Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances

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Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
Résonances
M E N S U E L D E L’ E C O L E V A L A I S A N N E

                                            A quoi bon
                                            apprendre ?

                                             N°1 • Septembre 2019
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
EXPOSITION

                                                                                                                      Billet
                                                                                                                     scolaire
                                                                                                                     combiné
                                                                                                                            CHF 9.-
                                                                                                                y.c. accès gratuit de l’enseignant.e.
                                                                                                                   Jusqu’au 17 novembre
                                                                                                            Pré-réservation obligatoire, via accueil@cha-
                                                                                                               teau-stmaurice.ch ou auprès de l’Office
                                                                                                                   du Tourisme de St-Maurice au
                                                                                                                           024 485 40 40

                                                                                                                                 © Illustration : Dexter Maurer, 2019 Graphisme : DomStuder.com

                                                      12 avril – 1 7 n ove m b re 201 9
                                                   C hât eau de St-Mau rice (VS)

                                                                                                                         Quels sont ces cris joyeux qui font vibrer
                                                                   En vente                                              le splendide palais ? Ce jour, la cour du
                                                                   au prix de                                            Grand-Prince Vladimir est en fête : il a donné
                                                                  CHF 20.–                                               sa fille cadette Ludmilla en mariage au courageux
                                                                                                                         héros du peuple de Kiev, le prince Rousslan...
                   Geneviève et Alexandre LEVINE

                                                                                                                         Auteurs :
                                                                                                                         Geneviève Levine-Cuennet, texte
                                                                                                                         Alexandre Levine, illustrations
                   ROUSSLAN ET LUDMILLA

   s’interrompt                                                                                                          Geneviève Levine-Cuennet, licenciée en lettres,
 elle épousée ?
  lancent dans
amour.
                                                                                                                         professeur de français.
 tes territoires
ète Alexandre                                                                                                            Alexandre Levine, peintre, décorateur d’origine russe,
e Rousslan et
 fièvre.
en recréer les
                                                                                                                         professeur de dessin, à l’origine de nombreuses
                                                           Rousslan et Ludmilla                                          expositions.
sses faciles à
                                                                  Textes de Geneviève LEVINE-CUENNET,
                                                                  d’après le poème d’Alexandre Pouchkine.
                                                                      Illustrations : Alexandre LEVINE.

                                                                                                                                www.monographic.ch
                                                   Format 210 x 297 mm, 48 pages
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
ÉDITO

« A quoi bon ? » ou « Pourquoi pas ? »
Apprendre...                                                                               « A quoi bon
Il y a ceux dont la devise serait plutôt « A quoi bon ! ». C’est vrai ça, à quoi bon?      apprendre ce qui est
Comme tout est dans les livres et sur internet, est-ce que cela vaut encore la peine       dans les livres, puisque
de consacrer du temps aux savoirs ? De plus, demain l’intelligence artificielle            ça y est? »
détiendra probablement les clés de la connaissance, aussi, selon la loi du moindre
effort, apprendre ne deviendra-t-il pas totalement inutile pour les humains ?              Sacha Guitry
Et il y a ceux dont la devise serait plutôt « Pourquoi pas ! » C’est vrai ça, pourquoi
pas ? Même si tous les savoirs empilés au fil des siècles sont accessibles de plus
en plus facilement, il y a mille et une raisons d’apprendre et en plus c’est un            « Ce n'est pas
émerveillement garanti à chaque instant. Quant à la logique artificielle, elle             l'intelligence qui
n’est rien face à l’intelligence humaine et en est totalement dépendante. Alors,           permet aux enfants
pourquoi ne pas prendre le risque de continuer à apprendre ?                               d'apprendre, ce sont
Ces questionnements distinguent deux états d’esprit opposés. Ce sont deux visions          les apprentissages
d’une même réalité, l’une plutôt optimiste, l’autre plutôt pessimiste. Mais est-ce si      qui développent
grave d’être dans le camp des aquoibonistes de manière constante ?                         l'intelligence. »

Si tout - ou plus exactement presque tout - est dans les livres et sur internet, cesser    Eveline Charmeux
volontairement de nourrir son cerveau n’est-il point indigne et irrespectueux de
ses capacités plus qu’étonnantes ? Evidemment, apprendre prend du temps. Toute
une vie s’avère même nécessaire pour savoir presque rien sur presque tout, mais
sans cette curiosité, l’existence manque cruellement de saveur, non ? La difficulté
c’est de ne pas croire que l’on sait, d’autant plus que la culture est à portée
de quelques clics dans l’encyclopédie en ligne qu’est internet, car on apprend
seulement à partir du moment où l’on sait que l’on ne sait rien et que tout est
à découvrir, encore et toujours. Cet état d’esprit ouvert à tous les possibles nous
lance alors sur les chemins de la curiosité, de la créativité, de la pensée critique et
du débat d'idées. C’est en fait souvent un peu par hasard que l’on rencontre la joie
d’apprendre qui devient vite addiction. Parfois, on la retrouve pour des pans de la
connaissance que l’on avait un peu ignorés, car tout découvrir en même temps est
mission impossible.

Beaucoup d’enseignants ont été, sont et seront les déclencheurs de ce goût
d’apprendre et cela la plupart du temps en l’ignorant totalement. Ce processus
qui donne l’envie d’en connaître davantage sur tel ou tel sujet est juste magique
                                                                                                  Nadia
quand on y réfléchit. Aujourd’hui, la place de l’école dans la société n’est plus la                          R
même et il peut s’avérer plus difficile de voir les yeux des élèves étinceler en classe,
                                                                                                               ev

mais c’est fort heureusement loin d’être impossible.
                                                                                                                  az

Comme le disait Jean-Pierre Astolfi, qui était spécialiste de la didactique des
sciences, « il suffit quelquefois d’un “je ne sais quoi” ou d’un “presque rien” pour
faire basculer l’apprentissage. » En d’autres termes, un tout petit décalage dans le
mode de pensée permet de quitter le camp des aquoibonistes, ce qui change tout.
Alors pourquoi pas ?

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                     1
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
Sommaire
ÉDITO                                                                  DOSSIER
«A quoi bon?» ou «Pourquoi pas?»			             1                      A quoi bon apprendre ?		                       4 – 15
N. Revaz

RUBRIQUES
Projets d’école		            16   Des projets à venir - N. Revaz

Echo conférence HEP-VS 		17       Multimédia pédagogique : rencontre avec Jean-François Van de Poël - N. Revaz

Autour de la lecture		20          Lire et écrire : des idées d’activités - Résonances

Français		21                      Une nuit pour lire ! - F. Fallenbacher-Clavien et V. Michelet

Livres		22                        La sélection du mois - Résonances

Version courte		24                A vos agendas - Résonances

1001 façons d’apprendre		25       « Plantons made in St-Guérin » : un projet en classe d’adaptation - N. Revaz

Recherche		28                     Zoom sur deux thématiques - URSP - CSRE

Des chiffres ou des nombres		29   Et voilà les MER 3H ! - I. Mili

Revue de presse		30               D’un numéro à l’autre - Résonances

Sciences		32                      Minute papillon ou plutôt Minute Salamandre ! - C. Keim

Rencontre du mois		34             Christian Staquet, formateur qui relie coopération et autonomie - N. Revaz

Education physique		36            Prévenir la sédentarité - L. Saillen

Echo de la rédactrice 		37        Oser doser - N. Revaz

Education musicale		38            La musique à l’école pour le bien de tous et toutes - J.-M. Delasoie et B. Oberholzer

Carte blanche		39                 Briser les préjugés - L. Gay

CPVAL		40                         La patience est-elle rentable en placements ? - P. Vernier

Minute pub		42                    Autour de Résonances - Résonances

INFOS
Infos DEF		     43                Une formation valaisanne innovante pour 2019-2020 - DEF

Infos OES		46                     Liste des personnes ressources spécifiques - OES / G. Dayer

Infos diverses		48                Des nouvelles en bref - Résonances

                                                                                                  Résonances • Septembre 2019
2                                                                                                 Mensuel de l’Ecole valaisanne
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
A quoi bon apprendre?

  Pourquoi apprendre ?
                                      4 Les cinq leçons
                                        du cancre                   12   La thématique en vidéos
                                                                         Résonances
  Les réponses semblent                   O. Maulini
  de prime abord évidentes
                                                                    14   A quoi bon apprendre
  et pourtant cette question
                                      6   Trois collégiennes
                                          disent pourquoi elles
                                                                         l'histoire à l'école?
                                                                         C. Heimberg
  méritait bien un dossier.
                                          apprennent avec plaisir
  Une interrogation que l’on              N. Revaz
  élude peut-être trop facilement                                   15   Bibliographie
                                                                         de la Documentation
  et qui pourrait peut-être           8 Grappillage
                                        Résonances
                                                    thématique           pédagogique
                                                                         Résonances
  renforcer les motivations
  à apprendre.
                                    10 Pourquoi
                                       D. Ottavi
                                                 apprendre?

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                          3
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
Les cinq leçons du cancre
Olivier Maulini

                                                                cette résistance, c’est moins la réduire par la force que la
 MOTS-CLÉS : SAVOIR • TRANSMISSION •                            déconstruire par la pensée. Dans Chagrin d’école (2007,
 CONDITIONS                                                     pp. 274-275), Daniel Pennac a par exemple confronté
                                                                son désarroi d’ancien cancre aux dispositions idéales
                                                                d’un élève-modèle fantasmé. Pour ce parfait sujet, ap-
L’instruction a beau être obligatoire: si l’écolier ou l’éco-   prendre est certes une contrainte, mais une contrainte
lière n’apprend pas, le processus échoue, ce qui peut re-       tout ce qu’il y a de « naturelle, nécessaire, raisonnable,
distribuer – entre enseignants et enseignés – le devoir         normale, plaisante ». Un tel sage avant l’heure n’existe
de se former. Tant que le rôle des maîtres et des maî-          pas vraiment, mais son portrait nous suggère les cinq
tresses est de professer et de sélectionner, l’échec est        conditions à remplir pour s’en approcher :
d’abord celui des élèves mal notés. Mais moins cet échec
est socialement accepté, plus il revient aux profession-        1. Un sentiment de naturel : quel élève se demande l’inté-
nels de le prévenir sous peine de se le voir attribuer : à        rêt ou le sens d’un apprentissage lorsqu’il se passionne
eux alors de comprendre pourquoi on ne les comprend               pour la conquête spatiale, le calcul des orbites célestes
pas, d’apprendre ce qui motive ou dissuade un appren-             ou la lecture de La Vie de Galilée ?
tissage, de s’interroger et de se former pour «provoquer
dans la population scolaire envie, joie et satisfaction         2. Un sentiment de nécessité: à quoi sert par ailleurs d’ap-
d’apprendre », comme l’affirme le Livre blanc du Syndi-            prendre si tout nous est mâché, si nos enseignants, nos
cat des enseignants romands (2011, p. 16).                         parents ou Google agissent et pensent pour nous, s’ils
                                                                   nous évitent les problèmes, s’ils préfèrent nous orien-
Car, pour qu’un savoir se transmette réellement, il ne             ter plutôt que nous libérer ?
suffit pas de le vouloir, ni de le décréter, ni même de
taper sur la table parce qu’une ignorance nous résiste-         3. Un sentiment de rationalité : à quoi bon s’instruire si
rait, d’autant plus d’ailleurs qu’elle est humiliée. Déjouer      rien n’est à comprendre, si le monde est magique, si les

                                                                                              Résonances • Septembre 2019
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Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
DOSSIER

  dieux ont tout décidé, si nous préférons nos croyances
  à des savoirs moins sûrs parce que davantage discutés ?
                                                                  « Apprendre est une contrainte
                                                                  "naturelle, nécessaire, raisonnable,
4. Un sentiment de normalité : pourquoi étudier si le sa-         normale, plaisante". »
  voir est dénigré, si la règle est de réussir sans s’interro-
  ger, si la bêtise et les rapports de force font la loi dans
  le préau, à la télévision, voire entre présidents sur les      « la jungle des prédateurs» et à «l’esclavage de l’igno-
  réseaux sociaux ?                                              rance» qui peuvent mettre en pièces la civilité. Mais c’est
                                                                 aux adultes de les y inciter : donc de trouver de plus en
5. Un sentiment de plaisir et surtout de sécurité: comment       plus naturel, nécessaire, raisonnable, normal et plaisant
   penser si l’incertitude nous fait peur, si le doute nous      d’apprendre à assumer cette responsabilité ?
   angoisse, si les débats nous déstabilisent, si confronter
   des idées nous paraît une menace plus qu’un gage de
   confiance démocratisée ?                                        Références bibliographiques
                                                                    Pennac, D. (2007). Chagrin d’école. Paris: Gallimard.
Les cinq conditions valent autant dans la classe qu’au
dehors, tant l’école est plongée dans la société. Où que            SER-Syndicat des enseignants romands (2011). Pour un
                                                                    humanisme scolaire. Livre blanc. Martigny: SER.
l’on soit, il n’est bon d’apprendre que si les profits dé-
passent les coûts estimés, que si l’apprenti fait un bilan
positif de ce qu’il gagne et de ce qu’il perd en «investis-
sant » – comme on dit – l’effort exigé. C’est le paradoxe
de la clôture scolaire, de ses pupitres alignés et de ses          L'AUTEUR
leçons programmées en dehors de la vie ordinaire et de             Olivier Maulini
ses aléas formateurs : prétendre libérer l’enfance de ses          Université de Genève
élans spontanés, en la convainquant des vertus du dé-              Faculté de psychologie et des sciences
tour par l’apprentissage systématisé. Pennac (ibid.) l’ad-         de l’éducation
                                                                   Laboratoire Innovation Formation Education (LIFE)
met volontiers : c’est en « jugulant leurs appétits et leurs       www.unige.ch/fapse/life
émotions » que les enfants-bolides pourront échapper à

   Tout lui apprendre, à commencer par la nécessité d’apprendre !
   « L’idée qu’on puisse enseigner sans difficulté tient         juguler ses appétits et ses émotions par l’exercice de
   à une représentation éthérée de l’élève. La sagesse           la raison si on ne veut pas vivre dans une jungle de
   pédagogique devrait nous représenter le cancre                prédateurs, un élève assuré
   comme l’élève le plus normal qui soit : celui qui             que la vie intellectuelle est
   justifie pleinement la fonction du professeur puisque         une source de plaisirs qu’on
   nous avons tout à lui apprendre, à commencer par              peut varier à l’infini, raffiner
   la nécessité même d’apprendre ! Or, il n’en est rien.         à l’extrême, quand la plupart
   Depuis la nuit des temps scolaires l’élève considéré          de nos autres plaisirs sont
   comme normal est l’élève qui oppose le moins de               voués à la monotonie de
   résistance à l’enseignement, celui qui ne douterait pas       la répétition ou à l’usure
   de notre savoir et ne mettrait pas notre compétence           du corps, bref un élève qui
   à l’épreuve, un élève acquis d’avance, doué d’une             aurait compris que le savoir
   compréhension immédiate, qui nous épargnerait                 est la seule solution : solution à l’esclavage où nous
   la recherche de voies d’accès à sa comprenette,               maintiendrait l’ignorance et la consolation unique à
   un élève naturellement habité par la nécessité                notre ontologique solitude. »
   d’apprendre, qui cesserait d’être un gosse turbulent
   ou un adolescent à problème durant notre heure de             Tiré de Chagrin d’école de Daniel Pennac (2007,
   cours, un élève convaincu dès le berceau qu’il faut           pp. 274-275)

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                               5
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
Trois collégiennes disent pourquoi
elles apprennent avec plaisir
                                                              en essayant de le comprendre
 MOTS-CLÉS : ÉCOLE • SOCIÉTÉ • SAVOIRS                        par nous-mêmes.
                                                              Eva : Ces branches sont très im-
A quoi bon apprendre à l'école aujourd’hui? Rencontre         portantes pour trouver des so-
avec trois étudiantes en 5e année au Lycée-Collège de         lutions pour l’avenir, mais elles
la Planta de Sion pour avoir leurs réponses. Eva Barras,      sont d’autant plus intéressantes
Maurane Formaz et Prune Rouiller aiment apprendre             si elles sont traitées sous forme
et au cœur de leurs propos, on découvre l’importance          de discussions et de débats. La
de la curiosité, de la créativité, de l’interdisciplinarité   philosophie permet de se ques-
et de la liberté.                                             tionner sur des sujets qu’on
                                                              n’aurait pas abordés autrement,
A l’école primaire, pour quelles raisons appreniez-vous?      donc elle nous ouvre le champ
Eva : C’était une contrainte qui me paraissait naturelle      des possibilités de réflexion.          Eva
et je ne me posais pas trop de questions.
Prune : Au début, je pense qu’on assouvit sa curiosité        Tout le monde devrait-il dès lors faire de la philosophie
d’enfant, et que celle-ci se développe ensuite surtout        dans son cursus de formation ?
en fonction des contextes familiaux.                          Eva : Pas forcément, car les jeunes suivant d’autres for-
Maurane : Pour ma part, j’aimais aller à l’école, sans        mations ont simplement des clés différentes. Il y a évi-
savoir pourquoi, mais plus tard j’ai compris que la cu-       demment de multiples sources d’enrichissement de la
riosité était mon moteur et qu’apprendre permettait           pensée. Je trouve par contre dommage que les branches
d’avoir davantage de cartes en main pour faire de meil-       soient très séparées et que l’école ne contribue pas da-
leurs choix.                                                  vantage à tisser des liens entre les savoirs, alors que dans
                                                              la vie un problème n’est pas seulement philosophique
Parmi les disciplines d’études, certaines peuvent sem-        ou historique. Même s’il y a des enseignants qui font
bler moins «utiles» que d’autres. D’aucuns doutent par        exception, je pense qu’une approche interdisciplinaire
exemple de l’intérêt d’apprendre l’histoire ou la philo-      des connaissances devrait être introduite dès l’école
sophie. Que leur répondriez-vous ?                            obligatoire.
Prune : Pour moi, ils ont tort, car l’histoire permet de      Maurane: Je suis d’accord avec Eva. Les apprentis n’ont
comprendre les problèmes politiques actuels, donc les         pas moins d’armes que nous pour affronter la vie, mais
enjeux pour notre société de demain. Quant à la philoso-      elles sont simplement différentes des nôtres. A mon
phie, elle nous apprend à penser tout court sur des ques-     sens, dans tous les cursus de formation, une meilleure
tions fondamentales, comme les valeurs, et nous aide à        complémentarité entre les connaissances théoriques et
                              devenir de meilleures per-      les savoirs pratiques et techniques serait souhaitable.
                              sonnes capables d’amélio-       Prune: Ce serait en effet certainement judicieux de relier
                              rer la société.                 davantage les savoirs, au moins en fin d’école obliga-
                              Maurane :         Comme         toire, parce qu’à ce moment-là les élèves ont déjà une
                              nombre d’événements             maturité suffisante pour développer leur pensée cri-
                              sont cycliques, connaître       tique. Dans nos formations, un échange régulier entre
                              le passé permet d’évi-          l’univers des apprentis et des étudiants me semblerait
                              ter certaines erreurs qui       judicieux.
                              ont mené à des guerres.
                              Et grâce à la philoso-          L’échec n’est-il pas trop souvent un obstacle aux ap-
                              phie, on apprend à se           prentissages scolaires ?
                              poser des questions sur le      Maurane : Hélas oui. Dans certains pays nordiques, les
                              monde qui nous entoure          élèves n’ont plus de notes, ce qui évite le stress des

                      Maurane
                                                                                            Résonances • Septembre 2019
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Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
DOSSIER

apprentissages. Au col-                                       curiosité sans susciter l’ennui des listes de vocabulaire à
lège, certains échouent                                       mémoriser. Et dans le système néo-zélandais, les écoles
juste à cause de la                                           secondaires fonctionnent très différemment des nôtres,
pression, ce qui est                                          en mêlant ce qui chez nous est le collège et l’apprentis-
dommage.                                                      sage. Tous les jeunes sont à l’école et ont des apprentis-
Prune : Et cela peut                                          sages à la fois intellectuels et manuels, ce qui sollicite la
même conduire à la                                            curiosité différemment. Ici, l’école fonctionne trop avec
phobie scolaire. Aux                                          des cases et parce qu’elle a toujours été comme ça, on
Etats-Unis, ils ont une                                       peine à la faire évoluer.
vision de l’échec vrai-                                       Eva : Avant même de stimuler la curiosité, il me semble
ment différente de la                                         nécessaire de chercher sur quoi elle porte spontanément
nôtre et à mon avis sur                                       chez chaque élève. A partir d’un intérêt spécifique, on
ce point ils ont raison.
                                                    Prune     peut la développer dans de multiples directions et créer
Pour eux, échouer, c’est juste avoir essayé. En Suisse,       des arbres de connaissance.
nous avons un formidable système de formation avec            Prune: Il y a aussi la créativité qui serait à favoriser, alors
des passerelles, aussi nous devrions cesser d’avoir ce        qu’elle est hélas trop dévalorisée dans nos écoles et
rapport négatif associé à l’échec et au redoublement.         notre société. Tous ceux qui travaillent dans les milieux
Eva : Certains se démotivent parce qu’ils associent un        artistiques devraient être davantage reconnus, car à une
échec à l’apprentissage en général, alors que la difficulté   époque qui survalorise internet, ils pourraient ajouter
peut notamment venir de la manière dont la branche            leur talent pour trouver des solutions aux problèmes
est enseignée. Le savoir est une histoire de rencontres       qui se posent. Pour les plus petits, il y aurait beaucoup
et pas seulement avec les enseignants, car on apprend         à faire, pour qu’ils puissent se sentir libres, car la liberté
à l’école et en dehors de l’école.                            est également l’une des clés de la curiosité, de la créati-
                                                              vité et de l’autonomie. Etant sensible à la cause écolo-
Entre apprendre à l’école pour l’école et apprendre à         gique, je déplore que beaucoup d’enfants n’aient aucun
l’école pour la société, y a-t-il pour vous une différence?   contact avec la nature.
Eva : Quand j’étais enfant, j’avais parfois l’impression
d’apprendre à l’école des choses qui ne me serviraient        « Au cœur de leurs propos, on découvre
à rien dans la vie. Avec la pluridisciplinarité dans les
cours, cette idée reçue serait assurément moins fré-
                                                              l’importance de la curiosité,
quente, car les élèves percevraient les liens réels entre     de la créativité, de l’interdisciplinarité
les savoirs. Apprendre par l’expérience et avoir plus de      et de la liberté. »
débats ou d’illustrations visuelles, cela contribuerait à
donner davantage de sens aux savoirs. Les pédagogies          La cause écologique, c’est justement l’une des justifica-
alternatives montrent qu’il y a des pistes intéressantes      tions possibles avancées par quelques-uns pour ne plus
pour apprendre autrement.                                     apprendre, puisque nous allons vers le chaos. Comment
Maurane : Au fil des années, on se rend mieux compte          percevez-vous ce raisonnement ?
des résonances entre ce que l’on apprend à l’école et la      Prune : Il ne s’agit surtout pas de céder à ces messages
citoyenneté. Aujourd’hui, en âge de voter, les liens me       catastrophistes, mais juste d’arrêter de faire des erreurs
paraissent évidents.                                          ayant des conséquences graves pour notre planète. Nous
Prune : En ce qui me concerne, je me suis occupée cet         avons un rôle à jouer, car nous serons bientôt la géné-
été de trois enfants de trois ans qui vivaient à la ferme,    ration qui prendra les décisions politiques et nous pou-
et j’ai été frappée par leur éveil au monde environnant.      vons déjà avoir une influence. Il y a beaucoup de choses
Ils savaient faire des choses dont j’aurais été incapable     à apprendre ou à ré-apprendre et c’est un challenge
avant sept ou huit ans. En voyant cela, je me suis dit        presque excitant, à accueillir avec une certaine joie. Ce
qu’on mettait les enfants beaucoup trop tôt à l’école.        n’est pas parce qu’il y a des horreurs dans ce monde
                                                              qu’il faut cesser d’apprendre. Au contraire.
Si vous aviez la possibilité de modifier l’école pour         Eva : Ne plus apprendre et ne plus sortir de chez soi,
qu’elle donne davantage l’envie d’apprendre, que              c’est la meilleure piste pour que le monde s’effondre à
changeriez-vous ?                                             coup sûr. Il faut aller au bout du raisonnement pour en
Maurane : J’ai eu la chance de découvrir d’autres sys-        mesurer la stupidité.
tèmes scolaires, aussi je me dis qu’il y aurait des idées     Maurane : L’optimisme ou le pessimisme est aussi une
à importer. A Brigue, j’ai remarqué que les jeunes par-       question d’éducation. Nous devons indéniablement ap-
laient vraiment bien le français et ils m’ont expliqué        prendre afin d’affronter les défis qui nous attendent.
qu’ils commençaient l’apprentissage de la deuxième
langue très tôt et sous forme de jeu, ce qui stimule la                             Propos recueillis par Nadia Revaz

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                             7
Résonances MENSUEL DE L'ECOLE VALAISANNE - A quoi bon apprendre ? - Résonances
Grappillage thématique
             u Pourquoi l’apprentissage?                      place? A cette paresse peut même s'ajouter
                                                              l'irresponsabilité généralisée: pourquoi en-
                 « Pourquoi devons-nous apprendre?            seigner et apprendre si des machines peuvent
               L'existence même de la faculté d'appren-       le faire? Enfin, cette ultime et redoutable for-
               tissage pose question. Ne vaudrait-il pas      mulation: pourquoi apprendre moi-même si
               mieux que nos enfants sachent parler et        mes enfants apprennent ou vont apprendre
                réfléchir dès le premier jour, telle Athéna   avec des machines? On voit que notre ques-
                dont la légende dit qu'elle sortit toute      tion se vide de son contenu et se dévalorise;
                armée et casquée du crâne de Zeus, en         le devoir de transmission peut mourir mais
poussant son cri de guerre? Pourquoi ne naissons-nous         aussi... renaître.»
pas précâblés, avec un logiciel préprogrammé et doté          Charles Coutel in Pourquoi apprendre? (Pleins
de toutes les connaissances nécessaires à notre survie?       Feux, collection Lundis philo, 2001)
Dans la lutte pour la vie que décrit Darwin, un animal
qui naîtrait mature, avec plus de savoir que les autres, ne
devrait-il pas finir par l'emporter? Pourquoi l'évolution     u Question des finalités
a-t-elle donc inventé l'apprentissage?                           des mathématiques
Ma réponse est simple: le précâblage complet du cerveau       «Pourquoi devrait-on apprendre les
n'est ni possible ni souhaitable. Impossible, vraiment?       mathématiques à l'école? Les mathé-
Oui, car si notre ADN devait spécifier tous les détails de    matiques ont-elles leur place dans
nos connaissances, il n'aurait simplement pas la capacité     les programmes parce qu'elles sont
de stockage nécessaire.»                                      nécessaires à la vie pratique ? Parce
Stanislas Dehaene in Apprendre! – Les talents du cerveau,     qu'elles sont indispensables aux autres
le défi des machines (Odile Jacob, 2019)                      sciences? Parce qu'elles participent à la
                                                              formation de l'esprit? Ces trois aspects
                                                              sont certes présents dans la discipline.
          u Mais au fait, pourquoi apprendre?                 Mais en mettant l'accent sur l'un ou l'autre, non seule-
          «Ainsi, apprendre devient un enrichissement         ment on privilégie un point de vue sur la discipline et son
          de l'être autant que de l'avoir. Et, tout à la      rôle dans la société au sens large, mais on n'enseigne pas
          fois, ou indépendamment, suivant les indivi-        non plus la même chose. De la même manière, lorsqu'on
           dus, un plaisir, une passion, une émotion, une     s'interroge sur les finalités de l'enseignement des mathé-
           envie, une jubilation ou une aventure, ou une      matiques, on pose également, de manière explicite ou
           reconnaissance.»                                   implicite, la question des publics auxquels cet enseigne-
           André Giordan in Apprendre! (Belin, collec-        ment s'adresse. Dans quelle mesure sont-elles présentes
            tion Alpha, 2016 – 1re édition en 1998)           dans l'éducation scolaire des jeunes Français? Avec quelle
                                                              ampleur? C'est toute la question des finalités des mathé-
                                                              matiques et de leur enseignement qui est ainsi posée.»
u Confusion actuelle autour                                   Caroline Ehrhardt et Renaud d’Enfert in Mathématiques
    du terme apprendre                                        et enseignement au fil de l’histoire (Le Square éditeur,
«… La confusion actuelle régnant autour du terme ap-          2016)
prendre pourrait-elle servir une opération d'occultation
de la finalité même de l'idée de culture? Si se cultiver
(prendre au sérieux la question "pourquoi apprendre?")        u L’origine du goût de lire
paraît inessentiel, alors la nécessité d'apprendre s'es-      « Comment donner à mes élèves le
tompe: «à quoi bon apprendre?» On peut même envi-             goût de lire? Comment parvenir à en-
sager des sociétés qui renoncent à apprendre en toute         tretenir chez les uns et à insuffler chez
bonne conscience ; cette paresse peut même prendre des        les autres un désir de littérature qui se
apparences modernistes et technologisées: pourquoi ap-        développerait aussi en dehors et au-
prendre si la machine (ou un expert) peut le faire à ma       delà de l'école, désir qui les inciterait

                                                                                            Résonances • Septembre 2019
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DOSSIER

à poursuivre leurs découvertes? Comment faire mesurer           u Apprendre, à quoi bon?
à ces adolescents que ce que l'on étudie en classe n'est        «S'il n'y a plus que des bribes de savoir,
qu'une infime partie de biens inépuisables, qui leur ap-        des lambeaux d'œuvres, des épaves de
partiennent et dont ils pourront s'emparer à leur guise         théories, ornés de quelques ineffaçables
quand le temps sera venu?                                       citations, alors ce “reste” ne vaut rien.
Je m'interroge sur mon propre désir de lire: qu'est-ce qui      Non pas en raison de sa minceur, mais à
me pousse à renouveler indéfiniment l'expérience de la          cause de sa fossilisation. Ce vernis cultu-
lecture, à arpenter des librairies et des bibliothèques, à      rel, qu'il soit écaillé ou bien encore ruti-
me tenir à l'affût de nouveautés littéraires? C'est tou-        lant, n'est que le papier peint sur un mur
jours la certitude qu'un plaisir pluriel se profile, d'ordre    qui se lézarde.
émotionnel, intellectuel, esthétique.»                          En revanche, s'il est encore source de plaisir et de pas-
Bénédicte Shawky-Milcent in La lecture, ça ne sert à rien !     sion, de curiosité et de gourmandise, de préférences et de
Usages de la littérature au lycée et partout ailleurs…          dégoûts, s'il s'exprime à travers des lectures et des spec-
(PUF, 2016)                                                     tacles, des conversations et des réflexions, des aventures
                                                                et des rencontres, s'il entretient toujours vivaces la soif de
                                                                la curiosité et le bonheur des émotions partagées, alors
u Pourquoi apprendre?                                           ce reste, qui vieillit dans notre souvenir et rajeunit à tra-
              A quoi sert de connaître la liste des pha-        vers nos enfants, devient le plus beau cadeau du monde.
              raons ou de savoir que Ramsès II a vécu           Et peu importe ce qu'on a gardé et ce qu'on a perdu.
              après Aménophis 1er? A quoi bon ap-               Car la seule culture qui vaille est la culture vivante, et la
               prendre que le noyau d'un atome de               seule éducation réussie est celle qui laisse des graines et
               phosphore renferme 15 protons? Sera-             pas des bijoux. C'est à ce prix seulement que le bagage
               t-on plus heureux si l'on sait ce qu'est une     scolaire est autre chose qu'un tombeau.»
                angiosperme? Ou que l'on nomme sans             François de Closets in Le bonheur d’apprendre (éditions
                hésiter les planètes du Système solaire?        du Seuil, 1996)
                Aujourd'hui, les neuros­ciences nous ap-
                prennent que nous sommes biologi-
                 quement faits pour apprendre, qu'ap-           u Les ressorts de la motivation
                 prendre procure du plaisir (sous forme            pour apprendre
de dopamine), et que mieux comprendre le fonctionne-            «C'est en fait la fonction éducative elle-même qui se re-
ment du cerveau pourrait ouvrir la voie à de meilleures         trouve fragilisée par les évolutions de la société tout en-
façons de transmettre le savoir.                                tière. Le développement des médias et d'Internet, deve-
Sébastien Bohler in Pourquoi apprendre (Cerveau &               nus de nouveaux lieux d'apprentissage, remettent aussi
Psycho, septembre-octobre 2010)                                 en cause les modes de la transmission et les manières
                                                                dont on apprend à l'école.
                                                                Des enseignements peu adaptés aux envies des élèves,
           u C’est quoi apprendre?                              des parcours scolaires de plus en plus longs et une com-
           «Tu comprends : il faut que l’école redonne          pétition plus rude, un avenir incertain, voilà les facteurs
            vie aux savoirs. La vie, c’est ce qui permet aux    sociologiques de la crise de la motivation à l'école, qui
            savoirs de ne pas être des archives oubliées        atteint aussi les publics étudiants des universités.
            ou des fossiles empoussiérés sur les rayons         En définitive, l'école ne peut plus jouer sur des finalités
             d’une vieille armoire. C’est ce qui fait qu’ils    partagées par tous et se retrouve confrontée à une véri-
             nous concernent, nous qui sommes vivants           table crise de sens.
et qui avons besoin, pour grandir, de nous nourrir de ce        Il ne faudrait pas pour autant
que des humains ont découvert et fait vivre avant nous.         trop désespérer ! On pourrait
Je crois que tous les enseignants peuvent et doivent            même s'étonner de voir qu'il
donner vie au savoir. Mais il faudrait mieux les former         existe toujours de nombreux
pour cela, concevoir les programmes autrement, autour           élèves curieux pour qui étu-
d’objectifs clairs, moins nombreux, mais sur lesquels ils       dier est un plaisir, des étudiants
puissent prendre le temps de raconter l’histoire de leur        enthousiastes, investis dans des
découverte, de faire faire des recherches documentaires         projets ambitieux, ainsi d'ailleurs
approfondies, des expériences et des enquêtes… Sans             que des enseignants créatifs et
oublier, pour autant, les cours et les exercices qui se trou-   engagés.»
veraient, alors, inscrits dans un ensemble passionnant.»        Martine Fournier in La motiva-
Philippe Meirieu in C’est quoi apprendre? – Entretiens          tion, ça s’en va et ça revient…
avec Emile (éditions de l’aube, 2015)                           (Sciences humaines, octobre 2011)

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                               9
Pourquoi apprendre?
Dominique Ottavi

L’incertitude sur le climat ne peut qu’augmenter le doute sur le sens de l’apprendre.

                                                                  d’innovation pédagogique, de soutien et autres remédia-
 MOTS-CLÉS : SENS • REFONDER                                      tions, qui ne parviennent que partiellement à répondre
                                                                  au problème posé, celui du sens.

Les élèves et étudiants de tous niveaux la posent à leurs         Or, la perte de sens se trouve inscrite dans les évolutions
enseignants, cette question à laquelle ils ne savent pas          récentes des valeurs de notre culture. Aujourd’hui la « so-
toujours répondre : pourquoi apprendre ? Elle conteste            ciété de la connaissance» qui se présente comme une mo-
certains contenus de l’enseignement, et elle indique un           dification majeure de l’économie, dans laquelle le savoir
malaise plus général : que faisons-nous ici, que nous de-         représente un investissement et une valeur d’échange,
mande-t-on et pourquoi ? Les adultes qui en ont l’expé-           met en avant l’apprentissage plutôt que l’enseignement1.
rience le savent bien, les réponses telles que « cela sera        L’individu « apprenant » se positionne dans la compéti-
utile plus tard », « pour trouver du travail » ne sont pas        tion du marché du travail et se forme pour y évoluer. Il
convaincantes. Les plaidoyers pour défendre l’intérêt             cherche et trouve dans une offre elle-même constituée
intrinsèque des connaissances (la connaissance gratuite,          en marché. Nous avons affaire à un renversement de
source de gratifications intellectuelles ou de plaisir par        priorités traditionnellement établies, au sens où, jusqu’ici
elle-même) ne vont pas loin, tandis que l’attitude qui            apprendre quelque chose signifiait s’approprier ce qui
consiste à se réfugier derrière le programme n’est pas            était proposé, en amont, comme un enseignement ou la
glorieuse… On peut enfin invoquer la raison, le juge-             transmission d’un savoir-faire. Aujourd’hui, « apprendre»,
ment indispensable au citoyen de la démocratie. Outre             pensé comme une dynamique qui trouve sa source dans
que cet argument paraît facilement abstrait, le pouvoir           l’individu, et non dans la nécessité de transmettre un ac-
citoyen apparaît lui aussi en crise…                              quis précédemment réalisé, « apprendre » au sens d’acti-
                                                                  vité, avant d’avoir le sens de «apprendre ceci ou cela» ou
En bref, les justifications, toutes valables en elles-mêmes,      «apprendre à», constitue une innovation dans l’usage du
de la nécessité d’apprendre, paraissent usées et insuf-           mot même. Cette transformation se présente volontiers
fisantes pour contrer le sentiment d’une crise du sens            sous le jour d’un progrès de l’émancipation des indivi-
de l’apprendre. De même que les réponses en termes                dus, à présent libérés du poids de l’autorité et du travail

                                                                                                Résonances • Septembre 2019
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DOSSIER

imposé. Lorsque apprendre est considéré comme l’activité           ment qui s’est imposé depuis la révolution industrielle et
du sujet qui apprend, il devient l’auteur de son savoir, et        une croissance qui apparaît de plus en plus comme une
en quelque sorte l’auteur de lui-même. Ce changement               fuite en avant a hypothéqué l’avenir. Cette situation ne
du centre de gravité de l’acte d’apprendre remonte loin :          peut qu’augmenter le doute sur le sens de l’apprendre,
ne réalise-t-il pas alors le rêve de Pestalozzi, ce grand pé-      ce qui s’est concrétisé par la grève pour le climat initiée
dagogue disciple de Rousseau, qui disait que le but de             par Greta Thunberg. Quoi que l’on pense de cette forme
l’éducation était de faire une «œuvre de soi-même»? Ne             de militance, une partie importante des jeunes généra-
concrétise-t-il pas également l’idéal des méthodes actives,        tions interpellent les générations en position d’agir, en
par lesquelles, loin de recevoir d’en haut un savoir à ap-         posant explicitement à nouveaux frais la question de la
prendre, loin d’une écoute et d’une réceptivité passives,          finalité de l’apprendre. S’il n’y a pas d’avenir, à quoi bon
l’élève crée son savoir par sa curiosité et ses expérimen-         étudier ? Nous a-t-on appris ce que nous devions savoir,
tations? S’il n’est pas si sûr que l’idéal actuel du dévelop-      et inversement, avons-nous transmis ce qui était impor-
pement personnel se situe vraiment dans la continuité              tant ? Même si l’on considère que l’imaginaire de la ca-
des grands pédagogues, leurs idées lui servent en tout             tastrophe est irrationnel, il est de plus en plus difficile
cas de légitimation.                                               d’affirmer que l’inquiétude est sans objet. Ces jeunes
                                                                   nous envoient aussi le message qu’ils en savent assez
En effet, le but de ce processus s’est réduit à la construc-       pour comprendre l’essentiel.
tion de compétences utiles sur le marché du travail et
la mise à jour de son employabilité, et finalement une             « La perte de sens se trouve inscrite
forme d’adaptation. Cette duplicité est un piège qui se
referme sur la relation pédagogique et les enseignants             dans les évolutions récentes des valeurs
ou formateurs : cette relation tend à se réduire à un ac-          de notre culture. »
compagnement du cheminement de l’individu, au détri-
ment des savoirs, de leur histoire, et même des métiers et         Dans cette situation inédite, la question «pourquoi ap-
de leurs identités professionnelles, tout ce qui permet à          prendre » ne renvoie plus simplement à la crise de l’édu-
l’individu de se situer plutôt que se construire ex nihilo.        cation ou aux évolutions sociétales, et elle doit être posée
                                                                   différemment. Contredisant le sentiment de flottement
L’apparente bienveillance de la conception dominante de            éprouvé par les adultes confrontés aux difficultés de la
l’apprentissage laisse le sujet bien seul, responsable de          transmission, cette jeunesse qui entre en grève mani-
son orientation et de ses choix, soutenu mais non guidé.           feste une paradoxale réussite de l’éducation, puisqu’elle
Or, si s’adapter et être employable sont des qualités hau-         exprime par ce refus une autonomie du jugement, une
tement souhaitables, elles ne peuvent se confondre avec            capacité d’information, un engagement citoyen. L’enjeu
la construction d’une identité subjective et la capacité           de son interpellation pourrait être de refonder le sens de
de se situer dans le monde, ce que recouvre la notion de           l’apprendre en fonction de l’alternative dont nous héri-
formation au sens de l’irremplaçable mot allemand de               tons, entre une conception apocalyptique de la fin du
Bildung. De ce point de vue, apprendre désigne à la fois           monde et un renouvellement de la culture pour faire face
l’appropriation du patrimoine d’idées et de culture des            aux problèmes majeurs dont le vingt et unième siècle est
générations précédentes, et le fait de les expérimenter            chargé ; entre le désespoir qui entraîne le nihilisme ou le
dans le présent, comme Goethe l’a exposé à l’orée du               retrait de l’action, et la conscience, source de créativité.
dix-neuvième siècle dans Les années d’apprentissage de             Alors apprendre, qu’il s’agisse de connaissance scienti-
Wilhelm Meister.                                                   fique, de distance philosophique, ou de compétences
                                                                   techniques et pratiques, est nécessaire aussi bien pour
En ce sens, apprendre comporte toujours une part de                interpréter et modifier l’expérience subjective, que pour
manque et d’insatisfaction, et ressemble davantage à une           intervenir dans le cours des événements, et reconnaître
incessante recherche qu’à une miraculeuse adéquation               les défis matériels et moraux qui, après s’être manifes-
entre un individu réputé accompli et les besoins suppo-            tés à bas bruit, sont désormais nettement perceptibles.
sés de l’économie.
                                                                   Notes
Une nouvelle raison de renoncer à une vision trop res-             1
                                                                       C’est notamment la philosophie qui inspire le Processus de
trictive et simplifiée de l’acte d’apprendre est récemment             Bologne.
apparue avec la crise environnementale, soudain omni-
présente dans le débat public. L’accumulation des aver-
tissements des scientifiques, aux premiers rangs desquels
                                                                    L'AUTEURE
                                                                    Dominique Ottavi
les experts du GIEC, a fini par se cristalliser dans la société.
                                                                    Professeure de sciences de l'éducation
Très récemment, les informations sur le risque environ-
                                                                    à l'université Paris Nanterre
nemental planétaire créé par le modèle de développe-

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                                11
La thématique en vidéos
u Streetphilosophy sur Arte: Apprendre,                       ou «Je n’ai pas le niveau») sont vus avec le regard par-
                                                              ticulier de la compagnie de clowns «Tape l’incruste», et
   mais pourquoi?                                             complétés par des pistes pédagogiques.
Pourquoi apprend-on et quel avenir pour l’éducation           Ce site a reçu le «Grand Prix du Jury» au Forum des en-
à l’heure des nouvelles technologies? Dans les rues de        seignants innovants 2016.
Berlin, des lycéens en grève pour le climat et un ex-dé-      www.empechementsaapprendre.com
linquant démontrent l’importance d’acquérir une édu-
cation solide et une pensée critique, tandis qu’un détour
par la robotique permet de s'interroger sur l’avenir de
l’éducation.
A l’ère de Wikipédia, les technologies ont transformé
notre rapport à la connaissance et à la culture. Mais le
savoir s’est-il démocratisé pour autant? Que devrait nous
enseigner l’école, et comment notre culture influence-t-
elle notre regard sur le monde?
Cette émission d’Arte de 2019 dure 27 minutes.
https://bit.ly/2NpFxVQ

                                                              u A quoi ça sert d’apprendre?: une réponse
                                                                 en vidéo
                                                              A quoi ça sert d’apprendre à l’école, se demandent cer-
                                                              tains adolescents? Philippe Lacadée, psychiatre, psycha-
                                                              nalyste et auteur de nombreux livres, apporte un début
                                                              de réponse dans cette brève vidéo datant de 2017.
                                                              https://youtu.be/xh39djSgSq8

u Un site et des vidéos sur les
   empêchements à apprendre
Ce site est porté par une ambition, celle d’intégrer ce
qui empêche d’apprendre dans le processus d’acquisition
des savoirs. En effet, il est tout à fait aberrant de sépa-
rer l’avancée dans les apprentissages des difficultés iné-
vitables que chacun de nous y rencontre, en considérant
ainsi tout ce qui pose problème comme a-normal. Ce qui
amène malheureusement de nombreux enseignants, soit           u A quoi sert la littérature?
à ne pas vouloir considérer les résistances à apprendre
comme matériau de travail, soit à les externaliser trop       « La littérature nous transforme », explique Antoine
vite vers des spécialistes.                                   Compagnon, professeur au Collège de France, dans une
Les différents empêchements à apprendre (dont «A quoi         courte vidéo datant de 2013.
bon?», «On me traite d’intello», «J’ai besoin de bouger»      https://youtu.be/YZGYRlNnVyI

                                                                                          Résonances • Septembre 2019
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DOSSIER

                                                              u Liste de savoirs pour le XXIe siècle
                                                              Les sept savoirs nécessaires à l’éducation selon Edgar
                                                              Morin sur UNESDOC, bibliothèque numérique.
                                                              https://bit.ly/2YU7a0e

u Retrouver l’envie d’apprendre
Serge Boimare présente ses derniers ouvrages pour per-
mettre à ceux qui ont peur d’apprendre de retrouver
l’envie d’apprendre, notamment un protocole en trois
temps (nourrissage culturel sous forme de lecture à haute
voix par l’enseignant des textes fondateurs de notre lit-
térature, compréhension du texte, puis débat entre les
élèves), mis en place essentiellement avec des équipes à
Genève. Vidéo de juin 2019.
https://youtu.be/y0h9rxG7mo0

                                                                L E D O S S I E R E N C I TAT I O N S

                                                               Apprendre tout au long de la vie
                                                               «Lorsqu'après sa condamnation à mort on a demandé à
                                                               Socrate s'il avait un dernier vœu, il aurait répondu:
                                                               - Oui, j'aimerais apprendre à jouer de la flûte.
                                                               - Mais enfin, à quoi ça peut vous servir, puisque vous allez
                                                               mourir?
                                                               - Justement, avant de mourir, j'aurais bien aimé savoir
  L E D O S S I E R E N C I TAT I O N S                        jouer quelques notes de flûte.
                                                               Vivre ainsi. Pas "pour" quelque chose. Ainsi.»
 Pourquoi étudier?
 «Les raisons d'étudier ne sont pas homogènes. Il y a          Nancy Huston in Démons quotidiens: journal à quatre
 d'abord l'anticipation des "bénéfices" sociaux attachés       mains (Editions de l’Iconoclaste, 2011
 aux diplômes. Ensuite, les étudiants peuvent étudier pour
 réaliser une "vocation". Enfin, les étudiants peuvent
 étudier pour participer de la vie sociale des étudiants.
 Chacune de ces raisons prend aujourd'hui diverses formes                      Prochain dossier
 et les étudiants doivent, à la fois, les construire et les            Parution début octobre 2019 :
 articuler.»
                                                                      S’émerveiller pour apprendre
 François Dubet in Des raisons d'étudier (Agora débats/            (en lien avec la place du beau et de
 jeunesses, 6, 1996)                                                      l’étonnement à l’école)
 https://bit.ly/33Synio                                                      www.resonances-vs.ch

Résonances • Septembre 2019
Mensuel de l’Ecole valaisanne                                                                                            13
A quoi bon apprendre l'histoire
à l'école?
Charles Heimberg

 MOTS-CLÉS : SCIENCES SOCIALES • DROITS
 HUMAINS

Cette question se pose pour plusieurs raisons. Par
exemple parce que l’histoire et les sciences sociales
tendent, malheureusement, à être marginalisées dans
nos sociétés. Parce que leur apprentissage qui n’est, heu-
reusement, pas évalué par les enquêtes comparatives in-
ternationales n’est, malheureusement, pas non plus au
cœur des préoccupations des autorités scolaires et poli-
tiques. Parce que la connaissance de l’histoire n’a, mal-
heureusement, pas empêché des sociétés humaines de
commettre les pires crimes contre l’humanité, ni d’autres     L’histoire constitue un instrument de mesure du change-
sociétés, dans d’autres circonstances, de recommencer.        ment à travers le temps. Ici l’exemple de l’imprimerie.

C’est donc envers et contre tout qu’un projet éducatif        complète l’examen de ce qui est advenu. En mettant de
attentif au respect des droits humains vise à une (re)        côté ce que nous savons aujourd’hui de la suite des événe-
connaissance des crimes du passé et des manières pos-         ments du passé, nous pouvons restituer l’espace d’initia-
sibles de les empêcher avec l’espoir de contribuer à la       tive, la marge de manœuvre dont disposaient les acteurs
prévention de leur répétition.                                et actrices du passé. Ce qui est aussi une manière de ne
                                                              pas nous enfermer dans un présent à l’avenir inéluctable,
Toutefois, un projet éducatif émancipateur ne saurait se      face auquel il n’y aurait plus rien à faire.
focaliser seulement sur ces aspects sombres de l’histoire
des sociétés humaines. Les raisons d’apprendre l’histoire     Enfin, l’apprentissage de l’histoire vise à rendre le passé et
à l’école relèvent encore d’autres objectifs de connais-      le présent plus intelligibles, cherchant ainsi à développer
sance et d’émancipation que je propose de résumer par         une faculté de discernement qui est d’autant plus impor-
trois mots : curiosité, incertitude, discernement.            tante que nos sociétés sont fortement marquées par des
                                                              fausses informations et des postures relativistes. Par sa
L’étude de l’histoire aiguise la curiosité et permet la dé-   méthode critique, qui l’oblige à documenter et établir
couverte de la diversité du monde et de l’étrangeté du        autant que possible la preuve de ses affirmations, l’his-
passé. C’est une manière de percevoir des différences         toire permet potentiellement de mieux comprendre le
dans les sociétés humaines. L’histoire est une invitation     monde d’hier et d'aujourd’hui en restant constamment
à comparer des situations à travers le temps et l’espace      attentive au caractère scientifique de ce qu’elle produit.
pour mettre à la fois en évidence des ressemblances et
des dissemblances, des continuités et des ruptures. Ainsi,    Tout cela est dit en une page. Sans pouvoir expliquer
avec tout ce qu’elle permet de découvrir, elle constitue un   pourquoi une histoire strictement identitaire fondée
instrument de mesure du changement à travers le temps.        seulement sur des dates, des grands personnages et des
                                                              récits mythiques n’a pas grand intérêt à l’école.
Le travail d’histoire s’intéresse à des situations dans le
passé toujours marquées par l’incertitude dans laquelle
étaient plongés les hommes et les femmes de ce temps-là.
                                                               L'AUTEUR
                                                               Charles Heimberg
Le déroulement de l’histoire présente une part de contin-
                                                               Professeur de didactique de l’histoire et
gence et de surprise, il n’est jamais le produit d’un pro-
                                                               de la citoyenneté à l’Université de Genève
cessus inéluctable. Ainsi, étudier l’histoire des possibles

                                                                                             Résonances • Septembre 2019
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