Dans l'ombre des multinationales - BE96-7995-5000-0005 - Solidarité Mondiale
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Trimestriel — n° 110 — Janvier-février-mars-avril 2018 — Bureau de dépôt Libramont Belgique - België PB – PP B-88 Bulletin de Solidarité Mondiale a.s.b.l. — chaussée de Haecht, 579 — 1031 Bruxelles — Tél 02 246 38 81 — www.solmond.be Dans l’ombre des multinationales BE96-7995-5000-0005
n°110 Dans ce numéro SOLIDARITÉ MONDIALE ANALYSE 4I a pour ambition de renforcer les mouvements sociaux dans le Sud pour Filières mondiales d’approvisionnement: qu’ils soient acteurs de changement et agents de développement en faveur de le travail décent y est-il possible? leur population locale. Financer ces partenaires là-bas et sensibiliser ici sur les enjeux Nord-Sud 8I sont les principaux objectifs de notre BELGIQUE organisation. Catastrophe sociale pour géant mondial SOLIDARITÉ MONDIALE est l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien et de ses organisations membres : CSC, ANMC, JOC, VF, EP. ASIE SOLIDARITÉ MONDIALE asbl Bangladesh Trois années supplémentaires 10I Chaussée de Haecht 579 1030 Bruxelles Tél 02 246 38 81 pour des usines sûres Fax 02 246 38 85 solidarite.mondiale@solmond.be Jef Van Hecken : «la situation reste www.solmond.be difficile» Cpt : BE 96-7995-5000-0005 Coordination générale AMERIQUE LATINE 14I Jennifer Van Driessche Haïti Ont collaboré à ce numéro Jean-Marc Caudron, Carole Crabbé, Les parcs industriels : entre ironie et Fabrice Eeklaer, Christian Kunsch, non-respect des droits Antoinette Maia, Johan Secco, Stijn Sintubin, Stéphanie Vankeer, Dieudonné AFRIQUE 16I Wamu Oyatambwe Photo couverture Les minerais au bénéfice ©Lieve Blancquaert des peuples ? Sommaire © Lieve Blancquaert EUROPE 18I Conception / MEP Marie-Hélène Toussaint Made in Europe, made in dignity ? Impression Imprimerie Les Editions Européennes Ici et Là-Bas est imprimé sur CAMPAGNE 20I papier recyclé, encre végétale, en format économique. Elle soutient notre équipe. Et vous ? Nos partenaires N°110 Janvier-Février-Mars -Avril 2018 Editrice responsable : Antoinette MAIA chaussée de Haecht, 579 1030 Bruxelles
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 3 Par Christian Kunsch, président du MOC La coopération sous pression A près l’adoption, ces dernières an- « entreprises et droits de l’Homme », tout en tra- nées, de nouvelles règles de recon- vaillant à l’élargissement des socles de protec- naissance et de financement des tion sociale dans le monde. Cette revendication ONG fixées par le ministre fédéral prend appui sur le travail de sensibilisation et De Croo, après les coupes budgétaires de l’an d’éducation permanente mené par Solidarité passé, nous pensions que le secteur pour- Mondiale-WSM et le MOC, au travers des cam- rait se consacrer pleinement à son cœur de pagnes que ce soit pour une justice migratoire métier : le soutien au développement, la lutte au travers de l’action ‘Communes hospitalières’ contre les inégalités et les injustices à travers ou encore la campagne #VETEMENTSCLEAN le monde. dont la journée de lancement s’est tenue le Hélas, 2018 apporte à nouveau son lot de 22 mars 2018 et qui a rassemblé plus de 250 menaces et d’incertitudes ! personnes motivées et prêtes à mouiller leur Suite au changement de majorité en Région maillot pour défendre les revendications de la wallonne, le ministre président MR Willy Bor- campagne : des conditions de travail décentes sus également en charge du secteur de la coo- dans la production de vêtements de sport. pération, remet en question le soutien financier Cinq ans après l’effondrement du Rana Plaza au CNCD et à la campagne 11.11.11 par des au Bangladesh, la question de la transparence appels à projet plus aléatoires, tout en restrei- des marques sur leurs pratiques est plus que gnant le nombre de pays du Sud concernés par jamais à l’ordre du jour. Nous sommes, toutes le financement WBI … et tous, invité/es à participer activement à ces Au niveau fédéral, le gouvernement souffle campagnes et à la préparation des élections ! le chaud et le froid, tantôt en annonçant de bonnes perspectives économiques profitables Une citation... au budget de l’Etat, tantôt en invoquant la né- cessité de nouvelles coupes budgétaires. Le sec- « La grande chose de la démocratie, teur reste sur le qui-vive en attente du prochain c’est la solidarité. » conclave dans la crainte d’une reconduction des Victor Hugo économies décidées l’an passé. ... Une image L’appel « Stop aux coupes budgétaires » de 111 personnalités académiques, de la société ci- vile et du monde économique pour le maintien du soutien public à la Coopération au dévelop- pement, n’aura pas suffi. Enfin, nous ne devons pas oublier l’approche des élections législatives de 2019. Le MOC et Solidarité Mondiale-WSM mettent en avant la revendication d’ « assurer un travail decent et une protection sociale pour toutes et tous, par- tout dans le monde » notamment en élaborant un traité international contraignant sur les © WSM
ANALYSE Filières d’approvisionnem décent y est-il possible ? Les filières d’approvisionnement mondiales constituent les systèmes commerciaux et de production les plus développés au monde. Celles-ci ont certes généré une partie de la croissance économique mondiale, mais elles sont aussi le lieu par excellence de l’exploitation et des violations des droits humains. De nombreux cas d’abus des droits humains impliquant des entreprises belges et étrangères ont été répertoriés1 dans des secteurs sensibles et socialement à risque tels que les industries extractives, la construction, le textile, l’alimentation, le bois, le dragage Du producteur au consommateur, les filières © Lieve Blancquaert globales d’approvisionnement sont longues, ou encore les forêts. Nous gardons et les zones d’ombre sur les conditions tous en mémoire le drame du Rana des travailleurs nombreuses. Plaza en 2013 au Bangladesh. Les filières d’approvisionnement mon- diales constituent les systèmes commerciaux L es déficits de travail décent se dé- et de production les plus développés au monde. cèlent dans les filières d’approvision- Par filières d’approvisionnement mondiales, nement mondiales, de plus en plus nous entendons les filières transfrontalières, diverses, morcelées et incluant des diverses et complexes que les grandes entre- formes de travail atypiques. Le constat est prises multinationales utilisent pour produire, général : défaillances en termes de salaires, transporter et vendre leurs marchandises. On ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 4 sécurité, santé au travail, discrimination ou pourrait les comparer à une série d’entreprises encore des droits fondamentaux des travail- dans plusieurs pays qui contribuent chacune leurs… Sans oublier les incidences négatives à la fabrication d’un produit lié à une entre- sur l’accès à la protection sociale des travail- prise multinationale, chaque entreprise étant leurs œuvrant dans ces chaînes mondialisées. un maillon de la chaîne. En 2015, Li & Fung a 1. - Conditions de travail dans les mines de Marikana en Afrique du Sud : www.amnesty.org/en/documents/afr53/4552/2016/en/ Travail forcé d’enfants dans les mines de cobalt en RD.Congo :https://www.amnesty.org/en/documents/afr62/3183/2016/en/ ; - Violations des droits du travail au Qatar dans les chantiers de la Coupe du Monde de Football 2022: http://www.solmond.be/Qatar-2022-plus-de-morts-sur-les
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 5 ent mondiales : le travail Par Stijn Sintubin, responsable du département International de la CSC sance économique mondiale, mais elles sont aussi le lieu par excellence de l’exploitation et des violations des droits humains. Nous gar- dons tous en mémoire le drame du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh. Cette usine faisait par- tie des nombreuses chaînes de production de Casillas © Claudio Montesano leur lieu de travail, lleurs sont emmenés sur Cambodge : des travai s journées. prestent de trop longue très tôt le matin. Ils y été sacrée championne dans la catégorie « fi- grandes enseignes textiles. Son effondrement a lières d’approvisionnement mondiales ». Li & provoqué la mort de plus de 1.500 travailleurs Fung est un fabricant et vendeur de jouets dont et travailleuses. la chaîne se compose de plus de 15.000 entre- La catastrophe du Rana Plaza et les incen- prises réparties dans quarante pays ! dies mortels de plusieurs entreprises textiles La Banque mondiale estime que, en 2013, au Pakistan ont changé les mentalités. Les pou- plus de 500 millions de personnes travaillaient voirs publics, les institutions, les organisations dans les filières d’approvisionnement mon- de la société civile et même les entrepreneurs diales et selon les Nations unies, 80% de la ont reconnu que cette situation ne pouvait du- production mondiale est liée aux filières d’ap- rer : « Les filières d’approvisionnement mondiales provisionnement. Au Sud de la planète, 400 doivent garantir un travail décent ! ». En 2016, millions de PME sont associées à ces filières l’Organisation internationale du Travail (OIT) a mais seules 9% d’entre elles sont actives dans amorcé un processus visant à bannir l’exploita- l’économie formelle… tion et les violations dans les filières d’approvi- Les filières d’approvisionnement mon- sionnement mondiales. Nous plaçons beaucoup diales ont certes généré une partie de la crois- d’espoir dans le résultat de ce processus.
ANALYSE Il existe une large gamme d’instruments qui permettent d’améliorer et de renforcer la position des travailleur.se.s des filières d’approvisionnement mondiales : • Des initiatives publiques sont généralement 80 accords de ce type, conclus notamment avec prises par les pouvoirs publics sur le plan légal. H&M, Danone, Accor, ENI, Carrefour, Volkswa- La législation nationale se limite aux frontières gen, Renault, etc. Ces accords ne sont malheu- que les filières d’approvisionnement mondiales reusement pas suffisamment contraignants mais s’empressent de franchir. Cette approche est donc ils fixent des dispositions sur divers thèmes aux- peu efficace. Les normes internationales du tra- quelles les délégations syndicales peuvent re- vail – en particulier les conventions de base – de courir dans les filiales de ces entreprises en cas l’OIT constituent toutefois un ensemble de règles de violations, de problèmes ou de négociations. universelles que les filières d’approvisionnement Certains couvrent également les filières d’appro- mondiales sont également tenues de respecter. visionnement mondiales de ces enseignes. Les Certains pouvoirs publics prennent également « Accords contraignants avec les Enseignes » sont leurs propres initiatives, comme « The modern intéressants parce que, comme le nom l’indique, Slave act » au Royaume-Uni ou la nouvelle « Loi ils sont effectivement contraignants. Quelques de vigilance » en France. exemples : le « Bangladesh Accord on fire and • Les initiatives du secteur privé sont rares et se building safety » (voir page 10) doit garantir la limitent plutôt à la Responsabilité sociétale des sécurité des usines textiles au Bangladesh. Il a été négocié directement après la catas- trophe du Rana Plaza entre les prin- cipales enseignes textiles, les syn- dicats nationaux et internationaux, les ONG (notamment la Clean Clothes Campaign) et les autorités du Ban- gladesh. Le « Protocole d’accord sur la liberté syndicale en Indonésie », négocié par quelques syndicats du secteur textile avec des marques internationales de vêtements, en est un deuxième exemple. Ce pro- tocole garantit la liberté d’action syndicale dans les entreprises liées e à la chaîne d’approvisionnement ons de travail derrièr ps de faire tou te la lumière sur les conditi des marques de vêtements. Aux Il est tem con som mation courante. nos obj ets de Pays-Bas, les conventions secto- © Charles Fox la production de rielles, des accords conclus entre les autorités, les employeurs et les travailleurs en faveur de la trans- Entreprises, comme des codes de conduites, etc. parence de la chaîne, vont également dans la Ces derniers sont malheureusement vagues et bonne direction. sans engagement. • En guise de dernier outil, il y a également les ini- • Il y a en outre les initiatives des partenaires tiatives multilatérales émanant d’institutions ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 6 sociaux (syndicats, employeurs et également internationales, comme la Déclaration tripartite pouvoirs publics). Les accords-cadres internatio- sur les entreprises multinationales de l’OIT, les naux (ACI) constituent un instrument intéressant lignes directrices de l’OCDE pour les entreprises mais sous-utilisé. Ces ACI résultent d’un dialogue multinationales, le Global Compact des Nations social entre la fédération syndicale internatio- unies, etc. Ces instruments sont intéressants mais nale d’un secteur spécifique et la direction d’une ils constituent souvent des processus de traite- entreprise multinationale. Il existe actuellement ment des plaintes compliqués et trop longs.
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 7 Pourquoi tant d’instruments ne parviennent-ils pas à enrayer les violations des droits dans les filières d’approvisionnement mondiales ? Le caractère facultatif de la plupart de ces instruments est au cœur du problème. Les filières sont très diverses, complexes et sou- vent opaques. Nous ignorons souvent quelle entreprise produit (même secrètement) pour quelle chaîne ou enseigne. Les travailleurs et © Claudio Montesano Casillas les syndicats ne disposent pas de ces informa- tions. Bref, il y a un manque total de transpa- rence. En outre, les travailleurs et les syndicats sont peu informés de l’existence de ces instru- Le travail doit permettre à chacun de vivre dignement. ments et ils n’y recourent donc pas ou pas suffisamment. Les ACI font également l’objet de critiques récurrentes : ces accords conclus au niveau international ont souvent été négo- ciés dans un bureau et ne sont pas connus des Quelle stratégie pour l’avenir ? travailleurs et des syndicats de l’entreprise Certains des processus en cours au niveau concernée ; ou encore il y a trop peu de syndi- international peuvent déboucher sur des ins- cats forts organisés au sein de l’entreprise, ce truments vraiment utiles et contraignants qui qui vide les ACI de leur substance. permettraient d’instaurer le travail décent dans Ce constat peut paraître très négatif mais les filères d’approvisionnement mondiales. Pa- nous gardons espoir. Certaines initiatives effi- rallèlement au processus de l’OIT, les Nations caces fonctionnent, même au niveau national. unies en ont amorcé un autre afin d’adopter un En voici deux exemples : « Traité contraignant sur les entreprises trans- • La campagne « #vêtementsclean » de Soli- nationales et les droits humains ». Le concept darité Mondiale (WSM) entend inciter plu- de « devoir de vigilance » (« due diligence ») est sieurs entreprises belges du secteur textile à un élément central de ce traité, ainsi que dans s’affilier à la Fair Wear Foundation (FWF), en la « Loi de vigilance » française. Ce devoir de exerçant des pressions et en menant une ac- protection contraint les entreprises, grandes tion collective. La FWF est une organisation ou petites, à élaborer une stratégie claire et à qui contrôle et encourage les entreprises à apporter éventuellement les ajustements né- veiller à la transparence et à l’ajustement cessaires afin que leurs actions n’entraînent de leurs filières d’approvisionnement mon- plus des violations des droits humains, des ca- diales afin d’éviter toute forme d’exploitation tastrophes environnementales et sociales dans et les violations des droits humains. Rendez- leurs filières d’approvisionnement mondiales. vous en page 20 pour découvrir comment y L’avenir se profile clairement dans les traités participer ! globaux, mondiaux ou sectoriels, ayant un • Le CCAWDU, un syndicat du secteur tex- caractère obligatoire et contraignant. Une fois tile au Cambodge, partenaire de la CSC et que ce type de cadres sera mis en place, le de Solidarité Mondiale (WSM). Lorsque défi pour les mouvements sociaux consistera des violations des droits de l’Homme sont à diffuser les informations auprès des travail- constatées dans des entreprises textiles leur.se.s afin qu’ils connaissent et utilisent ces cambodgiennes, ils déposent plainte auprès cadres. 2 des enseignes ou exercent des pressions sur leurs filières de vente. Ces démarches 2. Cet article est paru initialement dans le numéro de décembre 2017 portent leurs fruits. de la revue « Chou de Bruxelles »
BELGIQUE Catastrophe sociale pour Par Fabrice Eeklaer, secrétaire fédéral de la CSC Charleroi, Sambre&Meuse Le 2 septembre 2016, Caterpillar notifiait officiellement sa décision de fermer le site de Gosselies et de licencier ses quelque 2.000 travailleurs. Cette annonce intervient trois ans après celle du 28 février 2013 qui avait provoqué une importante restructuration dans le cadre de laquelle l’entreprise Caterpillar avait supprimé près de 1.400 emplois, soit 40% de l’effectif sur ce même site. De quoi Caterpillar est-elle le nom ? C aterpillar est le premier producteur mondial de matériels de construc- tion et d’exploitation minière, de moteurs diesel et à gaz naturel, et de turbines à gaz industrielles. En 2013, les © CSC Charleroi raisons invoquées sont de nature industrielle. L’entreprise américaine avait spécialisé son siège carolo sur la production de grandes excavatrices et de chargeuses sur pneus équi- Il faut une grande stratégie de relance non pés de moteur Tier 4, norme antipollution seulement au niveau belge, mais aussi au niveau européen ; il faut lier les aides aux entreprises au applicable aux Etats-Unis et en Europe, dimi- maintien de l’emploi ; il faut … éviter que cela se nuant les émissions de particules de 90%. Ces reproduise. moteurs sont plus chers et les territoires de vente de l’usine de Gosselies sont, outre l’Eu- rope, l’Afrique, le Moyen Orient et l’Asie. Les des règles sociales et environnementales dans normes environnementales sont devenues un le commerce mondial pour protéger l’industrie désavantage comparatif pour Gosselies. Cela européenne ; il faut une grande stratégie de ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 8 explique pourquoi Caterpillar a accéléré son relance non seulement au niveau belge, mais implantation en Chine.1 aussi au niveau européen ; il faut lier les aides Les réactions sont unanimes : il faut repen- aux entreprises au maintien de l’emploi ; il faut ser la politique industrielle au niveau européen, … éviter que cela se reproduise. pour préserver un véritable tissu industriel en Le 2 septembre 2016, une chappe de plomb Belgique et en Europe ; il faut d’urgence établir s’abat sur une ville de Charleroi qui s’apprête 1. Guy Raulin, Caterpillar, carnets d’un perceur de coffre, Couleur à fêter ses 350 ans. Cette fois, les raisons sont livres-GRESEA, Bruxelles, 2015. bien différentes. Nous les trouvons dans cet
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 9 géant mondial faut investir pour l’avenir ! Il faut sans doute traduire cette assertion par : remplacer des caissières par des machines ! Que faire face à ce capitalisme extrait du rapport annuel 2015 de Caterpillar : financier ? « En 2015, nous avons racheté pour 2 milliards Le point commun entre ces deux groupes est d’actions et augmenté le dividende trimestriel de sans nul doute que les travailleurs sont stric- 10%. Nous augmentons le montant du dividende tement des variables d’ajustement pour assu- depuis 22 ans consécutifs et, depuis 2007, notre rer la rémunération des actionnaires, même si dividende a plus que doublé. » Il est hors de ceux-ci sont, comble du cynisme capitaliste, question pour Caterpillar de diminuer les di- Bill & Melinda Gates Foundation Trust ou bien videndes distribuées. Or, même si la firme a encore Bernard Arnault.2 comptabilisé 785 millions de dollars de béné- Que faire alors face à cela ? La première fice opérationnel sur le seul second trimestre tâche est d’accompagner les travailleurs ici et 2016, ses ventes ont reculé de 16% au second maintenant. C’est ce que réalise quotidienne- trimestre. Pour les actionnaires, ces chiffres ne ment l’organisation syndicale entre autres au sont pas acceptables. travers des cellules de reconversion. Ensuite, Mark Thompson, le directeur financier du les solutions restent certainement du côté des groupe vient donc expliquer que Caterpillar « il faut » cités en 2013 lors du plan de restruc- est capable de produire ailleurs à moindre coût turation de Caterpillar. Elles sont également et avec moins d’investissement. Pour ne jamais dans le soutien de l’industrie et de l’activité diminuer les dividendes, Caterpillar Gosselies économique locale, dans le développement est fermé. de l’économie sociale, dans le développement d’un autre modèle de production et de consom- Autre géant, autre coût social : mation. Elles passeront par une réduction col- Carrefour lective du temps de travail. Nous savons que Le 25 janvier 2018, Carrefour annonce la fer- leur réalisation nécessite la construction d’un meture de magasins et jusqu’à 1.233 pertes rapport de force, c’est le rôle de l’éducation po- d’emplois. Carrefour est le n°1 européen et le pulaire et de l’action collective mises en œuvre n°2 mondial de la grande distribution. dans une organisation syndicale. Carrefour serait donc en perte ? Non le chiffre d’affaires augmente moins que prévu 2. Bernard Arnault, dont la presse française présente l’accession à la 4e place du classement Forbes des plus grandes fortunes comme s’il et, en Belgique, il est stable. Le résultat opéra- venait de gagner une médaille olympique. Cela en dit long sur la cu- tionnel est positif, mais moins que prévu. Et il ture dominante, mais il s’agirait là d’écrire un autre article. Les solutions naitront sur base d’un rapport de forces construit notamment sur les actions collectives des mouvements syndicaux. © CSC Charleroi
ASIE Bangladesh Trois années supplémentaires Lorsqu’en 2013 le Rana Plaza s’est effondré, tuant 1.134 travailleurs de l’habillement, il est devenu évident que quelque chose devait changer pour rendre les usines de confection du Bangladesh plus sûres. Trois semaines plus tard, l’ « Accord sur la sécurité des bâtiments et la prévention incendie » était lancé. Un pas historique. Ces cinq dernières années, l’Accord a mené des inspections, supervisé les rénovations et formé des travailleurs aux questions de sécurité dans 1.631 usines. L ’Accord prendra fin le 15 mai 2018. L’Accord consiste en un programme d’ins- Pour terminer le travail entamé et pection et de mise en conformité des usines pérenniser les avancées réalisées, un qui fournissent les enseignes signataires. Il « Accord de transition » prendra le re- couvre plus de deux millions de travailleurs. lais pour trois ans. Il nécessite encore le sou- Le financement de sa mise en œuvre est as- tien des enseignes. Et celles-ci ne disposent suré par les deux cents enseignes signataires, d’aucun autre moyen crédible pour garantir qui s’engagent également à obliger leurs four- la sécurité et les droits des travailleurs qui nisseurs à accepter les inspections et les ré- fabriquent leurs vêtements au Bangladesh. novations, et à maintenir leur niveau de com- Il aura fallu une catastrophe de l’ampleur mande au Bangladesh durant la mise en œuvre du Rana Plaza pour que 200 enseignes d’ha- de l’Accord. Elles s’engagent aussi à s’assurer billement signent enfin l’Accord sur la sécu- que leurs fournisseurs disposent des moyens rité des bâtiments et la prévention incendie financiers nécessaires pour mettre leurs bâti- au Bangladesh, une forme de contrat signé ments aux normes. entre des syndicats du Bangladesh et interna- En outre, l’Accord travaille en toute trans- tionaux, et ces enseignes. Un accord innovant parence1 et est juridiquement contraignant. et historique. En quoi ? À deux reprises, les syndicats ont saisi la La sécurité des usines au Bangladesh a fait un énorme bond en avant depuis 2013. Mais il reste des améliorations encore à faire. ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 10 © Lieve Blancquaert
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 11 pour des usines sûres Par Jean-Marc Caudron, achACT Cour internationale d’arbitrage, ce qui a per- mis dans les deux cas de régler le différent à l’amiable pour financer et accélérer la mise aux normes de plus de deux cents usines2. L’ACCORD a sauvé des vies ! Lors des inspections, les inspecteurs ont identifié plus de 130.000 problèmes de sécu- rité. Toutes les usines étaient concernées. Aujourd’hui, 83% de ces problèmes ont été résolus, 136 usines ont mis en œuvre l’entiè- reté de leur plan d’actions de correction et 726 usines ont mis en œuvre plus de 90%. Bien sûr, la mise en œuvre de l’Accord n’est pas parfaite. Nonante-six usines ont re- fusé de se faire inspecter ou de rénover leurs bâtiments. Et quelques 1.200 usines sont en retard sur la mise en œuvre de leur plan d’ac- © Lieve Blancquaert tions correctrices. Il n’en reste pas moins que l’Accord a déjà sauvé des vies et rendu plus sûr le travail de plus de deux millions d’hommes et de femmes au Bangladesh. 1.138 personnes tuées, plus de 1.500 autres blessées… Le drame de l’effondrement du Rana Plaza a marqué Accord de transition : toutes durablement la population sur place, mais aussi les enseignes doivent s’engager l’opinion publique internationale. Le 15 mai 2018, un Accord de transition pren- dra le relais de l’Accord signé en 2013. Son qui garantisse effectivement la protection des objectif est double : terminer la mise en œuvre travailleurs. de l’Accord initial et pérenniser les avancées La réussite de l’Accord de transition dépend réalisées. En effet, les retards s’accumulent aujourd’hui de la volonté des enseignes de s’en- dans les rénovations des usines et un délai gager. Les entreprises ne disposent d’aucun supplémentaire est nécessaire pour garantir autre moyen crédible pour respecter le droit des au maximum la sécurité des travailleurs. Par travailleurs qui fabriquent leurs vêtements au ailleurs, le gouvernement du Bangladesh n’a Bangladesh à travailler en toute sécurité. pas encore démontré toute la volonté néces- Mi-mars, seules 120 enseignes d’habille- saire, ni ses capacités à reprendre le travail ment avaient signé l’Accord de transition3. À d’inspection et de mise aux normes des nous de convaincre les grandes marques in- usines. Cette transition doit permettre aux tra- ternationales comme les enseignes belges de vailleurs de suivre les questions de sécurité signer l’Accord. dans leur usine et au gouvernement du Ban- gladesh de développer une inspection sociale Rendez-vous sur www.achACT.be pour agir. 1. Les rapports d’inspection et l’état d’avancement de la mise aux normes sont consultables sur http://bangladeshaccord.org 2. https://www.theguardian.com/business/2018/jan/22/bandgladesh-textile-factory-safety-unions-settlement 3. La liste complète et mise à jour des enseignes signataires est disponible sur http://www.industriall-union.org/signatories-to-the-2018-accord
ASIE Bangladesh Jef Van Hecken : « la situation reste difficile » Une interview de Johan Secco (stagiaire) Jef Van Hecken a été notre coopérant pendant deux ans et demi au Bangladesh. Il était présent lors de la catastrophe du Rana Plaza qui a tué plus d’un millier de travailleurs. Il revient d’une mission au Bangladesh effectuée au mois de janvier et témoigne de ses impressions… Sur place, qu’est-ce qui a changé ? ©WSM Jef a vécu quelques années au Bangladesh et a vécu Jef VH : J’étais présent lorsque les problèmes de près la tragédie du Rana Plaza. Il en est revenu énormes de sécurité au Bangladesh se sont révé- plus combatif que jamais. lés. A savoir les deux fameuses catastrophes, celle de Tazreen et du Rana Plaza. Toute la misère et étaient licenciés. Quatrièmement, il n’y avait les conditions ouvrières sont sorties au grand aucune forme de sécurité sociale. jour. Bien avant ces catastrophes, nous travail- lions déjà sur ces problématiques. Nous étions Quand est-il de l’après Rana Plaza ? en contact avec les partenaires qui défendent les Jef VH : En 2013, deux accords importants et droits des travailleurs et leur protection. historiques ont été signés. Ils mettent en valeur l’importance de l’investissement en matière de Pouvez-vous nous parler des conditions sécurité des bâtiments. Les inspections qui ont de travail avant ces catastrophes ? suivi couvrent 3.000 usines sur les 5.000 du Jef VH : Je dis toujours qu’il y a eu deux pé- parc industriel du Bangladesh. Les 2.000 autres riodes : l’avant et l’après Rana Plaza. Le premier sont couvertes par le gouvernement bangladeshi problème concernait la sécurité des bâtiments, et sont moins strictes. Dans la société capita- rien n’était en ordre. Les ouvriers travaillaient liste bangladeshie, les ouvriers sont comme des dans l’insécurité la plus totale. Deuxièmement, instruments. Au niveau politique, certains diri- ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 12 les salaires étaient misérables, tout le monde geants d’entreprise sont aussi au Parlement, il y était obligé de faire des heures supplémentaires a une forme de cumul malsain des professions pour arriver à gagner sa vie. Troisièmement, il et mandats. n’y avait pas du tout la possibilité de s’organiser en syndicat pour les travailleurs afin de rendre Ils gagnent d’un côté pour en perdre l’organisation du travail plus humaine, moins de l’autre… stressante et plus sécurisée. Chaque initiative de Jef VH : Le salaire était d’environ 30 euros par se rassembler était bloquée, ceux qui essayaient mois en 2013. On a besoin de plus ou moins
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 13 100 euros pour vivre dignement. Avec des heures les bidonvilles, ça reste dur et donne encore de travail supplémentaires, on pouvait arriver à plus de pression. Il y aussi le bruit intempestif un maximum de 50 euros. Fin 2013, le salaire des machines dans les usines qui engendre des minimum a augmenté à 53 euros sans heure troubles du sommeil. supplémentaire. Celles-ci ne sont pas basées sur le nouveau barème mais sur l’ancien. Problème : Quelles sont les pistes de solution pour les salaires ne sont pas indexés à l’augmenta- les travailleurs locaux ? tion du coût de la vie, et depuis, le prix de la Jef VH : Ce sont les mots des syndicalistes lo- nourriture a doublé. Autre élément qui rend la caux : « nous produisons ce que vous portez ». situation encore plus difficile pour les travail- Nous sommes liés. Ce n’est pas uniquement les leuses et travailleurs : on est passé d’une pro- entrepreneurs qui décident seuls, ils suivent les duction de septante pièces par jour à un quota directives des marques. Cela veut dire que nous, de cent vingt. Pour remplir le quota, on preste consommateurs « du Nord », devons agir et inter- des heures supplémentaires non payées ! Le peller les marques pour pousser au changement. travail est donc au final plus intense, et moins Nous ne devons plus accepter la fast-fashion qui bien payé ! nuit aux travailleurs locaux. A nous de jouer ! Et concernant l’organisation syndicale, Les traces physiques de l’effondrement du Rana Plaza comment est-elle maintenant ? sont bien visibles. Mais les effets sur la santé mentale Jef VH : Les syndicats restent très faibles. Etant sont également dévastateurs. donné ceux-ci sont mal vus, les travailleurs ont peur de perdre leur emploi. Il y en a qui font des actions pour tenter de faire bouger les choses dont le partenaire de Solidarité Mondiale (WSM), NGWF, qui a toujours été lié à la Clean Clothes Campaign. Pouvons-nous voir des améliorations en matière de protection sociale ? Jef VH : Au niveau de la protection sociale, il y a les victimes physiques des catastrophes. On a créé un fond d’aide aux victimes. On essaye de créer un système public pour une nouvelle forme de compensation en cas d’accident du travail. Il y a une initiative de nos partenaires qui est remarquable, c’est celle de GK qui donne des services de santé pour les travailleurs. Les tra- vailleurs et les entreprises forment un fond, et les soins de santé sont payés par ce fond. Dans ce système, il y a déjà l’employeur et le travailleur, mais où est le gouvernement ? Comment se sent la population ? Jef VH : Certaines personnes trop handicapées ne peuvent plus travailler. La plupart des jeunes travaillent quelques années pour épargner et revenir au village, c’est leur idéal. Dans les meil- © Lieve Blancquaert leures usines, les travailleurs sont contents. Ils ont même des cours de sécurité en cas de catas- trophe. Mais les gens continuent à vivre dans
AMÉRIQUE LATINE Haïti Les parcs industriels : entre Par Stéphanie Vankeer La vie est difficile en Haïti. L’agriculture a fortement chuté et la population haïtienne trouve difficilement du travail surtout si elle n’est pas qualifiée. Seules les usines de sous-traitance offrent des emplois faciles d’accès, mais souvent précaires. Les gens y travaillent pour à peine 5 euros par jour et l’augmentation du minimum légal est loin d’être acceptée. Qui ne s’y plie pas sera licencié sur le champ car des centaines de candidats font la file aux portes des usines. M algré la faiblesse d’Haïti ces der- vers Haïti, terminant leur course sur les mar- nières années en matière de gou- chés locaux à des prix tellement dérisoires vernance, l’instabilité politique qu’ils dérégulent l’économie intérieure. persistante et l’infrastructure déficiente, de nombreux investisseurs, princi- Zones franches, zones de non-droit palement dominicains, américains et coréens, Avec ces parcs, micro-parcs et autres zones ont montré leurs intérêts économiques pour le franches en construction depuis les catas- pays. Ces derniers sont attirés par des avan- trophes qui ont ravagé le pays, une nouvelle tages comparatifs : d’une part, le coût du tra- logique industrielle est en marche sous un vail le plus bas de l’hémisphère, l’exonération objectif d’augmentation de la productivité du totale ou partielle des taxes à l’exportation, travail et de la croissance économique. des droits de douane, de l’impôt direct sur les Cependant, en raison des pratiques anti- bénéfices, et, d’autre part, la proximité et l’ac- syndicales qui sévissent dans la plupart de ces cès préférentiel au marché américain. C’est zones et du laxisme du respect des droits et ainsi que l’ironie frappe le pays ! Saviez-vous des normes du travail, les travailleurs/euses de que bon nombre des t-shirts bariolés d’inscrip- la sous-traitance n’ont pas la possibilité d’exer- tions en anglais du style « keep calm and… » cer efficacement leurs droits à la liberté d’asso- que porte la population haïtienne ont, en fait, ciation et de négociation collective. Ils/elles se été fabriqués sur place pour, ensuite, transiter disent victimes de licenciements illégitimes, par le marché américain pour y être ‘stylés’, de suspensions, de politiques de bas salaire, vendus, jetés, et puis, réexpédiés à nouveau de conditions de travail peu sécurisantes, d’in- ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 14
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 15 ironie et non-respect des droits timidations par violences physiques ou d’ins- Prince aurait pu être la plus belle capitale dans criptions sur des listes noires pour les travail- les Caraïbes…mais il n’en sera rien ! leurs qui s’affilient ou forment un syndicat. Un centre de santé synonyme Quand les parcs industriels d’espoir au cœur des usines fleurissent, c’est l’environnement Le « Centre de Promotion des Femmes ouvrières », qui s’enlise plus connu sous l’abréviation CPFO, partenaire Actuellement, Haïti possède quatre parcs in- de Solidarité Mondiale et de la CSC, est une ins- dustriels et cinq zones franches. titution, qui offre une série d’activités d’éduca- Les parcs « Caracol » et « Métropolitain », tion et de services et qui existe depuis 1985. Elle sous la tutelle de la Sonapi (Société Nationale se situe en plein cœur dans la zone industrielle des Parcs Industriels), sont publics. Tous les de la Sonapi à Port-au-Prince, un emplacement autres parcs industriels et zones franches stratégique pour toucher sa cible car la majo- sont privés. Bien que certaines zones franches rité de ces ouvrières se trouvent confrontées au servent à la production de produits agricoles problème d’accessibilité de produits et services, et manufacturiers, la plupart sont dédiées à la dont les soins de santé. production de textiles. Le centre leur apporte donc une dose d’espoir Les vêtements constituent ainsi plus de et un soutien unique, entièrement gratuit. Ici, les 80% du total des exportations du pays, selon femmes et les jeunes filles reçoivent des informa- l’Association des industries d’Haïti (Adih). tions sur l’alimentation saine, le planning fami- Bien que les parcs génèrent de nombreux em- lial, la grossesse, les maladies transmissibles, etc. plois directs et indirects, c’est l’écologie qui Dans la pharmacie, il y a aussi des femmes mé- est mise à mal. De fait, la création du parc de decins pour les accueillir. Mais le CPFO fait bien la Sonapi à Port-au-Prince et la « bidonvillisa- plus que prodiguer des soins. Il prend également tion » qui s’en est suivie affectent toute la zone en main, de façon subtile, l’organisation de forma- métropolitaine de la capitale. Côté environne- tions, à présence obligatoire, et des actions de ren- ment, la population haïtienne a assisté - im- forcement de capacités d’autodétermination et de puissante ou insouciante - à la détérioration, décisions de ces femmes en les informant sur sous ses yeux, de l’une des plus belles baies du leurs droits. Via ces services, le CPFO entend lut- monde avec ses montagnes avoisinantes et ses ter pour le changement de la condition ouvrière et précieux bassins qui, aujourd’hui, sont pollués participer pleinement à la création d’une nouvelle et héritent d’un débit fortement réduit. Port-au dynamique sociale. © WSM
AFRIQUE Les minerais au bénéfice des peuples ? Par Dieudonné Wamu Oyatambwe En Afrique, l’extraction des ressources minières est au cœur de bien des problèmes : conflits armés, déstabilisation de systèmes politiques, déplacement forcé des populations en leur arrachant même leurs terres agricoles, non-respect des droits de travailleurs et violations de droits humains, etc. Beaucoup de populations y sont victimes de leurs richesses. E n Guinée, au Togo, au Burkina Faso, Le Congo (RDC) est ravagé depuis plus de des partenaires de Solidarité Mon- 20 ans par des guerres et des violences ar- diale (WSM) sont très engagés dans mées sur fond de l’exploitation de minerais, les négociations avec des autorités dont le coltan, qui est un composant essen- nationales et des firmes internationales pour tiel dans la fabrication de matériels informa- améliorer les conditions de travail dans le sec- tique et électronique. Dans ce pays souvent teur minier, y faire accepter les organisations qualifié de « scandale géologique » en raison syndicales, veiller au respect de l’environne- de ses énormes richesses naturelles, la popu- ment, et adopter des mesures de protection lation croupit dans une misère croissante, sociale pour les travailleurs. Et là aussi, les alors même que l’exploitation et les revenus rapports avec les firmes minières sont bien de ces richesses ne cessent d’augmenter. Et compliqués ! En Afrique du Sud, le 12 août ce n’est pas près de finir : avec le développe- 2012, une foule de grévistes de la mine pro- ment attendu des voitures électriques dans priété du groupe britannique LONMIN se ras- le monde, le pays fera à nouveau l’objet de semble sur les collines de Marikana, pour ré- moultes convoitises, notamment autour du clamer de meilleurs salaires et des logements cobalt nécessaire dans la production de bat- décents. La police répond par des tirs et tue teries, et dont la RDC détient la première ré- par balles 36 grévistes ! serve mondiale. © WSM L’exploitation des minerais nécessite des moyens dont les Etats africains ne disposent pas ; ce qui les livre donc à la merci des firmes multinationales… ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 16
ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 17 Tout récemment, la RDC a promulgué un nouveau « code minier » le 9 mars 2018 en vue de taxer davantage l’exploitation de certaines ressources ‘stratégiques’ ; mais cela a néces- sité d’âpres négociations avec les firmes mi- nières internationales, qui voulaient maximi- ser leurs bénéfices en payant le moins possible à l’Etat. Il reste maintenant à voir si l’augmen- tation attendue de ces recettes se traduira aus- si par une quelconque amélioration de condi- tions de vie des populations congolaises. Des efforts pour respecter les droits humains Bref, la question est d’une actualité perma- nente1. Face à cette situation, il faut donc agir sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionne- ment de ces minerais. Avec de 500 millions de consommateurs, l’Union européenne constitue un premier mar- ché mondial pour les minerais et les métaux, à la fois comme matières premières à transfor- mer et comme produits finis pour la consom- mation courante (ordinateurs, GSM, smart- phones, laptops…). L’UE s’est déjà saisie de cette question de l’exploitation et de la com- mercialisation des minerais. La société civile a compris cet enjeu et a obtenu dès 2010 du Par- lement européen un positionnement clair en faveur d’un mécanisme de transparence dans les chaînes d’approvisionnement de plusieurs ressources minières, notamment l’étain, le L’exploitation artisanale de minerais est un travail dur, mais le prix tungstène, le tantale et l’or. Ce processus a © WSM à la vente ne dépend pas du travailleur… débouché sur l’élaboration d’un règlement européen, en 2014, se basant sur « le devoir la société civile en déplore notamment les de diligence pour des chaînes responsables éléments suivants : le caractère contraignant d’approvisionnement en minerais provenant ne concerne que quelques entreprises « en de zones de conflit ou à haut risque » (OCDE). amont » de la chaîne d’approvisionnement, et Ce mécanisme vise à ce que la consommation pas celles qui travaillent sur les produits finis ; de ces ressources ne serve plus à financer des le caractère volontaire et autorégulé trop im- conflits armés ni à porter atteinte à des droits portant pour ces entreprises ; enfin, ce règle- humains à travers le monde. ment n’entrera en application qu’en 2021 ! Ce règlement a ensuite fait l’objet de plu- Néanmoins, la société civile considère ce sieurs débats, avec de nombreuses conces- règlement comme un premier pas, et en ap- sions faites aux entreprises, avant d’être adop- pelle à la bonne volonté du secteur privé pour, té le 16 mars 2017. malgré tout, consentir des efforts en faveur Déçue par les nombreuses concessions de circuits d’approvisionnement plus respec- faites aux entreprises durant les négociations, tueux des droits humains. La vigilance et la 1. Nous avions déjà abordé ce sujet dans notre ILB (n°95), avril-juin mobilisation permanente restent donc néces- 2014 « Ressources naturelles » saires.
EUROPE Made in Europe, made in dignity ? Par Carole Crabbé, achACT L’industrie de l’habillement se nous n’avons simplement rien à manger » ra- caractérise bien souvent par des conte une femme travaillant dans une usine de confection en Ukraine. Une autre travailleuse conditions de travail scandaleuses. en Hongrie a déclaré : « Nos salaires suffisent L’Europe ne fait malheureusement à peine à payer les factures d’énergie, d’eau et pas exception. Dans de nombreux de chauffage ». Des entrevues avec cent dix travailleuses pays d’Europe centrale et orientale, et travailleurs des usines de fabrication de se pratiquent des salaires dérisoires chaussures et de vêtements en Hongrie, en qui, pas plus qu’en Asie, ne couvrent Serbie et en Ukraine ont révélé qu’ils sont obligés de faire des heures supplémentaires les besoins fondamentaux d’une uniquement pour atteindre leurs objectifs de travailleuse et de sa famille. production. Pourtant, même en travaillant da- vantage, ils gagnent à peine plus que le salaire minimum légal. U ne part importante des vêtements Un grand nombre de travailleuses et tra- de mode, ou des vêtements de vailleurs interrogés ont signalé des condi- travail, est fabriquée en Europe tions de travail périlleuses telles que l’exposi- centrale et orientale. Par exemple, tion à des chaleurs extrêmes et à des produits 20% des approvisionnements de Bel-confect, chimiques toxiques, des ateliers insalubres, première entreprise belge de vêtements de des heures supplémentaires obligatoires non travail à s’affilier à la Fair Wear Foundation rémunérées et un traitement abusif de la part proviennent d’Europe orientale, dont 9% d’Al- de la direction. Certains déclarent être intimi- banie. Dans ce pays, le salaire mensuel d’une dés et constamment menacés de licenciement travailleuse de la confection employée à temps ou de délocalisation. plein avoisine la plupart du temps le salaire Lorsque les travailleuses et travailleurs minimum légal fixé à 150 euros par mois. serbes demandent à la direction pourquoi il Ce salaire correspond en Albanie au pouvoir n’y a pas de climatisation durant l’été, pour- d’achat d’une travailleuse en Chine. Concrè- quoi l’accès à l’eau potable est limité, pourquoi tement, cela signifie qu’une travailleuse doit ils doivent travailler à nouveau le samedi, la ré- travailler une heure durant pour se payer un ponse est toujours la même : « La porte est là. ». litre de lait (contre 6 minutes en Allemagne). Comment expliquer ces conditions de « Made in Europe », le dernier rapport de travail dantesques ? Luc Triangle, secrétaire ICI ET LÀ-BAS — n° 110 — page 18 notre réseau international Clean Clothes Cam- général d’IndustriALL, pointe le pourcentage paign, illustre bien les conditions de travail extrêmement faible de la syndicalisation dans qui règnent dans l’industrie de l’habillement ces pays. en Europe centrale et orientale. Les salaires Il est clair que de grandes marques de minimaux légaux dans la région sont en réa- mode internationales et des producteurs de lité inférieurs aux seuils de pauvreté et aux vêtements de travail profitent largement de ce niveaux de subsistance officiels de ces pays. système de bas salaires. achACT et la Clean Les conséquences sont dramatiques : « Parfois, Clothes Campaign appellent ces marques à
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