CREER ET ANIMER GROUPES DE PAROLE - des POUR REPONDRE AUX BESOINS DES FEMMES AYANT SUBI VIOLS ET AUTRES AGRESSIONS SEXUELLES

 
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CREER ET ANIMER
                des
         GROUPES DE PAROLE

    POUR REPONDRE AUX BESOINS DES FEMMES
AYANT SUBI VIOLS ET AUTRES AGRESSIONS SEXUELLES

     Document rédigé par Catherine Morbois et Marie-France Casalis

                                                                     Mai 1997
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                     CREER ET ANIMER
                  DES GROUPES DE PAROLE
         POUR REPONDRE AUX BESOINS DES FEMMES
     AYANT SUBI VIOLS ET AUTRES AGRESSIONS SEXUELLES

                                  SOMMAIRE

                                                                           Pages

I.   Objectifs des groupes de parole                                        4

     1. Origines des groupes de parole
     2. Spécificités
     3. Obstacles et contre-indications.

II   Règles de fonctionnement                                               10

     1. Objectifs de ces règles
     2. Effectif du groupe
     3. Quelques règles.

III. Modalités concrètes                                                    15

     1. Périodicité
     2. Durée, horaire, modes d'accès
     3. Lieu de réunion
     4. Inscription.

IV. L'animation de groupes de parole                                        22

     1. Préalables théoriques et cadre d'analyse de la violence sexuelle
     2. Rôle des animatrices et co-animation
     3. Analyse de la pratique.

V.   Limites et contraintes                                                 27
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    1. Inadéquation aux besoins et attentes
    2. Besoins de prise en charge individuelle
    3. Dangerosité pour autrui.
    4. Dépendances toxicomaniaques.

VI. Méthodologie d'animation                                         30

    A. Pratiques réalisées en France

         1. Mission de coordination de la IVème conférence
            des femmes
         2. Collectif féministe contre le viol
         3. Association européenne contre les violences faites aux
            femmes au travail (A.V.F.T.)
         4. Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF).

    B. Pratiques réalisées au Québec.                                31

         1. Méthode d'animation de "Trève pour elles"
         2. Guide d'intervention du Centre des femmes
         3. Bref aperçu des progrès de formation.
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                                              I
                 OBJECTIFS DES GROUPES DE PAROLE

1. Origines des groupes de parole

La pratique de se réunir entre femmes d'âges, d'origines, de milieux économiques et
sociaux divers, pour réfléchir et agir solidairement face aux inégalités et discriminations
faites aux femmes a été fortement développée dans le Mouvement des femmes au cours
des années 70. Cette initiative féministe a permis la prise de conscience collective à la fois
de l'oppression des femmes et de leur force lorsqu'elles s'organisent pour y mettre un
terme.

C'est cette même démarche que visent les groupes de parole, qu'on les désigne sous les
termes de : groupes d'entr'aide, groupes de solidarité, groupes de soutien, groupes de
croissance, groupes de support, groupes de partage..

Les bénéfices de ces partages solidaires et de ces stratégies collectives ont été tels , qu'au-
delà des réseaux féministes d'autres personnes confrontées à de graves épreuves
travaillent en groupes d'expression dans la même perspective : analyser une situation
d'oppression et s'organiser pour s'en libérer. Ainsi depuis plus de 10 ans, les associations
de Lutte contre le Sida développent ces pratiques et les diffusent dans de nombreux pays.

Dans la lutte contre les violences faites aux femmes en Amérique du Nord (que ce soit aux
Etats-Unis ou au Canada), en Scandinavie, en Australie, en Grande-Bretagne ce mode d'aide
psychologique est le plus répandu pour les victimes de violence sexuelle et leur entourage.
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En France, depuis mars 1987, le Collecti f fémi niste contre le viol anime des groupes de
parole et forme des relais en province pour que la possibilité de participer à un groupe
soit accessible aux femmes qui le souhaitent. Le Mouvement fr ançais pour le Planning
fami lial, membre de ce collectif, anime ainsi des groupes dans diverses villes.
L'Asssociation européenne contre les violences faites aux femmes au travai l (AVFT)
engagée notamment dans la lutte contre le harcèlement sexuel a également mis en place
des groupes de parole (depuis 1996). Solidarité-Femmes anime aussi des groupes ouverts
aux femmes confrontées à la violence d'un conjoint.

2. Spécificités

Fondés sur la solidarité, agissant dans une dynamique de libération, les groupes de parole
s'avèrent des outils précieux pour les femmes victimes d'agressions à caractère sexuel, leur
permettant par l'énergie issue de l'empathie collective de dynamiser leur démarche
personnelle pour surmonter les effets du viol.

Solidaires et ensemble
Dans ces groupes participantes et animatrices travaillent au même niveau. Il n'y a pas d'un
côté des "victimes", de l'autre des "spécialistes" censées savoir, connaître et dispenser.
Certes les animatrices ont acquis et développé des compétences en matière d'écoute et
d'animation et des connaissances sur les processus psychologiques liés au traumatisme et
au travail de reconstruction de soi mais elles reconnaissent à la personne concernée est la
mieux à même d'élaborer ce dont elle a besoin.

Le groupe réunit des femmes confrontées à des expressions différentes de la violence
sexiste omniprésente dans l'organisation sociale (éducation différenciée, rôles et tâches sexués,
orientation des filles, place des femmes au travail et dans la société, exploitation sexiste de l'image des femmes etc...).
Diverses, nombreuses ces manifestations découlent de la même origine : domination et
contrôle d'un sexe sur l'autre, des hommes à l'encontre des femmes.

Ce cadre de solidarité implique que chaque participante est responsable à la fois de son
cheminement personnel et du cheminement du groupe.

De l'isolement à la conscientisation collective
Les atteintes et agressions sexuelles, dont le viol, provoquent de lourdes conséquences.
Parmi celles-ci le sentiment d'être étrangère, différente, coupée du monde est une des atteintes les
plus communément ressenties. Une femme qui a été violée se ressent comme souillée et
stigmatisée par la violation de son intégrité physique et psychique.

Ces sentiments suscitent le silence et la non-dénonciation des violences sexuelles. Des
évolutions importantes se sont développées dans la dernière décennie. Ainsi, en France,
l'année 1986 a marqué le début de la dénonciation des viols par inceste.

Afin de protéger les enfants d'aujourd'hui des femmes adultes ont trouvé le courage de
dénoncer et relater ce qu'elles avaient subi dans leur enfance. Les deux premiers livres :
"De la honte à la colère" de Viviane Clarac et Nicole Bonnin (1985), "Le viol du
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silence" d'Eva Thomas (1987) et leurs témoignages, fortement relayés par les médias ont
créé une brèche permettant à d'autres femmes de briser le silence qui leur était imposé.

Ces femmes ont été des centaines à appeler la permanence téléphonique Viols-femmes-
informations (08 00 05 95 95) à partir de septembre 1986. Elles ont exprimé leur
besoin de rencontrer d'autres femmes ayant subi des viols perpétrés par leur père, grand-
père ou frère.

Le Collectif féministe contre le viol organisa à leur demande les premiers groupes de
parole ouverts aux femmes victimes de viols par inceste. Par la suite d'autres groupes ont
été ouverts pour les femmes victimes de viols perpétrés par des agresseurs n'appartenant
pas au cercle familial.

De la solitude à la solidarité
La rencontre avec d'autres, l'expression et la mise en commun des faits subis, des
violences, des humiliations, des émotions, des atteintes, des effets conduit à reconnaître
dans l'autre une femme semblable à soi, confrontée à la même violation, souffrant des
mêmes terreurs, éprouvant les mêmes désespoirs.

Ce qu'on pensait inutile pour soi apparaît dès lors nécessaire pour l'autre et, en l'aidant,
chacune s'aide elle-même à retrouver l'estime et l'amour de soi.

"De la honte à la colère"
L'éducation des filles, la culture dominante ont plus souvent incité les victimes d'agression
sexuelle à se cacher dans la honte d'une souillure et à se considérer comme responsables
des viols dont elles étaient victimes. Le passage de cette honte à la colère, l'expression de
la révolte marquent une étape de grande importance dans la démarche de restauration de
l'identité et de l'intégrité psychique des personnes violées.
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3. Obstacles et contre-indications

Le travail en groupe n'est pas adapté à toute victime, comme il n'est pas adapté à toute
intervenante.

Du côté des femmes qui souhaitent participer à un groupe de parole
Les atteintes consécutives aux agressions sexuelles sont graves et profondes
particulièrement lorsqu'il s'agit de viols répétés commis par le père ou un membre de la
famille pendant des années à l'encontre d'une enfant. Pour surmonter ces années
d'épreuve les personnes qui y sont confrontées ont dû développer des mécanismes
complexes qui parfois peuvent devenir des handicaps à une démarche collective où
s'impose la nécessité de prendre l'autre en considération et de s'intéresser à sa démarche.

Il est de la responsabilité des organisatrices d'accorder un soin particulier aux demandes
de participation et d'être très claires sur les conditions et règles de fonctionnement afin de
pouvoir mettre fin à la participation de quelqu'un qui, en n'étant pas en mesure de
prendre en considération les autres se révélerait comme destructeur, voire dangereux,
pour les autres membres du groupe.

Du côté des intervenantes qui s'engagent dans l'animation de groupes de parole
L'animation de groupes ouverts aux victimes d'agression sexuelle est un travail qui met en
jeu la personnalité et la philosophie de chacune.

Pour les animatrices il est essentiel d'avoir pu, dans leur équipe, mettre au clair et exprimer
leur conception de la relation homme-femme, de la violence sexuelle, du rôle de la justice,
des capacités des victimes à surmonter les traumatismes subis. Si cette mise en commun et
les réactions qu'elle provoque sont négativement ressenties, sans doute sera-t-il difficile de
recevoir et accepter l'expression des membres du groupe de parole.

Leur engagement dans cette action s'appuie sur la conviction que, victimes d'agressions
sexuelles, les femmes violentées n'en deviennent pas pour autant des victimes-à-vie.
L'ensemble du travail de soutien se conçoit dans la perspective de travailler jusqu'au
rétablissement de la personne dans son identité, sa vie, son équilibre.
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Obstacles particuliers
L'expérience a montré qu'en l'état actuel des pratiques des intervenantes françaises, il
s'avère difficile pour elles de gérer dans le même groupe les attentes et besoins de femmes
confrontées à des agressions sexuelles très variées dans leur manifestation.

Il peut être difficile d'exposer des faits de violence sexuelle très divers quant à l'exercice de
la violence. Exhibitionnisme, attouchements, viols par inceste, viols subis à l'âge adulte
toutes ces formes de violence sexuelle sont graves et destructrices mais à des niveaux
différents. Il n'est pas aisé dans un groupe d'éviter un réflexe de classement par ordre de
gravité qui risque d'entraver l'expression de certaines et une identification restructurante
solidaire.

La même difficulté peut se retrouver lorsque le groupe accueille des femmes confrontées
à la violence d'un conjoint et d'autres confrontées à des agressions sexuelles. Ceci, alors
même que la violence sexuelle est partie intégrante de la violence conjugale.

Spécificités québécoises
Si ces difficultés sont encore des obstacles pour la plupart des organisations qui animent
en France des groupes de parole il n'en est pas de même partout. Au Québec se
retrouvent les deux modalités : groupes de parole regroupant des femmes selon le type
d'agression et groupes réunissant des femmes victimes de toutes formes de violence
sexiste.

Pour les animatrices de ces derniers groupes elles soulignent que les participantes réunies
manifestent de fortes aspirations à analyser et travailler ce qui leur est commun en ne
développant ni hiérarchisation ni différenciation séparatrices.

Le contenu des groupes de parole est au Québec essentiellement centré sur les effets
actuels des violences sexuelles subies et les moyens de se libérer de ces handicaps
émotionnels, affectifs, sexuels, relationnels. L'indispensable relation des faits de violence
eux-mêmes est souvent faite dans une phase préalable au groupe de parole, soit avec une-
un thérapeute, soit dans la période d'attente avant la possibilité de participer à un groupe
de parole.
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La demande de participation à des groupes de parole est très importante au Canada. A
Ottawa (Ontario) par exemple, bien qu'une dizaine de groupes de parole fonctionnent
simultanément, le délai d'attente est de l'ordre de 8 à 12 mois. Cette situation a conduit à
mettre en place des sessions d'accueil immédiat après l'agression sexuelle, ou d'accueil
immédiat quand s'exprime la demande de soutien. Le programme de ces sessions est
adapté à cette phase particulière et déterminante. Une intervention compétente
immédiatement après les faits réduit considérablement les risques de séquelles
traumatiques à long terme , séquelles dont certaines sont lourdement invalidantes.

Des avancées récentes
En France, l'existence et le développement de services médico-judiciaires habilités à
recevoir les victimes d'agressions et de viols sont à l'origine des progrès qui se font jour
actuellement. L'intérêt majeur d'une prise en charge immédiate après l'agression a de plus
été confirmée et largement médiatisée à partir des soins dispensés aux victimes d'attentats
terroristes.

Avant la décennie actuelle, seuls les psychiatres militaires développaient des compétences
adaptées aux traumatismes de guerre et d'agression violente. Leurs savoirs sont désormais
partagés par des praticiens engagés dans l'accueil des victimes de catastrophes, d'attentats
et des victimes de viols et autres agressions sexuelles.
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                                          II
                        REGLES DE FONCTIONNEMENT

1. Objectifs de ces règles

Chaque groupe forme un ensemble unique qui présente des caractéristiques propres. La
pratique a permis de dégager un certain nombre de conditions qui facilitent le
développement de la réflexion et de la production d'un groupe de parole.

Les règles de fonctionnement ont pour objectifs de favoriser la participation de chaque
membre du groupe et d'assurer la sécurité des femmes les unes par rapport aux autres et
pour chacune face à la gestion personnelle des traumatismes subis. Le rythme d'évolution,
les choix à faire sont personnels et singuliers.

Les règles proposent des repères rassurants dans un travail où la confrontation à la
douleur et à la terreur est très présente et nécessite des apports sécurisants fiables
auxquels chacune puisse se référer.

2. Effectif du groupe

Pour être productif un groupe doit rassembler un certain nombre de membres. Le groupe
a besoin de ses membres pour exister car c'est de l'interaction et des échanges multiples
que découlent les apports bénéfiques pour chacun.

Par contre, un effectif fourni comporte le risque de ne pas pouvoir consacrer
suffisamment de temps à l'expression et au soutien de chaque participante. La durée de
travail ne peut pas s'éterniser et il importe que chaque rencontre soit productive pour
chaque membre.

En fonction de ces remarques, les animatrices privilégient des groupes de l'ordre de 6 à 9
participantes auxquelles se joignent, en permanence, 2 animatrices.

3. Quelques règles
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Engagement
Dans la plupart des cas les femmes qui demandent à participer à un groupe de parole sont
informées qu'il est souhaitable qu'elles s'engagent à une participation régulière et suivie.
Chaque participante s'engage devant les autres à participer à l'ensemble des rencontres (ce
qui signifie à la fois : assiduité et ponctualité) .

Si l'une ou l'autre souhaite quitter le groupe et mettre fin à sa participation, elle s'engage à
revenir une dernière fois et à communiquer aux autres membres les raisons de sa décision
.

Règles de coopération et d'égalité
Chaque membre du groupe est responsable de sa propre démarche et de la démarche du
groupe. Ceci implique une participation active, à la fois au travail relatif à sa situation
personnelle, et au travail relatif à la situation exposée par une autre participante.

Ni l'âge, ni le milieu socio-économique, ni les caractéristiques personnelles, ni la gravité
des tortures subies ne justifient une prise de pouvoir d'une participante sur les autres.
Mettre les autres mal à l'aise, intimider, manipuler peuvent être des modes relationnels
acquis pour surmonter les agressions subies. Il importe dans le groupe que ces processus
soient identifiés et mis en lumière par les animatrices. Colère contre un membre,
bouderie, refus de parler à telle ou telle, dépréciation ne doivent pas être tolérés.

Face à ces comportements, les animatrices sont actives et demandent des changements
d'attitude en questionnant : "Qu'est-ce qui se passe pour vous en ce moment ? " " Ca n'a pas l'air
d'aller voulez-vous nous dire quelque chose ? " "Eprouvez-vous de la colère à l'encontre de l'une de nous ?
"

Le rôle des intervenantes est de maintenir des conditions permettant des relations
interpersonnelles honnêtes, réfléchies. Il s'agit pour les participantes d'expérimenter
d'autres modalités de relation et de découvrir par exemple qu'on peut exprimer la colère et
le rejet de l'autre sans pour autant détruire la relation. Réapprendre à fonctionner
autrement, à faire confiance, n'est pas facile et peut nécessiter beaucoup d'efforts. Le
climat du groupe où confiance et sécurité sont constantes favorise l'émergence de ces
changements.

Responsabilisation et autonomie
Le fonctionnement du groupe exclut des conduites qui s'apparentent au sauvetage. Les
animatrices veillent à stopper et empêcher des attitudes qui viseraient à prendre en charge
directement une ou d'autres participantes. Il faut désormais se choisir soi-même comme
personne unique et précieuse qui a des besoins et des droits. C'est pourquoi chacune est
sans cesse encouragée à être participante active pour son propre compte, à s'aider elle-
même. L'auto-thérapie est un élément dynamique essentiel dans les groupes de parole.

Chaque participante doit respecter le cheminement et le rythme de chacune. Chacune est
responsable de sa propre protection. Si une participante ressent un malaise, ou éprouve le
sentiment de ne pas être respectée c'est à elle d'en faire part au groupe et d'exprimer son
ressenti : les animatrices ou les autres participantes n'agiront pas en tant que protectrices.
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En contrepartie, le groupe s'engage à recevoir et considérer avec respect et considération
toute expression de ce malaise. Chaque membre est une personne importante, riche de
capacités, digne d'intérêt et de l'attention solidaire de toutes.

En décidant d'entrer dans le groupe de parole chaque participante est prévenue qu'elle
doit :

   demander ce dont elle a besoin, elle-même                  (ce qui la conduira peu à peu à reconnaître ses
    besoins personnels, les exprimer et les faire respecter)

   entendre les besoins exprimés par les autres et les respecter (ce qui permet d'envisager la
    réciprocité )

   négocier avec les autres pour la répartition du temps, de la réflexion, du choix du
    thème etc...

   prendre soin d'elle-même, particulièrement face aux émotions ressenties : c'est à
    elle de se ressaisir, d'exprimer éventuellement son besoin d'aide, de retrouver son
    équilibre.

Confidentialité
Les éléments exposés dans le groupe appartiennent à ce groupe et les participantes n'ont
pas le droit d'en faire état à l'extérieur. On ne raconte pas ce qui s'est dit et ce qui s'est passé dans le
groupe.

Pour ce qui relève des difficultés et blocages gênant la démarche du groupe : ils sont
débattus dans le groupe et ne peuvent être traités en équipe d'intervenantes qu'avec
l'accord du groupe, ou en conceptualisant la difficulté.

L'impératif de confidentialité pèse parfois sur les animatrices c'est une des raisons pour
lesquelles la co-animation et la présence constante des deux animatrices sont
indispensables.

Les contacts en dehors des réunions de groupe peuvent exister entre les participantes ou
avec les animatrices. Il faut cependant aborder cette question lorsque le groupe se
constitue afin d'éviter que dans ces a-parte les sujets concernant l'ensemble du groupe
soient débattus tels que : les autres participantes, les animatrices, la dynamique du groupe.
Lorsque cela se produit, chacune doit savoir qu'il est demandé de retransmettre ces
réflexions lors d'une prochaine réunion du groupe.

Cette règle vise à éviter que les problèmes relationnels, les conflits et tensions
interpersonnelles vécus dans le groupe soient réglés à l'extérieur. Un groupe de parole a,
entre autres, pour objet de favoriser l'acquisition et l'utilisation d'outils permettant à ses
membres de faire face, chacune, aux situations conflictuelles et difficiles. Le groupe est
l'endroit privilégié pour un apprentissage de ces capacités. La mise en pratique de cette
règle entraîne de réels bénéfices pour les personnes impliquées.

Respect des autres membres
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A l'encontre d'un autre membre du groupe : insultes, comportements d'humiliation,
violences verbales , psychologiques ou physiques sont totalement prohibés. La règle est
connue et énoncée avant l'intégration dans le groupe. La violation de cette règle
impérative est un des motifs principaux de sortie du groupe.

Le contexte de groupe peut exacerber des idées de type paranoïaque à l'origine de
passages à l'agression c'est la raison pour laquelle il est prudent de prévoir dans le
déroulement du groupe une parade à ces possibilités de dérive et une méthode de
résolution des conflits (cf p. 33).

Partage et entraide
En décidant de participer à un groupe de parole, chacune s'engage à partager son vécu. La
position de spectatrice n'est pas possible, ni admise. Certes, ce partage est plus ou moins
facile selon les personnes mais l'appui solidaire du groupe est un élément encourageant
qui rend possibles la prise de parole et l'expression.

C'est dans une perspective d'entraide solidaire que les groupes de parole se constituent.
En cela ils se différencient de techniques de thérapie collective même si leurs effets sont
d'ordre thérapeutique. L'élément central du groupe est de donner aux femmes la
possibilité de partager avec d'autres afin de renforcer leurs propres capacités à vivre en
ayant surmonté les blessures infligées.

Le groupe est un lieu de soutien et d'entr'aide active mais il peut arriver que des
événements de crise particuliers vécus par une participante dépassent le cadre de
l'intervention et nécessitent une aide extérieure. Il faut prévoir cette éventualité et
présenter les possibilités accessibles dans de telles circonstances.

Contrats divers
Certaines organisations préconisent de passer un contrat clair avec les participantes qui
doivent participer au groupe en pleine possession de leur conscience : ce qui signifie ni
intoxication toxicomaniaque, ni ébriété.

Parfois c'est aussi l'engagement de ne pas se suicider pendant la période du groupe qui
peut être demandé.

Ces modalités sont présentées aux personnes qui souhaitent participer à un groupe. Elles
sont à nouveau exposées lors de la première rencontre et font l'objet de remarques,
débats, échanges.

Il peut être utile de rédiger un document présentant ces règles afin que chacune puisse en
disposer. Dans le déroulement des mois de travail on s'aperçoit que la référence à ce cadre
collectivement accepté est un recours efficace et utile dans les phases conflictuelles, ou
léthargiques.

S'il n'est pas question d'imposer une réglementation tatillonne le respect réel de ce cadre
doit entrer dans les préoccupations des animatrices tout au long de la vie du groupe.
14

                                               III
                              MODALITES CONCRETES

1. Périodicité

Fixer et respecter les modalités de rencontre du groupe de parole est essentiel et contribue
à établir un cadre sécurisant.

Une rencontre hebdomadaire est généralement préconisée. Ce délai relativement bref
entre deux rencontres permet de ne pas perdre le fil du déroulement de la réflexion de
groupe. Un délai long entre deux rencontres peut être générateur d'angoisse et de
perturbations qu'il est toujours préférable d'éviter.

Dans les pays anglo-saxons, le nombre total de rencontres du groupe est généralement
fixé et annoncé. Selon qu'il s'agit de groupes de conscientisation , (dits aussi de première étape)
ou de groupes à visée plus thérapeutique (seconde étape) le nombre de rencontres varie entre
12 et 20.

Un nombre déterminé de rencontres permet d'éviter une partie des problèmes liés à la "fin
de groupe". Se séparer, mettre fin aux rencontres peut être ressenti différemment par les
participantes : la question ne se pose plus de la même façon lorsque l'échéance finale a été
prévue.

2. Durée, horaires, modes d'accès

La durée d'une rencontre est le plus souvent de 3 heures. Chaque rencontre comporte une
pause d'une quinzaine de minutes placée selon le déroulement du groupe.

Les rituels précédant le début "officiel" de la rencontre sont variés et fonction à la fois des
lieux, de l'horaire, des modes d'accès (l'organisation de co-voiturage est fréquente en province) et des
compétences particulières des animatrices ou des membres. Une brève séance de
relaxation de 10 à 15 minutes, un en-cas partagé, une ambiance sonore de chansons
femmes : les pratiques sont diverses et à diversifier.
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L'horaire a une grande importance.

Selon l'horaire retenu le groupe pourra, ou non, accueillir telle ou telle personne. Ce choix
hautement stratégique dépend de nombreux facteurs locaux. Une fois fixé, l'horaire ne
doit plus changer c'est un repère important pour d'éventuelles participantes.

L'horaire en soirée présente de nombreux avantages en favorisant la participation de
femmes d'âges variés, engagées ou non dans le monde professionnel. Il comporte aussi
des inconvénients à prendre en considération : horaires des moyens de transport collectif,
procédure de retour nocturne au domicile. Les femmes ayant subi des agressions sexuelles
peuvent avoir de grandes difficultés à utiliser les transports en commun, ou à se déplacer
la nuit : il importe donc d'en parler et de mettre en place les moyens de régler ces
problèmes .

Pour les rencontres organisées dans la journée, les difficultés de transport s'effacent mais
les préoccupations maternelles prennent le relais. Il peut être intéressant de se réunir dans
un centre social disposant d'une halte-garderie. Il faut en tout cas prendre en compte les
horaires scolaires ce qui peut être parfois complexe quand on veut disposer d'un temps de
travail suffisant.

Dans tous les cas il importe que les organisatrices abordent ces questions avec les futures
participantes car la ponctualité et la participation à l'ensemble de la rencontre sont
impératives, faute de quoi le "groupe" ne se constitue pas et se délite rapidement pour des
raisons annexes .

3. Lieu de réunion

Le choix du lieu de rencontre est important mais son aménagement l'est encore
davantage.
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Mettre des mots sur l'indicible est difficile. Prononcer ces mots, entendre les autres l'est
également. Tout doit être fait pour que le cadre de la rencontre du groupe de parole soit le
plus apte à faciliter l'expression.

Des chaises de bureau, autour de tables de conférence, sous des barres de néon ne
favorisent pas l'expression des émotions. Les effets très positifs d'un cadre convivial,
chaleureux et intime valent largement la peine qu'on peut prendre à le mettre en place.
Posters et affiches, coussins, lampes, boissons ont leur importance.

Dans la même perspective de confort et convivialité, il vaut mieux interdire de fumer. La
tabagie des unes est une épreuve pour les autres et c'est aux organisatrices de régler
préalablement la question. Il est toujours difficile pour une personne, surtout si elle est la
seule, d'exprimer le préjudice qu'elle éprouve dans une atmosphère enfumée.

4. Inscription

Information du public
Faire connaître la possibilité de participer à un groupe de parole impose que des moyens
soient mis en oeuvre pour diffuser l'information. Ces moyens sont différents selon les
sites :

      annonces dans la presse locale et régionale
      dépliants d'information disponibles dans les lieux fréquentés par des femmes
       (structures médico-sociales, bibliothèques, municipalités, dispensaires, centres de planification familiale,
       PMI, services de gynécologie, urgences hospitalières et médico-judiciaires, services de police et gendarmerie,
       bureaux d'aide aux victimes, tribunaux, permanences d'avocats, cabinets médicaux, centres de
       kinésithérapie, associations d'aide telles que SOS Amitié, Lutte contre le suicide, ....)
      émissions radiophoniques ou télévisuelles
      organisation de débat public sur les violences faites aux femmes
       (données sur les violences sexuelles, projection vidéo, présentations des recours locaux et de la possibilité de
       créer un groupe de parole) etc...etc...

Ces médias doivent présenter des informations précises sur les objectifs, le cadre de
référence, les modalités pratiques de l'initiative.
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Une prise de contact avec l'organisme à l'origine du projet, la distribution de documents
complémentaires exposant plus en détail les pratiques et les objectifs de l'organisme et
une rencontre avec les animatrices sont proposés aux personnes qui envisageraient de
participer à un groupe.

L'accès au groupe ne peut se faire qu'après un temps de mise en relation avec
l'organisation. A travers 1, 2 ou 3 rencontres dont 1 entretien avec les animatrices. Dans
cet entretien il s'agit d'évaluer conjointement si la participation à un groupe de parole est,
pour cette personne, la meilleure modalité d'aide à ce moment de sa vie.

Points repères de l'entretien d'accès au groupe
L'entretien débute par l'intervention des animatrices. Elles se présentent et exposent
l'objet de l'entretien : faire connaissance et évaluer ensemble si le type de groupe de parole
proposé répond aux besoins et attentes de la femme reçue. Les animatrices précisent
qu'elles poseront également des questions relatives aux violences subies.

Les apports fournis par les animatrices doivent être précis et circonstanciés afin que la
personne reçue puisse connaître et comprendre les objectifs, les méthodes, les limites, les
conditions matérielles et les règles de fonctionnement du groupe de parole. Même si de
nombreux éléments ont été fournis dans les documents préalables il est important de les
énoncer explicitement à nouveau dans cet échange afin de répondre aux interrogations et
de susciter d'autres questions de la part de la personne reçue.

Quand ces éléments correspondent aux attentes de la femme reçue et qu'elle
envisage de participer, l'étape suivante de l'entretien traite des violences qui lui ont été
infligées.

Quand ? Quel était son âge ? Quelles violences sexuelles, avec ou sans pénétration, avec coups et blessures,
avec tortures sexuelles, physiques, psychiques, avec séquestration, enlèvement, abandon etc... ? Par qui ?
Combien de fois ? Sur quelle durée ? Qu'a-t-elle fait depuis ? De quelles aides a-t-elle bénéficié ? recours
judiciaire ? prescription ? Quels sont aujourd'hui ses besoins et qu'attend-elle du groupe ?

A l'occasion de cette rencontre la femme reçue va se rendre compte de ses possibilités
actuelles de parler des agressions subies, de considérer à nouveau ces faits qui peuvent
être anciens, semi-oubliés, confus.
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Quand il s'agit d'une femme adulte qui a subi des viols par inceste dans son enfance il est
important pour elle de prendre la mesure de sa capacité, ou actuelle incapacité, à énoncer
les faits, à parler de sa famille d'origine, à considérer en face ces années de violation. Il
peut arriver que cet entretien décourage une femme d'entreprendre une démarche en
groupe si elle s'est sentie trop déstabilisée par cette expression. Il est toujours possible de
refaire une demande dans quelques mois.

Le groupe de parole n'est pas une panacée. Il ne répond pas à toutes les attentes et ne
comble pas tous les besoins. Il n'est pas toujours la bonne procédure au moment où il est
proposé. Pour que le travail soit fructueux il faut que la participante ait envie de ce
partage, ait besoin des autres et souhaite agir pour faire évoluer la situation où elle se
trouve. Aborder ces questions à visage découvert, avec d'autres n'est pas accessible à toute
femme, à tout moment.

L'entretien comporte aussi un échange sur les éventuelles thérapies et aides préalablement
reçues, leurs effets, leur durée. Il importe d'exposer en quoi le groupe de parole est une
démarche pour s'aider soi-même et s'entraider, démarche qui nécessite l'apport actif de
chacune.

Enfin, il est utile que la personne reçue puisse fournir des informations relatives aux
éventuels troubles et symptômes dont elle a pu souffrir :

 recours à la consommation d'alcool, de drogue : présente, passée.
 recours à des médications, prescrites, auto-administrées, combien de temps, quels
  effets ?
 réactions incontrôlées : a-t-elle été violente, de quelle façon ? dans quel contexte ?
 dépression, idées et actes suicidaires : tentatives, prise en charge, traitement et soutien
 auto-mutilation : envisagée, agie, répétitive ?
 idées de vengeance, d'homicide : flash-back ? ruminations ? obsession ?
 contact avec la réalité : est-elle envahie d'images, de sons, de voix ? lui est-il arrivé de
  se perdre de ne plus savoir qui elle était ..
 troubles de l'alimentation (anorexie/ boulimie) présents ou passés.
Ce type de questions doit permettre aux animatrices à la fois d'évaluer la situation actuelle,
le niveau de vulnérabilité et de fragilité et d'en parler avec l'intéressée.
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L'échange porte ensuite sur les attentes de la personne reçue à propos de son éventuelle
participation au groupe de parole. Qu'espère-t-elle recevoir ? Que pense-t-elle donner ? Redoute-t-elle
certaines choses ? Lesquelles ?
Pour les organisations qui animent des groupes rassemblant des femmes confrontées aux
diverses expressions de la violence masculine l'expression des objectifs de la participante
est particulièrement développé. Le groupe devant travailler avec des problématiques
diverses il est indispensable que les animatrices connaisse l'objectif visé par chaque
participante.

L'entretien d'évaluation se termine sur une révision des modalités de fonctionnement du
groupe et un échange sur celles-ci.

Cet entretien a pour objet principal de fournir des éléments permettant à la personne
reçue de prendre une décision éclairée sur sa décision de participer à un groupe
de parole. Le rôle des intervenantes est de dispenser une information approfondie pour
que la personne reçue puisse, en toute connaissance de cause, assumer la responsabilité
de sa décision.

L'exposé théorique des contenus traités dans cet entretien peut le faire percevoir comme
une sorte d'examen de passage car, dans cette récapitulation, les éléments sont répertoriés
et énoncés systématiquement. Dans la réalité des pratiques la plupart de ces informations
sont déjà connues des intervenantes avant l'entretien d'évaluation et à partir de contacts
précédents : appels téléphoniques, entretiens duels etc...

Il est rare en France, pour l'instant, que des candidates à un groupe de parole se
présentent sans avoir été préalablement en contact suivi avec l'organisme à l'origine de la
mise en place de groupes de parole.

L'existence et la qualité d'un lien de confiance sont en effet essentiels pour pouvoir
envisager une démarche collective relative aux violences subies.
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5. Intégration

Les groupes de parole ont pour objet de développer un processus évolutif qui soutienne
la démarche personnelle qu'ont à faire les victimes d'agression sexuelle pour surmonter les
effets de ce traumatisme.

Cette progression est facilitée par la cohésion du groupe et les liens solidaires établis entre
les membres. Pour cette raison il est difficile d'entrer dans un groupe déjà constitué. Le
sentiment d'appartenance et le fait de se sentir reconnue et comprise sont des atouts
importants pour dynamiser la démarche.

Pour favoriser l'existence du groupe il est préférable de ne pas en modifier la
composition. Dans certains sites où les demandes sont nombreuses il est relativement
facile de fonctionner à "groupe fermé" c'est-à-dire que le groupe une fois constitué ne
peut plus accueillir de nouvelle participante.

Dans d'autres circonstances les groupes sont semi-ouverts, ou ouverts. Pour certains il
est possible de rejoindre le groupe jusqu'à la deuxième ou troisième rencontre, pour
d'autres il est possible à tout moment de s'y joindre.

Cette possibilité est à envisager en relation avec la nature du groupe (homogène, ou hétérogène).
En règle générale pour les groupes ouverts aux femmes adultes ayant subi des années de
viols par inceste c'est une difficulté supplémentaire d'admettre dans le groupe une
nouvelle participante au-delà de 2 ,3 réunions. On ne peut pas redire ce qui a été dit et la
cohésion du groupe naît de ce partage, douloureux, difficile et qui a requis beaucoup de
sollicitude et d'attention.
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                                            IV
                L'ANIMATION DE GROUPES DE PAROLE

1. Préalables théoriques et cadre d'analyse de la violence sexuelle

Les participantes sont responsables de leur travail. Le développement de leur démarche
dépend de leur implication dans le groupe : de ce qu'elles vont accepter de dire, de
partager, d'analyser avec d'autres et de ce qu'elles décideront de ne pas énoncer et de ne
pas travailler.

La démarche du groupe d'entraide ne s'appuie pas sur la capacité des animatrices à
interpréter et deviner ce qui n'est pas exprimé. Par exemple si à la question "est-ce que ça va
?" la personne interpellée répond positivement alors que tout dans son attitude dénote
l'inverse l'animatrice fera une deuxième proposition : "J'ai l'impression que ce que vous dites
n'est pas tout à fait conforme à ce que vous éprouvez ?" C'est à la personne concernée de saisir
cette occasion.

En cas de blocage sérieux les animatrices proposent divers recours : une petite pause,
changer de place, boire un verre d'eau, s'isoler un instant avec quelqu'un, se rapprocher
d'une autre... elles interrogent : " Pouvez-vous nous indiquer ce qui vous ferait du bien, là
maintenant ?".

2. Rôle des animatrices et co-animation

Les animatrices sont responsables de la bonne marche du groupe, du fonctionnement, du
déroulement des rencontres selon les procédures prévues. Elles vont au-devant des
participantes qui ont besoin d'encouragements et elles assument soutien et réconfort pour
chacune.

Gestion du temps
Les animatrices sont responsables de l'horaire de la rencontre et font respecter le temps
de parole de chacune.
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Sur la question du temps de parole les modalités proposées par certains organismes
facilitent l'expression de celles des participantes qui auraient tendance à ne pas prendre la
parole. Sur ce plan les personnes sont très diverses et il revient aux animatrices de
s'assurer que chacune s'estime satisfaite et que dans la succession des rencontres les temps
de parole se développent pour les unes en se réduisant éventuellement pour d'autres (cf. p.
28)

Respect des règles de fonctionnement
Très rapidement, le groupe s'auto-anime et les échanges se font naturellement. Les
animatrices doivent être particulièrement attentives à ce que les règles de respect mutuel
et de non-violence à l'encontre des participantes soient respectées.

Co-animation
La co-animation est fructueuse à plus d'un titre.

Dans le déroulement de la rencontre les tâches sont partagées selon les moments car il
faut à la fois animer au sens propre (reformuler, recentrer, faire avancer, synthétiser, valoriser, faire
participer tous les membres, faire progresser) et offrir un soutien à chacune. Il est précieux de se répartir
ces deux tâches. Dans les jeunes équipes on peut en décider avant la rencontre, et changer
les rôles à chaque fois. Avec le temps et l'expérience partagée, ce passage d'une fonction à
l'autre se fait automatiquement chaque fois que l'une anime, l'autre prend en charge les
personnes.

Dans le soutien adapté aux besoins de chacune au moment où une participante
exprime une implication émotionnelle particulièrement intense l'une des animatrices peut
l'accompagner dans son émotion de façon plus proche, éventuellement avec des gestes de
réconfort, tandis que l'autre animatrice intervient sur la façon dont elle peut réagir face à
cette émotion : respirer profondément, reprendre un temps de silence, regarder les
attitudes solidaires de l'ensemble du groupe, prendre conscience de l'appui qui lui est
manifesté, recevoir l'affection du groupe etc..
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Dans le contact avec les membres du groupe la participation de deux animatrices tend
à réduire les phénomènes d'appropriation, de prise en charge maternante ou d'agressivité.
Face aux crimes brutaux et pervers qui se dévoilent il n'est pas toujours facile de tenir
l'équilibre entre l'empathie, la solidarité et l'intervention de sauvetage sur le mode du saint-
bernard. Etre deux contribue à faciliter une démarche qui soit conforme au projet de
responsabilisation et d'autonomisation des participantes.

Ceci ne veut pas dire que l'animatrice soit privée de parole et de réaction. Elle est membre
du groupe et, à ce titre, on attend d'elle qu'elle exprime ses émotions, ses réactions mais
elle ne doit le faire que dans la perspective d'apporter quelque chose d'utile à la démarche
du groupe et au soutien de la personne qui parle.

Etre au moins deux à partager la conviction qu'on peut surmonter les effets de la violence
sexuelle, en sortir, est d'une grande aide dans les tourmentes et les drames.

Lorsqu'une participante exprime de l'animosité à l'encontre d'une animatrice, la co-
animatrice aura pour tâche de prendre le relais afin de favoriser l'expression de cette
participante sur ce qui motive sa réaction. Cette analyse est généralement porteuse de
nombreux éléments de progression pour cette personne. Etre deux permet également de
mieux gérer les conflits en bénéficiant de deux perceptions des faits.

Dans le suivi et la mémorisation des éléments apportés par les participantes le
travail d'écoute est intense dans un groupe de parole. Il importe qu'ensemble les deux
animatrices puissent se remémorer les apports de l'une ou l'autre, retrouver le fil qui relie
les rencontres entre elles, réactiver leur énergie pour prendre part de façon créative à
l'élaboration collective de la réflexion et de la progression.

3. Analyse de la pratique

A chaque équipe de mettre en place les modalités de travail correspondant à ses
spécificités.

Il importe en tout cas que le groupe gère déjà par lui-même un temps d'évaluation.
L'organisation québécoise Trêve pour elles a mis au point des outils originaux et très créatifs
sur ce thème (cf.pp.31 -37).

L'évaluation de l'animation quant à elle doit se faire en fonction des objectifs définis, de la
perspective globale de l'organisation à l'origine de cette initiative et en examinant les
divers critères exposés dans les règles.

Ainsi seront évaluées les avancées réalisées par rapport aux objectifs fondamentaux :
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 rompre les liens de dépendance, ce qui implique de ne pas en créer de nouveaux
  par rapport aux animatrices par exemple
 développement de la solidarité entre les femmes, ce qui implique que chacune ait
  reçu et donné le maximum de ce qui lui était possible de donner et recevoir
 réduction de la culpabilité de la victime et dénonciation non équivoque de
  l'entière responsabilité de l'agresseur dans le viol.

L'analyse de la pratique s'articule concrètement autour de la question de savoir "En quoi
ceci a été efficace pour" :

 réduire la culpabilité
 résoudre les ambiguïtés découlant des mythes sur le viol mythes profondément
  prégnants et qu'il convient de débusquer à partir des multiples effets de ces
  stéréotypes sur les personnes confrontées à une agression sexuelle
 attribuer la responsabilité de la violence à son auteur
 dissiper les malentendus
 développer la confiance en soi et dans la vie
 admettre le fait de l'agression sexuelle comme un accident, une catastrophe. Une
  catastrophe certes, mais qui s'est produite à un moment donné, qui est achevée et
  qu'il faut maintenant surmonter. Victime oui, mais pas victime-à-vie.

La coopération entre deux intervenantes est riche de sécurité et de développement. Elle
requiert une bonne connaissance mutuelle et des capacités à se remettre en cause et à
s'adapter.

Les échanges entre les animatrices après le groupe et avant la prochaine rencontre sont
des moments essentiels pour réajuster les participations de l'une et de l'autre et une pleine
compréhension des difficultés éventuellement éprouvées.
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La co-animation est aussi un moyen efficace d'évaluer la progression du groupe de façon
plus objective.

L'une vis-à-vis de l'autre, les deux co-animatrices mettent en oeuvre les mêmes règles de
considération et de respect que celles appliquées dans le groupe : solidarité, sollicitude et
attention à l'autre. Se confronter aux réalités des violences sexuelles n'est pas anodin et
impose de prendre soin de soi-même et des autres.
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                                            V
                         LIMITES ET CONTRAINTES

1. Inadéquation aux besoins et attentes

Atteintes de façon très intime dans leur personnalité, certaines victimes peuvent réagir
après l'agression sexuelle par un intense besoin qu'on s'occupe d'elle, et que le soutien se
focalise sur leur personne. A ce moment de leur démarche ces femmes ne retireront pas
de bénéfice d'un partage en groupe. Il faut d'abord étancher ce besoin qui paraît parfois
inextinguible de retenir l'attention sur soi.

Dans un groupe, il faut, non seulement être capable de s'intéresser aux autres mais, de
plus, avoir envie de le faire. Quand ce désir n'existe pas il n'est pas opportun de tenter de
le créer artificiellement sous le prétexte, par exemple, qu'un groupe va débuter.

2. Besoins de prise en charge individuelle

A la suite de Freud et pendant des décennies, les thérapies d'origine psychanalytique ont
été loin de répondre aux besoins des femmes victimes de viols . L'incapacité de certains
professionnels à adapter leurs théories aux besoins des victimes a été à l'origine de
nombreux effets dommageables. La situation évolue depuis quelques années à partir
notamment d'initiatives intéressantes mais la plupart du temps individuelles.
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