Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité

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Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
BIODIV’2050
                           Biodiversité marine :
                           enjeux écologiques et économiques

Numéro 16 - Février 2019
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
Vendée - Baie de l’Aiguillon sur Mer © A.Lamoureux

EDITO

C     omme beaucoup l’ont remarqué
      tout en faisant la fête comme pour
s’en réjouir, le 1er janvier dernier, c’est un
                                                                         d’espèces exogènes, pollutions chimiques,
                                                                         organiques, plastiques, …). 80% des
                                                                         pollutions marines sont d’origine terrestre
9 qui est venu se placer derrière le 1 pour                              et anthropique (PNUE). L’homme a la main
remplacer le 8 qui lui-même remplaçait le                                pour agir sur toutes ces menaces par
7, le 6, 5, 4... Le compte à rebours ne s’est                            ses capacités techniques mais aussi par
donc pas arrêté.                                                         ses moyens économiques dont le niveau
                                                                         nécessaire pour agir efficacement n’est pas
Le prochain sera un 0 et sonnera l’heure
                                                                         démesuré. En effet, on estime que moins
du bilan des engagements pris il y a 10
                                                                         de 0,5% du PIB mondial est suffisant pour
ans, qui reportaient déjà ceux de 1992
                                                                         permettre d’atteindre les objectifs d’Aichi.
de la Convention de Rio sur la diversité
                                                                         Or une étude de la Banque Mondiale
biologique : stopper l’érosion de la
                                                                         estime que les biens et services issus des
biodiversité !
                                                                         écosystèmes marins et côtiers génèrent
Au sein de ces accords internationaux,                                   plus de 20 billions de dollars à l’échelle
les objectifs d’Aichi (1) fixent entre autres,                           mondiale soit environ 25% du PIB mondial.
à 10%, la surface de zones côtières à
                                                                         Quand les perspectives révèlent que            constructives. Ne négligeons pas le fait que
protéger d’ici 2020. Malgré les quelques
                                                                         75% de la population mondiale vivra dans       l’incertitude scientifique réserve souvent de
mois qui nous en séparent encore,
                                                                         la zone côtière (0 à 50 km) en 2025, il ne     bonnes surprises.
soyons lucides : le compte n’y sera pas.
                                                                         s’agit donc plus seulement d’agir mais
Ces zones qui sont le siège d’une forte                                                                                 Alors avant qu’un 0 ne vienne remplacer
                                                                         de réagir. D’expérimenter de nouvelles
productivité biologique et qui jouent un                                                                                le 9, soyons collectivement audacieux
                                                                         voies pour la restauration écologique des
rôle fondamental dans le maintien des                                                                                   et ne nous contentons pas des seules
                                                                         milieux marins, mais aussi de déployer de
fonctions écologiques, sont pourtant                                                                                    déclarations et de leurs engagements, …
                                                                         façon conséquente les méthodes qui ont
soumises à des pressions de plus en                                                                                     tenons-les !
                                                                         déjà donné des résultats encourageants.
plus fortes et atteignent aujourd’hui la
                                                                         Nul besoin d’attendre la perfection
limite de rupture. Les menaces sont
nombreuses et variées (surexploitation
                                                                         et la certitude des résultats pour se                              PHILIPPE THIEVENT
                                                                         lancer dans des actions réparatrices et                  Directeur de CDC Biodiversité
des ressources, dégradation voire
destruction des habitats, introduction

 (1) High Level Panel on Global Assessment of Resources for
Implementing the Strategic Plan 2011-2020 for Biodiversity of the CBD.
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
SOMMAIRE
TRIBUNE
„„ Philippe Cury
                                                                                             4
   Directeur de recherche à l’IRD

COMPRENDRE                                                                                  6
Biodiversité marine : pressions, poids
économique et leviers économiques
„„ Analyse du positionnement des acteurs quant à
   leurs impacts et dépendances à la biodiversité
   marine et à leur poids économique
„„ Les mécanismes d’appui au développement
   de la restauration/protection écologique
   en mer en France ou en UE

INVENTER                                                                           25
Compensation et restauration écologique en milieu marin
„„ Quelle application des mesures
   compensatoires en milieu marin ?
„„ Restauration écologique des petits fonds côtiers
   - focus sur l’expérimentation REXCOR à Marseille
   (Restauration écologique EXpérimentale des petits
   fonds côtiers de la calanque de CORtiou)
„„ Restauration : gains écologiques et pérennité de l’action

INTERNATIONAL                                                                      30
Projet de restauration de mangroves de la
Casamance et du Sine-Saloum (Sénégal)

INITIATIVES
„„ Palme IFRECOR 2018 : 3 élus des
                                                                                    32
   Outre-mer sont récompensés
„„ Lancement des zones humides
   éducatives en Guadeloupe
                                                                                                 Immersion d’un récif artificiel © Julien DALLE – SEABOOST

   DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : MARC ABADIE
   RÉDACTEUR EN CHEF : PHILIPPE THIÉVENT
   COORDINATION-CONCEPTION : CLAIRE DEVINEAU ET ANTOINE CADI
   ETUDE REALISEE PAR : SUSIE DALLA FOGLIA ET CLAIRE DEVINEAU
   EDITION : MISSION ECONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ
   GRAPHISME : JOSEPH ISIRDI – www.lisajoseph.fr
   MAQUETTE : PLANET 7 PRODUCTION
   CONTACT : meb@cdc-biodiversite.fr
   PHOTO DE COUVERTURE : Calanque Marseille © djedj
   AVERTISSEMENT : BIODIV’2050 PRÉSENTE LES TRAVAUX EN COURS ET LES AVANCÉES DE LA MISSION
   ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ. LA RUBRIQUE TRIBUNE PERMET AUX ACTEURS CONCERNÉS DE DONNER
   LEUR POINT DE VUE SUR LES SUJETS TRAITÉS. LES PROPOS QUI Y FIGURENT N’ENGAGENT QUE LA
   RESPONSABILITÉ DES PERSONNES INTERROGÉES.
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
TRIBUNE
                                                    conséquences ne peuvent être anticipées,                                moyenne trois à quatre fois trop nombreux
                                                    et qui affecterait en premier lieu les                                  au niveau mondial (avec cependant une
                                                    ressources halieutiques, mettant en danger                              grande hétérogénéité selon les Etats).
                                                    la pêche et donc la sécurité alimentaire de
                                                                                                                            L’aquaculture peut-elle répondre à
                                                    nombreux peuples. Par exemple, la seule
                                                    augmentation significative de température                               cette demande en hausse de protéines
                                                    de la mer entrainerait la migration de                                  issues de la mer ? Est-ce une solution
                                                    nombreuses espèces et fragiliserait                                     de substitution viable à la surpêche ?
                                                    davantage la durabilité de la pêche.                                    L’accroissement de l’activité aquacole
                                                                                                                            permet en partie de répondre à la hausse
                                                    Comment qualifie-t-on la surpêche et
                                                                                                                            de la demande. Cependant, l’aquaculture
                                                    l’érosion de la biodiversité marine ?                                   présente également des inconvénients
                                                    L’océan est exploité par la pêche, soit 200                             puisqu’elle exerce une pression très forte
                                                    millions de km², pour fournir seulement                                 sur la ressource en poissons pélagiques,
                                                    8 % des protéines mondiales consommées                                  qui constituent la source de nourriture
       PHILIPPE CURY                                (contre 50 millions de km² pour l’agriculture                           de ces élevages. 68 % de ces poissons
       Directeur de recherche à l’IRD               pour 92 % de protéines consommées).                                     « fourrage » pêchés sont transformés en
                                                    Les captures sont passées de 20 millions                                farine pour le secteur de l’aquaculture (le
                                                    de tonnes au début des années 1950 à                                    reste étant à destination des élevages de
    Qu’est-ce qui caractérise les océans            85 millions de tonnes aujourd’hui, sommet                               porcs et de volailles). Avec cette pression
    et rend le sujet de la préservation de          atteint depuis le milieu des années 1990,                               exercée sur les petits poissons (2), c’est
    la biodiversité marine si singulier ?           selon l’Organisation des Nations unies                                  l’ensemble d’un écosystème qui est
                                                    pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La                          bouleversé, avec comme conséquence
    Pour le grand public, l’océan est perçu
                                                    stagnation des captures observée depuis                                 des incidences significatives sur la
    comme un espace intact, symbole de
                                                    plus de 20 ans traduit l’épuisement de la                               biodiversité marine en général. Il est
    romantisme, de liberté et de loisir, au                                                                                 compliqué de prouver scientifiquement
    sein duquel la biodiversité serait une          ressource halieutique, alors que le nombre
                                                    de bateaux et de filets de pêche n’a cessé                              l’extinction d’une espèce en mer (3), mais on
    sorte de « collection de timbres ». Cette                                                                               constate une diminution des abondances
    vision erronée est renforcée par le fait        d’augmenter sur cette période.
                                                                                                                            des espèces marines (les populations
    que les pressions anthropiques dans             L’érosion de la biodiversité marine est donc                            mondiales d’oiseaux marins et de tortues
    le milieu marin sont moins visibles que         principalement le résultat d’une demande                                marines auraient par exemple diminué
    dans le milieu terrestre, alors qu’elles sont   croissante pour les produits de la mer,                                 de 50 % à 80 % au cours de ces cinq
    probablement plus grandes. Les défis liés       tirée par la croissance démographique                                   dernières décennies).
    à l’érosion de la biodiversité marine sont      et l’augmentation drastique de la
    récents puisqu’ils sont liés à l’accélération                                                                           L’industrie aquacole génère, en plus des
                                                    consommation par habitant. D’après
    du développement économique et la                                                                                       déséquilibres écologiques, des impacts
                                                    la FAO, la consommation de poissons
    mondialisation amorcées dans les années                                                                                 socio-économiques de grande ampleur
                                                    destinée à l’alimentation humaine a
    50. Depuis lors, les activités humaines                                                                                 mettant en cause la sécurité alimentaire
                                                    augmenté deux fois plus vite que la
    et leur intensité ne cessent d’augmenter                                                                                de certains pays en développement.
                                                    croissance démographique depuis 1961.
    (changement climatique, pêche, extraction                                                                               En Namibie par exemple, la surpêche
                                                    De 9 kg par habitant et par an en 1961, elle
    minière, transport…).                                                                                                   couplée au fait que la nature « a horreur
                                                    atteint 20,2 kg en 2015.
                                                                                                                            du vide », ont conduit, non seulement à
    S’il est possible de hiérarchiser les           Le taux de surexploitation des ressources,                              la disparition de manchots et des fous
    pressions sur la biodiversité marine,           défini comme la part des stocks exploités                               du Cap qui sont morts de faim, mais
    avec en premier lieu la surexploitation         à un niveau biologiquement non durable (1),                             également à la colonisation de tonnes de
    des ressources halieutiques, suivi du           est actuellement estimé à 30 % par la FAO.                              méduses non comestibles qui ont envahi
    changement climatique et des rejets             Autrement dit, on pêche trop et de façon                                les milieux (depuis 20 ans). Ces exemples
    polluants, c’est avant tout la synergie de      chronique. Les bateaux de pêche et les
    ces facteurs qui concoure à l’érosion de        engins qui exploitent les océans seraient en                            (2) Le milieu marin est structuré en taille : le plus gros mange le plus
    la biodiversité marine. Le principal risque                                                                             petit (contrairement au milieu terrestre). Tous les poissons sont petits
                                                                                                                            au début de la vie.
    qui en découle est un bouleversement
                                                    (1) stade où un prélèvement de ressources naturelles dépasse le stade   (3) Il faut observer et constater parfois pendant 60 ans un déclin d’une
    écologique irréversible dont les                du renouvellement.                                                      espèce pour pouvoir la qualifier comme « en voie de disparition ».

4     BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
de modifications des écosystèmes liées
à la surexploitation du milieu marin ont
été observés dans de nombreuses zones
océaniques, notamment en mer Noire,
mer de Bohai ou encore en Méditerranée,

                                                                           © Vilainecrevette
menaçant directement l’écosystème marin
et la pêche.

Une étude parue en 2018 (4) démontre
comment les choix survenus dans                                            Quels sont selon vous les                       plus spécifiquement au fonctionnement de
le secteur de la pêche au cours des                                        recommandations à mettre en                     ce marché qui est un des plus mondialisé
deux dernières décennies au Sénégal                                        place pour la préservation de                   (un poisson sur deux est échangé au
(surcapacité, surexploitation et mauvaise                                  cette biodiversité marine ?                     niveau mondial (5)). Les consommateurs ne
gestion) ont conduit à une vulnérabilité                                                                                   sont en effet pas en mesure de percevoir
                                                                           A la fin du 19e début 20e siècle, on a pensé
alimentaire critique due à la raréfaction                                                                                  la baisse des stocks de poissons puisque
                                                                           qu’avec des modèles mathématiques
de la ressource et la hausse des prix                                                                                      pendant des dizaines d’années les
                                                                           simples on réussirait à anticiper les
des produits issus de la pêche. Alors                                                                                      captures ont augmenté. Cela a en réalité
                                                                           évolutions de la nature, par exemple
qu’au début des années 2000 85 % des                                                                                       été possible en allant chercher la ressource
                                                                           en optimisant les prises pour garantir le
espèces pélagiques étaient consommées                                                                                      de plus en plus loin, de plus en plus
                                                                           renouvellement des ressources. Nous en
localement, cette part est tombée à                                                                                        profondément, de plus en plus diversifié,
                                                                           sommes arrivés à l’échec que l’on connaît.
60 % en 2010. Cette évolution est une                                                                                      masquant ainsi les extinctions locales
                                                                           C’est à une approche écosystémique qu’il
perte directe d’apport de protéines bon                                                                                    successives d’espèces.
                                                                           faut revenir : à l’image du fonctionnement
marché pour le Sénégal, dont l’économie
                                                                           de l’agroécologie, qui vise à réconcilier       Enfin, il semble incontournable de tendre
est fortement dépendante de la ressource
                                                                           exploitation et conservation, il faudrait       vers davantage de zones d’interdiction de
marine, et qui se trouve accaparées au
                                                                           sélectionner les prises. Or, on sait            pêche, avec pour objectif par exemple de
profit de la demande extérieure.
                                                                           aujourd’hui mesurer le prélèvement              30 % de protection des habitats marins.
Au niveau mondial, la quantité exportée de                                 maximum pour maintenir les populations          L’interdiction par l’Union européenne de
farine de poissons pour nourrir les fermes                                 dépendantes des petits poissons (évalué à       la pêche à plus de 800m de profondeur
aquacoles est passée de 3 000 tonnes                                       40 % de l’abondance maximale observée).         (chalutage en eaux profondes) est à ce
à 17 000 tonnes entre 2003 et 2017.                                        L’enjeu réside dans sa mise en application      titre une mesure de bon sens. Cette
Or, en termes d’apports énergétiques,                                      et dans le déploiement de ces savoirs et        pratique était un non-sens écologique
l’aquaculture ne représente pas une                                        techniques pour y parvenir.                     et économique : d’une part parce-que
solution au défi de la sécurité alimentaire,                                                                               plus on pêche en profondeur, moins les
                                                                           Nos économies auront du mal à se
car les coefficients de transfert sont nuls,                                                                               populations (bien que très diversifiées)
                                                                           développer sans ressources marines
à savoir que les protéines servant à nourrir                                                                               sont abondantes. Le manque de lumière
                                                                           renouvelables sauvages et la pêche n’est
les poissons d’élevage ne permettent pas                                                                                   rend en effet le milieu peu productif et le
                                                                           rien d’autre que la pratique de la chasse
de produire proportionnellement plus de                                                                                    renouvellement plus lent. D’autre part,
                                                                           en milieu marin. A l’heure de l’intelligence
protéines (comparé à une consommation                                                                                      parce que ce milieu n’est pas propice à la
                                                                           artificielle, on exploite la mer, un bien
humaine directe de ces poissons de                                                                                         production de protéines.
                                                                           commun, au moyen d’une mécanisation
fourrage). Aussi, si on s’intéresse à la
                                                                           archaïque et dans l’irrespect le plus total     Mieux gérer les ressources marines et
sécurité alimentaire, l’aquaculture doit
                                                                           de la biodiversité. Il est temps de mettre la   privilégier les pêches artisanales sélectives
se tourner de plus en plus vers des
                                                                           technologie et l’innovation au service d’une    sont donc une priorité si l’on veut préserver
maillons trophiques bas (algues, poissons
                                                                           exploitation marine plus respectueuse de la     la biodiversité marine. 
herbivores, …).
                                                                           nature et durable.

                                                                           Par ailleurs, toujours à l’image des enjeux
                                                                           agricoles, il me semble nécessaire de
                                                                           revenir à une pêche locale et à taille
                                                                           humaine. Dans cette perspective, il est
                                                                           primordial d’encourager et de sensibiliser
 (4) Thiao et al 2018. Need for adaptive solutions to food vulnerability                                                   (5) Il est facile de consommer par exemple du saumon frais au Maroc
induced by fish scarcity and unaffordability in Senegal. Aquat. Living     les consommateurs aux enjeux marins et          alors qu’il s’agit d’une espèce non présente dans cette région à l’état
Resour. 2018, 31, 25.                                                                                                      sauvage.

                                                                                                                           MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ                                       5
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
COMPRENDRE
    BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS
    ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES

     Requin baleine se nourrissant dans une eau polluée par les plastiques © Rich Carey

    L    a France dispose du deuxième
         espace maritime mondial qui englobe
    10 % des récifs coralliens et 20 % des atolls
                                                                                   qui requièrent à la fois une sensibilisation
                                                                                   accrue des acteurs et une adaptation des
                                                                                   politiques et instruments existants.
                                                                                                                                   retours d’expérience encourageants,
                                                                                                                                   bien qu’encore limités, sur l’efficacité des
                                                                                                                                   techniques et des solutions disponibles.
    de la planète. Elle est tenue, d’une part,
                                                                                   Qu’ils soient règlementaires ou                 Le secteur du génie écologique marin
    d’assurer une protection des écosystèmes
                                                                                   volontaires, les mécanismes d’appui             est un secteur en émergence en France.
    marins placés sous sa responsabilité,
                                                                                   au développement de la restauration/            Historiquement porté par l’immersion
    mais également d’assurer la sûreté et la
                                                                                   protection écologique en mer y compris          de récifs artificiels à partir des années
    sécurité des personnes et des biens (1). Le
                                                                                   la mobilisation de ressources financières       1970, initialement avec des matériaux
    défi est de taille, car l’essor des activités
                                                                                   additionnelles constituent un véritable défi.   mal adaptés (pneumatiques, carcasses
    économiques maritimes, combiné à la forte
                                                                                                                                   de voitures…), les techniques et modules
    attractivité démographique du littoral, en                                     En France, les efforts en matière de lutte
                                                                                                                                   se sont peu à peu améliorés, au fil des
    font un lieu aux usages souvent conflictuels                                   contre les pollutions domestiques et
                                                                                                                                   expériences, avec pour idée de renforcer
    et caractérisés par de forts enjeux                                            industrielles ont permis une réduction
                                                                                                                                   leur efficacité et de diversifier les objectifs
    écologiques. Le milieu marin présente des                                      de certaines pressions anthropiques
                                                                                                                                   possibles. Ces derniers sont désormais
    caractéristiques particulières, tant du point                                  sur les écosystèmes marins depuis une
                                                                                                                                   variés : production halieutique, promotion
    de vue écologique (continuité, stabilité,                                      trentaine d’années. Cette réduction des
                                                                                                                                   des usages récréatifs et pédagogiques,
    connaissance limitée du fonctionnement                                         pressions ouvre la voie vers la possibilité
                                                                                                                                   protection contre certaines pressions
    des écosystèmes …), que juridique                                              de restaurer certains milieux dégradés.
                                                                                                                                   (chaluts, mouillages forains) et plus
    (domaine public maritime) ou encore socio-                                     De multiples études, travaux et opérations
                                                                                                                                   récemment reconstitution de biocénoses
    économique (multiplicité des usages),                                          pilotes menés donnent aujourd’hui des
                                                                                                                                   marines et reproduction de certaines
                                                                                                                                   fonctionnalités écologiques (abri,
    (1) Comité interministériel de la mer de 2018 (communiqué de presse)                                                           nourrissage, reproduction…).

6       BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
Tableau 1 - Analyse des
impacts et dépendances                                                                           Impacts                               Dépendances                              Indicateurs économiques
de chaque secteur vis-à-
vis de la biodiversité et                                                   Nombre de pressions          Nombre de pressions         Degré de dépendance
                                                                                                                                                               Importance de la           Part de l’activité              Degré de
indicateurs économiques                                                      auxquelles l’activité        auxquelles l’activité      présumée de l’activité
                                                                                                                                                              valeur ajoutée par          tournée vers le              concentration du
                                                                            contribue de manière         contribue de manière        au bon état écologique
                                                                                                                                                                   secteur                marché français                  secteur
                                                                                  mineure*                  significative**            des milieux marins

                                        Pêche professionnelle
                                        (engins trainants)
                                        Autre pêche professionnelle

                                        Pisciculture

                                        Conchyliculture
                                        Transformation-
                                        Commercialisation des                     Non-traité                  Non-traité
                                        produits de la mer
                                        Construction navale
                                                                                  Non-traité                  Non-traité
                                        (dont nautique)
                                        Ports de plaisance et
      SECTEURS DE L’ÉCONOMIE MARITIME

                                                                                                                                                                     ND
                                        services associés***
                                        Ports de commerce et
                                        services associés***
                                        Transport maritime
                                        Tourisme littoral –
                                        activités balnéaires
                                        Navigation de plaisance et
                                                                                                                                                                     ND
                                        sports nautiques
                                        Activités câblières sous-
                                        marines
                                        Extraction de matériaux

                                        Production électrique littorale

                                        Production d’EMR
                                        Activités parapétrolières et
                                        paragazières offshore
                                        Services financiers maritimes             Non-traité                  Non-traité

                                        Travaux publics maritimes

                                        Défense nationale

                                        Protection de l’environnement             Non-traité                  Non-traité                                             ND

                                        Aménagement-construction
  ÉCONOMIE MARITIME

                                        sur bassin versant, rejet des
    SECTEURS HORS

                                        eaux usées****
                                        Assainissement des
                                        eaux usées
                                        Agriculture
                                                                                  Non-traité                  Non-traité
                                        Grande distribution
                                                                             (excepté focus plastique)   (excepté focus plastique)

                                                                                                                              Légende

                                                                                                * Attention, l’indicateur ici ne préjuge pas de l’importance de     *** « Activités de dragage-clapage » dans l’évaluation
      0 à 2 pressions mineures/ Niveau faible pour les                                          chaque pression considérée et de ses impacts sur l’écosystème.      initiale DCSMM.
  caractéristiques économiques                                                                  Il fait uniquement la synthèse de la diversité des pressions        **** « Habitation littorale, artificialisation des sols, vie courante »
                                                                                                considérées comme mineures pour une activité donnée.                dans l’évaluation initiale DCSMM.
      3 à 5 pressions mineures/ Niveau moyen pour les
  caractéristiques économiques                                                                  ** cet indicateur ne préjuge pas de l’importance de chaque          La mention ND indique que les données ne sont pas disponibles
                                                                                                pression considérée et de ses impacts sur l’écosystème. Il fait     ou que l’analyse est non-pertinente.
      Plus de 5 pressions mineures/ Niveau élevé pour les                                       uniquement la synthèse de la diversité des pressions considérées
  caractéristiques économiques                                                                  significatives pour une activité donnée.

                                                            Périmètre : France métropolitaine pour les impacts et dépendances, y compris Outre-Mer pour les indicateurs économiques
                                                                          Source : CDC Biodiversité d’après AAMP (2) et DEMF-Ifremer (3), dans le cadre du projet Nuamce (4)

(2) Analyse des pressions et impacts de l’évaluation initiale de l’état des eaux marines pour la DCSMM.

(3) Kalaydjian Régis, Girard Sophie (2017). Données économiques maritimes françaises 2016. Brest, France : Ifremer, http://doi.org/10.13155/49962

(4) Nurseries Artificielles Marines Côtières Expérimentales Restauration écologique, économie maritime et mécanismes de financement innovants. Evaluation portée par Ecocéan et l’Agence de l’eau RMC.

                                                                                                                                                                    MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ                                       7
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES

    Afin d’encourager l’ensemble des acteurs
    économiques à préserver/restaurer la
                                                       Analyse du                                                           ÎÎ   l’exploitation des sites maritimes
                                                                                                                            et côtiers remarquables (tourisme,
    biodiversité, il est essentiel d’analyser les      positionnement                                                       loisirs, plaisance)
    liens qui existent entre économie littorale
    et maritime, d’une part, et état écologique
                                                       des acteurs quant                                                    ÎÎ  les industries utilisatrices et

    des milieux d’autre part. Le développement         à leurs impacts et                                                   transformatrices des ressources
                                                                                                                            biologiques (produits de la mer, algues)
    des activités économiques des territoires
    littoraux augmente les pressions sur les
                                                       dépendances à la                                                     ÎÎ  les secteurs manufacturiers et les
    écosystèmes marins. Or, ces activités              biodiversité marine et à                                             services qui interviennent en amont de
                                                                                                                            l’exploitation de la mer : construction et
    ne peuvent être déconnectées du milieu
    naturel dans lequel elles se développent,
                                                       leur poids économique                                                réparation navale, construction nautique,
    au risque de mettre en péril leur pérennité.                                                                            services à l’énergie offshore, services
    La durabilité des activités traditionnelles        Panorama général                                                     financiers au transport et à la plaisance
    d’exploitation de la mer, tout comme le                                                                                     l’intervention de l’Etat en mer :
                                                       Plus encore qu’en milieu terrestre, le                               ÎÎ
    développement d’activités nouvelles,                                                                                    défense, sûreté, sécurité, soutien aux
    passent donc nécessairement par une                manque de connaissances sur le fonc-
                                                       tionnement des milieux marins rend la                                activités maritimes et aux gens de
    meilleure caractérisation des pressions                                                                                 mer, protection de l’environnement
    et impacts qu’elles engendrent, mais               qualification des pressions des activités
                                                       humaines encore parcellaire. Par exemple                             marin et côtier, recherche marine et
    également de leurs liens de dépendance                                                                                  océanographie opérationnelle
    au fonctionnement des milieux. L’analyse           d’après l’Ifremer, la surface des océans
    des pressions et dépendances implique de           cartographiés dans le monde n’est que                                En termes de pressions, les différents
    considérer l’interdépendance des activités         de 10 % à ce jour. Le Conseil général de                             types de pollution définies par les travaux
    terrestres marines.                                l’environnement et du développement du-                              de la DCSMM dans les milieux marins et
                                                       rable (CGEDD) souligne par ailleurs que les                          littoraux comprennent : la pollution par
    Quels sont les perceptions et les                  activités littorales ou terrestres causent des                       les déchets, les perturbations sonores
    positionnements des acteurs de                     dégradations qui restent difficiles à caracté-                       sous-marines, l’introduction de composés
    l’économie maritime et littorale sur leur          riser, évaluer et pondérer (5) (cf. INVENTER).                       synthétiques et de substances non synthé-
    relation avec la biodiversité, leur intérêt pour                                                                        tiques, l’enrichissement en nutriments et
    le sujet de la restauration écologique ?           La typologie des secteurs économiques
                                                       analysés dans le tableau 1 est tirée de                              en matière organique (rejets en particulier).
    Quels sont les obstacles et les opportunités                                                                            Ces pollutions peuvent être ponctuelles ou
    pour la mobilisation du secteur privé en           l’évaluation initiale de l’état des eaux ma-
                                                       rines réalisée dans le cadre de la Directive                         diffuses, avoir des effets immédiats ou à
    faveur du financement de la restauration                                                                                long terme, sur le lieu de la pollution ou à
    écologique marine ?                                Cadre Stratégie Milieu Marin (DCSMM),
                                                       plus particulièrement en lien avec le volet                          très grande distance. Ces pollutions sont
    Ce numéro synthétise les pistes permettant         « Analyse économique et sociale de l’uti-                            liées à des pressions comme la surexploi-
    de relier le développement du secteur              lisation des eaux marines et du coût lié à                           tation des ressources, l’urbanisation et
    de l’économie maritime à l’urgence de              la dégradation du milieu ». Les activités                            l’artificialisation du littoral, le transport etc.
    la préservation de la biodiversité marine,         économiques regroupent :                                             La pêche, qui fait partie des activités
    et de rendre compte des opportunités                                                                                    d’extraction, est identifiée par l’Agence
    et obstacles liés au financement                   ÎÎ  l’extraction des ressources marines en
                                                       tant que matières premières (ressources                              française pour la biodiversité (AAMP, via la
    d’actions de restauration écologique                                                                                    DCSMM) comme exerçant des pressions
    en mer par les principaux acteurs                  vivantes, minérales et énergétiques)
                                                                                                                            en termes d’abrasion, de rejets de déchets
    économiques concernés.                             ÎÎ  l’exploitation des espaces et                                    marins, de perturbations sonores et surtout
                                                       des fonds marins qui sont aussi des                                  d’extraction et de mortalité d’espèces.
                                                       ressources (énergies renouvelables et                                Quant à la pêche avec engins de fonds,
                                                       électronucléaires, pose de câbles sous-                              elle engendre en plus une modification
                                                       marins, construction d’infrastructures                               des sédiments. La pisciculture et la
                                                       maritimes et côtières, transport maritime,                           conchyliculture exercent quant à elles des
                                                       Marine nationale)                                                    pertes physiques liées à l’étouffement (6),

                                                                                                                            (6) Il s’agit de pressions de nature hydro-morphologique,
                                                                                                                            qui correspondent à des modifications de la composante physique
                                                       (5) Cécile AVEZARD, François MARENDET et Éric VINDIMIAN, Mise en     d’habitats marins – modification du substrat et/ou de la turbidité
                                                       œuvre de la séquence "éviter-réduire-compenser" en mer, Rapport n°   – pouvant entraîner la destruction des biocénoses associées de
                                                       010966-01, CGEDD, Octobre 2017                                       façon irréversible.

8     BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
la modification de sédiments, les déchets          Graphique 1 : répartition par secteur de la valeur ajoutée et de l’emploi maritime
marins, l’enrichissement en nutriment et                                             Valeur ajoutée maritime 2013 :                                                                Emploi maritime 2013 :
en matière organique, l’introduction de                                                  35,6 milliards d’euros                                                                           460 500
pathogènes et d’espèces non indigènes
                                                                                                           2%                                                                                    3%
(cf. détail ci après…).                                                                                                                                                                 6%

                                                                                          17 %
Les enjeux liés aux ports de plaisance et                                                                                                                                   10 %

de commerce sur la biodiversité regroupent
les pressions de dragage et de clapage                                                                                                                                 7%
                                                                                8%
qui entraînent des dommages physiques                                                                                           50 %                                                                                   56 %

conséquents (turbidité, extraction de maté-                                        8%                                                                                    9%

riaux, abrasion) et des perturbations biolo-
giques comme la mortalité d’espèces. Ces                                                  7%                                                                                       9%
                                                                                                       8%
pressions sont celles considérées dans
l’évaluation initiale DCSMM (cf. tableau 1).
Néanmoins, les ports de plaisance et de                                              Tourisme                          Secteur public                        Note : le « Secteur public » regroupe exclusivement les services
                                                                                                                                                             publics non marchands, à savoir la Marine nationale, l’intervention
commerce peuvent entrainer une dégrada-                                              Construction navale               Parapétrolier offshore                publique dans le domaine maritime (signalisation, sécurité et sûreté,
                                                                                     Produits de la mer                Autres                                formation des gens de mer, protection sociale), la protection de l’en-
tion directe des milieux lors de création ou                                                                                                                 vironnement littoral et marin et la recherche marine.
                                                                                     Transport maritime
d’extension de site (via l’artificialisation des                                                                                              Source DEMF Ifremer 2016

sols et les travaux associées).

Le transport maritime exerce des pressions                                           Graphique 2 : Production halieutique et aquacole mondiale
sur la biodiversité de façon significative via
les perturbations sonores sous-marines,            180

les déchets marins, les collisions avec            160                                           Production halieutique
la faune, l’introduction de substances
                                                   140                                           Production aquacole
dangereuses et d’espèces non indigènes.
En termes de pressions jugées mineures             120
                                                         Millions de tonnes

liées au transport maritime, on recense            100
la turbidité, l’abrasion, la modification du
                                                   80
régime thermique, l’enrichissement en ma-
tière organique et nutriment, l’introduction       60

de pathogènes.                                     40

Au-delà des secteurs qui rentrent dans le          20
périmètre direct de l’économie maritime,
                                                    0
des activités comme la construction et               1950                     1955          1960         1965          1970          1975          1980          1985          1990            1995        2000          2005          2010          2015
les aménagements sur le littoral, l’assai-                                    Source : FAO. 2018. La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2018. Atteindre les objectifs de développement durable. Rome. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO.

nissement des eaux usées ou encore
l’agriculture ont un poids important dans
                                                                                    Graphique 3 : Part de la production en volume de l’UE
l’économie des territoires littoraux, tout en
                                                                              et du reste du monde (milliers de tonnes) en 2015 (capture et aquaculture)
ayant des impacts conséquents sur les
milieux marins.

En termes de valeur économique, le                                                                                                                                                       Autres                            Espagne
                                                                                                                                   dont captures 2.4 %                                1 341 / 21 %                       1 195 / 19 %
secteur maritime représente un poids et                                                                                            et aquaculture 0.6 %

un potentiel hors du commun. Au total, on
estime que la valeur ajoutée de l’économie                                                                                                                              Allemagne
                                                                                                                                                                        281 / 4 %
                                                                                                                            UE 6 451 / 3 %
maritime en France s’élève à 35,6 milliards                                                                                                                               Irlande                                                     Royaume-Uni
                                                                                                                                                                                                                                       960 / 15 %
                                                                                                                                                                        272 / 4 %
d’euros pour environ 460 000 emplois en                                                                                                                                     Italie
                                                                                                                                                                          340 / 5 %
2013 (Ifremer, 2016 (7)). A titre de com-
                                                                                                                                                                                   Pays-Bas                                  France
paraison, la même année, ce secteur a                                                       Pays tiers :                                                                           427 / 7 %                               730 / 11 %
                                                                                                                                                                                                     Danemark
                                                                                          205 060 / 97 %                                                                                             905 / 14 %
                                                                                             dont chine 38 %                            Volume en 1 000 tonnes et % du total
                                                                                                                                               Source : FAO, Eumofa
(7) Données économiques maritimes françaises

                                                                                                                                                             MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ                                                            9
Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES

     une valeur ajoutée supérieure à celle de         mais un poids économique relativement         répond à la croissance significative de la
     l’industrie chimique (17 milliards d’euros),     faible et (ii) pour les EMR des impacts et    demande mondiale de poisson destiné à la
     de l’industrie pharmaceutique (12 milliards      dépendance relativement faibles avec un       consommation humaine.
     d’euros), ou encore de l’énergie (32,5 mil-      potentiel économique significatif.            En termes de répartition géographique,
     liards d’euros) (INSEE, 2013). Il s’agit donc                                                  la Chine est le principal producteur
     d’un pan particulièrement stratégique de         Les produits de la mer :                      de poissons (capture et aquaculture),
     l’économie française.                            la pêche et l’aquaculture                     ainsi que le plus grand exportateur
     Le tourisme littoral est l’activité dépendante                                                 depuis 2002. L’Union européenne ne
     de la mer pesant le plus en emploi et en         Dans le monde                                 représente que 3 % du marché (en volume)
     valeur ajoutée (cf. graphique 1).                                                              (cf. graphique 3).
                                                      En 2016 dans le monde, la production
                                                      halieutique issue des captures s’élevait à    Au-delà des pressions exercées par la
     Focus sur certaines                              90,9 millions de tonnes et celle issue de     pêche sur les ressources, l’aquaculture
     activités de l’économie                          la production aquacole à 80 millions de       principalement orientée vers la production
     maritime à impacts et                            tonnes (cf. graphique 2).                     de poissons carnivores de gros calibre crée
     dépendances directs                                                                            une pression très forte sur les ressources
                                                      La pêche dite « de capture » stagne malgré    en petits poissons sauvages. En effet, la
     Les nuisances et dépendances directes            l’utilisation de techniques de plus en plus   pêche industrielle serait responsable d’une
     sur le milieu marin peuvent être liées aux       sophistiquées et lourdes, et des captures     réduction des poissons pourtant directe-
     usages et aux aménagements côtiers ou            de plus en plus éloignées des côtes et plus   ment comestibles par l’homme, pour faire
     en mer. Les activités maritimes détaillées       profondes. La flotte mondiale de bateaux      fonctionner les élevages de poissons, de
     ci-après que sont la pêche, l’aquaculture et     de pêche atteint plus de 1,3 million de       porcs et de volailles (8). Environ 57 % de la
     la production d’énergie marines renouve-         bateaux en 2010, contre 600 000 en 1970,      production mondiale de farine de poisson
     lables (EMR), se distinguent d’un côté par       pour un tonnage moyen évalué à 100kg
     (i) des impacts et une dépendance plus           par bateau en 1970 et à 700 kg en 2016.       (8) Frédéric Le Manach (BLOOM), Megan Bailey (Dalhousie University),
                                                                                                    Tim Cashion (Sea Around Us, University of British Columbia), and Claire
     marquée vis-à-vis de la biodiversité marine      C’est donc aujourd’hui l’aquaculture qui      Nouvian (BLOOM), The dark side of aquaculture, février 2017.

                                                                                                                                Poulpe, Lembeh Indonésie © fenkieandreas

10     BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
approvisionne le secteur de l’aquaculture,                            La production issue de la pêche française                                      ou ressources du milieu marin : la houle,
22 % le secteur porcin, 14 % le sec-                                  (métropole et Outre-Mer) est estimée à 486                                     les courants, les marées, le gradient de
teur avicole (le reste pour l’alimentation                            milliers de tonnes en 2015 (11), soit près de                                  température entre les eaux de surface
d’animaux domestiques non destinés à                                  1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 550                                chaudes et les eaux froides en profondeur.
l’alimentation humaine ou d’élevage de                                millions d’euros de valeur ajoutée et 10 200                                   Fin 2015, les énergies renouvelables
fourrure). Ce système de production va à                              emplois en équivalent temps plein (DEMF                                        atteignent au niveau mondial plus de
l’encontre du code de conduite pour une                               Ifremer).                                                                      19,3 % de la capacité énergétique et
pêche responsable établi par la FAO (9).                                                                                                             24,5 % de celle en électricité (12). La part
                                                                      En France, l’aquaculture représente environ
Cette dynamique destructrice peut être                                                                                                               « marine » de ces énergies renouvelables
                                                                      500 fermes en eau douce (Agreste, 2007)
comparée à la pression qu’exerce sur le                                                                                                              est cependant négligeable à ce jour au
                                                                      et une trentaine d’entreprises spécialisées
foncier agricole la production de viande                                                                                                             niveau mondial.
                                                                      en pisciculture marine (grossissement et
conventionnelle (conflit d’usage entre                                écloseries). Ces fermes produisent sept                                        Avec 11 millions de km² et trois façades
production végétale à destination animale                             espèces de poissons : bars, daurades,                                          maritimes, Manche-Mer du Nord,
et végétale à destination humaine directe-                            turbots, maigres, saumons, soles,                                              Atlantique et Méditerranée, l’espace
ment). Alors que la pression pour l’élevage                           esturgeons. La France est le deuxième                                          maritime métropolitain français permet de
prive l’utilisation de la terre pour d’autres                         producteur en aquaculture dans l’Union                                         bénéficier d’un potentiel de développement
usages alimentaires, l’aquaculture prive à                            européenne. La conchyliculture est                                             parmi les plus importants d’Europe pour
la fois le consommateur de cette ressource                            l’activité aquacole dominante en métropole                                     les EMR, source de nombreux emplois et
directe en protéine mais prive également                              (250 000 tonnes), suivie de la pisciculture                                    de retombées économiques. Le comité
les écosystèmes marins d’un équilibre de                              en eau douce, avec 39 000 tonnes.                                              interministériel de la mer encourage à ce
la ressource trophique.                                                                                                                              titre la poursuite du développement des
                                                                                                                                                     EMR. Ces technologies à fort potentiel
L’observatoire européen du marché                                     Energies marines renouvelables
                                                                                                                                                     sont encore en développement et il
des produits de la pêche et de                                        (EMR) : enjeux écologiques et
                                                                                                                                                     semble primordial de s’interroger sur leurs
l’aquaculture (EUMOFA) a publié, le 28                                opportunités économiques
                                                                                                                                                     impacts potentiels sur la biodiversité (cf.
octobre 2018, une étude sur la situation                              Les EMR comprennent l’ensemble des                                             point de vue d’expert sur ce sujet et ses
et les perspectives de la « bioéconomie                               technologies permettant de produire de                                         opportunités et impacts sur la biodiversité
bleue » (10). Son potentiel de croissance                             l’électricité à partir de différentes forces                                   dans l’encadré ci-après).
suscite de plus en plus d’attentes et va
au-delà de la capture et de l’aquaculture                             (11) Vente totale par les bateaux français. Y compris thonidés et algues       (12) http://www.ren21.net/wp-content/uploads/2017/06/170607_
à destination de l’alimentation : nouveaux                            récoltées en mer, hors maërl et gelidium.                                      GSR_2017_Highlights.pdf

aliments et additifs alimentaires, aliments
                                                                        Graphique 4 : Évolution de la densité de population en France depuis 1961-1962
pour animaux, nutraceutiques, produits
pharmaceutiques, cosmétiques, matériaux                               Indice 100 en 1961/1962
(textiles et de construction) et énergie.                             190

                                                                      180                  Littoral métropolitain
En France                                                                                  Littoral ultramarin
                                                                      170
La France est un acteur de petite taille                                                   France entière
dans le secteur de la pêche et de                                     160
l’aquaculture mondiale. Ce secteur,
                                                                      150
représentant une part limitée de la valeur
ajoutée de l’économie maritime française,                             140
est caractérisé par une importante pluralité
                                                                      130
d’acteurs. La filière des produits de la
mer dépend directement des ressources                                 120
halieutiques et nécessite une exploitation
                                                                      110
durable pour garantir sa pérennité.
                                                                      100
(9) http://www.fao.org/iuu-fishing/international-framework/code-of-     1961/1962               1967/1968               1974/1975                 1982                    1990                      1999            2010
conduct-for-responsible-fisheries/fr/                                                                             Source : Observatoire national de la mer et du littoral, 2017*
(10) https://www.eumofa.eu/documents/20178/84590/                                                  * Les données clés de la mer et du littoral Synthèse des fiches thématiques de l’Observatoire.
Blue+bioeconomy_Final.pdf                                                                                        Disponible ici : http://www.onml.fr/uploads/media/document.pdf

                                                                                                                                                   MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ                                     11
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES

        POINT DE VUE
        Les énergies marines renouvelables et la biodiversité
        CHRISTOPHE LE VISAGE - Hydrographe/océanographe, expert des                                    thique par exemple. Le fort potentiel de
        questions maritimes et littorales pour l’UICN France.                                          ces surfaces très ventées accessibles
                                                                                                       à cette technologie est important sur
        En quoi les énergies marines renouve-           tions EMR. Il faut garder à l’esprit que ce    toutes les côtes françaises métropoli-
        lables (EMR) méritent-elles d’être en-          sont les impacts cumulés qui exercent          taines et ultramarines. A ce stade cette
        couragées et développées en particu-            des pressions excessives sur les écosys-       technologie est encore en France au
        lier en France ? Quels sont les craintes        tèmes marins, et donc que leur réduction       stade pré-industriel : une seule éolienne
        et les freins à leur développement ?            concerne toutes les activités, terrestres et   est opérationnelle sur un site d’essai près
                                                        marines – et pas seulement les nouvelles       du Croisic (Pays de la Loire).
        Le bénéfice écologique des EMR se situe
        à deux niveaux. D’une part, leurs impacts       activités comme les EMR. En France, où         ÎÎ    Concernant l’éolien posé, le béné-
        directs sur la biodiversité marine sont         aucun parc EMR n’a encore été dévelop-         fice énergétique est comparable à l’éolien
        faibles (quelques enjeux restent à préci-       pé, aucun impact n’a donc été causé de         flottant mais avec des impacts plus forts
        ser notamment sur l’avifaune) et d’autre        leur fait, ce qui n’est pas le cas des ac-     sur la biodiversité, bien que modérés. Les
        part, la réduction du recours aux énergies      tivités terrestres et maritimes existantes.    mâts étant fixés sur le fond, ces parcs se
        fossiles participe directement à l’atténua-     Quel rôle a joué le groupe de travail          situent nécessairement par des profon-
        tion du changement climatique, et donc          EMR de l’UICN France ? Quelles sont            deurs plus faibles (moins de 50 mètres)
        à la réduction de la pression sur la biodi-     les principales conclusions et recom-          et donc plus près de la côte, où la bio-
        versité. Avec les EMR, il doit être possible    mandations vis-à-vis des technolo-             diversité marine est riche et l’espace très
        de répondre à une demande croissante            gies existantes ou en déploiement ?            disputé : les parcs modifient notamment
        d’énergie renouvelable tout en impac-                                                          les fonds (impact sur les espèces ben-
        tant moins la biodiversité marine. A noter      Le groupe de travail de l’UICN France          thiques) et perturbent les oiseaux. Par
        également : ces énergies sont souvent           est original, car il réunit dans une op-       rapport à l’éolien terrestre, l’impact pay-
        produites localement, limitant la dépen-        tique d’échanges dépassionnés et de re-        sager est plus faible, les éoliennes étant
        dance aux importations d’autres pays et         cherche de solutions tous les acteurs des      généralement à peine visibles sur l’hori-
        elles sont source de création d’emplois.        EMR : industriels et leurs groupements,        zon. En France, se développent actuelle-
                                                        ONG environnementales, usagers de la           ment six projets de parcs situés au large
        La méfiance face aux EMR provient en            mer professionnels et de loisirs, établis-     de Saint-Brieuc (Bretagne), Courseulles-
        partie de la fausse impression selon la-        sements publics et administrations. L’ob-      sur-Mer (Calvados), Fécamp (Seine-Ma-
        quelle la mer serait encore intacte et sau-     jectif initial du groupe de travail était de
        vage, alors qu’elle est en fait largement                                                      ritime), Saint-Nazaire (Loire-Atlantique),
                                                        confronter ces visions afin de proposer        Le Tréport (Seine-Maritime) et Yeu-Noir-
        anthropisée et exploitée, souvent de            des orientations pour une stratégie natio-
        façon irresponsable. Il est tout à fait légi-                                                  moutier (Vendée), dont la mise en service
                                                        nale de développement des EMR dans le          longtemps retardée par des recours est
        time de chercher à mesurer et à réduire         respect de la biodiversité : concrètement,
        les impacts du développement des EMR                                                           attendue entre 2021 et 2024.
                                                        identifier les filières les plus productives
        sur la biodiversité et l’environnement de       énergétiquement et les moins impac-             La filière hydrolienne (1), pour la-
                                                                                                       ÎÎ
        manière générale ; mais ces impacts             tantes pour les écosystèmes marins.            quelle la France dispose de savoir-faire
        doivent être mis en regard avec les béné-                                                      de pointe (turbines hydrauliques) a des
        fices attendus.                                 Les premiers travaux du groupe de tra-         impacts limités sur l’environnement (im-
                                                        vail ont confirmé que toutes les filières et   plantation dans des zones de forts cou-
        Par ailleurs, tous les impacts sur la bio-
                                                        technologies ne se valent pas :                rants, limitées en surface et où la biodi-
        diversité marine doivent être hiérarchisés,
        aussi, les impacts des EMR doivent éga-         ÎÎ   En France, le potentiel de l’éolien       versité est généralement moins riche)
        lement être confrontés à ceux des autres        flottant est grand avec des impacts limi-      mais le potentiel énergétique associé à
        activités terrestres et marines. Ainsi, les     tés. Implantés au large, dans des zones        ces zones très spécifiques (Manche, es-
        impacts du bruit généré par la naviga-          où les écosystèmes sont moins fragiles         sentiellement) est assez faible.
        tion et la pêche ne sont pas encadrés           qu’en zone côtière et ancrés sans in-
        ou évalués, alors qu’ils sont probable-         frastructures lourdes, les parcs flottants      (1) Les hydroliennes sont des turbines immergées ou semi-
        ment plus importants que ceux du bruit          impactent faiblement la biodiversité qu’il     immergées mises en mouvement grâce à l’énergie cinétique
                                                                                                       des courants marins, la plupart du temps des courants
        associé au fonctionnement des installa-         s’agisse d’avifaune ou de faune ben-           de marée.

12    BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
© Prinses Amalia windmolenpark 4

ÎÎ   La France dispose d’un potentiel                               dement suffisant. Divers projets se des-        (ADEME) afin de développer à présent
marémoteur (2) important, principalement                            sinent au large de l’île de la Réunion, de      des recommandations sur la manière de
en Manche, et du savoir-faire néces-                                Tahiti, mais aussi de la Martinique. Les        développer les projets.
saire (l’usine de la Rance en Bretagne                              impacts sur la biodiversité seraient pro-       Il faut garder à l’esprit que ces nouvelles
fonctionne depuis plus de 50 ans) mais                              bablement limités pour les dispositifs flot-    technologies sont récentes et font émer-
les techniques associées (barrage en                                tants, mais on manque d’études et d’es-         ger des nouvelles préoccupations liées
estuaire) impactent fortement l’environ-                            sais en vraie grandeur pour les évaluer.        non seulement à la biodiversité, mais à
nement. En revanche, le potentiel ma-                               Cette énergie peut aussi être exploitée         la compétition pour l’usage de l’espace
rémoteur du domaine maritime français                               à petite échelle par des pompes à cha-          marin, qui concerne principalement la
pourrait peut-être être exploité avec
                                                                    leur à eau de mer alimentant un réseau          pêche, mais aussi le transport maritime
des impacts moindres et des bénéfices
                                                                    urbain (comme par exemple à la Seyne-           ou les activités de défense. Des com-
additionnels (protection contre les sub-
                                                                    sur-Mer). Le SWAC (climatisation par eau        promis seront à trouver pour l’avenir ;
mersions) par des techniques nouvelles,
                                                                    de mer froide pompée en profondeur) est         aujourd’hui, en France (ce n’est pas le
telles que les lagons marémoteurs (bas-
                                                                    une variante de l’ETM.                          cas dans la plupart des autres pays), les
sins artificiels créés en mer par des di-
                                                                                                                    zones ouvertes à l’éolien offshore évitent
gues, percées de canaux équipés de                                  ÎÎ   L’énergie osmotique est enfin              la plupart des zones de pêche, ce qui ex-
turbines).                                                          parfois citée ; elle capte grâce à des          clut la plus grande partie des zones cô-
     L’énergie thermique des mers                                   membranes l’énergie dissipée lors du            tières. L’accès à l’espace constituera un
ÎÎ
(ETM) est la cinquième technologie                                  mélange entre eau douce et eau salée            des enjeux principaux des négociations à
d’EMR étudiée. Elle est associée à l’ab-                            (estuaires, rejets d’eau douce en mer). A       venir : c’est un des enjeux de la « Plani-
sorption directe du rayonnement solaire                             ce jour, cette filière est très loin du stade   fication de l’Espace maritime » en cours
par les eaux superficielles des océans,                             industriel, et pose des problèmes envi-         de déploiement dans l’UE (en France,
qui constitue la principale forme d’énergie                         ronnementaux sérieux (les estuaires, cible      à travers les DSF, « Documents Straté-
marine. L’énergie thermique des mers est                            principale, étant des zones à très grande       giques de Façade ») . Enfin, à ces enjeux
exploitable dans les zones intertropicales                          valeur écologique).                             de compétition pour l’espace s’ajoutent
où la température de surface est élevée,                                                                            des enjeux sociétaux et d’acceptation :
                                                                    Quels sont les prochaines étapes et             alors que la mer n’intéressait pas grand
car il faut une différence de température
                                                                    enjeux à venir ?                                monde naguère, elle devient désormais
proche de 20°C avec les eaux profondes
(à quelques degrés) pour obtenir un ren-                            Le groupe de travail de l’UICN France qui       un enjeu pour la société, et il est probable
                                                                    a conclu à l’intérêt de développer cer-         que les questions de gouvernance seront
                                                                                                                    de plus en plus présentes à mesure que
 (2) Se présentent sous la forme d’un barrage permettant la         taines filières EMR a été relancé en 2018
                                                                                                                    l’on exploitera l’océan.
formation d’un bassin. Les installations marémotrices exploitent    en partenariat avec l’Agence de l’envi-
l’énergie potentielle liée à la différence de hauteur d’eau entre
le bassin et la mer, en fonction de la marée.                       ronnement et de la maîtrise de l’énergie

                                                                                                                    MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ            13
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