Cancer : la vie par-dessus tout

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Cancer : la vie par-dessus tout
ÉDITION NUMÉRIQUE
                                                                  Jeudi 7 janvier 2021 - Supplément - Côte-d'Or

CENTRE GEORGES-FRANÇOIS-LECLERC À DIJON

         Cancer : la vie
        par-dessus tout

                                                                                      24 PAGES
                                                                                      SPÉCIALES
                                                                                      Santé et recherche,
                                                                                      cancers féminins
                                                                                      et masculins, Covid...
                                                                                      Tour d’horizon 2020
                                                                                      au CGFL.
Photos LBP/Amandine ROBERT, Philippe BRUCHOT et Stéphane RAK
Cancer : la vie par-dessus tout
2       SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                                                                                                Jeudi 7 janvier 2021

 Centre Georges-François-Leclerc                             Santé et recherche (1/7)

Lutte contre le cancer :
les dernières nouvelles du front
  En mai 2020, le congrès mondial de cancérologie
  de l’Asco, à Chicago, a bien eu lieu malgré la crise,
  mais il était virtuel. Il s’agit de l’endroit où tous
  les spécialistes mondiaux se retrouvent et échan-
  gent sur les avancées ainsi que sur les résultats
  d’études. En bref, c’est “the place to be”, où se
  dessine l’avenir de la cancérologie. Et le cru 2020
  a été bon. Le centre dijonnais Georges-François-Le-
  clerc (CGFL) a encore eu une belle visibilité, avec
  une étude interne partagée en communication ora-
  le – le top du top, pour les néophytes – et cinq
  posters. Au total, six présentations et une mine
  d’informations sur les techniques qui peuvent, dès
  demain, être appliquées et changer la prise en
  charge des patients. Tout cela vous semble loin-
  tain ? Pourtant, ça vous concerne directement.                            Le centre Georges-François-Leclerc a eu une belle visibilité lors du congrès mondial de cancérologie,
  Zoom sur ce qu’il fallait retenir.                                        qui s’est tenu à distance cette année. Photo DR

Medi-Treme : l’étude dijonnaise                                                                                           Cancérologie digestive :
qui fait parler d’elle                                                                                                    une petite révolution
                                                                                                                          « Il y a eu de grosses annonces au congrès, qui
                                                                                                                         changent, dès aujourd’hui, le protocole de soins », se
                                                                                                                         réjouit le P r Ghiringhelli, oncologue médical.

                                                                                                                         ■ Cancer du côlon métastatique
                                                                                                                         de type MSI
                                                                                                                          Une étude française s’est penchée sur les patients
                                                                                                                         atteints de tumeurs rares du côlon, appelées MSI
                                                                                                                         (4 % des cancers du côlon). Le résultat est spectacu-
                                                                                                                         laire pour cette atteinte au très mauvais pronostic.
                                                                                                                         « En comparant la prise en charge par immunothéra-
                                                                                                                         pie face à la chimio classiquement utilisée, les
                                                                                                                         chercheurs ont montré que 50 % des malades vi-
Le Pr Ghiringhelli a présenté à l’oral l’étude qu’il a construite au CGFL avec le Dr Jean-David Fumet                    vaient sans récidive à deux ans. Certains même
et la participation de plusieurs autres centres anti-cancer. Photos LBP/Amandine ROBERT et CGFL                          étaient guéris », annonce le P r Ghiringhelli.
                                                                                                                          C’est donc un changement de standard de soins qui
  Medi-Treme a eu les honneurs       ments qui se basent sur la               courageantes : déjà, le traitement         va s’opérer, dès aujourd’hui, au CGFL et partout
d’une présentation orale au con-     réactivation du système immuni-          est plus tolérable et sur les seize        dans le monde. « En France, le médicament sera
grès – virtuel – de Chicago. Der-    taire. Sauf que, parfois, il y a des     premiers patients, cinq n’ont plus         remboursé d’ici un an, avec les lenteurs administrati-
rière ce projet de recherche inno-   résistances.                             de maladie du tout, cinq autres            ves… Toutefois, grâce au P r Coutant (directeur géné-
vant, pensé et développé par le        « Au centre dijonnais, grâce à         sont en réponse partielle, quatre          ral, ndlr), nos patients bénéficient déjà de cette
CGFL, il y a deux hommes : le Pr     nos outils en biologie, on peut          en phase de stabilisation et pour          nouvelle thérapie. »
François Ghiringhelli (*) , onco-    expliquer ce qu’il se passe quand        deux d’entre eux, le traitement ne
logue médical, responsable de        un patient résiste à une thérapie.       marche pas.                                ■ Cancer du rectum :
l’unité de phase précoce, et le      On peut alors réveiller le système         « C ’e s t n e t t e m e n t m i e u x   même traitement, mais dans l’autre sens
Dr Jean-David Fumet, oncologue       immunitaire chez ces malades,            qu’avec le standard de traitement           Deux études (une française et une hollandaise)
médical. Le duo s’est attaqué au     pour le rendre capable d’attaquer        actuel. Et il y a une grande amé-          bouleversent, là encore, la prise en charge de cette
cancer du côlon dit MSS, qui         les cellules cancéreuses. » Ce           lioration du confort de vie. Les           pathologie, qui n’a pas bougé depuis vingt-cinq ans.
touche environ 96 % des mala-        sont ces résistances que cible Me-       résultats finaux de l’étude sont           Classiquement, on traite par rayons (cinq semaines),
des.                                 di-Treme : « On se disait que            attendus pour l’année prochaine.           puis par comprimés de chimiothérapie (six semai-
  Pour lutter contre le deuxième     combiner chimio et deux immu-            S’il y a validation, cela ouvrira          nes), on opère et on met en place une chimiothérapie
cancer le plus meurtrier au mon-     nothérapies permettrait d’abat-          sur de plus grandes études. »              (six mois). C’est long, pénible, avec une récidive dans
de, les Dijonnais ont mis en place   tre ces résistances aux traite-            Ce que le binôme ne dit pas,             30 % des cas.
un protocole mêlant la chimio-       ments. On a fait une étude pour          c’est que si le final est aussi pro-        Avec les deux études, on place l’opération en
thérapie standard et deux médi-      laquelle sept ou huit centres ont        metteur que les premières obser-           dernier, après trois mois de chimio et cinq semaines
caments d’immunothérapie.            participé, avec 57 malades in-           vations, cette combinaison inno-           de rayons (rapport français) ou après cinq semaines
                                     clus. À l’Asco, seules les données       vante pourrait, bientôt, changer           de rayons et trois mois de chimio (rapport hollan-
Un nouveau protocole                 des seize premiers patients ont          les pratiques et devenir la norme          dais). Dans les deux cas, qui inversent l’ordre des
de soins à l’étude                   pu être communiquées, car il faut        de soins internationale. Plutôt            étapes classiques, les résultats ont été tellement
  L’immunothérapie, c’est cette      un an de suivi pour tirer des con-       chouette, non ?                            probants que le nouveau standard médical est doré-
méthode dont tout le monde par-      clusions », détaille le Pr François                                                 navant de placer la chimiothérapie avant la chirur-
le en cancérologie depuis quel-      Ghiringhelli.                               (*) Il est aussi directeur              gie.
ques années, avec des traite-          Les prémisses sont plus qu’en-            de l’unité Inserm-1231.

                                                                                                                                                                            W2102 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
Jeudi 7 janvier 2021                                                                            SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                   3

  centre Georges-François-Leclerc                           Santé et recherche (2/7)
                                                                                                                                           Repères
Cancer du sein : trois études clés                                                                                                         Poumon : l’espoir renaît
                                                                                                                                           Le cancer du poumon détient
■ Nouveau standard                                                                                         de l’immunothérapie si les      le triste record de mortalité
pour les métastases                                                                                        patients sont ciblés à          en France. Alors, quand des
cérébrales                                                                                                 l’avance et avec une chi-       avancées se font jour en la
 Une étude de phase 2,                                                                                     miothérapie adaptée en as-      matière, les professionnels
présentée lors du congrès                                                                                  sociation.                      ouvrent grand leurs oreilles…
mondial de cancérologie
de l’Asco, confirme l’effica-                                                                              ■ Mieux cibler
cité d’une molécule « qui                                                                                  pour mieux traiter
fonctionne sur les métasta-                                                                                  Pourquoi certaines per-
ses cérébrales. Pendant                                                                                    sonnes réagissent mieux
longtemps, le seul traite-                                                                                 aux thérapies ciblées que
ment efficace ét ait les                                                                                   d’autres ? Répondre à cette
rayons. C’est une avancée                                                                                  question permettrait de
extrêmement import an-                                                                                     contourner ensuite la résis-
te », rapporte le Pr Sylvain                                                                               tance aux traitements. Des
Ladoire, oncologue médi-                                                                                   chercheurs français ont dé-
cal, directeur de l’enseigne-                                                                              veloppé des outils biologi-
ment au centre Georges-                                                                                    ques innovants pour étu-
François-Leclerc.                                                                                          dier le génome.                 Dr Laure Favier, oncologue
                                                                                                             Conclusion : certaines al-    médicale. Photo LBP/A.R.
■ Nouvelle issue :                                                                                         térations génétiques expli-
l’immunothérapie                                                                                           queraient la sensibilité ou     ■ Des gènes défaillants
  Une autre étude porte sur                                                                                la non-réactivité à la méde-    à identifier
l’immunothérapie. Jusque-                                                                                  cine personnalisée. Avec         « Dorénavant, on peut détec-
là, les résultats sur le sein                                                                              ces données, il serait possi-   ter une anomalie génétique
et la prostate n’étaient pas                                                                               ble de prédire (scientifi-      de la tumeur, que l’on va ci-
probants. Toutefois, cette                                                                                 quement) les réactions et       bler avec des médicaments
étude montre une efficaci-            Pr Sylvain Ladoire, oncologue médical, directeur de l’enseignement   de sélectionner la molécu-      qui, jusqu’à présent, étaient
té modeste, mais certaine             au centre Georges-François-Leclerc. Photo LBP/A.R.                   le adéquate.                    prescrits pour un cancer de la
                                                                                                                                           prostate métastatique. Il y a
                                                                                                                                           90 % de survie sans récidive à

  Du neuf en urologie                                                     Et concernant la peau                                            deux ans. C’est extraordinai-
                                                                                                                                           re pour cette pathologie. Je
                                                                          et les os ?                                                      pense qu’on pourra prescrire
                                                                                                                                           la molécule bientôt. De plus,
  ■ Cancer de la prostate : une molécule à double effet                                                                                    le CGFL participe au méca-
  Lors du congrès, deux études ont été présentées et ont retenu           ■ Les mélanomes                                                  nisme de recherche en s’im-
  l’attention des spécialistes concernant le cancer de la prostate, le      C’est le Dr Alice Hervieu,                                     pliquant dans une étude de
  plus fréquent chez l’homme. La première, Condor, porte sur les          onco-dermatologue, qui                                           phase 1 qui étudie les muta-
  cancers métastatiques et met en avant une molécule à l’effet            fait le point sur ce qu’il                                       tions rares », détaille Dr Lau-
  double. Elle est un “traceur”, qui se fixe sur les cellules cancéreu-   s’est dit à propos des can-                                      re Favier, oncologue médica-
  ses naturellement, ce qui permet de ne plus “tâtonner” pour             cers de la peau. Le mélano-                                      le.
  détecter la maladie et son emplacement exact. Autre usage : la          me, « cancer le plus grave
  molécule, chargée en radioactivité, devient vecteur de la théra-        de la peau, est celui [pour
  pie et soigne de manière ciblée. On est alors dans la théranosti-       lequel] on a démontré pour
  que, discipline qui allie le soin à la détection. Quant à l’étude       la première fois l’efficacité
  Hero, elle facilite la vie des patients en préconisant un traitement    de l’immunothérapie. Au
  hormonal par voie orale plutôt que par injection. La qualité de         centre Georges-François-
  vie est améliorée et la toxicité est moindre pour les hommes.           Leclerc, nous la prati-
                                                                          quons depuis dix ans et
                                                                          c’est une maladie qui ré-
                                                                          pond très bien à ce traite-
                                                                          ment. On a même des pa-
                                                                          tients, qui avaient un
                                                                          mélanome métastasé, qui          Dr Alice Hervieu, onco-         Dr Cléa Fraisse, onco-
                                                                          ont été traités et chez qui      dermatologue. Photo LBP/A.R.    prenumologue. Photo CGFL
                                                                          on n’observe plus de traces
                                                                          de la maladie depuis cinq        ■ Les sarcomes                  ■ Bientôt une étude
                                                                          ou six ans ».                      Le CGFL est l’un des cen-     de phase 3
                                                                             C’est aussi une pratique      tres experts pour la prise      en immunothérapie
                                                                          efficace en prévention des       en charge des sarcomes. Il       « Le pronostic du cancer du
                                                                          rechutes, alliée à une chi-      fait partie du réseau Net-      poumon était, jusque-là, très
                                                                          rurgie. Depuis un an, c’est      Sarc avec le CHU de Be-         sombre. Il a été démontré à
  Photo LBP/Stéphane RAK                                                  ce qui se pratique. « Avec       sançon.                         l’Asco que l’association de
                                                                          cette édition de l’Asco, il a       « Une fois par semaine,      deux immunothérapies don-
  ■ Du côté de la vessie, des nouvelles pratiques                         été démontré l’intérêt de        on discute des dossiers sar-    ne de très bons résultats. Le
  Depuis trente ans, c’est une maladie qui se soigne de la même           l’immunothérapie avant de        comes de toute la région.       CGFL participe à une étude à
  façon. Mais un nouveau protocole de soins s’impose dans les             passer à l’opération. Nous       Sur le sarcome d’Ewing,         ce propos, avec des résultats
  formes avancées, avec une immunothérapie qui prend le relais            avons plusieurs études en        deuxième tumeur maligne         très prometteurs. Cela con-
  immédiatement après la chimio.                                          cours et les premiers résul-     osseuse, il y avait une hési-   duira à un protocole de phase
  « On entretiendra le bon résultat de la thérapie classique et on        tats sont très prometteurs.      tation entre deux protoco-      3 dès cet été » se réjouit le Dr
  améliorera ainsi la survie. C’est une avancée qui ne s’est pas vue      Grâce à notre unité de pha-      les et le congrès mondial a     Cléa Fraisse, onco-pneumo-
  depuis quarante ou cinquante ans dans les cancers de la vessie »,       se précoce, on peut propo-       permis de trancher pour         logue. En résumé, c’est la der-
  s’enthousiasme le Pr Sylvain Ladoire, oncologue médical, direc-         ser cette stratégie à nos pa-    une plus grande efficacité      nière marche avant la valida-
  teur de l’enseignement au CGFL.                                         tients, à Dijon, depuis l’été    de la méthode américaine        tion d’un nouveau standard.
                                                                          dernier. »                       plutôt qu’européenne. »

W2103 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
4       SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                                                                                                       Jeudi 7 janvier 2021

  centre Georges-François-Leclerc                            Santé et recherche (3/7)

Une charte nationale en six axes
et toujours plus d’engagement local

« J’estime que les gens n’ont pas à débourser un euro pour se soigner », déclare le Pr Charles Coutant, directeur du centre Georges-François-Leclerc. Photo LBP/Philippe BRUCHOT

À l’occasion de la Journée             ■ Proposer le meilleur                deuxième engagement. « L’une          l’extérieur, comme avec le méde-       ■ Favoriser les actions
mondiale contre le cancer,             traitement possible                   de mes premières décisions a été      cin traitant. On tient d’ailleurs      de prévention
qui a lieu en février der-               Le premier engagement consis-       de nommer un directeur de la          beaucoup à l’hospitalisation à         et de dépistage
nier, le centre Georges-               te à proposer au patient le           patientèle, le Dr Truc. On a réali-   domicile et on déploie des outils       Le but est de réduire les risques
François-Leclerc, à Dijon,             meilleur traitement possible,         sé un projet des usagers et faisons   connectés comme l’application          de cancer ou de les diagnostiquer
a signé une charte de six              adapté à son cancer, à la pointe      de la démocratie sanitaire une        “CGFL et moi”. L’idée est que le       au plus tôt. « C’est une priorité
engagements.                           des connaissances médicales,          vraie réalité. Le patient doit être   patient se sente en lien, connecté     dorénavant. J’ai créé la cellule pré-
                                       des progrès de la recherche et des    au cœur de sa prise en charge. »      avec nous. »                           vention et dépistage en ce sens.

«O       n donne tout, on se dit
         tout, on joue collectif, on
vous chouchoute, on vous a à
                                       technologies. « Au centre CGFL,
                                       23 % de nos malades ont un ac-
                                       cès direct à l’innovation en étant
                                                                             ■ Accompagner
                                                                             dans la coordination
                                                                                                                   ■ Aider à maintenir
                                                                                                                   la meilleure qualité
                                                                                                                                                          Nous avons organisé des journées
                                                                                                                                                          de sensibilisation au centre com-
                                                                                                                                                          mercial de Quetigny, auxquelles
l’œil, on ne fait pas de différen-     inclus dans des essais thérapeuti-    des soins                             de vie possible                        nous avons associé le CHU. »
ce. » Voilà la phrase choc de la       ques. On est le deuxième centre         Troisième engagement : accom-         Aider le patient, ainsi que son
charte commune aux 18 centres          en France sur ce sujet. 100 %         pagner le malade dans la coordi-      entourage, à maintenir la              ■ Garantir un accès
anticancer de France, dont le          d’entre eux bénéficient d’une réu-    nation des soins qui lui seront       meilleure qualité de vie possible      à l’ensemble des soins
centre Georges-François-Leclerc        nion de concertation pluridisci-      prodigués au sein de l’hôpital        pendant son hospitalisation            à tous les patients
(CGFL), situé à Dijon, est signa-      plinaire. Sans oublier l’accès aux    comme en dehors. « On a encore        comme à son domicile, voici le           Sixième engagement : garantir
taire à l’occasion de la Journée       traitements innovants, comme          du travail pour rendre cet axe        quatrième engagement. « Nous           un accès à l’ensemble des soins
mondiale contre le cancer, qui a       l’IRM Linac. »                        efficient. On est en train de réor-   avons créé le département trans-       quelles que soient les ressources
lieu en février 2020. Une charte                                             ganiser le parcours patient au        versal des soins de support en y       financières du patient et sans dé-
qui contient six engagements, dé-      ■ Informer de façon claire            sein du CGFL. Ce n’est pas [au        mettant beaucoup de moyens.            passement d’honoraires. « Nos
taillés au niveau local par le           Informer le patient de façon        malade] de s’adapter à notre or-      L’enjeu de base, ce sont les diètes.   médecins sont tous salariés et ne
Pr Charles Coutant, directeur de       claire, l’écouter et l’associer aux   ganisation, mais l’inverse. On        Éviter la dénutrition est primor-      pratiquent pas de consultations
la structure dijonnaise.               décisions le concernant, voici le     fluidifie aussi les relations avec    dial. Tous les malades hospitali-      privées. Leur rémunération ne
                                                                                                                   sés voient une diététicienne. Un       dépend pas du nombre d’actes de
                                                                                                                   malade dénutri va moins bien           soins qu’ils réalisent. Ceux qui
  Pr Charles Coutant : « Réaffirmer notre ADN »                                                                    guérir, mal supporter les traite-
                                                                                                                   ments, faire des complica-
                                                                                                                                                          restent dans ces conditions le
                                                                                                                                                          font parce qu’ils partagent nos
  Le Pr Charles Coutant, directeur du centre Geor-        tons en place des choses autour de lui, comme les        tions, etc. Il y a aussi des psycho-   valeurs. L’accès aux soins pour
  ges-François-Leclerc (CGFL), explique la philoso-       soins de support, la prise en charge psychologique.      logues, des assistantes sociales,      tous est un peu mon cheval de
  phie de cette campagne nationale : « Elle est là        Enfin, et j’y tiens particulièrement, on le fait pour    permettant aux malades d’obte-         bataille. J’estime que les gens
  pour réaffirmer notre ADN, nos valeurs et elle          tous : absence de reste à charge, pas de dépasse-        nir des aides, ainsi que des kinési-   n’ont pas à débourser un euro
  s’adresse à nos patients, car notre engagement est      ment d’honoraires, quel que soit son niveau de           thérapeutes, des onco-gériatres        pour se soigner. On va jusqu’à
  avant tout pour eux ». Rendre visibles les centres      ressources, on a les mêmes chances face à la mala-       et une équipe pour les adoles-         payer certains matériels comme
  de lutte contre le cancer « est important, car nous     die. Au CGFL, on a fait de la réduction des inégali-     cents. Nous avons également un         les orthèses, car le reste à charge
  avons un modèle unique de prise en charge. Nous         tés sociales et territoriales une priorité absolue. On   très beau service de prise en char-    est de 1 000 €, ce qui entraîne un
  sommes exclusivement dédiés au cancer avec une          va à la rencontre des patients à Sens, Nevers,           ge de la douleur, etc. Nous avons      renoncement aux soins. Ce n’est
  quête permanente de l’excellence. Cela passe par le     Semur-en-Auxois, Chaumont, Beaune, Mâcon,                recruté un oncologue, président        pas acceptable. C’est aussi pour
  continuum soins-recherche. Nous faisons cela avec       Langres. Nos médecins et chirurgiens, dont je fais       national de l’Association franco-      réduire les inégalités de territoire
  humanisme. Le patient est au centre. Nous met-          partie, vont opérer ailleurs qu’au CGFL. »               phone de soins oncologiques de         que nous envoyons des médecins
                                                                                                                   support. »                             en centres périphériques. »

                                                                                                                                                                                       W2104 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
Jeudi 7 janvier 2021                                                                              SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                       5

  centre Georges-François-Leclerc                        Santé et recherche (4/7)

Plongée au cœur de l’ADN...

Il est grand comme une yaourtière mais peut lire votre ADN plus vite que son ombre. Le séquenceur 3e génération acquis par le CGFL est pour l’instant un outil de recherche
mais pourra bientôt faire avancer la lutte contre le cancer. Romain Boidot, biologiste moléculaire adore son nouveau ''jouet''. Photo LBP/A.R.

Un séquenceur capable de lire           quis par le CGFL (centre Georges-       ceur nouvelle génération, c’est sa
l’ADN à une vitesse folle a pris
ses quartiers au centre Georges-
                                        François-Leclerc). » Installé depuis
                                        janvier 2020 au CGFL, il porte Di-
                                                                                vitesse de lecture. Il déchiffre plu-
                                                                                sieurs milliers de lettres par secon-     } Le séquenceur d’ADN peut
François-Leclerc de Dijon. Troi-        jon dans les hautes sphères de la       de. Mais comme cela va trop vite, il      tout changer car mieux cerner
sième génération d’une techno-          science, car il n’existe pour l’heure   y a un ralentissement qui fait chuter     la pathologie permet de mieux
logie qui a déjà fait ses preuves,      qu’une centaine de modèles dans le      le ratio à une lecture de 400 lettres
ce nouvel outil participe pour le       monde. Pour l’anecdote, c’est cette     par seconde. Sachant que, sur une         la combattre. ~
moment à la recherche.                  technologie qui a séquencé pour la      plaque, il y a 1 500 pores à analy-
                                        première fois le Covid-19. « Il a       ser…                                             Romain Boidot, biologiste moléculaire
C    ancer et ADN, quel rapport ?
     Eh bien, mieux cerner les “fau-
tes d’orthographes” dans l’ADN des
                                        fallu débourser 120 000 €, grâce à
                                        l’aide du conseil régional, pour ob-
                                        tenir l’outil dédié à un usage de
                                                                                ■ À quoi ça sert ?
                                                                                  Alors, pour augmenter le taux de
                                                                                                                                 au centre anti-cancer Georges-François-
                                                                                                                                                                 Leclerc
cellules permettrait de rectifier ces   recherche pour le moment. »             décryptage, le séquenceur tout neuf
bugs, sources de tumeurs ou de                                                  du CGFL possède cinq supports.
résistance aux traitements.                                                     Les matheux auront fait le calcul, ce

■ Une centaine de modèles
au monde, dont un à Dijon
  Le séquenceur d’ADN de 3e géné-
                                        120 000
                                        Comme le montant, en euros,
                                                                                sont près de trois millions de nuclé-
                                                                                otides (lettres) par seconde qui sont
                                                                                lues. En un clin d’œil, la machine
                                                                                peut donc déchiffrer l’équivalent de
ration est une nouvelle révolution      que le CGFL a déboursé, avec            l’œuvre de Zola, Dostoïevski et Hu-
et Romain Boidot, biologiste molé-      l’aide du conseil régional,             go… « Les séquenceurs lisent des
culaire, pourrait parler des heures     pour obtenir son séquenceur             lettres, mais celui-ci lit de très lon-
de ce petit bijou de technologie        d’ADN.                                  gues phrases et pas juste une partie
acquis par le centre anti-cancer di-                                            des mots comme lesdeuxièmes gé-
jonnais.                                                                        nérations qui décryptaient 300 let-
  « Comme les autres séquenceurs,       ■ Comment ça marche ?                   tres. Là, on monte à 10 000 et mê-
il déchiffre l’acide désoxyribonuclé-     Gros comme une yaourtière, il est     me 20 000 lettres. Cela permet
ique ou ADN, mais à une vitesse         équipé d’un système qui utilise des     d’avoir une “phrase d’ADN” cohé-
inégalée jusque-là. Nomade, il peut     pores bactériens, du vivant donc.       rente, dans le bon ordre et cela met
avoir la taille d’un smartphone,        « Les pores issus de bactéries sont     en avant des nuances, dont on
comme le modèle qui était utilisé       encastrés entre deux lames. Un          n’avait pas connaissance avant sé-
par une collègue de Thomas Pes-         champ électrique est généré et cela     quençage, qui peuvent tout changer
quet (spationaute français,             modifie la forme du pore en fonc-       car mieux cerner la pathologie per-
N.D.L.R.), Kate Rubins, dans la sta-    tion de la lettre de l’ADN qui le       met de mieux la combattre », termi-       Les micropipettes à piston permettent de prélever
tion spatiale internationale. Ou être   traverse. »                             ne le biologiste.                         et transférer des volumes très faibles de liquide, de
un peu plus gros, comme celui ac-         Mais la vraie magie de ce séquen-                         Amandine ROBERT       l’ordre du microlitre, pour le séquençage. Photo LBP/A.R.

W2105 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
6       SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                                                                                                Jeudi 7 janvier 2021

 centre Georges-François-Leclerc                              Santé et recherche (5/7)

Un outil de recherche en bonne voie
pour une application clinique
  Pour le moment, ce sé-
quenceur d’ADN de 3e géné-
ration est utilisé en recher-                                                                                                                      }  D’ici cinq
                                                                                                                                                   à dix ans,
che fondamentale, comme
l’explique Romain Boidot,                                                                                                                          on imagine
biologiste moléculaire :                                                                                                                           des applications
« On documente et on es-
saye de trouver des solu-
                                                                                                                                                   cliniques qui
tions pour analyser les ré-                                                                                                                        lèveront les doutes
sultats, car il y a cinq à dix                                                                                                                     autour
fois plus de données à gérer,                                                                                                                      de la thérapeutique
décrypter et stocker… D’ici
cinq à dix ans, on imagine
                                                                                                                                                   à suivre
des applications cliniques.
                                                                                                                                                   pour le patient. ~
Elles ne seront pas différen-
tes de ce qui se fait déjà
                                                                                                                                                               Romain Boidot,
                                                                                                                                                        biologiste moléculaire
actuellement, mais elles per-                                                                                                                                         au CGFL
mettront une réponse bien
plus rapide pour le traite-
ment du patient et cela lève-                                                                                                                      te aussi avec le CHU, car
ra les doutes et les hésita-                                                                                                                       une telle technologie aura
tions autour de la théra-                                                                                                                          un impact dans le cadre de
peutique à suivre ».                                                                                                                               la détection de maladies gé-
                                                                                                                                                   nétiques rares. Le but étant
 Cancérologie                                                                                                                                      que toute la communauté
 et maladies génétiques                                                                                                                            scientifique locale puisse
 rares                                                                                                                                             profiter de cette technique
                                                                                                                                                   de pointe ».
  Autre application envisa-                                                                                                                          Mais pour l’instant, le sys-
gée à l’avenir : « Faire du                                                                                                                        tème a ses limites, car une
génome complet. Jusque-là,                                                                                                                         fois les infos extraites à la
les machines “grand public”                                                                                                                        vitesse de l’éclair, encore
n’étaient pas assez puissan-                                                                                                                       faut-il les traiter, dénicher
tes pour lire six milliards de                                                                                                                     l’information pertinente, et
lettres pour un coût raison-                                                                                                                       aussi stocker cette masse de
nable. Avec ce séquenceur                                                                                                                          données.
nouvelle génération, c’est                                                                                                                           D’autre part, actuelle-
techniquement possible »,                                                                                                                          ment, le support de séquen-
mais pour le moment ce                                                                                                                             çage coûte cher, 1 000 € la
n’est pas fait.                                                                                                                                    lamelle. Un chiffre à multi-
  Et il n’y a pas qu’en cancé-           Le séquenceur 3e génération acquis par le CGFL est, pour l’instant, un outil de recherche, mais il        plier par cinq puisque la ma-
rologie que cela pourrait fai-           pourra bientôt faire avancer la lutte contre le cancer. Avec ses cinq entrées, il lit jusqu’à trois       chine du CGFL a cinq en-
re des miracles : « On discu-            millions de nucléolites. Photo LBP/A.R.                                                                   trées.

 L’ADN : portrait d’une molécule remplie d’informations
 L’ADN (pour acide désoxyribonu-                                                                                                               c’est cela la définition d’une cellule
 cléique), ce sont trois milliards de                                                                                                          cancéreuse. Et tout cela est traduit
 paires de base, six milliards de let-                                                                                                         par un signal, une sorte de code
 tres de quatre types différents et                                                                                                            électrique, par le séquenceur. Avec
 c’est cet ensemble qui permet le                                                                                                              le séquençage on peut décrypter
 fonctionnement d’une cellule. Pour                                                                                                            tout cela et lire clairement les te-
 mieux comprendre ce qui pêche, en                                                                                                             nants et aboutissants des tumeurs.
 cas de cancer, au sein de cet amas                                                                                                            On peut même dénicher des bugs,
 vivant, on peut aller à la source, en                                                                                                         des erreurs dans la matrice qui expli-
 lisant l’ADN, c’est le séquençage.                                                                                                            queraient pourquoi tel ou tel traite-
                                                                                                                                               ment ne fonctionne pas chez un
 Pour une thérapeutique                                                                                                                        patient. »
 parfaitement adaptée à chacun                                                                                                                 Utilisé en amont, on peut imaginer
 « C’est comme dans un livre. S’il                                                                                                             programmer la thérapeutique en
 n’y a pas de problème dans la cellu-                                                                                                          fonction des spécificités de l’ADN
 le, les lettres sont à la bonne place                                                                                                         de chacun… Magique ? Non scien-
 et on comprend toute l’histoire.                                                                                                              tifique.
 Mais s’il y a une “faute d’orthogra-                                                                                                          « Mais là, c’est encore un peu de la
 phe” quelque part dans l’ADN, la                                                                                                              science-fiction, bien que ce ne soit
 cellule lit un message erroné qui lui                                                                                                         pas délirant. Cinq ans en arrière, je
 fait avoir des réactions inappropri-                                                                                                          n’aurais jamais imaginé qu’on en
 ées. Elle devient alors immortelle,       L’ADN, un mystère qui peut être percé avec les bons outils. Photo DR                                serait là aujourd’hui. »

                                                                                                                                                                               W2106 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
Jeudi 7 janvier 2021                                                                               SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                        7

  centre Georges-François-Leclerc                         Santé et recherche (6/7)

L’intelligence artificielle
au service de la lutte contre le cancer
Un ordinateur peut-il faire
mieux qu’un humain et antici-                                                                                                                        Diffuser
per sur les patients ayant le                                                                                                                        gratuitement
plus de chance de guérir d’un                                                                                                                        cette intelligence
cancer et ceux risquant une
récidive ? Si oui, peut-on
adapter les prises en charge ?
C’est ce qu’est en train de
faire, à Dijon, le CGFL en déve-
loppant deux systèmes d’in-
telligence artificielle simple.

V    alentin Derangère* est maî-
     tre de conférences en histo-
logie. Matière qui cherche à éta-
blir comment les cellules
s’organisent dans un même en-
droit. Membre de l’équipe In-
serm du Pr Ghiringhelli, dont
une partie des recherches se dé-
roulent au centre de lutte contre                                                                                                                    François Ghiringhelli,
le cancer Georges-François Le-                                                                                                                       professeur, oncologue
clerc, CGFL à Dijon, il nous                                                                                                                         médical, neuro-oncologie,
plonge dans un projet de recher-                                                                                                                     chef d’équipe de recherche
che ambitieux, qui mêle oncolo-                                                                                                                      Inserm au CGFL. Photo LBP/A.R.
gie et intelligence artificielle,
avec une bonne dose, pour pi-                                                                                                                        « Au CGFL, on a investi
menter le tout, de mathémati-                                                                                                                        dans la bio-informatique.
ques et de codes informatiques.     Sur une petite lame, brandie par Valentin Derangère de l’équipe de recherche du CGFL, des milliers               Nous sommes médecins,
                                    d’informations sont contenues et lisibles, grâce à l’intelligence artificielle. Photo LBP/A.R.                   pas mathématiciens ou co-
■ Petacc8 : quand l’humain                                                                                                                           deurs. Nous avons pour-
apprend à la machine                des, atteints d’un cancer du cô-      noté ce qui était sain et ce qui     ner une dizaine, les plus             tant la chance d’avoir une
à réfléchir                         lon. Sur une lame, l’ordinateur       était cancéreux. Le tout est re-     pertinentes sur la probabilité de     équipe dédiée à l’informa-
  L’équipe Inserm du Pr Fran-       identifie ce qui appartient à la      groupé dans un méta fichier. On      rechute. Aujourd’hui, on peut         tique. Cette coopération
çois Ghiringhelli a utilisé un      tumeur et ce qui est sain. »          en fait une bibliothèque tissulai-   voir, grâce à un algorithme, qui      entre médecine, biologie,
programme existant pour l’ap-         Petacc8 permettrait donc de         re pour qu’ensuite l’ordinateur      a une chance sur dix de récidive      maths, c’est l’avenir. »
pliquer à leur projet et le déve-   lire ce que l’œil humain ne peut      soit à même de lire seul des         et donc ne nécessite pas forcé-       « Les systèmes ainsi déve-
lopper. « Grâce à un partenariat    pas voir. Si la machine est capa-     lames qui ne sont pas annotées.      ment une chimiothérapie pou-          loppés nous aident à trou-
avec la Fédération francophone      ble de ce petit miracle, c’est par-   Non seulement ça a marché,           vant altérer sa qualité de vie. À     ver l’aiguille dans la botte
de cancérologie digestive           ce que les équipes de scientifi-      mais nous sommes en train            l’inverse, on peut distinguer         de foin en cancérologie. Le
(FFCD) et le CHU, nous avons        ques du CGFL lui ont appris.          d’élargir les tests sur d’autres     ceux ayant une chance sur deux        but de ce projet, c’est de
pu étudier les cas de 1 200 mala-   « Tuile par tuile, nous avons an-     malades que les 80 premiers          de rechuter. Pour eux, on adap-       développer des outils d’in-
                                                                          étudiés. »                           tera la prise en charge, par plus     telligence artificielle qui
  zoom                                                                                                         de scanners, une chimiothéra-         nous permettent de mieux
                                                                          ■ Un code couleur                    pie, etc. »                           pronostiquer, mieux antici-
  ■ La croisée des chemins                                                pour mieux lire et anticiper                                               per les risques de rechutes
  Le projet de recherche est à la croisée de plusieurs disciplines          « Sur une petite lame, on indi-    ■ Prévoir la survie à 5 ans           d’un patient atteint d’un
  et de plusieurs talents. Il y a les mathématiques gérées par            que en rouge la tumeur, en jau-        Le troisième effet papillon de      cancer du côlon. »
  Caroline Truntzer, responsable de l’unité de Biomathémati-              ne les tissus sains et en bleu le    ce programme de recherche,            « Classiquement, on enlè-
  ques de la plateforme de transfert en biologie du cancer du             stroma (tissu qui constitue la       c’est la possibilité d’établir des    ve la partie malade par chi-
  CGFL. Il y a évidemment l’oncologie - avec l’équipe du                  substance de base, la charpente      catégories avec les divers pro-       rurgie, on regarde les gan-
  professeur Ghiringhelli et Cynthia Reichling, interne en                d‘un organe, ndlr). Cela nous        nostics des patients, en pré-         glions autour et on estime
  gastroentérologie.                                                      permet de compter le nombre          voyant la rechute jusqu’à 5 ans.      alors l’intérêt et la force de
  Enfin, il a fallu modéliser tout cela, avec l’aide de Quentin           de cellules immunitaires qui         « Car, en plus de notre “score        la chimiothérapie. Grâce à
  Klopfenstein, un étudiant qui a mis au point les modèles                persistent dans la zone de la        digital’’, s’ajoutent les variables   ce projet d’IA, on peut anti-
  d’IA. Cela a même créé une vocation, puisqu’il est à présent            tumeur. » Chaque pixel renfer-       cliniques et biomoléculaires.         ciper les potentielles réci-
  en thèse de mathématiques à l’institut Carnot de Dijon.                 me des informations précieuses       Cette technologie pourra être         dives et aller vers une mé-
  « C’est un véritable travail d’équipe. Seules, ces disciplines          sur la maladie, son emplace-         très utile dans le cas des très       decine de plus en plus
  ne seraient jamais allées aussi loin, mais ensemble, le résultat        ment, son évolution. « L’ordina-     petites tumeurs pour lesquelles,      personnalisée. À terme,
  est là », s’enthousiasme Valentin Derangère, maître de confé-           teur lit et interprète ce que nous   actuellement, on hésite tou-          l’idée c’est d’arriver à opti-
  rences en histologie.                                                   ne voyons pas. »                     jours sur la prise en charge. »       miser l’outil afin de pou-
                                                                                                                                Amandine ROBERT      voir le diffuser gratuite-
  ■ Une publication prestigieuse                                          ■ Intelligence artificielle,                                               ment, en open source.
  C’est dans Gut, la plus importante revue britannique en                 acte II : la personnalisation          *Maître de conférences en histo-    Mais, pour cela, il faut ac-
  gastro-entérologie que, fin 2019, les premiers résultats du             du traitement                          logie, plateforme de transfert en   cumuler plus de données
  projet du CGFL ont été publiés en ligne. En mars 2020,                    Un deuxième outil a été déve-        biologie cancérologique, dépar-     et fabriquer une interface
  l’article rédigé par le Pr Ghiringhelli, Valentin Derangère et          loppé dans la continuité de            tement de biologie et de patholo-   qui soit facile à utiliser et
  les membres de l’équipe a eu les honneurs de la version                 l’étude. « Sur les centaines d’in-     gie des tumeurs au CGFL. Mem-       qui soit faisable technique-
  imprimée de Gut (Intestin en traduction française, ndlr).               formation détectées, l’ordina-         bre de l’équipe Inserm du           ment. »
                                                                          teur est capable d’en sélection-       Pr Ghiringhelli.

W2107 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
8      SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                                                                                     Jeudi 7 janvier 2021

 centre Georges-François-Leclerc                     Santé et recherche (7/7)

Un nouvel équipement de pointe
au centre anti-cancer de Dijon
Fin 2019, au centre régional
de lutte contre le cancer (CGFL
de Dijon), un premier groupe de
patients a été intégré dans un
nouveau protocole de soins,
qui s’appuie sur la radiothérapie
guidée par IRM.

A    près Marseille, Dijon est la deuxiè-
     me ville de France à proposer cette
modalité de radiothérapie « révolution-
naire », grâce à l’acquisition d’un tout
nouvel équipement : l’IRM-Linac MRI-
dian. Parmi ses avantages : le rendu
visuel, incomparablement plus précis
que celui fourni par les scanners stan-
dards, permet de réaliser des images de
la tumeur en continu pendant le traite-
ment, d’en contrôler la position en
temps réel et ainsi d’activer ou d’inter-
rompre le faisceau selon le positionne-
ment de la tumeur, pour cibler encore
plus précisément la zone à irradier (mê-
me si le patient bouge pour respirer par
exemple).

 « Une radiothérapie adaptative
 personnalisée »
  « L’imagerie par résonance magnéti-
que embarquée sur l’accélérateur linéai-
re permet la prise en compte, à chaque
séance, des modifications anatomiques
de la tumeur ou des organes de proximi-
té, ajoute Karine Peignaux, radiothéra-      Huit professionnels sont mobilisés, chaque jour, pour faire fonctionner l’IRM-Linac MRIdian. Photo LBP/Philippe BRUCHOT
peute, responsable du département de
radiothérapie du CGFL. Il est ainsi pos-
sible de proposer au patient une radio-
thérapie adaptative personnalisée. »
  Plus de dix millions d’euros d’investis-
sements (cofinancés par le Conseil ré-
gional, le Feder et des donateurs) au-
ront en tout cas été nécessaires au
CGFL pour acquérir cette machine –
dont Bernard Tapie, qui fait partie en
France des premiers patients bénéficiai-
res (à l’Institut Paoli-Calmettes de Mar-
seille), a été l’un des ambassadeurs les
plus actifs.

 Des séances
 de 45 minutes à 2 heures
  Huit professionnels sont mobilisés,
chaque jour, pour faire fonctionner
l’IRM-Linac MRIdian. En moyenne, ils
reçoivent quotidiennement entre 5 et
10 patients pour des séances qui durent
entre 45 minutes et 2 heures. Ils traitent
essentiellement des cancers localisés au
foie, au pancréas, au poumon et à la
prostate.
  L’utilisation de l’IRM-Linac MRIdian
a cependant été étendue, sous condi-
tions, à certaines autres indications
complexes : localisations osseuses se-
condaires, lésions rénales, lésions très
mobiles…
                       Alexandra CACCIVIO    Parmi les avantages de l’IRM-Linac MRIdian, un rendu visuel extrêmement précis. Photo LBP/Stéphane RAK

                                                                                                                                                                  W2108 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
Jeudi 7 janvier 2021                                                                       SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                  9

  centre Georges-François-Leclerc                    Le cancer au féminin (1/4)

« Je réalise que j’ai eu un cancer
et que ça a changé ma vie »
Karine Genton avait
43 ans lorsque son cancer
du sein a été diagnosti-                                                                                                                 } C’est après
qué : « C’est un peu grâce                                                                                                               les traitements
à ma gynécologue, qui                                                                                                                    que ça se complique
fait passer des mammo-                                                                                                                   émotionnellement. ~
graphies bien avant l’âge
conseillé (50 ans, NDLR).
C’était par prévention et                                                                                                                             Karine Genton
ça m’a probablement sau-
vé la vie… »                                                                                                                             n’est pas un petit rhume

L    e 22 décembre 2016, le
     diagnostic tombe. La
Dijonnaise est immédiate-
                                                                                                                                         (rires). Il y a les effets se-
                                                                                                                                         condaires, l’image de soi
                                                                                                                                         qui change. Je vois un psy-
ment prise en charge au                                                                                                                  chologue de la Ligue con-
centre de lutte contre le                                                                                                                tre le cancer, car il y a tout
cancer Georges-François-                                                                                                                 un travail d’acceptation à
Leclerc (centre CGF L).                                                                                                                  effectuer, mais qui ne peut
« Dès le 3 janvier, j’avais                                                                                                              pas se faire pendant les trai-
rendez-vous avec le chirur-                                                                                                              tements. C’est alors un peu
gien » et la machine s’est                                                                                                               un marathon. Il n’y a pas de
mise en marche.                                                                                                                          place pour le questionne-
  « On m’a enlevé la tu-                                                                                                                 ment ou le doute. »
meur sur le sein droit, puis                                                                                                               « C’est après que ça vient
j’ai débuté une chimiothé-                                                                                                               et que ça se complique
rapie ainsi qu’un traite-                                                                                                                émotionnellement. Il y a le
ment ciblé pour mon can-                                                                                                                 “moi” à la maison, avec ses
cer hormonodépendant                                                                                                                     peurs, ses pleurs, tout ce
d’un type particulier, Her2                                                                                                              que je veux camoufler. Et il
positif. Il s’agissait d’une                                                                                                             y a le “moi” en société, po-
injection toutes les trois se-                                                                                                           sitif, battant, qui veut mon-
maines. Ensuite, il y a eu les                                                                                                           trer que la maladie ne chan-
rayons et l’hormonothéra-                                                                                                                ge rien. »
pie. »
                                                                                                                                          « Il ne faut pas
  « L’écoute                                                                                                                              trop exiger de soi »
  et la bienveillance
  qui m’ont                                                                                                                                Cette salariée de la fonc-
  accompagnée                                                                                                                            tion publique a d’abord re-
  durant ma prise                                                                                                                        pris le travail à mi-temps
  en charge au CGFL                                                                                                                      après une année d’arrêt ma-
  m’ont                                                                                                                                  ladie, puis, six mois plus
  beaucoup aidée. »                                                                                                                      tard, à temps plein. « Cette
                                                                                                                                         transition en douceur était
  Et, là, c’est le grain de                                                                                                              nécessaire, car je me suis
sable. Karine Genton déve-                                                                                                               vite rendu compte que je
loppe une embolie pulmo-                                                                                                                 n’arriverais pas à faire les
naire, conséquence classi-                                                                                                               choses comme avant.
que et redoutable des                                                                                                                    J’étais très, trop, active. Je
thérapies hormonales.                                                                                                                    courais partout. Là, j’ai été
« Mon oncologue l’a arrê-                                                                                                                obligée de ralentir. Mais la
tée. En “remplacement”, je                                                                                                               reprise du boulot m’a re-
vais me faire opérer en fé-                                                                                                              plongée dans une vie plus
vrier. Il s’agira d’une abla-                                                                                                            classique, où la maladie
tion des ovaires et des                                                                                                                  n’était plus au centre et ça
trompes, pour stopper la                                                                                                                 m’a fait du bien. C’est ras-
production d’hormones et                                                                                                                 surant de retrouver ses au-
limiter les risques de récidi-                                                                                                           tomatismes profession-
ve. Cela ne m’a pas été im-                                                                                                              nels. »
posé, c’est mon choix. »                                                                                                                   Et si la pétillante quadra-
  Cette maman solo de deux       Karine Genton revient sur son parcours de soin et l’acceptation de cette maladie qui "a tout changé".   génaire avait un conseil à
adolescentes l’assure :          Photo LBP/A.R.                                                                                          donner ? « C’est délicat et
« L’écoute et la bienveillan-                                                                                                            tellement personnel, mais
ce qui m’ont accompagnée         avec tous mes rendez-vous         d’avoir été prise en compte          C’est maintenant que Ka-         je dirais qu’il faut se mon-
durant ma prise en charge        et je ne devais penser qu’à       comme une personne et              rine Genton a un contre-           trer bienveillant envers soi-
au CGFL m’ont beaucoup           deux choses : me soigner et       pas seulement comme une            coup : « J’ai plus de recul et     même, ne pas trop exiger
aidée. Je me suis laissée        faire en sorte de vivre le        patiente. Sans eux, je n’au-       c’est aujourd’hui que je réa-      de soi et s’entourer de per-
porter. Très vite, on m’a        mieux possible mes traite-        rais pas vécu les choses de        lise que j’ai eu un cancer et      sonnes attentionnées. »
établi un carnet de bord         ments. J’ai l’impression          la même manière… »                 que ça a changé ma vie. Ce                    Amandine ROBERT

W2109 - V0
Cancer : la vie par-dessus tout
10 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE                                                                                                                                          Jeudi 7 janvier 2021

  Centre Georges-François Leclerc                            Le cancer au féminin (2/4)

« Mon corps est toujours
celui d’une femme »
Marlène Leclerc a eu un                                                                                           suivi gynéco depuis ! Je pense
cancer du sein à 38 ans.                                                                                          avoir converti certaines de mes
C’est grâce à l’autopalpation                                                                                     amies et collègues. »
qu’elle a pu agir vite. La                                                                                          Le plus dur pour Marlène a été
Tournusienne et le Centre                                                                                         la mise en place de la chimiothé-
Georges-François Leclerc de                                                                                       rapie, avec l’incontournable énu-
Dijon insistent sur l’impor-                                                                                      mération des effets secondaires.
tance du dépistage et de la                                                                                       « J’ai éclaté en sanglots à l’idée
prévention pour lutter con-                                                                                       que seul du poison pouvait m’ai-
                                                                                                                  der à guérir. En même temps que
tre les cancers féminins.

M     arlène Leclerc a 41 ans et
                                                                                                                  le début des chimios, mi-février,
                                                                                                                  on a lancé une étude génétique,         } Dès le début
      vit près de Tournus. Elle est                                                                               car un cancer du sein si jeune…         de la prise en
suivie au Centre Leclerc de Di-                                                                                   Le résultat est tombé en avril et
jon depuis le diagnostic de son                                                                                   là, tout bascule à nouveau. On          charge, on parle
cancer du sein. Porteuse d’une                                                                                    m’apprend que je suis porteuse          aux patientes de
mutation génétique, elle a subi                                                                                   du BRCA1, le même gène qu’An-           l’après cancer et de
une double mastectomie, ainsi                                                                                     gelina Jolie. »
qu’une ablation des ovaires, des                                                                                                                          la reconstruction.
trompes et de l’utérus.                                                                                            Le terrible choix :                    C’est primordial
  Puis, ce fut le temps de la re-                                                                                  l’ablation totale                      qu’elles sachent
construction. De sa poitrine et
surtout de sa vie. Elle nous ra-                                                                                    Cette mutation génétique rend         qu’il peut y avoir
conte la chronologie d’une prise                                                                                  Marlène vulnérable. Son risque          un après. ~
en charge lourde, les choix durs à                                                                                de récidive est très élevé : « En
faire et l’espoir. L’élément clé a                                                                                gros, j’avais une chance sur deux       Dr Clémentine Jankowski,
été un diagnostic rapide, hors                                                                                    de refaire un cancer du sein ou          chirurgien gynécologue,
des campagnes de prévention                                                                                       de développer un autre cancer                           spécialiste
classiques, puisque Marlène                                                                                       féminin. Cela a bousculé toutes               de la reconstruction
n’avait que 38 ans à l’époque.                                                                                    mes perspectives. Avant cette                           mammaire
  Décembre 2017, la trentenaire,                                                                                  nouvelle, le plan, c’était qu’à l’été
qui pratique régulièrement l’au-                                                                                  2018, j’avais terminé mon par-
topalpation, sent « un petit no-                                                                                  cours. Là, on partait sur quelque
dule au niveau de son sein droit.                                                                                 chose de bien plus lourd. »
J’ai appelé la gynéco qui me suit
ainsi que ma maman. Elle avait                                                                                     « Ces trois heures
en tête nos antécédents fami-                                                                                      d’opération
liaux, avec ma grand-mère ma-                                                                                      ont changé ma vie
ternelle qui avait développé un                                                                                    et l’ont probablement
cancer du sein jeune. Elle m’a                                                                                     sauvée aussi »
immédiatement faxé une ordon-
nance d’échographie et de mam-                                                                                      Marlène avoue avoir eu beau-
mographie ».                                                                                                      coup de questions, de peurs, de
                                                                                                                  réflexions avant de se décider
 « Je fais                                                                                                        « pour une double mastectomie,
 de la propagande                                                                                                 une ovariectomie et hystérecto-
 pour l’autopalpation et                                                                                          mie. La totale. Ça a été très dur
 le suivi gynéco depuis »                                                                                         de m’en remettre, malgré mes
                                                                                                                  trois filles. On touchait à ma part
  Marlène, qui est laborantine à                                                                                  féminine, maternelle… Ces trois
l’hôpital de Chalon, se rend alors                                                                                heures d’opération ont changé
immédiatement au service voisin                                                                                   ma vie et l’ont probablement sau-
de radiologie, où on lui explique
que la liste d’attente portera son
rendez-vous à février… « Je sen-
                                                                                                                  vée aussi. »
                                                                                                                    « Aujourd’hui, je vais de mieux
                                                                                                                  en mieux. J’ai un mari fantasti-
                                                                                                                                                          } Je suis une des
tais au fond de moi qu’il fallait                                                                                 que qui, même lorsque j’étais
                                                                                                                                                          preuves vivantes
aller vite, peut-être une intui-                                                                                  chauve, me voyait de l’intérieur.       – et heureusement
tion. » Elle se rend donc à Mâ-                                                                                   Certes, les cicatrices et, parfois,     nous sommes
con le 12 décembre. Immédiate-                                                                                    quelques douleurs me rappellent
ment après l’imagerie, le                                                                                         cet épisode, mais je commence à
                                                                                                                                                          nombreuses –
radiologue complète le panel                                                                                      me sentir bien, je revis et je ra-      qu’on peut s’en
d’examens par une biopsie en          Marlène Leclerc a repris le sport et le goût à la vie après une très        chète même des vêtements. Je            sortir et reprendre
urgence. En une semaine, le diag-     lourde épreuve. Pour elle qui a eu un cancer à 38 ans, la prévention        fais du sport, de la kiné… Avec la
nostic tombe : “Carcinome cana-       doit débuter plus jeune que les 50 ans prévus par les campagnes             reconstruction mammaire dont
                                                                                                                                                          une vie normale,
laire de grade 3 infiltrant”. En      de dépistage. Rien ne vaut un suivi gynéco annuel… Photo LBP/A.R.           j’ai pu bénéficier, par double          sans séquelles. ~
bref, cancer du sein agressif au                                                                                  Diep, mon corps est toujours ce-
stade 3. C’est la douche froide.      bienveillant, et ce, tout au long     fiance. » Marlène est opérée en       lui d’une femme. Quand je me               Sabine Clain, 49 ans,
  Le 8 janvier 2018, après des        de ma prise en charge, et croyez-     ambulatoire le 27 janvier car sa      regarde dans une glace, c’est ce                  diagnostiquée
fêtes tourmentées, Marlène a          moi, ce n’est pas rien quand vo-      tumeur, détectée très tôt grâce à     que je vois. Je me trouve même           d’un cancer des ovaires
rendez-vous au Centre Georges-        tre vie bascule. Je ne dirais pas     sa vigilance, ne mesure que 14        belle certains jours (rires). Je ne                    en 2019,
François Leclerc de Dijon.            que j’y vais avec le sourire mais,    millimètres. « Je fais de la propa-   regrette rien. »                            en rémission depuis
« Tout le monde a été charmant,       en tout cas, j’y vais en toute con-   gande pour l’autopalpation et le                        Amandine ROBERT

                                                                                                                                                                                W2110 - V0
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