Zara, où le temps compte plus que les coûts1

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9 50 2005 009

Zara, où le temps compte plus que les coûts1
Cas produit par Catherine THIBAULT-CHARBONNEAU, Martin BEAULIEU et le profes-
seur Jacques ROY.

La plupart des femmes européennes urbaines de moins de 30 ans magasinent chez Zara. Cette
entreprise a su se bâtir au fil des ans une clientèle fidèle qui apprécie ses vêtements d’allure jeune
et stylisée, à prix accessible.

Peu de jeunes adultes nord-américains connaissent Zara, mais cela pourrait bien changer dans un
avenir rapproché. Zara exploite maintenant plus de 500 boutiques dans 50 pays, et elle marque
lentement sa présence aux États-Unis et au Canada. New York, Miami, Montréal et Toronto sont
desservies par cette chaîne. Forte d’une stratégie marketing unique où la logistique joue un rôle
névralgique, Zara capitalise sur ses forces afin de poursuivre son expansion.

Origine de Zara
Zara est fondée en 1975 à La Corogne (située au nord-ouest de l’Espagne à la pointe de la pénin-
sule ibérique) par Armancio Ortega Gaona. En 1985, son propriétaire intègre Zara à l’intérieur de
son holding Inditex qui regroupe une centaine de sociétés dont les plus connues sont Pull & Bear
(vêtements masculins), Massimo Dutti (haut de gamme pour homme et femme) et Bersihka
(mode jeune à bas prix). Inditex a aussi une participation minoritaire dans une banque, dans des
maisons de courtage en valeurs mobilières et dans l’immobilier2. En 2001, l’entreprise entrait en
bourse. Les analystes vantent les mérites financiers de Zara qui réussit à maintenir des marges
bénéficiaires très intéressantes tout en assurant une croissance rapide s’appuyant en grande partie
sur un autofinancement (le tableau 1 permet de voir la croissance du groupe).

1
    Ce texte est basé sur un exercice « Zara: Cool Clothes Now, Not Later » du Toolbox produit par Council of Logistics
    Management, p. 46-47.
2
    BÉRARD, D., « Reitmans et la belle Espagnole », Commerce, vol. 101, n° 1, 2000, p. 26-30.
    Précisons qu’en l’an 2000, Zara représentait plus de 80 % du chiffre d’affaires du holding Inditex (« Flexibilité et secret, les
    clefs du succès de Zara », Les Échos, 7 mars 2000, p. 79).

                                       AMICALE DES ETUDIANTS DE ISCOM
                                             BIBLIOTHEQUE VIRTUELLE (BV)
Zara, où le temps compte plus que les coûts

                   Tableau 1 : Évolution de quelques résultats clés de la société Inditex1
                                1996          1997          1998          1999         2000     2001      2002     2003
    Ventes nettes (en
                              1 008,5       1 217,4       1 614,7        2 035,1     2 614,7   3 249,8   3 974,0   4 598,9
    millions d’euros)
    Résultat net (en
                                 72,7         117,4          153,1        204,7        259,2    340,4     438,1     446,5
    millions d’euros)
    Nombre de
                                 541           622           748          922          1 080    1 284    1 558     1 922
    boutiques

Zara est présente dans une cinquantaine de pays. En 2003, on dénombrait 527 boutiques Zara au
sein du groupe Inditex. Ces boutiques sont principalement implantées en Europe où l’on compte
73,5 % des boutiques de la bannière (42 % de toutes les boutiques de Zara sont implantées en
Espagne). L’Amérique recoupe 17 % des boutiques, le Moyen-Orient 7 % et l’Asie 3 %. En
2004, l’entreprise inaugurait une première boutique à Hong Kong qui doit servir de rampe de
lancement à la conquête du marché chinois2. Malgré sa croissance accélérée, le mot d’ordre de
l’expansion internationale se résume à « la prudence avant tout ». Un porte-parole de l’entreprise
résume la philosophie de la direction pour ce volet :
        Notre stratégie, c’est un pas devant l’autre. Il n’est jamais question de débarquer en force sur un
        marché, mais d’ouvrir une boutique à la fois, et toujours au meilleur emplacement possible, quitte à
        attendre, même un an s’il le faut. Et si ça marche, une deuxième boutique, puis une troisième…

La stratégie de commercialisation
L’un des axes de la stratégie de commercialisation de Zara est un emplacement étudié des
boutiques. À Toronto, tout comme à Montréal, la boutique Zara se situe au cœur d’un quartier
très commercial. La concurrence y est intense car les boutiques de vêtements pullulent. En fait,
Zara choisit justement les artères les plus chères des grandes villes, afin de concurrencer sur leur
propre terrain les marques beaucoup plus coûteuses3. La proximité des tours à bureau est aussi
recherchée par Zara. « Ces immeubles fourmillent de gens que nous souhaitons transformer en
clients. Nous souhaitons les voir magasiner durant leur heure de lunch et après leurs heures de
travail. Nous voulons qu’ils magasinent souvent, alors nous nous devons de constamment nous
réinventer », commente le gérant d’une boutique canadienne. Il ajoute : « Ces gens ont la possi-
bilité de magasiner ailleurs, alors nous voulons qu’ils ressortent de nos magasins, même s’ils
n’ont rien acheté, satisfaits du temps qu’ils y ont passé. »

Cette importance accordée au point de vente peut expliquer pourquoi Zara ne fait aucune publi-
cité au sens traditionnel du terme : « Nos campagnes publicitaires sont strictement informatives,
comme par exemple l’annonce des soldes ou l’inauguration d’une nouvelle boutique », commente
Diego Copado, directeur des communications de Inditex. Les meilleures publicités sont les bou-
tiques et les vitrines de Zara, dont tous les détails (la disposition des présentoirs et mannequins ou
le choix de l’éclairage) sont soigneusement étudiés4. Afin de connaître ce qui est offert chez Zara,

1
    Inditex, Annual Report 2003.
2
    « L’Espagnol Zara ouvre son premier magasin à Hong Kong », Les Échos, lundi 24 mai 2004, p. 21.
3
    ALVES, J., op. cit.
4
    « Flexibilité et secret, les clefs du succès de Zara », Les Échos, 7 mars 2000, p. 79.

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le consommateur doit visiter son site Internet ou se rendre en magasin. Dans ce contexte, les
clients doivent s’attendre à ce que les magasins changent d’une visite à l’autre : la plupart des
articles passent moins d’un mois sur les rayons. Ainsi, si un consommateur ne trouve rien qui
l’intéresse lors d’une visite, il sait pertinemment qu’à sa prochaine visite, les vêtements offerts ne
seront plus les mêmes. En fait, plus de 10 000 articles se trouvent annuellement sur les rayons.

Par ailleurs, des employés au siège social sont chargés du suivi des boutiques qu’ils contactent
plusieurs fois par jour1. Ainsi, lorsqu’un employé en boutique entend un client dire « Ça serait
bien un col en fourrure sur ce chandail », il transmet cette information directement en Espagne où
sera prise la décision de fabriquer ou non le vêtement imaginé par le client2. En plus, chaque
vendeur a un ordinateur portable où il note les transactions qui seront analysées au siège social3.
Si le feu vert est donné à un nouvel article, il se retrouvera en moins de deux semaines sur les
rayons des boutiques.

Cette stratégie de s’appuyer sur un renouvellement perpétuel des gammes de produits cadre avec
la nouvelle réalité du marché du vêtement. Un spécialiste commente :
        Toutes ces adolescentes qui font du gardiennage le samedi soir n’ont aucune responsabilité financière
        et ne demandent qu’à échanger leur paie contre des fringues dont elles se lassent après un mois4.

Finalement, Zara, à l’image d’une chaîne comme Simons, propose sa marque maison de vête-
ments très mode qu’on ne trouve pas ailleurs et qui sont offerts à des prix beaucoup plus abor-
dables5 que des marques de luxe comme Armani ou Prada6.

L’appareil de production
Pour de nombreux analystes, l’un des enjeux à gérer dans la vente de vêtements est le « fashion
risk » : il faut éviter qu’une collection ne plaise pas, sous peine d’assister à une chute dramatique
des résultats7. Pierre Perrault, le propriétaire de la chaîne Historia, explique :
        Dans ce secteur, les erreurs coûtent très cher. Si tu mises sur un mauvais style, te voilà pris avec des
        stocks énormes qu’il faut liquider à vil prix. L’inverse est aussi frustrant : ne pas commander assez
        d’un style qui devient très populaire et rater des ventes8.

1
    ORIN, D., « Inditex/Zara : un modèle de fabrication “just in time” », La Presse, lundi 7 mai 2001, p. B6.
2
    En fait, les équipes de conception de Zara développeront 40 000 nouveaux produits par an dont le quart franchira l’étape de
    production (FERDOWS, K., M.A. LEWIS et A.D. MACHUCA, « Rapid-Fire Fulfillment », Harvard Business Review, vol. 82,
    n° 11, 2004, p. 104-109.)
3
    ORIN, D., op. cit.
4
    BÉRARD, D., op. cit.
5
    BÉRARD, D., op. cit.
6
    ALVES, J., « Le modèle Zara semble immunisé contre la crise », Les Échos, lundi 16 décembre 2002, p. 14. Par exemple, une
    cliente pourrait retrouver une version simplifiée en viscose et au prix de 75 euros d’une jupe Prada en lin qui se détaille au prix
    de 600 euros.
7
    VIAL, G., « Les distributeurs de mode font recette en bourse », Les Échos, lundi 21 octobre 2002, p. 34.
8
    BÉRARD, D., op. cit.

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Zara, où le temps compte plus que les coûts

La devise de la maison est « le temps compte plus que les coûts », ce qui l’a amenée à privilégier
une forte intégration verticale. Les 200 stylistes de l’entreprise développent les nouveaux articles
selon les informations recueillies en boutique et en s’inspirant largement des créations de la haute
couture1. Les tissus sont achetés dans une proportion de 45 % à une filiale d’Inditex et le reste à
des entreprises essentiellement d’Europe, mais aussi à des firmes asiatiques ou d’Amérique
centrale. Un porte-parole de l’entreprise souligne : « Nous achetons beaucoup de tissu cru que
nous pouvons teindre par la suite selon les tendances de la mode2. » La coupe, la réalisation de
petites séries et la finition des vêtements ont lieu dans les 14 usines de Zara de la région de
Galice3.

Les vêtements sont conçus dans quelque 400 ateliers extérieurs au groupe, principalement en
Espagne et au Portugal, auxquels sont fournis les patrons, le tissu et tous les éléments de détail
comme les boutons. Le produit fini revient dans les sites de l’entreprise où il est repassé et
soumis à des contrôles de qualité avant d’être distribué4. Zara et ses 18 usines de la péninsule
ibérique se réservent la fabrication des vêtements ayant un contenu mode plus élevé alors que les
produits plus basiques (le quart de la production) sont fabriqués en Asie.

De la conception à la disponibilité en boutique, Zara ne prend que 10 à 14 jours. Dans la plupart
des chaînes de prêt-à-porter, on parle d’un délai de trois à quatre mois5. À titre de comparaison,
en 2001, GAP mettait deux mois à effectuer le même exercice alors que chez Benetton, on en
prenait six6.

Zara est allée à contre-courant d’une tendance lourde où la majorité des autres manufacturiers de
vêtements optent pour une fabrication de leurs vêtements en Asie et en Amérique du Sud, misant
ainsi sur des coûts de production plus bas. Ils encourent par ailleurs des coûts de stockage plus
élevés et ils ralentissent ainsi leur vitesse d’accès au marché. Zara minimise aussi ses coûts de
transport en produisant en Espagne. Un analyste commente ainsi les choix stratégiques de l’entre-
prise en ce qui concerne son appareil de production :
       L’activité manufacturière d’Inditex est un centre de coût qui n’a pour vocation que de mieux servir
       les activités de vente. Le coût en est certes 20 % supérieur à une externalisation, mais il est plus que
       compensé par une plus grande vitesse de réaction et un risque moindre7.

1
    Précisons que Zara possède trois équipes distinctes de conception : pour femme, pour homme et pour enfant. Ces équipes sont
    maintenues dans une grande proximité physique ce qui permet aux concepteurs d’être alimentés par le travail de leurs collègues.
    Trois équipes gèrent aussi des opérations avec les unités de production. Ainsi, un même sous-traitant peut être en contact avec
    deux intervenants de Zara (FERDOWS, K. et al., op. cit.).
2
    ORIN, D., op. cit.
3
    BAYLE, N., « La méthode Zara : le choix réussi de l’intégration verticale », Les Échos, mercredi 9 juin 2004, p. 1125.
4
    ORIN, D., op. cit.
5
    BAYLE, N., op. cit.
6
    ORIN, D., op. cit.
7
    VIAL, G., op. cit.

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Zara, où le temps compte plus que les coûts

La stratégie de distribution
Zara gère en moyenne 300 000 articles stock (SKU Stock Keeping Unit) lorsqu’on compte tous
les formats de produit1. La rapidité d’accès au marché se situe au coeur de la stratégie de Zara.
Les articles sont expédiés par avion, en petites quantités, directement de leur centre de distri-
bution espagnol2. Depuis juin 2003, Zara possède un deuxième centre de distribution. Un est
situé à La Corogne et le second à Saragosse, toujours en Espagne. Bien qu’ayant étudié d’autres
emplacements (en France, en Hollande, en République tchèque), la direction de l’entreprise a
retenu ce site pour le prix des terrains, les avantages accordés par les autorités locales et le coût
de la main-d’œuvre. Ainsi, le centre de distribution de La Corogne voit exclusivement au
réapprovisionnement des boutiques de l’Espagne, du Portugal et du reste du monde alors que les
autres marchés européens seront réapprovisionnés par le centre de Saragosse3. Pour le marché
européen, des camions remplis de vêtements servent les points de vente situés à proximité des
centres de distribution tandis que des avions se chargent de livrer les marchandises aux boutiques
plus éloignées.

En moyenne, en moins de 40 heures, les boutiques peuvent recevoir les nouvelles collections4
alors qu’en recourant au transport maritime, l’entreprise ajouterait une dizaine de jours au cycle
de commercialisation du produit. La fréquence élevée des livraisons permet de maintenir très bas
le niveau des stocks en boutique, tout en desservant le marché international à partir d’un seul
centre de distribution. Ainsi, Zara a opté pour des coûts d’entreposage faibles au détriment de
coûts de transport plus élevés. Un gérant torontois de la chaîne commente les impacts de cette
stratégie en boutique :
       Nous recevons des marchandises mardi et dimanche, ce qui signifie que deux fois par semaine, de
       nouveaux vêtements garnissent nos rayons. Quoique chaque chargement contribue au réapprovision-
       nement d’articles en rupture de stock, il contient aussi de nouveaux vêtements. C’est une des raisons
       pour lesquelles nos clients nous fréquentent souvent, nous pouvons obtenir cinq pièces d’un article,
       dix d’un autre. Nous testons constamment.

Le choix du mode de transport combiné à une politique de gestion des stocks judicieuse permet
des gains intéressants. Ainsi, seulement 50 % à 60 % des modèles sont livrés en début de saison
(contre 80 % en moyenne pour les concurrents), puis 40 % à 50 % les mois suivants. Le niveau
des stocks dans les boutiques s’en trouve réduit ainsi que les ventes réalisées à rabais qui sont
contenues entre 15 % et 20 % alors qu’elles sont du tiers chez la concurrence. Par ailleurs, les
produits ne restent pas plus de trois semaines dans le même magasin. S’ils n’ont pas trouvé
preneurs, ils repartent vers l’Espagne pour être réexpédiés vers un marché plus favorable5.

1
    FERDOWS, K. et al., op. cit.
2
    Soulignons que dans les années 1970, The Limited a utilisé une stratégie similaire lors de ses tests de marché, envoyant par
    avion de petites quantités d’articles de leurs usines asiatiques au marché américain. Dans le cas de Zara, le transport aérien est
    néanmoins utilisé sur une base continue contrairement à The Limited, qui ne l’utilisait que sur une base ponctuelle.
3
    ALVES, J., « Zara investit 90 millions d’euros dans un nouveau centre logistique », Les Échos, lundi 12 mai 2003, p. 14.
    Précisons que le groupe Inditex possède trois autres centres logistiques pour ses autres bannières.
4
    On parle de 24 heures pour les boutiques européennes, 48 heures pour les boutiques nord-américaines et 72 heures pour les
    boutiques asiatiques. Les points de vente doivent respecter des échéanciers précis pour acheminer leurs commandes au siège
    social de Zara, de manière à obtenir rapidement les livraisons (FERDOWS, K. et al., op. cit.).
5
    BAYLE, N., op. cit.

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Zara, où le temps compte plus que les coûts

Perspectives d’avenir
Malgré le mutisme compréhensible de sa haute direction, Zara affiche une position plus que favo-
rable pour pénétrer avec force le marché américain. En 2003, Zara avait pratiquement autant de
boutiques au Canada qu’aux États-Unis (10 au Canada contre 12 aux États-Unis). Sa principale
présence en Amérique est au Mexique avec 33 boutiques. Avec 20 % de ses activités manufactu-
rières installées dans ce dernier pays, elle pourra facilement y ouvrir un autre centre de distribu-
tion afin de desservir le marché nord-américain. Ainsi, leurs vêtements d’apparence jeune et
unique déferleront sur un des marchés les plus lucratifs au monde.

2005-04-12

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