Cancer : la vie par-dessus tout
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
ÉDITION NUMÉRIQUE Jeudi 7 janvier 2021 - Supplément - Côte-d'Or CENTRE GEORGES-FRANÇOIS-LECLERC À DIJON Cancer : la vie par-dessus tout 24 PAGES SPÉCIALES Santé et recherche, cancers féminins et masculins, Covid... Tour d’horizon 2020 au CGFL. Photos LBP/Amandine ROBERT, Philippe BRUCHOT et Stéphane RAK
2 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE Jeudi 7 janvier 2021 Centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (1/7) Lutte contre le cancer : les dernières nouvelles du front En mai 2020, le congrès mondial de cancérologie de l’Asco, à Chicago, a bien eu lieu malgré la crise, mais il était virtuel. Il s’agit de l’endroit où tous les spécialistes mondiaux se retrouvent et échan- gent sur les avancées ainsi que sur les résultats d’études. En bref, c’est “the place to be”, où se dessine l’avenir de la cancérologie. Et le cru 2020 a été bon. Le centre dijonnais Georges-François-Le- clerc (CGFL) a encore eu une belle visibilité, avec une étude interne partagée en communication ora- le – le top du top, pour les néophytes – et cinq posters. Au total, six présentations et une mine d’informations sur les techniques qui peuvent, dès demain, être appliquées et changer la prise en charge des patients. Tout cela vous semble loin- tain ? Pourtant, ça vous concerne directement. Le centre Georges-François-Leclerc a eu une belle visibilité lors du congrès mondial de cancérologie, Zoom sur ce qu’il fallait retenir. qui s’est tenu à distance cette année. Photo DR Medi-Treme : l’étude dijonnaise Cancérologie digestive : qui fait parler d’elle une petite révolution « Il y a eu de grosses annonces au congrès, qui changent, dès aujourd’hui, le protocole de soins », se réjouit le P r Ghiringhelli, oncologue médical. ■ Cancer du côlon métastatique de type MSI Une étude française s’est penchée sur les patients atteints de tumeurs rares du côlon, appelées MSI (4 % des cancers du côlon). Le résultat est spectacu- laire pour cette atteinte au très mauvais pronostic. « En comparant la prise en charge par immunothéra- pie face à la chimio classiquement utilisée, les chercheurs ont montré que 50 % des malades vi- Le Pr Ghiringhelli a présenté à l’oral l’étude qu’il a construite au CGFL avec le Dr Jean-David Fumet vaient sans récidive à deux ans. Certains même et la participation de plusieurs autres centres anti-cancer. Photos LBP/Amandine ROBERT et CGFL étaient guéris », annonce le P r Ghiringhelli. C’est donc un changement de standard de soins qui Medi-Treme a eu les honneurs ments qui se basent sur la courageantes : déjà, le traitement va s’opérer, dès aujourd’hui, au CGFL et partout d’une présentation orale au con- réactivation du système immuni- est plus tolérable et sur les seize dans le monde. « En France, le médicament sera grès – virtuel – de Chicago. Der- taire. Sauf que, parfois, il y a des premiers patients, cinq n’ont plus remboursé d’ici un an, avec les lenteurs administrati- rière ce projet de recherche inno- résistances. de maladie du tout, cinq autres ves… Toutefois, grâce au P r Coutant (directeur géné- vant, pensé et développé par le « Au centre dijonnais, grâce à sont en réponse partielle, quatre ral, ndlr), nos patients bénéficient déjà de cette CGFL, il y a deux hommes : le Pr nos outils en biologie, on peut en phase de stabilisation et pour nouvelle thérapie. » François Ghiringhelli (*) , onco- expliquer ce qu’il se passe quand deux d’entre eux, le traitement ne logue médical, responsable de un patient résiste à une thérapie. marche pas. ■ Cancer du rectum : l’unité de phase précoce, et le On peut alors réveiller le système « C ’e s t n e t t e m e n t m i e u x même traitement, mais dans l’autre sens Dr Jean-David Fumet, oncologue immunitaire chez ces malades, qu’avec le standard de traitement Deux études (une française et une hollandaise) médical. Le duo s’est attaqué au pour le rendre capable d’attaquer actuel. Et il y a une grande amé- bouleversent, là encore, la prise en charge de cette cancer du côlon dit MSS, qui les cellules cancéreuses. » Ce lioration du confort de vie. Les pathologie, qui n’a pas bougé depuis vingt-cinq ans. touche environ 96 % des mala- sont ces résistances que cible Me- résultats finaux de l’étude sont Classiquement, on traite par rayons (cinq semaines), des. di-Treme : « On se disait que attendus pour l’année prochaine. puis par comprimés de chimiothérapie (six semai- Pour lutter contre le deuxième combiner chimio et deux immu- S’il y a validation, cela ouvrira nes), on opère et on met en place une chimiothérapie cancer le plus meurtrier au mon- nothérapies permettrait d’abat- sur de plus grandes études. » (six mois). C’est long, pénible, avec une récidive dans de, les Dijonnais ont mis en place tre ces résistances aux traite- Ce que le binôme ne dit pas, 30 % des cas. un protocole mêlant la chimio- ments. On a fait une étude pour c’est que si le final est aussi pro- Avec les deux études, on place l’opération en thérapie standard et deux médi- laquelle sept ou huit centres ont metteur que les premières obser- dernier, après trois mois de chimio et cinq semaines caments d’immunothérapie. participé, avec 57 malades in- vations, cette combinaison inno- de rayons (rapport français) ou après cinq semaines clus. À l’Asco, seules les données vante pourrait, bientôt, changer de rayons et trois mois de chimio (rapport hollan- Un nouveau protocole des seize premiers patients ont les pratiques et devenir la norme dais). Dans les deux cas, qui inversent l’ordre des de soins à l’étude pu être communiquées, car il faut de soins internationale. Plutôt étapes classiques, les résultats ont été tellement L’immunothérapie, c’est cette un an de suivi pour tirer des con- chouette, non ? probants que le nouveau standard médical est doré- méthode dont tout le monde par- clusions », détaille le Pr François navant de placer la chimiothérapie avant la chirur- le en cancérologie depuis quel- Ghiringhelli. (*) Il est aussi directeur gie. ques années, avec des traite- Les prémisses sont plus qu’en- de l’unité Inserm-1231. W2102 - V0
Jeudi 7 janvier 2021 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE 3 centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (2/7) Repères Cancer du sein : trois études clés Poumon : l’espoir renaît Le cancer du poumon détient ■ Nouveau standard de l’immunothérapie si les le triste record de mortalité pour les métastases patients sont ciblés à en France. Alors, quand des cérébrales l’avance et avec une chi- avancées se font jour en la Une étude de phase 2, miothérapie adaptée en as- matière, les professionnels présentée lors du congrès sociation. ouvrent grand leurs oreilles… mondial de cancérologie de l’Asco, confirme l’effica- ■ Mieux cibler cité d’une molécule « qui pour mieux traiter fonctionne sur les métasta- Pourquoi certaines per- ses cérébrales. Pendant sonnes réagissent mieux longtemps, le seul traite- aux thérapies ciblées que ment efficace ét ait les d’autres ? Répondre à cette rayons. C’est une avancée question permettrait de extrêmement import an- contourner ensuite la résis- te », rapporte le Pr Sylvain tance aux traitements. Des Ladoire, oncologue médi- chercheurs français ont dé- cal, directeur de l’enseigne- veloppé des outils biologi- ment au centre Georges- ques innovants pour étu- François-Leclerc. dier le génome. Dr Laure Favier, oncologue Conclusion : certaines al- médicale. Photo LBP/A.R. ■ Nouvelle issue : térations génétiques expli- l’immunothérapie queraient la sensibilité ou ■ Des gènes défaillants Une autre étude porte sur la non-réactivité à la méde- à identifier l’immunothérapie. Jusque- cine personnalisée. Avec « Dorénavant, on peut détec- là, les résultats sur le sein ces données, il serait possi- ter une anomalie génétique et la prostate n’étaient pas ble de prédire (scientifi- de la tumeur, que l’on va ci- probants. Toutefois, cette quement) les réactions et bler avec des médicaments étude montre une efficaci- Pr Sylvain Ladoire, oncologue médical, directeur de l’enseignement de sélectionner la molécu- qui, jusqu’à présent, étaient té modeste, mais certaine au centre Georges-François-Leclerc. Photo LBP/A.R. le adéquate. prescrits pour un cancer de la prostate métastatique. Il y a 90 % de survie sans récidive à Du neuf en urologie Et concernant la peau deux ans. C’est extraordinai- re pour cette pathologie. Je et les os ? pense qu’on pourra prescrire la molécule bientôt. De plus, ■ Cancer de la prostate : une molécule à double effet le CGFL participe au méca- Lors du congrès, deux études ont été présentées et ont retenu ■ Les mélanomes nisme de recherche en s’im- l’attention des spécialistes concernant le cancer de la prostate, le C’est le Dr Alice Hervieu, pliquant dans une étude de plus fréquent chez l’homme. La première, Condor, porte sur les onco-dermatologue, qui phase 1 qui étudie les muta- cancers métastatiques et met en avant une molécule à l’effet fait le point sur ce qu’il tions rares », détaille Dr Lau- double. Elle est un “traceur”, qui se fixe sur les cellules cancéreu- s’est dit à propos des can- re Favier, oncologue médica- ses naturellement, ce qui permet de ne plus “tâtonner” pour cers de la peau. Le mélano- le. détecter la maladie et son emplacement exact. Autre usage : la me, « cancer le plus grave molécule, chargée en radioactivité, devient vecteur de la théra- de la peau, est celui [pour pie et soigne de manière ciblée. On est alors dans la théranosti- lequel] on a démontré pour que, discipline qui allie le soin à la détection. Quant à l’étude la première fois l’efficacité Hero, elle facilite la vie des patients en préconisant un traitement de l’immunothérapie. Au hormonal par voie orale plutôt que par injection. La qualité de centre Georges-François- vie est améliorée et la toxicité est moindre pour les hommes. Leclerc, nous la prati- quons depuis dix ans et c’est une maladie qui ré- pond très bien à ce traite- ment. On a même des pa- tients, qui avaient un mélanome métastasé, qui Dr Alice Hervieu, onco- Dr Cléa Fraisse, onco- ont été traités et chez qui dermatologue. Photo LBP/A.R. prenumologue. Photo CGFL on n’observe plus de traces de la maladie depuis cinq ■ Les sarcomes ■ Bientôt une étude ou six ans ». Le CGFL est l’un des cen- de phase 3 C’est aussi une pratique tres experts pour la prise en immunothérapie efficace en prévention des en charge des sarcomes. Il « Le pronostic du cancer du rechutes, alliée à une chi- fait partie du réseau Net- poumon était, jusque-là, très rurgie. Depuis un an, c’est Sarc avec le CHU de Be- sombre. Il a été démontré à Photo LBP/Stéphane RAK ce qui se pratique. « Avec sançon. l’Asco que l’association de cette édition de l’Asco, il a « Une fois par semaine, deux immunothérapies don- ■ Du côté de la vessie, des nouvelles pratiques été démontré l’intérêt de on discute des dossiers sar- ne de très bons résultats. Le Depuis trente ans, c’est une maladie qui se soigne de la même l’immunothérapie avant de comes de toute la région. CGFL participe à une étude à façon. Mais un nouveau protocole de soins s’impose dans les passer à l’opération. Nous Sur le sarcome d’Ewing, ce propos, avec des résultats formes avancées, avec une immunothérapie qui prend le relais avons plusieurs études en deuxième tumeur maligne très prometteurs. Cela con- immédiatement après la chimio. cours et les premiers résul- osseuse, il y avait une hési- duira à un protocole de phase « On entretiendra le bon résultat de la thérapie classique et on tats sont très prometteurs. tation entre deux protoco- 3 dès cet été » se réjouit le Dr améliorera ainsi la survie. C’est une avancée qui ne s’est pas vue Grâce à notre unité de pha- les et le congrès mondial a Cléa Fraisse, onco-pneumo- depuis quarante ou cinquante ans dans les cancers de la vessie », se précoce, on peut propo- permis de trancher pour logue. En résumé, c’est la der- s’enthousiasme le Pr Sylvain Ladoire, oncologue médical, direc- ser cette stratégie à nos pa- une plus grande efficacité nière marche avant la valida- teur de l’enseignement au CGFL. tients, à Dijon, depuis l’été de la méthode américaine tion d’un nouveau standard. dernier. » plutôt qu’européenne. » W2103 - V0
4 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE Jeudi 7 janvier 2021 centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (3/7) Une charte nationale en six axes et toujours plus d’engagement local « J’estime que les gens n’ont pas à débourser un euro pour se soigner », déclare le Pr Charles Coutant, directeur du centre Georges-François-Leclerc. Photo LBP/Philippe BRUCHOT À l’occasion de la Journée ■ Proposer le meilleur deuxième engagement. « L’une l’extérieur, comme avec le méde- ■ Favoriser les actions mondiale contre le cancer, traitement possible de mes premières décisions a été cin traitant. On tient d’ailleurs de prévention qui a lieu en février der- Le premier engagement consis- de nommer un directeur de la beaucoup à l’hospitalisation à et de dépistage nier, le centre Georges- te à proposer au patient le patientèle, le Dr Truc. On a réali- domicile et on déploie des outils Le but est de réduire les risques François-Leclerc, à Dijon, meilleur traitement possible, sé un projet des usagers et faisons connectés comme l’application de cancer ou de les diagnostiquer a signé une charte de six adapté à son cancer, à la pointe de la démocratie sanitaire une “CGFL et moi”. L’idée est que le au plus tôt. « C’est une priorité engagements. des connaissances médicales, vraie réalité. Le patient doit être patient se sente en lien, connecté dorénavant. J’ai créé la cellule pré- des progrès de la recherche et des au cœur de sa prise en charge. » avec nous. » vention et dépistage en ce sens. «O n donne tout, on se dit tout, on joue collectif, on vous chouchoute, on vous a à technologies. « Au centre CGFL, 23 % de nos malades ont un ac- cès direct à l’innovation en étant ■ Accompagner dans la coordination ■ Aider à maintenir la meilleure qualité Nous avons organisé des journées de sensibilisation au centre com- mercial de Quetigny, auxquelles l’œil, on ne fait pas de différen- inclus dans des essais thérapeuti- des soins de vie possible nous avons associé le CHU. » ce. » Voilà la phrase choc de la ques. On est le deuxième centre Troisième engagement : accom- Aider le patient, ainsi que son charte commune aux 18 centres en France sur ce sujet. 100 % pagner le malade dans la coordi- entourage, à maintenir la ■ Garantir un accès anticancer de France, dont le d’entre eux bénéficient d’une réu- nation des soins qui lui seront meilleure qualité de vie possible à l’ensemble des soins centre Georges-François-Leclerc nion de concertation pluridisci- prodigués au sein de l’hôpital pendant son hospitalisation à tous les patients (CGFL), situé à Dijon, est signa- plinaire. Sans oublier l’accès aux comme en dehors. « On a encore comme à son domicile, voici le Sixième engagement : garantir taire à l’occasion de la Journée traitements innovants, comme du travail pour rendre cet axe quatrième engagement. « Nous un accès à l’ensemble des soins mondiale contre le cancer, qui a l’IRM Linac. » efficient. On est en train de réor- avons créé le département trans- quelles que soient les ressources lieu en février 2020. Une charte ganiser le parcours patient au versal des soins de support en y financières du patient et sans dé- qui contient six engagements, dé- ■ Informer de façon claire sein du CGFL. Ce n’est pas [au mettant beaucoup de moyens. passement d’honoraires. « Nos taillés au niveau local par le Informer le patient de façon malade] de s’adapter à notre or- L’enjeu de base, ce sont les diètes. médecins sont tous salariés et ne Pr Charles Coutant, directeur de claire, l’écouter et l’associer aux ganisation, mais l’inverse. On Éviter la dénutrition est primor- pratiquent pas de consultations la structure dijonnaise. décisions le concernant, voici le fluidifie aussi les relations avec dial. Tous les malades hospitali- privées. Leur rémunération ne sés voient une diététicienne. Un dépend pas du nombre d’actes de malade dénutri va moins bien soins qu’ils réalisent. Ceux qui Pr Charles Coutant : « Réaffirmer notre ADN » guérir, mal supporter les traite- ments, faire des complica- restent dans ces conditions le font parce qu’ils partagent nos Le Pr Charles Coutant, directeur du centre Geor- tons en place des choses autour de lui, comme les tions, etc. Il y a aussi des psycho- valeurs. L’accès aux soins pour ges-François-Leclerc (CGFL), explique la philoso- soins de support, la prise en charge psychologique. logues, des assistantes sociales, tous est un peu mon cheval de phie de cette campagne nationale : « Elle est là Enfin, et j’y tiens particulièrement, on le fait pour permettant aux malades d’obte- bataille. J’estime que les gens pour réaffirmer notre ADN, nos valeurs et elle tous : absence de reste à charge, pas de dépasse- nir des aides, ainsi que des kinési- n’ont pas à débourser un euro s’adresse à nos patients, car notre engagement est ment d’honoraires, quel que soit son niveau de thérapeutes, des onco-gériatres pour se soigner. On va jusqu’à avant tout pour eux ». Rendre visibles les centres ressources, on a les mêmes chances face à la mala- et une équipe pour les adoles- payer certains matériels comme de lutte contre le cancer « est important, car nous die. Au CGFL, on a fait de la réduction des inégali- cents. Nous avons également un les orthèses, car le reste à charge avons un modèle unique de prise en charge. Nous tés sociales et territoriales une priorité absolue. On très beau service de prise en char- est de 1 000 €, ce qui entraîne un sommes exclusivement dédiés au cancer avec une va à la rencontre des patients à Sens, Nevers, ge de la douleur, etc. Nous avons renoncement aux soins. Ce n’est quête permanente de l’excellence. Cela passe par le Semur-en-Auxois, Chaumont, Beaune, Mâcon, recruté un oncologue, président pas acceptable. C’est aussi pour continuum soins-recherche. Nous faisons cela avec Langres. Nos médecins et chirurgiens, dont je fais national de l’Association franco- réduire les inégalités de territoire humanisme. Le patient est au centre. Nous met- partie, vont opérer ailleurs qu’au CGFL. » phone de soins oncologiques de que nous envoyons des médecins support. » en centres périphériques. » W2104 - V0
Jeudi 7 janvier 2021 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE 5 centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (4/7) Plongée au cœur de l’ADN... Il est grand comme une yaourtière mais peut lire votre ADN plus vite que son ombre. Le séquenceur 3e génération acquis par le CGFL est pour l’instant un outil de recherche mais pourra bientôt faire avancer la lutte contre le cancer. Romain Boidot, biologiste moléculaire adore son nouveau ''jouet''. Photo LBP/A.R. Un séquenceur capable de lire quis par le CGFL (centre Georges- ceur nouvelle génération, c’est sa l’ADN à une vitesse folle a pris ses quartiers au centre Georges- François-Leclerc). » Installé depuis janvier 2020 au CGFL, il porte Di- vitesse de lecture. Il déchiffre plu- sieurs milliers de lettres par secon- } Le séquenceur d’ADN peut François-Leclerc de Dijon. Troi- jon dans les hautes sphères de la de. Mais comme cela va trop vite, il tout changer car mieux cerner sième génération d’une techno- science, car il n’existe pour l’heure y a un ralentissement qui fait chuter la pathologie permet de mieux logie qui a déjà fait ses preuves, qu’une centaine de modèles dans le le ratio à une lecture de 400 lettres ce nouvel outil participe pour le monde. Pour l’anecdote, c’est cette par seconde. Sachant que, sur une la combattre. ~ moment à la recherche. technologie qui a séquencé pour la plaque, il y a 1 500 pores à analy- première fois le Covid-19. « Il a ser… Romain Boidot, biologiste moléculaire C ancer et ADN, quel rapport ? Eh bien, mieux cerner les “fau- tes d’orthographes” dans l’ADN des fallu débourser 120 000 €, grâce à l’aide du conseil régional, pour ob- tenir l’outil dédié à un usage de ■ À quoi ça sert ? Alors, pour augmenter le taux de au centre anti-cancer Georges-François- Leclerc cellules permettrait de rectifier ces recherche pour le moment. » décryptage, le séquenceur tout neuf bugs, sources de tumeurs ou de du CGFL possède cinq supports. résistance aux traitements. Les matheux auront fait le calcul, ce ■ Une centaine de modèles au monde, dont un à Dijon Le séquenceur d’ADN de 3e géné- 120 000 Comme le montant, en euros, sont près de trois millions de nuclé- otides (lettres) par seconde qui sont lues. En un clin d’œil, la machine peut donc déchiffrer l’équivalent de ration est une nouvelle révolution que le CGFL a déboursé, avec l’œuvre de Zola, Dostoïevski et Hu- et Romain Boidot, biologiste molé- l’aide du conseil régional, go… « Les séquenceurs lisent des culaire, pourrait parler des heures pour obtenir son séquenceur lettres, mais celui-ci lit de très lon- de ce petit bijou de technologie d’ADN. gues phrases et pas juste une partie acquis par le centre anti-cancer di- des mots comme lesdeuxièmes gé- jonnais. nérations qui décryptaient 300 let- « Comme les autres séquenceurs, ■ Comment ça marche ? tres. Là, on monte à 10 000 et mê- il déchiffre l’acide désoxyribonuclé- Gros comme une yaourtière, il est me 20 000 lettres. Cela permet ique ou ADN, mais à une vitesse équipé d’un système qui utilise des d’avoir une “phrase d’ADN” cohé- inégalée jusque-là. Nomade, il peut pores bactériens, du vivant donc. rente, dans le bon ordre et cela met avoir la taille d’un smartphone, « Les pores issus de bactéries sont en avant des nuances, dont on comme le modèle qui était utilisé encastrés entre deux lames. Un n’avait pas connaissance avant sé- par une collègue de Thomas Pes- champ électrique est généré et cela quençage, qui peuvent tout changer quet (spationaute français, modifie la forme du pore en fonc- car mieux cerner la pathologie per- N.D.L.R.), Kate Rubins, dans la sta- tion de la lettre de l’ADN qui le met de mieux la combattre », termi- Les micropipettes à piston permettent de prélever tion spatiale internationale. Ou être traverse. » ne le biologiste. et transférer des volumes très faibles de liquide, de un peu plus gros, comme celui ac- Mais la vraie magie de ce séquen- Amandine ROBERT l’ordre du microlitre, pour le séquençage. Photo LBP/A.R. W2105 - V0
6 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE Jeudi 7 janvier 2021 centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (5/7) Un outil de recherche en bonne voie pour une application clinique Pour le moment, ce sé- quenceur d’ADN de 3e géné- ration est utilisé en recher- } D’ici cinq à dix ans, che fondamentale, comme l’explique Romain Boidot, on imagine biologiste moléculaire : des applications « On documente et on es- saye de trouver des solu- cliniques qui tions pour analyser les ré- lèveront les doutes sultats, car il y a cinq à dix autour fois plus de données à gérer, de la thérapeutique décrypter et stocker… D’ici cinq à dix ans, on imagine à suivre des applications cliniques. pour le patient. ~ Elles ne seront pas différen- tes de ce qui se fait déjà Romain Boidot, biologiste moléculaire actuellement, mais elles per- au CGFL mettront une réponse bien plus rapide pour le traite- ment du patient et cela lève- te aussi avec le CHU, car ra les doutes et les hésita- une telle technologie aura tions autour de la théra- un impact dans le cadre de peutique à suivre ». la détection de maladies gé- nétiques rares. Le but étant Cancérologie que toute la communauté et maladies génétiques scientifique locale puisse rares profiter de cette technique de pointe ». Autre application envisa- Mais pour l’instant, le sys- gée à l’avenir : « Faire du tème a ses limites, car une génome complet. Jusque-là, fois les infos extraites à la les machines “grand public” vitesse de l’éclair, encore n’étaient pas assez puissan- faut-il les traiter, dénicher tes pour lire six milliards de l’information pertinente, et lettres pour un coût raison- aussi stocker cette masse de nable. Avec ce séquenceur données. nouvelle génération, c’est D’autre part, actuelle- techniquement possible », ment, le support de séquen- mais pour le moment ce çage coûte cher, 1 000 € la n’est pas fait. lamelle. Un chiffre à multi- Et il n’y a pas qu’en cancé- Le séquenceur 3e génération acquis par le CGFL est, pour l’instant, un outil de recherche, mais il plier par cinq puisque la ma- rologie que cela pourrait fai- pourra bientôt faire avancer la lutte contre le cancer. Avec ses cinq entrées, il lit jusqu’à trois chine du CGFL a cinq en- re des miracles : « On discu- millions de nucléolites. Photo LBP/A.R. trées. L’ADN : portrait d’une molécule remplie d’informations L’ADN (pour acide désoxyribonu- c’est cela la définition d’une cellule cléique), ce sont trois milliards de cancéreuse. Et tout cela est traduit paires de base, six milliards de let- par un signal, une sorte de code tres de quatre types différents et électrique, par le séquenceur. Avec c’est cet ensemble qui permet le le séquençage on peut décrypter fonctionnement d’une cellule. Pour tout cela et lire clairement les te- mieux comprendre ce qui pêche, en nants et aboutissants des tumeurs. cas de cancer, au sein de cet amas On peut même dénicher des bugs, vivant, on peut aller à la source, en des erreurs dans la matrice qui expli- lisant l’ADN, c’est le séquençage. queraient pourquoi tel ou tel traite- ment ne fonctionne pas chez un Pour une thérapeutique patient. » parfaitement adaptée à chacun Utilisé en amont, on peut imaginer « C’est comme dans un livre. S’il programmer la thérapeutique en n’y a pas de problème dans la cellu- fonction des spécificités de l’ADN le, les lettres sont à la bonne place de chacun… Magique ? Non scien- et on comprend toute l’histoire. tifique. Mais s’il y a une “faute d’orthogra- « Mais là, c’est encore un peu de la phe” quelque part dans l’ADN, la science-fiction, bien que ce ne soit cellule lit un message erroné qui lui pas délirant. Cinq ans en arrière, je fait avoir des réactions inappropri- n’aurais jamais imaginé qu’on en ées. Elle devient alors immortelle, L’ADN, un mystère qui peut être percé avec les bons outils. Photo DR serait là aujourd’hui. » W2106 - V0
Jeudi 7 janvier 2021 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE 7 centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (6/7) L’intelligence artificielle au service de la lutte contre le cancer Un ordinateur peut-il faire mieux qu’un humain et antici- Diffuser per sur les patients ayant le gratuitement plus de chance de guérir d’un cette intelligence cancer et ceux risquant une récidive ? Si oui, peut-on adapter les prises en charge ? C’est ce qu’est en train de faire, à Dijon, le CGFL en déve- loppant deux systèmes d’in- telligence artificielle simple. V alentin Derangère* est maî- tre de conférences en histo- logie. Matière qui cherche à éta- blir comment les cellules s’organisent dans un même en- droit. Membre de l’équipe In- serm du Pr Ghiringhelli, dont une partie des recherches se dé- roulent au centre de lutte contre François Ghiringhelli, le cancer Georges-François Le- professeur, oncologue clerc, CGFL à Dijon, il nous médical, neuro-oncologie, plonge dans un projet de recher- chef d’équipe de recherche che ambitieux, qui mêle oncolo- Inserm au CGFL. Photo LBP/A.R. gie et intelligence artificielle, avec une bonne dose, pour pi- « Au CGFL, on a investi menter le tout, de mathémati- dans la bio-informatique. ques et de codes informatiques. Sur une petite lame, brandie par Valentin Derangère de l’équipe de recherche du CGFL, des milliers Nous sommes médecins, d’informations sont contenues et lisibles, grâce à l’intelligence artificielle. Photo LBP/A.R. pas mathématiciens ou co- ■ Petacc8 : quand l’humain deurs. Nous avons pour- apprend à la machine des, atteints d’un cancer du cô- noté ce qui était sain et ce qui ner une dizaine, les plus tant la chance d’avoir une à réfléchir lon. Sur une lame, l’ordinateur était cancéreux. Le tout est re- pertinentes sur la probabilité de équipe dédiée à l’informa- L’équipe Inserm du Pr Fran- identifie ce qui appartient à la groupé dans un méta fichier. On rechute. Aujourd’hui, on peut tique. Cette coopération çois Ghiringhelli a utilisé un tumeur et ce qui est sain. » en fait une bibliothèque tissulai- voir, grâce à un algorithme, qui entre médecine, biologie, programme existant pour l’ap- Petacc8 permettrait donc de re pour qu’ensuite l’ordinateur a une chance sur dix de récidive maths, c’est l’avenir. » pliquer à leur projet et le déve- lire ce que l’œil humain ne peut soit à même de lire seul des et donc ne nécessite pas forcé- « Les systèmes ainsi déve- lopper. « Grâce à un partenariat pas voir. Si la machine est capa- lames qui ne sont pas annotées. ment une chimiothérapie pou- loppés nous aident à trou- avec la Fédération francophone ble de ce petit miracle, c’est par- Non seulement ça a marché, vant altérer sa qualité de vie. À ver l’aiguille dans la botte de cancérologie digestive ce que les équipes de scientifi- mais nous sommes en train l’inverse, on peut distinguer de foin en cancérologie. Le (FFCD) et le CHU, nous avons ques du CGFL lui ont appris. d’élargir les tests sur d’autres ceux ayant une chance sur deux but de ce projet, c’est de pu étudier les cas de 1 200 mala- « Tuile par tuile, nous avons an- malades que les 80 premiers de rechuter. Pour eux, on adap- développer des outils d’in- étudiés. » tera la prise en charge, par plus telligence artificielle qui zoom de scanners, une chimiothéra- nous permettent de mieux ■ Un code couleur pie, etc. » pronostiquer, mieux antici- ■ La croisée des chemins pour mieux lire et anticiper per les risques de rechutes Le projet de recherche est à la croisée de plusieurs disciplines « Sur une petite lame, on indi- ■ Prévoir la survie à 5 ans d’un patient atteint d’un et de plusieurs talents. Il y a les mathématiques gérées par que en rouge la tumeur, en jau- Le troisième effet papillon de cancer du côlon. » Caroline Truntzer, responsable de l’unité de Biomathémati- ne les tissus sains et en bleu le ce programme de recherche, « Classiquement, on enlè- ques de la plateforme de transfert en biologie du cancer du stroma (tissu qui constitue la c’est la possibilité d’établir des ve la partie malade par chi- CGFL. Il y a évidemment l’oncologie - avec l’équipe du substance de base, la charpente catégories avec les divers pro- rurgie, on regarde les gan- professeur Ghiringhelli et Cynthia Reichling, interne en d‘un organe, ndlr). Cela nous nostics des patients, en pré- glions autour et on estime gastroentérologie. permet de compter le nombre voyant la rechute jusqu’à 5 ans. alors l’intérêt et la force de Enfin, il a fallu modéliser tout cela, avec l’aide de Quentin de cellules immunitaires qui « Car, en plus de notre “score la chimiothérapie. Grâce à Klopfenstein, un étudiant qui a mis au point les modèles persistent dans la zone de la digital’’, s’ajoutent les variables ce projet d’IA, on peut anti- d’IA. Cela a même créé une vocation, puisqu’il est à présent tumeur. » Chaque pixel renfer- cliniques et biomoléculaires. ciper les potentielles réci- en thèse de mathématiques à l’institut Carnot de Dijon. me des informations précieuses Cette technologie pourra être dives et aller vers une mé- « C’est un véritable travail d’équipe. Seules, ces disciplines sur la maladie, son emplace- très utile dans le cas des très decine de plus en plus ne seraient jamais allées aussi loin, mais ensemble, le résultat ment, son évolution. « L’ordina- petites tumeurs pour lesquelles, personnalisée. À terme, est là », s’enthousiasme Valentin Derangère, maître de confé- teur lit et interprète ce que nous actuellement, on hésite tou- l’idée c’est d’arriver à opti- rences en histologie. ne voyons pas. » jours sur la prise en charge. » miser l’outil afin de pou- Amandine ROBERT voir le diffuser gratuite- ■ Une publication prestigieuse ■ Intelligence artificielle, ment, en open source. C’est dans Gut, la plus importante revue britannique en acte II : la personnalisation *Maître de conférences en histo- Mais, pour cela, il faut ac- gastro-entérologie que, fin 2019, les premiers résultats du du traitement logie, plateforme de transfert en cumuler plus de données projet du CGFL ont été publiés en ligne. En mars 2020, Un deuxième outil a été déve- biologie cancérologique, dépar- et fabriquer une interface l’article rédigé par le Pr Ghiringhelli, Valentin Derangère et loppé dans la continuité de tement de biologie et de patholo- qui soit facile à utiliser et les membres de l’équipe a eu les honneurs de la version l’étude. « Sur les centaines d’in- gie des tumeurs au CGFL. Mem- qui soit faisable technique- imprimée de Gut (Intestin en traduction française, ndlr). formation détectées, l’ordina- bre de l’équipe Inserm du ment. » teur est capable d’en sélection- Pr Ghiringhelli. W2107 - V0
8 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE Jeudi 7 janvier 2021 centre Georges-François-Leclerc Santé et recherche (7/7) Un nouvel équipement de pointe au centre anti-cancer de Dijon Fin 2019, au centre régional de lutte contre le cancer (CGFL de Dijon), un premier groupe de patients a été intégré dans un nouveau protocole de soins, qui s’appuie sur la radiothérapie guidée par IRM. A près Marseille, Dijon est la deuxiè- me ville de France à proposer cette modalité de radiothérapie « révolution- naire », grâce à l’acquisition d’un tout nouvel équipement : l’IRM-Linac MRI- dian. Parmi ses avantages : le rendu visuel, incomparablement plus précis que celui fourni par les scanners stan- dards, permet de réaliser des images de la tumeur en continu pendant le traite- ment, d’en contrôler la position en temps réel et ainsi d’activer ou d’inter- rompre le faisceau selon le positionne- ment de la tumeur, pour cibler encore plus précisément la zone à irradier (mê- me si le patient bouge pour respirer par exemple). « Une radiothérapie adaptative personnalisée » « L’imagerie par résonance magnéti- que embarquée sur l’accélérateur linéai- re permet la prise en compte, à chaque séance, des modifications anatomiques de la tumeur ou des organes de proximi- té, ajoute Karine Peignaux, radiothéra- Huit professionnels sont mobilisés, chaque jour, pour faire fonctionner l’IRM-Linac MRIdian. Photo LBP/Philippe BRUCHOT peute, responsable du département de radiothérapie du CGFL. Il est ainsi pos- sible de proposer au patient une radio- thérapie adaptative personnalisée. » Plus de dix millions d’euros d’investis- sements (cofinancés par le Conseil ré- gional, le Feder et des donateurs) au- ront en tout cas été nécessaires au CGFL pour acquérir cette machine – dont Bernard Tapie, qui fait partie en France des premiers patients bénéficiai- res (à l’Institut Paoli-Calmettes de Mar- seille), a été l’un des ambassadeurs les plus actifs. Des séances de 45 minutes à 2 heures Huit professionnels sont mobilisés, chaque jour, pour faire fonctionner l’IRM-Linac MRIdian. En moyenne, ils reçoivent quotidiennement entre 5 et 10 patients pour des séances qui durent entre 45 minutes et 2 heures. Ils traitent essentiellement des cancers localisés au foie, au pancréas, au poumon et à la prostate. L’utilisation de l’IRM-Linac MRIdian a cependant été étendue, sous condi- tions, à certaines autres indications complexes : localisations osseuses se- condaires, lésions rénales, lésions très mobiles… Alexandra CACCIVIO Parmi les avantages de l’IRM-Linac MRIdian, un rendu visuel extrêmement précis. Photo LBP/Stéphane RAK W2108 - V0
Jeudi 7 janvier 2021 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE 9 centre Georges-François-Leclerc Le cancer au féminin (1/4) « Je réalise que j’ai eu un cancer et que ça a changé ma vie » Karine Genton avait 43 ans lorsque son cancer du sein a été diagnosti- } C’est après qué : « C’est un peu grâce les traitements à ma gynécologue, qui que ça se complique fait passer des mammo- émotionnellement. ~ graphies bien avant l’âge conseillé (50 ans, NDLR). C’était par prévention et Karine Genton ça m’a probablement sau- vé la vie… » n’est pas un petit rhume L e 22 décembre 2016, le diagnostic tombe. La Dijonnaise est immédiate- (rires). Il y a les effets se- condaires, l’image de soi qui change. Je vois un psy- ment prise en charge au chologue de la Ligue con- centre de lutte contre le tre le cancer, car il y a tout cancer Georges-François- un travail d’acceptation à Leclerc (centre CGF L). effectuer, mais qui ne peut « Dès le 3 janvier, j’avais pas se faire pendant les trai- rendez-vous avec le chirur- tements. C’est alors un peu gien » et la machine s’est un marathon. Il n’y a pas de mise en marche. place pour le questionne- « On m’a enlevé la tu- ment ou le doute. » meur sur le sein droit, puis « C’est après que ça vient j’ai débuté une chimiothé- et que ça se complique rapie ainsi qu’un traite- émotionnellement. Il y a le ment ciblé pour mon can- “moi” à la maison, avec ses cer hormonodépendant peurs, ses pleurs, tout ce d’un type particulier, Her2 que je veux camoufler. Et il positif. Il s’agissait d’une y a le “moi” en société, po- injection toutes les trois se- sitif, battant, qui veut mon- maines. Ensuite, il y a eu les trer que la maladie ne chan- rayons et l’hormonothéra- ge rien. » pie. » « Il ne faut pas « L’écoute trop exiger de soi » et la bienveillance qui m’ont Cette salariée de la fonc- accompagnée tion publique a d’abord re- durant ma prise pris le travail à mi-temps en charge au CGFL après une année d’arrêt ma- m’ont ladie, puis, six mois plus beaucoup aidée. » tard, à temps plein. « Cette transition en douceur était Et, là, c’est le grain de nécessaire, car je me suis sable. Karine Genton déve- vite rendu compte que je loppe une embolie pulmo- n’arriverais pas à faire les naire, conséquence classi- choses comme avant. que et redoutable des J’étais très, trop, active. Je thérapies hormonales. courais partout. Là, j’ai été « Mon oncologue l’a arrê- obligée de ralentir. Mais la tée. En “remplacement”, je reprise du boulot m’a re- vais me faire opérer en fé- plongée dans une vie plus vrier. Il s’agira d’une abla- classique, où la maladie tion des ovaires et des n’était plus au centre et ça trompes, pour stopper la m’a fait du bien. C’est ras- production d’hormones et surant de retrouver ses au- limiter les risques de récidi- tomatismes profession- ve. Cela ne m’a pas été im- nels. » posé, c’est mon choix. » Et si la pétillante quadra- Cette maman solo de deux Karine Genton revient sur son parcours de soin et l’acceptation de cette maladie qui "a tout changé". génaire avait un conseil à adolescentes l’assure : Photo LBP/A.R. donner ? « C’est délicat et « L’écoute et la bienveillan- tellement personnel, mais ce qui m’ont accompagnée avec tous mes rendez-vous d’avoir été prise en compte C’est maintenant que Ka- je dirais qu’il faut se mon- durant ma prise en charge et je ne devais penser qu’à comme une personne et rine Genton a un contre- trer bienveillant envers soi- au CGFL m’ont beaucoup deux choses : me soigner et pas seulement comme une coup : « J’ai plus de recul et même, ne pas trop exiger aidée. Je me suis laissée faire en sorte de vivre le patiente. Sans eux, je n’au- c’est aujourd’hui que je réa- de soi et s’entourer de per- porter. Très vite, on m’a mieux possible mes traite- rais pas vécu les choses de lise que j’ai eu un cancer et sonnes attentionnées. » établi un carnet de bord ments. J’ai l’impression la même manière… » que ça a changé ma vie. Ce Amandine ROBERT W2109 - V0
10 SUPPLÉMENT NUMÉRIQUE Jeudi 7 janvier 2021 Centre Georges-François Leclerc Le cancer au féminin (2/4) « Mon corps est toujours celui d’une femme » Marlène Leclerc a eu un suivi gynéco depuis ! Je pense cancer du sein à 38 ans. avoir converti certaines de mes C’est grâce à l’autopalpation amies et collègues. » qu’elle a pu agir vite. La Le plus dur pour Marlène a été Tournusienne et le Centre la mise en place de la chimiothé- Georges-François Leclerc de rapie, avec l’incontournable énu- Dijon insistent sur l’impor- mération des effets secondaires. tance du dépistage et de la « J’ai éclaté en sanglots à l’idée prévention pour lutter con- que seul du poison pouvait m’ai- der à guérir. En même temps que tre les cancers féminins. M arlène Leclerc a 41 ans et le début des chimios, mi-février, on a lancé une étude génétique, } Dès le début vit près de Tournus. Elle est car un cancer du sein si jeune… de la prise en suivie au Centre Leclerc de Di- Le résultat est tombé en avril et jon depuis le diagnostic de son là, tout bascule à nouveau. On charge, on parle cancer du sein. Porteuse d’une m’apprend que je suis porteuse aux patientes de mutation génétique, elle a subi du BRCA1, le même gène qu’An- l’après cancer et de une double mastectomie, ainsi gelina Jolie. » qu’une ablation des ovaires, des la reconstruction. trompes et de l’utérus. Le terrible choix : C’est primordial Puis, ce fut le temps de la re- l’ablation totale qu’elles sachent construction. De sa poitrine et surtout de sa vie. Elle nous ra- Cette mutation génétique rend qu’il peut y avoir conte la chronologie d’une prise Marlène vulnérable. Son risque un après. ~ en charge lourde, les choix durs à de récidive est très élevé : « En faire et l’espoir. L’élément clé a gros, j’avais une chance sur deux Dr Clémentine Jankowski, été un diagnostic rapide, hors de refaire un cancer du sein ou chirurgien gynécologue, des campagnes de prévention de développer un autre cancer spécialiste classiques, puisque Marlène féminin. Cela a bousculé toutes de la reconstruction n’avait que 38 ans à l’époque. mes perspectives. Avant cette mammaire Décembre 2017, la trentenaire, nouvelle, le plan, c’était qu’à l’été qui pratique régulièrement l’au- 2018, j’avais terminé mon par- topalpation, sent « un petit no- cours. Là, on partait sur quelque dule au niveau de son sein droit. chose de bien plus lourd. » J’ai appelé la gynéco qui me suit ainsi que ma maman. Elle avait « Ces trois heures en tête nos antécédents fami- d’opération liaux, avec ma grand-mère ma- ont changé ma vie ternelle qui avait développé un et l’ont probablement cancer du sein jeune. Elle m’a sauvée aussi » immédiatement faxé une ordon- nance d’échographie et de mam- Marlène avoue avoir eu beau- mographie ». coup de questions, de peurs, de réflexions avant de se décider « Je fais « pour une double mastectomie, de la propagande une ovariectomie et hystérecto- pour l’autopalpation et mie. La totale. Ça a été très dur le suivi gynéco depuis » de m’en remettre, malgré mes trois filles. On touchait à ma part Marlène, qui est laborantine à féminine, maternelle… Ces trois l’hôpital de Chalon, se rend alors heures d’opération ont changé immédiatement au service voisin ma vie et l’ont probablement sau- de radiologie, où on lui explique que la liste d’attente portera son rendez-vous à février… « Je sen- vée aussi. » « Aujourd’hui, je vais de mieux en mieux. J’ai un mari fantasti- } Je suis une des tais au fond de moi qu’il fallait que qui, même lorsque j’étais preuves vivantes aller vite, peut-être une intui- chauve, me voyait de l’intérieur. – et heureusement tion. » Elle se rend donc à Mâ- Certes, les cicatrices et, parfois, nous sommes con le 12 décembre. Immédiate- quelques douleurs me rappellent ment après l’imagerie, le cet épisode, mais je commence à nombreuses – radiologue complète le panel me sentir bien, je revis et je ra- qu’on peut s’en d’examens par une biopsie en Marlène Leclerc a repris le sport et le goût à la vie après une très chète même des vêtements. Je sortir et reprendre urgence. En une semaine, le diag- lourde épreuve. Pour elle qui a eu un cancer à 38 ans, la prévention fais du sport, de la kiné… Avec la nostic tombe : “Carcinome cana- doit débuter plus jeune que les 50 ans prévus par les campagnes reconstruction mammaire dont une vie normale, laire de grade 3 infiltrant”. En de dépistage. Rien ne vaut un suivi gynéco annuel… Photo LBP/A.R. j’ai pu bénéficier, par double sans séquelles. ~ bref, cancer du sein agressif au Diep, mon corps est toujours ce- stade 3. C’est la douche froide. bienveillant, et ce, tout au long fiance. » Marlène est opérée en lui d’une femme. Quand je me Sabine Clain, 49 ans, Le 8 janvier 2018, après des de ma prise en charge, et croyez- ambulatoire le 27 janvier car sa regarde dans une glace, c’est ce diagnostiquée fêtes tourmentées, Marlène a moi, ce n’est pas rien quand vo- tumeur, détectée très tôt grâce à que je vois. Je me trouve même d’un cancer des ovaires rendez-vous au Centre Georges- tre vie bascule. Je ne dirais pas sa vigilance, ne mesure que 14 belle certains jours (rires). Je ne en 2019, François Leclerc de Dijon. que j’y vais avec le sourire mais, millimètres. « Je fais de la propa- regrette rien. » en rémission depuis « Tout le monde a été charmant, en tout cas, j’y vais en toute con- gande pour l’autopalpation et le Amandine ROBERT W2110 - V0
Vous pouvez aussi lire