Droits et libertés - Ligue des droits et libertés

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Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Droits
                                                                                Volume 37, numéro 1, printemps 2018

                                                  et libertés

                         • Historique des luttes pour le droit au logement
                         • L’urbanisation ou la bidonvilisation du Sud global
Photo : Bernard Gauvin

                         • La financiarisation du marché de l’habitation
                         • Une police qui patrouille sans armes à feu?
                         • Facebook, est-il vraiment notre ami?
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Dans ce numéro
La LDL est un organisme sans but lucratif,                   Éditorial
indépendant et non partisan, issu de la société
civile québécoise et affilié à la Fédération                 Élections 2018: Faire place à la défense des droits ................................................ 3
internationale des ligues des droits de l’homme                Christian Nadeau
(FIDH). Elle milite en faveur de la défense et
de la promotion de tous les droits humains
                                                             Un monde sous surveillance
reconnus par la Charte internationale des droits             Facebook est-il vraiment notre ami?....................................................................... 5
de l’homme.                                                    Dominique Peschard
Personnes-ressources                                         Ailleurs dans le monde
  Hélène Bélanger            Collaborations à ce numéro
  Bill Clennett                Alexandra Bahary              Peut-on encore « terrasser le mammouth »?......................................................... 7
  Marie-José Corriveau         Hélène Bélanger                 Kirill Koroteev
  Marie-Ève Desroches          Jean-V. Bergeron-Gaudin
  Zahia El-Masri               Kim Bouchard                  Dossier : Droit au logement
  Mazen Houdeib                Marjolaine Deneault
  Marie-Neige Laperrière       Marie-Ève Desroches           Présentation............................................................................................................ 9
  François Saillant            Zahia El-Masri                   Martin Gallié
  Charlotte Thibault           Martin Gallié
                               Louis Gaudreau                Les principales luttes du mouvement pour le droit au logement.......................... 11
Comité de rédaction            Dalia Gesualdi-Fecteau           Jean-Vincent Bergeron-Gaudin
  Martin Gallié                Isabel Heck
  Dominique Peschard           Marc-André Houle              Droit au logement bafoué : l’inaction des gouvernements en cause ................... 14
  Lysiane Roch                 Émilie E. Joly
                               Kirill Koroteev
                                                                Émilie E. Joly
Révision linguistique          Anne Latendresse              La Régie du logement, une machine à expulser les locataires.............................. 16
  Marcel Duhaime               Guy Latouche
  Lisette Girouard             Marie-Ève Lemire                 Marjolaine Deneault
  Claire Lalande               Alice Lepetit                 Les Premières Nations au Québec et le droit au logement................................... 18
                               Pierre-Luc Lupien
Responsable de l’édition       Julien Montreuil                 Guy Latouche
  Martine Eloy                 Stéphane Moreau
                               Christian Nadeau              Personnes itinérantes : comment se conjugue le droit au logement.................... 21
Correction d’épreuves          Martin Pagé                      Alice Lepetit
  Karina Toupin                Dominique Peschard
                               Alexandre Popovic             Ouverture et limites d’une démarche d’intervention territoriale......................... 23
Graphisme                      Jean-Pierre Racette              Isabel Heck et Jean-Pierre Racette
  Sabine Friesinger            Lysiane Roch
                               Ted Rutland                   Toit, Dignité, Intégration : trois objectifs indissociables........................................ 25
Impression                     Marjolaine Tapin                 Zahia El-Masri
  Imprimerie Katasoho          Patricia Viannay
                                                             Les logements : des témoins muets de violences sexuelles.................................. 27
Photos pages couvertures
  Bernard Gauvin
                                                                Marie-Ève Desroches
  berngauvin@gmail.com                                       Droit au logement fragilisé par la financiarisation................................................ 29
                                                                Louis Gaudreau, Marc-André Houle, Hélène Bélanger et Ted Rutland
                                                             Contrer la gentrification environnementale.......................................................... 32
                                                                Lysiane Roch
Sauf indication contraire, les propos et opinions            L’habitation : le noeud gordien du droit à la ville dans le Sud global.................... 35
exprimés appartiennent aux auteurs et n’engagent ni la
Ligue des droits et libertés, ni la Fondation Léo-Cormier.      Anne Latendresse
La reproduction totale ou partielle est permise et           Logement sociaux accessibles, oui, mais pour qui?.............................................. 38
encouragée, à condition de mentionner la source.                Martin Pagé et Julien Montreuil
Revue de la Ligue des droits et libertés                     Les locataires des régions rurales victimes d’inégalités........................................ 40
Volume 37, numéro 1, printemps 2018                             Stéphane Moreau et Marjolaine Tapin
Dépôt légal                                                  GîM : Précarité résidentielle et recours au droit du logement.............................. 42
Bibliothèque nationale du Québec                                Pierre-Luc Lupien
Bibliothèque nationale du Canada
ISSN 0828-6892                                               Hors Dossier
                                                             Maternité et chômage : un cas de discrimination systémique.............................. 44
                                                               Kim Bouchard
Cette revue est une publication de la Ligue des droits et
libertés, réalisée avec l’appui financier de la Fondation    Et si la police patrouillait sans armes à feu?.......................................................... 46
Léo-Cormier. Elle est distribuée à leurs membres.              Alexandre Popovic
                                                             Le travail à l’ère du capitalisme de plateforme...................................................... 48
                                                               Dalia Gesualdi-Fecteau
                                                               Un monde de lecture
                                                             À qui profite le numérique? Pour un internet par et pour la collectivité.............. 52
                                                               Alexandra Bahary
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Éditorial

                                 Élections 2018
                       Faire place à la défense des droits

Christian Nadeau, président
Ligue des droits et libertés

E    n raison des élections de l’automne, nous assistons depuis
     un certain temps à un spectacle à grand déploiement où
     les partis politiques n’hésitent pas à recourir à toutes les
méthodes possibles pour susciter l’adhésion. Les projecteurs
illuminent tantôt une vedette tantôt une formule-choc,
                                                                       préoccuper. Depuis des années, ils mesurent et documentent
                                                                       l’impact désastreux des longues périodes d’austérité, où
                                                                       la soi-disant rigueur budgétaire a bénéficié aux plus riches
                                                                       et écrasé les plus pauvres. Dénigrer ou faire peu de cas du
                                                                       savoir immense de centaines de militant-e-s, dont plusieurs
reléguant dans l’ombre le débat d’idées. Pourtant, nous avons          travaillent pour des groupes communautaires depuis plus de
besoin plus que jamais d’une information de qualité et d’un            trente ans, sans parler d’organisations dont l’histoire traverse
dialogue public de haut niveau. Une élection, quoi qu’on en            celle du Québec, a pour effet ni plus ni moins que d’empêcher
pense, est un événement trop lourd de conséquences pour le             l’intelligence de l’espace public. Ces personnes et ces groupes
laisser entre les mains des politicien-ne-s. Elles et ils n’ont pas,   nous rappellent sans relâche l’importance fondamentale du
fort heureusement pour le Québec, le monopole du débat                 respect de chaque personne, quelle qu’elle soit, sur le plan de
politique.                                                             la protection sociale et des libertés civiles. Leur tâche cruciale
                                                                       au cours des prochaines semaines ne sera pas d’influencer le
  La foire d’empoigne des partis n’est pas la seule cause              vote mais de replacer les droits humains au premier plan de
de dérapage en période électorale. En quête d’auditoire, la            nos préoccupations.
majorité des médias ont tendance à traiter la politique comme
une simple joute sportive. Cela se traduit par des chroniques             Il serait trop commode de se borner à la critique des
déclamatoires où on maquille dans la presse la futilité de             personnalités politiques ou médiatiques. Ce serait surtout
propos simplistes à coups de caractères gras et de points              contraire aux efforts fournis depuis des dizaines d’années par
d’exclamation, ou en éructant sur les ondes des monologues             des centaines de militant-e-s de plus de trois cents organisations
dont la valeur se mesure surtout en décibels, au détriment             un peu partout dans la province, qui agissent de façon concrète
des opinions nuancées et des enquêtes de longue haleine.               pour sauver la justice sociale et la solidarité. Si la tâche est
Les médias dits sociaux, capables du meilleur comme du pire,           immense, elles et ils nous rappellent sans cesse que nous ne
contribuent largement à ce penchant. Dès lors, le contre-              pouvons pas nous permettre le luxe du découragement. Il faut
discours face au discours populiste manque de moyens et                accroitre la protection sociale pour garantir une vie décente
ne suscite pas l’enthousiasme, étant par essence étranger au           aux personnes appauvries, augmenter considérablement les
goût du spectacle.                                                     investissements pour le logement social, assurer l’accès à la
                                                                       justice et prévoir les services adaptés aux besoins des groupes
  La peur et le repli mobilisent davantage que l’intelligence          vulnérables. Il est urgent de bonifier le réseau des garderies
et le courage de l’ouverture. Malgré tous ces obstacles, les           publiques, d’améliorer les conditions d’enseignement au
organismes d’action communautaire autonomes et les groupes             sein des écoles primaires et secondaires et de favoriser
de défense collective des droits reviennent sans cesse à la            l’intégration aux études supérieures. On ne dira jamais assez
charge pour rappeler les principaux enjeux qui devraient nous          l’importance de s’opposer à toute forme de discrimination

                                                                   Revue   de   la   Ligue   des   Droits   et   Libertés • Printemps 2018           3
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Photo: http://www.defensedesdroits.com   Éditorial

                                         sexuelle, de poursuivre la lutte pour l’égalité entre les hommes              politique. L’idéologie du repli sur soi et des intérêts égoïstes
                                         et les femmes, de combattre le racisme et d’exprimer par des                  trouve aussi sa source dans l’insécurité face à un monde
                                         gestes concrets notre appui aux revendications des Peuples                    complexe où les solutions simples s’avèrent le plus souvent
                                         autochtones. Tout cela n’aurait pas de sens si nous devions                   fallacieuses. Voilà pourquoi penser notre avenir social et
                                         privilégier les milieux urbains au détriment des régions                      politique au Québec commence par placer très haut la barre
                                         éloignées ou abandonner l’environnement à l’appétit des                       de nos exigences lors de nos discussions. Voilà pourquoi il
                                         promotrices et promoteurs de projets qui sabotent l’avenir                    faut saluer et encourager le travail colossal des organismes
                                         de générations entières. Toutes ces revendications n’ont rien                 de défense collective des droits, qui œuvrent sans relâche à
                                         d’utopique : elles s’imposent comme une nécessité dès lors                    l’analyse des faits, à la reconnaissance des injustices et à la
                                         qu’on prête attention aux souffrances dont sont témoins les                   promotion d’une société égalitaire.
                                         groupes de défense des droits.

                                           Soyons clairs. Il serait vain de s’en prendre à celles et ceux
                                         qui adhèrent aux discours populistes sans tenir compte                        Note : Ce texte est paru dans Le Devoir, samedi, 21 avril 2018,
                                         des difficultés d’accès à l’information, des lacunes de notre                 https://www.ledevoir.com/opinion/idees/525630/faire-
                                         système d’éducation et des conditions de vie et de travail                    place-a-la-defense-des-droits-en-campagne-electorale
                                         difficiles qui laissent peu de temps pour se préoccuper de

                                                                            Merci Nicole!
                                                Nicole Filion nous quittera bientôt après avoir occupé des
                                                fonctions de direction à la Ligue des droits et libertés pendant
                                                près de 20 ans, soit à titre de présidente de 2000 à 2007 et,
                                                ensuite, à titre de coordonnatrice à partir de 2007. Même si nous
                                                entendons souvent dire que personne n’est irremplaçable, Nicole
                                                a clairement laissé sa marque dans l’histoire des luttes pour la
                                                défense des droits au Québec. Au nom du conseil d’administration,
                                                de l’équipe et des militant-e-s de la LDL, mais aussi de toutes les
                                                personnes qui aspirent à la justice sociale, nous remercions Nicole
                                                chaleureusement pour son engagement pour une société basée sur
                                                le respect de la dignité de toutes et tous.

4                                                Revue   de   la   Ligue   des   Droits   et   Libertés • Printemps 2018
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
:
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                                                                                         Un monde sous surveillance
       Chloé Germain-Thérien

                                                                                                                                                               Dominique Peschard
                                                                                                                                  Comité sur la surveillance des populations,
                                                                                                                                                  Ligue des droits et libertés

u
 se                            Facebook est-il vraiment notre ami?
                               La face cachée de Facebook
 -                        Le’utilisation
                                projet        de loi « accès liciteDes entreprises,      »
nt
                   L      lumière
                                         des données de Facebook par la firme
                          deprésidentielle
                                retour
                            Cambridge Analytica (CA) pour influencer l’élection
                                           aux États-Unis et le vote sur l’adhésion
                          de la Grande Bretagne à l’Union Européenne (UE) a mis en
                              À la lefin  du mois
                                       manque           dede
                                                  flagrant   mars      dernier,
                                                                protection        le projet
                                                                             des données
                                                                                                      institutions gouvernementales, et même
                                                                                    vos amis Facebook pourraient utiliser un outil comme
                                                                                    celui-là pour tirer des conclusions sur votre intelligence,

                                                                                             desd’accès
                                                                                                       votre orientation sexuelle ou vos opinions politiques que
                                                                                                       vouslicite
                                                                                                             n’aviezapas
                                                                                                                       revu    le de partager. »1
                                                                                                                          l’intention
                         jour.    En effet,
                          utilisatrices  et desceutilisateurs
                                                    projet a d’abord
                                                                de Facebook étéetprésenté
                                                                                    la manièreà l’automne 2002, suite
                         àdont    ces données par
                            la ratification       pouvaient   être utilisées
                                                       le Canada               insidieusementsur laLors
                                                                       de la Convention                     de sa comparution
                                                                                                        cybercriminalité          . devant le Congrès des États-Unis,
                          pour influencer leur comportement. Les révélations d’anciens              Mark Zuckerberg a défendu la politique de respect de la vie
                         Ilemployés
                            a ensuite       pris la forme
                                      de Cambridge             d’un
                                                       Analytica  et deprojet
                                                                         Facebookdeontloisoulevé
                                                                                          en novembre
                                                                                                    privée de 2005,    intitulé
                                                                                                                Facebook      en déclarant, de manière ingénue, que
 ad.                     Loi    sur et
                          un tollé   la lancé
                                         modernisation
                                               une réflexion des      techniques
                                                                salutaire              d’enquête
                                                                           sur la menace     que    , qui visait
                                                                                                    Facebook    ne à   obligerpas les données de profil affichées
                                                                                                                     compilait
                          représente
                         les            une compagnie
                                 fournisseurs        de comme
                                                           services Facebook.
                                                                          de télécommunication,     par les téléphone
                                                                                                             utilisatrices et etles utilisateurs sur leur compte, mais
                                                                                                    seulement leurs activités en ligne, alors que ces activités en
                         Internet,
                          Cambridgeà Analytica
                                           se doter de la technologie nécessaire pour                      intercepter
                                                                                                    dévoilent   beaucoup les  plus sur une personne que ce qu’elle
                         communications et permettre le transfert de données                               d’abonnés         aux
                                                                                                    choisit d’afficher consciemment        sur son compte!
                            Cambridgesur
                         autorités         Analytica
                                              simple   estdemande
                                                            une compagnie (nom,créée   en 2013de téléphone, adresse
                                                                                   numéro
                          par Alexander Nix qui offre à des partis politiques et à des                 Cambridge Analytica a très bien compris le potentiel de
                         postale,      adresse IP, adresse courriel), et ce sans cette
                          entreprises de changer la perception et le comportement de
                                                                                                     autorisation        judici-
                                                                                                           recherche et a enrôlé un des collègues de l’équipe de
s et                     aire.    Le projet
                          populations    cibles. de
                                                 Elle loi  est filiale
                                                      est une   tombé      au Group
                                                                       de SCL   feuilleton     avecchercheur-e-s,
                                                                                       qui offre      le déclenchementAleksandr Kogan, pour la détourner aux fins de
oir                      des      élections
                          des services           fédérales
                                         semblables    à travers en    janvier 2005, jusqu’àCA.ce que Marlene
                                                                 le monde.

 il                      Jennings le remette sur la table par le biais du projet de loi privé C-416
                            Steve Bannon, qui a piloté la fin de la campagne électorale                  Pour atteindre leur objectif, Kogan et la compagnie Global
                         suite    auxTrump,
                          de Donald       pressions              Association
                                                          delel’conseil
                                                a siégé sur                        canadienne
                                                                        d’administration   de CA des       chefs
                                                                                                      Science        de police
                                                                                                                 Research     (GSR). qu’il avait fondée ont exploité
 is.                     Ce    projet
                          de 2014        estC’est
                                    à 2016.   présenté       comme
                                                    par l’entremise       étant
                                                                      de ce       une
                                                                             dernier quesimple
                                                                                         Robert modernisation             néces-
                                                                                                      la possibilité offerte       (jusqu’en 2014) par Facebook aux
                          Mercer    a financé   CA  à  hauteur   de  15 millions  de dollars  US.
                         saire pour lutter contre la cybercriminalité. En fait, il s’agit de doter lesdéveloppeurs      d’application      d’avoir accès aux données
                          Robert Mercer est ce milliardaire, fervent supporteur et                    de tous les ami-e-s des utilisatrices et les utilisateurs de
                         services
                          donateur dede        surveillance
                                           Donald                   et de également
                                                     Trump, qui finance        police de       nouveaux
                                                                                          le site               pouvoirs
                                                                                                      l’application.            quiqu’en sondant quelques dizaines de
                                                                                                                      C’est ainsi
                         seraient
                          Breibart dedevenus
                                         Steve Banon.  nécessaires. Or, la preuve n’a jamais                    été faite que
                                                                                                      milliers d’utilisatrices   et d’utilisateurs Facebook, Kogan a pu
ur                       les pouvoirs actuels étaient insuffisants, malgré de nombreux appelsmillions d’utilisateurs et d’utilisatrices
                                                                                                      récolter  les données    de
                            L’outil utilisé par CA pour influencer les électrices et les              (87 millions au dernier compte). Ces données ont permis à
                         àélecteurs
                            cet effet       lancés
                                        découle        parrecherche
                                                   d’une     des groupes         de défense
                                                                         du département        de des     droits, Analytica
                                                                                                      Cambridge      de même    de cibler des électrices et des électeurs
us                       que     par   la  Commissaire          à  la Vie   Privée
                          psychologie de l’université Cambridge qui démontra en 2013 du  Canada     .  D’après      un
                                                                                                      et de les exposer journal-
                                                                                                                           à des messages – choisis en fonction de leur
                          qu’une
                         iste    duconnaissance
                                      Globe andétonnamment
                                                        Mail, le projet  fine de
                                                                               d’une
                                                                                   loi personne
                                                                                       obligerait les profilfournisseurs
                                                                                                             et dont ils ignoraient
                                                                                                                                de la provenance – susceptibles de les
                          pouvait être obtenue à partir d’un nombre limité de « j’aime »              inciter à appuyer Trump.
                         service      Internet (FSI) à se doter d’une technologie qui permettrait de
                          sur Facebook. Au moment de l’étude, les « j’aime » des
                         mettre       sous
                          utilisatrices  et dessurveillance        simultanément
                                                utilisateurs étaient   publics par défaut8000
                                                                                           et les individus       à traversde
                                                                                                      La responsabilité           le Facebook
                         Canada. Comme le dit Jennifer Stoddart, Commissaire à la vie privé,
                          chercheur-e-s     ont  souligné   le potentiel   dystopique   de  leurs
                         «résultats.
                              la Convention [contre la cybercriminalité] vise beaucoup                   Les chercheur-e-s
                                                                                                                   plus que    delal’université Cambridge ont mené leur
                                                                                                      recherche en respectant le protocole que doivent suivre
                         lutte
                            « La contre
                                  possibilitéledecybercrime           : un de
                                                    prédire des attributs     dela ses   principaux
                                                                                    personne   à      les objectifs
                                                                                                           développeurs   estd’application
                                                                                                                                de             Facebook et les milliers
                         faciliter
                            partir delefichiers
                                           partage      des renseignements
                                                  de données      sur son comportement entre  enles organismes
                                                                                                      d’utilisatrices etd’appli-
                                                                                                                           d’utilisateurs Facebook impliqués dans la
                            ligne peut
                         cation     de la avoir
                                             loides
                                                  dansimplications
                                                          les pays   négatives  considérables,
                                                                        participants.      »          recherche avaient donné leur consentement. Mais jamais ils
                               parce qu’elle peut être utilisée à l’égard d’un grand nombre
                               de personnes sans leur consentement et à leur insu. [...]              1. How Cambridge Analytica turned Facebook ‘likes’ into a lucrative political tool https://
                                                                                                        www.theguardian.com/technology/2018/mar/17/facebook-cambridge-analytica-kogan-
                                                                                                        data-algorithm?CMP=Share_iOSApp_Other

                                                                                              Revue    de   la   Ligue   des    Droits     et   Libertés • Printemps 2018                           5
TS ET LIBERTÉS
                                                                                                                                                        5
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Un monde sous surveillance

          n’avaient consenti à ce que ces données soient détournées à                                aux européennes et aux européens de connaître les données
          d’autres fins par Kogan et GSR.                                                            qui sont détenues sur eux et de les effacer entrera en vigueur
                                                                                                     le 25 mai. Les entreprises contrevenantes feront face à des
            Mark Zuckerberg tente de sauver la réputation Facebook                                   amendes pouvant atteindre 4 % de leur chiffre d’affaires.
          en prétextant que CA n’a pas respecté les conditions
          auxquelles sont soumis les développeurs d’application et                          Des recours collectifs ont été initiés au Royaume Uni et
          que son organisation renforcera ses contrôles. Cependant, le                   aux États-Unis contre Cambridge Analytica, Facebook et
Le projet de loi « accès licite »
          témoignage du gestionnaire de plateforme de Facebook en
          2011 et 2012, Sandy Parakylas, montre que l’organisation a
                                                                                         deux autres entreprises qui auraient utilisé les données de
                                                                                         71 millions d’usagères er d’usagers de manière inappropriée.
de retour volontairement ignoré les menaces d’abus qui planaient sur
          les utilisatrices et les utilisateurs de Facebook. Sandy Parakylas
                                                                                         Aleksandr Kogan et Steve Banon, qui était à la tête de CA au
                                                                                         moment des faits, sont nommés dans la poursuite. Selon un
          a alerté dès 2012 les responsables de Facebook.                                des avocats londoniens, « Les défendeurs ont violé le droit à
    À la fin du mois de mars dernier, le projet d’accès licite                           la vieaprivée
                                                                                                  revud’utilisateurs
                                                                                                           le            ordinaires de Facebook et, comme
jour. En effet,
           « J’étaisce   projet par
                     préoccupé    a d’abord
                                       le fait queété     présenté
                                                     les données          à l’automnesi 2002,
                                                                     qui quittaient                  suite
                                                                                            ce n’était  pas suffisant, les fruits de cet abus sont réputés
           les serveurs
à la ratification     parde leFacebook
                                Canadapour    de laceux   des développeurs
                                                       Convention          sur lane cybercriminalité
                                                                                         avoir servi à subvertir
                                                                                                             .      le processus démocratique. » 3
           faisaient pas l’objet d’un suivi de la part de Facebook et
Il a ensuite
           que pris
                 nous la   forme
                       n’avions       d’unidée
                                 aucune        projet
                                                   de cede    loifaisaient
                                                          qu’ils    en novembre
                                                                             de ces     2005,     intitulé à la protection de la vie privée du Canada
                                                                                            Le Commissariat
Loi sur ladonnées.
             modernisation
                       »2            des techniques d’enquête, qui visait                       à obliger à l’information et à la protection de la vie
                                                                                         et le Commissariat
les fournisseurs de services de télécommunication, téléphone                             privée de la Colombie-Britannique
                                                                                                           et                       ont initié des enquêtes
           Les dirigeant-e-s de Facebook l’ont découragé d’enquêter                      conjointes sur Facebook et AggregateIQ afin d’établir si ces
Internet,
        suràceseque  doter    de la
                        faisaient   lestechnologie
                                        développeurs. nécessaire
                                                            « Veux-tu vraiment  pour intercepter
                                                                                         derniers ontles   violé les lois du Canada sur la protection de
communications
        voir ce que tuetvas  permettre
                                trouver? » lui  le aurait
                                                    transfert
                                                            mêmede    ditdonnées
                                                                          un cadre. d’abonnés
                                                                                         la vie privée.auxAggregateIQ est une compagnie canadienne
        À l’époque,
autorités    sur simple  les applications
                               demandese(nom,      multipliaient
                                                            numéro   sur Facebook
                                                                           de téléphone, liée à adresse
                                                                                                 Cambridge Analytica qui a vraisemblablement servi à
        et la compagnie prélevait 30 % sur les paiements effectués                       contourner la législation de l’Angleterre dans la campagne
postale,viaadresse        IP, adresse
             les applications    en échange    courriel),
                                                  d’un accèsetaux  cedonnées
                                                                         sans des autorisation      judici-
                                                                                         pour le Brexit.   4

aire. Leutilisatrices
           projet de       loi utilisateurs.
                       et des   est tombé          auParakylas
                                                Selon    feuilleton      avec le déclenchement
                                                                    les utilisatrices
        et les utilisateurs
des élections                 de Facebook
                      fédérales                ne lisaient2005,
                                       en janvier           pas ou ne     pouvaient
                                                                      jusqu’à       ce que  La réglementation
                                                                                                Marlene pour la protection de la vie privée n’a pas
        pas comprendre le contrat de service de la compagnie et                          suivi le développement fulgurant des nouvelles technologies
Jennings     le remette sur la table par le biais du projet de loideprivé
        le réglage des paramètres de Facebook. D’après Parakylas,
                                                                                                    C-416
                                                                                             l’information. Cela fait des années que des militant-e-s
suite aux     pressions       de   l’Association          canadienne
        les données de la majorité des usagers et des usagères                des    chefs   de    police
                                                                                         des droits de la.personne sonnent l’alarme et demandent un
Ce projet    est présenté
        Facebook                  comme
                     ont probablement         étéétant    uneà simple
                                                  récoltées      leur insu modernisation
                                                                             par des     meilleurnéces-
                                                                                                    encadrement. Avec les récents développements, la
        développeurs.
saire pour lutter contre la cybercriminalité. En fait, il s’agit de doter                situation   n’a les
                                                                                                          jamais été aussi propice pour revendiquer des
                                                                                         mécanismes internationaux de régulation des Facebook de
servicesLesde       surveillance
               retombées                 et de police de nouveaux pouvoirs
                               du scandale                                               ce monde etqui    un régime efficace de protection des données
seraient devenus nécessaires. Or, la preuve n’a jamais été faite quel’échelle planétaire.personnelles     à
           L’affaire
les pouvoirs          Cambridge
                   actuels     étaientAnalytica/Facebook
                                            insuffisants, amalgré   mis au de  grand
                                                                                   nombreux appels
        jour le manque de protection des données des usagères et
à cet effet     lancésl’utilisation
        des usagers,        par desabusive
                                         groupes         de défense
                                                   qui pouvait     être faitdes
                                                                              de cesdroits, de même
          la Commissaire
que pardonnées       et surtout qu’ilà laétait
                                            Vie impossible
                                                  Privée dud’avoir Canada      . D’après un journal-
                                                                          confiance
        dans     les  mécanismes       d’autorégulation       d’une
iste du Globe and Mail, le projet de loi obligerait les fournisseurs de compagnie
        comme Facebook. Les regrets de Mark Zuckerberg et ses
servicepromesses
          Internetde(FSI)       à se àdoter
                          faire mieux      l’avenird’une     technologie
                                                      n’ont convaincu             qui permettrait de
                                                                          personne.
mettre sous surveillance simultanément 8000 individus à travers le
Canada. L’Union
            Comme    Européenne   a annoncéStoddart,
                        le dit Jennifer      qu’elle comptait   enquêter à la vie privé,
                                                         Commissaire
         sur la collecte des données personnelles. Le Groupe de travail          Les informations pour cet article sont tirées principalement
« la Convention        [contre
         Article 29 (G29)        la cybercriminalité]
                           qui chapeaute  le travail de l’UEvise  beaucoupdu*plus
                                                              en matière        site duque    la
                                                                                         Guardian.     Pour en savoir plus, consulter sur ce site
lutte contre      le  cybercrime      : un   de   ses    principaux
         de protection des données va mettre sur pied un groupe de     objectifs     est     de
                                                                           « The Cambridge Analytica Files ».
facilitertravail
           le partage     des renseignements
                 sur les médias  sociaux afin de menerentredes les organismes d’appli-
                                                                enquêtes
         et développer des stratégies communes. Une nouvelle loi
cation de    la loi dans les pays participants. »
         européenne de protection de la vie privée qui donne droit          3. Facebook and Cambridge Analytica face class action lawsuit https://www.theguardian.
                                                                                                       com/news/2018/apr/10/cambridge-analytica-and-facebook-face-class-action-
                                                                                                       lawsuit?CMP=Share_iOSApp_Other
            2. « Utterly horrifying »: ex-Facebook insider says covert data harvesting was routine    4. AggregateIQ: the obscure Canadian tech firm and the Brexit data riddle https://www.
              https://www.theguardian.com/news/2018/mar/20/facebook-data-cambridge-analytica-           theguardian.com/uk-news/2018/mar/31/aggregateiq-canadian-tech-brexit-data-riddle-
              sandy-parakilas?CMP=Share_iOSApp_Other                                                    cambridge-analytica?CMP=Share_iOSApp_Other

BERTÉS
   6                  Revue     de   la   Ligue   des   Droits   et   Libertés • Printemps 2018                                          5
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Ailleurs dans le monde

                                          Liberté d’association
       Peut-on encore « terrasser le mammouth »?
Kirill Koroteev, directeur juridique
Centre des droits de l’homme « Mémorial » à Moscou, Russie

M        on ami et collègue, le juriste russe Andreï Ïessine,
         enseignait le droit international relatif aux droits
         de l’homme et a fait carrière à l’international. J’ai
déjà assisté à une conférence qu’il donnait sur le système
européen de la protection des droits. « À quoi sert la
liberté d’association? », demandait-il aux étudiant-e-s et
aux professionnel-le-s présents. Cette question peut rendre
perplexes même les militant-e-s expérimentés. Les réponses
étaient : « Pour se réunir… pour créer des associations et
un syndicat… ». Andreï n’était visiblement pas satisfait des
réponses. « Vous oubliez l’essentiel : elle sert à terrasser le
mammouth! »

   C’est devenu un truisme de dire que la liberté d’association
est en danger. Les conférences et discussions sur le shrinking       amendes dépassant au total 10 000 dollars... Mais cette loi
space se multiplient à la même vitesse que celle de                  n’ajoute presque rien aux exigences comptables et fiscales
l’augmentation des lois liberticides. La Russie arrive au premier    adoptées en 2006 et les associations qui ne reçoivent que
rang de ce palmarès avec l’adoption de la réglementation             du financement russe peuvent continuer à fonctionner dans
restrictive sur le financement étranger des ONG en 2006 et           l’opacité financière.
surtout avec la loi sur les « agents de l’étranger » en 2012.
Cette dernière oblige les ONG qui reçoivent des fonds de                La condition de « participation à l’activité politique » ne
provenance étrangère, aussi minimes soient-ils, et qui               se limite pas aux ONG qui, par exemple, soutiennent des
« s’engagent dans l’activité politique » à se déclarer comme         candidat-e-s aux élections. La loi définit l’« activité politique »
« agent de l’étranger » auprès du Ministère de la justice.           comme « toute influence sur l’opinion publique susceptible
Depuis 2014, le Ministre peut désigner de son propre chef des        d’agir sur les décisions prises par les organes de pouvoir ».
ONG comme des « agents de l’étranger ».                              Compte tenu de l’évolution politique des dix dernières années
                                                                     en Russie, qui a éliminé toute possibilité d’influence des
   Plusieurs problèmes se sont posés depuis l’adoption de            ONG sur les décisions du pouvoir, prouver cette influence
cette loi qui prétendait viser la transparence financière.           est difficile à faire pour l’administration. Pour y arriver, elle
D’abord « agent de l’étranger » signifie en russe « un espion,       devrait présenter des études sociologiques, des témoignages,
un ennemi » et réfère à la période de la Grande terreur              etc. Pour éviter cette recherche approfondie de preuves, les
stalinienne des années 1930. Cette étiquette est en soi              procureurs et le Ministère de la justice se limitent à dire que
inacceptable et ce choix fait par le législateur russe en 2012 et    tout texte sur le site d’une ONG constitue une influence sur
en 2014, ainsi que les sanctions qui s’élèvent à 7 000 dollars       l’opinion publique et, en conséquence, sur les décisions du
pour ne pas avoir identifié un texte sur Internet comme              pouvoir. Ceci permet de définir n’importe quelle association
provenant d’un « agent de l’étranger », démontrent que le            comme un « agent de l’étranger ».
but était de stigmatiser les groupes indépendants plutôt que
d’assurer la transparence financière. Des ONG qui défendent la          Pire encore, les tribunaux reconnaissent une liberté
transparence des élections, les droits de l’homme, mais aussi        totale à l’administration dans la désignation des « agents de
l’environnement, les minorités et les groupes vulnérables,           l’étranger ». Il est possible de saisir un juge d’un recours pour
ont été forcées de cesser leurs activités sous la menace de          abus de pouvoir de la part de l’administration, mais il accepte
lourdes sanctions financières, d’autres ont été dissoutes par        sans question ni réserve toute appréciation de l’administration
des décisions judiciaires, d’autres encore ont reçu plusieurs        et s’incline devant elle. Les conséquences vont bien au-delà

                                                                Revue   de   la   Ligue   des   Droits   et   Libertés • Printemps 2018    7
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Ailleurs
    Dossierdans
             :  le monde

    de la répression de la société civile. Une fois la désignation                En effet, les nouvelles technologies numériques donnent
    en vertu de la « loi sur les agents de l’étranger » reconnue                  une voix dans l’espace public à des millions de personnes qui
    par le juge, la liberté illimitée d’action ne peut être refusée à             n’étaient que consommatrices de médias auparavant. Les
    l’administration. La discrétion administrative est donc absolue,              réseaux sociaux sont souvent pointés du doigt parce qu’ils
    compte tenu de l’absence de contrôle juridique.                               permettent la diffusion de fake news. Toutefois, dans les pays
                                                                                  où les journaux et les stations de radio et de télévision sont
       L’effet de ces actions contre la société civile dépasse les                contrôlés par le pouvoir, c’est par l’Internet que les personnes
    frontières. Les pratiques de limitation des droits circulent                  indépendantes et critiques peuvent s’exprimer, s’adresser
    vite entre dirigeant-e-s qui souhaitent éviter la contestation                aux autres, se réunir – et au moins constater qu’elles ne sont
    et rester au pouvoir pour une durée illimitée, comme celles                   pas seules. Cela peut se faire avec une efficacité et à une
    et ceux de la Hongrie, de la Pologne, d’Israël, de l’Inde, de                 vitesse auparavant inaccessibles. Pensons, par exemple, aux
    l’Ethiopie et du Zimbabwe, qui adoptent les mêmes pratiques.                  dissident-e-s soviétiques qui étaient limités aux quatre copies
    Il en résulte que même les démocraties beaucoup plus libérales                d’une page que les meilleures machines à écrire de l’époque
    que celle de Viktor Orbán (Hongrie) acceptent tacitement                      pouvaient produire en même temps. Les associations établies
    que les gouvernements réglementent le financement de                          en tant que personnes morales facilitent la mise en commun
    la société civile comme bon leur semble – au lieu d’exiger                    des ressources et la professionnalisation du personnel. Mais
    la transparence du financement des partis, ainsi que des                      le socio financement permet maintenant à la société civile de
    campagnes électorales des candidat-e-s.                                       mettre en œuvre des initiatives par la voie numérique, sans
                                                                                  avoir besoin ni de bureaux ni d’archives papier. Et s’il n’y a pas
      Malgré le recul quasi-universel des droits et libertés, dans                de bureaux, les procureurs n’ont rien à perquisitionner. Les
    ces conditions peu favorables à la liberté d’association,                     mammouths ont encore des raisons de s’inquiéter…
    existe-il des raisons d’espérer? La réponse est affirmative.

                                                                         ABONNEZ-VOUS DÈS MAINTENANT !
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Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Dossier : Droit au logement

                            Présentation
                Droit au logement et conflits sociaux
Martin Gallié, Professeur de droit
Département des Sciences juridiques, UQAM

               L     es analyses et les témoignages regroupés dans ce dossier spécial de la Ligue des droits et
                     libertés sur le droit au logement invitent de nouveau à se poser la lancinante question :
                     « Que faire »?

                Contradictions sociales et inégalités de logement
                  Le logement est de loin le premier poste de dépense des Québécois-es, propriétaires (60 %
                des cas) ou locataires (40 %). Ces données masquent cependant l’essentiel, à savoir la « spirale
                des inégalités1 » en matière de logement.

                  D’un côté, une minorité : les détentrices et détenteurs de capitaux et de patrimoine, des
                entreprises immobilières ou celles qui spéculent sur l’« or gris » des personnes retraitées2, les
                héritières et héritiers ou de rares épargnant-e-s qui ont pu investir au bon moment et au bon
                endroit, engrangent des profits et des héritages records, au point de menacer, selon certains
                économistes3, la démocratie et la justice sociale.

                  De l’autre, l’immense majorité, les classes populaires : travailleuses et travailleurs précaires, au
                salaire minimum, au chômage, personnes assistées sociales, immigrantes, sans statut, retraitées,
                qui n’arrivent pas à payer leur loyer, leur hypothèque ou leur établissement de retraite. Il y a
                chaque année 2 000 saisies immobilières et plus de 40 000 demandes d’expulsion de locataires
                pour non-paiement, toutes accordées ou presque par la Régie du logement, jetant ainsi à la rue
                des milliers de personnes.

                  De ces inégalités économiques découlent par ailleurs des inégalités en ce qui a trait à la
                maladie, la santé mentale et, en fin de compte, l’espérance de vie. De fait, les riches et les
                pauvres ne respirent pas le même air, ne boivent pas la même eau, ne disposent pas du
                même espace vital, ne jouent pas sur les mêmes terrains de jeu, etc. Or, selon l’Organisation
                mondiale de la santé, l’insalubrité est la première cause de mortalité dans le monde pour les
                catégories sociales les plus vulnérables, et la situation risque de se dégrader davantage encore
                avec l’accroissement de la pollution atmosphérique et le réchauffement climatique4. Sur l’île
                de Montréal, aujourd’hui, 5 000 enfants souffrent de problèmes respiratoires en raison d’une
                humidité excessive du logement5.

                  Par ailleurs, si la question du « sexe de la propriété » reste sous-documentée6, on sait que
                les femmes sont moins souvent propriétaires que les hommes7, que la part du revenu qu’elles
                consacrent au logement est plus importante pour elles que pour les hommes alors même
                qu’elles gagnent 25 % de moins - l’équivalent des dépenses moyennes en matière de logement.

                 1. BUGEJA-BLOCH, Fanny. Logement, la spirale des inégalités, PUF, 2013.
                 2. NÉNIN, François, et Sophie LAPART. L’Or gris, Flammarion, 2011.
                 3. Piketty, Thomas, Le capital au XXI siècle, Seuil, 2013.
                 4. OMS, PRÜSS-ÜSTÜN, Annette, et autres, en ligne : .
                 5. DSP, à la p 28 en ligne : 
                 6. GOLLAC, Sibylle. Le genre caché de la propriété dans la France contemporaine, 2017, 1 CdG 43.
                 7. CSF, https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/portrait_national_egalite_2016.pdf

                                                                                Revue      de   la   Ligue   des   Droits   et   Libertés • Printemps 2018      9
Droits et libertés - Ligue des droits et libertés
Dossier : Droit au logement

              On sait également que 76 % des familles monoparentales ont à leur tête des femmes qui hébergent leurs
              enfants avec tout ce que cela implique en termes de coût et de difficultés à trouver un logement. Enfin, le
              logement, c’est aussi le lieu du « privé » et de ce qui s’y cache, le lieu du travail domestique et des violences
              conjugales, y compris les agressions à caractère sexuel.

                Aux États-Unis, les recherches montrent que les expulsions frappent de manière complètement
              disproportionnée les femmes racisées8? À Baltimore, les victimes d’insalubrité qui se présentent au tribunal
              sont afro-américain-e-s dans 94 % des cas, des femmes dans 79 % des cas, des femmes avec des enfants
              pour 65 %9? Faute de données disponibles au Québec sur ces enjeux, on rappellera simplement que les
              États-Unis n’ont bien évidemment pas le monopole du sexisme et du racisme. À titre d’exemple, les 2 000
              locataires autochtones du Nunavik reçoivent chaque année entre 500 et 1 000 demandes d’expulsion, alors
              qu’ils sont logés dans des HLM insalubres et surpeuplés.

              L’État et le droit au logement
                L’État, qu’il soit fédéral ou provincial, reste quant à lui largement absent. Il n’y a plus de construction
              d’Habitations à loyer modique (HLM) depuis 1993. Les politiques sociales actuelles en matière de logements
              sociaux « restent globalement sans effets » et elles ferment « l’accès de ces nouveaux logements aux
              populations les plus stigmatisées et indésirables10 ». L’État se décharge de sa responsabilité et de l’obligation
              d’agir sur les travailleuses et travailleurs d’organismes communautaires, toujours sous-financés.

                Les deux niveaux de gouvernement refusent toujours, par ailleurs, d’inscrire le droit au logement dans
              les Chartes, malgré les demandes répétées des différentes commissions des droits de la personne et en
              dépit d’importantes luttes juridiques menées en Colombie-Britannique et en Ontario11. Ils multiplient ainsi
              les infractions aux normes minimales fixées par le droit international. Le Québec ne s’est toujours pas
              doté d’une politique nationale de logement et de lutte contre l’insalubrité, tandis que la toute récente
              Stratégie nationale du gouvernement fédéral « inquiète » la rapporteure spéciale des Nations Unies12.
              Aussi en infraction avec le droit international, il n’y a aucune mesure de prévention contre les expulsions;
              les locataires sont automatiquement expulsés, pour 2 $ ou 10 $ d’arriérés, sans aucune prise en compte
              des causes et des conséquences sociales et sanitaires des expulsions. Les locataires victimes de violence
              conjugale ont, quant à elles, depuis peu, le droit de résilier leur bail en payant deux mois de loyer au
              propriétaire, mais toujours pas celui de garder leur logement.

                Au niveau du contentieux, de rares avocat-e-s se battent pour faire valoir le droit au logement des victimes
              d’insalubrité ou qui risquent l’expulsion pour non paiement. Mais les locataires, qui sont les premiers
              visés au Québec, ne recourent pas au tribunal, où le droit de propriété prime sur tous les autres droits
              humains et sur les enjeux de santé publique. À peine 30 % des locataires visés sont présents aux audiences
              d’expulsion et les recours en matière de discrimination (moins d’une centaine par an à la Commission des
              droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) ou d’insalubrité sont rarissimes (700 demandes
              par an, soit 1 % du volume du contentieux).

                 Face à ces inégalités et à ces injustices, qui ne sont pas propres au Québec13, David Harvey et d’autres14
              s’interrogent : « Oserons-nous parler de lutte des classes15? » en matière de logement. Or, si l’on veut
              construire des solidarités et garantir le droit au logement à toutes et tous, les données recueillies dans ce
              numéro nous invitent à élargir cette lutte aux inégalités fondées sur le sexisme d’une part et sur le racisme
              d’autre part16.

               8. DESMOND Matthew et Carl GERSHENSON. Who gets evicted? Assessing individual, neighborhood and network factors ,2016, SSR 1
               9. Public Justice Center, http://www.publicjustice.org/uploads/file/pdf/JUSTICE_DIVERTED_PJC_DEC15.pdf
               10. DESAGE, Fabien. Les exclus de l’inclusion. Construire du logement social en temps d’austérité et de mixité (France-Québec), 2017.ES 15.
               11. YOUNG, Margot. Charter Eviction: Litigating Out of House and Home, 2015, JLSP 24, 46-67
               12. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1091304/droit-logement-plan-gouvernement-federal-locataire
               13. DAVIS, Mike. Planet of Slums: Urban Involution and Informal Proletariat, 2004. NLR 5.
               14. SMITH, Neil. Retour sur La question du logement, Espaces et sociétés, 2017, pp. 133-138; GARNIER, Jean-Pierre. Du droit au logement au droit à la
                ville : de quel(s) droit(s) parle-t-on ?,2011, L’Homme et la société 197
               15. HARVEY, David. Le droit à la ville, 2008, http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2011/12/david-harvey-le-droit-la-ville.html
               16. BOUILLON Florence, Anne CLERVAL et Stéphanie VERMEERSCH. Logement et inégalités, 2017, ES 7.

10         Revue   de   la   Ligue   des   Droits     et   Libertés • Printemps 2018
Dossier : Droit au logement

                                                                                               Des Voix Des Droits Un toit.
                                                                                               Photo : Jimena Michea, 2008, Archives FRAPRU

                 Les principales luttes du mouvement
                 pour le droit au logement au Québec

Jean-Vincent Bergeron-Gaudin, doctorant en science politique
Université de Montréal

L    e mouvement pour le droit au logement au Québec
     s’appuie sur une riche tradition militante. Depuis les
     années 1970, des dizaines d’organisations (comités
logement, associations de locataires, comités de citoyen-
ne-s, etc.) militent à l’échelle locale, provinciale et fédérale
                                                                   Le développement du logement social
                                                                      La création de la Société d’habitation du Québec (SHQ) en
                                                                   1967 marque le début des programmes d’aide au logement
                                                                   dans la province. La première formule privilégiée à l’époque
pour défendre un meilleur accès au logement et un plus             est celle des habitations à loyer modique (HLM). Financée
grand contrôle des citoyen-ne-s sur leurs conditions de vie        en grande partie par des transferts fédéraux, cette forme de
dans ce domaine. Ayant vu le jour à l’apogée des politiques        logement public permet à l’ensemble des ménages rejoints
providentialistes au Québec, ce mouvement a contribué au           de consacrer seulement 25 % de leurs revenus pour se loger.
fil du temps à maintenir un minimum de protection sociale          À partir de 1973, le fédéral décide d’encourager également
entourant un bien, trop souvent considéré comme une simple         la formule des coopératives d’habitation, en développant un
marchandise. Retour sur certaines des luttes qui ont jalonné       programme d’achat-restauration qui permet la réhabilitation
l’histoire de ce mouvement.                                        de vieux immeubles. Le provincial suit l’exemple et adopte en

                                                               Revue   de   la   Ligue   des    Droits   et   Libertés • Printemps 2018       11
Dossier : Droit au logement

                                                                                                         axées sur la personne, par exemple le supplément au loyer
                                                                                                         sur le marché privé, compris dans le vocable de logement
                                                                                                         abordable, AccèsLogis a réussi au fil du temps à maintenir
                                                                                                         une part des investissements en habitation pour le logement
                                                                                                         social. En dépit de sa réévaluation dans les dernières années,
                                                                                                         le programme résiste encore.

                                                                                                         La règlementation des loyers
                                                                                                           Contrairement aux programmes d’aide au logement qui
                                                                                                         ont maintes fois été réformés, la législation en matière
                                                                                                         de règlementation des loyers sur le marché privé est
                                                                                                         demeurée stable dans les dernières décennies au Québec.
                                                                                                         Historiquement, le provincial a opté dans ce domaine pour une
                                                                                                         approche dite de conciliation, en privilégiant la négociation de
                                                                                                         gré à gré entre locataires et propriétaires et en n’intervenant
                                                                                                         qu’en cas de litige. Cette approche a l’inconvénient de faire
                                                                                                         reposer le fardeau du contrôle des loyers sur le dos des
                                                                                                         locataires, en plus de faire abstraction des rapports de pouvoir
                                                                                                         inégaux entre locataires et propriétaires.
 Photo: Archives RCLALQ

                                                                                                            Le mouvement pour le droit au logement a toujours fait
                                                                                                         valoir la nécessité d’un contrôle universel et obligatoire des
                                                                                                         loyers. En l’absence d’un tel mécanisme, les comités logement
                                                                                                         se sont battus pour maintenir et améliorer les instruments
                                Campagne « Pour une hausse de loyers contrôlées »,                       légaux qui permettent aux locataires de mieux se défendre.
                                devant l’Assemblée nationale, Québec, 22 mai 1991.                       Les pressions exercées ont notamment conduit à l’adoption
                                                                                                         d’un formulaire de bail-type obligatoire en 1996, après une
                                                                                                         lutte de longue haleine. Les comités logement surveillent
                          1977 un programme de financement destiné aux groupes de                        également à chaque année la publication des indices de
                          ressources techniques (GRT) pour accompagner les citoyen-                      fixation de loyer par la Régie du logement pour informer les
                          ne-s dans leur projet d’habitation communautaire.                              locataires des hausses jugées acceptables. La lutte rapide et
                                                                                                         victorieuse menée en 2017 pour le rétablissement de ces
                            Les investissements en logement social durant les années                     indices, après que la Régie eût cavalièrement décidé de ne
                          1970 sont élevés et surtout orientés vers l’aide à la pierre.                  plus les publier, montre l’importance de cet outil dans leur
                          Suivant le ralentissement économique, les premières                            travail.
                          coupures surviennent au tournant des années 1980. À peine
                          formé, le Front d’action populaire en réaménagement urbain                       Plusieurs organisations revendiquent depuis de nombreuses
                          (FRAPRU) décide en 1981 de prioriser cet enjeu et devient                      années l’instauration d’un registre des loyers. En permettant
                          le principal porteur des luttes dans ce domaine. Pendant la                    aux locataires d’avoir accès à une source d’information fiable
                          première moitié des années 1980, le regroupement se bat                        sur le montant précédemment payé pour leur logement,
                          pour maintenir et intensifier les programmes permettant la                     cet instrument aiderait à prévenir les hausses abusives de
                          construction de HLM et de coopératives d’habitation. Au fil                    loyer lors du changement de bail. Principal porteur de cette
                          des années, l’accessibilité des programmes continue d’être                     revendication, le Regroupement des comités logement et
                          remise en question, notamment avec la négociation en 1986                      associations de locataires du Québec (RCLALQ) a fait une
                          d’une nouvelle entente fédéral-provincial en habitation, qui                   campagne très active autour de cette demande au tournant
                          vient restreindre les critères de sélection. Le retrait du fédéral             des années 2010, allant jusqu’à obtenir l’appui de plus d’une
                          du secteur en 1994 porte un dur coup.                                          trentaine de député-e-s provinciaux et de la Ville de Montréal.
                                                                                                         Le registre se fait cependant toujours attendre.
                            L’adoption par le provincial du programme AccèsLogis
                          en 1997 représente encore à ce jour l’une des principales                      L’accès à la justice pour les locataires
                          victoires du mouvement pour le droit au logement au Québec.
                          Fruit d’un important travail de représentation de la part du                     La Régie du logement a aussi fait l’objet de nombreuses
                          FRAPRU et d’autres acteurs du milieu du logement social, ce                    critiques de la part des comités logement depuis sa création en
                          programme a permis la réalisation de plus de 27 000 unités                     1980. Basé sur un idéal d’accessibilité à la justice, ce tribunal
                          de logement sous forme de coopératives ou d’organismes                         administratif avait initialement pour mandat de renseigner
                          sans but lucratif (OSBL) d’habitation depuis sa mise sur pied.                 les locataires et les propriétaires sur leurs droits, de favoriser
                          Malgré l’intérêt du provincial pour d’autres formes d’aide                     la conciliation et de réaliser des études sur la situation du

12                                 Revue   de   la   Ligue   des   Droits   et   Libertés • Printemps 2018
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