Universitas Kultur Ne vous laissez pas mettre en boîte - Université de Fribourg
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
universitas O C TO BRE 2 01 3 I 01 L E M AG A Z I N E D E L’ UN I V ER S I T é D E F RIBO U RG , SU ISSE I DA S MAG A ZIN D E R U NIV E RSITäT FRE IBURG , S CHW EIZ Kultur Ne vous laissez pas mettre en boîte
Edito Inhalt Au moment où se tiennent les Assises de © Jérôme Berbier et Charlotte Walker la culture dans la région fribourgeoise, l'Université aussi s'interroge : la culture, c’est quoi ? Comment fixer ce concept nébuleux, de tous temps sujet à débats, discussions, explications, définitions ? Bien trop souvent réduite à ses manifestations artistiques, confinée dans des limites géographiques, linguistiques ou ethniques, hiérarchisée, in- tellectualisée, élitisée, popularisée… A force de vouloir en fixer les contours, le risque est grand d’en perdre la substance. Accolons-lui des préfixes ( contre-, multi-, inter-, trans-…) pour voir où ça nous mène : elle se retrouve encore cantonnée dans des cases où elle se sent bien à l’étroit. Et notre culture, alors, comment la défini- rions-nous ? Puisque les mots ne suffisent pas, interrogeons les images. L’artiste Jérô- me Berbier joue sur les stéréotypes qui, comme les définitions, mettent la culture en boîte. Finalement, le contenant et le conte- nu : tout est culture et tout est helvétique… Saurez-vous reconnaître tous ces clichés 100 % confédérés ? Et vous-même, pourrez- vous vous y reconnaître ? Vous identifiez- vous à ce que, ici ou ailleurs, on considère comme quelques-uns de nos trésors cultu- rels nationaux ? Mais peut-être vous sentez-vous bien plus que cela ? A l’heure de la mondialisation, à l’ère de la communication, en ces temps 6 dossier > Kultur d’intense migration, nos parcours de vie sont à la fois si complexes et si multiples, nous touchons si vite et si facilement à des sphères toujours plus variées de connaissances. Peut- 4 fokus on encore se réclamer d’une – et une seule – Habiller notre philosophie pour un contact plus direct culture ? La réponse est certainement non. Pouvons-nous alors définir, mieux qu’avant, 56 recherche ce qu’est LA culture ? Définitivement non. Forschung in 3D Finalement, en la délimitant, c’est nous- mêmes que nous entravons. Alors ne nous 58 recherche laissons pas mettre en boîte. Quitte à défi- Lutte contre l’obésité : ça se passe près de chez nous nir, suivons les premières lignes du Robert, dans lesquelles nous voyons une incitation 60 portrait plus qu’une explication : « culture : déve- Milonga de culture et de science loppement de certaines facultés de l’esprit par des exercices intellectuels appropriés ». 62 lectures Qu’importe l’exercice, développer son es- 64 news prit reste certainement la meilleure manière d’ouvrir toutes les boîtes : enrichissez-vous, cultivez-vous ! Jérôme Berbier est un designer fribourgeois, récent lauréat du concours lancé par la Ville de Fribourg pour la résidence d’un an à l’atelier Jean-Tinguely à Paris. Sur ce pro- Au nom de la rédaction jet de mise en boîte de la culture suisse, il a collaboré avec Charlotte Walker, photogra- Farida Khali phe et graphiste. UNIVERSITAS / OKTOBER 2013 3
Habiller notre philosophie fokus pour un contact plus direct Pour son anniversaire, l’Université de Fribourg offre à son identité un nouvel habillage visuel. Au cœur du processus de création de son corporate design 2013 : soigner un contact explicite et personnalisé. Farida Khali « Notre corporate design ne doit pas sym- Plus qu’un travail esthétique, nous devions boliser notre esprit d’ouverture, mais aider nos procéder à un véritable exercice pratique». membres à le communiquer concrètement », lance d’entrée Daniel Schönman, secrétaire Même philosophie général de l’Université. Ce n’est donc pas Après discussion avec le Sénat, le Rectorat dans un travail purement esthétique que lance le mandat en 2012. Sur ce travail de s’est lancée l’Université de Fribourg, mais longue haleine, l’Université s’adjoint les dans une réflexion concrète sur la meilleure compétences et l’expérience de l’agence manière de représenter visuellement son moxi design+communication de Bienne. En identité. Avec les maîtres-mots clarté et plus de la lisibilité et de l’adaptabilité, deux adaptabilité, l’Alma mater a voulu rendre autres prérequis ont été placés sur la table. son organisation complexe plus lisible D’abord, il ne s’agissait pas d’entamer une pour ses contacts extérieurs et offrir des réflexion identitaire : le caractère et les valeurs outils de communication plus modulables à de l’Université ne changent pas ; ensuite, le ses collaborateurs. nouveau monde visuel devait conserver des références de l’ancien, afin qu’intuitivement Nouvelle boîte à outils on comprenne tout de suite qu’il s’agit En 2014, l’Université de Fribourg fêtera toujours de l’Université de Fribourg. C’est ses 125 ans. Une année durant laquelle pourquoi deux éléments graphiques ont été elle veut ouvrir ses portes au public et aller repris : le « F » comme signe identitaire et la à sa rencontre ; une année pour célébrer sa cascade de couleurs symbolisant les facultés. philosophie qui place l’humain au centre non seulement de ses réflexions et de son Identification claire organisation, mais aussi, évidemment, « Il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de de sa communication. Quelle meilleure comprendre d’où vient le message dans une occasion de donner un coup de neuf à un institution aux ramures aussi complexes que corporate design ( CD ) dont certaines carences celles d’une université. Ce qui nous importait se faisaient sentir depuis plusieurs années avant tout, c’était de clarifier nos supports de déjà ? Comme l’explique Daniel Wynistorf, communication. Il faut que l’émetteur puisse graphiste au Service communication et être immédiatement identifié », précise médias et responsable du projet : « Une Daniel Schönmann. Une analyse de la identité visuelle, c’est un peu comme un boîte structure de l’institution a permis de dégager à outils. Il manquait la moitié des instruments trois grands axes communicationnels évi- moxi en bref à la boîte que nous avions jusqu’ici. Nous dents. Le premier niveau comprend moxi ltd. design & communication étions quotidiennement confrontés à des l’Université dans son ensemble, incluant travaille depuis près de 15 ans situations pour lesquelles nous n’avions pas les 5 facultés et leurs départements en tant pour des institutions de différentes branches. Elle a, entres autres, de solution. Nous avions peu de marge de que sous-unités, ainsi que tous les services conçu les identités visuelles manœuvre pour faire face à des problèmes centraux. Le deuxième niveau est constitué de PHBern, Pro Helvetia ou la spécifiques ; il était donc grand temps de des instituts qui font partie intégrante de Fondation Suisa. créer une construction visuelle beaucoup l’Université, mais possèdent également une www.moxi.ch plus adaptable à nos différents besoins. identité indépendante. Enfin, le troisième 4 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
niveau permet de prendre en compte le positionnement de l’Université comme un partenaire parmi d’autres. « Des solutions graphiques simples ont été mises en place pour traiter ces différents cas de figure, comme la possibilité d’apposer un logo indépendant visible et reconnaissable par- mi les logos d’autres institutions ou celle de permettre la coexistence de deux logos, celui d’un institut et celui de l’Université, ce que la solution, trop rigide, du bandeau ne permettait pas », explique Daniel Wynistorf. Processus dynamique Depuis le 15 octobre, l’Université revêt donc progressivement son nouvel habit aux couleurs du Canton. Le bleu cède la place au noir et blanc sur l’ensemble de la papèterie, les affiches, les bâches et autres supports visuels. Sur la toile, les principaux sites participent déjà à une séance de rhabillage, avant de subir une refonte plus approfondie dans le courant 2014. Les collaborateurs Le corporate design 2013 se déclinera ont ensuite jusqu’à mi-février pour adapter bientôt sur la papèterie officielle et sur leurs pages spécifiques. « Il y a beaucoup sera à disposition sous forme d’un manuel, une nouvelle gamme de produits. de travail. Il faudra prioriser les projets, car ainsi que d’un site Internet ( www.unifr.ch/ nous savons que tout ne pourra pas être corporate ). Des bibliothèques de matériels réalisé dans des délais aussi courts », nuance y seront accessibles. » Il ajoute : « on n’a pas Daniel Schönmann. Pour Daniel Wynistorf, changé de CD pour le plaisir, mais parce que les nouveaux outils sont nettement plus nous avions vraiment besoin de nouvelles efficients ; il espère donc que le processus solutions ». Dès maintenant, les ancestrales d’adaptation ne posera que peu de problèmes. traditions humanistes de l’Université de « Tout le monde devrait voir un net avantage Fribourg devraient donc trouver plus vite et à participer à ce système. La boîte à outils plus efficacement leur public. Le point de vue de moxi Andrea Dreier, associée et graphiste chez moxi ltd. design & communication a collaboré avec l’Université au développement du nouveau corporate design. Elle nous livre ses impressions sur ce projet. AndreaDreier, com- complexe, plus ce travail de base est Votre regard aujourd’hui ? ment développe- important. C’est sur cette base que nous Je crois que, grâce à cette collaboration t-on une identité développons le concept visuel. fructueuse, nous avons pu développer tous visuelle pour une les éléments centraux du CD. Concernant institution telle Qu’avait cette collaboration de la structure de l’expéditeur, la typographie, que l’Université de particulier ? la trame de la mise en page et les coloris, Fribourg ? L’Université de Fribourg est une grande nous avons posé un cadre qui permet Lorsque nous déve- institution, composée de nombreuses tout de même un certaine individualité loppons une corporate identity ( CI ) ou un unités relativement autonomes. Nous visuelle aux facultés. Il s’agit d’un système corporate design ( CD ), nous instaurons un avons donc essayé d’intégrer le plus complexe, mais nous pensons qu’il dialogue approfondi avec le client. En effet, grand nombre possible d’acteurs durant s’adaptera aux besoins de chacun. Nous il est important d’accorder notre regard le travail de fond – parallèlement aux nous réjouissons maintenant de remettre extérieur d’experts en communication séances entre le groupe de projet et le ce CD au Service communication et avec la perception interne de l’institution. Rectorat, des workshop ont été organisés médias de l’Université, sous la forme Bien avant de débuter le travail graphique, avec les représentants des facultés et d’un manuel de près de 40 pages et nous nous définissons ensemble une vision des instituts. Ce travail, très intéressant, sommes convaincus qu’il sera implémenté stratégique et analysons les besoins inter- nous a fourni la base nécessaire pour le avec succès. nes et externes. Plus la structure est travail graphique. fk UNIVERSITAS / OKTOBER 2013 5
Kultur dossier 8 Recherche Malraux désespérément Gilbert Casasus 10 Kultur, culture and all that Jazz Siegfried Weichlein 13 Culture populaire : l’embarras des sciences sociales Marc-Henry Soulet 17 Une place au patrimoine mondial de l’UNESCO Silvia Spezzaferri 18 MOOCs, Museen und Kultur Thomas Austenfeld 21 Le défi identitaire des jeunes issus de la migration Francesca Poglia Mileti 24 Kultur und Migration Mariano Delgado 26 Cartographier l’esprit culturel : de l’oeil au cerveau Roberto Caldara 29 Mores Mercatorum – peut-on freiner la course à l’abîme ? Paul H. Dembinski 32 Sprache und Kultur – ein vertracktes Verhältnis Christina Späti 34 Transmission de valeurs Caroline Henchoz 37 «Kulturrevolution» dank Internet? Philomen Schönhagen und Silke Fürst 40 Faculté de théologie : le défi de l’inculturation François-Xavier Amherdt 42 Quand le Père Noël s’est fait chasser des biscômes Carolyne Grimard 45 Navigationsstrategien für unsichere Musikmärkte Daniel Künzler 48 Interroger la création à Fribourg Riccardo Lucchini 50 Les Assises de la culture et la Déclaration de Fribourg Patrice Meyer-Bisch 53 En finir avec la conception ordinaire de la culture Aline Gohard-Radenkovic et Pia Stalder 6 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
Recherche Malraux dossier désespérément « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. » Cet appel, Malraux pourrait aujourd’hui le lancer à l’UE. Libérons-la de son emballage régionaliste et mar- chand : l’Europe doit enfin s’offrir une vraie politique culturelle. Gilbert Casasus Hilfe für die europäische « Inaugurée au début des années 1960 avec artistes qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors. Kultur la création d’un département ministériel Par conséquent, « 300’000 [d’entre eux Kultur bleibt ein Stiefkind der spécifique, confié à André Malraux, la devraient recevoir] des aides financières pour Europäischen Union. Trotz einiger politique culturelle n’a cessé de prendre de toucher de nouveaux publics en dehors de Fortschritte leidet die europäische l’ampleur depuis cette date. » Cette citation, leurs pays respectifs ». Effort unanimement Kulturpolitik weiterhin an ihrem ur- signée des deux historiens Serge Bernstein salué au-delà des frontières nationales, ce sprünglichen Leiden: dem Rückgriff et Pierre Milza, s’applique à la France et à programme pourrait néanmoins s’avérer auf das Subsidiaritätsprinzip. Die- ses hat nicht nur das Aufblühen ei- d’autres pays européens. Mais pas à l’Union beaucoup moins ambitieux que ne voudrait ner europäischen Kultur behindert, européenne. Toujours à la recherche d’un le faire croire la Commission européenne. sondern auch einer «Entfaltung der Malraux ou d’un Jack Lang européen, Conçu dans une perspective économique, Kulturen der Mitgliedstaaten» den elle se contente d’un énoncé lapidaire de « Europe créative » s’inscrit dès aujourd’hui Vorrang gegeben. Die europäische mesures pour « préserver le patrimoine dans une démarche marchande de l’Europe, Kultur wurde also auf dem Altar der culturel commun de l'Europe ( langues, favorisant la compétitivité, la croissance nationalistischen und regionalis- littérature, théâtre, cinéma, danse, radio, et l'emploi dans le secteur culturel et tischen Interessen der EU-Staaten arts, architecture, artisanat, etc. ) afin de le créatif européen. En toute logique, ce geopfert. Die Europäische Kommis- rendre accessible à d'autres ». Toutefois, projet donnera la priorité à l’audiovisuel sion scheint sich der kulturellen Herausforderungen, mit welchen plus volontariste qu’à ses débuts, elle «met et au cinéma. De plus, il intégrera en son Europa in den kommenden Jahren [désormais] en œuvre des instruments sein, à hauteur de 900 millions d’euros, konfrontiert sein wird, noch nicht soutenant des initiatives culturelles telles que les programmes déjà existants, connus bewusst zu sein. Als Gefangene le programme Culture et l'action Capitale sous les noms de « MEDIA », « MEDIA ihres eigenen Denkens fährt sie européenne de la culture». Mundus » et « Culture ». Non loin d’un tour fort, Kultur als Objekt zu verstehen, de passe-passe financier, l’augmentation das sie nie sein sollte, nämlich als Créative, mais rentable substantielle du budget pour la culture de triviale und käufliche Ware. Europa Consciente des lacunes dont elle a fait l’Union européenne pourrait alors s’avérer kann jedoch nicht politisch werden preuve ces dernières années, la Commission nettement moins importante que celle à ohne der Kultur ihren gebührenden Platz zu gewähren. Dies erfordert européenne semble avoir pris les dispositions laquelle l’Europe prétend procéder. zwingend eine Neubewertung des qui s’imposent. Dans son projet budgétaire Bien que relativement protégée par les «Kulturartikels» im laufenden EU- pluriannuel de 2014 à 2020, elle a décidé mesures d’austérité prises par les vingt-sept Vertrag und eine Verbesserung d’augmenter d’un peu moins de 40 % les en février 2013, la culture ne bénéficie der Fähigkeiten und finanziellen allocations qu’elle compte allouer à la cul- toujours pas de la place qui aurait dû être Ressourcen der EU für die Kultur. ture. Ses dépenses devraient dorénavant la sienne en Europe. Dans l’enveloppe atteindre la coquette somme de 1,6 milliards budgétaire pluriannuelle de 960 milliards d’euros dans les sept ans à venir. Accueillie d’euros, prévue pour les années 2014 à 2020, favorablement, cette mesure donne droit sa part ne représente qu’un peu plus de à plusieurs interprétations, dont certaines 0,16 % des dépenses de l’UE. Ainsi la culture laissent subsister quelques doutes sur les reste ce qu’elle a toujours été : un parent intentions réelles de l’Union européenne. pauvre de l’Europe. Moins dotée qu’elle Grâce au programme « Europe créative », ne l’est dans d’autres Etats membres – la celle-ci souhaite en effet donner un nouvel France consacre annuellement 7,4 milliards élan à sa politique culturelle. Elle désire d’euros à son Ministère de la Culture et de ainsi mieux aider les créateurs et les la Communication –, elle souffre toujours 8 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
de son statut politique et juridique qui a fait d’appréhender la culture comme un objet d’elle une laissée-pour-compte de la politique qu’elle ne devrait jamais être, à savoir européenne. D’ailleurs, ce n’est qu’en 1992 comme une marchandise banale et vénale. que sa compétence communautaire a été C’est ici que s’affrontent deux conceptions reconnue par l’article 128 du traité de opposées de la culture européenne. L’une l’UE. Cinq ans plus tard, l’article 151 du qui, au nom de la libre circulation, ne traité d’Amsterdam reprend presque mot lui impose aucune restriction ; l’autre qui pour mot le texte adopté à Maastricht, l’encadre pour mieux la protéger. Si la selon lequel « la Communauté contribue première est libérale au sens littéral du terme, à l'épanouissement des cultures des Etats la seconde se veut plus interventionniste. membres dans le respect de leur diversité Incontestablement, l’Union européenne nationale et régionale, tout en mettant en a choisi son camp. A l’image de José évidence l'héritage culturel commun ». Manuel Barroso, elle s’en prend volontiers Quant à l’article 167 du traité de Lisbonne, il aux défenseurs de « l’exception culturelle ressemble à s’y méprendre à celui adopté en européenne », en les traitant tout bonnement 1997 à Amsterdam. Toutefois à deux points de « réactionnaires ». Sauf que cela n’est près ; et non des moindres : il donne plus de pas sans rappeler les propos de certains pouvoirs au parlement européen et introduit « révolutionnaires » d’extrême droite qui, à pour toutes les décisions à caractère culturel l’époque de l’entre-deux-guerres, n’hésitaient le principe du vote à la majorité qualifiée. pas à employer le même adjectif pour s’en prendre aux défenseurs de la démocratie. Se guérir du régionalisme Non que la Commission européenne ou Néanmoins, ces deux avancées n’occultent son président ne soient pas démocrates ! Ils en rien le mal originel dont souffre la le sont. Mais ils n’ont toujours pas compris politique culturelle de l’Europe, soit celui que l’Europe ne peut pas devenir politique du recours à l’idée de subsidiarité. Bien que sans impérativement donner à la culture souvent défendu avec force et conviction la place qui lui revient. En ce sens, deux par certains européanistes, ce principe fait mesures s’imposent. D’abord revoir l’intitulé ici partie de ces mauvaises recettes que l’on de « l’article culture » du traité en vigueur veut coûte que coûte appliquer à l’Europe. pour lui ôter toute allusion au principe de Non seulement il a entravé l’éclosion d’une subsidiarité. Puis, et conséquence logique culture européenne digne de ce nom, mais a de ce qui précède, accroître les compétences aussi donné la priorité à « l'épanouissement et les moyens financiers de l’UE pour la des cultures des Etats membres ». Par culture. Mais l’Europe en est encore loin. conséquent, la culture européenne a, ni Qu’elle trouve donc au plus vite un nouveau plus ni moins, été sacrifiée sur l’autel des Malraux, à qui le mot de « réactionnaire » va intérêts nationalistes et régionalistes des pourtant si mal ! n pays de l’UE. Même en Suisse, où la subsidiarité garantit pourtant l’autonomie des cantons et des communes, la culture s’émancipe. L’importance croissante de « l’Office fédéral de la Culture » en est certainement l’une des preuves les plus tangibles. Comme ailleurs, la politique s’en mêle car toute ambition culturelle a besoin d’ouverture et de grandeur d’esprit. Mais recluse dans son enclos et ses schémas idéologiques, la Commission européenne ne semble pas encore avoir pris conscience des défis culturels auxquels l’Europe sera confrontée Gilbert Casasus est professeur du dans les prochaines années. Prisonnière de Domaine études européennes. son propre mode de pensée, elle continue gilbert.casasus@unifr.ch UNIVERSITAS / OKTOBER 2013 9
Kultur, culture and all dossier that Jazz Trotz allen Diskrepanzen zwischen Frankreich und Deutschland nach dem Zweiten Weltkrieg gab es dennoch erstaunliche Gemeinsamkeiten auf kultu- rellem Gebiet. Der Jazz war eine davon. Siegfried Weichlein Une passerelle nommée jazz Seit dem Aufstieg der Vereinigten Staaten an die Technische Hochschule Aachen ab- Après la Seconde Guerre mondiale, zur Weltmacht übte das Land einen starken lehnte, da ihm die Vorstellung unerträglich les rives gauche et droite du Rhin kulturellen Einfluss auf Europa aus. Eine in war, von einem «Ordinarius für Heizung und ont toutes deux connu une améri- der Öffentlichkeit immer noch weit verbrei- Lüftung» als «Herr Kollege» angesprochen canisation, mais dont la portée tete Grosserzählung über das Verhältnis zur zu werden, wie die «ZEIT» einmal in einem fut différente. La France, comme nordamerikanischen Kultur hebt indes Un- Artikel zur Krise der deutschen Geisteswis- l’Allemagne, a assisté à un chan- gement de valeurs, mais avec ses terschiede zwischen deutscher Amerikabe- senschaften schrieb. Diese antiwestliche Em- propres synthèses et un genre à la geisterung und französischer Amerikaskepsis phase in Kultur und Politik wurde durch den française. En Allemagne de l’Ouest, hervor. Während seit dem 18. Jahrhundert Zweiten Weltkrieg restlos diskreditiert. Poli- l’adoption de la culture populaire traditionell enge Verbindungen zwischen tisch bedeutete dies eine Annäherung an die américaine a principalement servi den Vereinigten Staaten und Frankreich, westlichen Siegerstaaten nach 1945. Sollte à se démarquer du quotidien na- den «Pionieren der politischen Demokra- der Preis für die Demokratisierung allerdings tional allemand des années 50. tie» (Dietmar Hüser) bestanden und sich der Abschied von deutscher Hochkultur sein, Dans le domaine culturel, il existe deutsche Intellektuelle traditionell zierten, schien dieser Preis zunächst vielen entschie- cependant des points communs mit dem «amerikanischen Materialismus» in den zu hoch. Pro-Westintegration war also surprenants entre les deux pays. Le jazz, par exemple, et pas uni- Berührung zu kommen, wird heute die kul- keineswegs gleichbedeutend mit Rock 'n' Roll. quement sur un plan idéologique, a turelle Grosswetterlage eher umgekehrt dar- provoqué l’enthousiasme aussi bien gestellt: In Frankreich herrschten Vorbehalte Französischer Antiamerikanismus à Francfort qu’à Paris. L’industrie gegen die Dominanz der Vereinigten Staaten Auch in Frankreich herrschten nach 1945 du divertissement a joué un rôle in Kultur und Politik, während die Amerika- starke Vorbehalte gegenüber nordamerikani- important dans le refus des valeurs nisierung nirgends so weit fortgeschritten sei scher Populärkultur, Hollywood und moder- parentales : les jeunes accordaient wie in den Verliererstaaten des Zweiten Welt- ner Inneneinrichtung mit ihrer energischen une grande attention à se distinguer kriegs, Deutschland und Italien. Schlichtheit. Die politische Allianz zwischen de leurs parents, non seulement à Frankreich und den USA aus der Zeit der travers la langue et la tenue vesti- mentaire, mais également à travers Unbelastete deutsche Hochkultur? Französischen Revolution war längst in Kon- la musique. L’engouement pour le Der deutsche Weg hin zu einer stärkeren kurrenz übergegangen. Das Wissen um die jazz, le rock’n’roll et la musique pop Wertschätzung der nordamerikanischen gemeinsamen revolutionären Ursprünge in américaine a donc d’abord incarné Kultur hängt mit der Niederlage 1945 zu- den beiden Schwester-Republiken hatte ei- un problème de générations et sammen. Zuvor stellten deutsche Kultureli- nen tiefen Graben zwischen dem «American plus tard seulement une adhésion ten in Publizistik, Geisteswissenschaften und way of life» und der «Civilisation Française» positive aux valeurs américaines. den bildenden Künsten einen emphatischen aufgetan. Das machte sich besonders an ma- Kultur-Idealismus und Anti-Materialismus teriellen Dingen fest. Anti-westliche Zivilisa- in den Mittelpunkt ihrer Überlegungen. Weil tionskritik blieb bei französischen «Manda- die nordamerikanische und britische Kultur rins» im Umfeld der kommunistischen Partei als materialistische Massen- oder Krämer- populär und wurde dort plakativ vertreten. kultur gesehen wurde, ergab sich daraus au- Der kommunistische Intellektuelle Louis Ara- tomatisch ein Gegensatz zwischen deutscher gon verglich die Vereinigten Staaten 1951 Kultur und westlicher Zivilisation. Die Em- mit einer Zivilisation aus Badewannen und phase und die Arroganz, mit der dieser Kul- Kühlschränken. Indem sich die Linke zur turbegriff auftrat, zeigte sich etwa 1920, als Verteidigerin nationalkultureller Traditio- der Romanist Ernst Robert Curtius den Ruf nen machte, entstand von Links kein Druck t 10 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
zur Internationalisierung und zur Öffnung sondern differenzierte Wege der Anverwand- dossier für die englischsprachige Welt – wie später lung. Auch wenn französische Jugendliche in Deutschland. Erklärte «Atlantistes» wie sich die neuen US-Formate zeitlich etwas Raymond Aron blieben dagegen in einer später aneigneten als die Westdeutschen, Minderheitenposition gegenüber der «heili- wurde Rock 'n' Roll im französischen Radio gen Dreifaltigkeit» aus Revolution, Republik und bald genauso häufig gespielt wie in der BRD. Résistance (Henri Rousseau). Die amerikanischen Stars fanden in Johnny Hallyday und Eddie Mitchell ihre franzö- Jazz als Bindeglied sischen Ableger. Die in den 1960er Jahren Auf kulturellem Gebiet gab es erstaunliche entstandene «Génération YéYé» tanzte zu Gemeinsamkeiten zwischen Deutschland französischen Titeln von Richard Anthony, und Frankreich. Beide durchlebten einen Jacques Dutronc, France Gall und Françoise tiefreichenden demografischen Wandel, der Hardy. Auf Französisch huldigte diese Ge- mit einem Wertewandel einherging. Für neration denselben Werten, denen auch die Frankreich wurde von der «zweiten Fran- nordamerikanische Populärkultur verbunden zösischen Revolution», für Deutschland von war: Individualität, Bruch mit dem Kanon einer «Fundamentalliberalisierung» der Ge- der Alten, Selbstentfaltung gegen Last und sellschaft gesprochen. In beiden Gesellschaf- Wucht der Tradition. Aber sie benutzte dazu ten unterschieden sich die Wertehaltungen andere Träger, Stars und Formen, wie etwa seit den 1950er Jahren markant von denen die den humanistischen Idealen verpflichte- der ersten Jahrhunderthälfte. Ein nicht nur ten Chanson-Sängern Jacques Brel, Georges ideologisches Zeichen dafür war der Jazz, Brassens und Léo Ferré. Für solche hybride der sowohl in Frankfurt wie auch in Paris Aneignungsgeschichten standen Ausdrücke begeistert aufgenommen wurde. Die US- wie Paris als «New Orleans sur Seine» oder amerikanischen Jazzmusiker Dizzy Gillespie Johnny Hallyday als «chanteur américain und Dave Brubeck rückten in den Kanon der de culture française». Eine Amerikanisie- urbanen musikalischen Kultur auf. Demo- rung fand in der Nachkriegszeit also links grafisch verjüngten sich beide Gesellschaften und rechts des Rheins statt, bedeutete aber nicht nur, sondern die Jugend wollte auch in beiden Ländern etwas anderes. In Frank- eine «andere Jugend» sein. Die Unterhal- reich gab es ebenso einen Wertewandel wie tungsindustrie spielte eine wichtige Rolle bei im Nachkriegsdeutschland. Doch bediente er der Distinktion der neuen Generation gegen- sich eigener Synthesen und auch ureigener über ihren Eltern. Jugendliche, in Deutsch- Genres à la française. Ausserdem verdichtete land «Halbstarke» genannt, achteten peinlich es sich lokal und war national-republikanisch darauf, sich nicht nur in Verhalten, Sprache überformt. In Westdeutschland diente das und Habitus, sondern auch in der Musik von Bekenntnis zur nordamerikanischen Populär- der Elterngeneration zu unterscheiden. Die kultur vor allem der Abgrenzung gegenüber Jugend der späten 1950er und die Studenten dem immer noch deutschnationalen Alltag in der 1960er Jahre machten die deutsche Eli- den 1950er Jahren. Erst viel später ging die tenkultur selbst zum Gegenstand der Frage Populärkultur in die innere Selbstanerken- nach den Ursachen des Nationalsozialismus. nung als Demokratie und Republik über. n Die Begeisterung für Jazz, Rock 'n' Roll und amerikanische Popmusik drückte so vor al- lem ein Generationenproblem aus, erst spä- ter auch ein positives Bekenntnis zum «Land der unbegrenzten Möglichkeiten». Ein asso- ziativer Kurzschluss von Cola-Trinkern und Jeansträgern auf amerikanische politische Werthaltungen beiderseits des Rheins ist em- pirisch nicht zu halten. Politische Identität und Kultur waren immer weniger im Paket zu haben. Lothringische Minenarbeiter ver- ehrten in den 1950er Jahren Kinofilme mit zwei Helden, die wir nicht in einem Atemzug nennen würden: Stalin und Humphrey Bo- gart. Was politisch nicht zusammengehörte, Siegfried Weichlein ist assoziier- wuchs kulturell zusammen. ter Professor für Zeitgeschichte Weniger die einfache Übernahme oder der an der Philosophischen Fakultät. entschiedene Widerstand bestimmten die Re- siegfried.weichlein@unifr.ch aktion auf die amerikanische Populärkultur, 12 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
Culture populaire : l’embarras des sciences sociales Comment dire la culture populaire ? Entre populisme de bon aloi, souvent ly- rique, et misérabilisme condescendant, le cœur des sciences sociales balance. S’engage alors un périlleux exercice d’équilibrisme. Marc-Henry Soulet Populärkultur sprechen: ein « Si je fais parler l’homme des champs leur suprématie culturelle. Une violence wahres Dilemma comme il parle, il faut une traduction en symbolique s’impose à l’approbation im- Georges Sand erklärt im Vorwort zu regard pour l’homme civilisé, et si je le fais plicite des classes populaires et ce en raison François le Champi sein Dilemma: parler comme nous parlons, j’en fais un du fait qu’elles ne disposent pour penser «Wenn ich den Mann vom Lande être impossible, auquel il faut supposer un le monde, les autres et soi-même, que des zum Sprechen bringe, in der Art wie ordre d’idées qu’il n’a pas. » Ce dilemme, catégories de pensées des dominants. Cette er spricht, braucht der zivilisierte qu’expose George Sand dans l’avant-propos vision tire sa force de son point de vue Mensch eine Übersetzung. Wenn ich ihn wie wir sprechen lasse, wird de son ouvrage François le Champi, n’est pas réaliste ; elle s’efforce en effet d’expliquer er zu einem unvereinbaren Wesen, propre à la littérature, même s’il en constitue et d’objectiver la situation d’individus de dem eine Ideenordnung zugeschrie- une figure récurrente. Les sciences sociales condition défavorisée en la replaçant dans ben wird, die er nicht besitzt.» Wie s’y confrontent depuis leurs origines. Entre le spectre des structures qui la déterminent. soll man also die Populärkultur misérabilisme et populisme, leur embarras L’absolutisation de la culture savante comme sprechen? Jeder Diskurs über die est grand, notamment parce que tout principe ultime de référence décrit dès lors Bevölkerung ist unvermeidbar eine discours sur le peuple est immanquablement les goûts culturels des dominés comme theoretische Wahl und ideologi- un choix théorique et une posture idéo- marqués par la carence, les manques et les sche Haltung. Das Kernstück der logique, même si, paradoxalement, il n’existe défectuosités. Sozialwissenschaften balanciert oft zwischen geschliffenem lyrischen pas en ce domaine de clivage droite-gauche : Populismus oder herablassender à un misérabilisme de droite, marqué par En prise à la critique Schwarzmalerei. Ein gefährlicher le mépris, correspond un misérabilisme Mais une telle vision se prête à de Balanceakt beginnt, da die Notwen- de gauche dénonçant le manque ; à un nombreuses critiques, la première étant son digkeit für eine dialektische Wech- populisme de droite, fréquemment folklo- incapacité à voir d’autres manifestations de selhaftigkeit zwischen soziologi- riste, s’extasiant devant l’originalité de la vie sociale en dehors de la domination. schem Realismus und symbolischer l’insignifiant, répond un populisme de gau- Aveuglement, surdité… Ce qui est pointé Autonomie anerkannt werden muss. che, souvent hagiographique, énonçant ici c’est l’interdiction de donner un sens Der zweite Aspekt betrifft die Le- la force messianique des dominés. Quelle aux pratiques dites populaires en dehors de gitimität des Diskurses über Popu- lärkultur. Wie Pierre Bourdieu einst posture adopter alors ? la référence à la culture savante. Mais, en sagte: «Dominiert bis in die Entste- dehors de ces critiques externes, devrait- hung ihres sozialen Weltbildes und Vision légitimiste on dire, d’autres ont émergé pour tenter, folglich in ihrer sozialen Identität, Une première vision envisage la culture tout en en reconnaissant les mécanismes spricht die dominierte Klasse nicht, populaire comme une culture dominée, de la domination culturelle, d’en pondérer es wird für sie gesprochen.» Aber définie par la contrainte et le déficit. Cette la force explicative. La première met en welchen Status hat der externe sociologie, légitimiste car elle repose sur le avant l’aspect daté des analyses en termes Redner, der von, über, im Namen postulat selon lequel la culture dominante de hiérarchie culturelle. Et ce en raison von und für die Menschen spricht? est le principe ultime de référence à l’aune d’un double phénomène qui a affecté de laquelle s’apprécie la culture populaire, l’instrument central de la légitimité absolue souligne également combien cette légitimité de la culture savante : l’institution scolaire. est renforcée par le sentiment d’indignité et D’une part, elle a connu depuis les années d’infériorité ressenti par les classes populaires 60 une forte démocratisation qui a eu pour face à la culture savante. La culture s’analyse effet de donner accès à de larges franges par le haut, à partir des pratiques des élites, des couches populaires à ladite culture qui renforcent leur position sociale par savante, à tout le moins de s’y confronter t UNIVERSITAS / OKTOBER 2013 13
dossier de l’intérieur. De l’autre, de nouveaux monde, du groupe et de soi propres aux principes de classement culturel ont émergé, groupes populaires. les médias, qui ont produit d’autres systèmes Cette vision, ici qualifiée abruptement de distribution de la légitimité culturelle, d’angélique tant elle ignore le poids de la relativisant le poids des inégalités d’accès culture légitime, suit trois lignes de fuite à la culture savante ainsi que celui de son distinctes que l’on peut schématiquement pouvoir distinctif. La seconde s’attache résumer sous les vocables de l’interstice, du à souligner une hybridation croissante braconnage et de la résistance. des pratiques culturelles en lien avec la La première, intéressée aux formes sensibles socialisation multiple que connaissent les de la vie sociale, se penche sur les pratiques des individus. Confrontés à des univers sociaux acteurs et le sens que ceux-ci leur attribuent. variés, ils développent des goûts culturels En mettant ainsi en avant l’autonomie plus divers empruntant aux formes légitimes relative des pratiques, l’analyse s’écarte comme aux formes illégitimes ( aimer la du manque, des déficits, des comparaisons musique baroque et aller à un concert de même. Les gens de peu ignorent en fait la Madonna, par exemple ). Cet éclectisme culture dominante parce qu’ils ne sont pas produit une certaine dissonance culturelle, en contact signifiant avec elle ; ils peuvent mais, justement, le propre de l’individu alors se livrer, malgré leur condition de pluriel contemporain est de savoir connecter dominé et malgré leur position sociale, à la le goût adéquat à une situation donnée. joie des bonheurs simples qu’ils sont à même d’inventer, ces moments et pratiques qui Vision angélique échappent à l’emprise de leur condition ( le Face à cette lecture légitimiste est affirmée camping, les boules, le pique-nique au bord l’autonomie symbolique de la culture de la route, les bals populaires…). La part populaire. On y trouve une description d’autonomie culturelle du peuple est ainsi compréhensive des relations et des pratiques à chercher dans les moments d’oubli de la sociales, une attention soutenue aux usages domination, dans des zones sans enjeu de ordinaires des lieux, une circonscription classement parce que délaissées, déclassées. empathique des moments d’expression des La seconde expression de l’autonomie formes de culture particulières, ainsi qu’une symbolique de la culture populaire énonce identification fine des représentations du que le dominé, quoique dominé, produit de t Des classes parlées Faire la culture, c’est aussi dire l’autre. Se pose alors encore une fois la question de la légitimité de cette expression. « Dominées jusque dans la production peut être le résultat que d’un travail de le monde sans être porteur d’une vision de leur image du monde social et par dévoilement mené par un acteur exogène du monde. conséquent de leur identité sociale, les éclairé. On le voit ainsi, le peuple, quelle que classes dominées ne parlent pas, elles sont soit son incarnation, pose in fine le statut parlées », disait Pierre Bourdieu (« Une Qui peut mettre des mots ? politique de la connaissance en sciences classe objet » in Actes de la recherche en sciences Une variante de cette lecture considère sociales. Mues par une indignation sociales, vol.17, n°1, 1977, p.4). Mais qui que la beauté, même simple, n’est éthique et un engagement social, doivent- est légitime pour les parler ? Quel est le exprimable que par la culture qui sait la elles être critiques, se faire publiques, statut de ce locuteur externe qui parle du, mettre en mots. La seconde, gramscienne, comme l’appelait en 2004 Michel sur, au nom du, pour le peuple ? Cette énonce la production endogène d’agents Burawoy, alors président de l’association vieille antienne des sciences sociales organiques capables de fédérer l’identité américaine de sociologie, et proposer des place l’enjeu au plan politique au moins et de représenter les intérêts de la classe exercices de réflexivité pour permettre autant qu’au plan épistémologique. ouvrière. Elle thématise la légitimité de aux individus, particulièrement aux plus Elle fait écho au débat classique entre l’indigène, seul susceptible de dire la faibles, de travailler leur inscription dans l’hétéromobilité et l’automobilité du pro- réalité de sa condition en raison de son le monde ? Portées par une indignation létariat. La première, léniniste, affirme expérience même de celle-ci, souvent logique et un engagement scientifique, la prééminence de l’intelligentsia qui d’ailleurs par la voix du transfuge. Ces doivent-elles au contraire se faire scien- a accédé à l’intelligence théorique du deux conceptions s’opposent à celle ces de la critique, pour reprendre la mouvement historique dont est porteuse, de l’intellectuel sans attaches de Karl formulation de Bernard Lahire, afin de à son insu, la classe ouvrière. Elle affirme Mannhein, à même, par le truchement produire des connaissances scientifiques ainsi que l’énonciation de la domination de l’exercice de la raison, de se libérer de sur le monde social ? n’est pas accessible au dominé, car elle ne ses appartenances particulières et de dire mhs 14 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
© Jérôme Berbier et Charlotte Walker
l’usage ( le lecteur découpant l’ouvrage univers de sens. Elles ne sont toutefois dossier autrement, au gré de ses activités de lecture, pas exemptes de critiques. Loin s’en faut ! que ne l’avait conçu l’auteur ) ou même Internes, notamment avec le constat d’une détournant l’usage ( le congélateur à la surestimation des compétences et des ferme ). Il ne s’agit pas d’une opposition énergies disponibles au sein des groupes frontale, mais davantage d’un braconnage, populaires pour parvenir à la production de d’un jeu avec l’ubiquité des situations, dans cette autonomie culturelle ou bien encore les mécanismes mêmes de la domination. celui de la reconnaissance de facto, même si, La troisième ligne de fuite de cette vision entre les lignes, de la domination et de la populiste trouve une expression forte prégnance de la culture légitime. tout au long du 19e avec l’émergence du mouvement ouvrier et sa traduction dans le Rester sur le fil socialisme, qu’il fût utopique ou scientifique. Mais la plus virulente critique provient des C’est probablement la figure du « sublime » tenants de la vision légitimiste qui voient, décrivant l’ouvrier parisien, fier, insoumis et dans cette empoétisation valorisant les irrespectueux, opposé au travailleur d’ordre pratiques et les symbolismes populaires, et de conduite, qui lui a donné ses lettres une forme paradoxale du mépris de classe. de noblesse. Cette lecture ouvriériste voit Que faire donc ? Probablement vivre avec dans la culture populaire une culture certes l’aporie. Reconnaître la nécessité d’une dominée, mais qui combat la domination par oscillation dialectique entre réalisme so- la vitalité des collectifs ouvriers au point où il ciologique et autonomie symbolique, parce devient alors envisageable de considérer que que si tous les groupes dominés ont une la classe ouvrière peut fonctionner comme culture, « toute culture populaire est à classe-sujet, et non comme classe-objet, où quelque degré dominée, même si elle elle peut se constituer en classe-pour-soi et semble particulièrement autonome, re- ne plus être une classe-pour-autrui. tranchée et refermée sur elle-même », comme l’affirment Claude Grignon Contre-culture en résistance C. et Jean-Claude Passeron. Travailler A leur façon, les cultural studies, développées avec la tension en quelque sorte, être à partir des années 60, au sein de l’Ecole de le plus complètement réaliste et le plus Birmingham, ont poursuivi dans la même complètement relativiste en même temps. veine en lisant les pratiques culturelles, non Plus facile à dire qu’à faire ! n plus de la classe ouvrière, mais de sous- groupes, toujours plus pléthoriques ( les femmes, les gens de couleur, les colonisés, les homosexuels, les handicapés, les télé- spectateurs, les amateurs de fanzines, les fans de rap… ), comme des formes de résistance à la domination symbolique. Ces sous-cultures, par leur vitalité, sont en effet capables de retourner le stigmate. La culture légitime est contenue par la vitalité des acteurs, capables de résister à la domination culturelle et à la récupération politique en décodant et retournant les signes des produits imposés. Expressives, contre-culturelles, rebelles, ces pratiques font résistance en mettant l’accent sur les compétences et les énergies des groupes, marginaux, dominés, différents pour contrecarrer les effets de légitimité de la culture savante. En insistant sur les capacités de réaction ( résistance ) et de créativité des cultures populaires, ces lectures n’affirment pas tant une relativité culturelle ni ne s’inscrivent dans une ethnographie folklorisante, comme on l’a souvent qualifiée, qu’elles insistent sur l’autonomie, relative certes, des cultures populaires dotées de leur propre système de valeurs et façonnant leur propre 16 UNIVERSITAS / OCTOBRE 2013
Une place au patrimoine mondial de l’UNESCO S’engager pour l’inscription d’un site géologique au patrimoine mondial de l’UNESCO implique de s’interroger sur sa valeur culturelle. C’est la démarche qu’ont entreprise des membres du Département de géosciences. Silvia Spezzaferri Im Einsatz für kulturelles Erbe Préserver des héritages du passé que l'on la chaîne du Zrigat entre les dunes géantes Seit 2011 beteiligt sich das De- devrait transférer de manière intacte aux de Erg Chebbi à l'Est de Merzouga et de la partement für Geowissenschaf- générations futures est un des aspects frontière algérienne. Là où la Route continue ten der Universität Freiburg aktiv pris en compte par la Convention sur de suivre les gorges de Ziz entre Errachidia an einer Initiative, welche die le patrimoine mondial de l’UNESCO. et Midelt, des séquences de monts du Einschreibung des «Königswegs Il permet la reconnaissance d'exemples Jurassique inférieur ( Sinémurien ), issus du ins marokkanische Karbonatge- exceptionnels d’étapes majeures de l'histoire royaume de la Téthys, ainsi que des monts birge» in die Liste des UNESCO- de la Terre. Les cultures globales et locales du Jurassique moyen ( Bajocien ) portant la Welterbes vorschlägt. Das im peuvent être combinées pour préserver des signature de l'Atlantique sont exposés de Forschungsnetzwerk der Euro- sites géologiques et historiques en tant que manière spectaculaire. Au Nord de Fez, la päischen Wissenschaftsstiftung « source de vie et d'inspiration ». Depuis Route du Nord croise l'ancien corridor du COCARDE (Cold Water Carbonates 2011, le Département de géosciences Rif avec ses récifs du Miocène. in Deep Environments) kon- de l'Université de Fribourg s’implique Ces sites sont également d'une grande zipierte und verankerte Pro- activement dans une initiative qui propose importance culturelle et sociétale. Ils pro- jekt möchte die grosse geolo- d’y inscrire la « Route royale des monts longent les routes des Almoravides et des gische Bedeutung dieser Stät- carbonatés du Maroc », un projet conçu Almohades en Andalousie – identifiées te bekannt machen sowie ihren et ancré au sein du réseau de recherche comme Grand itinéraire culturel du Conseil kulturellen und gesellschaftli- de la Fondation européenne de la science de l'Europe – le long de Gibraltar, jusqu'aux chen Wert dokumentieren. COCARDE ( Cold Water Carbonates in cités impériales de Fez et Marrakech, Deep Environments ). En effet, les éléments lesquelles jouissent déjà du statut de carbonatés sont d'importants contributeurs patrimoine mondial de l'UNESCO. de la vie au travers de l'histoire géologique La région du Tafilalt, où les provinces des Pour aller plus loin et dans différents cadres environnementaux, monts Paléozoïques les plus spectaculaires Membres de l'Université de Fri- des eaux tempérées aux eaux froides. Ce sont documentées, est une véritable petite bourg : Dr. Silvia Spezzaferri (Pré- sidente), Prof. Anneleen Foubert sont aussi des acteurs-clés dans le couplage Mésopotamie. Berceau de l'actuelle dynastie et Dr. Andres Rüggeberg (conseil- biosphère-géosphère. marocaine régnante, les Alaouites, elle lers scientifiques), Claudio Stalder se trouve sur le passage de la route des (membre). Membres de l'action de Aux sources de la vie caravanes du Niger à Tanger et offre des coordination internationale : Profs. La Route du Sud inclut le Haut-Atlas et l'Est ruines et témoignages des temps passés qui Jean-Pierre Henriet et David Van de l'Anti-Atlas, des séries de stromatolithes pourraient faire l’objet de visites géologiques Rooij, Université de Gand, Belgique du Phanérozoïque inférieur dans la vallée et historiques. Un centre pour visiteurs Partenaire marocaine : Prof. Naima de Draa, d'énigmatiques monticules de l'âge pourrait évoquer les deux provinces majeures Hamoumi, Université de Rabat. glaciaire de l'Ordovicien supérieur dans où se focalisent les recherches modernes dans Site de l’UNESCO http://whc.unesco.org/fr/apropos/) l'Est du Maider, au nord d'Alnif, un mont le domaine des monts carbonatés sur les côtes Site de COCARDE caractéristique des suintements froids du marocaines : l'escarpement de Pen Duick au http://www.cocarde.eu/ Silurien dans le domaine de la Meseta entre large de Larache, sur la côte atlantique et la Mrirt et Azrou dans l'Atlas moyen, les fameux province de Melilla dans la Mer d'Alboran Silvia Spezzaferri est maîtresse d’enseignement et de recherche en monts Kess Kess du Dévonien inférieur, situés ( Route du Nord ), car ce secteur illustre le micropaléonthologie au Départe- sur la Ride de Hamar Laghdad dans l'Est de développement de monts et les contrôles ment de géosciences. l'Anti-Atlas et le paysage sous-marin exhumé environnementaux dans l'Océan Récent silvia.spezzaferri@unifr.ch des monts Viséens à faciès Waulsortien de ( Néogène-Quaternaire ). n UNIVERSITAS / OKTOBER 2013 17
Vous pouvez aussi lire