Un passeport pour le marché de l'emploi
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D O S S I E R Un passeport pour le marché de l’emploi Le chômage massif des jeunes a remis la formation profes- sionnelle à l’agenda du développement, dont elle avait été écartée pendant près de vingt ans. Avec l’aide des bailleurs de fonds, les gouvernements du Sud et de l’Est s’efforcent d’amé- liorer leurs systèmes d’apprentissage, trop axés sur la théorie et mal adaptés aux besoins du marché. De Jane-Lise Schnee- berger. La coopération au développement a été très active l’éducation de base un objectif prioritaire afin d’éli- dans l’enseignement et la formation techniques et miner l’analphabétisme. La mobilisation mondiale professionnels (EFTP) jusqu’au début des années 90. a porté ses fruits : le taux net de scolarisation dans Puis elle a réduit son engagement pour se réorien- les pays en développement est passé de 80 à 90% ter vers la scolarisation des enfants au niveau pri- entre 1991 et 2011. maire. La communauté internationale avait fait de Si les connaissances en lecture, écriture et calcul sont 6 Un seul monde No 4 / Décembre 2013
Formation professionnelle Nick Hannes/Reporters/laif Sven Torfinn/laif Que ce soit en Tanzanie, en Inde ou ailleurs, les jeunes ont nettement plus de chances de trouver un emploi décent et convenablement rémunéré s’ils ont pu acquérir des compétences professionnelles. Un triple bagage L’Unesco identifie trois un bagage indispensable, elles ne suffisent toutefois mey, fait le calcul : « Cela représente 99% de laissés- types de compétences pas pour accéder au marché du travail. C’est pour- pour-compte. » dont tout jeune a besoin. quoi l’EFTP suscite depuis quelques années un De surcroît, aucune de ces filières ne forme aux mé- Les compétences fonda- mentales englobent la lec- regain d’intérêt. Devant la montée inquiétante du tiers de la terre, alors que 84% de la population ni- ture, l’écriture et le calcul. chômage des jeunes, les gouvernements du Sud et gérienne vit en milieu rural. Dans un tel contexte, Elles sont transmises en de l’Est ainsi que les bailleurs de fonds réalisent qu’il Swisscontact a mis sur pied une formation agrico- principe par l’école et est urgent d’investir dans l’amélioration des systèmes le de huit mois, qui comprend des cours pratiques constituent la condition préalable pour poursuivre de formation existants. Les adolescents doivent dans des « écoles sans murs » et un accompagnement sa formation. Les compé- avoir la possibilité d’acquérir des compétences de chaque participant dans son exploitation. « Tous tences transférables sont professionnelles, faute de quoi ils sont condamnés les jeunes rêvent de fuir l’agriculture, car elle ne rap- utiles dans la plupart des à l’inactivité ou à des emplois précaires et mal ré- porte presque rien », relève M. Limat. « Pour les en- professions et très appré- ciées par les employeurs. munérés. courager à rester sur le champ familial, nous leur en- Elles incluent la capacité seignons des techniques qui augmenteront leur pro- de résoudre des pro- Et si l’agriculture devenait rentable ? ductivité et donc leurs revenus. » blèmes imprévus, la facilité à communiquer, la créati- L’un des problèmes est l’insuffisance de l’offre de for- vité et l’esprit d’entreprise. mation, en particulier dans les pays les plus pauvres. Décalage entre la formation et le marché Elles s’acquièrent surtout Au Niger, par exemple, les centres de formation pro- du travail hors du milieu scolaire. fessionnelle n’admettent que 15 000 élèves par an- L’agriculture souffre d’une image négative dans la Enfin, les compétences techniques et profession- née au total. Or, environ 1,5 million de jeunes âgés plupart des pays en développement. Et les profes- nelles constituent le savoir- de 13 à 19 ans ne sont ni à l’école ni au travail. Jean- sions artisanales ne suscitent guère plus d’enthou- faire qui permet d’exercer Michel Limat, représentant de Swisscontact à Nia- siasme. « Les jeunes n’envisagent généralement une un métier spécifique. Un seul monde No 4 / Décembre 2013 7
de du travail », explique Markus Maurer, chargé de cours à la Haute école pédagogique de Zurich. « Par conséquent, les compétences qu’ils transmettent ne répondent pas vraiment aux besoins de l’économie. Ainsi, les jeunes diplômés ne sont pas employables. » Des emprunts au système suisse En matière d’apprentissage, la Suisse et l’Allemagne disposent d’un système très performant qui combi- ne une formation pratique en entreprise avec un en- seignement théorique. Ce modèle dit «dual» contri- bue à leur faible taux de chômage. Une partie de la classe politique et des autorités préconisent de l’ex- Bettina Jenny/Helvetas Swiss Intercooperation porter notamment vers des pays du Sud et de l’Est, pour les aider à résoudre la crise de l’emploi des jeunes. Active dans l’EFTP depuis plus de cinquante ans, la DDC s’inspire des principes qui font le succès du modèle dual, comme l’alternance entre théorie et pratique ou la collaboration étroite entre l’État et le Le modèle dual suisse L’apprentissage dual, tel qu’il se pratique en Suisse, trouve son origine dans le système des corporations artisanales du Moyen Âge. Aujourd’hui, il s’applique à environ 250 filières diffé- rentes. La formation dure trois ou quatre ans et donne droit à un Certificat fédéral de capacité. Swisscontact L’apprenti travaille dans une entreprise et suit un à deux jours de cours par Dans de nombreux pays en développement, la Suisse soutient des projets de formation professionnelle qui associent théo- semaine dans une école rie et pratique. Ici, un apprenti-agriculteur au Guatemala et de futurs mécaniciens au Niger. professionnelle. Ce modèle repose sur une collabora- formation professionnelle qu’en dernier recours. Ils secteur privé. « Nous essayons de reprendre ces élé- tion étroite entre l’État et le la considèrent comme une voie de garage », note ments clés en les adaptant aux dispositifs existants monde du travail. Les as- sociations professionnelles Simon Junker, responsable de la formation profes- dans nos pays partenaires », souligne Simon Junker. définissent le contenu de sionnelle à la DDC. Pour revaloriser l’EFTP, il im- « Toutefois, les conditions sont rarement réunies la formation et les procé- porte de créer des filières qui offrent de meilleures pour que l’on puisse reproduire à l’identique le sys- dures de qualification. perspectives d’emploi et d’aménager des passerelles tème extrêmement complexe que connaît la Suis- Les entreprises offrent des places de stage. Les vers les autres niveaux du système éducatif. se. » Un expert allemand, mandaté par la fondation cantons sont responsables L’impopularité des métiers manuels tient aussi au fait Bertelsmann, a examiné récemment cette question. des écoles professionnelles. que la transition vers la vie active reste aléatoire en Il conclut que le transfert d’un système complet est La Confédération reconnaît les plans d’études, valide raison de l’inadéquation des systèmes : « Beaucoup illusoire. On a maintes fois essayé par le passé de les diplômes et assure la de lycées techniques dispensent un enseignement transplanter tel quel le modèle dual, mais ces pro- qualité du système. purement théorique et sont déconnectés du mon- jets se sont avérés peu durables. 8 Un seul monde No 4 / Décembre 2013
Formation professionnelle Bettina Jenny/Helvetas Swiss Intercooperation Après une formation de courte durée dans le domaine de l’électronique, ces jeunes Népalais se sont installés à leur compte et ont ouvert un petit magasin. La valeur ajoutée de la formation tiers. Des solutions doivent être trouvées pour amé- Même la reprise de certains éléments du modèle liorer leur accès à l’apprentissage. dual ne va pas de soi. La participation du secteur pri- Quelques États et des ONG ont commencé à vé, par exemple. Selon Markus Maurer, elle est es- mettre en place des « programmes de la deuxième sentielle à la réussite d’un système : les entreprises chance » en faveur des jeunes déscolarisés. Cette ap- devraient s’impliquer dans tout le processus de for- proche novatrice associe la formation profession- mation, depuis l’élaboration des plans d’études jus- nelle à des cours d’alphabétisation et à l’acquisition qu’à la certification, en passant par l’organisation de de compétences utiles sur le marché du travail. stages pratiques et le financement. « Malheureuse- Une autre piste consiste à structurer l’apprentissage Financement par un ment, on en est encore bien loin. Dans de nombreux traditionnel. Très répandu dans certaines régions pot commun pays en développement, l’État et le secteur privé ne d’Afrique et d’Asie, celui-ci n’est ni réglementé ni Compte tenu de leurs bud- se parlent pas », déplore-t-il. reconnu officiellement et sa durée dépend du bon gets limités, les gouverne- En général, les employeurs se montrent sceptiques vouloir du patron. Parfois, les parents doivent même ments des pays en déve- loppement et émergents envers l’EFTP. Selon Johann-Peter Porten, conseil- payer l’artisan pour qu’il prenne leur enfant en ap- ne peuvent financer à eux ler en formation professionnelle chez Helvetas Swiss prentissage. Néanmoins, c’est la seule manière seuls l’élargissement de Intercooperation, ils n’en perçoivent pas la valeur d’apprendre un métier pour beaucoup de jeunes qui leurs systèmes d’appren- ajoutée : « La majorité des entreprises ne produisent sont sortis très tôt du système éducatif. Depuis le tissage. Au cours de la dé- cennie écoulée, 53 d’entre pas des biens de haute technologie, mais des mar- milieu des années 2000, plusieurs pays africains ont eux se sont dotés d’un chandises relativement simples. Elles ne ressentent entrepris de remédier aux lacunes de cette forma- fonds de formation profes- donc pas le besoin de recruter du personnel quali- tion sur le tas et d’en faire un système de type dual. sionnelle. Cet instrument permet de mobiliser fié. Nous devons leur faire comprendre qu’avec des d’autres sources de finan- ouvriers bien formés, elles pourraient fabriquer de Des apprentissages express à grande cement. Ainsi, les entre- meilleurs produits et ainsi augmenter leurs béné- échelle prises du secteur privé for- fices. » Qu’ils aient ou non achevé l’école primaire, beau- mel alimentent le fonds par le biais d’une taxe prélevée coup de jeunes et d’adultes ne peuvent pas se per- sur leur masse salariale. Deuxième chance pour les jeunes mettre de suivre une formation de trois ou quatre Les donateurs bilatéraux déscolarisés ans. Des offres de courte durée sont nettement et multilatéraux complètent L’inégalité des chances face à la formation profes- mieux adaptées à leur situation. Les bénéficiaires les contributions des ac- teurs privés et publics na- sionnelle représente un autre défi majeur. Des mil- peuvent ainsi accroître rapidement leurs revenus en tionaux. Gérés par les gou- lions de jeunes, appartenant aux couches sociales dé- exerçant une petite activité, le plus souvent à titre vernements, qui décident favorisées, ont quitté l’école prématurément ou n’y indépendant, parfois même à domicile. « Certes, de de l’affectation des res- sources, ces fonds per- sont jamais allés. Faute d’avoir acquis ce socle de tels programmes n’augmentent pas la productivité mettent d’offrir des forma- compétences fondamentales, ils ne peuvent être ad- de l’économie nationale, mais ils profitent directe- tions aux groupes défa- mis dans un lycée technique ou une école de mé- ment aux plus pauvres. À mes yeux, c’est le but prin- vorisés de la population. Un seul monde No 4 / Décembre 2013 9
Bettina Jenny/Helvetas Swiss Intercooperation (2) Au Népal, des jeunes défavorisés acquièrent en un à trois mois des notions de base dans diverses professions. Ci-dessus, des cours de tissage et de filage de la laine. cipal de la formation professionnelle », commente on les informe simultanément sur leurs droits. « Les Simon Junker. employeurs du Golfe viennent chercher ici princi- Au Népal, le Fonds pour l’emploi – alimenté no- palement des ouvriers très bon marché, donc non La formation profession- tamment par la DDC – finance des formations d’un qualifiés. Mais ils ont aussi besoin d’une main- nelle après 2015 à trois mois destinées à des jeunes défavorisés. On d’œuvre semi-qualifiée. Pour répondre à cette de- L’enseignement primaire y acquiert des notions de base en électricité, ma- mande, le Népal doit élargir son offre de formation», universel est au cœur du mouvement mondial de çonnerie, coiffure, cordonnerie, etc. Les sociétés for- indique Barbara Weyermann, au bureau de la co- l’Éducation pour tous, matrices touchent une partie de leurs honoraires à opération suisse à Katmandou. lancé en 1990, et l’un des l’issue de l’apprentissage. Pour recevoir le reste, elles Les migrations professionnelles sont en constante Objectifs du Millénaire pour doivent réussir à placer les participants sur le mar- progression au niveau mondial. Cette mobilité ac- le développement (OMD) adoptés en 2000. Même si ché du travail. «Avec ce système de financement basé crue soulève des questions sur le rôle de la coopé- des progrès importants ont sur les résultats, nous avons voulu montrer qu’il était ration dans les pays pauvres exportateurs de main- déjà été réalisés, un grand possible non seulement de former en peu de temps d’œuvre. N’est-il pas vain de former des personnes nombre d’enfants ne vont toujours pas à l’école ou la une masse de jeunes, mais aussi de les aider à trou- qui partent ensuite travailler à l’étranger ? Selon quittent prématurément. La ver un emploi ou à s’installer en indépendants », in- Beata Godenzi, responsable du programme global communauté internationale dique Bettina Jenny, responsable de la formation Migration et développement à la DDC, l’engage- ne relâchera donc pas ses professionnelle et de l’éducation de base chez Hel- ment de la coopération dans ce domaine est crucial efforts après l’échéance des OMD en 2015. Le vetas Swiss Intercooperation. Pari tenu : 16 000 per- au contraire : « Idéalement, la formation facilite l’ac- groupe d’experts chargé sonnes sont formées chaque année et 80% d’entre cès au marché du travail local. Mais il est inutile de par l’ONU d’élaborer le fu- elles gagnent décemment leur vie après quelques se voiler la face. Si ces gens n’ont aucune perspec- tur programme de dévelop- mois. tive d’emploi chez eux, ils émigreront, qu’on le pement propose toutefois d’élargir cet engagement veuille ou non. Nous devons faire en sorte que la en y ajoutant deux nou- Des migrants moins vulnérables et mieux migration se passe dans les meilleures conditions velles cibles : d’une part, payés possibles, pour que les individus, mais aussi les pays garantir l’accès à l’ensei- Dans le cadre du même programme, une action pi- d’origine et de destination, en tirent un profit maxi- gnement secondaire ; d’autre part, augmenter le lote vise les migrants, dont la plupart partent vers mum.» Il s’agit par conséquent de proposer aussi des nombre de jeunes et les pays du Golfe. Les résultats sont encourageants : formations techniques adaptées aux besoins des d’adultes qui possèdent les en suivant une brève formation à certaines tech- marchés étrangers. Parallèlement, on doit informer compétences, y compris techniques et profession- niques du bâtiment, comme la construction d’écha- les migrants sur leurs droits, les procédures de re- nelles, nécessaires pour faudages ou le coffrage, ces travailleurs peuvent ga- crutement, les risques et la situation dans le pays travailler. gner un tiers de plus et sont moins vulnérables, car d’accueil. ■ 10 Un seul monde No 4 / Décembre 2013
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