ans ou plus repré- part plus importante de femmes d’avoir des sentent 18,7 % de la population en 2020, leur enfants à des âges plus avancés. L’indicateur nombre double presque pour atteindre 3 mil- conjoncturel de fécondité, soit le nombre moyen lions en 2070, soit plus du quart de la population d’enfants par femme, augmente de 1,52 en 2020 totale (27 % ; 2,7 millions et 25,6 % en 2050). Le à 1,62 en 2050, pour ensuite se stabiliser. rapport de dépendance des personnes âgées, Les progrès de la médecine (meilleure c’est-à-dire le nombre de personnes de 65 ans ou connaissance des facteurs de risque, nouveaux plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, passe médicaments, prévention contre le tabagisme, de 30,9 en 2020 à 46,5 en 2050 puis 50,3 en 2070 l’alcoolisme et les accidents, etc.) permettent (voir illustration 2, p. 16). une poursuite de la baisse de la mortalité. De plus en plus de personnes exercent des métiers Jusqu’à 13 millions de résidents dans le secteur tertiaire et ont une formation permanents en 2070 plus élevée. Comme ces dernières ont en géné- ral de meilleurs comportements liés à la santé, Le scénario « haut » suppose également une l’état de l’ensemble de la population s’améliore très bonne situation économique en Suisse au La Vie économique 8– 9 / 2020 15
CROISSANCE Ill. 1. Population résidante permanente de la Suisse (1970–2070) 14 Nombre de résidents permanents (en millions) 12 10 8 OFS / LA VIE ÉCONOMIQUE 6 4 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 Population effective Scénario de référence Scénario « haut » Scénario « bas » Ill 2. Rapport de dépendance des personnes âgées (1970–2070) 60 50 40 30 OFS / LA VIE ÉCONOMIQUE 20 10 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 Rapport de dépendance effectif Scénario de référence Scénario « haut » Scénario « bas » Le rapport de dépendance mesure le nombre de personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans. cours des prochaines décennies. Le solde migra- 65 ans ou plus deviennent plus de deux fois plus toire passe d’un peu plus de 60 000 personnes nombreux entre 2020 et 2070, passant à 2,8 mil- à 70 000 entre 2020 et 2030, avant de diminuer lions en 2050 et à 3,4 millions en 2070 : ils repré- pour se stabiliser à 50 000 dès 2040. Le nombre sentent alors respectivement 24,9 % et 26 % de moyen d’enfants par femme augmente quant à la population. Le rapport de dépendance des lui de 1,55 en 2020 à 1,82 en 2050 et ne varie plus personnes âgées passe à 45,6 en 2050 et 48,9 par la suite. L’espérance de vie progresse égale- en 2070. ment : de 82,7 ans en 2020 à 90,6 ans en 2070 Le scénario « bas » est moins optimiste et sup- pour les hommes, contre respectivement pose une croissance économique plus faible. Le 86,1 ans et 92,7 ans pour les femmes. solde migratoire reste stable à 40 000 personnes Selon ce scénario, la Suisse compte 11,4 mil- jusqu’en 2030, puis décroît pour se fixer autour lions de résidents permanents en 2050, un de 20 000 dès 2040. L’indicateur conjoncturel chiffre qui monte à 13 millions en 2070. Les de fécondité diminue, passant de 1,50 enfant 16 La Vie économique 8– 9 / 2020
L’ÉVÉNEMENT par femme en 2020 à 1,41 en 2050, pour se sta- Une poursuite de l’augmentation de l’espé- biliser peu après à ce niveau. L’espérance de vie rance de vie contribuera quelque peu à l’accrois- des hommes passe de 81,6 ans en 2020 à 86,7 ans sement de la population du pays. En raison des en 2070, celle des femmes de 85,3 à 89,7 ans. niveaux déjà très bas des taux de mortalité des La population résidante permanente du pays enfants et des personnes en âge de travailler, atteint 9,5 millions d’individus en 2050. Elle cette hausse de la longévité ne permettra qu’au diminue lentement à partir de 2052 et se situe nombre de personnes âgées d’augmenter. Elle à 9,4 millions en 2070. Le nombre de 65 ans ou n’aura que peu d’effets sur les autres groupes plus croît à 2,5 millions de personnes en 2050 d’âge, dont la croissance sera en grande partie et à 2,7 millions en 2070. Cette tranche d’âge déterminée par les niveaux des flux migratoires. représente 26,4 % de la population en 2050 et Ainsi, quand les générations nombreuses du 28,3 % en 2070. Le rapport de dépendance des baby-boom auront atteint des âges avancés et personnes âgées passe à respectivement 47,5 commenceront à disparaître, l’accroissement et 52,1. démographique de la Suisse dépendra presque exclusivement des migrations. La croissance dépend toujours plus des migrations Depuis une cinquantaine d’années déjà, la fécondité n’est plus assez élevée pour permettre aux générations de se renouveler. Sans migra- tions et sans accroissement de l’espérance de vie, la population de la Suisse aurait déjà diminué Raymond Kohli depuis plusieurs années. La fécondité ne devrait Collaborateur scientifique, section Démographie pas augmenter suffisamment dans le futur pour et migration, Office fédéral de la statistique (OFS), Neuchâtel engendrer une croissance démographique. La Vie économique 8– 9 / 2020 17
CROISSANCE La crise du coronavirus nuira à la prospérité jusqu’en 2050 La récession actuelle entraînera une perte de richesse substantielle. Le PIB par habitant ne devrait pas retrouver son niveau de 2019 en Suisse avant 2023. Sarah Fischer, Philipp Wegmüller, Marc Zahner Abrégé En 2050, les auteurs de cet article seront soit retraités, soit sur Notons d’emblée que l’inexactitude de prévi- le point de l’être. Quel sera alors le revenu moyen des Suisses ? Quel sera sions économiques à court terme – notamment l’impact de la crise actuelle sur notre niveau de vie ? Les projections à long celles de la Confédération – ne peut servir d’ar- terme du Secrétariat d’État à l’économie concernant l’évolution du produit gument pour juger du bien-fondé des scénarios intérieur brut fournissent certaines réponses. Il apparaît déjà clairement à long terme. La différence entre une prévision que la crise de la Covid-19 aura des conséquences sur notre revenu au moins à moyen terme. Le recul de la prospérité représentera 3400 francs à court terme et un scénario économique à long par personne d’ici 2030. La crise ne devrait en revanche pas avoir d’effet sur terme est comparable à celle existant entre une la croissance économique à long terme. prévision météorologique pour le lendemain et un scénario climatique. Bien qu’étant soumis à de grandes incertitudes, tous deux fournissent A dmettons que l’on vous demande de fournir une estimation de l’état général de l’économie suisse en 2050 sur la base des des renseignements importants. Nouvelle méthode du Seco données disponibles en 2020. Vous répondrez sans doute qu’il s’agit d’une entreprise auda- La plupart des processus de prévision à court cieuse assortie de nombreuses incertitudes. terme généralement appliqués ne sont pas uti- Il est cependant indispensable d’avoir une lisables pour l’élaboration de scénarios à long perspective à long terme pour de nombreuses terme. Il existe toutefois des outils méthodolo- questions de politique économique (viabilité giques permettant d’esquisser l’évolution pos- fiscale, planification du développement des sible du niveau de prospérité. infrastructures, conséquences des réformes La suite de cet article met l’accent sur structurelles ou formulation d’objectifs clima- l’identification et la projection des tendances tiques, notamment). lentes. Ces dernières dépendent d’une série Ill. 1. Évolution du PIB suisse (scénario de référence, juin 2020) 1100 milliards de francs 1000 900 800 OFS, SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE 700 600 500 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 Données historiques Prévision à court terme (prévisions conjoncturelles) Prévision à moyen terme Scénarios à long terme 18 La Vie économique 8– 9 / 2020
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