NOUVELLES DÉCOUVERTES - BEYROUTH une petite Rome en Orient - Mars/Avril 2019
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No 392 - Mars / Avril 2019 SANCTUAIRES et FORTERESSES de montagne BEYROUTH une petite Rome en Orient TYR vestiges phéniciens et romains SIDON et ses monuments funéraires NOUVELLES DÉCOUVERTES www.faton.fr L 15957 - 392 - F: 9,80 € - RD
COMITÉ SCIENTIFIQUE Guillemette ANDREU-LANOË, Conservateur général, directrice du département des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre Yves COPPENS, Membre de l’Institut, professeur au Collège de France Jean-Paul DEMOULE, Professeur érémite de protohistoire européenne à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, membre de l'Institut universitaire de France Jean-Marie DURAND, Directeur d’Études à l’École pratique des hautes études, Directeur de laboratoire au CNRS et professeur au Collège de France Henri-Paul FRANCFORT, Directeur de recherche au CNRS Jean-Louis HUOT, Professeur honoraire à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne Vassos KARAGHEORGIS, Professeur émérite à l’université de Chypre Venceslas KRUTA, Directeur d’études honoraire à l’École pratique des hautes études Pierre LERICHE, Directeur de recherche émérite au CNRS, École normale supérieure Daniel LÉVINE, Professeur à l’université de Paris IV-Sorbonne Jean-Pierre MOHEN, Directeur du laboratoire de recherche des Musées de France Jean-Paul MOREL, Professeur émérite de l’université de Provence Philippe PERGOLA, Directeur de recherche au CNRS, université de Provence (LAMM-MMSH), professeur et ancien recteur de l'Institut Pontifical d'archéologie chrétienne à Rome Véronique SCHILTZ, Professeur honoraire à l’université de Besançon Bernard VANDERMEERSCH, Ancien directeur du laboratoire d’Anthropologie de l’université de Bordeaux, professeur à l’université de Bordeaux I, directeur à l’École pratique des hautes études DIRECTRICE DE LA PUBLICATION RÉDACTRICE EN CHEF Jeanne FATON RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Ludivine PÉCHOUX « L e plus souvent je ne ferai qu’éveiller le désir d’investigations RÉDACTION plus étendues. Je n’ai pas songé un moment, en effet, qu’il me David FERNANDÈS, Pascal PICHON fût possible d’épuiser une matière aussi neuve. Si l’Italie, qui a Éditions Faton 25 rue Berbisey - 21000 DIJON Tél. Rédaction : 03 80 40 41 02 des antiquaires habiles depuis quatre cents ans, laisse place encore redaction@dossiers-archeologie.com à des découvertes importantes, ce n’est pas en quelques mois qu’on RÉALISATION GRAPHIQUE pouvait espérer de faire rendre à cette terre, qui compte trois mille Aurélie CAMUSET ans d’histoire, tout ce qu’elle recèle. Ma tâche devait se borner à PUBLICITÉ ouvrir la série des explorations profondes dans le sol, à vérifier et ANAT RÉGIE 9 rue de Miromesnil suivre en détail ce que d’ingénieux et savants voyageurs ont déjà 75008 PARIS Tél. : 01 43 12 38 15 - Fax : 01 42 12 38 18 entrevu, à trouver quelque loi générale qui serve de fil pour les E-mail : o.diaz@anatregie.fr - presse@faton.fr travaux futurs, à entreprendre surtout ce que la spéculation privée, POUR LA BELGIQUE suffisante pour la recherche des objets transportables, ne saurait TONDEUR DIFFUSION – 9 avenue Van Kalken B - 1070 Bruxelles – Tél. 02 555 02 17 faire, je veux dire la découverte des grands monuments et la poursuite E-mail : press@tondeur.be Compte Fortis 210-0402415-14 des questions d’histoire. J’ai la conscience d’avoir dépensé pour cet POUR LA SUISSE objet un an de ma pleine activité. En même temps qu’un inconsolable EDIGROUP SA – Case postale 393 CH - 1225 Chêne-Bourg – Tél. 0041 22 860 84 01 regret, il me restera de cette mission, qui m’a mis durant une année Fax. 0041 22 348 44 82 – abonne@edigroup.ch dans le contact le plus intime avec l’antiquité, un profond souvenir. » Dossiers d’Archéologie est un bimestriel édité par (Ernest Renan, Mission de Phénicie, 1864, pages 16-17.) les Éditions FATON, S.A.S. Capital 342 000 euros 25, rue Berbisey, F - 21000 DIJON À la demande de Napoléon III, en 1860 et 1861, Ernest Renan part Imprimé en France par L’IMPRIMERIE DE CHAMPAGNE à Langres à la découverte de la Phénicie, dont l’archéologie est encore large- ment inexplorée par les missions occidentales. Au terme de son Dossiers d’Archéologie / n° 392 Commission paritaire 0419 K 84758 Dossiers d’Archéologie / n° 371 périple, il revient avec le sentiment que tout est encore à faire pour ISSN 1141-7137 Diffusion MLP retrouver le passé du Liban qui demeure, pour le savant français, © 2019, Éditions FATON S.A.S. dans l’ombre du « miracle grec ». En 2019, ses successeurs, dans La reproduction des textes et des illustrations publiés dans ce numéro est interdite. les pages qui suivent, ont poursuivi l’exploration profonde du sol, Eco-contribution : papier couverture origine réglé quelques questions d’histoire qui en soulèvent de nouvelles, Maastricht (Pays-Bas), taux de fibres recyclées 69,6 %, et sorti de l’ombre grecque un passé libanais singulier. certification PEFC et FSC, Ptot 0,04 kg/tonne - papier intérieur origine Lanaken (Belgique), taux de fibres recyclées 73,8 %, certification PEFC et FSC, Ptot 0,01 kg/tonne. Rez-de-chaussée et premier étage du Ludivine PÉCHOUX Musée national de Beyrouth. © Ministère de la Culture / DGA - Musée national de Beyrouth 03 1 ABONNEMENTS ET COMMANDES Éditions FATON – CS 50090 – 21803 Quetigny Cedex Tél. 03 80 48 98 48 – Fax. 03 80 48 98 46 – abonnement@faton.fr
DOSSIERS D’ARCHÉOLOGIE n° 392 mars / avril 2019 Le Liban – Nouvelles découvertes Coordinateur scientifique : Pierre-Louis GATIER EN COUVERTURE Porte monumentale romaine à l’entrée de Tyr. © Adobe Stock / R. Yoshida 06 Dossier 06 • INTRODUCTION Les grandes étapes du passé libanais par Pierre-Louis GATIER • AVANT-PROPOS 11 La direction générale des Antiquités par Sarkis EL-KHOURY • PRISE DE VUE 16 12 Les musées d’archéologie au Liban par Anne-Marie MAÏLA AFEICHE 16 Beyrouth. Une petite Rome en Orient par Julien ALIQUOT Beyrouth. Vingt ans d’archéologie urbaine 20 par Assaad SEIF, et coll. Fadi BEAINO et Hadi CHOUERI Le faubourg oriental de Béryte 24 à l’époque romaine par Georges EL HAIBÉ, Hadi CHOUERI, Fadi BEAINO et Assaad SEIF 30 • FOCUS 28 Pratiques funéraires dans les nécropoles de Beyrouth par Julien CHANTEAU et Joyce NASSAR 30 Deir el-Qalaa. Un sanctuaire rural près de Beyrouth par Julien ALIQUOT et Lévon NORDIGUIAN • FOCUS Dossiers d’Archéologie / n° 392 Ej-Jaouzé, village antique de la montagne libanaise 36 par Lina NACOUZI et Dominique PIERI 42 Sidon, 20 ans d’archéologie 38 par Claude DOUMET-SERHAL 42 Le sanctuaire extra-urbain d’Eshmoun par Rolf A. STUCKY Les monuments funéraires de Sidon 48 à l’époque romaine 04 par Jean-Baptiste YON
La nécropole phénicienne de Tyr 52 par María Eugenia AUBET Les auteurs du dossier Un sanctuaire phénicien à Tyr Julien ALIQUOT, chercheur au CNRS, laboratoire HiSoMA, 56 par Leila BADRE Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon María Eugenia AUBET, professeure d’archéologie, L’histoire de Tyr. 60 Nouvelles découvertes archéologiques Universidad Pompeu Fabra, Barcelone par Pierre-Louis GATIER Leila BADRE, directrice du musée d’Archéologie, Université américaine de Beyrouth • FOCUS L’hippodrome romain de Tyr Fadi BEAINO, archéologue, coordinateur de fouilles, Beyrouth 66 par Hani KAHWAGI-HANO 68 Julien CHANTEAU, archéologue, musée du Louvre La renaissance du château de Beaufort Hadi CHOUERI, chercheur associé, laboratoire d’Archéologie libanaise, par Jean YASMINE Centre de recherche de la faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université libanaise, Beyrouth Claude DOUMET-SERHAL, directrice des fouilles de Sidon ; assistante 68 de recherche au British Museum, département du Proche-Orient Georges EL HAIBÉ, chercheur au CNRS, laboratoire HiSoMA, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon ; Institut français du Proche-Orient Pierre-Louis GATIER, ancien directeur de la mission archéologique libano-française de Tyr (2008-2017) ; directeur de recherche émérite, CNRS, laboratoire HiSoMA, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon Hani KAHWAGI-HANO, architecte et restaurateur ; docteur en archéologie, université Paris-Sorbonne ; Institut français du Proche-Orient 72-81 Sarkis KHOURY, directeur général de la Direction générale des Antiquités (Liban) Actualités Anne-Marie MAÏLA-AFEICHE, directrice générale et présidente du Conseil général des musées (Liban) Lina NACOUZI, chercheuse associée à l’Institut français du Proche-Orient • EN BREF par Ludivine PÉCHOUX Joyce NASSAR, archéoanthropologue, PACEA UMR 5199 ; et David FERNANDÈS Institut français du Proche-Orient Lévon NORDIGUIAN, directeur de la photothèque de • POINT(S) DE VUE la Bibliothèque orientale, université Saint-Joseph, Beyrouth Filmer l’archéologie. Du terrain au documentaire Dominique PIERI, directeur du département d’archéologie Interview de David GEOFFROY à l’Institut français du Proche-Orient • AUTOUR D’UNE EXPO Assaad SEIF, professeur assistant, Université libanaise ; laboratoire Tomber sur un os. Les archéologues et la mort d’Archéologie libanaise, Centre de recherche de la faculté des Lettres par Stéphanie PIODA et des Sciences humaines, Université libanaise, Beyrouth Rolf A. STUCKY, professeur émérite de l’université de Bâle (Suisse) • LIVRES Jean YASMINE, architecte du patrimoine, chargé d’études et de restauration du château de Beaufort ; docteur en archéologie ERRATUM Dans le numéro 391 des Dossiers d’Archéologie consacré Jean-Baptiste YON, directeur de recherche au CNRS, département aux vikings, la partie du Danevirke reproduite page 24 d’archéologie et d’histoire de l’Antiquité, Institut français du Proche-Orient date du XIIe siècle.
Les grandes étapes du passé libanais Sept ans après un numéro qui offrait une synthèse des connaissances relatives aux grands sites du Liban, les Dossiers d’Archéologie ont une nouvelle occasion de faire état des découvertes les plus récentes sur le sujet. Alors que la capitale, Beyrouth, connaît une activité d’archéologie préventive parmi les plus intenses du monde et que diverses missions scientifiques sont déployées sur le terrain, le Liban présente l’image d’un pays qui offre une belle place à son passé et à son patrimoine. Pierre-Louis GATIER
UNE GÉOGRAPHIE SINGULIÈRE L e Liban moderne, ou République Tell Arqa libanaise, petit pays d’une Tripoli Mer superficie d’environ 10 400 km2, Méditerranée mesure, pour ses dimensions maxi- te N on Vallée allé de la Or A males, 250 km du nord au sud et Qadisha IB 60 km d’est en ouest. On le compare L Jbeil U k aa fréquemment à la Corse et on en fait (Byblos) D a Bé IBA N souvent l’équivalent de deux dépar- b l Baalbek I-L K el T E Deir el-Qalaa de N a hr e l - ÎN N tements français de taille moyenne. ’A ne Dans la partie orientale de la Médi- L Beyrouth ai A E D Pl CH terranée, il concentre sur cet espace E N Ej-Jaouzé ao Aanjar AÎ restreint une histoire extrêmement CH ni riche qu’évoquent les noms de Tripoli, Lita Saïda Aw a li Byblos, Beyrouth, Sidon et Tyr, sur la mid el-Loz Kamid e (Sidon) côte, et ceux de Baalbek et d’Aanjar, n dans la plaine intérieure de la Békaa, Sour m Damas pour ne citer que quelques sites (Tyr) Beaufort Litani emblématiques. N Le Liban appartient à l’ensemble Oumm el-Amed O r ain du Proche-Orient syro-palestinien « de Joourd l’Amanus au Sinaï », région définie his- © C. Voyer. 0 30 km toriquement comme le Bilad el-Sham ou comme le Levant. Le pays s’organise en une série de bandes parallèles qui se succèdent d’ouest en est et que l’on retrouve dans les pays voisins. Le lit- toral, très découpé, a permis l’installation des ports dès les époques les plus anciennes. Puis vient la bande côtière, occupée par une plaine comparti- mentée, irrégulière, voire inexistante, comme au promontoire du Nahr el-Kelb, au nord de Beyrouth, où la montagne tombe dans la mer. Néanmoins, les étroites plaines côtières et les collines adjacentes ont procuré jadis aux villes des ressources agricoles non négligeables. La deuxième bande se compose d’une mon- tagne abrupte particulièrement élevée au nord entre Beyrouth et Tripoli, là où elle culmine à 3 083 m et où elle constitue le mont Liban propre- ment dit. Cette chaîne a fourni deux richesses essentielles, exceptionnelles au Proche-Orient : d’une part, le bois, en particulier celui du cèdre devenu fort rare de nos jours ; d’autre part, l’eau qu’apportent les pluies et la fonte des neiges. Le pays tire en effet son nom de la racine sémitique lbn, qui évoque la blancheur et la neige. Les deux autres bandes sont formées par la haute plaine d’effondrement de la Békaa, qui culmine autour de 1 100 m, et par la seconde chaîne montagneuse, l’Anti-Liban, où se trouve la frontière moderne avec Localisation de sites la Syrie et qui est prolongée au sud par le mont archéologiques au Liban. Hermon, ou Gebel esh-Sheikh. L’Anti-Liban, mon- tagne sèche et inhospitalière, culmine autour de Le site d’Aanjar dans la plaine de la Békaa. 2 679 m, mais l’Hermon, plus fertile du côté liba- © Adobe / Prashant nais, s’élève jusqu’à 2 814 m. Agrawal
Chantier de Liban et Anti-Liban sont de véritables barrières, fouille à mais franchissables par des cols. Cependant, l’en- Beyrouth, en 2010. © Alamy / caissement des vallées de la chaîne du Liban E. Kart sépare les secteurs et rend difficile les circulations internes à la montagne. Les fleuves côtiers sont particulièrement nombreux dans la partie nord du pays, où ils prennent l’allure de courts torrents irré- guliers issus de la montagne. Mais les deux princi- paux cours d’eau, l’Oronte et le Litani, naissent dans la Békaa ; le premier file vers le nord de la Syrie ; le second part vers le sud, avant d’obliquer à angle droit vers la Méditerranée, où il se jette huit kilomètres au nord de Tyr. UN MILLEFEUILLE DE CIVILISATIONS Il n’est pas possible de résumer en quelques Dossiers d’Archéologie / n° 392 phrases une très longue histoire, où se sont suc- cédé de nombreuses cultures et civilisations, avec à de nombreuses reprises des occupations et des mainmises étrangères. Les anciens empires qui ont dominé la côte levantine ont, bien entendu, contrôlé directement ou indirectement la région qui est devenue le Liban contemporain et ont exercé une influence culturelle, qui se traduit aussi dans la documentation archéologique. Certaines périodes, pourtant passionnantes, 8 n’ont pas été abordées dans les pages qui suivent,
comme la préhistoire ou l’âge du Bronze ancien Cependant, il faut se rappeler que les termes (vers 3200 - 2000 avant J.-C.). De plus, le IIe millé- « Phénicie » et « Phénicien » ont été créés par les naire, d’une part, le Moyen Âge islamique et franc, Grecs pour désigner les habitants d’une portion du d’autre part, n’occupent qu’une place réduite. En Levant plus étendue que le Liban actuel, au-delà effet, on s’est efforcé de concentrer l’attention sur d’Acre au sud et de Marathos / Amrit ou Arados / les deux périodes les mieux représentées dans les Arwad au nord. Les Phéniciens, qui ne se sont sites libanais : d’abord, l’âge du Fer (1200 - 332 jamais conçus comme tels, mais qui avaient de nom- avant J.-C.), qu’on divise traditionnellement en Fer breux traits communs, dont la langue et l’écriture, se I (1200 - 900 avant J.-C.), Fer II (900 - 539 avant J.-C.) désignaient comme des habitants de telle ou telle et Fer III ou époque perse (539 - 332 avant J.-C.) ; cité, par exemple Tyr ou Sidon, un peu à la manière ensuite, le grand millénaire gréco-romain, de 332 des Génois ou des Vénitiens du Moyen Âge. avant J.-C. à 638 après J.-C., qui commence par la conquête d’Alexandre le Grand. Il comprend QUELLES NOUVEAUTÉS ? la période hellénistique (332 - 64 avant J.-C.), Il a été question du Liban à plusieurs reprises la période romaine (64 avant J.-C. - 330 après J.-C.), dans les Dossiers d ’Archéologie. Rappelons le la période protobyzantine (330 - 638 après J.-C.) et no 12 de septembre-octobre 1975, Liban. Les s’achève par la conquête arabo-islamique. grands sites : Tyr, Byblos, Baalbek…, le hors-série Les vestiges romains devant Pendant l’âge du Fer, la civilisation phénicienne no 13 de novembre 2007, La Méditerranée des la cathédrale Saint-George, dans le centre-ville de s’est épanouie à partir des villes côtières de Tyr, de Phéniciens. Plus récemment, le no 350 de mars-avril Beyrouth. © Alamy / Em Sidon, de Béryte / Beyrouth et de Tripolis / Tripoli. 2012, Liban, un passé recomposé, offrait une large Campos (2017)
gamme d’informations. Comme l’écrivait Jean- moment surtout beyrouthine, mais l’on peut sou- Louis Huot, l’ancien directeur de l’Institut français haiter que les quelques autres exemples de sa d’archéologie du Proche-Orient (Ifapo, devenu mise en œuvre, en particulier à Sidon et à Tyr, Ifpo), ce numéro « témoignait donc avec éclat de annoncent de futurs développements. Près de ce renouveau » que connaissait le Liban, dans le Beyrouth, l’étude des résultats des fouilles domaine de la recherche archéologique après la anciennes du site romain et protobyzantin de Deir fin de la guerre civile. el-Qalaa utilise d’autres méthodes, puisqu’il s’agit Dans le présent numéro, on s’est efforcé d’ap- de reprendre une documentation antérieure à la porter des informations nouvelles sur des sujets qui guerre civile ; elle prolonge les travaux, signalés n’avaient pas été traités naguère, quitte à laisser dans les Dossiers de 2012, traitant des nombreux de côté pour l’instant de nombreux sites, dont sanctuaires de la montagne libanaise. Byblos et Baalbek, mais aussi de vastes champs À Sidon, la moderne Saïda, ce sont vingt ans d’activité, comme l’archéologie sous-marine ou les de fouilles – programmées sur un seul secteur et prospections. Il est d’abord question des musées, par ailleurs intensément publiées – qui sont résu- aussi bien de la récente et spectaculaire réfection més ici. S’y ajoutent une recherche sur les monu- du sous-sol du Musée national autour des thèmes ments funéraires d’époque romaine appuyée par funéraires que de la politique de développement l’épigraphie grecque et latine, et une synthèse sur des musées de site ou thématiques, comme le l’extraordinaire sanctuaire phénicien hors les murs futur musée de l’Histoire de Beyrouth. Il a ensuite consacré au dieu Eshmoun, fondée sur l’archéolo- semblé utile de revoir trois des grands sites liba- gie monumentale, l’iconographie et l’histoire de nais, Beyrouth, Sidon et Tyr, essentiellement parce l’art. On constate ainsi que les méthodes clas- que la documentation et l’état de la recherche ont siques peuvent encore se révéler particulièrement beaucoup changé depuis leur dernière présence productives. À Tyr, quatre zones différentes don- dans les Dossiers. nent lieu à des articles qui présentent les résultats Bibliographie Beyrouth illustre parfaitement la place consi- de trois fouilles programmées récentes et d’une dérable tenue par l’archéologie préventive dans la nouvelle enquête architecturale sur l’hippodrome. • BLAS DE ROBLÈS (J.-M.), connaissance et dans l’économie du savoir à Enfin, non loin dans l’arrière-pays, les travaux sur PIERI (D.), YON (J.-B.) — Vestiges archéologiques du Liban, l’heure actuelle au Liban. Il était nécessaire de met- le site de Beaufort permettent de montrer la Aix-en-Provence/Beyrouth, tre à jour les informations des Dossiers de 2012 sur richesse du Liban dans le domaine des forteresses Édisud/Librairie Antoine, 2004. les résultats de ses multiples chantiers de sauve- médiévales, mais aussi d’évoquer les enjeux de • BRIQUEL-CHATONNET (Fr.), tage ou de prévention. Trois articles s’y emploient. mémoire auxquels les archéologues doivent prê- GUBEL (É.) — Les Phéniciens, Au Liban, l’archéologie préventive est pour le ter une attention croissante. aux origines du Liban, Paris, Gallimard, 1998. • GERNEZ (G.), PÉRISSÉ-VALÉRO (I.) — Le Liban de la Préhistoire à l’Antiquité, Paris, Errance, 2010. • MARRINER (N.) — Géoarchéologie des ports antiques du Liban, Paris, L’Harmattan, 2009. • MAÏLA-AFEICHE (A.-M.), MARTINIANI-REBER (M.), HALDIMANN (M.-A.) — Fascination du Liban. Soixante siècles d’histoire de religions, d’art et d’archéologie, Paris, Skira, 2012. • RENAN (E.) — Mission de Phénicie, Paris, Librairie impériale (puis nationale), 1864-1874. Fouilles dans le centre-ville de Beyrouth. 10 © Adobe / Diak
Avant-propos : la direction générale des Antiquités Sarkis EL-KHOURY, Directeur général des Antiquités Grande cour du sanctuaire de Jupiter Héliopolitain à Baalbek. © Adobe Stock / L. Kieboom L a direction générale des Antiquités Dans une région du monde soumise à moyens financiers et des ressources est l’entité responsable, au sein du de terribles épreuves, où les enjeux cul- humaines de la DGA en comparaison ministère de la Culture, de la ges- turels pourraient sembler secondaires, avec l’immensité de ses responsabilités. tion du patrimoine culturel libanais tan- le Liban témoigne actuellement d’une Cependant, la coopération internatio- gible, mobile et immobile. phase qui peut être qualifiée d’active nale constitue un élément important Sa mission consiste à élaborer et à exé- quant aux actions menées en faveur de dans l’exécution des tâches assumées cuter des plans stratégiques pour la son patrimoine. par la DGA. La parution d’un nouveau protection et la sauvegarde de cet En effet, les missions de fouilles, liba- numéro des Dossiers d’Archéologie héritage, afin d’assurer sa pérennité et, naises et étrangères, se multiplient et le consacré au Liban représente ainsi un par là, sa transmission aux générations nombre des études et des publications bon exemple de ce type de collabora- futures, permettant ainsi aux Libanais augmente. Les projets de restauration tion pour la diffusion des connaissances, de se réapproprier leur patrimoine et et de conservation s’intensifient, et le en témoignant du rayonnement inter- leur histoire collectifs, de façon à par- secteur muséologique prospère. Par national des cultures qui se sont suc- tager des valeurs communes et à parti- ailleurs, les efforts et les initiatives se cédé sur le sol libanais et de l’avancée ciper à la protection de cet héritage croisent pour aller encore plus de des recherches archéologiques dans le si menacé. l’avant, malgré parfois la précarité des pays au cours des dernières années.
Les musées d’archéologie au Liban Le 26 avril 2018 naissait par décret ministériel un organisme au sein du ministère de la Culture du Liban. Sous le nom de Conseil général des musées, ce nouveau corps aura pour mission de réglementer les musées d’État, d’en créer de nouveaux et d’en conserver les collections. Cette initiative témoigne d’un intérêt certain pour les musées, apparu durant la dernière décennie du siècle passé, années qui ont suivi la fin de la guerre civile. Anne-Marie MAÏLA AFEICHE Façade du musée national de Beyrouth. © Ministère DES MUSÉES AUX THÉMATIQUES de la Culture / DGA - Musée national de VARIÉES O Beyrouth utre les musées d’archéologie, relevant pour la plupart du ministère de la Culture ou faisant partie d’institutions univer- sitaires, comme le musée de l’Uni- Pectoral du roi Ib versité américaine de Beyrouth Shemou Abi. Beyrouth, Musée national. (AUB) ou celui de la Préhistoire © Ministère de la libanaise de l’université Saint- Culture / DGA - Musée Joseph (USJ), de nombreux national de Beyrouth musées privés ont également vu le jour. Musées d’Art moderne et contemporain, des Minéraux, des Merveilles de la mer, de la Monnaie, de la Soie ou du Savon sont autant d’initia- tives personnelles particulièrement réus- sies, qui attirent, et à juste raison, de propriétaire des biens mobiliers enfouis Dossiers d’Archéologie / n° 392 nombreux visiteurs. dans son sous-sol. Ce sont par consé- Les collections archéologiques natio- quent les découvertes archéologiques nales rassemblées depuis la fin du qui constituent l’embryon des collections XIXe siècle trouvent naturellement leur nationales. L’émir Maurice Chéhab place dans les édifices publics bâtis à (1904-1994), premier conservateur du cet égard. C’est le cas du Musée natio- Musée national de Beyrouth et directeur nal de Beyrouth, dont la construction général des Antiquités du Liban, écrivait débute en 1930 à l’initiative d’un comité en 1937 que le musée regrouperait fondateur, mu par la volonté de racon- désormais les vestiges recueillis sur le ter l’histoire d’un pays. Selon la loi qui territoire libanais (Bulletin du Musée de 12 régit les antiquités nationales, l’État est Beyrouth, vol. 1, 1937, p. 1).
UN MUSÉE NATIONAL AUX COLLECTIONS EXCEPTIONNELLES Aujourd’hui les musées d’archéologie sont essentiellement des musées d’État. Le plus important en est le Musée natio- nal de Beyrouth, qui a connu un par- cours particulier depuis sa création et au long des années de la guerre civile (1975-1991). Sa collection exception- nelle, qui comporte des œuvres qui vont de la préhistoire à la période otto- mane, soit le XIXe siècle, a été fort heu- reusement préservée. Le bâtiment a grâce aux nombreuses fouilles et pros- Le sous-sol du Musée pections menées par différentes national de Beyrouth. subi de lourdes destructions à cause de © Ministère de la sa position stratégique le long de la équipes scientifiques, sous l’égide de la Culture / DGA - Musée ligne de démarcation d’alors, qui divisait direction générale des Antiquités. À national de Beyrouth deux régions de Beyrouth. Des chapes l’heure où les musées internationaux de béton armé avaient été en effet cou- s’interrogent, dans certains cas, sur la lées autour des grandes pièces de la provenance de leurs collections, le collection exposées au rez-de-chaussée Liban abonde en ressources archéolo- du musée. Cette initiative avait, par giques issues de son patrimoine natio- conséquent, permis de sauvegarder les nal. Certaines fouilles concernent les objets sur place et de les mettre à l’abri sites principaux du pays, à l’instar de des dommages, des années durant. Byblos, Baalbeck, Kamid el-Loz, Saïda Bien après 1942, date d’ouverture du et Tyr, tandis que d’autres sont enga- musée, l’enrichissement des collections gées lors de travaux d’infrastructure archéologiques nationales se poursuit ou de construction. L’exemple le plus La collection de sarcophages anthropoïdes. Beyrouth, Musée national. © Ministère de la Culture / DGA - Musée national de Beyrouth
Sarcophage d’Ahiram. probant en est d’ailleurs la capitale, scandent le parcours, baigné d’une Beyrouth, Musée national. © Ministère de Beyrouth, où avant la reconstruction du chaude lumière ocre. Dans la galerie la Culture / DGA - Musée centre-ville, à partir de 1995, ont été déambulatoire du premier étage est national de Beyrouth entreprises des fouilles de sauvetage exhibée, dans soixante-dix vitrines, la qui ont révélé des stratigraphies collection d’artefacts de plus petites jusqu’alors inexplorées (voir p. 20-23). dimensions. Le propos chronologique Le Musée national de Beyrouth expose débute avec des silex de la préhistoire sa riche collection sur trois étages. Dans libanaise et se poursuit avec des ex- un souci de témoigner de l’histoire et de voto, statuettes en bronze, quelquefois la géographie du pays, le choix des recouvertes de feuilles d’or, du matériel objets respecte des critères de repré- céramique et des bijoux, au fil des sentativité territoriale et chronologique. périodes historiques. Enfin, au sous-sol, Le parcours muséographique du rez-de- la collection permanente a déterminé chaussée concerne principalement la les points forts autour desquels le dis- collection lapidaire, comme le sarco- cours de l’art funéraire s’est focalisé. La phage du roi Ahiram de Byblos, daté du plus grande série de sarcophages Xe siècle avant J.-C., ou les sarcophages anthropoïdes en marbre exposée de historiés romains de Tyr. Autels, stèles et nos jours dans un musée y est présen- statues, trônes d’Astarté et mosaïques tée. La tombe de Tyr datée du IIe siècle Fresque de la tombe du Tyr. © Ministère de la Culture / DGA - Musée national de Beyrouth
après J.-C. est un hypogée dont les 2002 à l’intérieur du château croisé. Il parois recouvertes de fresques furent raconte l’évolution des lieux et témoigne transportées au sous-sol du Musée d’une habitation constante depuis la national en 1939 et recomposées dans préhistoire jusqu’au XXe siècle. une salle spécialement aménagée aux Des projets en cours concernent égale- mêmes dimensions pour les recevoir. ment des musées sur les sites de Tyr et Ces peintures murales se rapportent à de Saïda. Ce dernier a la particularité de des thèmes de la mythologie grecque. se développer sur un chantier de fouille Elles témoignent de l’art funéraire pen- qui a dévoilé depuis plus de vingt ans dant la période romaine au Sud-Liban. des installations continues relatives à l’histoire de la ville de Sidon. LES AUTRES MUSÉES Enfin, le projet du musée de l’Histoire D’ARCHÉOLOGIE de Beyrouth, en voie d’exécution, est Les autres musées qui dépendent de la également en liaison directe avec le site Direction générale des Antiquités/minis- archéologique de l’ancien tell de la ville tère de la Culture sont relatifs aux sites antique de Beyrouth. Conçu par l’archi- de Baalbeck, Byblos, Tripoli, Beited- tecte Renzo Piano, le futur MHB a pour dine… et en font partie intégrante. Ils objectif de croiser les résultats de ter- ont été conçus pour permettre de mieux rain – en d’autres termes les évidences appréhender la visite de leurs vestiges. archéologiques mises au jour par les Le musée de Baalbeck, inauguré en fouilles – avec les sources historiques, 1998, offre, outre des œuvres archéolo- pour illustrer le quotidien des Beyrou- giques, un grand nombre de documents thins et de leur ville au fil des siècles. graphiques et photographiques qui révèlent la découverte du site. Le musée Projet du musée de l’Histoire de Beyrouth de Byblos, quant à lui, a été aménagé en par l’architecte Renzo Piano. © RPBW
Beyrouth Une petite Rome en Orient Entre la conquête du Proche-Orient par le général Pompée au Ier siècle avant J.-C. et le règne de l’empereur Justinien au VIe siècle après J.-C., la cité de Bérytos, devenue une colonie romaine, connaît une prospérité qui lui permet de se hisser au niveau des plus grandes métropoles de la Méditerranée antique. Julien ALIQUOT
A u moment où Rome s’impose au Proche- Poids commercial en plomb au nom de la cité Orient aux dépens des Séleucides, rien ne de Beyrouth, avec l’image prédispose Bérytos, l’actuelle Beyrouth, à du fondateur de la colonie jouer un rôle particulier dans la province de Syrie traçant le sillon primordial (sulcus primigenius). créée par Pompée en 64-63 avant J.-C. Ville de © Archives IGLS second plan au sein des royaumes hellénistiques, CNRS / HiSoMA affectée par un siège en 143 avant J.-C., la cité phé- nicienne subit les raids des Ituréens. Les guerres civiles de la fin de la République romaine suscitent aussi des troubles dans la région. En 27 avant J.-C., l’avènement d’Auguste s’ac- compagne de l’implantation à Beyrouth de la pre- mière colonie romaine de Syrie. Le choix du fondateur de l’Empire ne saurait être une faveur accordée aux Phéniciens de Bérytos, qui accueil- lent les vétérans de deux légions, la V Macedonica et la VIII Gallica. Il s’agit plutôt de porter un coup d’arrêt au brigandage endémique au Liban en dis- tribuant des lots de terre aux fidèles artisans de la victoire d’Actium. Dès l’an 15 avant J.-C., Marcus Agrippa, gendre d’Auguste, étend le territoire de la colonia Iulia Augusta Felix Berytus dans la vallée de la Békaa, autour du sanctuaire d’Héliopolis (Baalbek), et jusqu’aux sources de l’Oronte. Ces mesures scellent le destin de la cité. Inscription funéraire de Beyrouth commémorant la prise de la citadelle des Ituréens par le préfet Quintus Aemilius Secundus sur l’ordre du gouverneur de la province de Syrie, au début du Ier siècle après J.-C. : « envoyé par Quirinius en mission contre les Ituréens dans le mont Liban, j’ai pris leur forteresse » (missu Quirini adversus Ituraeos in Libano monte castellum eorum cepi). Fac-similé d’après G. B. De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1880, planche 9. LES ITURÉENS DANS L’ARRIÈRE-PAYS Peut-être liés aux Arabes qui ont harcelé les Grecs sur leurs arrières lors du siège de Tyr par Alexandre le Grand, les Ituréens sont identifiés dans les sources Colonnade remontée sur le site archéologique des Quarante grecques et latines à un peuple de brigands arabes. Lorsque Rome annexe la Phé- Martyrs à Beyrouth, le long de nicie, ils dominent l’arrière-pays de Beyrouth et se taillent une principauté dans la l’axe majeur nord-sud (cardo Békaa et dans la montagne sous l’autorité de Ptolémaios (vers 85-40 avant J.-C.), maximus) de la colonie romaine. tétrarque et grand-prêtre de Chalcis du Liban. Le géographe grec Strabon décrit © J. Aliquot, CNRS / HiSoMA 2018 leurs fortins, « tous ces repaires que Pompée détruisit et d’où ils partaient pour faire des incursions contre Byblos et sa voisine Bérytos ». Une inscription latine de Beyrouth repérée à Venise au XVIIe siècle commémore la prise de leur citadelle, sans doute leur capitale, Chalcis, par le préfet Quintus Aemilius Secundus, vers l’an 6 après J.-C. Certains territoires ituréens reviennent finalement aux cités de la région, au premier chef à la colonie de Beyrouth. D’autres, d’abord confiés aux héritiers d’Hérode le Grand, sont intégrés à la fin du Ier siècle après J.-C. dans un vaste domaine forestier dont l’empereur se réserve la propriété et l’usage et dont de nombreuses marques rupestres au nom d’Hadrien (117-138) délimitent les contours au Liban.
” Beyrouth devient rapidement une petite Rome en Phénicie en même temps qu’un foyer de latinité dans un environnement culturel grec et araméen. ” navant l’Oronte syrien se déverse dans le Tibre » pour décrire la contamination de l’Urbs par les mœurs des Syriens, on peut dire qu’à Beyrouth le Tibre se déverse dans l’Oronte, sous l’Empire. La cité rayonne désormais dans tout le monde romain. Ses marchands exportent ses productions (vin, pourpre, verre, soie) jusqu’en Occident. Ses érudits, tel le grammairien latin Marcus Valérius Probus, s’illustrent jusqu’à Rome. Ses cultes essai- ment de la Bretagne à l’Euphrate, en particulier Les thermes LE TIBRE DÉVERSÉ DANS L’ORONTE celui de la triade héliopolitaine (Jupiter, Vénus, impériaux mis Beyrouth devient rapidement une petite Rome Mercure). Ses concours grecs, réunissant périodi- au jour sur le versant oriental en Phénicie en même temps qu’un foyer de latinité quement des épreuves gymniques, hippiques et de la colline dans un environnement culturel grec et araméen. musicales à la manière des Jeux olympiques, sont du Sérail à Dotée du droit italique, exempte de tribut, elle est aussi réputés que ceux d’Antioche, de Tyr et de Beyrouth. © J. Aliquot, aussi un centre d’affichage et de dépôt des consti- Sidon. Des bienfaiteurs, Hérode le Grand et ses CNRS / HiSoMA tutions impériales, à partir duquel son École de descendants surtout, dotent la ville d’une parure 2018 droit se développe. Ses institutions sont calquées monumentale digne des plus prestigieuses cités sur le modèle romain, avec ses duumvirs, équiva- d’Orient et offrent à ses citoyens les combats de lents des consuls, et ses décurions, réunis en gladiateurs à la mode occidentale. Même les assemblée comme les sénateurs. En prenant à empereurs patronnent la colonie. Vespasien et rebours le vers de Juvénal, qui déplore que « doré- Hadrien acceptent le titre de duumvir honoraire. Deux bases de statues portant des inscriptions en latin et érigées en Dossiers d’Archéologie / n° 392 l’honneur de Marcus Sentius Proculus, sénateur romain originaire de Beyrouth, ancien duumvir et patron de la colonie, sous le règne de l’empereur Hadrien (117-138). Beyrouth, Musée national. © J. Aliquot, CNRS / HiSoMA 18 2015
Trajan consulte l’oracle d’Héliopolis à la veille de ses campagnes parthiques. DU PAIN ET DES JEUX Les jeux du cirque figurent en bonne place aux côtés de l’École de droit parmi les L’idylle de Beyrouth et de Rome ne s’inter- titres de gloire de Beyrouth qu’énumère l’Expositio totius mundi et gentium, rompt qu’au moment où Septime Sévère, victo- catalogue topographique latin du IVe siècle après J.-C. Dans la Vie de Sévère rieux de Pescennius Niger, réorganise l’Orient en d’Antioche, les étudiants des années 480 s’enflamment pour les courses de chars. 193-194. La colonie, qui a pris le parti de Niger, est Selon Zacharie le Scholastique, l’auteur du récit hagiographique, le futur patriarche amputée de son territoire dans la Békaa et englo- aurait démasqué des condisciples qui projetaient de sacrifier de nuit un esclave éthio- bée dans la nouvelle province de Syrie-Phénicie, pien dans l’hippodrome de la ville. La réputation maléfique du cirque tient autant dont Tyr, sa grande rivale, est la capitale. La parti- aux rixes des factions qu’à ces pratiques magiques. En 1929, une tablette d’exécra- tion de la Syrie-Phénicie à la fin du IVe siècle ne tion relative à l’envoûtement d’une écurie a été trouvée près du lieu où Robert Du modifie pas l’équilibre des forces, puisque Tyr est Mesnil du Buisson, pionnier de l’archéologie beyrouthine, reconnaissait la trace d’un à la fois le chef-lieu administratif et la métropole champ de courses extra-muros à l’ouest de la ville antique. Depuis, les fouilles du ecclésiastique de la Phénicie maritime, où se situe quartier de Wadi Abu Jamil ont mis au jour les gradins, les stalles de départ (carceres) et la construction centrale (spina) d’un hippodrome d’environ 330 m de long sur 60 m également Beyrouth. de large, associé à un théâtre et à des bains. Elles laissent entrevoir la possibilité d’une fondation précoce du cirque par les rois hérodiens, bienfaiteurs de Beyrouth. LE TRIOMPHE DU CHRISTIANISME DANS LA CITÉ DES LOIS L’Antiquité tardive est un nouvel âge d’or. Bey- routh, acquise à la foi chrétienne, se couvre d’églises. Outre la cathédrale dite de l’Anastasie et l’église de la Théotokos (Mère de Dieu), elle compte deux martyria, l’un de saint Jude, le « frère » de Jésus, l’autre de saint Étienne, le protomartyr. Bien Les fondations que dépourvue de tradition apostolique ancienne, des gradins de l’hippodrome elle s’autonomise en s’alliant tantôt au patriarche romain de d’Antioche, tantôt à celui de Jérusalem contre le Beyrouth. métropolite de Tyr. L’évêque Eustathe obtient l’in- © J. Aliquot, CNRS / HiSoMA dépendance juridique pour sa cité et le titre de 2009 métropolite honoraire pour lui-même et pour ses successeurs en 449-451. La ville se pare du titre grec, rare et officieux, de « belle cité » (kallipolis), qu’elle « Nourrice des lois » (legum nutrix), la cité supplante Épigramme grecque chrétienne en l’honneur partage avec Jérusalem. Tyr, patrie du juriste Ulpien, mais aussi Césarée de Patrikios, le plus célèbre Dès le IIIe siècle, la floraison des lettres latines à Maritime, Alexandrie, Athènes et les deux seules cités professeur de l’École de droit Beyrouth et le statut privilégié de la ville sont propices où l’empereur Justinien (527-565) laisse subsister de du Ve siècle après J.-C., sur une base de statue à la formation de l’École de droit autour d’un noyau semblables institutions : Rome et Constantinople. découverte au début du de juristes capables d’interpréter également la juris- L’École prospère jusqu’au tremblement de terre de XXe siècle dans le centre-ville prudence gréco-romaine et les droits locaux. La légis- 551, qui détruit la cité et force maîtres et étudiants à de Beyrouth, près de l’actuelle cathédrale Saint-Georges des lation impériale se diffuse de là dans tout l’Orient. se réfugier à Sidon, puis à Constantinople. Grecs-Orthodoxes. Beyrouth, Musée national. © J. Aliquot, Bibliographie CNRS / HiSoMA 2006 • ALIQUOT (J.) — Culte des saints et rivalités civiques en Phénicie à l’époque protobyzantine, dans J.-P. Caillet et alii (dir.), Des dieux civiques aux saints patrons (IVe-VIIe siècle), Paris, Picard, 2015, p. 117-138. • COLLINET (P.) — Histoire de l’École de droit de Beyrouth, Paris, Société anonyme du Recueil Sirey, 1925. • CURVERS (H. H.) et alii — The hippodrome of Berytos. Preliminary report, dans Bulletin d’archéologie et d’architecture libanaises, n° 17, 2017, p. 7-78. • HALL (L. J.) — Roman Berytus. Beirut in Late Antiquity, Londres/New York, Routledge, 2004. • LAUFFRAY (J.) — Beyrouth, archéologie et histoire I : période hellénistique et Haut-Empire romain, dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 8, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1978, p. 135-163. • MOUTERDE (R.) — Regards sur Beyrouth phénicienne, hellénistique et romaine, dans Mélanges de l’université Saint-Joseph, n° 40, 1964, p. 145-190.
Beyrouth Vingt ans d’archéologie urbaine En octobre 1993, trois ans après la fin déclarée de la guerre civile au Liban, la première pioche commença à creuser le sous-sol de Beyrouth. Depuis, l’aventure archéologique dans cette cité millénaire n’a cessé d’en livrer les secrets. Cet article brosse un aperçu historique de ces fouilles depuis Vue générale du site BEY166, à leurs débuts, et présente quelques nouvelles découvertes. côté de la place Riad el-Solh. Photo Chr. Matar Beaino. Assaad SEIF, avec la collaboration de Fadi BEAINO et Hadi CHOUERI
national. Un an après, le 6 novembre 1992, un séminaire se tient au CDR pour élaborer une méthodologie de fouilles dans le centre-ville. De plus, un projet d’aide et d’assistance (LEB/92/008), mis en place entre la DGA, l’Unesco et le CDR, verra le jour en juin 1993. Son but sera de soutenir techniquement et scien- tifiquement la DGA dans le processus de réhabilitation, et plus particulièrement dans la gestion des fouilles. Mais ce n’est qu’en septembre 1993 que le ministre de la Culture et de l’Ensei- gnement supérieur lance officiellement, de la place La tombe datant du Bronze des Martyrs, le projet des fouilles archéologiques du ancien I découverte à Ashrafieh, à l’est de centre-ville. En effet, les trois premiers chantiers Beyrouth. Photo H. Choueri. débutent aux environs de cette place en octobre 1993, dans des endroits connus pour leur potentiel archéologique sûr. Peu de temps après, deux autres fouilles sont entreprises vers la zone des églises et dans le sud-ouest de la ville. Compte tenu des gigantesques travaux et de l’énorme tâche que les archéologues doivent affron- ter, un appel international d’entraide sera lancé quelques mois plus tard, par le ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur, en mars 1994. Tou- tefois, les terrains destinés aux fouilles n’étant pas tous déblayés et déminés, un programme de démi- nage sera également mis en place en avril 1994. Ce n’est qu’en juin 1994 que de nouvelles fouilles commencent à s’établir successivement dans diffé- rents endroits du centre-ville, pour atteindre le nom- bre de 62 en janvier 1996. On compte aujourd’hui plus de 300 fouilles, dont 210 dans le centre-ville et Une structure du PPNB avec les autres dans les zones périphériques. sol chaulé découverte lors Les efforts se sont aussi concentrés sur l’infor- des travaux d’infrastructure mation pour le public des résultats des travaux en effectués à Bchara el-Khoury, au sud du cours. Dans ce cadre, en 1995, une exposition inti- centre-ville. Photo APERÇU HISTORIQUE DES FOUILLES tulée « Journées archéologiques de Beyrouth » H. Choueri. DU CENTRE-VILLE A ussitôt que les conflits armés se sont arrê- tés, les travaux préliminaires de déblaie- ment du centre-ville de Beyrouth ont commencé, faisant place au nouveau plan direc- teur de développement de la ville, présenté offi- ciellement au public en septembre 1991. Devant la pression qu’exercent les travaux de développe- ment sur le sous-sol de la ville, un « aide- mémoire » entre le Conseil de développement et de reconstruction (CDR) et l’Unesco est signé le 24 octobre 1991, annonçant le début de l’aventure archéologique de Beyrouth. À ce moment, la direc- tion générale des Antiquités (DGA), encore sous la tutelle du ministère du Tourisme, vient de déblayer les décombres de ses locaux et ceux du Musée
présente une sélection d’objets provenant des dif- cée par les projets de promotion immobilière, cette férentes fouilles du centre-ville. La même exposition équipe met en place un système de fouilles et de se tiendra un an plus tard au British Museum sous le gestion des projets d’intégration urbaine qui sera titre « Beirut Uncovering the Past ». Deux ans après, officiellement instauré par des décrets en 2016. en 1998, ces objets, accompagnés d’autres pièces Depuis ses débuts, cette équipe et de nouvelles provenant du Musée national de Beyrouth, seront qui ont émergé ensuite entreprirent plus de présentés dans une plus large exposition : « Liban, 70 chantiers, révélant notamment l’extension et les l’autre rive », à l’Institut du monde arabe à Paris. limites de la nécropole de Beyrouth à l’époque L’Unesco se retire de la scène beyrouthine au romaine ainsi que l’évolution de la zone périurbaine début de l’année 1996, et la DGA prend la relève durant les différentes périodes (voir p. 24-27). pour la coordination des travaux archéologiques. En cette même année, les fouilles débutent dans LES NOUVELLES DÉCOUVERTES les terrains privés et dans les sous-sols des bâti- ARCHÉOLOGIQUES ments préservés pour restauration. Cette dyna- Dans un précédent article des Dossiers mique va continuer, même après la fin prévue du d’Archéologie (n° 350, mars / avril 2012), nous projet LEB/92/008, en décembre 1998. Toutefois, avions exposé quelques-unes des découvertes après une récession en 1999, qui réduira les travaux effectuées à Beyrouth entre 2005 et 2011. Dans les de construction et les fouilles, elle ces- sera complètement dans le centre- ville en février 2005, avec l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri. Quelques mois plus tard, de nou- velles spéculations foncières com- Tête d’une statuette mencent à se manifester dans la zone féminine découverte est de Beyrouth. Afin de répondre à dans les couches de ce nouvel élan de la promotion destruction de la structure hellénistique. immobilière, la DGA met en place sa Photo F. Beaino. première équipe d’archéologie urbaine libanaise, composée de pro- Vue générale d’une partie des bains, qui fesseurs, d’archéologues et d’étu- sera probablement diants en archéologie des universités transformée en église libanaises, travaillant sous sa tutelle au Ve siècle. Photo Chr. Matar Beaino. administrative et scientifique. Finan- lignes qui suivent, nous allons présenter quelques nouvelles découvertes révélées au cours de l’aven- ture archéologique dans cette ville millénaire. La préhistoire L’une des plus importantes découvertes de cette période a lieu dans la zone de Bchara el- Khoury, au sud du centre-ville. Les travaux d’infra- structure effectués à cet endroit ont révélé des structures à sols chaulés remontant au Néolithique précéramique B (PPNB – 7000 avant J.-C.). Des inhumations ainsi que des aires de cuissons et de rejets domestiques ont aussi été identifiées. Plus loin à l’est, vers la colline d’Ashrafieh, une structure domestique datant du Chalcolithique (vers 4000 avant J.-C.) a été mise au jour au cours des travaux de fouilles d’un projet résidentiel. Dans
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