Covid en Polynésie : les chrétiens appellent au respect et à la fraternité - Reforme.net

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Publié le 6 septembre 2021(Mise à jour le 8/09)
Par Sophie Nouaille

Covid en Polynésie : les chrétiens
appellent au respect et à la
fraternité
Une journée de prière œcuménique a été organisé dimanche pour apaiser les
communautés polynésiennes en pleine crise d’épidémie de Covid. Face aux
familles endeuillées et aux divergences d’opinion sur le pass sanitaire et la
vaccination, les églises chrétiennes ont appelé au respect et à la fraternité.

C’est par une litanie de vingt-sept noms, vingt-sept personnes décédées du
Covid-19 parmi ses paroissiens et leur famille, que le père Christophe a débuté la
messe dimanche matin à la Cathédrale de Papeete en cette journée de prière
dédiée aux victimes de l’épidémie à laquelle a appelé le gouvernement polynésien.
“Face à la menace, nous serons certainement plus forts dans l’unité et dans
l’union de notre peuple, avec le soutien de notre père céleste”, a écrit Edouard
Fritch le président du gouvernement qui a appelé à “s’unir en prière et en
intentions de paix et de guérison, le dimanche 5 septembre à l’occasion de la
journée internationale de la charité”.
Un appel au respect et à la fraternité
La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ne s’applique pas en
Polynésie, territoire où la religion est très présente, l’église protestante Ma’ohi et
l’église catholique se partageant la majorité des fidèles. Une cérémonie
œcuménique a donc précédé la journée de recueillement. En comité restreint en
raison du confinement, elle a été diffusée en différé sur les chaînes de télévisions
locales.
Monté en chaire, dans cette cathédrale très lumineuse, les vitraux faisant des
taches colorées sur les murs blancs, le père Christophe a profité de cet appel au
recueillement pour raconter combien il était “effaré, attristé” par “les
commentaires haineux” qui circulent sur les réseaux sociaux entre les partisans
de la vaccination anti-Covid et ses détracteurs. “Les chrétiens se doivent d’être
des modèles de fraternité et respecter l’autre, même s’il est du camp opposé”, a-t-
il martelé face à la centaine de paroissiens présents, portant tous le masque, et
assis à bonne distance les uns des autres.

Un dialogue à rude épreuve face à la
vaccination et au pass sanitaire
L’archevêque de Tahiti Monseigneur Jean Pierre Cottanceau, a pris position pour
la vaccination. Mais pour le père Christophe, “même si c’est une nécessité
médicale cela ne doit pas se faire au détriment du respect de la personne”, dit-il à
l’AFP, à l’issue de l’office.
Avec le pass sanitaire “où est le secret médical ? C’est l’intrusion. Il y a d’autres
façons de convaincre quelqu’un”, assure d’une voix douce ce prêtre qui porte
barbe et cheveux longs. Quand certains SDF ont demandé au Père Christophe de
les aider à se faire vacciner, celui-ci a organisé une séance de vaccination à la
faveur de la distribution des repas faite par la paroisse.
“Sur les 250 personnes qui vivent aujourd’hui dans la rue, au moins 140 sont
vaccinés”, mais, “c’est à leur demande, et les aides qu’on leur donne ne sont pas
conditionnées au vaccin”, assure-t-il.

Et si on lui demande s’il est lui même vacciné, il explique avec un sourire qu’il ne
l’est pas, mais il n’exclut pas de le faire un jour.
Interrogé par l’AFP, François Pihaatae, président de l’église protestante Ma’ohi
qui prône “le respect du droit, de la liberté et de la dignité des personnes”,
explique également ne pas être vacciné “pour le moment”. “Peut-être que je le
ferai quand je voyagerai, pour assister à des réunions”, explique-t-il.

“Depuis l’introduction du vaccin, l’Etat ou le gouvernement avaient dit que ce
n’était pas obligatoire”, rappelle-t-il.
Si un membre de la congrégation veut se faire vacciner “c’est son droit”, souligne
le pasteur. “On ne prône pas l’antivaccination. On laisse la possibilité ou la liberté
à chacun. C’est le fait que l’Etat l’impose qui pose problème”, assure-t-il. Au 3
septembre, les autorités avaient enregistré 480 personnes décédées du Covid-19.

Sophie Nouaille avec AFP

Publié le 28 juillet 2021(Mise à jour le 28/07)
Par AFP

Macron reconnaît “la dette” de la
France à l’égard de la Polynésie
sur les essais nucléaires
Sans demander pardon, Emmanuel Macron a affirmé que la France avait “une
dette” à l’égard de la Polynésie française pour avoir réalisé près de 200 essais
nucléaires dans le Pacifique pendant 30 ans, jusqu’en 1996.

“J’assume et je veux la vérité et la transparence avec vous”, a affirmé mardi à
Papeete (mercredi matin à Paris) le chef de l’État en s’adressant aux responsables
polynésiens au dernier jour de sa première visite dans l’immense archipel.
Reconnaissant que ce dossier sensible affectait “la confiance” entre Papeete et
Paris, il a notamment annoncé que les victimes de ces essais, dont certains
souffrent de cancer, devaient être mieux indemnisées. “La nation a une dette à
l’égard de la Polynésie française. Cette dette est le fait d’avoir abrité ces essais,
en particulier ceux entre 1966 et 1974, dont on ne peut absolument pas dire qu’ils
étaient propres”, a-t-il déclaré, applaudi par l’assistance.

La France a transféré en 1966 son champ de tir du Sahara en Polynésie française,
sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, où elle a procédé en 30 ans à 193
nouveaux essais, atmosphériques jusqu’en 1974, puis souterrains. “Je veux vous
dire clairement que les militaires qui les ont faits ne vous ont pas menti. Ils ont
pris les mêmes risques”, a estimé Emmanuel Macron. Mais, a-t-il ajouté, “je pense
que c’est vrai qu’on n’aurait pas fait ces mêmes essais dans la Creuse ou en
Bretagne. On l’a fait ici parce que c’était plus loin, parce que c’était perdu au
milieu du Pacifique”. Il a cependant déclaré “assumer pleinement” et défendu le
choix fait par le général de Gaulle puis poursuivi par ses successeurs de doter la
France de l’arme nucléaire, notamment pour protéger la Polynésie française.

“Que de la démagogie”
Dans son discours, le président n’a pas fait la demande de “pardon” exigée par
des associations de victimes ou le chef indépendantiste Oscar Temaru, à
l’initiative d’une manifestation ayant réuni plusieurs milliers de personnes dans
les rues de Papeete le 17 juillet. “Je pourrais me débarrasser du sujet en disant
“excuses”, comme on le fait quand on bouscule quelqu’un pour pouvoir continuer
sa route, c’est trop facile. Et c’est trop facile pour un président de la République
de ma génération de dire en quelque sorte “mes prédécesseurs ont eu tort, le pire
a été fait, excuses et indemnités”.”Il n’y a aucune avancée dans ce discours, que
de la démagogie (…) Les mensonges d’État continuent”, a regretté le père

Auguste Uebe-Carlson, président de l’association 193, sur la chaîne Polynésie 1ère.
Mais le président de la Polynésie, l’autonomiste Edouard Fritch, s’est félicité
qu’Emmanuel Macron veuille “enfin que la vérité soit mise sur la table” après “25
ans de silence”. Sur la question sensible des indemnisations, Emmanuel Macron a
estimé qu’elle était “trop lente” et annoncé une amélioration du traitement des
dossiers alors que le nombre de personnes indemnisées pour avoir contracté des
maladies radio-induites reste “particulièrement faible”, selon le ministre des
outre-mer Sébastien Lecornu. Il a par ailleurs indiqué que les archives sur les
essais “seront ouvertes”, à l’exception des données militaires les plus sensibles.

Ces annonces interviennent cinq ans après la reconnaissance, par le président
François Hollande lors d’une visite en 2016, de “l’impact sur l’environnement et
la santé” de 30 années d’essais. Il avait alors pris une série d’engagements, dont
certains ne sont pas encore concrétisés comme l’ouverture d’un Centre de
Mémoire des essais nucléaires. Dans son discours entamé et conclu par quelques
mots en polynésien, Emmanuel Macron a loué le “pacte unique intime sensible
entre la République et la Polynésie française” malgré les “heures sombres et les
morsures de l’Histoire”. “Il y a un en même temps” car “vous êtes à la fois
profondément polynésiens et profondément patriotes”, a-t-il ajouté, en assurant
qu’il défendrait leur volonté de “résister” pour “faire revivre et transmettre” leur
culture. Sur le plan économique, Emmanuel Macron a annoncé un prêt de 300
millions en appui aux investissements, notamment pour développer la compagnie
aérienne Air Tahiti Nui, ainsi que de nouvelles mesures de défiscalisation.
Rappelant que l’État consacrait plus d’un milliard et demi d’euros à la Polynésie
chaque année, il a précisé que plus de 600 millions avaient été engagés pour faire
face à la crise du Covid-19. Après avoir visité l’hôpital de Papeete à son arrivée
samedi, il a de nouveau exhorté les Polynésiens à se faire vacciner, “seul moyen
pour nous sortir” de la crise, en soulignant que sur les 230 000 doses envoyées
dans l’archipel, 110 000 restaient encore disponibles.

AFP
Publié le 17 mars 2021(Mise à jour le 17/03)
Par Louis Fraysse

L’Église protestante Mäòhi et les
essais nucléaires français
Taìmetua Nahei est pasteur de l’Église protestante Mäòhi (ÉPMa), la plus grande
Église de Polynésie française, et doctorant à l’Institut protestant de théologie.
Entretien.

Quelle est votre réaction aux révélations du livre Toxique ?

Elles confirment l’intuition de certains pasteurs et de dirigeants politiques, tel
Pouvanaa Oopa, qui dès les années 1960 avancent que ces essais sont dangereux.
Ces tirs atomiques ont non seulement menacé la santé de la population à
l’époque, mais présentaient aussi un risque pour les générations futures. Ces
révélations portent aussi sur l’impact des essais dans l’air, sur la terre ou dans la
mer. Cette question est essentielle en Polynésie, car l’environnement constitue
notre habitat et notre garde-manger.

L’Église protestante Mäòhi a-t-elle toujours été en pointe sur ce sujet ?

C’est une question délicate. L’ÉPMa avait déjà entamé une réflexion au sujet des
atteintes à l’environnement au moment de la construction de l’aéroport
international à Tahiti, inauguré en 1961. Mais alors que le premier tir nucléaire a
eu lieu en 1966, il a fallu attendre 1982 pour que le synode de l’ÉPMa se
positionne publiquement contre les essais.

Pourquoi a-t-elle tant attendu ?

En 1958, un référendum portant sur l’indépendance du territoire est tenu en
Polynésie. Certains pasteurs prennent ouvertement position pour le maintien au
sein de la France, ce qui entraîne des scissions au sein de l’Église. De ce fait, au
moment des premiers essais nucléaires, les dirigeants de l’Église sont réticents à
l’idée de s’exprimer sur le sujet, de peur de créer de nouvelles divisions dans la
communauté ou d’être perçus comme « antifrançais ». N’oublions pas aussi que
l’ÉPMa n’est devenue indépendante qu’en 1963 ; jusque-là, elle dépendait de la
Société des missions évangéliques de Paris. Les nouveaux dirigeants polynésiens
de l’Église craignent sans doute que prendre position contre les essais ne remette
en cause cette passation de pouvoir.

Enfin, certains pasteurs, diacres et paroissiens de l’ÉPMa sont favorables à
l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), qui crée de
nombreux emplois. Des pasteurs ont même incité les paroissiens à s’exiler à
Mururoa ou Papeete pour gagner de l’argent en vue de bâtir de nouveaux édifices
religieux, temples ou écoles. Si le synode de 1982 constitue un tournant, il
s’inscrit dans une prise de conscience progressive, que l’on doit notamment à
certains ministres du culte, comme Jean Adnet. Dès les années 1960, ce pasteur à
Tahiti dénonce les risques des essais pour la santé et pour l’environnement, ce
qui lui vaut l’inimitié des autorités. Il s’oppose aussi au chantage de la France
consistant à placer Tahiti devant une alternative entre la construction du CEP ou
la réduction de l’aide économique et culturelle, et milite pour que la population
soit consultée par référendum.

Tous les 2 juillet, l’ÉPMa organise une marche pour demander justice au
sujet des essais nucléaires. Vous dites qu’elle joue en cela son rôle
« prophétique ». Comment cela ?

Elle est prophétique dans le sens où elle s’implique profondément dans la société,
comme au temps des prophètes bibliques, pour qui la justice sociale, le droit et la
vérité constituaient un bâton de pèlerinage. Dans l’article 4 de sa constitution,
l’ÉPMa affirme que, « consciente de ses responsabilités envers le peuple, au
milieu duquel elle vit, (elle) entend être comme une sentinelle vigilante ». Lorsque
les autorités abusent de leur pouvoir, l’Église ne peut pas rester immobile,
sourde, aveugle et silencieuse, elle doit s’élever contre les injustices. Car si elle
néglige d’avertir le méchant de sa méchanceté, c’est à elle que Dieu demandera
des comptes (Ez 3, 16-21 ; 33, 1-20). Du coup, elle a ce rôle de « prophète
guetteur ».

Quelles sont aujourd’hui les revendications de l’ÉPMa ?

Premièrement, que l’État français reconnaisse son péché, celui d’avoir menti à la
population, en assurant que ces essais étaient sans danger. Deuxièmement, il faut
que les indemnisations soient élargies à tous ceux qui ont subi des retombées
radioactives, et non aux seuls militaires et travailleurs des sites de Moruroa et
Fangataufa. Le défi pour notre Église est de porter une parole forte et juste, sans
mener un combat politique, car ce n’est pas son rôle. Enfin, en tant que pasteur
de l’ÉPMa, je pense que les ministres de l’Église ont leur part de responsabilité
aussi sur ce sujet du nucléaire, car nous avons trop tardé à reconnaître le mal
que ces essais causeraient à la Polynésie.

Propos recueillis par Louis Fraysse

  Polynésie : essais nucléaires, mensonges et négligences

  Essais nucléaires : l’Église protestante de Polynésie défend les victimes

  Polynésie française : l’impact environnemental et humain des essais nucléaires

  Sahara et Polynésie : la question de l’indemnisation des victimes des essais
  nucléaires

  Nucléaire militaire, à quand le débat ?
Publié le 17 mars 2021(Mise à jour le 17/03)
Par Louis Fraysse

Polynésie : essais nucléaires,
mensonges et négligences
Une enquête récente affirme que les conséquences sanitaires et
environnementales des essais nucléaires français ont été largement sous-estimées
par les autorités.

Le titre, Toxique, donne le ton à lui tout seul. Sous-titré Enquête sur les essais
nucléaires français en Polynésie, le livre du journaliste Tomas Statius et du
chercheur Sébastien Philippe, spécialiste du nucléaire militaire, dresse un bilan
alarmant des suites des 46 essais atomiques atmosphériques menés par l’armée
française en Polynésie entre 1960 et 1974. Selon leurs estimations, près de 110
000 personnes – soit la quasi-totalité de la population – auraient alors été
dangereusement exposées à la radioactivité.

Depuis plusieurs décennies, des militants et organisations polynésiennes, comme
l’Église protestante Mäòhi et l’association Moruroa e tatou (« Moruroa et nous »),
alertaient sur les effets délétères de ces essais sur l’environnement et la santé des
habitants. En 2006, un rapport officiel du ministère de la Défense avait reconnu
l’existence de contamination radioactive lors de plusieurs essais atmosphériques
au Sahara et en Polynésie. Le 5 janvier 2010, cette reconnaissance avait
débouché sur l’adoption de la loi Morin, ouvrant la voie à l’indemnisation des
victimes vivantes ou décédées, pour peu qu’un lien de causalité puisse être établi
entre l’apparition d’une maladie et la présence d’un malade sur un site ayant subi
des retombées radioactives.

Le cas d’« Aldébaran »
Ce qu’apporte cette nouvelle enquête, ce sont avant tout des sources inédites. Les
auteurs de Toxique ont en effet passé au crible des milliers de documents
militaires déclassifiés en 2013. On y apprend que les autorités, dans certains cas,
se sont bien gardées de communiquer sur les conséquences directes de certains
tirs. En théorie, l’armée et le Commissariat à l’énergie atomique avaient tout
prévu pour que les retombées radioactives n’affectent aucune zone habitée. Mais
« la réalité est tout autre », avancent les enquêteurs, qui soutiennent que cinq
essais en particulier ont été marqués par des épisodes de contamination
« significatifs ».

Il en va ainsi d’« Aldébaran », le premier essai nucléaire de la France en
Polynésie, mené le 2 juillet 1966. Les essais atmosphériques sont de loin les plus
contaminants, car les particules qu’ils rejettent sont charriées par le vent. Pour ce
tir, les autorités n’avaient pas inclus les îles Gambier, peuplées de quelque 450
habitants, dans le périmètre à risque, arguant que le vent soufflait ce jour précis
dans une direction opposée. Mais des relevés météorologiques réalisés par
l’armée seulement trois heures avant le test montrent qu’il n’en était rien. La
direction du vent portait en fait vers Mangareva, l’île la plus peuplée de l’archipel.
D’après les préconisations en vigueur à l’époque, rapportent Tomas Statius et
Sébastien Philippe, le tir n’aurait pas dû avoir lieu. Sur place, tout est contaminé.
Les relevés après l’essai indiquent que les produits de fission ont corrompu le sol
et les cours d’eau « à hauteur de 61 millions de becquerels par mètre carré », soit
des niveaux dignes d’un grave accident nucléaire. « Il sera peut-être nécessaire
de minimiser les chiffres réels de manière à ne pas perdre la confiance de la
population », estime dans la foulée le docteur Million, chef de l’expédition
scientifique envoyé dans les îles Gambier pour évaluer les dégâts.
Des pluies radioactives
Cinq ans plus tard, rebelote avec « Encelade », le 24e essai atmosphérique de
l’armée française en Polynésie. L’explosion de la bombe, le 12 juin 1971, dégage
une énergie équivalente à trente fois celle d’Hiroshima. Or les 68 habitants de
l’atoll de Tureia, pourtant situé selon les cartes militaires dans une « zone
interdite », n’ont pas été évacués. Quelques heures après la détonation de la
bombe, le nuage atomique atteint Tureia, alors que des pluies abondantes
tombent sur l’île. C’est un scénario catastrophe. L’eau, chargée de particules
radioactives, se répand partout, notamment dans les citernes utilisées par la
population pour s’abreuver. Mais personne n’alerte les insulaires sur les dangers
qu’ils encourent.

Quant à « Centaure », le 17 juillet 1974, il est l’un des derniers essais français à
l’air libre – par la suite, l’armée optera pour des tirs souterrains. À partir des
mesures effectuées à l’époque, Sébastien Philippe est parvenu à modéliser le
nuage atomique issu de l’explosion ainsi que sa trajectoire heure par heure. Les
résultats sont édifiants : ils indiquent que les poussières radioactives ont été
transportées par les vents jusqu’à Papeete, la capitale polynésienne. Une fois de
plus, aucune mesure n’est prise pour abriter la population, ni même l’informer.
Conséquence : la totalité des habitants de Tahiti et des îles alentour aurait été
exposée à une dose supérieure à 1 millisievert (mSv), le niveau d’exposition
retenu pour être considéré victime des essais nucléaires. Au moins 110 000
personnes pourraient ainsi demander réparation à l’État, si elles contractaient
l’une des 23 maladies reconnues comme liées aux retombées. À titre de
comparaison, seuls 416 dossiers ont été enregistrés pour la Polynésie par le
Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen, créé en 2010
par la loi Morin). Parmi ces derniers, 197 ont été acceptés.

Un “cluster” de cancers thyroïdiens
Dans leur enquête, les auteurs révèlent l’existence d’un rapport officiel du
ministère de la Santé polynésien. Daté de février 2020, il fait état d’un « cluster
(foyer, NDLR) de cancers thyroïdiens focalisés au niveau des îles soumises à des
retombées lors des tirs aériens », notamment dans l’archipel des Gambier. Cela
« laisse peu de doute sur le rôle des rayonnements ionisants, et notamment de
l’exposition thyroïdienne à l’iode radioactif, dans la survenue de cet excès de
cancers », note le médecin auteur du rapport. Outre la culture du secret autour
des effets des essais atomiques, les auteurs de Toxique dénoncent le
« mensonge » et la « négligence » qui ont accompagné les tirs atmosphériques.
Rejoignant en cela les dirigeants de l’Église protestante Mäòhi, ils dénoncent
« l’opacité totale » du Civen et la « farce » des indemnisations, tant leur nombre a
été faible jusqu’ici. Le Civen argue de la difficulté de prouver qu’une maladie a
été causée de façon certaine par l’exposition aux retombées radioactives.

Le gouvernement français, lui, n’a pas réagi à ce jour aux révélations de
l’enquête.

À lire

Sébastien Philippe et Tomas Statius, Toxique. Enquête sur les essais
nucléaires français en Polynésie, PUF, 2021, 192 p., 15 €.

Une      enquête   également       disponible      sur   le   site   :   moruroa-
files.org/fr/investigation/moruroa-files

  Essais nucléaires : l’Église protestante de Polynésie défend les victimes

  Polynésie française : l’impact environnemental et humain des essais nucléaires

  Sahara et Polynésie : la question de l’indemnisation des victimes des essais
  nucléaires

  Nucléaire militaire, à quand le débat ?
Publié le 31 août 2018(Mise à jour le 29/08)
Par Céline Borello

Essais nucléaires : l’Église
protestante de Polynésie défend
les victimes
Où l’on reparle des essais nucléaires en Polynésie française pratiqués la première
fois en 1966.

Pour nombre de protestants français, le 24 août reste lié au massacre de la Saint-
Barthélemy de 1572. Pour ceux dont le cadre de vie est la Polynésie française, ce
jour renvoie également aux essais nucléaires menés par la métropole de 1966 à
1996.

En effet, il y a 50 ans, le 24 août 1968, l’opération Canopus lance la première
bombe H sur l’atoll de Fangataufa. Ce trentième tir survient après des essais qui
ont d’abord débuté dans le Sahara algérien pour se poursuivre, à partir de 1964,
avec le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), dont le quartier général se
situe à Tahiti. Dès juillet 1966, un premier tir aérien au-dessus de Mururoa avait
été lancé, avec une nocivité extrême pour les populations locales et militaires,
révélée bien plus tard. Le tir de 1968 représente le premier test par la France
d’une arme à fusion nucléaire dans le cadre d’une course aux armements que
connaît alors le monde en pleine « guerre froide ».

Dans une histoire nucléaire de la France outre-mer qui reste encore à écrire (les
archives ne s’ouvrent que peu à peu), les protestants polynésiens ne restent pas
inactifs. On retient ainsi la figure de John Doom, ancien secrétaire général de
l’Église protestante Ma’ohi (EPM), la plus grande Église réformée de la Polynésie
française. Jeune diacre, il fut parmi les opposants à l’installation du CEP et mena
un combat constant pour faire reconnaître les effets néfastes de ces essais
nucléaires. Parmi les fondateurs, en 2001, de l’association Moruroa e Tatou, il
œuvra pour la loi Morin de 2010 ouvrant l’indemnisation des victimes des essais.
Au-delà de son action, l’EPM souhaita porter plainte, en 2016, devant la Cour
pénale internationale contre la France pour crime contre l’humanité pour les
essais en Polynésie.

Et, lors de son dernier synode tenu en juillet 2018, la question nucléaire fut au
cœur de ses discussions, faisant de cette Église un acteur essentiel dans la
reconnaissance des conséquences de la politique nucléaire sur le sol et les
habitants de la Polynésie française.

Publié le 23 avril 2018(Mise à jour le 24/04)
Par Adama Sissoko
Les particularités du pastorat
féminin en Polynésie française
Entretien avec Gwendoline Malogne-Fer, sociologue et spécialiste du
protestantisme en Polynésie.

Qu’est-ce qui a favorisé l’accès des femmes protestantes au pastorat, en
1995, en Polynésie française ?

Les épouses de pasteurs étaient autorisées depuis les années 1970 à suivre les
mêmes cours que leur mari, à l’école pastorale de Papeete. Elles avaient donc les
mêmes compétences en théologie. Surtout, celles impliquées dans le mouvement
œcuménique au niveau du Pacifique se sont rendu compte que d’autres églises de
la région, et notamment de Polynésie (Tonga, Niue), avaient déjà des femmes
pasteures. Ce qui a été un argument en faveur de l’accès des femmes au pastorat.

Qu’est-ce que l’accès de la femme au pastorat change dans les relations
conjugales ?

En Polynésie française, les pasteurs sont tous mariés et le divorce n’est pas
autorisé. Il s’agit de prouver à travers une situation familiale et maritale
exemplaire, la profondeur de la foi chrétienne. Cette exigence vaut pour les
femmes pasteures, ce qui a eu pour effet de placer les maris dans une situation
parfois inconfortable parce qu’ils n’ont pas de place précise en paroisse.

Beaucoup d’églises pentecôtistes comme les assemblées de Dieu aux états-Unis
consacrent le couple, le mari étant généralement pasteur senior et la femme
« simple » pasteure. Cela permet de concilier l’accès des femmes au pastorat et
de maintenir une hiérarchie de genre au sein du couple. Car ce qui pose
problème, finalement, c’est l’idée que la femme puisse avoir autorité sur l’homme.

Les femmes rencontrées justifient l’égalité avec les hommes en
s’appuyant sur la Bible. Mais certains passages vont servir de justification
à la soumission de la femme…

Les versets bibliques n’existent pas indépendamment des interprétations qui en
sont faites. Ils sont toujours à replacer dans un contexte social, historique,
culturel particulier. Les questions de la soumission de la femme, et plus
largement des relations entre les hommes et les femmes au sein du couple, ne
sont pas débattues de façon abstraite mais en lien direct avec les croyances et les
pratiques des individus et les enjeux de pouvoir. Par exemple, les femmes qui
vivent avec des maris non-chrétiens ou non-pratiquants peuvent toujours mettre
en avant le fait que leur conjoint n’est pas converti ou n’a pas un comportement
exemplaire pour remettre en cause l’autorité de ce dernier au sein du couple.

L’accès des femmes au pastorat s’est-il heurté à des réticences de la part
des fidèles et des pasteurs ?

Une femme peut devenir pasteure d’une assemblée ou d’une paroisse sans pour
autant mettre en avant le principe d’égalité des sexes. Il peut s’agir d’un « appel
personnel » sans revendication particulière, d’un parcours individuel exceptionnel
plutôt qu’exemplaire. Les réactions d’opposition des fidèles et des collègues,
lorsqu’elles existent, prennent des formes variées selon les situations et les
contextes. D’une manière générale, l’accès des femmes au pastorat suscite des
tensions autant intergénérationnelles que liées au genre.

Les femmes ont-elles une manière différente de prêcher ?

Les femmes mettent généralement davantage en avant une parole de l’intime.
Elles utilisent le registre du témoignage personnel, plutôt qu’une prédication en
chaire ou une leçon professorale. Ce mode d’expression n’a rien à voir avec une
quelconque « nature » féminine. Il s’agit pour ces femmes de rendre leurs propos
audibles et légitimes, c’est-à-dire de se conformer à ce que l’auditoire attend
d’elles.

La chercheuse Maïté Maskens parle de « féminisme implicite ». Qu’en
pensez-vous ?

Les travaux de Maïté Maskens sont passionnants. Le terme de féminisme est d’un
usage difficile pour deux raisons principales : il est souvent associé aux
mouvements féministes radicaux des années 1970. Et les mouvements féministes,
notamment en France, sont très critiques vis-à-vis des religions. Ils les
considèrent habituellement comme des lieux d’oppression des femmes. Ce que
décrit Maïté Maskens correspond à des espaces d’entre-soi féminins où les
femmes peuvent partager leurs expériences personnelles et leurs problèmes
quotidiens. Ce sont aussi des espaces où les femmes peuvent s’autoriser des
paroles critiques et où les questions des rapports de genre dans le couple ou dans
l’église sont plus librement débattues.

Propos recueillis par Adama Sissoko

À lire
Les femmes dans l’Église protestante mâ’ohi. Religion, genre et pouvoir
en Polynésie française, Gwendoline Malogne-Fer, Karthala, 2007

Femmes et Pentecôtismes, Enjeux d’autorité et rapports de genre, Yannick
Fer et Gwendoline Malogne-Fer, Labor et Fides, 2015

Publié le 23 juin 2016(Mise à jour le 3/01)
Par Martine Lecoq

Daniel Margueron : de l’oraliture à
l’écriture
Homme de lettres, océanien depuis quarante ans, il nous introduit dans une
création littéraire polynésienne en quête d’elle-même.
De mère hollandaise, de père à demi italien, protestant par conviction, Daniel
Margueron grandit à Paris avant de faire ses premiers pas professionnels comme
professeur de lettres au Collège du Chambon-sur-Lignon. Sur ce plateau cévenol
qu’il trouve magnifique, mais si froid ! Le département de la Drôme, où il
enseigne ensuite, lui conviendra mieux. Et en 1975, par le biais du DEFAP
(Département évangélique français d’action apostolique), un climat plus chaud
encore l’attend en Polynésie française. Il imaginait cet atterrissage comme une
transition ; il y vit depuis quarante ans.

Toujours en lettres, le voici professeur au collège Pomaré-IV, dans le centre de
Tahiti. Puis directeur adjoint en 1988 quand le collège devient lycée-collège. À
partir de 1994, le nombre d’élèves augmente si vite qu’un nouveau lycée
s’impose. Construit à trois kilomètres de la ville, il emprunte son nom au premier
président polynésien de l’Église protestante : Samuel Raapoto.

L’enseignement protestant

Inauguré en 2000, Daniel Margueron en assure la direction jusqu’à sa retraite.
« L’enseignement protestant en Polynésie est populaire, dit-il, à la différence de
l’enseignement catholique devenu celui de l’élite. Quant à l’enseignement d’État,
c’est plutôt celui des Français. Mon objectif était de relever la réputation du
lycée, tombée très bas. » En offrant à ses élèves plus défavorisés de meilleures
conditions scolaires, Daniel Margueron réussit, en quelques années, à remonter la
pente. Son lycée devient (ce qui fait sa fierté) un exemple de succès rapide aux
examens.

À Tahiti, le protestantisme demeure majoritaire, mais en légère perte de vitesse.
De tous les courants religieux représentés, il est pourtant celui qui approfondit le
plus son lien avec la culture locale. Cette perte d’influence s’explique en partie
par le développement de l’Église catholique mais, surtout, par l’essor de l’Église
mormone, conséquence d’une forte présence américaine.

En quarante ans, Daniel Margueron a pu épouser le tournant sociologique et
culturel qui marque l’histoire de la Polynésie. Amoureux des mots, il relit d’abord
quelques-uns parmi les milliers d’ouvrages écrits sur elle depuis les Lumières. À
commencer par ceux des explorateurs Bougainville ou Cook. Au XVIIIe siècle, en
effet, se forge le mythe tahitien, celui du « bon sauvage » et de la « permissivité
sexuelle ».
Aux siècles suivants, les choses évoluent grâce à des écrivains comme Loti,
Segalen, Giraudoux, Gary. « Il n’y avait pas eu de travaux généralistes sur le
sujet, confie Daniel Margueron. J’ai soutenu en 1986 une thèse à Créteil parue
ensuite sous forme de livre, Tahiti dans toute sa littérature. À cette époque, très
peu de textes avaient été écrits par les Polynésiens eux-mêmes. C’était une
littérature de l’ailleurs, du voyage, de l’exotisme. »

D’où son approche actuelle : rendre compte de la subite et intarissable croissance
de la littérature autochtone depuis une trentaine d’années. À cet effet, il vient,
dans un nouveau livre, Flots d’encre sur Tahiti, de globaliser et référencer une
centaine d’œuvres du « cru ».

Henri Hiro, pasteur/poète, avait été une grande figure engagée de cette
renaissance. Chantre de l’avenir en même temps que celui d’un retour aux
sources désoccidentalisé. Mais cette renaissance a compté aussi beaucoup de
femmes. Leur avidité d’apprendre, de se libérer d’un système familial puissant et
souvent écrasant y a contribué. Elles se sont faites poétesses.

Littérature autochtone

Il est important de noter d’ailleurs que, dans tous les pays d’émergence, la poésie
est le genre littéraire qui surgit en premier. Les autres genres ont suivi, même si
le récit de vie domine. Aujourd’hui, la littérature polynésienne ne révèle peut-être
pas encore tout ce qu’elle recèle dans ses profondeurs car la question identitaire,
omniprésente, les masque. On peut seulement affirmer qu’elle reflète la société,
et une grande résistance à cette société.

Ces écrivains vivants, Daniel Margueron les a tous rencontrés : « Ils sont très
susceptibles. Comme beaucoup d’auteurs, mais ici encore plus. Cela dit, c’est
passionnant de voir comment les Polynésiens se réapproprient l’histoire et
l’écriture francophones. La culture polynésienne est traditionnellement orale. »

Comment passer de « l’oraliture » à l’écriture ? Comment faire d’une langue
scolaire une langue littéraire ? Le faire sans rancœur alors que les langues
locales, comme le tahitien ou le marquisien, toujours parlées dans la vie courante,
ne sont pas reconnues officiellement ? Comment percevoir une histoire coloniale
jusqu’à présent écrite par les Européens ?

Cette littérature autochtone a également du mal à émerger en France. « C’est
toujours le rêve polynésien qui intéresse, non la réalité, explique Daniel
Margueron, alors que le pays est à la fois très traditionnel et très moderne, avec
sa violence, ses conflits sociaux postcoloniaux. Notre imaginaire îlien nous vient
de la Grèce. La notion d’insularité est très occidentale. Eux, c’est leur pays. Ils ne
sont donc pas dans le mythe de l’île. On assiste à une littérature qui se relocalise.
Je pense à cette phrase de Deleuze : « L’écrit, c’est se re-territorialiser. »

Pas facile dans un pays qui se cherche. La Polynésie française confronte des
classes sociales contrastées. La plus privilégiée est celle des fonctionnaires dans
un des derniers territoires d’outre-mer à ne pas payer d’impôts sur le revenu (ou
si peu). La classe populaire grandit ; le chômage sévit car il n’y a guère de
développement. Le pays, immense par sa superficie, ne compte que 280 000
habitants.

La boîte de Pandore nucléaire

Sur le plan politique, on ne parle pas de gauche ou de droite, mais d’autonomistes
(partisans du système actuel) ou d’indépendantistes qui souhaitent la séparation
d’avec la France. Or la Polynésie vit surtout de l’aide française. À l’époque des
essais nucléaires, elle a reçu beaucoup d’argent. On disait alors que la bombe
était « propre ». On sait depuis longtemps que c’est faux, mais officiellement, on
commence seulement à l’avouer. Le président Hollande, à Tahiti en février, est le
premier à en avoir reconnu à haute voix les effets nocifs.

Depuis longtemps aussi persiste un conflit autour de l’indemnisation des victimes.
« Une première loi en 2010 a été signée, mais c’est une usine à gaz, raconte
Daniel Margueron, les gens doivent prouver par eux-mêmes qu’ils ont été
irradiés. Or c’est impossible, car l’armée a tous les documents. Le gouvernement
français avait promis en 2012 de revoir la loi, mais il hésite à rouvrir la boîte de
Pandore. »

Antidote suprême, la beauté du lieu naturel, semblable à l’intérieur d’une coupe
en or selon le peintre Matisse, continue de faire oublier, par l’espace imaginatif
qu’elle laisse entrevoir, la cruelle réalité.

Un « merveilleux » qui, pour Daniel Margueron, se conjugue parfaitement avec
celui des récits bibliques : « Je voudrais pouvoir raconter la Bible à mes petits-
enfants comme des contes, des légendes qui font rêver… »
Publié le 3 mars 2016(Mise à jour le 9/03)
Par Louis Fraysse

Polynésie française : l’impact
environnemental et humain des
essais nucléaires
Lors de sa visite à Tahiti, François Hollande a été confronté à la question des
conséquences des essais nucléaires français.

« Mesdames et messieurs, je veux pour terminer aborder le sujet sensible, grave,
des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. » L’instant, en ce
lundi 22 février à Papeete, chef-lieu de Tahiti, est solennel. François Hollande, en
déplacement présidentiel en Polynésie – une première depuis 2003 –, a attendu la
fin de son discours pour traiter de cette question qui gangrène les relations entre
la métropole et ce lointain territoire d’outre-mer depuis près de cinquante ans.

« Sans la Polynésie française, la France ne se serait pas dotée de l’arme nucléaire
et donc de la force de dissuasion », a poursuivi François Hollande, avant de
reconnaître que les essais menés entre 1966 et 1996 avaient eu « un impact
environnemental », et « provoqué des conséquences sanitaires ». Cette
reconnaissance solennelle, par un président de la République en exercice en visite
sur place, était attendue par les élus et par la société civile.

De 1960 à 1996, la France a réalisé 210 essais nucléaires, dont 193 en Polynésie.
Parmi ces derniers, 46 ont été effectués dans l’atmosphère. À partir de 1974, il
est décidé de ne plus réaliser que des essais souterrains – 147 jusqu’en 1996,
sous les lagons des atolls de Moruroa et Fangataufa. Depuis la ratification par la
France du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1996,
Paris s’est engagé à ne plus en réaliser et à démanteler son centre d’essais.

La loi Morin
Dans les décennies qui ont suivi les essais, les populations polynésiennes ainsi
que les personnels civils et militaires employés par l’armée ont commencé à
s’interroger sur l’apparition d’un certain nombre de pathologies, notamment des
cancers. Les soupçons se sont rapidement tournés vers l’arme atomique.

Après qu’un rapport de 2006 du ministère de la Défense eut admis l’existence de
contamination radioactive lors de plusieurs essais au Sahara et en Polynésie, le
Parlement adopte la loi Morin, le 5 janvier 2010. Elle doit permettre
l’indemnisation des victimes, vivantes ou décédées, des essais nucléaires français.
Chez les familles de victimes, l’espoir d’une réparation est grand.

La loi donne notamment naissance au Civen (Comité d’indemnisation des victimes
des essais nucléaires), qui instruit les dossiers. Mais six ans après sa naissance,
ce dernier n’a accordé que 20 indemnisations… sur 1 044 dossiers déposés
(chiffres au 31 janvier 2016). Comment l’expliquer ?

« Le Civen a été créé afin de déterminer, au cas par cas, l’existence d’une
quelconque relation de causalité entre la présence d’une personne à un endroit et
à un instant donné et l’apparition chez cette personne d’une maladie quinze, vingt
ou trente ans plus tard, détaille Denis Prieur, président du Civen. La méthode
d’instruction des dossiers que nous avons mise au point suit les préconisations de
l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique. Le décalage entre le
nombre de dossiers instruits et le nombre d’indemnisations s’explique notamment
par le fait qu’un nombre important des maladies survenues sont des maladies
“sans signature”, des maladies dont on ne peut attribuer l’apparition à un facteur
en particulier. »
La méthodologie employée par le Civen est toutefois critiquée par plusieurs
organisations, comme l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), qui
souhaitent établir une « présomption de lien » entre les maladies des vétérans et
des populations et leur présence sur les sites d’expérimentation nucléaire.

Risque négligeable
Dans la loi Morin, il est inscrit que l’intéressé bénéficie, « si les conditions […]
sont réunies, » d’une « présomption de causalité » … à moins « qu’au regard de la
nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux
essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable ».

Le flou qui entoure la définition de ce dernier mot est un frein à l’indemnisation
de nombreuses victimes, notamment en Polynésie. Dans son discours, François
Hollande a déclaré que le traitement des demandes d’indemnisation serait
« revu ». Plus précisément, le président a affirmé souhaiter « modifier le décret
d’application [de la loi Morin] pour préciser la notion de risque négligeable pour
certaines catégories de victimes, lorsqu’il est démontré que les mesures de
surveillance indispensables n’avaient pas été mises en place. »

« Avec cette déclaration, nous restons dans le flou complet, déplore Bruno
Barrillot, cofondateur de l’Observatoire des armements, centre d’expertise
spécialisé sur les questions de défense et sur le nucléaire. Que signifie “préciser”
la notion de risque négligeable ? Qui exactement en bénéficiera ? D’ici à ce que ce
décret soit publié au Journal Officiel, François Hollande ne sera peut-être plus
président… ».

En pointe dans la lutte pour « le droit à l’information » des victimes et leur
indemnisation, l’association Moruroa e tatou (« Moruroa et nous ») a fait part de
son scepticisme face aux déclarations du chef de l’État, soupçonné d’être venu en
Polynésie « pour sa campagne électorale ». L’association, qui siège dans les
locaux de l’Église protestante Maohi (ex-Église évangélique de Polynésie
française), demande un retrait pur et simple de la notion de « risque
négligeable ».
L’opposition des protestants
« En Polynésie, les protestants ont été parmi les premiers opposants aux essais
nucléaires, et ce avant même qu’ils ne débutent !, rapporte Bruno Barrillot, qui a
vécu huit ans sur place. Il a fallu l’intervention expresse auprès du général de
Gaulle de Marc Boegner, alors président de la Fédération protestante de France,
pour empêcher l’exil du pasteur Jean Adnet. Dans l’édition de janvier 1963 du
journal de l’Église évangélique de Polynésie française, ce dernier avait demandé
la tenue d’une enquête locale sur l’implantation du centre d’expérimentation du
Pacifique (CEP), habilité à mener les essais nucléaires. Cela avait fortement déplu
au chef de l’État. »

En 1982, le synode de l’Église évangélique de Polynésie française – Église
majoritaire sur ce territoire – vote une décision demandant aux autorités l’arrêt
des essais nucléaires en Polynésie. Depuis, chaque année, le synode poursuit son
action de plaidoyer auprès des pouvoirs publics. En 2015, il rappelait ainsi le
« manque de respect de l’État français à l’égard du peuple Maohi [polynésien,
ndlr] » du fait de la conservation de déchets nucléaires dans les îles de Moruroa
et Fangataufa.

François Hollande a promis que ces deux atolls seraient soumis à une « vigilance
méticuleuse ». Il s’est également engagé à ce que l’État accompagne le
développement du service d’oncologie de centre hospitalier de Tahiti. Tout en
indiquant vouloir sanctuariser la « dotation globale d’autonomie », somme
annuelle versée surnommée « dette nucléaire », le président a émis le souhait de
« tourner la page du nucléaire ».

Une déclaration qui tient du vœu pieux dans l’archipel, alors que le 2 juillet 2016
sera célébré le cinquantième anniversaire du premier essai atomique français en
Polynésie.
Publié le 21 octobre 2004(Mise à jour le 16/07)
Par Benoît Hervieu-Léger

L’autonomie sous contrôle
Président de l’Eglise évangélique de Polynésie française (EEPF), le pasteur
Jacques Ihoraï analyse sans complaisance la crise institutionnelle qui traverse
aujourd’hui le territoire.

Un vent de Nouvelle-Calédonie soufflerait-il sur l’archipel de Polynésie française
? Force est de constater, et sans mauvais jeu de mots, que la manifestation inédite
de dimanche à Papeete (20 000 personnes) a brillé par son caractère… pacifique.
Bien loin, donc, des affrontements communautaires qui avaient ensanglanté le
caillou calédonien dans les années 80. Mais force est de constater aussi que la
crise politique qui traverse le territoire d’outre-mer (TOM) pourrait bien marquer
un tournant.

Le 24 mai dernier, les électeurs polynésiens étaient appelés à élire l’Assemblée
territoriale. Malgré un découpage électoral a priori défavorable à la coalition
indépendantiste, celle-ci remporte d’un siège (29 sur un total de 57) la majorité
dans l’hémicycle et son chef de file, Oscar Temaru, est désigné en conséquence
comme président de l’exécutif local. Le 9 octobre, coup de théâtre : une motion de
censure renverse le gouvernement Temaru. L’événement a coïncidé, à quelques
jours près, avec la demande par le nouvel exécutif d’un audit sur les vingt ans de
présidence de Gaston Flosse. Favori de l’Elysée, ancien secrétaire d’Etat chargé
du Pacifique Sud sous la première cohabitation (1986-1988), ce dernier comptait
bien récupérer son fauteuil à l’issue de la convocation de l’Assemblée mardi 19
octobre. Mais Oscar Temaru et une large frange de la population réclament la
dissolution de l’Assemblée territoriale et de nouvelles élections, seules
susceptibles de clarifier la situation. Contre l’avis de l’Elysée. Nous en sommes là
aujourd’hui.
Président de l’Eglise évangélique de Polynésie française, Jacques Ihoraï se défend
de « faire de la politique », mais ne se retient pas d’analyser une « situation qui
va devenir très difficile ». Autrefois douanier, le pasteur a fait ses classes
professionnelles avec Oscar Temaru, catholique, qu’il soutient sans approuver
toutes ses vues indépendantistes. « La formation d’Oscar Temaru reste à elle
seule minoritaire, explique-t-il. Mais l’alliance assez large qu’elle a suscitée avant
les élections du 24 mai a clairement remporté le scrutin. Ce jour-là, la démocratie
s’est exprimée. L’épisode du 9 octobre s’est passé dans l’hémicycle et pas dans
les urnes. Déjà, le 24 mai, Gaston Flosse a voulu faire annuler l’élection parce
qu’il avait perdu. »

Soutien parisien

Mais, plus que l’humeur mauvaise joueuse d’un président déchu et longtemps
indéboulonnable, c’est le soutien parisien envers ce dernier qui choque le plus le
pasteur. « La population est très émue de voir que Paris a l’air de soutenir ce qui
s’est passé le 9 octobre et qui peut être comparé à un putsch. »

C’est la « gestion Flosse » qui est d’abord en cause. « Le scrutin du 24 mai
s’explique de cette manière, poursuit Jacques Ihoraï. Gaston Flosse a toujours fait
ce qu’il a voulu. Pour lui, le chef a toujours raison et le chef, c’est lui. Son
autocratisme a fini par être sanctionné. » Une attitude qui a valu, dans un passé
récent, quelques éclats de voix entre l’intéressé et le pasteur. « Par exemple,
quand Gaston Flosse achète un atoll ou un avion. Je lui fais remarquer qu’il
devrait demander l’avis du peuple avant d’acheter. Il me répond que les
Polynésiens l’ont élu, donc il fait ce que bon lui semble. Or, ce ne sont pas les
Polynésiens qui l’ont élu, seulement les membres de l’Assemblée. »

Tahitien et fier de l’être, Jacques Ihoraï n’hésite pas à pointer les pratiques «
coloniales » de l’ancien président de l’archipel. « L’attitude de Gaston Flosse n’est
pas tahitienne. Nous avons un esprit et des règles communautaires qui ne sont
pas les siennes. Par exemple, il trouve normal d’exproprier pour cause d’utilité
publique. La loi dite “trentenaire”, qui fait qu’un terrain laissé vacant par une
famille pendant trente ans revient systématiquement à l’Etat, continue de
s’appliquer. Or, pour nous, la terre n’est pas un ensemble de lots à vendre
numérotés. Ça, Gaston Flosse ne l’a jamais compris. » L’héritage royal a la vie
dure dans ce coin du globe, selon le pasteur, qui cite également en exemple « la
règle des cinquante pas du roi, c’est-à-dire l’attribution automatique d’un bout de
plage à l’administration dès lors qu’il est inoccupé », toujours en vigueur aux îles
Marquises. « Je souffre de cela avec mon peuple, assure Jacques Ihoraï. Et c’est
ça qui a fait changer la majorité en mai, plus encore les possibles conséquences
des essais nucléaires [achevés en 1996, ndlr]. » Mais l’issue passe-t-elle alors par
l’indépendance ?

Si la Polynésie française est dotée depuis une loi de 1996 d’un drapeau et d’un
hymne, bat sa propre monnaie, le franc pacifique, et jouit depuis les lois de
décentralisation d’une assez large autonomie politique, sa population n’en est pas
encore à se défaire complètement du lien avec la métropole. « Je ne pense pas
que les Polynésiens veuillent en majorité l’indépendance totale tout de suite,
estime Jacques Ihoraï. Mais si la loi nous permet d’être autonomes et d’exercer
librement notre démocratie locale, alors que cette autonomie et cette démocratie
soient respectées. »

L’autonomie sous contrôle a donc vécu. Les Polynésiens l’ont dit le 24 mai.
L’actuel gouvernement aurait sans doute intérêt à en tenir compte s’il veut
s’épargner de nouveaux « accords de Matignon ».

Un protestantisme enraciné

Déclarée protectorat français en 1842, avant de devenir Territoire d’outre-mer en
1946, la Polynésie française a longtemps été une terre de missions pour les
sociétés d’évangélisation protestantes. « La société des Missions de Londres a
envoyé des pasteurs la première. La société des Missions de Paris a pris le relais
quand la France a récupéré le territoire », rappelle Jacques Ihoraï. Tant et si bien
que le protestantisme bénéficie d’une courte majorité au sein d’une population
totale de 230 000 habitants répartis sur 76 îles. Autonome depuis 1963, l’Eglise
évangélique de Polynésie française (EEPF) représente 65 % des protestants
locaux. Elle compte 75 paroisses, dont cinq bilingues français/tahitien, une
strictement francophone et une de langue chinoise, toutes les autres ne parlant
que la langue véhiculaire. Certains pasteurs ont, semble-t-il, participé dimanche à
la manifestation de Papeete appelant au « Taui ». Au « changement ». C’est-à-dire
à l’après-Gaston Flosse.
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