Art, théâtre et GN - Projet Enclave
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Art, théâtre et GNAuteur : Guillaume Bélisle Date de parution : 18 mai 2021 Résumé : Cet article examine, sous l’angle de la pratique théâtrale, le jeu de rôle grandeur nature (GN) afin d’en extraire une dimension artistique. Le GN artistique est un art de la scène par lequel une spect- actrice* use d’une légaliberté acquise par le jeu afin de créer en temps réel, par l’incarnation corporelle et spirituelle d’un personnage, une unité dramatique réfléchie selon une intention artistique. S’il demeure un GN par le médium fondamental qu’il utilise (l’incarnation), il s’en veut une déclinaison distincte aux traits uniques. I. INTRODUCTION constat est le même : nous n’échappons pas à l’influence du jeu de rôle sur table en tant que terreau d’où émergea le GN tel que nous le Les décennies 1970 et 1980 virent l’apparition et connaissons. la popularisation du jeu de rôle sur table. Fer-de- lance du loisir, les scénarios de Dungeons & Depuis quarante ans, le jeu de rôle Dragons furent à cette époque mondialement grandeur nature a connu des transformations adoptés par les passionnées et utilisés afin de profondes. Des affrontements à l’arme de générer des aventures imaginaires lors mousse à tendance médiévale fantastique (ou desquelles des participantes donnaient vie, par la buffer larp) aux événements exploratoires de la parole et les dés, à des personnages. Il ne fallait psychologie humaine (ou Nordic larp), le GN a qu’un pas pour que ces rôlistes décident évolué et muté ; il s’est épanoui. Ses itérations éventuellement de quitter le confort de leur salon les plus renommées se sont imposées comme des et délaissent les figurines pour vivre leurs moteurs économiques dans certaines régions, épopées en version grandeur nature (ou des académiciennes ont fait de la pratique un « GN »). Lors de ces événements, les objet d’étude et un éventail toujours plus large participantes pouvaient désormais incarner avec de curieuses adoptent la passion. Pourtant, le GN tout leur être leurs personnages. tarde à s’affranchir du jeu de rôle sur table et à entreprendre une réflexion profonde sur sa Bien que nous puissions observer des propre nature. Plus encore, il tarde à reconnaître racines du jeu de rôle grandeur nature avant l’existence de nouvelles déclinaisons l’émergence du jeu de rôle sur table (ex : suffisamment distinctes du tronc commun pour « murder party », reconstitution historique, devenir des objets d’études légitimes. simulation politique, jeux de guerre, etc.), nous pouvons affirmer avec assurance que ce dernier Dans le cadre du présent texte, nous contribua fortement à la démocratisation de la concentrerons notre analyse sur une pratique pratique. Le GN fut dès lors nommé et étudié en spécifique -le théâtre- afin de révéler l’une des fonction du jeu de rôle sur table, les deux étant déclinaisons artistiques du GN. Pour ce faire, appréhendés comme des déclinaisons d’une nous soulèverons d’abord les différences même réalité plutôt que comme des activités substantielles et constituantes entre le jeu de rôle distinctes. Que ce soit en anglais avec sur table et le jeu de rôle grandeur nature. Par la l’expression live action role playing ou en suite, nous nous intéresserons à l’apport colossal français avec le jeu de rôle grandeur nature, le de la discipline théâtrale à l’étude du GN. Cela *Dans un souci d’écriture inclusive et afin d’alléger le texte, le masculin et le féminin sont utilisés en alternance.
nous permettra de proposer une définition claire indépendant ; on ne peut interagir avec lui qu’à qui plaidera pour la reconnaissance d’une l’aide de son propre corps, partiel ou entier. pratique artistique authentique inspirée du Cette interaction sera nécessairement à la source théâtre. En somme, tout comme certaines de sensations, de sentiments et même sciences (ex : psychologie, sociologie, etc.) d’émotions différents. La cérébralité du jeu jugèrent nécessaires il y a plus d’un siècle de d’échecs exercée à une table, la vivacité de s’extraire du champ de la philosophie afin de réaction des jeux vidéo devant un écran et le forger leurs propres outils, méthodes et objectifs, mouvement de tout le corps sur le court de tennis le GN artistique doit comprendre sa situation ne laissent pas la même impression aux joueurs. unique par rapport au jeu de rôle en général. Traditionnellement, le jeu de rôle sur table se déroule dans un lieu minimaliste centré II. TABLE ET NATURE autour d’un point d’attention : le maître de jeu. La « table » est alors purement figurative, celle- ci référant à la nécessité pour les rôlistes de se Avant de débuter notre analyse de ce que nous rassembler autour de quelque chose afin définissons comme le GN, nous nous devons de d’écouter, interpeller et consulter le maître de jeu justifier l’existence même de notre projet. (et vice-versa), et non à l’obligation de se Pourquoi ne pas nous en tenir à l’expression jeu restreindre à une unique table. L’incarnation du de rôle en lui apposant au besoin le qualificatif personnage ne se traduit alors pas par la de grandeur nature? Serait-il à ce point incongru mobilisation complète du corps, mais par des de concevoir le jeu de rôle sur table et le jeu de échanges verbaux provoquant la création d’un rôle grandeur nature comme les deux espace imaginaire commun. Par ailleurs, cet déclinaisons d’une réalité unique reposant sur le espace imaginaire sera, dans la plupart des jeu de rôle lui-même? itérations du jeu de rôle sur table, créé collectivement par les participants, gagnant de Afin de répondre à cette question, il ce fait un récit unique. convient de se pencher sur certaines théories du jeu. Tout jeu peut être analysé sous l’angle de Le jeu de rôle grandeur nature, quant à trois relations : au lieu, au temps et à la règle. En lui, requiert minimalement un lieu permettant et étudiant ces deux supposées déclinaisons du jeu mettant en valeur les mouvements du corps tout de rôle sous l’angle de ces relations, nous entier. Cet environnement tridimensionnel, qu’il constaterons leurs différences fondamentales. s’agisse d’un cadre épuré de style blackbox libérant l’esprit et le corps des entraves à 1. Le lieu l’illusion, ou d’un décor immersif digne des Le lieu du jeu (et non l’espace, dont nous productions cinématographiques, sera organisé traiterons plus loin) est l’emplacement physique dans un seul but : transcender le lieu et et circonscrit où l’activité doit se produire. Il est matérialiser l’univers en permettant aux joueurs le terrain de baseball, les 64 cases de l’échiquier, de ne faire qu’un avec leur personnage. Les la chambre de l’escape room, le poste participants n’y sont donc pas extérieurs au lieu d’ordinateur, etc. Le lieu dicte les frontières du comme pourrait l’être un observateur ou un jeu et limite la liberté du joueur tout en la rendant manipulateur d’objets (ex : bouger un pion), possible. Effectivement, sans terrain de baseball mais parties intégrantes de la réalité du lieu (ex : avec ses buts, son marbre et ses champs, nous ne être le pion). Cette situation particulière génère pourrons au mieux que lancer la balle, courir en alors une multiplicité de subjectivités ; en GN, rond et manier la batte. C’est l’existence du lieu chaque individu dispose d’une perspective qui qui donne l’opportunité aux joueurs de donner lui est propre et contribue à la « courtepointe » vie aux règles du jeu et à un espace hors de leur éclatée qu’est le récit. quotidienneté. Le lieu n’est toutefois pas
Cette différence fondamentale dans les occultée et occasionne un décalage persistant lieux du jeu et dans l’utilisation du corps entre les intervenantes. Puisque nous sommes permettant d’entrer en relation avec eux ne perpétuellement forcés de briser le faire-croire saurait être négligée. Nous reviendrons en du jeu afin d’assurer la compréhension mutuelle conclusion de cette section sur ses et l’explication des actes physiques (ex : « Mon conséquences. personnage tourne les talons et s’enfuit »), nous ne pouvons jamais nous imprégner pleinement et 2. Le temps durablement du personnage à incarner. Le temps du jeu est une seconde relation distinctive. Tout jeu est circonscrit dans le Le jeu de rôle grandeur nature échappe à temps, avec un début, des étapes caractéristiques cette formule narrative. Nul besoin d’expliquer et une fin. Le match de baseball se conclut le mouvement du corps, le corps du rôliste se normalement au terme de ses neuf manches, la substituant au corps du personnage. Nul besoin partie d’échecs lorsqu’un roi est mis échec et mat de décrire l’environnement imaginaire, le lieu du et le tableau d’un jeu vidéo lorsque l’ennemi jeu se chargeant de représenter (ou de ne pas final est défait. À l’intérieur de cette période, obstruer) l’univers imaginé. Même dans les GN différentes étapes dictées par les règles viennent minimalistes où les décors sont suggérés plutôt imposer un rythme unique. Ainsi, les actions qu’imposés, leur définition relèvera de la entreprises dans le cadre d’un match de hockey proposition en-jeu -à l’image des propositions se succéderont souvent beaucoup plus lors des matchs d’improvisation- plutôt que de la rapidement que celles d’un match de baseball, description explicite. Tandis que le rôliste sur tout comme le sera une partie d’échecs table annonce ce que son personnage dit (« Mon chronométrée par rapport à une autre qui ne l’est personnage regarde la tavernière et dit : pas. Enfin, si le jeu est récurrent et évolutif (ex : « Donnez moi une chope de votre meilleure tournoi, campagne de jeu de rôle, jeu en ligne bière! » »), le GNiste le déclare sans détour. multijoueur, etc.), il sera tout de même découpé Bien sûr, plusieurs GN implanteront des règles en épisodes délimités dans le temps : provoquant des arrêts de jeu pour diverses qualifications et finales, événements, quêtes, etc. raisons : sécurité (physique ou émotionnelle), explication d’un effet impossible à représenter Les jeux de rôle, sur table ou grandeur (ex : la magie), coordination des participantes nature, n’échappent pas à cette exigence d’un (ex : positionnement de début de scénario), etc. début et d’une fin. Cependant, leurs rythmes Or, ces moments seront toujours perçus comme respectifs sont définis par une différence d’inévitables maux que l’on cherchera à éliminer marquante. Le jeu de rôle sur table est rythmé, ou minimiser. La rupture que ces interruptions comme nous l’avons mentionné précédemment, entraînent dans le rythme occasionne toujours par la relation narrative entre le maître de jeu et une forme d’irritation démontrant leur les joueuses : le maître -ou tout autre individu contradiction par rapport à la volonté fondatrice désigné- expose verbalement une situation, du jeu. Ce que l’on recherche dans le jeu de rôle invite les participantes à expliquer leurs grandeur nature, c’est l’élimination de la réactions et offre une rétroaction. Un échange distance entre la joueuse et le personnage et, par multilatéral se crée entre les individus qui conséquent, l’instauration d’un rythme où le réel deviennent alors cocréateurs de l’expérience et le fictif se confondent absolument sans ludique. Cette expérience est toutefois interruption ou décalage. constamment soumise à une dynamique -voire une limitation- communicationnelle : 3) La règle explication, interprétation, réaction. J’expose, La règle est l’ensemble des prescriptions et vous écoutez et vous vous créez une image restrictions limitant et générant la liberté des mentale, puis vous m’exposez votre réaction. joueurs. La règle dictera par exemple une Cette dynamique fondamentale ne peut être interdiction d’utiliser ses mains au soccer, sauf
lors d’une remise en jeu. La règle n’empêche six dés de dégâts sur une cible, et doublée en donc pas seulement certains actes ; au contraire, puissance dans un environnement humide, sera elle les rend possibles et leur donne sens. Nous impossible à représenter en grandeur nature sans ne pourrions ici décrire l’ensemble des règles attaquer l’esprit du jeu. imaginables, ni même prétendre à les catégoriser. Néanmoins, nous pouvons affirmer Étudions méthodiquement la question qu’elles visent toujours à définir les modalités des règles en distinguant les deux formes que des relations entre les joueurs, le lieu et le temps celles-ci peuvent prendre : les règles du jeu. constitutives et les règles régulatives. Comme l’écrit Colas Duflo dans Jouer et philosopher : Les similarités apparentes entre les règles des jeux de rôle sur table et grandeur nature « Les règles constitutives sont celles qui, expliquent probablement pourquoi ces deux formant système, rendent possible un certain pratiques sont encore si intimement associées. type d’activité. En les constituant, elles le La règle de ces jeux ne réfère pas exclusivement produisent. […] L’ensemble de ses règles définit à leurs aspects techniques ou procéduraux (ex : le jeu, et le crée tout en réglant son usage. Plus comment vaincre un ennemi), mais aussi à la encore, c’est une seule et même chose de régler logique sous-jacente à la création de l’univers son usage et de le créer. […] Les règles imaginé. Tente-t-on de recréer un univers régulatives règlent par contre l’usage de quelque historique ou fictif? La moralité mise en scène chose qui existe déjà. » (DUFLO, pp.129-130) est-elle manichéenne ou nuancée? Les personnages sont-ils humains? Originellement Par exemple, la règle voulant que, dans adeptes de jeux de rôle sur table, plusieurs une partie de Serpents et échelles, les serpents organisateurs de jeux de rôle grandeur nature provoquent la dégringolade du pion tandis que tentèrent de transposer les règles de leur passion les échelles autorisent son ascension peut être première vers leur nouvel objet d’intérêt. qualifiée de constitutive. Un joueur décidant Remplaçant les traditionnels dés par des armes soudainement d’utiliser les serpents pour gravir de mousse ou de latex, troquant le maître de jeu les cases du tableau de jeu ne jouerait tout pour des animateurs aux pouvoirs variables ou simplement plus à Serpents et échelles. La règle transposant directement la fiche de personnage régulative, quant à elle, propose une stratégie papier en une fiche mémorisée, ils tentèrent facultative permettant d’atteindre un objectif d’adapter l’expérience sur table à celle du donné sans compromettre le jeu lui-même. Au grandeur nature. Or, tout comme l’adaptation jeu de dames, par exemple, il est fortement d’un roman à succès au grand écran ne garantit suggéré -sans que ce soit obligatoire- d’amener pas la qualité du film, cette entreprise peut un maximum de pions dans la rangée de départ s’avérer périlleuse. de l’adversaire afin de les transformer en puissantes dames. Aller à l’encontre de cette La faiblesse de cette adaptation réside règle régulative ne mènera pas à l’interruption dans l’occultation de la différence fondamentale du jeu, mais diminuera les chances du joueur de lieu et de temps entre les deux types de jeu de d’obtenir la victoire. rôle. Une règle favorisant la narration sur table ne sera probablement pas recommandée pour le Ces deux types de règles sont elles- rythme du grandeur nature. Par exemple, un mêmes dépendantes de l’adoption d’un contrat système de règles impliquant la manipulation de ludique que les joueurs doivent librement nombreuses variables chiffrées et la prise en accepter afin d’initier et conclure le jeu. Afin de compte de multiples facteurs environnementaux débuter une partie de Serpents et échelles, les entraînera nécessairement une rupture de la participants doivent être en accord sur l’intention simultanéité et un bris du décorum du lieu du de débuter ladite partie et d’en respecter les grandeur nature. Cet éclair magique infligeant règles. Tant que cet accord n’est pas obtenu,
aucun jeu ne peut débuter. En ce sens, le jeu est tableau de Serpents et échelles, il tente de entièrement volontaire et libre ; il ne peut être marquer un but avec son ballon au soccer, il fait imposé. Si tel était le cas, il cesserait d’être jeu vivre son personnage sous toutes ses facettes lors et deviendrait travail, obligation ou autre labeur. du jeu de rôle sur table, etc. Inversement, si un Le plaisir ludique ne serait plus au rendez-vous. joueur renonce au conatus, il met de facto fin au contrat ludique, provoquant l’arrêt du plaisir Plus encore, le contrat ludique permet ludique de tous les individus impliqués. l’apparition du concept central à tout jeu : celui de la légaliberté. La légaliberté, concept central En somme, si nous résumons les notions de la thèse de Colas Duflo, est l’invention d’une empruntées à Colas Duflo, le jeu débute liberté par et dans une légalité. Par l’acceptation lorsqu’un ou plusieurs joueurs acceptent un du contrat ludique et des règles qui en découlent, contrat ludique initiant le jeu lui-même. Ce les joueurs créent un espace de liberté (le faisant, ils activent une série de règles « cercle magique » de Huizinga) complètement constitutives et régulatives dictant ou suggérant nouveau qui ne pourrait exister sans cette le déroulement du jeu à venir. À l’intérieur de acceptation. Hors de cet espace de liberté l’espace ludique ainsi créé, chaque joueur est nouvelle, le jeu de Serpents et échelles n’est motivé par un conatus caractérisé par la qu’un ensemble de morceaux de carton et de légaliberté propre au jeu initié. C’est dans la pièces de plastique sans signification. Toutefois, poursuite de ce conatus que le plaisir ludique dès qu’on reconnaît aux pions une identité naît. propre, ou aux dessins de serpents et d’échelles sur le tableau de jeu des fonctions uniques, on Quelle est donc l’essence de la crée une liberté inédite. Dans la vie « réelle », légaliberté générée par le jeu de rôle sur table? lancer une paire de dés à six faces n’a aucune Au-delà des règles constitutives propres à utilité ; dans ce jeu, c’est un acte fondateur chacune de ses déclinaisons (ex : création de la régulant les déplacements et menant à la victoire. fiche de personnage, règles d’affrontement, L’existence et l’acceptation de la légalité etc.), l’énoncé suivant pourrait résumer ce représentée par les règles engendre un espace de conatus : le jeu de rôle sur table invite chaque liberté unique. joueur à alimenter la narration des événements. La dynamique de proposition et de réaction entre À l’intérieur de cette légaliberté, les le maître de jeu et les joueurs -formulée par une joueurs sont motivés par leur conatus, notion narration dans l’oralité- étant au cœur de héritée du philosophe Baruch Spinoza. L'effort l’action, chacun doit veiller à son maintien et sa par lequel toute chose tend à persévérer dans son croissance. Un joueur refusant les déclarations être n'est rien de plus que l'essence actuelle de du maître de jeu ou empêchant ses partenaires cette chose ; telle est la définition de ce conatus. d’intervenir dans les péripéties ne sera pas C’est cet effort qui, dans le cadre du jeu, apporte seulement un mauvais joueur ; il détruira un plaisir ludique. Autrement dit, une fois le jeu complètement l’expérience de jeu, privant tous débuté, chaque joueur s’imprègne de son rôle les individus impliqués du plaisir ludique dicté par les règles afin de jouir de sa légaliberté promis. nouvellement acquise. Son objectif -qui lui apportera un plaisir ludique- sera de persévérer En GN, la légaliberté générée est fort dans son rôle le plus longtemps et efficacement différente : le GN invite, en théorie, chaque possible afin de maintenir sa légaliberté. Que le joueur à incarner dans l’entièreté de son être ses jeu soit articulé autour de la compétition, de la personnages. Cette incarnation est complète et coopération ou d’un mixte de ces deux notions, entière, soit physique et spirituelle chaque individu tente de profiter au maximum (psychologique, émotionnelle, intellectuelle, de la légaliberté que le jeu lui procure. Il lance etc.). Les participants s’approprient le récit, le les dés afin d’atteindre la dernière case du jouent de tout leur corps et leur esprit, et
l’alimentent par leurs actions. Souvent, cette III. METTEUR EN SCÈNE ambition sera résumée par le concept « d’immersion ». Or, ce dernier ne saurait ET GN ARTISTIQUE résumer avec exactitude l’expérience propre au GN. L’immersion peut supposer une forme de Nous nous sommes efforcés jusqu’ici de passivité face à un univers englobant, distinguer le GN du jeu de rôle sur table auquel enveloppant, cohérent. Si l’immersion est bel et il est fréquemment associé. Or, tout GN peut-il bien une réalité structurante en GN, elle ne rend être qualifié d’artistique? Suffit-il de pas compte de la contribution active des d’encourager l’incarnation physique et participants. Le GN n’exige pas simplement de spirituelle d’un personnage dans un cadre ses participants de recevoir ou subir une ludique pour en faire une expérience artistique? proposition narrative ; il lui demande de la vivre pleinement en l’incarnant, en développant sa Joël Pommerat, metteur en scène français propre subjectivité. Tel que nous l’avons contemporain, exposant sa démarche artistique observé plus haut, il n’y a alors aucune distance personnelle, écrit dans Théâtres en présence : physique et temporelle entre l’action des joueurs « Le théâtre, c’est ma possibilité à moi de capter et son impact dans le récit. La narration est le réel et de rendre le réel à un haut degré inappropriée dans ce contexte, celle-ci brisant d’intensité et de force. » (POMMERAT, p.10). l’immédiateté du jeu. Tout mécanisme ou toute L’artiste observe le réel sous un angle qui lui est action nuisant à cette incarnation contrevient à la propre, l’interprétant au travers une lunette légaliberté du GN, provoquant un bris du plaisir teintée par une sensitivité personnelle. Par un ludique. Ce qui empêche l’incarnation (ex : médium, elle s’affaire à (re)présenter à un public intrusion du « hors-jeu », sortie du rôle théâtral, une vision qui est sienne. Le processus artistique etc.) compromet le conatus de la légaliberté. s’articule donc autour de ces deux axes indissociables de réception (observation, En somme, autant dans leurs lieux, leurs interprétation) et d’émission (création, temps et leurs règles, le jeu de rôle sur table et le (re)présentation). L’artiste ne se contente pas de GN se distinguent. S’ils entretiennent des subir le réel ; elle aspire à partager son similitudes occasionnelles, celles-ci ne sont expérience avec le reste de l’humanité. Si nous aucunement essentielles. Le fait que les rôlistes adoptons cette définition de la démarche sur table aient contribué à la naissance du GN ne artistique, nous ne pouvons pas prétendre que nous autorise aucunement à faire de l’un le tout événement se présentant comme GN est parent de l’autre. Attendrait-on d’un joueur de aussi une expérience artistique. soccer la création d’un jeu vidéo de soccer, ou reconnaîtrions-nous plutôt que le second a Nous pourrions tenter de détailler les beaucoup plus à voir avec les autres jeux vidéo particularités du GN artistique en énumérant et ses programmeurs qu’avec le sport physique certains des aspects fréquemment observés dans traditionnel? La réponse à cette question va de ses représentations. Toutefois, nous ne devrions soi et c’est précisément en raison de celle-ci qu’il pas enchaîner notre définition à une multitude de convient désormais d’analyser le GN sous caractéristiques plus accidentelles l’angle de pratiques nouvelles avec lesquelles il qu’essentielles. La particularité unique de la entretient une proximité. déclinaison du GN ici conçue est beaucoup plus fondamentale : l’intention artistique d’une metteuse en scène. 1) Qu’est-ce qu’une metteuse en scène? Dans son Traité de la mise en scène, l’écrivain et critique français Léon Moussinac présente le rôle des metteuses en scène :
(actes, scènes, épisodes, campagnes, etc.) et « Après avoir conçu et fixé les lignes générales entraîne la création de la musicalité globale de de l’action dramatique et organisé cette action l’expérience théâtrale. Par exemple, une pièce dans l’espace et dans le temps par le moyen des aux scènes courtes, aux entrées et sorties éléments scéniques, le metteur en scène dirige, d’actrices rapides et dépourvue de prologue en l’inspirant, le travail de tous les donnera une impression de course haletante collaborateurs, de manière à atteindre dans susceptible de colorer un récit tout aussi l’unité du jeu dramatique les buts de la endiablé. Le façonnage du temps constitue donc représentation. » (MOUSSINAC, p.75) un outil primordial dans l’organisation de la pièce. Ces quelques lignes comportent de nombreux concepts que nous décortiquerons un Les éléments scéniques sont les éléments à un afin de mieux en saisir les conséquences artistiques et techniques concourant à la création logiques sur notre propos : l’espace, le temps, les théâtrale et revêtant le rôle de symboles créant éléments scéniques, les collaboratrices, l’unité un passage vers l’espace dramatique. Les du jeu dramatique et les buts de la éléments scéniques, une fois rassemblés, représentation. constitueront le lieu physique, mais ne s’y limiteront pas. On y associera la scénographie Dans le cadre de notre réflexion (ex : lumière, décors, son, etc), les costumes, les précédente, nous avons eu l’occasion de traiter maquillages, la disposition du public face à la du lieu en tant qu’emplacement physique et scène et l’entièreté des autres variables circonscrit où le jeu doit se dérouler. Au théâtre, susceptibles d’altérer la réception de il s’agira de la scène ou de l’environnement dans l’expérience théâtrale. L’illumination complète lequel performeront les actrices. Or, le lieu n’a ou la pénombre stratégique, un décor épuré ou d’importance qu’en regard de l’espace une reconstitution naturaliste d’un atelier de dramatique qu’il génère, celui-ci étant l’univers boucher, une musique d’ambiance ou un silence imaginé créé par l’assemblage des symboles mis lourd, ou une scène circulaire ou « à l’italienne » en scène dans le lieu physique. Les rideaux de ne sont qu’un infime échantillon des choix que velours écarlates, la table de chêne antique et le pourront opérer les metteuses en scène afin chandelier d’argent disposés sur une scène d’un d’influencer la perception du public. théâtre de Montréal, une fois la pièce de théâtre débutée, font voyager la troupe et le public vers Les collaboratrices forment l’équipe la salle du trône d’un château danois donnant chair à la pièce de théâtre. Spécialistes shakespearien. Lorsque le jeu commence, ou non, ceux-ci participent à un ensemble de l’espace dramatique se superpose au lieu et en tâches que les metteuses en scène ne sauraient altère le sens afin d’appuyer le récit présenté. prendre en charge adéquatement. Scénographe, Ainsi, le « lieu physique, géographique, concret, maquilleuse, dramaturge, éclairagiste, scénique en un mot, devient, durant la musicienne, costumière, actrice, régisseuse et représentation, un espace organisé en signes qui technicienne de scène sont parmi les plus possèdent tous une multiplicité de sens visibles, connues d’entre elles, mais ne sauraient résumer disponibles à l’interprétation et à même de l’entièreté des talents des individus contribuant à fournir une sorte de passage pour accéder à la réussite d’une prestation. Chacune de ces l’espace dramatique. » (BIET et TRIAU, p.84). collaboratrices est un rouage essentiel de la mise Le rôle des metteuses en scène est d’organiser en scène, agissant comme un multiplicateur de les symboles du lieu afin de créer ce passage vers l’effet théâtral visé. l’espace dramatique désiré. La coordination efficace des réalités Le temps est façonné en un rythme, une décrites par les concepts ci-dessus permet série de périodes aux durées et « tempos » variés d’atteindre une unité du jeu dramatique, soit la
cohérence interne de la pièce produite. Le l’épaulera dans sa tâche, de même que dans sa rythme complémentera la gestion de l’espace, gestion quotidienne de la communauté de spect- tout comme l’usage d’effets lumineux et sonores actrices. contribueront aux propos des actrices, offrant dès lors aux spectatrices une impression Cette dernière question qu’est la gestion d’harmonie renforçant le but de la de la communauté des individus participant aux représentation. Ce but pourra être de diverses événements ou orbitant autour de leur natures, les effets que les metteuses en scène organisation est d’ailleurs fondamentale. En pourraient vouloir produire sur les spectatrices fusionnant l’actrice et la spectatrice, le GN étant infinis, de la création d’un sentiment à la implique au quotidien dans son organisation ce transmission d’un message moral, politique, etc. qui ne serait, au théâtre classique, qu’un public relativement détaché de l’oeuvre. Les metteuses Ces réflexions, extraites du théâtre en scène -ou les responsables aux classique (le théâtre avec actrices et communications- ne doivent pas simplement spectatrices), peuvent toutefois susciter un doute gérer les attentes des individus et les préparer à lorsqu’elles sont transposées au GN artistique. la « surprise » de la pièce de théâtre ; elles S’appliquent-elles à ce dernier comme elles doivent les intégrer au processus même de s’appliquent aux œuvres théâtrales création. De ce fait, les valeurs qui teinteront les traditionnelles depuis des siècles? Y a-t-il lieu de échanges entre les metteuses en scène, leur penser que les metteuses en scène de GN équipe proche et les spect-actrices constitueront artistique puissent être appelées à « concevoir et des facteurs influençant l’expérience générale. fixer les lignes générales de l’action Par exemple, un événement articulé autour du dramatique »? thème du « secret » verra inévitablement les discussions de sa communauté -sur les médias Effectivement, la liberté d’action, sociaux, dans le réel, etc.- être imprégnées d’une l’improvisation et l’imprévisibilité des spect- forme de réserve dans les informations révélées. actrices (nous reviendrons sous peu à la définition de ce terme) rendent incertain le 2) La partition processus de préparation de l’action dramatique. Au théâtre classique, la partition occupe une Pourtant, nous devons reconnaître que les place prépondérante lors de la préparation de la expériences de GN se distinguent fortement pièce. Plus que l’unique « texte » qui consigne entre elles et ne sauraient être interchangeables. les mots prononcés par les acteurs et les Un événement ancré dans un univers fictif didascalies de leurs mouvements, la partition est médiéval axé sur l’émerveillement des un « relevé synchronique des interventions participantes est profondément différent d’un verbales et non verbales d’un personnage, voire autre faisant vivre la détresse du Krach boursier de tous les arts scéniques, de tous les codes ou de 1929. Cela signifie donc que, bien que les tous les systèmes signifiants d’un spectacle. » spect-actrices disposent d’une grande liberté, il y [PAVIS, p.275-276.]. En d’autres termes, la a bel et bien une ligne directrice et unificatrice partition est l’ultime compendium de la mise en définissant l’unité dramatique et guidant les scène d’une œuvre théâtrale. Étudiée par les participantes sur la voie de la cohérence et de la dramaturges, interprétée par les metteurs en cohésion. Avant même la tenue de l’événement, scène, adoptée par les techniciens et artisans, elle avant que le dialogue et les rétroactions entre les est au cœur de de la plupart des théories metteuses en scène et les spect-actrices ne soient théâtrales. Dans nombre de pensées classiques, initiés, il revient aux metteuses en scène d’elles- faire du théâtre, c’est avant tout donner vie à un mêmes de définir cette ligne directrice. Cela texte et, éventuellement, à une partition. s’effectue principalement par le biais de la partition (dont nous traiterons plus bas), mais Des adeptes de la reconstitution des aussi dans la constitution même de la troupe qui œuvres anciennes aux artistes contemporains ne
jurant que par le théâtre de création, la partition portée et même l’acceptabilité d’une action. joue un rôle certain, bien que variable. Toutefois, Puis-je maîtriser physiquement un autre rarement les pièces mises en scène incluent-elles personnage? Quels sont mes privilèges en tant une liberté aussi vaste que dans un GN artistique. que personnage aristocrate? Y a-t-il des actions Toutes les notions de répétitions, d’exercices, de entreprises par d’autres spect-acteurs qui peaufinage des scènes et de représentations devraient altérer le comportement de mon propre multiples en sont majoritairement évacuées. personnage? En somme, les mécanismes Chaque nouvelle représentation est une première régulent l’action de l’événement. et une finale, chaque scène est croquée sur le vif, chaque personnage n’est guidé que par ses L’univers est le corpus de récits -écrits, propres moteurs et non par une indication racontés, photographiés, peints, etc.- structurant explicite en provenance des metteurs en scène. le scénario de l’événement. Qu’il prêche par la En somme, la plupart des éléments caractérisant simplicité en tenant sur quelques lignes ou qu’il la partition classique ne sauraient s’appliquer puisse noircir les pages d’une encyclopédie de dans un GN. Privé de cet aspect essentiel théâtre, jeu, il aiguille les spect-acteurs sur le champ des peut-on véritablement le comparer au GN possibilités de leurs personnages. Le jeu se artistique? déroule-t-il dans un hôtel contemporain ou dans un palais antique? Pourquoi les personnages Pourtant, une forme de partition y existe sont-ils réunis en ce lieu? Quelles sont les bel et bien. Celle-ci est caractérisée par trois anecdotes marquantes de l’histoire de ce monde volets inéluctables lors de la préparation d’un fictif? Quels costumes revêtent les cohortes événement de ce genre : les mécanismes, habitant ces lieux? L’univers assure la cohérence l’univers et l’environnement. Chacun de ces des différentes créativités en présence parmi les volets aura une influence déterminante sur la spect-acteurs, incluant ou excluant certains manière dont les spect-acteurs prépareront, choix esthétiques et scénaristiques. incarneront et apprécieront leurs personnages. Ou, selon les termes utilisés précédemment, L’environnement se résume à ce que comment ils concevront leur « légaliberté ». nous avons décrit plus haut comme les éléments Cette partition ne dictera pas à proprement parler scéniques de la mise en scène classique. Les leurs paroles, mouvements ou expressions, mais metteurs en scène de GN artistique doivent orientera plus ou moins intensément leurs utiliser ces éléments scéniques -donc décisions et attitudes. l’environnement- afin d’orienter plus ou moins subtilement les volontés des spect-acteurs. Les mécanismes sont composés des Illuminer puissamment un local à l’aide d’une règlements -les interdits ou les autorisations- lumière blanche dissuadera inconsciemment les définissant le spectre de l’action des spect- individus y pénétrant de s’adonner à des acteurs. Ceux-ci peuvent autant moduler les tractations secrètes, chacun de leurs actes étant relations et interactions entre les personnages observé et observable. Disposer une cohorte de que les initiatives individuelles envers personnages dans un minuscule espace meublé l’environnement et l’univers. Des modalités créera un effet de promiscuité stimulant les balisant les conflits entre les personnages (ex : rapprochements. Un intéressant processus se met altercations physiques) à la définition de la ainsi en marche lorsque les spect-acteurs entrent puissance d‘un individu (ex : les aptitudes liées en contact avec un environnement à son rôle) en passant par le respect de la sécurité judicieusement réfléchi ; tout en l’utilisant émotionnelle, les mécanismes ou l’absence de comme une source d’inspiration pour leur propre mécanismes déterminent les conditions imaginaire, ils seront ingénieusement influencés d’existence de l’action du spect-acteur. Sans par celui-ci. eux, nous baignons dans un flou dangereux où il est impossible de déterminer avec certitude la
Nous pourrions dédier une thèse oeuvre n’étant aucunement réfléchie en fonction complète à l’unique analyse des trois volets de sa présence. La spectatrice perdrait donc son brièvement énoncés ci-dessus. Toutefois, nous statut de noble partenaire du théâtre classique nous en tiendrons à l’exposition de leurs pour se draper de l’odieux voile de voyeuse. Elle principales caractéristiques afin de démontrer ne serait plus la destinataire attendue et désirée l’existence d’une partition théâtrale lors d’un par les artistes, mais l’intruse s’infiltrant et GN artistique consolidant les intentions corrompant la crédibilité et l’authenticité d’une artistiques des metteurs en scène et l’unité scène. À l’image de la caméra modifiant par sa dramatique. Certes, cette partition doit seule présence les interactions privées d’une scrupuleusement mettre en valeur la liberté du famille, l’œil extérieur interromprait spect-acteur -essentielle à l’incarnation du l’incarnation intuitive d’un rôle ; la spectatrice personnage- et ne pourrait donc pas dicter briserait l’envolée naturelle de l’actrice en la chaque détail d’une représentation. Elle est, forçant à préférer la manifestation de son rôle à pourrions-nous dire, intériorisée par les son incarnation. participants. Néanmoins, elle existe bel et bien et représente un argument supplémentaire en Les spectatrices ne doivent donc pas être faveur d’un GN artistique inspiré par la pratique exclues du jeu, mais entièrement intégrées à théâtrale. celui-ci. En ce sens, nous utiliserons le néologisme de spect-actrices pour distinguer sa place dans l’expérience du GN artistique. Il IV. ACTRICE ET convient de noter que ce terme n’est guère le fruit de notre imagination. Du théâtre forum SPECTATRICE d’Augusto Boal aux œuvres plastiques en art contemporain, les spect-actrices sont les En raison de la position particulière qu’occupe la déclencheurs de la création. À différents degrés partition par rapport à l’œuvre jouée dans le et en fonction du médium en cause, on leur cadre du GN, l’acte de mise en scène a pour proposera une expérience immersive plus ou fonction de mettre les spect-actrices au cœur du moins active : intervention directe auprès des jeu. Celui-ci n’est pas qu’un facteur parmi actrices afin d’altérer le cours de la pièce de d’autres de la réalisation de l’incarnation, mais théâtre, déplacement autour d’une sculpture sa matière première. Ainsi, si l’expérience du urbaine afin d’en activer les propriétés, GN artistique devait être comparée à une positionnement au cœur de la chorégraphie traversée en mer, les spect-actrices seraient les dansante afin de modifier les mouvements des voiliers que le vent des metteuses en scène artistes, etc. Les spect-actrices agissent sur mettent en mouvement dans une direction. Il est l’œuvre et la transforment au même moment où donc essentiel d’étudier attentivement les rôles elles la découvrent et l’appréhendent. fondamentaux que sont ceux de l’actrice et de la spectatrice. Si la notion de spect-actrice peut être évoquée dans plusieurs styles théâtraux, elle 1) Les spect-actrices acquiert dans le GN sa forme la plus pure. Il ne D’entrée de jeu, nous ne pouvons occulter le suffit pas pour les spectatrices d’influencer le caractère unique du GN à ce sujet, soit la fusion récit ou la mise en scène ; elles doivent revêtir de l’actrice et de la spectatrice. En elle-même, pleinement le chapeau d’actrices afin qu’il y ait l’expérience proposée n’est pas destinée à un œil identité de ces deux statuts habituellement extérieur au jeu. Non seulement cet oeil en distincts. Les spect-actrices cocréent viendrait-il inévitablement à manquer la l’événement théâtral, proposant et recevant majorité des scènes réalisées en simultané par la constamment et dans l’immédiat les propositions panoplie de participantes en des lieux différents, structurant le récit. Elles ne vivent pas par mais il ne saurait que se sentir exclu d’une procuration ou empathie les pensées, émotions
ou volontés de l’actrice sur scène, mais les entrer dans un corps, ou se faire chair. La vérité éprouvent directement par leur action humaine manifestée par la troupe du théâtre personnelle librement choisie. classique à son public est ici découverte dans l’acte artistique du spect-acteur qui l’incarne. En 2) Narrer, manifester, incarner revêtant le costume d’un personnage et en se À la lumière des dernières propositions, opérons plaçant dans des situations spécifiques, les une brève parenthèse afin de clarifier la émotions, idées, volontés et autres vérités différence dans les ambitions entre le théâtre naîtront d’elles-mêmes. Cette réalité fait écho classique et le GN artistique d’inspiration aux écrits de Constantin Stanislavski dans La théâtrale. Précédemment, lors de notre examen formation de l’acteur : du jeu de rôle sur table, nous avons établi que ce dernier avait pour ambition première -ou « On peut comprendre un rôle, sympathiser avec conatus- de narrer le récit, contrairement au GN le personnage et se placer dans les mêmes qui cherchait à l’incarner. Le théâtre classique, conditions que lui afin d’agir comme il le ferait. pour sa part, aspire à le manifester. Ces C’est ainsi que naîtront chez l’acteur des différentes ambitions auront un impact majeur sentiments qui seront analogues à ceux du sur la posture des participants. Nous ne personnage, mais qui n’appartiendront qu’à reviendrons guère sur la narration du jeu de rôle l’acteur. » (STANIVSLAVSKI, pp.205-206) sur table et nous concentrerons sur le sens que nous accordons à manifester et incarner. La vérité au cœur de l’expérience théâtrale, classique ou rôliste, est donc Le théâtre que nous qualifions de susceptible d’être similaire. C’est toutefois son « classique » est caractérisé par la séparation mode de révélation ou de découverte -par claire entre le spectateur et l’acteur. Il repose sur manifestation ou incarnation- qui détermine le la transmission d’une œuvre, plus ou moins processus artistique subséquent. longuement préparée par une troupe, à un public. Cette transmission de l’œuvre -des sentiments, En terminant, il convient de préciser que idées, perspectives, etc. dont elle est porteuse- la narration, la manifestation et l’incarnation est avant tout manifestée, signifiant par-là, peuvent, à un moment ou un autre et plus ou comme le relevait dans une perspective moins partiellement, être retrouvées dans théologique chrétienne le terme latin chacune de ces pratiques. Le jeu de rôle sur table « manifestare », qu’elle est révélée au public. La pourra intégrer ponctuellement une phase manifestation ne se résume donc pas à la simple d’incarnation, tout comme un conteur sur scène, déclamation des paroles des personnages, aux créant un dialogue direct avec le public, se mouvements sur scène, aux émotions affichées tiendra habilement en équilibre sur la ligne entre ou à l’histoire articulée ; elle révèle au public une la narration et la manifestation. Enfin, un vérité. La pièce de théâtre, dans chaque aspect de metteur en scène de GN artistique pourrait sa réalisation préparée par la troupe - utiliser la narration comme méthode rapide pour scénographie, costumes, lumières, sons, mise en faire naître dans l’imaginaire des spect-acteurs scène, etc.- se manifeste au public, révélant dès une imagerie spécifique. Cependant, ces lors l’universalité de sa proposition artistique. La occurrences seront toujours accidentelles et non manifestation est dirigée de la troupe vers le essentielles (pour reprendre ces notions public, tout en étant fondée sur un lien aristotéliciennes) ; le théâtre classique peut se profondément humain entre eux. priver de narration, mais jamais de manifestation, tout comme le GN artistique ne Le GN artistique, tel que décrit dans les peut exister sans incarnation. Nous ne tentons présentes lignes et reposant sur le spect-acteur, donc pas ici de circonscrire un médium artistique en appelle à incarner le récit. Incarner, c’est, à un modus operandi, mais à indiquer ce qui en comme le rappelle l’étymologie latine du verbe,
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