Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement Will they grow old some day? The attitudes of baby boomers who are ...
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Document generated on 09/02/2020 11:12 p.m. Lien social et Politiques Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement Will they grow old some day? The attitudes of baby boomers who are carers to their own aging Laure Blein, Jean-Pierre Lavoie, Nancy Guberman and Ignace Olazabal Vieillir pose-t-il vraiment problème ? Article abstract Number 62, automne 2009 In Quebec, baby boomers are increasingly becoming carers. In interviews about their experiences as carers, we asked them about their perceptions of old URI: https://id.erudit.org/iderudit/039319ar age and aging, to find out specifically what they have to say about their own DOI: https://doi.org/10.7202/039319ar aging, what they are doing to get ready for it and what this means in terms of demands on health care and, especially, public services to help and assist them in an aging process that they want to be radically different from that of their See table of contents own parents. Publisher(s) Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Blein, L., Lavoie, J.-P., Guberman, N. & Olazabal, I. (2009). Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement. Lien social et Politiques, (62), 123–134. https://doi.org/10.7202/039319ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 123 Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement Laure Blein, Jean-Pierre Lavoie, Nancy Guberman et Ignace Olazabal La maladie, la vieillesse, la mort [c’est pas dans] la mentalité des baby-boomers, ça, c’est inacceptable pour nous autres ! (Aidante) † Le vieillissement est souvent phique et que les coûts sociaux démographique (trois générations perçu comme une déchéance où la sont bien relatifs1. du baby-boom pouvant être dis- personne âgée « est âgée avant † cernées à l’intérieur de la période d’être une personne » (Ennuyer, † Mais les baby-boomers vieillis- 1945-1965) et sociologique (le 1999 : 15). Pis encore, le vieillisse- † sants portent une tare supplémen- « destin de génération » favorable † † ment est généralement conçu taire. En effet, les baby-boomers ne s’appliquant qu’à une tranche comme un problème social sont souvent considérés comme une constituée tout au plus de 40 % † (Puijalon et Trincaz, 2000), que les peste générationnelle (Samson, parmi les plus vieux des baby- vocables « aîné » au Québec, ou † † 2005 ; Ricard, 1992 ; Remy, 1990) † † boomers, tandis que les plus « senior » en France, ne réussissent † † qui, ayant fait table rase des jeunes, qui appartiennent à la guère à faire oublier. On parle valeurs de leurs parents, se sont génération dite X n’ont pas, loin ainsi des « problèmes du vieillisse- † employés méthodiquement à s’en faut, connu le « destin de † ment », en insistant particulière- † saper le terrain social et écono- génération » des aînés). Or, malgré † ment sur la perte des facultés mique des générations suivantes. un destin socioéconomique très physiques et cognitives, ainsi que Or, comme le montre Olazabal variable, les baby-boomers consti- sur le coût du vieillissement de la (2009), en s’appuyant entre autres tuent un ensemble plutôt cohé- population pour les contribuables sur Dumont (1986), Langlois rent au regard d’un certain actifs (Jacobzone et al, 2000), en (1990), Dufour, Fortin et Hamel nombre de valeurs qui, pour beau- oubliant que les vieillissements (1993), cette génération est bien coup, tiennent aux expériences sont multiples, que ce n’est pas, en plus multiforme qu’il n’y paraît. vécues lorsqu’ils étaient jeunes réalité, un phénomène catastro- Cette complexité est à la fois (Olazabal et al., 2009). Lien social et Politiques, 62, Vieillir pose-t-il vraiment problème ? Automne 2009, pages 123 à 134.
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 124 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 62 baby-boomers qui prennent soin proactives à l’heure de gérer leur d’un proche du vieillissement en vieillissement, non pas pour des Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement général, et du leur en particulier, raisons uniquement esthétiques et comment ils se préparent à (Thoër et de Pierrepont, 2009 ; † cette étape de la vie3. Nous ver- Thoër-Fabre, 2005). Vannienwen- rons que l’idée qu’ils se font du hove (2009a et b) est l’un des pre- vieillissement se fonde simultané- miers à traiter du discours du ment sur leur expérience d’aidant corps vieillissant tel qu’il est et sur des conceptions âgistes. À énoncé par les baby-boomers. Il ce propos, nous ferons appel à est intéressant de constater que ce Foucault (1972) pour montrer que vieillissement s’énonce en termes ces conceptions âgistes sont fon- de « corporéité » plutôt que relati- † † 124 dées sur la construction d’une vement au reste de la persona, sui- « figure repoussoir » de l’aîné, † † vant l’empire de l’image, même socialement perçu comme un chez les hommes. Le présent Mais être baby-boomer aujour- déviant par rapport aux normes article s’inscrit ainsi de manière d’hui, c’est aussi, très souvent, de l’identité contemporaine basée novatrice dans l’exploration des faire partie de la génération dite sur la productivité et l’autonomie. enjeux liés au vieillissement des « sandwich ». Beaucoup de baby- † † baby-boomers. Nous verrons que boomers doivent en effet prendre Soulignons que peu de recher- les raisons de demeurer actif et en soin d’un proche malade (que ce ches ont véritablement, à notre bonne santé ne découlent pas uni- soit d’une conjointe ou d’un connaissance, porté sur l’auto-per- quement d’une conformité aux conjoint atteint de maladie dégé- ception du vieillissement par les canons de beauté, mais aussi de nérative, d’un frère ou d’une sœur membres de la génération des raisons plus pragmatiques, comme ayant des incapacités dont on baby-boomers vieillissants. C’est celle de repousser la dépendance « hérite » à la mort de ses propres † † que le temps n’était probablement le plus loin possible. parents, d’un parent âgé en perte pas venu quelques années aupara- d’autonomie ou d’un enfant ayant vant. Certes Faircloth (2003) a Présentation de l’étude et des incapacités dont on continue déjà, sans en traiter spécifique- méthodologie de prendre soin à l’âge adulte)2, ment, montré comment les nou- tout en gérant des obligations veaux paramètres de l’image qui a Les résultats présentés procè- intergénérationnelles à l’égard de été intériorisée par les baby- dent de deux recherches portant leurs enfants et de leurs petits- boomers découle de la corollaire sur les baby-boomers qui pre- enfants. « figure repoussoir » foucaldienne † † naient soin d’un proche âgé, d’un ci-dessus mentionnée. Des recher- enfant handicapé ou ayant des Souvent porteurs de la culture ches épidémiologiques ont certes problèmes de santé mentale, ou jeune des années 1960-1970, qu’ils montré que les comportements de d’un membre de leur fratrie4. Les ont érigée en modèle à travers des santé des baby-boomers vieillis- études émanaient d’un constat faits de culture (Sirinelli 2003, sants sont loin d’être optimaux énoncé par le personnel du Owram 1997), les baby-boomers (Wister, 2005), notamment en ce Centre de soutien aux aidants vieillissent, qu’ils le veuillent ou qui a trait au diabète et à la sur- naturels du CLSC René-Cassin, non. Comment les valeurs d’une consommation de drogues et d’al- remarquant que les aidants de culture jeune et, en un certain cool, au tabagisme, etc. On sait cette génération étaient beaucoup sens, insouciante, sont-elles actua- aussi qu’ils souffrent davantage de plus demandants et exigeants que lisées, alors que les boomers certaines pathologies de santé ceux de la génération de leurs vieillissent, qu’ils sont devenus des mentale que les ensembles de parents à l’égard des services grands-parents et, très souvent, des retraités ? † cohortes les ayant précédés, publics. Pour les fins de la pre- notamment de dépression (Piazza mière recherche qui portait sur la Dans cet article, nous verrons et Charles, 2006 : 111). Les femmes † réalité de cette cohorte de per- tout d’abord ce que pensent les du baby-boom sont beaucoup plus sonnes aidantes, nous avons ren-
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 125 contré 39 aidants au Québec (8 avons animé cinq groupes de dis- tifs, mais en recourant à la compa- hommes et 31 femmes, ce qui cor- cussion avec un total de 35 aidants raison constante des différents respond aux statistiques sur la dif- baby-boomers que nous avons extraits d’une transcription à férence de genre entre les aidants regroupés selon les probléma- l’autre, ils sont devenus plus au Québec), dont 26 prenaient tiques vécues par l’aidé : problème † denses et plus analytiques. Au fur soin d’un parent âgé, 3 d’un frère de santé mentale (8 partici- et à mesure que nous achevions de ou d’une sœur, 6 d’un conjoint et 4 pantes), personne âgée ayant des nouvelles entrevues ou menions d’un enfant adulte. Une large pertes cognitives (10), personne des discussions de groupe, nous majorité d’entre eux (32) sont âgée ayant des incapacités phy- avons intégré le matériel de francophones (7 anglophones) ; 12 † siques (6), adulte ayant des inca- celles-ci, ce qui nous a amenés à ont un revenu familial global infé- pacités physiques (5). Nous avons ajouter ou à revoir les codes créés. rieur à 20 000 $ par année et 14 † ajouté un groupe anglophone, Cette analyse nous a permis de supérieur à 60 000 $ (3 n’ont pas † toutes problématiques confon- faire émerger une préoccupation 125 souhaité partager cette informa- dues (6). Les discussions ont porté qui s’est avérée cruciale pour les tion). Parmi eux, 28 aidants sont sur le sujet plus général et moins participants, à savoir leur propre d’origine canadienne-française, 3 intime des relations entre les vieillissement. d’origine canadienne anglaise et 8 aidants et les intervenants. Les d’origine ethnique autre. Leur participants ont été recrutés dans Résultats de la recherche niveau de scolarisation est assez les associations de proches ou par élevé puisque 20 d’entre eux ont la clientèle des services à domicile. « Vieillir, vraiment, c’est pas † un diplôme universitaire (contre Tous les entretiens des deux drôle ! (rire) » (Aidante) † † 10 qui ont un niveau de secon- études ont été enregistrés, trans- Les baby-boomers aidants daire terminé). Nous pouvons dis- crits et puis codifiés par l’entre- interrogés conçoivent le vieillisse- tinguer trois ensembles de mise du logiciel N’Vivo. ment comme quelque chose qui cohortes : ceux entre 56 et 60 ans † va leur arriver… mais plus tard. (15), ceux entre 51 et 56 ans (14) L’analyse du matériau s’est faite en fonction de deux grands Alors qu’un tiers des personnes et ceux entre 45 et 50 ans (10). Il y interrogées (13) voient leur vieil- en a 21 d’entre eux qui vivent en axes : le premier a consisté en une † analyse thématique ou inter-sujet, lissement comme quelque chose couple au moment de l’entrevue de relativement positif, les deux (marié ou conjoint de fait). Les le deuxième en une analyse de type monographique ou intra- tiers (26) perçoivent celui-ci vrai- personnes aidantes ont été recru- sujet. Sur le plan de la codifica- ment négativement, tout en l’envi- tées par une diversité de moyens. tion, nous avons employé une sageant comme un événement Nous avons fait appel aux groupes approche intermédiaire entre une lointain5. En effet, si pour les qua- communautaires et aux groupes démarche déductive, qui prévoit dragénaires, le terme « personne † d’entraide des personnes aidantes la codification avant la production âgée » évoque un individu dans la † afin de diffuser de l’information de données, en fonction d’un soixantaine avancée et plus, ceux sur l’étude et faire du recrute- modèle conceptuel (qui se doit qui sont âgés de cinquante ans et ment. Nous avons fait des affi- d’être très élaboré), et une plus se réfèrent aux personnes chages dans des milieux de travail, approche inductive (« ancrée dites du « grand âge », soit les plus † † des centres sportifs et de loisirs, † empiriquement ») qui crée les de 80 ans. Vieillir, c’est donc ce qui des buanderies et des dépanneurs, † codes à partir du matériel produit leur arrivera dans vingt ou trente etc., mis des annonces dans des (Glaser & Strauss, 1967). Nous ans, voire plus tard encore. Car journaux communautaires et avons rassemblé les extraits de pour les aidants baby-boomers, ce effectué des présentations dans verbatim des premières entrevues n’est pas tant le fait de gagner de des organismes communautaires. ou groupes de discussion et, par l’âge qui fait la personne vieillis- Pour les fins de la seconde une démarche progressive, avons sante que son état de santé, recherche, nous avons animé cinq attribué des codes proches des l’appauvrissement et le rétrécisse- groupes de discussion d’une durée segments de texte. Ces codes ment du réseau social. Plutôt de trois heures chacun. Nous étaient, en général, assez descrip- qu’une étape naturelle qui se pro-
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 126 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 62 malades. Les personnes évoquant familiale et ne doivent pas être la maladie insistaient sur la dispensés par des étrangers. Nos Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement crainte de finir leur vie avec une données montrent que pour ces incapacité cognitive de type aidants baby-boomers, au con- Alzheimer, qui leur ôterait leurs traire, se dévêtir devant leurs facultés décisionnelles (alors propres enfants serait plus gênant qu’un handicap physique, même que de le faire devant un profes- grave, semble bien moins les sionnel (ce qui dénote un tout effrayer) : Si j’ai une incapacité † autre rapport au système de santé, cognitive, que je deviens Alzheimer mais aussi à la famille). un jour […] je ne serai plus capable de vivre ! Vieillir avec des † Peu d’aidants cohabitent avec 126 pertes cognitives leur fait si peur l’aidé lorsqu’il s’agit d’un ou des qu’ils envisagent plutôt de mourir deux parents âgés (seulement 6 « jeune » (avant d’être malade) † † aidants sur les 26 qui prennent file lentement, devenir vieux est soin d’un parent âgé cohabitent que de vivre ce qu’ils perçoivent un événement brutal, qui survient avec l’aidé), et ce, de commun comme la déchéance ultime, qui dans la vie par l’entremise d’une accord de part et d’autre, préfé- reviendrait à la perte de leur per- maladie incapacitante et qui se rant faire des trajets parfois très sonnalité et de leur identité. Ne jouxte des effets collatéraux que longs (Montréal-Québec) plutôt plus être capable de prendre soin sont l’appauvrissement et la perte que de perdre leur liberté et leur de soi, de prendre ses propres du réseau social. Jadis considérée intimité. Nos entrevues révèlent décisions, bref, dépendre d’autrui, comme une étape normale de la que les femmes aidantes particu- va à l’encontre de la perception vie, le vieillissement est désormais lièrement, en ne cohabitant pas qu’ils ont d’eux-mêmes en tant perçu comme une pathologie, tant avec leur parent âgé, ont l’impres- qu’êtres maîtres de leur destin, par nos répondants que par la sion de ne pas se laisser enfermer comme en témoigne le propos sui- société plus largement. dans une identité d’aidante vant : Je veux mourir jeune parce † Événement redouté, la ques- que […] je me sens humiliée de comme ce fut le cas de leurs tion du vieillissement soulève devoir demander de l’aide, de voir mères, qui prenaient souvent chez ces aidants une série de que quelqu’un va me laver les l’aidé sous leur toit. Même si cela dénis. Certains répondants ont fesses. est parfois une source de conflit tout d’abord refusé de parler de de valeurs avec l’aidé, ce refus de Ce souci de l’autonomie par cohabitation symbolise pour ces leur vieillissement, se disant inca- rapport aux autres se retrouve aidantes du baby-boom la rup- pables de se projeter dans l’ave- dans un second type de déni. ture avec la notion de l’aide telle nir, prétextant que la situation Personne ne pense ni ne souhaite qu’elle a été vécue par la généra- d’aide, trop lourde, n’est vivable recevoir des soins de ses enfants tion précédente. qu’en étant vécue au jour le jour, ou de sa famille. En effet, tous ou encore en raison d’une philo- disent refuser que leurs enfants S’ils refusent d’être un fardeau sophie de vie, d’un éthos du carpe leur prodiguent des soins, surtout pour leurs enfants et envisagent diem hérité des années 1960. En médicaux et intimes (la toilette, parfois d’aller en structure rési- effet, rester jeune demeure le mot l’habillement etc.). Or bien sou- dentielle, les aidants baby-boo- d’ordre, comme le dit cette vent, les aidants donnent eux- mers refusent également les aidante : Je ne veux pas me voir † mêmes ces soins à leurs parents ou conditions d’hébergement que les vieille, là ! On veut toujours être † proches ayant une incapacité, personnes âgées connaissent jeune, mais on le sait qu’on va mais c’est parce que, selon eux, ces aujourd’hui. Perçus comme des vieillir nous autres aussi. derniers ont des valeurs plus fami- mouroirs déprimants, les centres D’autres affirment tout simple- lialistes. Ainsi, pour leurs parents, d’hébergement et de soins de ment qu’ils ne veulent pas vieillir, les soins intimes (médicaux ou de longue durée (CHSLD) contem- car ils refusent le fait d’être toilette) sont une responsabilité porains demeurent des endroits à
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 127 éviter. Le souhait de mourir avant sur le cours des politiques en solitude (qu’ils expérimentent d’avoir à vivre en résidence est revendiquant, collectivement, une déjà souvent en tant qu’aidant) et énoncé par plusieurs des per- amélioration dans la qualité des leurs valeurs d’autonomie et d’in- sonnes interviewées. services. dépendance qui les empêchent d’envisager des stratégies familia- Cette volonté est exprimée éga- Les baby-boomers aidants listes, perçues comme liées à la lement par ceux qui ont une vision dévoilent un portrait peu encou- dépendance. plus positive de la vieillesse. Tous, rageant de la vieillesse, en articu- sans exception, nous ont dit refu- lant autour de la maladie deux Conscients que ce vieillisse- ser de « se laisser faire », c’est-à- † † fléaux supplémentaires : la pau- † ment qu’ils veulent remettre à dire d’accepter, comme le font vreté et la solitude. aussi tard que possible finira bien leurs parents, les conditions de par advenir, certains aidants ne Ainsi, pour ces aidants, et ce placement actuelles. Ainsi, dési- cherchent pas moins à contrecar- 127 quel que soit leur niveau de rent-ils non seulement se faire rer ces trois aspects négatifs de la revenu, être vieux c’est aussi être entendre et être écoutés quant à la vieillesse en adoptant de saines pauvre ou à tout le moins vivre qualité de vie qu’ils souhaitent habitudes de vie. C’est qu’il faut une situation économique pré- avoir tout au long de leur vieillis- rester en santé. On consolide ainsi caire, éventuellement aggravée sement, mais également prendre le réseau social, tout en sécurisant par l’allongement de la vie. Mais en charge les conditions maté- son espace de vie autour d’un vieillir, cela veut aussi dire être rielles de celui-ci (même si, para- maître mot : autonomie. seul. Le rétrécissement du réseau † doxalement, la plupart ne veulent social des personnes âgées suivant En effet, nombreux sont ceux même pas en entendre parler). Ils le décès des amis et des autres qui thésaurisent la santé comme refusent donc, implicitement, de membres de la famille effraie les d’autres emmagasinent leur se laisser aller, de déléguer les aidants, tout comme le manque de épargne dans un régime enregis- conditions de leur vieillissement à ressources et d’écoute qu’ils tré d’épargne retraite (REER) : d’autres personnes, tout en ayant † remarquent en général envers les des attentes bien précises en Je le vois négatif […] mais en personnes âgées et qui les empê- matière de services que l’État pro- même temps je me mets sur pied en chent de nouer de nouveaux liens vidence devrait leur fournir. me disant « tu vas prendre soin de et de profiter de réseaux de soli- toi-même ! Tu vas faire de l’exer- Ils se perçoivent, en somme, darité. Le commentaire suivant, cice ! Tu vas bien manger pour que comme de futurs aînés inscrits qui contraste radicalement avec tu [puisses] bien vieillir ! » dans une logique de l’action visant l’illusion de cette indépendance à retarder ou à empêcher les désa- rêvée, illustre bien cette angoisse : † La santé est ainsi perçue comme gréments de la dépendance ; bref, une épargne destinée à l’avenir. À † Vieille ? C’est une hantise pour cet égard, la bonne alimentation et ils voient dans leur vieillesse le moi ! […] Je me demande : qui va reflet de leur jeunesse revendica- l’exercice sont considérés au pre- s’occuper de moi ? […] Quand ça tive et active. Ils pensent d’ailleurs va être le temps de vivre seule, et mier chef. Cela contribuera à pou- que le poids démographique des qu’il va m’arriver quelque chose, voir vivre chez soi, le plus baby-boomers sera un facteur de qui va le savoir ? Si je me sens longtemps possible, malgré les changement important et que les même disons, isolée, seule : […] où incapacités qui viendront se gref- est-ce que je vais prendre la perche fer en cours de route. Le loge- services publics sauront s’adapter pour avoir de l’aide ? ment, considéré à la fois comme en conséquence. De plus, ils ont confiance en leur capacité d’orga- Si l’isolement social leur fait extension de leur personne et nisation pour faire bouger les peur, ils déclarent cependant être comme principal investissement, choses. S’ils sont généralement rétifs à compter sur leur réseau est ainsi réaménagé en fonction d’avis que leur mobilisation a familial pour trouver de l’aide ou de leur futur vieillissement :† changé la société du temps de leur pour rompre leur isolement. Ils se Oui, j’ai acheté un condo. […] I jeunesse (Olazabal et al., 2009), ils retrouvent donc aux prises entre don’t need a house, and I want to croient pouvoir toujours influer une hantise grandissante de la live in one level, and I want an ele-
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 128 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 62 tard ». Ce ne sont donc plus des † sion à la fois symbolique et identi- solidarités verticales (ou intergéné- taire (Billette, 2008) découlant de Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement rationnelles) qui sont envisagées, la construction particulière de la mais des solidarités horizontales figure de l’aîné. L’exclusion sym- (entre pairs), fondées sur le mode bolique renvoie à l’ensemble de l’échange. La préférence pour d’images et de représentations les solidarités horizontales négatives utilisées pour décrire un découle de la remise en question groupe d’appartenance (ici les des rôles familiaux traditionnels personnes âgées). Quant à l’exclu- et des devoirs qui s’y rattachent. sion identitaire, elle cantonne Plutôt que de dépendance, cer- l’individu à son seul groupe d’ap- tains aidants semblent plutôt pro- partenance tout en niant les 128 mouvoir ce que nous appellerions autres aspects de son identité des formes de co-autonomie. (Billette, 2008). Il s’agit donc bien C’est ainsi que plusieurs indi- de la construction d’une image vator […] before I moved in […] I made a gigantic shower, so if I am quaient qu’ils souhaitent vieillir appauvrie (par rapport à la com- in a wheel chair or I need the assis- en groupe, certains envisageant plexité du réel) d’une classe d’âge ted chair, you know ! même fonder des petites commu- reposant sur des présupposés plu- nautés d’amis pour leurs vieux tôt que sur des faits empiriques. Alors que certains disent avoir jours, voire refonder des com- commencé à « songer » à déména- Ces multiples discours autour † † munes comme du temps de leur ger, d’autres affirment avoir déjà du vieillissement révèlent une jeunesse. Ils pensent que des pra- entamé des démarches pour amé- construction particulière de la tiques novatrices de vie en société nager un « chez-soi » adapté, tan- figure de « l’aîné ». Michel Foucault (maison multi-générationnelles, † † † † dis que d’autres encore se disent (2001) montre comment, à partir coopératives de personnes âgées, prêts à acquérir une plus petite d’une certaine époque (qu’il situe etc.) verront le jour sous la pres- maison ou un appartement qui autour du XVIIIe siècle), on com- sion politique et démographique leur permettrait de réaliser une mence à réguler les conduites à des baby-boomers, qui ne vou- plus-value. Si, par ailleurs, les rési- partir de dispositifs constitués dront aller ni en CHSLD, ni dans dences pour aînés sont mal vues autour de « figures repoussoirs », les résidences telles qu’on les † † (des endroits ennuyants, voire comme celle du fou ou du déviant connaît aujourd’hui. dangereux, où les personnes âgées sexuel, constituées elles-mêmes sont maltraitées), certains vou- Discussion par un ensemble de savoirs-pou- draient y emménager avant d’être voirs à la fois scientifiques, juri- contraints de le faire (« placés » † † Entre le refus du vieillissement… diques et sociaux. Ces figures de la par leurs enfants), pour pouvoir et une forme d’âgisme déviance sont autant de repous- « s’habituer » à y vivre, à en faire † † soirs qui invitent les individus à se un « chez-soi ». Une aidante allait † † L’âgisme (Butler, 1969) n’est surveiller eux-mêmes et à sur- ainsi déménager dans les mois sui- pas seulement un phénomène veiller les autres et qui amènent vant l’entrevue dans une rési- constitué d’un ensemble d’atti- donc in fine à une autorégulation dence où vivent déjà des collègues tudes discriminatoires envers des conduites qui n’est pas impo- de travail à la retraite et où elle certains groupes d’âge, mais sée par la force de la loi, mais inté- aura à la fois accès à des services intervient quand on assigne nor- riorisée, incorporée sous la forme et à une partie de son réseau mativement une identité à un de la norme sociale. L’individu social, sans que cela ne lui coûte ensemble social en raison de sa déviant est constitué dans cette trop cher. catégorie d’âge (Ventrell-Monsees, seule déviance et perd tout autre 2002). L’âgisme participe donc attribut identitaire. Ces pratiques Pour nombre d’aidants, il est aussi à la peur de vieillir, au fait de sont sous-tendues par un savoir important de pouvoir compter sur ne pas vouloir faire partie d’un scientifique qui construit des véri- ces amis afin de s’entraider « plus † groupe d’âge qui subit une exclu- tés (qui changent au fur et à
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 129 mesure que ce savoir évolue et Vieillesse et jeunesse sont donc ici (Duboys de Labarre, 2005 ; † que la morale politique sur directement liées à la santé (ce Lemoine-Darthois et Weissman, laquelle il se fonde se transforme). qu’une aidante dans la jeune cin- 2000), ne semblent pas pertinentes quantaine confirme en disant (ou du moins centrales) dans le cas La figure de l’aîné qui prend qu’elle a l’impression d’avoir tou- des aidants du baby-boom. Ici, le forme dans le discours des aidants jours eu 90 ans car elle a toujours régime n’est pas cette pratique baby-boomers (mais qui elle été malade). Être vieux, c’est donc dans laquelle Lash ou Baudrillard même n’est que l’écho de tout un « ralentir », être « moins perfor- † † † lisent une dimension narcissique savoir véhiculé par le monde mant » et surtout être « malade ». † † † des individus contemporains, mais médical, scientifique, politique, Cette vision pessimiste est pour- bien un rapport à soi, plus proche économique, etc.) se construit en tant de plus en plus contredite par de ce que Foucault appelle le opposant à ce qui est valorisé dans les faits, certaines études montrant « gouvernement de soi ». Signe du † † nos sociétés, soit aux règles de l’in- que l’espérance de vie sans inca- repli de l’individu sur soi-même 129 dividualité contemporaine (Otero, pacités augmente plus vite que pour Lash et d’aliénation chez 2003) qui s’articulent autour des l’espérance de vie. Ainsi vivons- Baudrillard (Duboys de Labbare, notions d’autonomie et de res- nous plus vieux et plus longtemps 2005), le régime alimentaire est ici ponsabilité (Martuccelli, 2005 ; † en bonne santé (Clément, Roland vécu, affirmé, en tant que « res-† Erhenberg, 1998), donc de pro- et Thoer-Fabre, 2005). ponsabilité » à la fois individuelle † ductivité et d’action. Ce faisant, la (je prends ma santé en main) et figure de l’aîné (construit comme Les modes de préparation au sociale (je ne coûterai pas cher au un être improductif, passif, dépen- vieillissement que nous avons système de santé). dant, malade, isolé) devient une dégagés tournent autour de la figure repoussoir, celle à laquelle notion d’autonomie et de respon- Ces « pratiques de soi » que sont † † on ne veut pas s’identifier, qui va sabilité et sont donc essentielle- l’exercice et le régime alimentaire, faire qu’on se surveille soi-même ment liés à l’individu lui-même, à s’articulent donc autour des pour ne pas vieillir, vieillir le son corps, à son espace physique notions d’autonomie et de respon- moins rapidement – ou le « moins † et à son espace émotionnel. La sabilité, où l’individu est non seu- mal » – possible. † question du régime de vie (qu’il lement responsable de lui (de ce s’agisse du régime alimentaire ou qu’il fait) mais aussi – et c’est plus Une tension permanente se de la pratique régulière d’exercice pervers – de ce qui lui arrive. retrouve dans le discours de ces physique) est particulièrement « Bien vieillir » devient alors une † † baby-boomers aidants, fluctuant éclairante à ce propos. responsabilité individuelle, que entre une dénonciation du « jeu- † Rowe et Kahn (1998) ont érigée nisme social » (sous tendu par une † Il s’agit bien de « pratiques de † en injonction normative, évacuant construction de la figure du jeune, soi » (dans le sens foucaldien du † du coup les facteurs sociologiques, et par extension du baby-boomer, terme), visant à s’émanciper des ce qui contribue à renforcer comme étant celle d’un être problèmes de l’âge, d’autant plus l’âgisme dans les sociétés contem- égoïste et individualiste ayant que ce ne sont pas des buts esthé- poraines. Autonomie et responsa- perdu le sens des valeurs collec- tiques qui sont poursuivis, mais bilité vont ainsi de pair, et tives) et un recours aux stéréo- simplement le fait de pouvoir demeurer autonome le plus long- types âgistes quand il s’agit de demeurer en santé le plus long- temps possible devient une parler du vieillissement. L’âgisme temps possible, soit de retarder ce démonstration de l’exercice plein joue donc dans les deux sens, mais que les répondants considèrent et entier de ses responsabilités les attributs de la jeunesse sont comme le vieillissement. L’esthé- tant individuelles que sociales. plus enviables que ceux de la tique du corps est ici bien moins vieillesse, en particulier celui de la importante que sa fonctionnalité. L’espace physique est, en l’oc- santé. Nous avons vu que ce qui se Ainsi les questions de séduction, currence, choisi en fonction de ce dégage du discours des aidants, souvent avancées par les personnes que l’on pense pouvoir assumer c’est que, tant qu’on est en santé, qui suivent un régime alimentaire ou non. On vend une maison dont on est jeune (i.e n’est pas vieux). en pratiquant de l’exercice on pense qu’on ne pourra s’occu-
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 130 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 62 voient à l’expérience d’aidant et, l’aidé. Dans le cas d’un enfant plus particulièrement, à un aspect malade, il arrive que l’un des Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers aidants face à leur vieillissement non négligeable de l’aide souvent parents doive cesser de travailler considéré comme second : ses † pour pouvoir s’en occuper à plein impacts financiers. Si les aidants temps, même à un âge adulte, ce du baby-boom associent pauvreté qui est exposé par nos répondants et vieillissement, c’est souvent à et dans les écrits (Guberman, cause de leur propre situation Maheu et Maillé, 1991, 1993). économique, qui se trouve forte- ment affectée par l’aide qu’ils Ainsi, cette inquiétude reflète apportent à leur proche. Ainsi, ce que nous trouvons ailleurs, même les aidants qui envisagent c’est-à-dire qu’à niveau de scolari- 130 sereinement le fait de vieillir asso- sation égal, les aidants baby-boo- cient vieillesse et pauvreté. Si on mers sont plus pauvres que les connaît bien l’impact financier personnes de la même génération per seul (ou assumer les coûts qui ne sont pas aidants, les coûts, d’entretien), pour aller vers un direct de l’aide6 (payer pour les soins, pour le confort de l’aidé, colossaux, de l’aide à un proche au milieu plus sécurisant dont on subvenir à ses besoins lorsqu’il ne Canada ayant été estimés par peut assumer « seul » la charge. Il Hogenbirk et al. (2005). Cet † † en va de même pour le combat peut le faire, etc.) ; moins connu † est l’impact indirect du nombre impact financier, bel et bien réel, contre l’isolement social des per- d’heures passées à prendre soin revêt également une dimension sonnes âgées, non plus perçu de l’aidé7, soit la prise de congés symbolique plus marquée chez les comme phénomène social, mais non rémunérés, le repli sur des baby-boomers que chez les géné- comme un problème relevant de emplois à mi-temps ou encore le rations précédentes, notamment l’individu qui se doit d’assurer la pérennité de son réseau social. refus de certaines promotions chez les femmes actives, fortement L’idée que les personnes âgées (Guberman, Maheu et Maillé, scolarisées de la classe moyenne soient coupables de leur isolement 1993). L’inquiétude ne tient alors ou supérieure. Ainsi, ces aidants – elles ne sont pas assez proactives – pas tant au fait de cesser une acti- de la classe moyenne voient dans (Grenier et Guberman, 2009) vité rémunérée à la retraite – que la vie des autres baby-boomers semble ici largement partagée par beaucoup ont mis entre paren- (amis, mais aussi frères et sœurs nos répondants. thèses à cause de la situation qui ne s’investissent pas dans d’aide – qu’à l’anticipation des l’aide) un miroir inversé de ce Or ce déni de la vieillesse et du répercussions à long terme de qu’ils n’auront jamais. Lors des vieillissement ne relève pas uni- l’impact financier de l’aide, entrevues, ils caricatureront ainsi quement de l’âgisme, mais aussi notamment sur les sommes épar- ceux-là qui bénéficient d’une de cette réalité voulant que l’on retraite dorée, occupés à voyager gnées pour leurs vieux jours. Si la devienne de plus en plus pauvre et à jouer au golf. Pour les plus situation d’aide dure trop long- au fur et à mesure que l’on avance démunis, ils ne projettent qu’une temps et que les économies de en âge, et à plus forte raison lors- vie marquée par la précarité. l’aidé tarissent, dans le cas d’un qu’on a une longue expérience Malgré cela, être autonome finan- parent âgé par exemple, on se dit d’aide à un proche. qu’on espère qu’il « partira » avant † † cièrement représente pour les que cela ne devienne trop oné- participantes (essentiellement) Le refus du vieillissement : reux. Dans le cas d’un conjoint une avancée par rapport à la situa- les implications financières de malade, on s’inquiètera de ce qu’il tion de leurs mères. Certaines l’expérience d’aidant va rester au survivant du couple, aidantes nous ont en effet confié Cette vision pessimiste de la puisque leurs économies, notam- que l’indépendance financière est vieillesse et la manière de prépa- ment leurs REER, auront été for- garante d’une indépendance émo- rer (ou, plutôt, de retarder le plus tement ponctionnées pour offrir tionnelle impensable pour leurs possible) le vieillissement ren- une qualité de vie convenable à mères.
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 131 Par ailleurs, ces aidants ne veu- ayant une vision positive du des choses, pour ceux qui se per- lent pas demander d’aide à leurs vieillissement participent de l’éla- çoivent comme ayant construit enfants (encore moins pécuniaire, boration de la figure de l’aîné, la et soutenu le système social qué- sujet d’ailleurs qui n’est jamais polarisant entre les figures du bécois depuis la Révolution abordé), bien qu’ils aident eux- « bien vieillir » et du « mal vieillir ». † † † † tranquille. mêmes souvent financièrement Cette polarisation renvoie aux Laure BLEIN leurs proches. Pour finir, la perte mêmes normes centrées sur la res- Coordonatrice de l’équipe Ageing financière engendrée par l’aide ponsabilité et la prise en charge de in place inquiète les aidants qui estiment soi. Suivant cette typologie, le Centre de recherche et d’exper- ne pas pouvoir se payer des ser- « mauvais aîné » serait celui qui se † † tise de gérontologie sociale vices privés et qui pensent que le « laisse aller », qui est « passif », et † † † † (CREGÉS) système aura du mal à accéder à c’est de cette passivité dont leurs demandes. Souvent appau- découleraient tous ses maux (de la Jean-Pierre LAVOIE 131 vris par la situation d’aide, beau- santé qu’il a négligée et de la soli- Centre de recherche et d’exper- coup s’inquiètent de l’éventuelle tude dont il n’a su se sortir seul). tise de gérontologie sociale privatisation des services de main- Le « bon aîné », c’est celui qui † † (CREGÉS) tien à domicile qu’ils n’auront pas organise lui-même ses actions, est les moyens de se payer. Cette actif dans la prise en charge de sa Nancy GUBERMAN crainte de manquer d’argent pour santé, autonome dans ses déci- Professeure associée, École de « plus tard quand ils seront vieux » † † sions et participe activement à la service social, Université McGill est amplifiée par leurs relations vie sociale. Son activité est donc Centre de recherche et d’exper- actuelles avec un système de santé gage à la fois de la préservation tise de gérontologie sociale qu’ils estiment « en perdition ». † † d’une bonne santé et de son bien- (CREGÉS) Les aidants baby-boomers se bat- être. La réponse au mal ou au bien Ignace OLAZABAL tent en effet pour pouvoir trouver vieillir se trouverait donc dans Centre de recherche et d’exper- un hébergement de qualité à leur l’individu lui-même et non pas tise de gérontologie sociale proche, ou avoir des heures de dans les conditions sociales du (CREGÉS) soins, ou de répit. Aux prises avec vieillissement. les limites du système, ils sont en De ce fait, la « figure repous- mode conflictuel avec les ser- † soir » de l’aîné engendre des pra- vices (Guberman et al., 2009 ; † † tiques de soi visant à contrer les Notes Lavoie et al., 2009). Mais si leur traces du vieillissement, dont le peur de vieillir est évidemment thème central demeure l’autono- 1 Ce faisant, nous oublions que ce sont liée à leur expérience du sys- mie. À travers les discours des les dernières années de vie qui sont tème, ils n’envisagent toutefois les plus coûteuses (Zweifel, Felder et baby-boomers aidants, se dessine pas de palier les manques du sys- Meiers, 1999), et que par là même le le portrait de futurs aînés qui refu- tème en retournant à des straté- coût des soins d’une personne en fin seront d’être des aidés, bien qu’ils gies familialistes : ils comptent † de vie reste le même quelque soit son aient été aidants eux-mêmes. Cela âge (Le Pen C, 2006). sur eux, leurs amis et sur le sys- risque de poser des problèmes aux tème de santé publique lorsqu’ils 2 Au Canada, en 2007, 2,7 millions de services de santé, encore trop en auront besoin. Canadiens de la génération du baby- habitués à compter sur les boom prenaient soin d’un proche Conclusion familles, tout en posant de nou- (soit 670 000 aidants de cette tranche veaux défis pour la société québé- d’âge de plus depuis 2002), ce qui La conception que les baby- coise puisque ces aidants, représente 19 % des hommes et 22 % † † boomers qui prennent soin d’un appauvris par l’aide, attendent des femmes de cette tranche d’âge (Cranswick et Dosman, 2009). Ce proche se font de la vieillesse que la société (i.e. les services de chiffre est en augmentation cons- relève d’une éthique de soi fondée santé publique) les soutiennent tante. La proportion d’aidantes des sur la responsabilité et l’autono- dans leur autonomie le plus long- générations du baby-boom donnant mie. Ainsi, même les personnes temps possible. Un juste retour des soins à une personne de 65 ans et
LSP 62-23 15/01/10 10:11 Page 132 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 62 rent avoir fait des dépenses supplé- DUFOUR, Stéphane, Dominique FOR- mentaires (au Québec, 38 %) source † TIN et Jacques HAMEL. 1993. Vieilliront-ils un jour ? Les baby-boomers Statistique Canada, Enquête sociale « Sociologie d’un conflit de généra- † aidants face à leur vieillissement générale 2002, cycle 16 : Vieillis- † tions : les “babyboomers” et les † sement et soutien social – tableaux. “babybusters” ». Revue internationale † Cela ne tient compte ni des parents d’études canadiennes (hors série, aidants, ni des conjoints aidants. hiver). 7 En 2002, au Canada, il était en DUGAS, Michel. 2009. « Le patient âgé † moyenne de 29 heures par mois pour en délirium, regard pratique ». Le † les femmes et de 16 pour les hommes médecin du Québec. 44, 1 : 59-64. † (Ressources humaines et développe- ment social Canada (consultation le DUMONT, Fernand. 1986. « Âges, géné- † 22 avril 2009) : http://www.hrsdc.gc. † rations, société de la jeunesse », dans † ca/fra/sm/comm/ds/aidants_naturels.s Fernand DUMONT (dir.). Une 132 html) société des jeunes ? Québec, Institut † québécois de recherche sur la cul- ture : 15-28. † plus est de 37 % pour les soins per- † sonnels et de 25 % pour les soins † ENNUYER, Bernard. 1999. « L’objet † médicaux (Statistique Canada, recen- personne âgée », dans Bernadette † sement 2006). Références bibliographiques VESSEY-PUIJALON (dir.). Être vieux de la négation à l’échange, 3 Suivant la règle habituelle en fran- Autrement, série mutation, 1999, BUTLER, Robert N. 1969. « Age-Ism : † † çais, nous utiliserons le masculin lors 124 :14-28. Another Form of Bigotry ». The † † de la présentation des résultats même Gerontologist, 9, 4 : 243–246. † si la plupart des personnes qui agis- ERHENBERG, Alain. 1998. La fatigue sent comme proches aidants sont des BILLETTE, Véronique. 2008. D’une d’être soi – dépression et société. Paris, femmes et que nous avons interviewé société exclusive à une société inclu- Odile Jacob. beaucoup plus de femmes que sive et plurielle : Nouvelles perspec- † d’hommes (31 contre 8). Toutefois, tives de solidarités en gérontologie FAIRCLOTH, Christopher (dir.). (2003). nous utiliserons le féminin lorsque sociale. Cadre théorique de l’équipe Aging Bodies : Meanings and Pers- † certaines observations s’appliquent « exclusion et solidarité », Nancy † † pectives. Walnut Creek, Alta Mira essentiellement aux femmes que GUBERMAN et Jean Pierre LA- Press. nous avons interviewées. VOIE (dir.). Montréal, CREGÉS. FOUCAULT, Michel. 1972. Histoire de 4 Les proches aidants du baby-boom et CRANSWICK, Kelly et Donna DOS- la folie à l’âge classique. Paris, Galli- leur interface avec les professionnels : † MAN. 2009. Soins aux aînés : le point † mard. conflit ou coopération ?, (Guberman, † sur nos connaissances actuelles. Sta- GHIGLIONE, Rodolphe et Benjamin N., Lavoie, J.-P., Olazabal, I. et A. tistique Canada, http://www.statcan. MATALON. 1998. Les enquêtes socio- Grenier) subvention ordinaire de gc.ca/pub/11-008-x/2008002/article/ logiques, théorie et pratique. Paris, recherche, Conseil de recherche en 10689-fra.htm, page consultée le 9 Armand Colin. sciences humaines du Canada août 2009. (CRSH), 2005-2008 ; Les baby-boo- † GRENIER, Amanda et Nancy GU- mers comme personnes aidantes. Une CLÉMENT, Serge, Christine ROLAND, BERMAN. 2009. « Creating and sus- † nouvelle réalité, un nouveau défi pour Christine THOER-FABRE. 2005. taining disadvantage : the relevance † le système de santé, (Guberman, N., Usages, normes, autonomie : analyse † of a social exclusion framework », † Lavoie, J.-P., Olazabal, I. et A. critique de la bibliographie concer- Health & Social Care in the Com- Grenier) subvention ordinaire de nant le vieillissement de la population. munity, 17, 2 : 116–124. † recherche, Instituts de recherche en Université Toulouse le Mirail et santé du Canada (IRSC), 2005-2008. CIRUS-CIEU UMR 5193 CNRS. GUBERMAN, Nancy, Pierre MAHEU Toulouse, France. et Chantal MAILLÉ. 1993. Travail et 5 Dans les groupes de discussion, le soins aux proches dépendants, vieillissement est systématiquement DUBOYS DE LABARRE, Matthieu. Montréal, Les éditions du remue- perçu comme un phénomène négatif, 2005. « Souci diététique et individua- † ménage. ce qui serait peut-être dû à l’effet de lisme contemporain : narcissisme, † groupe. pouvoir et subjectivité ». Actes du † GUBERMAN, Nancy, Pierre MAHEU XVIIe congrès de l’AISLF. CR 17 et Chantal MAILLÉ. 1991. Et si 6 Au Canada, 35 % des aidants baby- † « Sociologie et anthropologie de l’ali- † l’amour ne suffisait pas ? : Femmes, † † boomers de personnes âgées décla- mentation ». Tours, juillet 2004. † familles et adultes dépendants, Les
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