Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier

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Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
Les origines du logement social à Rennes
          ou le temps des habitations à bon marché
                                  par Benjamin Sabatier

                                                          
Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
Les origines du logement social à Rennes
      ou le temps des habitations à bon marché

                                                    JUILLET 2006

                                                          Histoire de Rennes Dossier

    Les origines du logement social à Rennes
                                      ou le temps des habitations à bon marché
                                                                           par Benjamin Sabatier

                                                      Les prémices d’une politique
                                                      du logement social .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 3

                                                      De l’initiative privée
                                                      à l’intervention publique.  .  .  .  .  .  .  . 4

                                                      La création des Offices
                                                      publics d’HBM. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 6

                                                      Le temps des réalisations : une
                                                      laborieuse mise en œuvre .  .  .  .  .  .  . 6

                                                      Une loi pour relancer le logement :
                                                      la loi Loucheur .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 10

                                                      Deux collaborations : « Les maisons
                                                      des Étudiant(e)s » .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 14

                                                      La fin des HBM .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 16


Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
L
      iée aux débuts de la révolution industrielle, la politique française relative au logement
      social est timide au regard de ses voisins européens ; cependant, plusieurs lois
      favorisent la création d’habitations destinées aux ouvriers en France1 et à Rennes.
Quelles sont ces initiatives prises par les pouvoirs publics afin d’aider au développement
de ce type de construction ? Quelles sont les implications au niveau local ? Une première
phase qui comprend deux lois : celle du 13 avril 1850 pour l’assainissement des habitations
insalubres, pas ou peu appliquée, et celle de 1894, qui offre un cadre à la construction de
logements sociaux par l’initiative privée. Puis, une deuxième phase marquée par la loi du
23 décembre 1912, dite loi Bonnevay, qui met en place l’intervention publique. Enfin, la loi
du 13 avril 1928, plus connue sous le nom de loi Loucheur, donne une nouvelle impulsion
à la construction de logements dits HBM2. Ainsi, à Rennes, des cités sont construites par
les offices publics d’HBM, alors qu’en parallèle des sociétés coopératives continuent à
aider au financement de nouvelles habitations.

Une circulaire du 10 avril 1907 donne une définition du logement social3 : ce sont des
habitats que l’on attribue à des familles sans grands revenus, des ouvriers et des employés,
des familles nombreuses ou des invalides. Trois critères peuvent caractériser les HBM : elles
sont destinées à des personnes peu fortunées, leur valeur locative ne peut dépasser le
maxima fixé par la loi et elles doivent être salubres. Le développement des HBM est un
phénomène d’abord urbain4, lié à la hausse de la population des villes5, mais aussi en
réaction au développement du « taudis ». C’est dans ce contexte que les premières lois sur
les logements insalubres sont mises en place.

Les prémices d’une politique du logement social
La première est promulguée le 13 avril 1850 sur l’initiative d’Armand de Melun, député
d’Ille-et-Vilaine6. Elle prévoit la création de commissions d’assainissement et donne la
possibilité aux municipalités de mettre fin au taudis par la démolition des immeubles
insalubres. Elle n’est malheureusement que peu appliquée. En 1854, une enquête
nationale est menée dans les départements français sur les conditions de vie des ouvriers.
La situation n’est pas bonne : le rapport d’enquête de la Commission cantonale d’hygiène
sur les « habitations d’ouvriers et indigents, corps de logis des fermes » indique ainsi à
Fougères qu’« en général les habitations d’ouvriers sont très défectueuses. Dans la ville et
particulièrement dans les rues de Vitré, de Marchix, des Fontaines, d’Antrain et de Sévigné.
Elles sont le plus souvent au-dessous du sol, manquent d’ouvertures, sont étroites et
basses d’étage, l’air y est humide, s’y renouvelle difficilement et son volume insuffisant
par rapport au nombre d’habitants. L’ordre et la propreté y laissent à désirer ; la literie très
défectueuse se compose d’une paillasse et d’une calière trop rarement renouvelées »7.
La situation rennaise est sensiblement la même, on pense alors aux quartiers de la rue de
Saint-Malo ou de la rue de Brest dont certaines maisons sont encore debout au milieu des
années 1960.

Auparavant, le docteur Toulmouche, professeur à l’École préparatoire de médecine et de
pharmacie de Rennes, donne des indications sur le taux de mortalité de la ville, lequel est
très important dans les quartiers ouvriers. Il décrit ainsi les logements ouvriers au début
du XIXe siècle : « Les escaliers sont la plupart du temps nullement ou insuffisamment
éclairés ; dégradés, rarement nettoyés malgré que les marches recouvertes d’une boue
tenace, grasse, à moitié desséchée, y forment une croûte. Les étages sont bas, divisés en
chambres avec ou sans cabinet, dans lesquelles se loge toute une famille. Il n’y a pour
ouvertures qu’une fenêtre et la porte. Une vaste cheminée enfume cet intérieur. Les étages

                                                                                                   
Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
Les origines du logement social à Rennes
    ou le temps des habitations à bon marché

                          supérieurs sont encore plus misérables (…) en sorte que les malheureux qui les habitent
                          sont réduits à réchauffer leurs membres engourdis par le froid avec quelques portions de
                          fagots ou de charbon allumés dans une terrine. (…) Le plus souvent, il existe des latrines
                          communes, ouvertes, sans lunette, construites dans un angle, sans aucunes fermetures, en
                          sorte que leurs entrées sont encombrées d’immondices dont il s’exhale des gaz irritants et
                          une odeur insupportable »8. Il faut attendre 1881 pour qu’une commission des logements
                          insalubres voie le jour dans la ville de Rennes sous l’initiative du maire Edgar Le Bastard9.
                          Cette commission a cependant des pouvoirs limités10. La propriété est un droit sacré
                          auquel il est difficile de s’attaquer.

                          En France,les idées issues du socialisme utopique et de Fourier se concrétisent dans quelques
                          réalisations remarquables comme le Familistère de Guise de Jean-Baptiste Godin, édifié à
                          partir de 1858. Des logements ouvriers sont également construits rue Rochechouart à Paris
                          par Napoléon III en 1863. Des pavillons sont établis par le chocolatier Meunier à Noisiel en
                          1874, d’autres par Schneider au Creusot ou par la Fondation Rothschild à Paris. Ce sont
                          là des exceptions au XIXe siècle dans le paysage français. L’initiative vient exclusivement
                          des patrons11. Le Bastard, maire de Rennes et propriétaire d’une tannerie, construit vers
                          1890, « près de son usine située au canal Saint-Martin un ensemble d’habitations d’une
                          pièce disposées en U autour d’un petit puits destinées à loger gratuitement les ouvriers
                          de l’entreprise »12. Mais, durant cette seconde moitié du XIXe siècle, les réalisations
                          demeurent encore rares et ne sortent pas de l’initiative individuelle. Il faut attendre une
                          nouvelle loi qui va donner un cadre à la création de sociétés d’HBM.

                          De l’initiative privée à l’intervention publique.
                          Ainsi, au début du XXe siècle, la loi Siegfried du 30 novembre 1894 fixe un cadre juridique
                          aux sociétés d’HBM. Elle confère des prêts à taux réduits auprès de la Caisse des dépôts
                          et consignations, permet une exonération des impôts directs, donne une assurance à la
                          veuve en cas de décès du père de famille ainsi que des aides pour les sociétés prêteuses.
                          Mais elle est aussi connue pour instaurer, sur la base du volontariat, des comités de
                          patronage dans les départements. Deux comités sont créés en Ille-et-Vilaine en 1896 (un
                          à Fougères et un à Rennes13). Ils délivrent des certificats de salubrité après une visite des
                          maisons des propriétaires qui demandent une subvention au titre des HBM. Il arrive que
                          des certificats ne soient pas attribués à cause de la non-conformité des logements visités.
                          Ainsi, la maison Bénis, visitée en 1908 par le comité, se voit refuser le certificat : « La maison
                          Bénis se compose de quatre pièces louées isolément à raison d’une par ménage. Il semble
                          à la commission que pour pouvoir être considéré comme salubre, un logement devrait
                          être composé d’au moins deux pièces. (…) Le Comité, considérant qu’on ne peut regarder
                          comme salubre un logement d’une seule pièce, refuse le certificat à la maison Bénis »14. Le
                          comité considère que la pièce unique pour une famille n’est pas conforme. Elle correspond
                          en effet davantage aux taudis décrits par le docteur Toulmouche dans lesquels vivent de
                          nombreux ouvriers.

                          Par la suite, la loi Strauss, promulguée le 12 avril 1906, oblige la création d’au moins un
                          comité par département. Le comité local de Rennes, qui fusionne avec celui de Fougères
                          en 1898, prend alors le nom de « comité départemental de patronage des HBM » ; son
                          président est l’ingénieur en chef du département, Corbeaux, et le vice-président, Janvier15,
                          président du syndicat des entrepreneurs. Il y a aussi Pinault, le maire de Rennes, Le Hérissé,
                          député, et Ballé16, architecte des bâtiments de l’État. En 1901, Janvier fournit un rapport


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sur les HBM dans lequel il explique sa préférence pour les maisons individuelles aux cités
ouvrières collectives17. Il est donc très tôt engagé sur la question, une initiative qu’il va
réitérer par la suite en tant que maire. Il faut cependant constater que l’action n’a pas
dépassé le cadre de l’initiative privée et celle des comités est toujours limitée. On trouve
encore en France quarante départements sans comités de patronage à la veille de la
Grande Guerre. De même, l’action n’est pas égale dans tout le département et comme le
constate le comité en 1910 : « Il est notamment très frappant que dans une ville comme
Fougères, centre industriel important, le problème du logement ouvrier ait jusqu’à présent
fort peu attiré l’attention. »18

À Rennes, le conseil municipal, dans sa séance du 24 mars 1908 sous la présidence de
Pinault, décide l’exemption de l’impôt foncier et de celui des portes et fenêtres19 pour les
HBM. Le 10 avril, la loi Ribot institue les SACI20. La Caisse d’épargne de Rennes va ainsi créer
la SACI d’Ille-et-Vilaine en 1913 qui offre des prêts avantageux21, mais elle ne se charge ni
de la construction, ni de la gestion des HBM.

En parallèle, deux sociétés coopératives sont créées à Rennes. La première, la Ruche
ouvrière, est fondée en 190222. Elle commence par bâtir des maisons individuelles dans
des lotissements aménagés. Ainsi, en 1905, une cité HBM, est construite par Charles Rallé
allée André-Chesnier23. C’est un des premiers exemples connus de la Ruche encore visible.
Par la suite, Ma Maison24 est constituée en 1910 par Périnet25, Morcrette et Boley lors de
réunions au café de la Poste. Suite à ces réunions préliminaires, le 29 mai 1910, cinquante
personnes se réunissent dans la salle du présidial à la mairie de Rennes, et enfin, le 10
août 1910, un décret annonce la création de la société. Périnet, Daboval et Boley, membres
de Ma Maison, vont également participer au comité de patronage. La société ne vend
pas, mais loue avec une promesse d’attribution et c’est le sociétaire qui décide avec
l’architecte des plans et du prix de la construction. Dès 1912, Périnet envoie des lettres aux
principaux industriels rennais comme Oberthür et Zwingelstein afin de les sensibiliser à sa
société coopérative26. C’est aussi la volonté de la Ruche créée dix ans plus tôt qui explique
ainsi qu’« une des habitudes qu’il est le plus urgent d’inculquer aux personnes de la classe
aisée, serait précisément de faire dans la gestion de leur fortune une part aux placements
“sociaux” »27. Au début de l’année 1913, Périnet démissionne de Ma Maison, Oscar Leroux le
remplace à la présidence en tant qu’« administrateur de talent et mutualiste convaincu »28
selon les propos d’un des fondateurs.

C’est le temps des initiatives individuelles : des logements sociaux sont construits par la
fondation Marçais-Martin près de Pontchaillou avant 1914 par Le Ray. Ils sont détruits lors
des bombardements de la Seconde Guerre mondiale29. En 1912, un autre projet de Ma
Maison prévoit une cité jardin dans le quartier des Mottais entre le faubourg de Fougères, le
boulevard de Metz et le boulevard Sévigné. C’est Georges Nitsch qui est chargé de dresser
les plans, mais le projet est ajourné faute de subventions30. Des HBM sont néanmoins
créées dans ce quartier par plusieurs architectes comme Lecointre, Ballé ou Nitsch. Ce sont
toujours des initiatives ponctuelles et des logements individuels.

La loi du 23 novembre 1912, dite loi Bonnevay, marque une étape importante car elle
institue les offices publics à organisation tripartite. Les pouvoirs publics entrent en scène.
Les communes sont alors autorisées à faciliter la réalisation d’HBM même à but locatif, en
confiant la construction à des offices publics.

                                                                                                   
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Les origines du logement social à Rennes
    ou le temps des habitations à bon marché

                          La création des Offices publics d’HBM.
                          Ainsi, à partir de 1913, vont être créées des Offices publics d’Habitations à bon marché31
                          au sein des municipalités. C’est ce que décide la ville de Dinard dès 1915, mais son office
                          ne se réunit pour la première fois qu’en 1921. Dans une délibération du 19 septembre
                          191932, la ville de Rennes décide de mettre en place un office public, constitué le 24 avril
                          1920. L’office se compose de six membres du conseil municipal, six membres nommés par
                          le préfet et enfin six autres par des institutions des HBM et de prévoyance sociale33. Dès sa
                          création, Wilfrid Guillaume34 est président.

                          Ainsi, la création de l’Office de la Ville de Rennes est une initiative de la municipalité
                          Janvier, lequel explique ses motivations : il veut louer à bas prix des logements collectifs
                          et non favoriser l’accession à la propriété ni donner des logements gratuits. Janvier sent
                          ici l’importance de l’action municipale : « Je m’empressai donc, dans mes voyages à Paris,
                          d’aller prendre au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale tous les renseignements
                          nécessaires pour organiser dans notre ville une œuvre qui réponde aux besoins pressants
                          de l’heure actuelle (…) »35. Pour le maire, les sociétés existantes n’ont qu’un moyen d’action
                          limité et seule une institution publique et non une société privée peut, par le moyen des
                          offices, favoriser la construction de logements ouvriers. Afin de marquer l’implication de
                          la ville, le conseil municipal dote l’office d’une subvention de 150 000 francs payable en
                          dix annuités36.
                          Une circulaire ministérielle de septembre 1918 relative aux habitations à bon marché
                          explique ceci : « Le devoir social de combattre avec la dernière énergie la tuberculose
                          et l’alcoolisme, de régénérer au moyen du logement une race affaiblie par les pertes
                          sanglantes qu’elle aura subies et les privations dues à la cherté de la vie, s’imposera
                          avec un caractère d’urgence qui ne souffrira aucun atermoiement »37. L’alcoolisme doit
                          être combattu. Bahon, conseiller municipal, indique ainsi que « plus que jamais la lutte
                          au taudis devient nécessaire ; plus que jamais il est difficile aux familles nombreuses de
                          trouver un asile sain et simplement convenable. J’ajoute que l’établissement légal de la
                          journée de 8 heures rend indispensable l’attrait d’un logis riant. L’ouvrier, qui aura plus de
                          loisirs, a besoin d’un intérieur agréable qui l’invite à rentrer chez lui ; c’est autant de pris
                          au cabaret »38.

                          C’est aussi grâce à la loi Bonnevay que l’Office départemental des HBM, présidé par
                          Lefas39, est institué par décret du 12 mai 1921 sur la demande du conseil général, qui
                          explique que « l’Office peut acquérir des terrains, pour les revendre après les avoir lotis en
                          parcelles et aménagés, sans aucun bénéfice, en terrain à construire ou en jardins »40. Dans
                          une lettre adressée au maire en 1921, le président explique que « rentrent dans la mission
                          de cet office : l’aménagement, la construction et la gestion de maisons salubres régies
                          par la loi du 12 avril 1906 ; l’assainissement de maisons existantes ; la création de cités
                          jardins et celle de jardins ouvriers »41. L’Office entre en activité rapidement42 bien que la
                          conjoncture ne soit pas toujours favorable.

                          Le temps des réalisations : une laborieuse mise en
                          œuvre
                          Le 1er mai 1927 est organisé un congrès des organismes d’HBM de la région nord-ouest
                          où des architectes comme Ballé et Nitsch sont présents43. Ils proposent alors de limiter à


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Plan d’une maison monolithe système
Périgault, Arch. dép. Ille-et-Vilaine,
3 X 12 HBM

trois ou quatre les types de plans afin d’abaisser les coûts de la construction. Cette baisse
peut être effectuée par l’emploi de certains matériaux économiques44 et par l’utilisation
des ressources locales pour leur proximité. Nitsch propose également la construction d’un
cellier au lieu d’une cave. Le principe sériel permet aux artisans de produire toute l’année,
mais tout le monde ne partage pas cette idée de standardisation qui implique une certaine
uniformité de l’habitat. Cependant, pour Nitsch, il y aura toujours des différences car les
chantiers seront confiés à des entrepreneurs locaux et non à des sociétés de construction.
Cette intervention se révèle en partie exacte car de nombreux entrepreneurs locaux
proposent des constructions à bas prix ainsi que des sociétés de construction comme la
société industrielle de travaux ou la Société de constructions économiques.

Ils offrent en effet des plans-types de maisons construites à partir d’éléments standardisés.
Ainsi, l’entrepreneur Périgault propose une maison monolithe en ciment aggloméré pour
les adhérents de la société de Crédit immobilier d’Ille-et-Vilaine. La société envoie ainsi
au comité de patronage un plan type et un devis type pour accélérer les procédures afin
d’obtenir le certificat de salubrité. La maison se présente en rez-de-chaussée surélevé
de deux pièces sur caves et grenier. La construction, couverte en tuile mécanique, est en
« béton de caillou et gravillon » pour le soubassement et en béton armé système Périgault
pour l’élévation45.

                                                                                                
Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
Les origines du logement social à Rennes
    ou le temps des habitations à bon marché

                          Tomine, entrepreneur spécialisé en menuiserie, propose quant à lui, dès le début des
                          années 1920, plusieurs types de maisons en bois avec variantes de deux ou trois pièces
                          avec ou sans caves46. Mais, le bois n’est pas considéré comme un matériau durable (loi
                          du 5 décembre 1922, art. 3). En 1924, Tomine élabore un nouveau système à double-
                          paroi de plâtre et bois avec des fondations en béton, mais cette solution est à nouveau
                          refusée. Cette dernière va faire couler beaucoup d’encre. En effet, le comité de patronage
                          semble voir d’un mauvais œil la construction de telles maisons et il ne semble pas prêt à
                          accorder le certificat de salubrité indispensable à l’obtention des subventions bien que la
                          municipalité semble tolérer ce type de construction. Cependant, dans une lettre du 6 mai
                          1924, le ministre du Travail et de la Prévoyance sociale écrit que « le Comité permanent du
                          Conseil supérieur des habitations à bon marché a estimé que le bénéfice de la législation
                          sur les habitations à bon marché ne pouvait être accordé à des constructions en bois, dont
                          la salubrité est insuffisante et qui seraient mal défendues contre l’incendie »47.

                          Cette volonté d’abaisser les coûts de la construction par la standardisation revient sans
                          cesse et il semble alors que des abus ont lieu comme l’indique le comité de patronage en
                          192648. L’abbé Trochu fait alors plusieurs reproches à Leroux, président de la société Ma
                          Maison. Il va en effet l’accuser dans son journal Ouest-Éclair de fraudes multiples au sein
                          de la Société comme de faire des maisons jumelles en hauteur, de dépasser les maxima
                          des loyers et de profiter pour lui-même des prêts avantageux que permet la Société.
                          L’affaire est grave et portée devant les tribunaux. Leroux en sort blanchi et Trochu doit
                          s’excuser et verser une amende. Cette affaire montre toutes les difficultés des sociétés et
                          des offices de rester dans les prix fixés par la loi. Ainsi, Périnet, ancien président fondateur
                          de Ma Maison, mécontent de ne pas récupérer sa police d’assurance, lâche dès 1913 sur un
                          ton comminatoire qu’« il y a encore des juges même à Rennes, il y a aussi des contrôleurs
                          des contributions auxquels il serait possible de signaler que sur les 7 maisons construites
                          par la Société, au moins deux excèdent d’un dixième les limites de la valeur assignées par
                          la loi »49.
                          Ces maisons sont construites au sein de lotissements, souvent défectueux, au début des
                          années 1920. Il faut attendre 1925 pour qu’une loi vienne donner un cadre à l’aménagement
                          des lotissements afin de délivrer des parcelles en bon état aux futurs propriétaires pour
                          lesquels les sociétés coopératives tentent de proposer des maisons à des prix très réduits.
                          L’Office de la ville de Rennes, quant à lui, veut louer à bas prix ses logements.

                          Dès 1922, un projet de construction est lancé par l’Office municipal. Wilfrid Guillaume
                          entreprend rapidement toutes les démarches et décide d’organiser un concours
                          remporté par Hyacinthe Perrin, architecte rennais. Pendant ce temps, un terrain, situé rue
                          de Nantes, proche de l’arsenal et de la gare, est en cours d’acquisition. Le quartier s’équipe
                          pour accueillir la population ouvrière. Ainsi, une crèche est projetée à proximité dans les
                          terrains de Villeneuve et une école primaire est édifiée sur la rue de Nantes50. Le plan de
                          Perrin suit la configuration actuelle en trois îlots, avec deux rues nouvelles formant un T, la
                          rue Charles Bougot et la rue de la Paix. Guillaume explique qu’il a des promesses de vente
                          de terrains faubourg de Nantes et rue Ange Blaise et que « le projet définitivement arrêté
                          ensuite par le conseil d’administration de l’Office, dans sa séance d’aujourd’hui 4 mai,
                          prévoit 146 logements avec 480 pièces. Le conseil s’est préoccupé de construire le plus
                          possible d’habitations destinées à des familles nombreuses et il a adopté, de préférence, le
                          type des maisons individuelles avec petits jardins : 66 maisons individuelles seront édifiées
                          contre 4 maisons collectives »51. Le parti de ce premier projet est donc un compromis
                          entre maisons individuelles et immeubles collectifs. Le devis est fixé à 2 900 000 F. Une


Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
Plan de maison en bois de Tomine, 2e variante
     du type A, Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 X 13 HBM

Plan de maison en bois de Tomine, variante du type B,
               Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 X 13 HBM

                                                         
Les origines du logement social à Rennes - ou le temps des habitations à bon marché par Benjamin Sabatier
Les origines du logement social à Rennes
              ou le temps des habitations à bon marché

Le Foyer rennais                                                        Le Foyer rennais
Vue de la rue la Paix                                                   Vue des passages voutés depuis les jardins

                                    subvention de l’État d’un montant de 966 600 F est attendue (le tiers du prix de revient),
                                    elle est complétée par deux emprunts : un premier de 435 000 F à 8% au Crédit foncier de
                                    France, ainsi qu’un autre de 1 498 400 F à 2,5% à la Caisse des dépôts et consignations sous
                                    garantie de la ville.

                                    En 1925, Perrin doit revoir sa copie pour répondre aux exigences de l’État avec des
                                    logements plus grands à destination des familles nombreuses. Ce projet prévoit la
                                    construction de 84 maisons individuelles et trois collectives. Mais, à la même date,
                                    Guillaume perd son mandat de conseiller municipal et de facto son siège de président
                                    de l’Office. Bougot le remplace quelques mois, puis Le Guyon, président de la Chambre
                                    de commerce. Les autres membres, nommés par le conseil municipal sont Bardet, Bougot,
                                    Galesne, Leroux et Tromeur. Les problèmes de financement et les retards, dus en partie
                                    à l’instabilité monétaire et à des difficultés administratives, viennent entraver la bonne
                                    marche du projet.

                                    La construction commence néanmoins sans les financements assurés, la STPR52 de Paris est
                                    chargée des travaux. Mais, alors que les fondations sont à peine entamées, des difficultés
                                    de paiement surviennent. Un procès doit régler le litige entre les deux parties. La situation
                                    semble bloquée et met l’office dans une situation difficile. En 1927, le président Le Guyon
                                    et les membres de l’Office démissionnent en bloc53, il faut attendre la loi Loucheur qui va
                                    permettre de débloquer la situation.

                                    Une loi pour relancer le logement : la loi Loucheur
                                    À la fin des années vingt, la construction est en forte baisse en France. Cette crise est due à
                                    la hausse du prix des matériaux et de la main d’œuvre et à la dévaluation rapide du franc
                                    depuis plusieurs mois comme l’indique un rapport du comité de patronage en 1927 :
                                    « Il est à noter que les travaux de constructions de maisons ouvrières ont subi un certain

10
Le Foyer rennais                                                         Le Foyer rennais
Vue de la Rue Charles-Bougot                                             Vue des commerces sur la rue de Nantes

           ralentissement pendant l’année écoulée du fait que les prix des matériaux et de la main-
           d’œuvre ont atteint des chiffres fort élevés, occasionnés par la crise financière dont a
           souffert tout le pays »54.
           Promulguée le 13 juillet 1928, la loi Loucheur55 doit relancer la construction en France par
           un plan de 260 000 logements à édifier en cinq ans. De plus, cette loi crée une nouvelle
           catégorie de logements (les immeubles à loyer moyen) et ouvre ainsi l’aide de l’État à une
           nouvelle catégorie sociale, celle des employés, des petits fonctionnaires et des rentiers,
           par la construction de logements plus grands, avec salle commune et salle de bains. La loi
           Loucheur favorise également l’accession à la petite propriété par la réduction de l’apport
           minimum en argent des familles. Elle propose un apport en terrain, en matériaux ou en
           journées de travail pour compenser la dépense56.

           Depuis plusieurs années, le dossier de l’Office de la Ville de Rennes traîne. Entre-temps le
           projet Perrin est abandonné et, en 1928, Le Ray propose la création d’une nouvelle cité-
           jardin57. Il conçoit un ensemble de treize petits immeubles collectifs de deux ou trois
           étages carrés sur rez-de-chaussée surélevé, représentant en tout 160 logements de une
           à quatre pièces avec douze chambres, dix garages et huit magasins sur la rue de Nantes.
           Les immeubles, de deux ou trois étages, ont un décor polychrome, donné par le parement
           en schiste, brique et moellon enduit. L’Office a ainsi changé son projet pour ne retenir
           que la construction de logements collectifs qui répondent davantage aux besoins de la
           population à cette époque58.
           La construction du Foyer rennais reprend en juin 1928 et se termine à la fin de 1933.
           C’est le premier et le seul chantier de l’Office municipal d’HBM avant la Seconde Guerre
           mondiale. Îlot d’immeubles collectifs dans une mer de pavillonnaire, cet édifice est donc
           l’aboutissement de débuts difficiles pour la société.

           En parallèle, les sociétés coopératives d’HBM continuent d’élever des maisons pour leurs
           sociétaires. Elles ont adopté les plans proposés par les entrepreneurs comme Tomine,
           Périgault ou Badault et par les architectes comme Jules Depais, Albert Hec, Pierre Laloy,

                                                                                                                  11
Les origines du logement social à Rennes
     ou le temps des habitations à bon marché

                                                                  Marcel Guillet, Paul Lory ou Abel Lecointre. Ainsi, Albert
                                                                  Hec travaille pour la société Ma Maison et propose des
                                                                  plans en conformité avec la loi Loucheur. En 1929, il
                                                                  dessine ainsi la maison de Josse, employé de chemin de
                                                                  fer, route de Vern, près du tramway à vapeur. La maison,
                                                                  de plan massé et construite par l’entrepreneur Briand,
                                                                  se présente en rez-de-chaussée surélevé, composé de
                                                                  trois pièces à feu plus une cuisine, sur caves59.
                                                                  Grâce à la loi Loucheur, l’Office départemental entame,
                                                                  dès 1929, une série de travaux dans le département et
                                                                  à Rennes. Il aménage ainsi le terrain en lotissement à
                                                                  la Thébaudais rue du Docteur-Ferrand. L’architecte du
                                                                  département Pierre Laloy et l’entrepreneur Pichon
                                                                  réalisent les plans de la cité. Laloy crée ainsi en mai
                                                                  1930 deux modèles de maisons jumelles sur un plan
                                                                  symétrique60. Le groupe B est de plan massé alors que
                                                                  le groupe A se présente en L. Ces maisons présentent
                                                                  trois chambres, une salle commune dallée en mosaïque,
                                                                  un cellier, une cuisine, des WC et deux greniers. Les
                                                                  fondations sont en moellons, les murs en briques
                   Plan d’Albert Hec pour Josse, route de Vern    creuses et parpaing enduits en mortier de chaux et jetis
                        Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 X 42 HBM,
                                                                  tyrolien. La sobriété et la standardisation permettent
                                                                  ainsi une économie notable. Badault participe à la mise
                                                                  en place de ce lotissement et propose son plan-type
                                                                  A’61 pour Delavier, rue Adolphe Leray.

                                                                  La maison se présente de plain-pied (une salle
                                                                  commune et trois chambres avec cellier et WC en
                                                                  annexe) avec fosse morte. Badault fait ainsi une
                                                                  demande à la Ville pour son client Delavier le 12 mai
                                                                  1930 : « Monsieur Delavier étant propriétaire d’un
                                                                  terrain situé [rue perpendiculaire à la rue Adolphe
                                                                  Leray au droit des piliers d’entrée de la Thébaudais
                                                                  “propriété de Mr le colonel Charpy”] me demande de
                                                                  lui construire en accord avec la loi Loucheur et l’Office
                                                                  Public Départemental d’Habitations à bon marché une
                                                                  maison d’habitation type A’ conformément aux plans ci
                                                                  joints »62. Ces différentes constructions permettent des
                                                                  économies de matériaux et peuvent être rapprochées
                                                                  des bâtiments exécutés un peu plus tard sur le
                                                                  boulevard Villebois-Mareuil.
                                                                  En effet, en 1933, les architectes parisiens Béguin et
                                                                  Talma construisent des groupes d’immeubles et de
                                                                  maisons pour le même office sur le boulevard Villebois-
                                                                  Mareuil. Cet ensemble est composé de 136 logements
                                                                  collectifs et 59 individuels. La situation est idéale. Le
               Plan de Badault pour Delavier à la Thébaudais      terrain est situé dans la partie sud de la ville, près de
                                 Arch. mun. Rennes, 749 W 7       la gare de triage sur une parcelle en triangle, avec au
                                                                  nord la voie ferrée et au sud le cimetière de l’Est. C’est
                                                                  un endroit propice à la construction de ce type de

12
logements destinés en priorité à des cheminots, car
le terrain est bon marché, ce qui permet d’abaisser
le coût d’ensemble de la construction. La rue Arthur-
Fontaine sépare le lotissement en deux secteurs dont
l’accès principal se fait entre les deux immeubles qui
encadrent l’entrée de la cité.

Les immeubles, en U et en L, à l’intérieur desquels les
architectes aménagent deux vastes cours servant
d’espace de circulation, sont sur rez-de-chaussée
surmonté de quatre étages carrés et des commerces
sont aménagés sur le boulevard. Cette œuvre de
Béguin et Talma rejoint le mouvement moderne par
la sobriété de la décoration donné par l’enduit sur les
façades mais aussi par l’utilisation des toits-terrasses
et par le rationalisme dans la composition. Derrière les
immeubles viennent s’ajouter 59 pavillons autour de
trois rues. Cette disposition permet une économie des
matériaux de construction, les maisons ayant toutes un
                                                               Plan de Badault pour Delavier à la Thébaudais,
ou deux murs en commun.                                        Arch. mun. Rennes, 749 W 7

En parallèle, l’Office départemental s’occupe de
l’aménagement de jardins ouvriers. Ainsi, dans un
rapport présenté par le conseil d’administration le 1er
août 1929 présidé par Lefas, l’Office donne les résultats
obtenus depuis la promulgation de la loi Loucheur
et évoque la création de jardins ouvriers. « Le conseil
d’administration de l’Office ayant su par M Pinault
qu’un grand nombre d’ouvriers rennais, obligés
par leur profession d’habiter des appartements, ne
pouvaient pas trouver de petits jardins leur permettant
une distraction saine et la culture des légumes pour
les besoins de leur famille, nous avons recherché la
possibilité de donner satisfaction à ces nombreux
ouvriers »63. L’Office crée des jardins ouvriers dans les
prairies Saint-Martin. Le maire François Château pense
en 1935 qu’il s’agit de lotissements aménagés par
l’Office. Le président le rassure mais lui indique qu’il est
cependant possible, malgré ses indications interdisant
l’établissement de domiciles, que certains ouvriers au
chômage logent avec leur famille dans leurs abris de
jardin afin d’échapper aux intempéries64.
En plus de ces constructions et ces aménagements pour
                                                               Immeuble bd Villebois-Mareuil
les ouvriers rennais, l’Office départemental s’engage
                                                               exemple de maison jumelée
aux côtés de l’université de Rennes sur deux projets de
cités accueillant des étudiantes et des étudiants.

                                                                                                                13
Les origines du logement social à Rennes
              ou le temps des habitations à bon marché

Maison des Étudiantes                                         Maison des Étudiantes                              Maison des Étudiantes
Façade principale vers 1932                                   Vue intérieure escalier                            Vue intérieure salle commune
(Coll. Marie-Antoinette Gallacier-Brisou)

                                    Deux collaborations :
                                    « Les maisons des Étudiant(e)s »
                                    Dès la fin des années 1920, un partenariat entre l’université et l’Office se met en place.
                                    Rennes est une ville où résident de nombreux étudiants qui manquent de logements
                                    ou sont mal logés. Les deux partenaires veulent construire dans un premier temps une
                                    cité abritant des étudiantes, puis une maison des étudiants. Pour les étudiantes, on pense
                                    d’abord à acquérir un terrain rue du Thabor, derrière la faculté de droit. L’architecte
                                    Gallacier65 dresse un premier projet mais, au dernier moment, un terrain est donné par la
                                    ville rue Jules-Ferry qui permet d’abaisser le coût de la construction. Gallacier est obligé
                                    de revoir sa copie dans l’urgence.

                                    Le premier projet de la rue du Thabor par Gallacier, qui présente un plan en Y avec rez-
                                    de-chaussée sur deux étages carrés et étage de combles, n’est donc pas retenu66. Sur le
                                    nouveau projet en T, Gallacier ajoute un étage carré. La construction, en ossature de béton
                                    armé, est en granite pour le soubassement, surmonté de moellon. La décoration est sobre
                                    et joue sur la polychromie des matériaux. L’avant-corps est traité de manière géométrique
                                    ce qui confère à l’édifice une dimension Art déco que l’on retrouve à l’intérieur dans un
                                    programme de mosaïque confié à Odorico67. Le succès est immédiat, l’Office pense dès
                                    1934 procéder à l’agrandissement de la Maison des Étudiantes.

                                    En parallèle, un premier projet de cité des Étudiants est imaginé ruelle Saint-Martin en
                                    avril 1929. L’édifice, en V, est prévu sur quatre niveaux comme la maison des étudiantes68. Il
                                    n’est pas réalisé car un terrain plus vaste est donné par la ville sur le boulevard de Sévigné
                                    qui permet d’abaisser le coût de la construction. L’édifice, en U, est élevé en fort retrait
                                    d’alignement sur une parcelle traversant. Il présente un style régionaliste un peu sévère
                                    par l’emploi des matériaux, mais d’une conception tout à fait originale dans le paysage
                                    rennais. Pour les deux constructions, on fait appel aux mêmes entrepreneurs, Richer se
                                    charge du gros œuvre et Odorico de la décoration et du revêtement en mosaïque.

                                    Grâce à la loi Loucheur, le nombre de construction augmente. Mais, à partir de 1935, il y a
                                    un fort ralentissement voire un coup d’arrêt des HBM. L’Office de la ville de Rennes tente
                                    en 1937 de construire des HBM à l’aide de subventions accordées par le gouvernement

14
Maison des Étudiants                                                Maison des Étudiants
Façade principale orientée au Nord                                  Façade sur la cour
(Coll. Marie-Antoinette Gallacier-Brisou)                           (Coll. Marie-Antoinette Gallacier-Brisou)

  pour les travaux de lutte contre le chômage. Le projet
  d’Yves Lemoine n’est pas réalisé en raison d’une
  mauvaise conjoncture69 : il y a une crise du secteur
  de la construction. Ainsi, de 1936 à 1938, le prix des
  habitations a augmenté de 46%. Bougot explique que
  le devis dépasse de 47% le maximum des prix fixés
  par la loi et que les prix des matériaux ont augmenté
  de 100% depuis l’établissement du devis : « C’est dire
  qu’il est absolument impossible à l’Office de construire,
  et notre projet de 32 logements est enterré, à moins
  de construire des maisons en briques. ». Château,
  maire et entrepreneur, ajoute que « même avec des                 Maison des Étudiantes - Vue de la salle commune
  constructions en briques, vous dépasserez les chiffres            (Coll. Marie-Antoinette Gallacier-Brisou)
  fixés par la loi »70. Bougot est à la fois mécontent et
  soulagé que le projet n’aboutisse pas : « Nous pourrions
  remercier votre commission de ce rejet, car à l’heure
  actuelle, il nous serait impossible de construire dans
  les limites de notre projet établi au début de 1937,
  pour la raison bien simple que depuis cette époque, on
  peut fixer l’augmentation du prix de la construction de
  15% à 20%. Nous déplorons seulement cette décision
  qui va priver 32 familles de locaux sains et agréables,
  loués à des prix très modérés »71. Le temps des grands
  chantiers menés par les offices est terminé.

                                            Maison des Étudiants
                                            Vue du hall d’accueil

                                                                                                                      15
Les origines du logement social à Rennes
     ou le temps des habitations à bon marché

                           La fin des HBM
                           Il faut attendre quelques mois après la Seconde Guerre mondiale pour voir les premiers
                           projets se réaliser. Afin de faire face au manque de logements, la loi du 3 septembre 1947
                           institue un régime provisoire de prêt pour permettre la réalisation immédiate de nouvelles
                           constructions par les organismes d’HBM. Un premier projet de l’Office de Rennes envisage
                           en 1948 la construction de 64 logements boulevard de Verdun autour du square de la
                           Touche. La municipalité Milon participe au projet et donne un terrain en mars 194972. Les
                           plans sont réalisés par Lemoine et l’adjudication est lancée en 1951. Il s’agit d’un projet
                           de 15 immeubles (dont neuf sont réalisés) de deux ou trois étages, dont un jumelé, qui
                           se rapproche des réalisations de cités-jardins avant-guerre. À la fin de l’année 1952, les
                           logements sont loués.

                           De même, l’Office départemental construit 24 logements à Villeneuve, 48 sur le boulevard
                           Clemenceau et 98 logements à Saint-Cyr à l’emplacement de l’ancienne gare de transport
                           d’Ille-et-Vilaine. La Société bretonne d’HBM réalise quant à elle 72 logements rue de Vern
                           pour les cheminots. Tous ces programmes prennent fin vers 1955. En tout, 632 logements
                           sont réalisés par les offices entre 1947 et 195273.

                           Ainsi, la période 1850-1950 est celle des prémices du logement social en France et voit
                           l’apparition des HBM. La loi du 21 juillet 1950 changera l’appellation HBM en Habitation
                           à loyer modéré (HLM). Une nouvelle ère du logement social commence. Les premières
                           solutions concernant l’habitat ouvrier à Rennes ont tardé à émerger. Il faut attendre le
                           tout début du XXe siècle pour voir les premières initiatives rennaises grâce aux sociétés
                           coopératives. Entre les deux guerres, les constructions sont nombreuses à partir de la mise
                           en place des offices publics, bien qu’il soit difficile de les quantifier précisément. La loi
                           Loucheur permet de donner un nouveau souffle à la construction de logements destinés
                           aux familles ayant des revenus modestes. Même s’il ne s’agit pas de « grande architecture »,
                           des solutions innovantes et originales voient le jour à Rennes comme la cité-jardin du
                           Foyer rennais ou les cités destinées aux étudiants. Il faut en effet éviter de penser que le
                           logement social de l’époque n’est pas de bonne qualité et, comme l’indique Bougot, « en
                           construisant comme nous l’avons fait, nous évitons pour l’avenir les grosses réparations
                           que connaissent déjà les Offices ayant bâti légèrement : le bon marché n’est pas le plus
                           souvent le meilleur marché »74.

                           Le logement social prend du retard à Rennes qui n’est pas un bassin industriel important
                           comme Mulhouse ou Saint-Étienne. De plus, sous le Front Populaire, les difficultés sont
                           nombreuses, le contexte est difficile et, bien que le gouvernement lance de vastes plans
                           contre le chômage, la construction stagne. À partir de 1936 et jusqu’à la guerre, les
                           constructions d’HBM sont inexistantes. Enfin, dans l’ensemble, le pavillonnaire domine
                           dans l’aménagement de lotissements : l’image de l’ouvrier dans sa maison et son jardin est
                           un symbole fort. Les immeubles sont encore rares, seulement huit cités sont construites
                           avant la Seconde Guerre mondiale. En revanche, après la guerre, le collectif devient la
                           norme, mais il faut attendre le milieu des années cinquante pour voir une relance réelle
                           du logement social.

16
Notes

1 Les travaux de R.-H. Guerrand sur le            7
                                                      Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 5 M 69.               Pontchaillou à partir de 1895. Il délivre des
logement social en France et en Europe                                                                  certificats de salubrité pour le Comité de
rendent compte de ce phénomène.
                                                  8
                                                   TOULMOUCHE (A.), Recherches statistiques             patronage dont il devient le secrétaire.
                                                  sur l’hygiène et la mortalité de la Ville de
2
    Habitations à bon marché.                     Rennes, Paris, J.-B. Baillère, 1849, p. 24-25. Voir   17
                                                                                                           Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 X6 HBM,
                                                  aussi, GUERRAND (R-H.), op. cit., p. 65.              Délibération du comité de patronage, séance
3
  Arch. mun. Rennes, 4Q7, Circulaire du 10
                                                                                                        du 29 juin 1901.
avril 1907 sur l’exemption des contributions      9
                                                   Arch. mun. Rennes, 5 C 36, Exposé général            Janvier n’assiste pas à la séance mais on
foncières portes et fenêtres.                     présenté par le sénateur maire de Rennes              procède à la lecture de son rapport qui est
« Pour reconnaître à une maison le caractère      à la première réunion de la commission le             une analyse du rapport du Dr Fleury sur les
d’HBM, la loi distingue d’abord entre             11 octobre 1881, Rennes, imprimerie rennaise          HBM du département de la Loire. « Après
les maisons collectives et les maisons            L. Caillot, 1 881. La commission est instaurée        avoir dit un mot de la situation industrielle
individuelles. (…)                                par délibération du Conseil municipal du              si différente de l’Ille et Vilaine et de la Loire,
Sur le point de savoir ce qu’il faut entendre     23 mars 1881.                                         M. Janvier signale une opinion du Docteur
par « maison collective » et « maison
                                                  10
                                                    Ibid. p. 6 : « La commission est chargée            Fleury. Il se dégage en effet du rapport
individuelle », il est difficile de donner des
                                                  de rechercher et d’indiquer les mesures               de celui-ci qu’il a en médiocre estime les
indications absolument précises ; on peut
                                                  indispensables d’assainissement des                   premières cités ouvrières de la Loire, édifiées
dire cependant que, d’une façon générale,
                                                  logements et dépendances insalubres mis               du reste sur un plan uniforme que l’on
une maison est individuelle ou collective
                                                  en location ou occupés par d’autres que le            retrouve partout dans l’Est de la Rance, et
selon que, par l’agencement des moyens
                                                  propriétaire, l’usufruitier ou l’usager. Dans ce      que toutes ses préférences se portent sur les
d’accès et de dégagement, etc., elle est
                                                  but, elle doit visiter les lieux signalés comme       constructions séparées abritant tout au plus
destinée à ne recevoir normalement qu’un
                                                  insalubres, déterminer l’état d’insalubrité et        deux ménages quand il s’agit de familles
seul ménage ou qu’elle comporte, au
                                                  en indiquer les causes ainsi que les moyens           sédentaires. M Janvier se rallie à l’opinion du
contraire, plusieurs logements dont chacun
                                                  d’y remédier. Elle désigne les logements qui          Docteur Fleury et rappelle les observations
se suffit à lui-même et peut abriter une
                                                  ne sont pas susceptibles d’assainissement. En         qu’il a pu faire lui-même pendant son tour
famille. (…)
                                                  dehors de ces attributions ainsi définies, les        de France. Elles ne l’ont pas conduit, en effet,
Ceci posé, sont considérées comme HBM :
                                                  propositions de la Commission n’ont aucune            à approuver le système des cités ouvrières.
1° Les maisons collectives, lorsque la valeur
                                                  valeur légale. Elle ne peut donner son avis           M Janvier conclut en définissant ce qu’il
locative réelle de chacun des logements
                                                  que sur des espèces qui lui sont soumises ;           faut entendre par l’habitation à bon marché
qu’elles comportent ne dépasse pas, au
                                                  elle ne peut agir par voie de réglementation          et en estimant qu’il serait bon de se livrer
moment de la construction, le chiffre fixé
                                                  générale. »                                           à une propagande par la voie de la presse,
tous les cinq ans, pour chaque commune, par
                                                                                                        propagande qui devrait être appuyée par
une commission spéciale siégeant au chef-         11
                                                     À Rennes, des logements sont créés près            l’exemple d’une ou deux maisons modèles
lieu du département ;
                                                  des usines Oberthür pour les ouvriers de sa           de l’habitation à bon marché, telles qu’elles
2° Les maisons individuelles, lorsque leur
                                                  papeterie, mais, selon O. Fouéré, l’initiative ne     seront offertes à l’acheteur ou au locataire
valeur locatives              réelle ne dépasse
                                                  vient pas d’Oberthür lui-même.                        selon les conditions énumérées et clairement
pas plus d’un cinquième le chiffre déterminé
                                                                                                        expliquées par la presse. »
par la même commission pour les maisons           12
                                                    FOUÉRÉ (O.), Les Habitations à Bon Marché,
collectives. » Les communes entre 30000           émergence d’une typologie, Rennes 1900-               18
                                                                                                          Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 X 7 HBM,
et 200000 hab. ont un maxima fixé alors à         1939, Rennes, U.H.B., mémoire de maîtrise             Rapport d’activité du Comité de patronage
325 francs et 250 pour la banlieue à 10 km        d’histoire de l’art, LOYER (F.) dir., 1986, p. 6.     en 1910
alentours.
                                                  13
                                                    Le comité local des HBM est institué à              19
                                                                                                          Cet impôt, instauré par le Directoire, est
4
 Il faut cependant signaler que ce                Rennes par décret du 7 août 1896.                     supprimé en 1917.
phénomène tend à toucher également de
plus en plus pendant la période les régions
                                                  14
                                                    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 3 X 6 HBM, séance       20
                                                                                                          Société Anonyme de Crédit immobilier. La
rurales du département comme le montre            du 17 juillet 1908.                                   première Société de Crédit Immobilier est
un rapport de l’Office départemental en                                                                 fondée à Arras par Ribot en 1908.
                                                  15
                                                     Jean Janvier est membre actif du comité
1929. « Nous constatons que les demandes
                                                  à partir de 1901 en qualité de président              21
                                                                                                          La municipalité rennaise aide la Société
de constructions d’habitations à bon marché
                                                  du syndicat des entrepreneurs et juge au              de Crédit Immobilier de Rennes par une
sont déposés pour une grande partie par
                                                  tribunal de commerce. Maire de Rennes de              subvention de 15 000F.
des ruraux, environ 50% ». Arch. dép. Ille-
                                                  1908 à 1923, il est très impliqué dans l’aide
et-Vilaine, 3 X 27 HBM, Rapport présenté                                                                22
                                                                                                           Société par action, approuvée par décret
                                                  aux ouvriers ; on pense alors aux fameuses
par le Conseil d’Administration de l’Office                                                             ministériel le 3 juillet 1903, « La Ruche
                                                  représentations du maire sur un chantier de
départemental au préfet, le 1er août 1929.                                                              Ouvrière Rennaise a pour objet de travailler à
                                                  construction par l’artiste Camille Godet dans
                                                  une salle de la Maison du Peuple, construite          l’amélioration du logement populaire. Elle se
5
 Il y a à Rennes environ 70 000 habitants vers
                                                  à partir de 1919 rue d’Échange par Le Ray.            propose particulièrement :
1 896 et près de 99 000 habitants en 1936.
                                                  Voir aussi : ANDRIEUX (J.-Y.), LAURENT (C.)           1° D’aider, par des avances de fonds, des
6
 Armand de Melun, catholique social, né en        éd., Quelques souvenirs, Jean Janvier, Maire de       ouvriers ou employés à devenir propriétaires
1807, se présente aux élections de mai 1849       Rennes, Rennes, P.U.R., 2000.                         de maisons construites pour eux et selon
et se fait élire député en Ille-et-Vilaine ;                                                            leur goûts ;
son frère Anatole le sera dans le Nord au         16
                                                    Julien Ballé (1864-1942), architecte, fils          2° De construire elle-même des maisons
même moment. Il se retire de la politique en      d’un agent voyer, entre à l’École nationale           individuelles ou collectives destinées à la
1 851. Voir GUERRAND (R.-H.), Propriétaires       supérieure des Beaux Arts en 1882.                    location simple, pour fournir des logements
et locataires : les origines du logement social   Architecte de l’État et des Hospices civils à         salubres à ceux qui pour des raisons diverses
en France, 1850-1914, Paris, Quintette, 1987,     partir de 1894, il est notamment connu pour           ne peuvent ou ne veulent pas acquérir leur
p. 54-55.                                         la construction des pavillons de l’hôpital de         propre maison ;

                                                                                                                                                             17
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