Biodiversité marine : enjeux écologiques et économiques - Numéro 16 - Février 2019 - Mission Economie Biodiversité
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Vendée - Baie de l’Aiguillon sur Mer © A.Lamoureux EDITO C omme beaucoup l’ont remarqué tout en faisant la fête comme pour s’en réjouir, le 1er janvier dernier, c’est un d’espèces exogènes, pollutions chimiques, organiques, plastiques, …). 80% des pollutions marines sont d’origine terrestre 9 qui est venu se placer derrière le 1 pour et anthropique (PNUE). L’homme a la main remplacer le 8 qui lui-même remplaçait le pour agir sur toutes ces menaces par 7, le 6, 5, 4... Le compte à rebours ne s’est ses capacités techniques mais aussi par donc pas arrêté. ses moyens économiques dont le niveau nécessaire pour agir efficacement n’est pas Le prochain sera un 0 et sonnera l’heure démesuré. En effet, on estime que moins du bilan des engagements pris il y a 10 de 0,5% du PIB mondial est suffisant pour ans, qui reportaient déjà ceux de 1992 permettre d’atteindre les objectifs d’Aichi. de la Convention de Rio sur la diversité Or une étude de la Banque Mondiale biologique : stopper l’érosion de la estime que les biens et services issus des biodiversité ! écosystèmes marins et côtiers génèrent Au sein de ces accords internationaux, plus de 20 billions de dollars à l’échelle les objectifs d’Aichi (1) fixent entre autres, mondiale soit environ 25% du PIB mondial. à 10%, la surface de zones côtières à Quand les perspectives révèlent que constructives. Ne négligeons pas le fait que protéger d’ici 2020. Malgré les quelques 75% de la population mondiale vivra dans l’incertitude scientifique réserve souvent de mois qui nous en séparent encore, la zone côtière (0 à 50 km) en 2025, il ne bonnes surprises. soyons lucides : le compte n’y sera pas. s’agit donc plus seulement d’agir mais Ces zones qui sont le siège d’une forte Alors avant qu’un 0 ne vienne remplacer de réagir. D’expérimenter de nouvelles productivité biologique et qui jouent un le 9, soyons collectivement audacieux voies pour la restauration écologique des rôle fondamental dans le maintien des et ne nous contentons pas des seules milieux marins, mais aussi de déployer de fonctions écologiques, sont pourtant déclarations et de leurs engagements, … façon conséquente les méthodes qui ont soumises à des pressions de plus en tenons-les ! déjà donné des résultats encourageants. plus fortes et atteignent aujourd’hui la Nul besoin d’attendre la perfection limite de rupture. Les menaces sont nombreuses et variées (surexploitation et la certitude des résultats pour se PHILIPPE THIEVENT lancer dans des actions réparatrices et Directeur de CDC Biodiversité des ressources, dégradation voire destruction des habitats, introduction (1) High Level Panel on Global Assessment of Resources for Implementing the Strategic Plan 2011-2020 for Biodiversity of the CBD.
SOMMAIRE TRIBUNE Philippe Cury 4 Directeur de recherche à l’IRD COMPRENDRE 6 Biodiversité marine : pressions, poids économique et leviers économiques Analyse du positionnement des acteurs quant à leurs impacts et dépendances à la biodiversité marine et à leur poids économique Les mécanismes d’appui au développement de la restauration/protection écologique en mer en France ou en UE INVENTER 25 Compensation et restauration écologique en milieu marin Quelle application des mesures compensatoires en milieu marin ? Restauration écologique des petits fonds côtiers - focus sur l’expérimentation REXCOR à Marseille (Restauration écologique EXpérimentale des petits fonds côtiers de la calanque de CORtiou) Restauration : gains écologiques et pérennité de l’action INTERNATIONAL 30 Projet de restauration de mangroves de la Casamance et du Sine-Saloum (Sénégal) INITIATIVES Palme IFRECOR 2018 : 3 élus des 32 Outre-mer sont récompensés Lancement des zones humides éducatives en Guadeloupe Immersion d’un récif artificiel © Julien DALLE – SEABOOST DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : MARC ABADIE RÉDACTEUR EN CHEF : PHILIPPE THIÉVENT COORDINATION-CONCEPTION : CLAIRE DEVINEAU ET ANTOINE CADI ETUDE REALISEE PAR : SUSIE DALLA FOGLIA ET CLAIRE DEVINEAU EDITION : MISSION ECONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ GRAPHISME : JOSEPH ISIRDI – www.lisajoseph.fr MAQUETTE : PLANET 7 PRODUCTION CONTACT : meb@cdc-biodiversite.fr PHOTO DE COUVERTURE : Calanque Marseille © djedj AVERTISSEMENT : BIODIV’2050 PRÉSENTE LES TRAVAUX EN COURS ET LES AVANCÉES DE LA MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ. LA RUBRIQUE TRIBUNE PERMET AUX ACTEURS CONCERNÉS DE DONNER LEUR POINT DE VUE SUR LES SUJETS TRAITÉS. LES PROPOS QUI Y FIGURENT N’ENGAGENT QUE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES INTERROGÉES.
TRIBUNE conséquences ne peuvent être anticipées, moyenne trois à quatre fois trop nombreux et qui affecterait en premier lieu les au niveau mondial (avec cependant une ressources halieutiques, mettant en danger grande hétérogénéité selon les Etats). la pêche et donc la sécurité alimentaire de L’aquaculture peut-elle répondre à nombreux peuples. Par exemple, la seule augmentation significative de température cette demande en hausse de protéines de la mer entrainerait la migration de issues de la mer ? Est-ce une solution nombreuses espèces et fragiliserait de substitution viable à la surpêche ? davantage la durabilité de la pêche. L’accroissement de l’activité aquacole permet en partie de répondre à la hausse Comment qualifie-t-on la surpêche et de la demande. Cependant, l’aquaculture l’érosion de la biodiversité marine ? présente également des inconvénients L’océan est exploité par la pêche, soit 200 puisqu’elle exerce une pression très forte millions de km², pour fournir seulement sur la ressource en poissons pélagiques, 8 % des protéines mondiales consommées qui constituent la source de nourriture PHILIPPE CURY (contre 50 millions de km² pour l’agriculture de ces élevages. 68 % de ces poissons Directeur de recherche à l’IRD pour 92 % de protéines consommées). « fourrage » pêchés sont transformés en Les captures sont passées de 20 millions farine pour le secteur de l’aquaculture (le de tonnes au début des années 1950 à reste étant à destination des élevages de Qu’est-ce qui caractérise les océans 85 millions de tonnes aujourd’hui, sommet porcs et de volailles). Avec cette pression et rend le sujet de la préservation de atteint depuis le milieu des années 1990, exercée sur les petits poissons (2), c’est la biodiversité marine si singulier ? selon l’Organisation des Nations unies l’ensemble d’un écosystème qui est pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La bouleversé, avec comme conséquence Pour le grand public, l’océan est perçu stagnation des captures observée depuis des incidences significatives sur la comme un espace intact, symbole de plus de 20 ans traduit l’épuisement de la biodiversité marine en général. Il est romantisme, de liberté et de loisir, au compliqué de prouver scientifiquement sein duquel la biodiversité serait une ressource halieutique, alors que le nombre de bateaux et de filets de pêche n’a cessé l’extinction d’une espèce en mer (3), mais on sorte de « collection de timbres ». Cette constate une diminution des abondances vision erronée est renforcée par le fait d’augmenter sur cette période. des espèces marines (les populations que les pressions anthropiques dans L’érosion de la biodiversité marine est donc mondiales d’oiseaux marins et de tortues le milieu marin sont moins visibles que principalement le résultat d’une demande marines auraient par exemple diminué dans le milieu terrestre, alors qu’elles sont croissante pour les produits de la mer, de 50 % à 80 % au cours de ces cinq probablement plus grandes. Les défis liés tirée par la croissance démographique dernières décennies). à l’érosion de la biodiversité marine sont et l’augmentation drastique de la récents puisqu’ils sont liés à l’accélération L’industrie aquacole génère, en plus des consommation par habitant. D’après du développement économique et la déséquilibres écologiques, des impacts la FAO, la consommation de poissons mondialisation amorcées dans les années socio-économiques de grande ampleur destinée à l’alimentation humaine a 50. Depuis lors, les activités humaines mettant en cause la sécurité alimentaire augmenté deux fois plus vite que la et leur intensité ne cessent d’augmenter de certains pays en développement. croissance démographique depuis 1961. (changement climatique, pêche, extraction En Namibie par exemple, la surpêche De 9 kg par habitant et par an en 1961, elle minière, transport…). couplée au fait que la nature « a horreur atteint 20,2 kg en 2015. du vide », ont conduit, non seulement à S’il est possible de hiérarchiser les Le taux de surexploitation des ressources, la disparition de manchots et des fous pressions sur la biodiversité marine, défini comme la part des stocks exploités du Cap qui sont morts de faim, mais avec en premier lieu la surexploitation à un niveau biologiquement non durable (1), également à la colonisation de tonnes de des ressources halieutiques, suivi du est actuellement estimé à 30 % par la FAO. méduses non comestibles qui ont envahi changement climatique et des rejets Autrement dit, on pêche trop et de façon les milieux (depuis 20 ans). Ces exemples polluants, c’est avant tout la synergie de chronique. Les bateaux de pêche et les ces facteurs qui concoure à l’érosion de engins qui exploitent les océans seraient en (2) Le milieu marin est structuré en taille : le plus gros mange le plus la biodiversité marine. Le principal risque petit (contrairement au milieu terrestre). Tous les poissons sont petits au début de la vie. qui en découle est un bouleversement (1) stade où un prélèvement de ressources naturelles dépasse le stade (3) Il faut observer et constater parfois pendant 60 ans un déclin d’une écologique irréversible dont les du renouvellement. espèce pour pouvoir la qualifier comme « en voie de disparition ». 4 BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
de modifications des écosystèmes liées à la surexploitation du milieu marin ont été observés dans de nombreuses zones océaniques, notamment en mer Noire, mer de Bohai ou encore en Méditerranée, © Vilainecrevette menaçant directement l’écosystème marin et la pêche. Une étude parue en 2018 (4) démontre comment les choix survenus dans Quels sont selon vous les plus spécifiquement au fonctionnement de le secteur de la pêche au cours des recommandations à mettre en ce marché qui est un des plus mondialisé deux dernières décennies au Sénégal place pour la préservation de (un poisson sur deux est échangé au (surcapacité, surexploitation et mauvaise cette biodiversité marine ? niveau mondial (5)). Les consommateurs ne gestion) ont conduit à une vulnérabilité sont en effet pas en mesure de percevoir A la fin du 19e début 20e siècle, on a pensé alimentaire critique due à la raréfaction la baisse des stocks de poissons puisque qu’avec des modèles mathématiques de la ressource et la hausse des prix pendant des dizaines d’années les simples on réussirait à anticiper les des produits issus de la pêche. Alors captures ont augmenté. Cela a en réalité évolutions de la nature, par exemple qu’au début des années 2000 85 % des été possible en allant chercher la ressource en optimisant les prises pour garantir le espèces pélagiques étaient consommées de plus en plus loin, de plus en plus renouvellement des ressources. Nous en localement, cette part est tombée à profondément, de plus en plus diversifié, sommes arrivés à l’échec que l’on connaît. 60 % en 2010. Cette évolution est une masquant ainsi les extinctions locales C’est à une approche écosystémique qu’il perte directe d’apport de protéines bon successives d’espèces. faut revenir : à l’image du fonctionnement marché pour le Sénégal, dont l’économie de l’agroécologie, qui vise à réconcilier Enfin, il semble incontournable de tendre est fortement dépendante de la ressource exploitation et conservation, il faudrait vers davantage de zones d’interdiction de marine, et qui se trouve accaparées au sélectionner les prises. Or, on sait pêche, avec pour objectif par exemple de profit de la demande extérieure. aujourd’hui mesurer le prélèvement 30 % de protection des habitats marins. Au niveau mondial, la quantité exportée de maximum pour maintenir les populations L’interdiction par l’Union européenne de farine de poissons pour nourrir les fermes dépendantes des petits poissons (évalué à la pêche à plus de 800m de profondeur aquacoles est passée de 3 000 tonnes 40 % de l’abondance maximale observée). (chalutage en eaux profondes) est à ce à 17 000 tonnes entre 2003 et 2017. L’enjeu réside dans sa mise en application titre une mesure de bon sens. Cette Or, en termes d’apports énergétiques, et dans le déploiement de ces savoirs et pratique était un non-sens écologique l’aquaculture ne représente pas une techniques pour y parvenir. et économique : d’une part parce-que solution au défi de la sécurité alimentaire, plus on pêche en profondeur, moins les Nos économies auront du mal à se car les coefficients de transfert sont nuls, populations (bien que très diversifiées) développer sans ressources marines à savoir que les protéines servant à nourrir sont abondantes. Le manque de lumière renouvelables sauvages et la pêche n’est les poissons d’élevage ne permettent pas rend en effet le milieu peu productif et le rien d’autre que la pratique de la chasse de produire proportionnellement plus de renouvellement plus lent. D’autre part, en milieu marin. A l’heure de l’intelligence protéines (comparé à une consommation parce que ce milieu n’est pas propice à la artificielle, on exploite la mer, un bien humaine directe de ces poissons de production de protéines. commun, au moyen d’une mécanisation fourrage). Aussi, si on s’intéresse à la archaïque et dans l’irrespect le plus total Mieux gérer les ressources marines et sécurité alimentaire, l’aquaculture doit de la biodiversité. Il est temps de mettre la privilégier les pêches artisanales sélectives se tourner de plus en plus vers des technologie et l’innovation au service d’une sont donc une priorité si l’on veut préserver maillons trophiques bas (algues, poissons exploitation marine plus respectueuse de la la biodiversité marine. herbivores, …). nature et durable. Par ailleurs, toujours à l’image des enjeux agricoles, il me semble nécessaire de revenir à une pêche locale et à taille humaine. Dans cette perspective, il est primordial d’encourager et de sensibiliser (4) Thiao et al 2018. Need for adaptive solutions to food vulnerability (5) Il est facile de consommer par exemple du saumon frais au Maroc induced by fish scarcity and unaffordability in Senegal. Aquat. Living les consommateurs aux enjeux marins et alors qu’il s’agit d’une espèce non présente dans cette région à l’état Resour. 2018, 31, 25. sauvage. MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 5
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES Requin baleine se nourrissant dans une eau polluée par les plastiques © Rich Carey L a France dispose du deuxième espace maritime mondial qui englobe 10 % des récifs coralliens et 20 % des atolls qui requièrent à la fois une sensibilisation accrue des acteurs et une adaptation des politiques et instruments existants. retours d’expérience encourageants, bien qu’encore limités, sur l’efficacité des techniques et des solutions disponibles. de la planète. Elle est tenue, d’une part, Qu’ils soient règlementaires ou Le secteur du génie écologique marin d’assurer une protection des écosystèmes volontaires, les mécanismes d’appui est un secteur en émergence en France. marins placés sous sa responsabilité, au développement de la restauration/ Historiquement porté par l’immersion mais également d’assurer la sûreté et la protection écologique en mer y compris de récifs artificiels à partir des années sécurité des personnes et des biens (1). Le la mobilisation de ressources financières 1970, initialement avec des matériaux défi est de taille, car l’essor des activités additionnelles constituent un véritable défi. mal adaptés (pneumatiques, carcasses économiques maritimes, combiné à la forte de voitures…), les techniques et modules attractivité démographique du littoral, en En France, les efforts en matière de lutte se sont peu à peu améliorés, au fil des font un lieu aux usages souvent conflictuels contre les pollutions domestiques et expériences, avec pour idée de renforcer et caractérisés par de forts enjeux industrielles ont permis une réduction leur efficacité et de diversifier les objectifs écologiques. Le milieu marin présente des de certaines pressions anthropiques possibles. Ces derniers sont désormais caractéristiques particulières, tant du point sur les écosystèmes marins depuis une variés : production halieutique, promotion de vue écologique (continuité, stabilité, trentaine d’années. Cette réduction des des usages récréatifs et pédagogiques, connaissance limitée du fonctionnement pressions ouvre la voie vers la possibilité protection contre certaines pressions des écosystèmes …), que juridique de restaurer certains milieux dégradés. (chaluts, mouillages forains) et plus (domaine public maritime) ou encore socio- De multiples études, travaux et opérations récemment reconstitution de biocénoses économique (multiplicité des usages), pilotes menés donnent aujourd’hui des marines et reproduction de certaines fonctionnalités écologiques (abri, (1) Comité interministériel de la mer de 2018 (communiqué de presse) nourrissage, reproduction…). 6 BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
Tableau 1 - Analyse des impacts et dépendances Impacts Dépendances Indicateurs économiques de chaque secteur vis-à- vis de la biodiversité et Nombre de pressions Nombre de pressions Degré de dépendance Importance de la Part de l’activité Degré de indicateurs économiques auxquelles l’activité auxquelles l’activité présumée de l’activité valeur ajoutée par tournée vers le concentration du contribue de manière contribue de manière au bon état écologique secteur marché français secteur mineure* significative** des milieux marins Pêche professionnelle (engins trainants) Autre pêche professionnelle Pisciculture Conchyliculture Transformation- Commercialisation des Non-traité Non-traité produits de la mer Construction navale Non-traité Non-traité (dont nautique) Ports de plaisance et SECTEURS DE L’ÉCONOMIE MARITIME ND services associés*** Ports de commerce et services associés*** Transport maritime Tourisme littoral – activités balnéaires Navigation de plaisance et ND sports nautiques Activités câblières sous- marines Extraction de matériaux Production électrique littorale Production d’EMR Activités parapétrolières et paragazières offshore Services financiers maritimes Non-traité Non-traité Travaux publics maritimes Défense nationale Protection de l’environnement Non-traité Non-traité ND Aménagement-construction ÉCONOMIE MARITIME sur bassin versant, rejet des SECTEURS HORS eaux usées**** Assainissement des eaux usées Agriculture Non-traité Non-traité Grande distribution (excepté focus plastique) (excepté focus plastique) Légende * Attention, l’indicateur ici ne préjuge pas de l’importance de *** « Activités de dragage-clapage » dans l’évaluation 0 à 2 pressions mineures/ Niveau faible pour les chaque pression considérée et de ses impacts sur l’écosystème. initiale DCSMM. caractéristiques économiques Il fait uniquement la synthèse de la diversité des pressions **** « Habitation littorale, artificialisation des sols, vie courante » considérées comme mineures pour une activité donnée. dans l’évaluation initiale DCSMM. 3 à 5 pressions mineures/ Niveau moyen pour les caractéristiques économiques ** cet indicateur ne préjuge pas de l’importance de chaque La mention ND indique que les données ne sont pas disponibles pression considérée et de ses impacts sur l’écosystème. Il fait ou que l’analyse est non-pertinente. Plus de 5 pressions mineures/ Niveau élevé pour les uniquement la synthèse de la diversité des pressions considérées caractéristiques économiques significatives pour une activité donnée. Périmètre : France métropolitaine pour les impacts et dépendances, y compris Outre-Mer pour les indicateurs économiques Source : CDC Biodiversité d’après AAMP (2) et DEMF-Ifremer (3), dans le cadre du projet Nuamce (4) (2) Analyse des pressions et impacts de l’évaluation initiale de l’état des eaux marines pour la DCSMM. (3) Kalaydjian Régis, Girard Sophie (2017). Données économiques maritimes françaises 2016. Brest, France : Ifremer, http://doi.org/10.13155/49962 (4) Nurseries Artificielles Marines Côtières Expérimentales Restauration écologique, économie maritime et mécanismes de financement innovants. Evaluation portée par Ecocéan et l’Agence de l’eau RMC. MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 7
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES Afin d’encourager l’ensemble des acteurs économiques à préserver/restaurer la Analyse du ÎÎ l’exploitation des sites maritimes et côtiers remarquables (tourisme, biodiversité, il est essentiel d’analyser les positionnement loisirs, plaisance) liens qui existent entre économie littorale et maritime, d’une part, et état écologique des acteurs quant ÎÎ les industries utilisatrices et des milieux d’autre part. Le développement à leurs impacts et transformatrices des ressources biologiques (produits de la mer, algues) des activités économiques des territoires littoraux augmente les pressions sur les dépendances à la ÎÎ les secteurs manufacturiers et les écosystèmes marins. Or, ces activités biodiversité marine et à services qui interviennent en amont de l’exploitation de la mer : construction et ne peuvent être déconnectées du milieu naturel dans lequel elles se développent, leur poids économique réparation navale, construction nautique, au risque de mettre en péril leur pérennité. services à l’énergie offshore, services La durabilité des activités traditionnelles Panorama général financiers au transport et à la plaisance d’exploitation de la mer, tout comme le l’intervention de l’Etat en mer : Plus encore qu’en milieu terrestre, le ÎÎ développement d’activités nouvelles, défense, sûreté, sécurité, soutien aux passent donc nécessairement par une manque de connaissances sur le fonc- tionnement des milieux marins rend la activités maritimes et aux gens de meilleure caractérisation des pressions mer, protection de l’environnement et impacts qu’elles engendrent, mais qualification des pressions des activités humaines encore parcellaire. Par exemple marin et côtier, recherche marine et également de leurs liens de dépendance océanographie opérationnelle au fonctionnement des milieux. L’analyse d’après l’Ifremer, la surface des océans des pressions et dépendances implique de cartographiés dans le monde n’est que En termes de pressions, les différents considérer l’interdépendance des activités de 10 % à ce jour. Le Conseil général de types de pollution définies par les travaux terrestres marines. l’environnement et du développement du- de la DCSMM dans les milieux marins et rable (CGEDD) souligne par ailleurs que les littoraux comprennent : la pollution par Quels sont les perceptions et les activités littorales ou terrestres causent des les déchets, les perturbations sonores positionnements des acteurs de dégradations qui restent difficiles à caracté- sous-marines, l’introduction de composés l’économie maritime et littorale sur leur riser, évaluer et pondérer (5) (cf. INVENTER). synthétiques et de substances non synthé- relation avec la biodiversité, leur intérêt pour tiques, l’enrichissement en nutriments et le sujet de la restauration écologique ? La typologie des secteurs économiques analysés dans le tableau 1 est tirée de en matière organique (rejets en particulier). Quels sont les obstacles et les opportunités Ces pollutions peuvent être ponctuelles ou pour la mobilisation du secteur privé en l’évaluation initiale de l’état des eaux ma- rines réalisée dans le cadre de la Directive diffuses, avoir des effets immédiats ou à faveur du financement de la restauration long terme, sur le lieu de la pollution ou à écologique marine ? Cadre Stratégie Milieu Marin (DCSMM), plus particulièrement en lien avec le volet très grande distance. Ces pollutions sont Ce numéro synthétise les pistes permettant « Analyse économique et sociale de l’uti- liées à des pressions comme la surexploi- de relier le développement du secteur lisation des eaux marines et du coût lié à tation des ressources, l’urbanisation et de l’économie maritime à l’urgence de la dégradation du milieu ». Les activités l’artificialisation du littoral, le transport etc. la préservation de la biodiversité marine, économiques regroupent : La pêche, qui fait partie des activités et de rendre compte des opportunités d’extraction, est identifiée par l’Agence et obstacles liés au financement ÎÎ l’extraction des ressources marines en tant que matières premières (ressources française pour la biodiversité (AAMP, via la d’actions de restauration écologique DCSMM) comme exerçant des pressions en mer par les principaux acteurs vivantes, minérales et énergétiques) en termes d’abrasion, de rejets de déchets économiques concernés. ÎÎ l’exploitation des espaces et marins, de perturbations sonores et surtout des fonds marins qui sont aussi des d’extraction et de mortalité d’espèces. ressources (énergies renouvelables et Quant à la pêche avec engins de fonds, électronucléaires, pose de câbles sous- elle engendre en plus une modification marins, construction d’infrastructures des sédiments. La pisciculture et la maritimes et côtières, transport maritime, conchyliculture exercent quant à elles des Marine nationale) pertes physiques liées à l’étouffement (6), (6) Il s’agit de pressions de nature hydro-morphologique, qui correspondent à des modifications de la composante physique (5) Cécile AVEZARD, François MARENDET et Éric VINDIMIAN, Mise en d’habitats marins – modification du substrat et/ou de la turbidité œuvre de la séquence "éviter-réduire-compenser" en mer, Rapport n° – pouvant entraîner la destruction des biocénoses associées de 010966-01, CGEDD, Octobre 2017 façon irréversible. 8 BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
la modification de sédiments, les déchets Graphique 1 : répartition par secteur de la valeur ajoutée et de l’emploi maritime marins, l’enrichissement en nutriment et Valeur ajoutée maritime 2013 : Emploi maritime 2013 : en matière organique, l’introduction de 35,6 milliards d’euros 460 500 pathogènes et d’espèces non indigènes 2% 3% (cf. détail ci après…). 6% 17 % Les enjeux liés aux ports de plaisance et 10 % de commerce sur la biodiversité regroupent les pressions de dragage et de clapage 7% 8% qui entraînent des dommages physiques 50 % 56 % conséquents (turbidité, extraction de maté- 8% 9% riaux, abrasion) et des perturbations biolo- giques comme la mortalité d’espèces. Ces 7% 9% 8% pressions sont celles considérées dans l’évaluation initiale DCSMM (cf. tableau 1). Néanmoins, les ports de plaisance et de Tourisme Secteur public Note : le « Secteur public » regroupe exclusivement les services publics non marchands, à savoir la Marine nationale, l’intervention commerce peuvent entrainer une dégrada- Construction navale Parapétrolier offshore publique dans le domaine maritime (signalisation, sécurité et sûreté, Produits de la mer Autres formation des gens de mer, protection sociale), la protection de l’en- tion directe des milieux lors de création ou vironnement littoral et marin et la recherche marine. Transport maritime d’extension de site (via l’artificialisation des Source DEMF Ifremer 2016 sols et les travaux associées). Le transport maritime exerce des pressions Graphique 2 : Production halieutique et aquacole mondiale sur la biodiversité de façon significative via les perturbations sonores sous-marines, 180 les déchets marins, les collisions avec 160 Production halieutique la faune, l’introduction de substances 140 Production aquacole dangereuses et d’espèces non indigènes. En termes de pressions jugées mineures 120 Millions de tonnes liées au transport maritime, on recense 100 la turbidité, l’abrasion, la modification du 80 régime thermique, l’enrichissement en ma- tière organique et nutriment, l’introduction 60 de pathogènes. 40 Au-delà des secteurs qui rentrent dans le 20 périmètre direct de l’économie maritime, 0 des activités comme la construction et 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 les aménagements sur le littoral, l’assai- Source : FAO. 2018. La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2018. Atteindre les objectifs de développement durable. Rome. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO. nissement des eaux usées ou encore l’agriculture ont un poids important dans Graphique 3 : Part de la production en volume de l’UE l’économie des territoires littoraux, tout en et du reste du monde (milliers de tonnes) en 2015 (capture et aquaculture) ayant des impacts conséquents sur les milieux marins. En termes de valeur économique, le Autres Espagne dont captures 2.4 % 1 341 / 21 % 1 195 / 19 % secteur maritime représente un poids et et aquaculture 0.6 % un potentiel hors du commun. Au total, on estime que la valeur ajoutée de l’économie Allemagne 281 / 4 % UE 6 451 / 3 % maritime en France s’élève à 35,6 milliards Irlande Royaume-Uni 960 / 15 % 272 / 4 % d’euros pour environ 460 000 emplois en Italie 340 / 5 % 2013 (Ifremer, 2016 (7)). A titre de com- Pays-Bas France paraison, la même année, ce secteur a Pays tiers : 427 / 7 % 730 / 11 % Danemark 205 060 / 97 % 905 / 14 % dont chine 38 % Volume en 1 000 tonnes et % du total Source : FAO, Eumofa (7) Données économiques maritimes françaises MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 9
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES une valeur ajoutée supérieure à celle de mais un poids économique relativement répond à la croissance significative de la l’industrie chimique (17 milliards d’euros), faible et (ii) pour les EMR des impacts et demande mondiale de poisson destiné à la de l’industrie pharmaceutique (12 milliards dépendance relativement faibles avec un consommation humaine. d’euros), ou encore de l’énergie (32,5 mil- potentiel économique significatif. En termes de répartition géographique, liards d’euros) (INSEE, 2013). Il s’agit donc la Chine est le principal producteur d’un pan particulièrement stratégique de Les produits de la mer : de poissons (capture et aquaculture), l’économie française. la pêche et l’aquaculture ainsi que le plus grand exportateur Le tourisme littoral est l’activité dépendante depuis 2002. L’Union européenne ne de la mer pesant le plus en emploi et en Dans le monde représente que 3 % du marché (en volume) valeur ajoutée (cf. graphique 1). (cf. graphique 3). En 2016 dans le monde, la production halieutique issue des captures s’élevait à Au-delà des pressions exercées par la Focus sur certaines 90,9 millions de tonnes et celle issue de pêche sur les ressources, l’aquaculture activités de l’économie la production aquacole à 80 millions de principalement orientée vers la production maritime à impacts et tonnes (cf. graphique 2). de poissons carnivores de gros calibre crée dépendances directs une pression très forte sur les ressources La pêche dite « de capture » stagne malgré en petits poissons sauvages. En effet, la Les nuisances et dépendances directes l’utilisation de techniques de plus en plus pêche industrielle serait responsable d’une sur le milieu marin peuvent être liées aux sophistiquées et lourdes, et des captures réduction des poissons pourtant directe- usages et aux aménagements côtiers ou de plus en plus éloignées des côtes et plus ment comestibles par l’homme, pour faire en mer. Les activités maritimes détaillées profondes. La flotte mondiale de bateaux fonctionner les élevages de poissons, de ci-après que sont la pêche, l’aquaculture et de pêche atteint plus de 1,3 million de porcs et de volailles (8). Environ 57 % de la la production d’énergie marines renouve- bateaux en 2010, contre 600 000 en 1970, production mondiale de farine de poisson lables (EMR), se distinguent d’un côté par pour un tonnage moyen évalué à 100kg (i) des impacts et une dépendance plus par bateau en 1970 et à 700 kg en 2016. (8) Frédéric Le Manach (BLOOM), Megan Bailey (Dalhousie University), Tim Cashion (Sea Around Us, University of British Columbia), and Claire marquée vis-à-vis de la biodiversité marine C’est donc aujourd’hui l’aquaculture qui Nouvian (BLOOM), The dark side of aquaculture, février 2017. Poulpe, Lembeh Indonésie © fenkieandreas 10 BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
approvisionne le secteur de l’aquaculture, La production issue de la pêche française ou ressources du milieu marin : la houle, 22 % le secteur porcin, 14 % le sec- (métropole et Outre-Mer) est estimée à 486 les courants, les marées, le gradient de teur avicole (le reste pour l’alimentation milliers de tonnes en 2015 (11), soit près de température entre les eaux de surface d’animaux domestiques non destinés à 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 550 chaudes et les eaux froides en profondeur. l’alimentation humaine ou d’élevage de millions d’euros de valeur ajoutée et 10 200 Fin 2015, les énergies renouvelables fourrure). Ce système de production va à emplois en équivalent temps plein (DEMF atteignent au niveau mondial plus de l’encontre du code de conduite pour une Ifremer). 19,3 % de la capacité énergétique et pêche responsable établi par la FAO (9). 24,5 % de celle en électricité (12). La part En France, l’aquaculture représente environ Cette dynamique destructrice peut être « marine » de ces énergies renouvelables 500 fermes en eau douce (Agreste, 2007) comparée à la pression qu’exerce sur le est cependant négligeable à ce jour au et une trentaine d’entreprises spécialisées foncier agricole la production de viande niveau mondial. en pisciculture marine (grossissement et conventionnelle (conflit d’usage entre écloseries). Ces fermes produisent sept Avec 11 millions de km² et trois façades production végétale à destination animale espèces de poissons : bars, daurades, maritimes, Manche-Mer du Nord, et végétale à destination humaine directe- turbots, maigres, saumons, soles, Atlantique et Méditerranée, l’espace ment). Alors que la pression pour l’élevage esturgeons. La France est le deuxième maritime métropolitain français permet de prive l’utilisation de la terre pour d’autres producteur en aquaculture dans l’Union bénéficier d’un potentiel de développement usages alimentaires, l’aquaculture prive à européenne. La conchyliculture est parmi les plus importants d’Europe pour la fois le consommateur de cette ressource l’activité aquacole dominante en métropole les EMR, source de nombreux emplois et directe en protéine mais prive également (250 000 tonnes), suivie de la pisciculture de retombées économiques. Le comité les écosystèmes marins d’un équilibre de en eau douce, avec 39 000 tonnes. interministériel de la mer encourage à ce la ressource trophique. titre la poursuite du développement des EMR. Ces technologies à fort potentiel L’observatoire européen du marché Energies marines renouvelables sont encore en développement et il des produits de la pêche et de (EMR) : enjeux écologiques et semble primordial de s’interroger sur leurs l’aquaculture (EUMOFA) a publié, le 28 opportunités économiques impacts potentiels sur la biodiversité (cf. octobre 2018, une étude sur la situation Les EMR comprennent l’ensemble des point de vue d’expert sur ce sujet et ses et les perspectives de la « bioéconomie technologies permettant de produire de opportunités et impacts sur la biodiversité bleue » (10). Son potentiel de croissance l’électricité à partir de différentes forces dans l’encadré ci-après). suscite de plus en plus d’attentes et va au-delà de la capture et de l’aquaculture (11) Vente totale par les bateaux français. Y compris thonidés et algues (12) http://www.ren21.net/wp-content/uploads/2017/06/170607_ à destination de l’alimentation : nouveaux récoltées en mer, hors maërl et gelidium. GSR_2017_Highlights.pdf aliments et additifs alimentaires, aliments Graphique 4 : Évolution de la densité de population en France depuis 1961-1962 pour animaux, nutraceutiques, produits pharmaceutiques, cosmétiques, matériaux Indice 100 en 1961/1962 (textiles et de construction) et énergie. 190 180 Littoral métropolitain En France Littoral ultramarin 170 La France est un acteur de petite taille France entière dans le secteur de la pêche et de 160 l’aquaculture mondiale. Ce secteur, 150 représentant une part limitée de la valeur ajoutée de l’économie maritime française, 140 est caractérisé par une importante pluralité 130 d’acteurs. La filière des produits de la mer dépend directement des ressources 120 halieutiques et nécessite une exploitation 110 durable pour garantir sa pérennité. 100 (9) http://www.fao.org/iuu-fishing/international-framework/code-of- 1961/1962 1967/1968 1974/1975 1982 1990 1999 2010 conduct-for-responsible-fisheries/fr/ Source : Observatoire national de la mer et du littoral, 2017* (10) https://www.eumofa.eu/documents/20178/84590/ * Les données clés de la mer et du littoral Synthèse des fiches thématiques de l’Observatoire. Blue+bioeconomy_Final.pdf Disponible ici : http://www.onml.fr/uploads/media/document.pdf MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 11
COMPRENDRE BIODIVERSITÉ MARINE : PRESSIONS, POIDS ÉCONOMIQUE ET LEVIERS ÉCONOMIQUES POINT DE VUE Les énergies marines renouvelables et la biodiversité CHRISTOPHE LE VISAGE - Hydrographe/océanographe, expert des thique par exemple. Le fort potentiel de questions maritimes et littorales pour l’UICN France. ces surfaces très ventées accessibles à cette technologie est important sur En quoi les énergies marines renouve- tions EMR. Il faut garder à l’esprit que ce toutes les côtes françaises métropoli- lables (EMR) méritent-elles d’être en- sont les impacts cumulés qui exercent taines et ultramarines. A ce stade cette couragées et développées en particu- des pressions excessives sur les écosys- technologie est encore en France au lier en France ? Quels sont les craintes tèmes marins, et donc que leur réduction stade pré-industriel : une seule éolienne et les freins à leur développement ? concerne toutes les activités, terrestres et est opérationnelle sur un site d’essai près marines – et pas seulement les nouvelles du Croisic (Pays de la Loire). Le bénéfice écologique des EMR se situe à deux niveaux. D’une part, leurs impacts activités comme les EMR. En France, où ÎÎ Concernant l’éolien posé, le béné- directs sur la biodiversité marine sont aucun parc EMR n’a encore été dévelop- fice énergétique est comparable à l’éolien faibles (quelques enjeux restent à préci- pé, aucun impact n’a donc été causé de flottant mais avec des impacts plus forts ser notamment sur l’avifaune) et d’autre leur fait, ce qui n’est pas le cas des ac- sur la biodiversité, bien que modérés. Les part, la réduction du recours aux énergies tivités terrestres et maritimes existantes. mâts étant fixés sur le fond, ces parcs se fossiles participe directement à l’atténua- Quel rôle a joué le groupe de travail situent nécessairement par des profon- tion du changement climatique, et donc EMR de l’UICN France ? Quelles sont deurs plus faibles (moins de 50 mètres) à la réduction de la pression sur la biodi- les principales conclusions et recom- et donc plus près de la côte, où la bio- versité. Avec les EMR, il doit être possible mandations vis-à-vis des technolo- diversité marine est riche et l’espace très de répondre à une demande croissante gies existantes ou en déploiement ? disputé : les parcs modifient notamment d’énergie renouvelable tout en impac- les fonds (impact sur les espèces ben- tant moins la biodiversité marine. A noter Le groupe de travail de l’UICN France thiques) et perturbent les oiseaux. Par également : ces énergies sont souvent est original, car il réunit dans une op- rapport à l’éolien terrestre, l’impact pay- produites localement, limitant la dépen- tique d’échanges dépassionnés et de re- sager est plus faible, les éoliennes étant dance aux importations d’autres pays et cherche de solutions tous les acteurs des généralement à peine visibles sur l’hori- elles sont source de création d’emplois. EMR : industriels et leurs groupements, zon. En France, se développent actuelle- ONG environnementales, usagers de la ment six projets de parcs situés au large La méfiance face aux EMR provient en mer professionnels et de loisirs, établis- de Saint-Brieuc (Bretagne), Courseulles- partie de la fausse impression selon la- sements publics et administrations. L’ob- sur-Mer (Calvados), Fécamp (Seine-Ma- quelle la mer serait encore intacte et sau- jectif initial du groupe de travail était de vage, alors qu’elle est en fait largement ritime), Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), confronter ces visions afin de proposer Le Tréport (Seine-Maritime) et Yeu-Noir- anthropisée et exploitée, souvent de des orientations pour une stratégie natio- façon irresponsable. Il est tout à fait légi- moutier (Vendée), dont la mise en service nale de développement des EMR dans le longtemps retardée par des recours est time de chercher à mesurer et à réduire respect de la biodiversité : concrètement, les impacts du développement des EMR attendue entre 2021 et 2024. identifier les filières les plus productives sur la biodiversité et l’environnement de énergétiquement et les moins impac- La filière hydrolienne (1), pour la- ÎÎ manière générale ; mais ces impacts tantes pour les écosystèmes marins. quelle la France dispose de savoir-faire doivent être mis en regard avec les béné- de pointe (turbines hydrauliques) a des fices attendus. Les premiers travaux du groupe de tra- impacts limités sur l’environnement (im- vail ont confirmé que toutes les filières et plantation dans des zones de forts cou- Par ailleurs, tous les impacts sur la bio- technologies ne se valent pas : rants, limitées en surface et où la biodi- diversité marine doivent être hiérarchisés, aussi, les impacts des EMR doivent éga- ÎÎ En France, le potentiel de l’éolien versité est généralement moins riche) lement être confrontés à ceux des autres flottant est grand avec des impacts limi- mais le potentiel énergétique associé à activités terrestres et marines. Ainsi, les tés. Implantés au large, dans des zones ces zones très spécifiques (Manche, es- impacts du bruit généré par la naviga- où les écosystèmes sont moins fragiles sentiellement) est assez faible. tion et la pêche ne sont pas encadrés qu’en zone côtière et ancrés sans in- ou évalués, alors qu’ils sont probable- frastructures lourdes, les parcs flottants (1) Les hydroliennes sont des turbines immergées ou semi- ment plus importants que ceux du bruit impactent faiblement la biodiversité qu’il immergées mises en mouvement grâce à l’énergie cinétique des courants marins, la plupart du temps des courants associé au fonctionnement des installa- s’agisse d’avifaune ou de faune ben- de marée. 12 BIODIV’2050 - Numéro 16 - Février 2019
© Prinses Amalia windmolenpark 4 ÎÎ La France dispose d’un potentiel dement suffisant. Divers projets se des- (ADEME) afin de développer à présent marémoteur (2) important, principalement sinent au large de l’île de la Réunion, de des recommandations sur la manière de en Manche, et du savoir-faire néces- Tahiti, mais aussi de la Martinique. Les développer les projets. saire (l’usine de la Rance en Bretagne impacts sur la biodiversité seraient pro- Il faut garder à l’esprit que ces nouvelles fonctionne depuis plus de 50 ans) mais bablement limités pour les dispositifs flot- technologies sont récentes et font émer- les techniques associées (barrage en tants, mais on manque d’études et d’es- ger des nouvelles préoccupations liées estuaire) impactent fortement l’environ- sais en vraie grandeur pour les évaluer. non seulement à la biodiversité, mais à nement. En revanche, le potentiel ma- Cette énergie peut aussi être exploitée la compétition pour l’usage de l’espace rémoteur du domaine maritime français à petite échelle par des pompes à cha- marin, qui concerne principalement la pourrait peut-être être exploité avec leur à eau de mer alimentant un réseau pêche, mais aussi le transport maritime des impacts moindres et des bénéfices urbain (comme par exemple à la Seyne- ou les activités de défense. Des com- additionnels (protection contre les sub- sur-Mer). Le SWAC (climatisation par eau promis seront à trouver pour l’avenir ; mersions) par des techniques nouvelles, de mer froide pompée en profondeur) est aujourd’hui, en France (ce n’est pas le telles que les lagons marémoteurs (bas- une variante de l’ETM. cas dans la plupart des autres pays), les sins artificiels créés en mer par des di- zones ouvertes à l’éolien offshore évitent gues, percées de canaux équipés de ÎÎ L’énergie osmotique est enfin la plupart des zones de pêche, ce qui ex- turbines). parfois citée ; elle capte grâce à des clut la plus grande partie des zones cô- L’énergie thermique des mers membranes l’énergie dissipée lors du tières. L’accès à l’espace constituera un ÎÎ (ETM) est la cinquième technologie mélange entre eau douce et eau salée des enjeux principaux des négociations à d’EMR étudiée. Elle est associée à l’ab- (estuaires, rejets d’eau douce en mer). A venir : c’est un des enjeux de la « Plani- sorption directe du rayonnement solaire ce jour, cette filière est très loin du stade fication de l’Espace maritime » en cours par les eaux superficielles des océans, industriel, et pose des problèmes envi- de déploiement dans l’UE (en France, qui constitue la principale forme d’énergie ronnementaux sérieux (les estuaires, cible à travers les DSF, « Documents Straté- marine. L’énergie thermique des mers est principale, étant des zones à très grande giques de Façade ») . Enfin, à ces enjeux exploitable dans les zones intertropicales valeur écologique). de compétition pour l’espace s’ajoutent où la température de surface est élevée, des enjeux sociétaux et d’acceptation : Quels sont les prochaines étapes et alors que la mer n’intéressait pas grand car il faut une différence de température enjeux à venir ? monde naguère, elle devient désormais proche de 20°C avec les eaux profondes (à quelques degrés) pour obtenir un ren- Le groupe de travail de l’UICN France qui un enjeu pour la société, et il est probable a conclu à l’intérêt de développer cer- que les questions de gouvernance seront de plus en plus présentes à mesure que (2) Se présentent sous la forme d’un barrage permettant la taines filières EMR a été relancé en 2018 l’on exploitera l’océan. formation d’un bassin. Les installations marémotrices exploitent en partenariat avec l’Agence de l’envi- l’énergie potentielle liée à la différence de hauteur d’eau entre le bassin et la mer, en fonction de la marée. ronnement et de la maîtrise de l’énergie MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 13
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