Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l'Ontario Social Class and Voting in Ontario - Érudit
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Document generated on 09/30/2022 4:24 p.m. Lien social et Politiques Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l’Ontario Social Class and Voting in Ontario Michael Ornstein Number 49, Spring 2003 Article abstract Des sociétés sans classes ? From nine surveys conducted between 1977 and 1999, this paper provides measures of the relationship between social class and voting in the province of URI: https://id.erudit.org/iderudit/007907ar Ontario, Canada. Class differences are likely to be stronger in Canadian DOI: https://doi.org/10.7202/007907ar provincial than federal elections because they are not subject to the strong regional differences that complicate national politics. Whether voting patterns reflect class, however, must also depend on whether the competing parties, See table of contents dominated by small elites, appeal to class in elections. The analysis reveals a striking contrast between two provincial elections. In 1977, after an election campaign in which class issues were absent, class voting was very weak; in Publisher(s) 1999, there was sharp class polarization over issues raised in the previous term of a neo-conservative government. Fluctuations in class voting between 1977 Lien social et Politiques and 1999 generally reflect the extent of political parties’ appeals to class. ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Ornstein, M. (2003). Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l’Ontario. Lien social et Politiques, (49), 83–100. https://doi.org/10.7202/007907ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2003 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/en/
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 83 Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l’Ontario Michael Ornstein On a beaucoup peiné, sans grand tendu à délaisser l’étude du vote en la province eu égard aux classes résultat, pour montrer que Robert tant que miroir de structures sociales entre 1977 et 1999, spécia- Alford avait eu tort d’interpréter la sociales inégalitaires, pour se tour- lement lors des élections onta- corrélation entre emploi manuel et ner vers l’observation des luttes riennes de ces deux années, mettra choix électoraux dans le sens de la électorales 2. en contexte l’analyse des données quasi-inexistence du vote de classe d’enquête. Les sondages électo- au Canada, en termes absolus et en Il ne s’agit pas, dans cet article, raux menés en Ontario entre 1977 termes comparatifs (Alford, 1963 : de contester les opinions courantes † et 1999 et les informations fournies chapitre 9). Elizabeth Gidengil sur les liens entre classes sociales par les répondants ontariens à l’oc- (2002) fait écho à ce débat sur la et scrutin fédéral au Canada, mais casion de sept sondages nationaux mesure de l’appartenance de classe, plutôt de réfléchir sur deux idées menés durant la même période per- des positions de classe des partis connexes, à savoir que les élections mettront ensuite d’analyser l’évo- politiques et des relations plus ou provinciales seraient plus propices lution de la relation entre classes moins étroites entre les deux, dans à l’expression du vote de classe que sociales et appui aux partis. un survol de la littérature entrepris les élections fédérales, et que le pour détecter les erreurs théoriques vote de classe ne peut s’exprimer Le terme « vote de classe » ren- † † et statistiques ayant pu induire cette que si les partis politiques répon- voie ici à la relation entre certains conclusion. Or, s’il est admis dent à une « demande » des † † aspects de la vie matérielle et le qu’Alford a sous-estimé le vote de citoyens en « offrant » des choix qui † † vote : nous nous demandons si la † classe, la résolution des problèmes font écho à des attentes de classe. distribution des appuis aux partis méthodologiques n’a guère rendu À cette fin, nous allons étudier politiques reproduit les contours celui-ci plus saisissable 1. C’est un l’impact du facteur de classe sur la des inégalités sociales (cela n’ex- peu pour cela, sans doute, que l’ana- politique et les partis en Ontario cluant pas que des citoyens dému- lyse électorale canadienne, au lieu depuis 1977. Un examen de la poli- nis appuient un parti dont les d’avancer dans un cul-de-sac, a tique des trois principaux partis de politiques sont contraires à leurs Lien social et Politiques – RIAC, 49, Des sociétés sans classes? Printemps 2003, pages 83-100.
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 84 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 49 politique provinciale un rôle simi- de partis est tributaire des contin- laire, mais à une échelle moindre. gences historiques qui ont accompa- Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l’Ontario gné la formation de chaque État On ajoute que les provinces ont provincial et les partis, une fois leurs cultures politiques propres, créés, agissent à la manière d’un oli- qui influencent la relation entre gopole : ils intègrent les forces † vote et classes sociales. En réfé- sociales montantes par cooptation, rence aux théories classiques de répugnent aux rajustements et résis- Lipset et Rokkan (1967) et aux tent à l’arrivée de nouveaux joueurs lectures qui en ont été faites pour (Shiry, 1976; Brodie et Jenson, le Canada (Blake, 1972; Wilson, 1996; Ornstein et Stevenson, 1999 : † 1974; Jenson, 1976), selon les- 84 185 et suiv.). quelles la modernisation et l’in- dustrialisation font évoluer les Il importe surtout de retenir que intérêts). Il va de soi — mais cette systèmes politiques et croître le les partis sont des acteurs poli- importante question ne sera pas rôle qu’y jouent les classes tiques agissants, dotés de leur his- débattue ici — que le choix d’un sociales, on soutient que l’absence toire institutionnelle et de leur parti politique par l’électeur est de partis politiques alignés sur des projet propres, et qu’ils peuvent, ou rarement la conclusion d’un syllo- intérêts de classe dans les pro- non, choisir de se transformer pour gisme concernant sa situation vinces de l’Atlantique résulte de la répondre à la demande d’une popu- matérielle : il découle plutôt de † persistance de vieux clivages eth- lation réclamant tel ou tel éventail besoins et de façons de voir engen- niques et linguistiques. L’existence de choix politiques. drés par l’expérience de classe 3. en Colombie-Britannique et en Si on ne se trompe pas en met- Saskatchewan d’un vote de classe Régions, classes sociales et vote tant la négociation du consensus au plus fort que dans le cœur industriel au Canada cœur de la dynamique politique de l’Ontario s’explique plus diffici- fédérale, l’une des raisons pour les- lement… Dans les régions moins Deux types d’explication ser- quelles nos études empiriques ne industrialisées de l’ouest du pays, le vent à rendre compte des varia- captent qu’une différenciation vote de classe est censé refléter les tions de la relation entre vote et limitée du vote en fonction de l’ap- intérêts de marché des producteurs classes sociales au sein de l’es- partenance sociale serait qu’elles de blé (mais non de bétail) de la pace canadien 4. On fait souvent reposent presque entièrement sur grande Prairie et ceux des tra- valoir, en premier lieu, que les des sondages nationaux relatifs aux vailleurs des industries minières et grands partis nationaux, préoccu- élections fédérales. Bon nombre de forestières. pés de majorité parlementaire, ces études ont été entreprises parce s’efforcent d’attirer des électeurs À vrai dire, les provinces étant que leurs auteurs avaient sous la de toutes les classes, régions, peu nombreuses et leurs différences main — c’est le cas depuis 1965 — langues et origines ethniques. multiples, il est malaisé de choisir des enquêtes universitaires sur les Partis de consensus négociés, par- entre les explications possibles. En élections nationales. Malheureu- fois taxés de « marchandage », ils † † outre, le fait que l’importance du sement, les observations des évitent de s’adresser à une classe facteur de classe dans la dynamique enquêtes nationales sont trop peu sociale en particulier, préférant user politique des provinces marque une nombreuses pour que, dans le cas de messages assez vagues pour faire courbe globalement ascendante de la plupart des provinces, on mouche dans le plus grand nombre d’est en ouest peut s’expliquer en puisse en tirer des analyses dis- de circonscriptions (Tanguay, 1999 : † termes de subordination au parcours tinctes, et les sondages électoraux 332 et suiv.; Brodie et Jenson, antérieur (path dependency) et en provinciaux sont rares (voir cepen- 1996). Les clivages régionaux, lin- termes institutionnels : le dé- † dant, entre autres travaux, l’intéres- guistiques et ethniques joueraient en veloppement originel des systèmes sant ouvrage de Blake, 1985, sur
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 85 une enquête britanno-colom- sur la politique fédérale, priorité qu’entre les provinces cana- bienne). Mais le problème n’est doit être accordée à l’analyse diennes-anglaises, ne laissent pas lié seulement aux données détaillée du vote de classe à guère de place à ce type de débat. d’enquête ou aux champs d’intérêt l’échelle des provinces. Alliées à certaines observations des chercheurs. Si l’on se fie à Une autre raison incite à s’intéres- plus anciennes (Lambert et al., deux publications récentes (Dunn, ser aux provinces : ces dernières † 1987), ces remarques donnent à 1996; Brownsey et Howlett, 2001), années, les conflits engendrés par penser que le vote de classe est plus la recherche comparative sur la des enjeux de classe ont été beau- susceptible d’apparaître lors des politique provinciale au Canada coup plus perceptibles lors des élec- élections provinciales que des élec- porte l’empreinte du puissant parti tions provinciales que des élections tions fédérales. À l’aide d’enquêtes pris institutionnaliste et idéaliste fédérales, sauf peut-être au cours de menées en Ontario, j’entends mon- des sciences politiques tradition- 85 la campagne de 1988, durant trer qu’une expérience assez nelles : elle s’intéresse avant tout laquelle le Parti libéral du Canada a † longue atteste la pertinence d’ana- aux systèmes de partis et aux cul- pris la tête du combat « de gauche » † † lyser le vote en fonction de l’appar- tures politiques particulières des contre le traité de libre-échange tenance de classe, autrement dit provinces, mais le plus souvent en défendu par les Progressistes- que, dans certaines circonstances, abordant chaque province comme Conservateurs (Bickerton, Gagnon celle-ci est révélatrice des choix un tout à l’intérieur duquel il et Smith, 1999 : 109). La visibilité † électoraux. Je présenterai une com- n’existe pas de conflits idéolo- plus grande des enjeux sociaux au paraison détaillée des élections de giques engendrés par les clivages palier provincial tient en partie au 1977 et de 1999 en Ontario, basée sociaux. Dans l’ouvrage publié fait que ce sont d’abord les pro- sur des enquêtes rétroactives. En sous la direction de Young et vinces qui gèrent l’État providence, complément, j’analyserai les infor- Archer (2002), où les enquêtes étant donné leurs champs de juri- mations apportées par les répon- occupent plus de place, on ne diction : santé, éducation, munici- † dants ontariens de sept sondages trouve qu’une analyse empirique palités, transports provinciaux et nationaux, concernant le parti pour comparative, visant à différencier municipaux, assistance sociale, lequel ils ou elles auraient voté les régions au point de vue de leur entre autres. C’est pourquoi le gou- advenant une élection provinciale 7 « culture politique », représentée † † vernement fédéral a pu, de manière au moment de l’enquête. Les don- par les habituelles variables d’effi- plus efficace et sans susciter autant nées proviennent, plus précisé- cacité et de confiance; les clivages de réactions, se retrancher derrière ment, de trois enquêtes sur la intraprovinciaux et leurs manifes- la « nécessité » d’atteindre l’équi- † † qualité de vie menées en 1977, tations n’y sont pas abordés libre budgétaire pour réduire ses 1979 et 1981 ainsi que des Études (Clarke, Pammett et Stewart, dépenses, c’est-à-dire essentielle- électorales (Canadian National 2002) 5. Le livre de White (1997) ment ses transferts aux provinces : † Election Studies) de 1984, 1988, sur le gouvernement et la politique les citoyens n’ont pas été touchés 1993 et 1997 8. Leur valeur est mal- en Ontario se situe aussi dans la directement par ses mesures d’aus- heureusement limitée par la faible bonne tradition : aucun de ses 17 térité. Par ailleurs, la dynamique taille des échantillons (entre 951 et † chapitres ne traite des assises politique fédérale se prête mal aux 1197 répondants au départ; entre sociales des partis. Dans un monde controverses soulevées dans cer- 600 et 876 après élimination des idéal, de vastes enquêtes permet- taines provinces par la mouvance personnes n’ayant pas voté ou traient aux chercheurs de comparer néo-conservatrice. Seule l’Alliance ayant refusé de répondre) 9. les provinces au point de vue de la canadienne a une plate-forme sus- distribution des appuis aux partis ceptible d’alimenter de telles Le fait d’avoir en main des politiques fédéraux et provinciaux « luttes de classes », mais ce parti † † enquêtes qui jalonnent une période à l’aide de sous-échantillons appro- fédéral n’a toujours d’assises que relativement longue permet d’abor- priés 6. Mais comme il existe déjà régionales, et les divisions entre le der un aspect important du vote de un imposant corpus de recherches Québec et le Canada anglais, ainsi classe. Réfléchissant sur la forma-
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 86 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 49 de la province ont redéfini leur plate- parativement à 25 pour cent pour les forme et remporté leurs victoires de Conservateurs et à 21 pour cent pour le Classes sociales et scrutins provinciaux au Nouveau Parti démocratique. À peine Canada : le cas de l’Ontario 1995 et 1999. un mois plus tard, ils étaient devancés Par ailleurs, on a constaté de quatre points par les Conservateurs, qui les ont finalement écrasés. (Ornstein, Stevenson et Williams, 1980; Ornstein et Stevenson, 1999) Les élections ontariennes de que les différences de classe sont 1985 et de 1990 ont également été beaucoup plus manifestes dans les marquées par de brusques dé- opinions politiques exprimées que placements de grandes parties de dans l’appui aux partis : est-ce à dire † l’électorat (Wilson, 1997 : 66-67). † que la lutte électorale fait taire les Ces variations de l’opinion 86 intérêts de classe ? Idéalement, pour † publique ne peuvent raisonnable- que nos vérifications soient pro- ment être imputées à une évolution tion des partis et des idées poli- bantes, il faudrait mesurer le vote de des structures sociales ou de l’idéo- tiques, Ogmundson (1975) a mis en classe à l’aide d’informations sur les logie politique des électeurs, si l’on doute l’argument que l’on répète positions des partis tirées, non pas présume que cette dernière découle comme allant de soi pour expliquer d’enquêtes auprès des électeurs, d’une lecture de la réalité politique la faiblesse observée du vote de mais de l’étude de la plate-forme qui ne change pas sensiblement en classe au Canada — à savoir que les des partis et des idées exprimées par l’espace d’un mois ou deux 10. Canadiens n’ont pas beaucoup de leurs leaders. Pour cette raison, dans la section suivante, l’analyse des Partis politiques et élections en conscience de classe — en faisant résultats électoraux ontariens sera Ontario, 1977-1999 valoir que les partis politiques et les élites qui les dominent n’« offrent » † précédée d’un examen de la poli- Du point de vue de l’hégémonie pas de choix susceptibles de tique partisane en Ontario durant la des partis, on peut subdiviser en répondre à la « demande » des élec- † † période qui nous intéresse. quatre périodes l’histoire de la poli- teurs qui souhaiteraient avoir l’oc- tique ontarienne des années 1977 à Notons enfin qu’il convient de casion d’exprimer leurs intérêts de 1999. La première période prend fin n’attendre de l’analyse du vote de classe. Pour vérifier cette thèse, on en 1985, année où les Progressistes- classe que ce qu’elle peut donner. ne peut évidemment pas se conten- Conservateurs perdent le pouvoir Elle éclaire certes des aspects ter d’étudier une seule campagne qu’ils détenaient depuis 1943. méconnus et négligés des relations électorale : il faut disposer de don- Durant son règne de 41 ans (où il entre comportements électoraux et † nées sur au moins deux « moments » n’a pas toujours été majoritaire au organisation sociale. Mais ce type † † entre lesquels il y a eu intensifica- Parlement), ce parti curieusement d’analyse ne permet pas d’explorer tion du débat entre partis rivaux sur les pistes de réflexion qu’ouvrent, nommé a contribué à l’édification des enjeux de classe. Le virage néo- par exemple, les fluctuations de de l’État providence au Canada. À conservateur des Conservateurs l’appui aux partis en cours de cam- cette époque, la lutte électorale l’op- albertains, celui des Conservateurs pagne. Décrivant les élections onta- pose surtout aux Libéraux, autre de l’Ontario et celui, plus récent, riennes de 1995, Wilson (1997 : † parti bourgeois proche du « centre », † † des Libéraux de la Colombie- 68-69) écrit : † mais inclinant un peu plus à gauche. Britannique sont des cas de reposi- Le Nouveau Parti démocratique, tionnement des partis ayant pu À l’aube de la bataille électorale de parti travailliste traditionnel soutenu entraîner une redistribution de 1995, un sondage Environics accordait financièrement par les syndicats, aux Libéraux une avance plus forte l’électorat. Nos données sur les élec- qui y siègent officiellement, ferme encore que celle dont ils jouissaient tions ontariennes de 1977 à 1999 lors du déclenchement de la campagne l’éventail. On qualifie volontiers les couvrent justement la période au de 1990 […] : 51 pour cent des élec- Conservateurs ontariens de cette cours de laquelle les Conservateurs teurs entendaient voter pour eux, com- première période de « red tories », le † †
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 87 rouge étant la couleur traditionnelle le chômage et la pénurie de logements Les 41 ans de règne conserva- des Libéraux, car ils ne se distin- abordables. Stephen Lewis apparaît teur prennent fin en 1985. Le parti guent de leur principal adversaire comme le grand perdant, bien qu’il se vient tout juste, pour son malheur, soit lui-même fait réélire sans diffi- que par des différences de degré. de se donner pour chef l’ex- culté : [le chef du NPD] s’est éloigné L’un et l’autre parti se « négocient » † † des positions socialistes traditionnelles ministre des Finances, homme de des appuis, offrant un mélange de de son parti sans proposer de solution droite originaire d’une petite ville, politiques susceptible de séduire de rechange digne de ce nom, et s’est sans charisme ni habileté. Il a fait une diversité de régions, groupes contenté d’une campagne d’image. élire un peu plus de députés que ses ethniques et intérêts. Image plaisante, empreinte d’amabi- deux adversaires, contrairement à lité et de modération, qui a probable- ce qui s’est produit en 1975 et en En 1977, après deux ans de gou- ment rebuté sa clientèle traditionnelle 1977, mais ne réussit pas à former vernement minoritaire, les Conser- sans, de toute évidence, faire de nou- veaux convertis (10 juin 1977 : B4). un gouvernement. Un gouverne- 87 vateurs déclenchent des élections, ment minoritaire libéral prend donc dans l’espoir de redevenir majori- Le commentateur Peter Regen- les commandes, avec l’appui du taires; le NPD forme alors l’opposi- streif note, dans la même édition du NPD, dont il va s’approprier les tion officielle, ayant obtenu en 1975 journal (p. B3) :† meilleures idées. Le Parti libéral les meilleurs résultats électoraux de est reporté au pouvoir en 1987, son histoire. À l’issue du scrutin, les Les Libéraux ont réintégré les fau- teuils de l’Opposition officielle, avec une majorité de sièges. Conservateurs ont accru de 3,6 pour cent leur part du vote, sans acquérir même s’il s’en est fallu de peu, et les À vrai dire, ni le premier mandat électeurs pourraient bien voir en eux la majorité. Bien que leurs gains des Libéraux ni leur réélection ne une solution de rechange aux aient été remportés surtout aux Conservateurs, sans avoir à craindre constituent une rupture idéologique dépens des Libéraux, ceux-ci ont de virage idéologique. sensible par rapport à la période repris le titre d’Opposition officielle, antérieure à 1985. Le Libéral de grâce à de subtils déplacements du Dans le Globe and Mail, de ten- l’époque est une sorte de « red tory » † † vote dans les circonscriptions. Les dance plus conservatrice, le journa- rajeuni, à la page, plus élégant : il † trois partis ayant reçu globalement à liste Robert Williamson, va plus n’est pas sans ressembler à William peu près le même appui, c’est la loin : † Davis, Premier ministre conserva- répartition des votes à l’intérieur de Le Premier ministre Bill Davis a teur de 1975 à 1984. Avec leur ces dernières qui a décidé de leur voulu plaire à tout le monde. Il aurait entrée en scène s’amorce pourtant nombre respectif de députés. Avec suscité plus de respect en disant aux une série d’événements qui vont 39,7 pour cent des votes, les Ontariens comment il entendait gou- transformer la politique ontarienne. Conservateurs occupent 46,4 pour verner la province et par quelles poli- cent des sièges 11. tiques il allait créer de l’emploi, faire Décimée par les pertes subies construire des logements abordables, lors des élections de 1985 et de À cette époque, le chômage et aider la métropole et les municipalités 1987, désertée par les élites mo- l’inflation sont élevés, les approvi- à régler leurs problèmes financiers et dérées qui l’ont dominée pendant sionnements en énergie et leurs améliorer la qualité de l’éducation. des décennies, l’organisation con- coûts soulèvent l’inquiétude (la Le chef du Nouveau Parti démocra- servatrice est investie par de jeunes crise pétrolière de 1973-1974 reste tique, Stephen Lewis, a passé trop de néo-conservateurs dynamiques, présente dans les mémoires). À l’is- temps à essayer de convaincre les sous la conduite d’un petit groupe sue des élections, le plus grand quo- électeurs qu’il n’est pas socialiste, du qui, depuis le début des années tidien de la province, le Toronto moins en ce moment. Il s’est montré 1980, a fait son nid dans les asso- tout aussi dépourvu d’idées que Star, écrit en page éditoriale :† ciations conservatrices étudiantes M. Davis, et même ses plus proches collaborateurs doivent être encore en des universités. Mais l’installation La campagne des Conservateurs n’a pas fait surgir de solutions précises train de se demander pourquoi il a de cette nouvelle garde n’est tou- aux problèmes graves qui préoccupent mené une campagne aussi terne (10 jours pas le reflet d’une évolution beaucoup d’Ontariens, en particulier juin : 1). de l’opinion publique. Cette der-
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 88 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 49 économique du début des années du NPD. La hantise du déficit a 1990. De toute évidence, l’éternel amené le gouvernement néo-démo- Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l’Ontario tiers parti doit son ascension à la crate à adopter en matière de fisca- conversion de certains Libéraux et lité un conservatisme qui a même d’une poignée de Conser- provoqué l’hostilité des élites syn- vateurs. Une part de cet appui cir- dicales et fait fondre ses appuis constanciel est vouée à lui chez les fonctionnaires. Simulta- échapper, mais il se met aussi à nément, ses mesures de gauche, en dos sa clientèle traditionnelle en particulier la réforme du code du s’abstenant de remplir certaines travail, et la confusion dans promesses essentielles de sa plate- laquelle il a donné l’impression forme électorale, en particulier son d’avancer, ont fait fuir les nou- 88 engagement de remplacer les veaux sympathisants de tendance régimes privés d’assurance auto- plus conservatrice qui espéraient le nière s’est en effet détournée des mobile par un régime public. Mais voir virer à droite et lui avaient per- Conservateurs en 1985 parce surtout, les syndicats de la fonc- mis de se faire élire. qu’ils avaient mis de côté l’image tion publique montent aux barri- de modération courtoise qui leur cades contre son « contrat social », † † C’est donc au détriment des avait valu quatre décennies de pou- programme complexe de réduc- Libéraux, très en avance dans les voir (Ibbitson, 1997 : 28 et suiv.). † tions salariales sans lequel le gou- sondages au début de la bataille vernement s’estime incapable de électorale, que les Conservateurs La troisième période — sociale- réduire le déficit à un moment remportent leur victoire de 1995, démocrate — s’ouvre en 1990. (1992-1993) où la récession s’ag- grâce à une campagne énergique Très en avance dans les sondages, grave. Le NPD est victime égale- centrée sur la réduction des les Libéraux déclenchent des élec- ment de la propagande des milieux impôts… ainsi que de l’aide sociale tions, après trois ans d’un mandat d’affaires, qui montent la crise fis- et de l’équité en matière d’emploi. susceptible d’en durer jusqu’à cale en épingle, et du chantage non La quatrième période, qui s’ouvre cinq. Excès de confiance et oppor- voilé auquel se livrent les agences avec leur retour au pouvoir et se tunisme les mènent à la défaite. À américaines d’évaluation du cré- poursuit avec leur réélection, en la surprise de tous, le NPD, avec 38 dit. Le virage à droite en douceur 1999, est ainsi marquée par un pro- pour cent des voix, est à même de qu’il lui faudrait négocier pour que fond repositionnement idéologique former un gouvernement majori- l’idée même d’une tradition de qui modifie, pour la première fois, taire (qui devient le premier gou- gouvernement social-démocrate le visage de la politique ontarienne. vernement travailliste à diriger prenne forme en Ontario suppose- l’Ontario). Il a 57 pour cent des Durant leur premier mandat, les rait une victoire décisive de ses sièges, soit 17 députés de plus que Conservateurs remplissent les éléments les plus conservateurs et le nombre attendu (du moins promesses inscrites dans leur l’assentiment des syndicats… d’après la relation entre pourcen- plate-forme électorale, baptisée tage du vote et nombre de sièges L’odyssée du NPD a suscité l’ex- « révolution du bon sens » : ils † † † globalement observée entre 1943 et pression des points de vue les plus diminuent la taille de l’État et rédui- 1999 12). Encore là, le changement divers, de la part de commentateurs sent les impôts. Certaines victimes de gouvernement ne paraît pas comme Patrick Monahan (1995), sont particulièrement touchées. Les signaler de virage idéologique véri- ancien conseiller du Parti libéral, assistés sociaux, dont une propor- l’universitaire Brian Tanguay tion inquiétante est constituée de table au sein de l’électorat. (1997), le chroniqueur Thomas femmes pauvres et de leurs enfants, La malchance va s’acharner sur Walkom (1994), du Toronto Star, et voient diminuer leurs prestations de le NPD, qui entre en fonction tan- Chuck Rachlis et David Wolfe 21,6 pour cent. Les locataires, spé- dis que s’amorce la grave crise (1997), membres de l’organisation cialement les jeunes et les pauvres
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 89 des grands centres urbains, subis- Même si l’élection des Conser- faire ressortir une relation entre l’ap- sent les conséquences de l’abandon vateurs en 1995 inaugure une nou- pui aux partis et les clivages sociaux des programmes de logement velle ère politique, si l’on en croit liés à de nombreux éléments du pro- social, de la suppression du contrôle Wilson (1997 : 69), elle s’explique † gramme néo-conservateur du gou- des loyers et du relâchement des par un rejet du NPD et par une cam- vernement : clivages entre les † contraintes imposées aux proprié- pagne libérale peu énergique plus pauvres et la « classe moyenne »; † † taires désireux de les expulser. Les que par une transformation de l’opi- entre les jeunes et les autres groupes syndicats perdent ce qu’ils ont nion publique. De fait, les élections d’âge; entre les Torontois et le reste obtenu du précédent gouvernement de 1999 permettent sans doute de la province; ou entre syndiqués et du NPD en matière de syndicalisa- mieux de vérifier l’existence d’un non syndiqués, employés et tra- tion et de droits de grève. Les réalignement de l’électorat, car à vailleurs autonomes, employés des employés des secteurs public et cette date les conséquences services publics et travailleurs du 89 concrètes des politiques conserva- secteur privé. para-public, fonctionnaires, ensei- trices sont devenues parfaitement gnants, infirmières et autres tra- La mesure de la classe sociale et claires. Prenant l’allure d’un réfé- vailleurs d’organisations financées du vote de classe dans les rendum sur le modèle conservateur, par l’État, les femmes, les membres enquêtes elles ne laissent pas beaucoup de des minorités, les autochtones et les place aux nuances entre Libéraux et À l’origine, on mesurait le vote handicapés assistent impuissants à Néo-démocrates. la révocation de la loi sur l’équité en de classe en associant simplement matière d’emploi. Et la Ville de La question à laquelle nous pou- activité professionnelle (travail Toronto, produit de la fusion de six vons maintenant tenter de répondre manuel ou non manuel) et vote (de municipalités plus anciennes, se est celle-ci : observe-t-on dans l’ap- † gauche — travailliste, socialiste ou pui aux partis politiques, tel qu’il communiste — ou non). On sait trouve privée de moyens, à l’occa- ressort des neuf enquêtes utilisées, maintenant que l’utilisation de clas- sion d’une opération de réallocation des clivages de classe correspondant sifications plus subtiles, fondées sur des responsabilités budgétaires qui à l’évolution politique qui vient l’activité professionnelle et la théo- était censée ne pas avoir d’inci- d’être résumée ? Il apparaît, premiè- rie marxiste, fait apparaître des dences sur le partage des revenus 13. † rement, que lors des élections de effets de classe laissés dans l’ombre Les Conservateurs aggravent aussi 1977 l’appui aux partis n’est pas dis- par la dichotomie manuel-non les inégalités de façon plus directe, tribué par classe; deuxièmement, manuel (voir, en ce qui concerne le en diminuant les impôts (plutôt que Canada, Ornstein et Stevenson, que durant une longue période la la taxe de vente, plus régressive) 14, 1999 : 259 et suiv.; et, parmi les distribution des appuis par classe † en laissant l’inflation gruger le publications récentes sur la Grande- fluctue, la position du NPD, à salaire minimum et en augmentant Bretagne et les États-Unis [respec- gauche, n’étant pas sensiblement le coût des services gouvernemen- tivement], Goldthorpe, 1999, et plus éloignée de celle des taux. Émules inspirés de leurs Conservateurs que de celle des Hout, Manza et Brooks, 1999). On modèles américains, ils donnent à Libéraux, séparés par des diffé- peut également définir les positions leurs productions législatives des rences mineures; et, troisièmement, de classe des électeurs en fonction dénominations orwelliennes. Ainsi que les positions se polarisent durant de l’appui qu’ils accordent aux par- la loi « sur la protection des loca- † les années 1990, si bien qu’aux élec- tis, selon que ceux-ci sont tra- taires » renforce-t-elle les droits des † tions de 1999 le Parti conservateur vaillistes ou non, « non » étant † † propriétaires. Toutefois, leur conser- occupe résolument la droite, face susceptible de se subdiviser en caté- vatisme ne s’étend pas au domaine aux Libéraux et aux Néo-démo- gories supplémentaires puisque, social : l’avortement, les « droits » † † † crates, entre lesquels les électeurs dans de nombreux pays, comme le des « familles » et autres causes † † établissent des distinctions d’ordre Canada (mais non les États-Unis), chères aux fondamentalistes les tactique plutôt qu’idéologique. le parti travailliste affronte plus laissent froids 15. L’enquête de 1999 pourrait aussi d’un adversaire. Nieubeerta et De
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 90 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 49 de moins de 65 ans), « retraité ». Les † † vailleurs autonomes et les proprié- caractéristiques des questionnaires taires et les dirigeants d’entreprise, Classes sociales et scrutins provinciaux au Canada : le cas de l’Ontario utilisés pour les neuf enquêtes, face à quelque 80 pour cent de conçus par différentes personnes à toutes les personnes occupant un divers moments sur plus de vingt emploi, qui ne sont ni des capita- ans, et la taille des échantillons ne listes, ni des membres de la petite permettent pas de construire des bourgeoisie, ni forcément des catégories plus détaillées ou mieux membres de la classe ouvrière. Et structurées au plan théorique, ou où classer les inactifs ? † identiquement valables pour tous Le vote de classe aux élections les questionnaires. de 1977 et de 1999 en Ontario 90 Cette définition peu rigoureuse Les résultats du tableau 1 don- éclaire mal la signification de la nent une première idée de la préci- Graff (1999) font le tour de ces classe dans la société actuelle. sion avec laquelle la classe peut questions dans leur excellente ana- Peut-on, par exemple, parler de cli- permettre de prédire l’appui des lyse comparative du vote de classe vage de classe à propos des diffé- Ontariens à leurs trois partis poli- dans 20 pays entre 1945 et 1990. rences entre travailleurs du secteur tiques. Ils sont présentés pour les public et travailleurs du secteur Pour être utiles, nos neuf partis pris deux à deux, et concer- privé ? Y a-t-il des clivages de † enquêtes doivent mesurer la classe nent les répondants des neuf classe, et lesquels, au sein des sociale de façon cohérente à travers enquêtes réalisées entre 1977 et emplois subalternes des entreprises le temps. Dans la plupart des cas 1999. Les valeurs (pseudo-R2) privées ? On trouvera un examen † nous connaissons l’activité profes- découlent de régressions logistiques plus approfondi et théoriquement sionnelle du ou de la répondante et permettant de prédire le vote à par- plus poussé de données d’enquête savons si nous avons affaire à un tir des variables représentatives de révélatrices des attitudes politiques travailleur autonome, à un employé la classe sociale (activité profes- des classes sociales au Canada dans du secteur public 16, à une personne sionnelle, travail autonome, emploi Clement et Myles (1994) et surtout syndiquée. En nous inspirant des dans le secteur public, répondant dans Ornstein et Stevenson (1999), travaux de Pineo, Porter et ou membre du ménage syndiqué) 18. qui analysent avec attention les rap- McRoberts (1977), nous avons Elles sont comprises entre zéro (la ports entre idéologie politique et défini quatre catégories pour distin- classe ne permet pas de prédire le vote. guer entre travail manuel et non vote) et un (la classe permet de pré- manuel et travail plus et moins qua- Nos catégories professionnelles dire le vote avec une exactitude lifié, et trois catégories pour distin- sont très proches de la classifica- parfaite). Le type de données guer entre techniciens, cadres et tion proposée par Erikson et exploité ici produit rarement des professionnels. À ces sept catégo- Goldthorpe, qui fait autorité dans le coefficients supérieurs à 0,5. Des ries se superposent celles de tra- domaine de l’analyse comparative valeurs voisines de 0,1 correspon- vailleur autonome et d’employé du du vote de classe (voir la recension dent à une capacité prédictive secteur public. « Syndiqué » renvoie † † de Nieubeerta et De Graaf, 1999). moyenne, et des valeurs égales ou à la situation du répondant ou de La principale difficulté théorique à supérieures à 0,2 à une capacité toute personne syndiquée apparte- laquelle nous nous heurtons, et la prédictive raisonnablement forte. nant au même ménage que lui 17. raison pour laquelle il n’existe pas Les coefficients du tableau 1 se Quatre autres catégories complètent de consensus sur la mesure de situent pour la plupart entre 0,02 et la description de la situation du l’appartenance de classe, est évi- 0,10. Cela signifie que les électeurs répondant eu égard au marché du demment que l’application méca- des trois grands partis politiques travail : « occupe un emploi », « étu- † † † † nique des thèses classiques sur les ontariens se distinguent assez peu diant », reste « au foyer » (inactives † † † classes sociales n’isole que les tra- en fonction de la classe. Toutefois,
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 91 la différenciation s’accentue nette- les travailleurs autonomes sont plus L’appui des professionnels au NPD ment entre 1977 et 1999. Le tableau susceptibles de voter conservateur reflète la composition du groupe, 2, qui présente la distribution des et moins susceptibles de voter NPD qui comprend plus d’infirmières, électeurs selon les partis en 1977, que les employés (l’écart est d’en- enseignants et autres types de sala- 1981, 1988 et 1999 pour chacune viron 10 pour cent dans les deux riés que de dentistes, avocats et des variables de classe (profession, cas, mais n’est pas significatif, car autres professionnels; ces derniers travailleur autonome, employé du le nombre de travailleurs auto- sont plutôt des travailleurs auto- secteur public et syndiqué), donne nomes est très faible dans l’échan- nomes, et leurs revenus sont plus une idée plus précise des différences tillon). La catégorie professionnelle élevés. entre les partis que recouvrent les n’est pas reliée de façon significa- tive au choix d’un parti, sauf dans le Les choses bougent entre 1977 valeurs du pseudo-R2. cas des travailleurs non manuels et 1999, ainsi qu’en témoigne le En 1977, seul le fait d’être syndi- tableau 1. Le pseudo-R2 — qui 91 qualifiés, plus attirés par les qué exerce un certain effet sur le Conservateurs (13 pour cent d’écart exprime l’effet de la classe sur le vote. Trente pour cent des ménages par rapport à l’ensemble des autres vote — augmente notablement, et où vit un syndiqué votent conserva- catégories professionnelles). En de façon différenciée selon les teur, 29 pour cent libéral et 41 pour 1977, l’appui au NPD est assez égal groupes d’électeurs que l’on com- cent NPD. Parmi les ménages où ne dans les sept catégories profession- pare deux à deux. On observe une vit aucun syndiqué, les appuis res- nelles : le parti rallie 25 pour cent † forte progression de la différence pectifs des trois partis sont de 44, 32 des cadres et des travailleurs non entre conservateurs et libéraux (le et 24 pour cent. Les syndiqués sont manuels (qualifiés et peu qualifiés), pseudo-R2 passe de 0,034 à 0,138) donc presque deux fois plus suscep- 30 pour cent des travailleurs et entre conservateurs et néo- tibles de voter pour le NPD que les manuels qualifiés et 35 pour cent démocrates (de 0,040 à 0,167). La non syndiqués, et ce sont surtout les des professionnels, des semi-pro- différence reste peu perceptible Conservateurs qui en subissent les fessionnels et techniciens et des tra- entre libéraux et néo-démocrates conséquences. Toujours en 1977, vailleurs manuels peu qualifiés. (seulement 0,016 en 1977 et Tableau 1. Le vote de classe en Ontario, 1977-1999 : comparaison de l’électorat des partis pris deux à deux. † Pseudo R2 de la régression logistique (répondants occupant un emploi) Électeurs… … conservateurs, … conservateurs, … libéraux, libéraux néo-démocrates néo-démocrates 1977 Enquête ontarienne 0,034 0,040 0,016 1977 Enquête sur la qualité de vie 0,052 0,075 0,063 1979 Enquête sur la qualité de vie 0,043 0,047 0,054 1981 Enquête sur la qualité de vie 0,065 0,076 0,092 1984 Étude électorale canadienne 0,018 0,073 0,052 1988 Étude électorale canadienne 0,030 0,091 0,102 1993 Étude électorale canadienne 0,032 0,077 0,036 1997 Étude électorale canadienne 0,090 0,119 0,050 1999 Enquête ontarienne 0,128 0,167 0,024
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 92 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 49 différents des deux autres récoltent un appui extraordinaire Classes sociales et scrutins provinciaux au groupes. En 1999, les libéraux chez les cadres (67 pour cent) et fort Canada : le cas de l’Ontario demeurent proches des néo- appréciable chez les travailleurs démocrates, mais les conserva- qualifiés, manuels et non manuels teurs se sont beaucoup éloignés (quelque 60 pour cent); ils obtien- des deux autres groupes. nent 50 pour cent chez les semi-pro- L’évolution des pourcentages du fessionnels et techniciens, environ tableau 2 va dans le sens de cette 40 pour cent chez les travailleurs augmentation des pseudo-R2. En moins qualifiés (manuels et non 1999, le fait d’être travailleur auto- manuels) et 30 pour cent chez les nome plutôt qu’employé est associé professionnels. Aucune catégorie ne 92 à un appui plus fort (de 25 pour fait apparaître de différence signifi- cent) au parti conservateur, tandis cative entre électeurs libéraux et 0,024 en 1999). On remarque que le fait de travailler dans le sec- aussi que la position relative des teur public plutôt qu’ailleurs et celui électeurs néo-démocrates 19. Hout, groupes se modifie. En 1977, la d’être syndiqué plutôt que non syn- Manza et Brooks (1999 : 89) consta- † différence la plus forte se situe diqué sont associés à un appui plus tent une différenciation similaire entre conservateurs et néo-démo- faible (de 18 et de 28 pour cent res- entre professionnels et cadres aux crates, et les libéraux sont moins pectivement). Les Conservateurs États-Unis 20. Tableau 2. Appui aux partis selon les classes, Ontario, 1977, 1981, 1999 (répondants occupant un emploi) 1977 1981 PC PL NPD PC PL NPD Catégories d’activité Professionnels 26 39 35 63 21 16 Cadres 34 41 25 61 23 16 Semi-professionnels, techniciens 28 38 34 69 15 16 Non manuels qualifiés 54 21 25 54 36 10 Manuels qualifiés 41 29 30 38 44 18 Non manuels peu qualifiés 40 35 25 41 40 19 Manuels peu qualifiés 37 28 35 35 42 23 Travailleur autonome Non 40 31 29 46 31 23 Oui 48 32 20 50 46 4 Employé du secteur public Non S. O. S. O. S. O. 46 35 18 Oui S. O. S. O. S. O. 53 30 17 Syndiqué au sein du ménage Non 44 32 24 50 34 16 Oui 30 29 41 42 33 25
LSP 49 04/06/03 14:02 Page 93 Tendances 1977-1999 laissant le NPD dans l’incapacité raux et néo-démocrates (valeurs de pratique de se distinguer des 0,063, 0,054 et 0,092). Stephen En relatant l’histoire politique Libéraux. Les chiffres du tableau Lewis, le chef du NPD, aurait donc ontarienne des dernières décen- 1 soutiennent cette lecture, mais été bien inspiré de mettre en sour- nies, j’ai fait valoir qu’entre les révèlent d’autres tendances. dine les éléments les plus radicaux années 1970 et le début des années de la plate-forme de son parti afin 1990 il n’y a eu dans le message La faiblesse du vote de classe de diversifier ses appuis durant la des partis aucune réorientation lors des élections de 1977 paraît en campagne de 1977. Néo-démo- susceptible d’entraîner une recom- fait accidentelle. Trois enquêtes crates et Libéraux touchaient sensi- position de leur clientèle, mais menées entre 1977 et 1988 ren- blement les mêmes clientèles. qu’ensuite deux réalignements se voient plutôt l’image de différences Malheureusement pour le NPD, sont produits, l’un entre 1990 et de classe nettes entre les électeurs cette stratégie n’a pas rapporté 93 1995, où le NPD a perdu à la fois des trois partis. Notamment, com- assez de votes. ses appuis traditionnels et la parativement à l’enquête rétroac- faveur des modérés qui avaient tive sur les élections ontariennes de Les enquêtes de 1977 à 1981 permis son élection, l’autre après 1977 (pseudo-R2 de seulement font apparaître des différences 1995, le retour au pouvoir du Parti 0,016), les enquêtes sur la qualité assez marquées dans la composi- conservateur s’étant accompagné de vie de 1977, 1979 et 1981 tion de l’électorat des trois partis d’un virage néo-conservateur qui témoignent d’une évolution de la (tableau 2). En ce qui concerne le a opposé ce parti aux deux autres, différenciation entre électeurs libé- NPD, seulement 4 pour cent des 1988 1999 Nombre de cas PC PL NPD PC PL NPD 1977 1981 1988 1999 25 67 8 30 55 15 73 80 108 97 41 46 13 67 27 6 46 58 117 89 44 34 22 51 34 15 73 73 74 104 36 45 18 59 29 12 162 107 120 110 34 50 16 58 31 11 173 86 157 74 39 46 16 38 38 24 156 134 125 147 36 33 31 37 47 16 170 148 145 108 30 49 21 46 38 16 1126 436 502 799 47 43 9 71 25 4 70 104 110 71 31 48 22 54 33 13 S. O. 544 343 504 30 50 20 36 47 17 S. O. 151 142 239 37 50 13 58 30 12 873 861 752 607 30 40 29 30 48 22 324 199 216 291
Vous pouvez aussi lire