Evaluation hydro-écologique du bassin du Niger supérieur
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Freshwater Contamination (Proceedings of Rabat Symposium S4, April-May 1997). IAHS Publ. no. 243, 1997 27 Evaluation hydro-écologique du bassin du Niger supérieur NAVON CISSE Direction Nationale de l'Hydraulique et de l'Energie (DNHE) B.P. 66, Bamako, Mali Résumé Suite à la persistance de la sécheresse, l'hydraulicité du haut bassin du fleuve Niger a fortement diminué au cours des deux dernières décennies. A cela, il convient d'ajouter la croissance démographique et l'expansion incontrôlée des centres urbains et la multiplication d'unités industrielles aux environs de Bamako. Cette situation provoque la détérioration de la qualité des eaux et augmente les risques de dégradation de l'environnement. Les cas isolés de mort de poissons, les mauvaises odeurs de l'eau du fleuve en juillet 1993 constituent avec la prolifération de jacinthes d'eau des témoignages éloquents. Bref, autant de phénomènes qui n'ont pas trouvé jusqu'ici une explication adéquate, faute de données fiables. Avec l'assistance des Pays- Bas, le Gouvernement du Mali a entrepris la réalisation d'un suivi hydro- écologique du Bassin du Niger Supérieur pendant la campagne hydrologique 1995-1996, en étroite collaboration avec les services techniques de la République de Guinée et le Bureau d'Etudes néerlandais IWACO et Delft Hydraulics. Cette étude a pour objectif d'assurer une meilleure compréhension du système hydro-écologique du fleuve et le renforcement de la coopération bilatérale entre le Mali et la Guinée en matière de protection de l'écosystème du fleuve dans sa partie supérieure. INTRODUCTION Le projet pilote de création d'un système intégré de suivi hydro-écologique du bassin du Niger supérieur s'inscrit dans le cadre de la volonté de coopération des Gouvernements de la Guinée et du Mali avec l'assistance du Royaume des Pays-Bas, en vue d'assurer la gestion commune des ressources en eau pour un développement durable des deux pays. La présente communication vise à: - poser le diagnostic sur le cadre physico-géographique de la zone d'intervention, l'état d'usage des eaux avec l'identification des sources actuelles et potentielles de pollution des eaux du bassin; - évaluer l'écologie et la qualité des eaux du bassin du Niger supérieur. La collecte ainsi que l'analyse des données dans le cadre de ce projet sont assurées par deux équipes d'experts nationaux désignés par les gouvernements du Mali et de la Guinée, appuyés par une assistance technique du Royaume des Pays- Bas. PRESENTATION DU BASSIN VERSANT DU FLEUVE Le fleuve Niger est l'un des plus grands cours d'eau d'Afrique (troisième après le Nil et le Congo), tant par sa longueur (4200 km) que par la superficie de son bassin
28 Navon Cisse théorique (2 000 000 km2) qui s'étend sur dix pays africains (Algérie, Burkina Faso, Bénin, Cameroun, Côte d'Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Nigeria et Tchad). Le fleuve draine avec ses affluents dans sa partie supérieure (zone du projet) près de 140 000 km2 dont environ 100 000 km2 sur le territoire guinéen. En dehors du massif du Fouta Djallon où le fleuve prend sa source à 800 m d'altitude, le relief du bassin est généralement monotone avec une altitude moyenne de l'ordre de 400 m. La végétation est essentiellement composée de savane. Le climat est du type tropical sec, marqué par l'alternance prononcée entre une saison sèche de 6 à 8 mois (novembre-mai) et une saison pluvieuse. La pluviométrie annuelle varie de 2000 mm au sud à 600 mm au nord. Les sols sont de deux types: les sols alluviaux le long du fleuve et de ses principaux affluents, relativement riches en matières organiques se prêtant à une grande variété de cultures, et les sols latéritiques dégradés. Le réseau hydrographique est composé en Guinée du Niger proprement dit, du Milo qui prend sa source à 1050 m, du Niandan et du Mafou prenant leurs sources à 700 m d'altitude et du Tinkisso, le seul affluent important de rive gauche du Niger. Au Mali, le fleuve reçoit le Fié et le Sankarani venant tous de la Guinée. D'une manière générale, la végétation du bassin du Niger supérieur est abondante. Elle passe progressivement du sud vers le nord, de la savane boisée à la steppe arbustive. Cette végétation a subi de profondes modifications suite aux défrichements anarchiques, à la coupe abusive de bois de chauffe, aux feux de brousse et à la persistance de la sécheresse. Autour des grandes agglomérations, la forêt a complètement disparu créant de graves problèmes d'érosion des sols et d'ensable- ment des lits des cours d'eau. La faune du bassin supérieur du fleuve est très diversifiée (mammifères, oiseaux, reptiles, batraciens, poissons et invertébrés). L'onchocercose (cécité des rivières) sévit dans les eaux à courant rapide de la haute Guinée. Les habitats protégés (forêts classées, parcs, etc.), qui constituent les seuls lieux sûrs pour la faune et la flore, jouent un rôle important dans la maintenance de l'équilibre écologique. Le régime du fleuve est fortement marqué par celui des précipitations (Fig. 1). Il est caractérisé par une importante variation saisonnière des débits du fleuve entre l'étiage et la crue (Fig. 2). Depuis la mise en eau du barrage à but multiple de Sélingué en 1982, les débits d'étiage du fleuve Niger sont soutenus en aval de la confluence du Sankarani. SOURCES POTENTIELLES DE POLLUTION Population Les principales agglomérations humaines des deux pays sont situées sur le fleuve Niger et ses principaux affluents et totalisent une population estimée approximative- ment à 3 000 000 d'habitants dont environ 1 500 000 en Guinée. Le système d'assainissement dans ces centres urbains est quasi inexistant. Seules les localités de Kankan et Bamako possèdent des réseaux sommaires très anciens couvrant à peine 2% de la population. L'évacuation des déchets domestiques s'effectuent au moyen de fosses septiques et de puits perdus. Les eaux usées sont le plus souvent déversées dans les rues ou caniveaux de drainage des eaux de ruissellement.
Evaluation hydro-écologique du bassin du Niger supérieur 29 JAN FEV MARS AVR MAI JUIN JUIL AOUT SEP OCT NOV DEC - Kissidougou —X—Bamako Fig. 1 Répartition mensuelle des précipitations aux stations de Faranah et Bamako sur la période 1924-1973. + : Pluie à Faranah en mm; X : Pluie à Bamako en mm. "m 10000 *-* g 1000 ut
30 Navon Cisse Niger. Il est pratiqué le long du fleuve ce qui peut susciter certaines préoccupations dues à la charge organique du bétail. La pêche est une activité artisanale tant au Mali qu'en Guinée. Il faut cependant craindre les conséquences de la pollution industrielle et agricole sur les poissons. Les captures annuelles sont estimées en moyenne, dans la zone du projet à 12 000 t en Guinée et 3 000 t dans la retenue de Sélingué au Mali. Industries, mines et artisanat Les résultats des investigations indiquent que le traitement des effluents industriels dans le bassin du fleuve est quasi inexistant dans les deux pays. La plupart des usines déversent leurs eaux usées dans le fleuve ou les caniveaux d'évacuation des eaux pluviales ou l'épandage sur le sol. Le débit des rejets des principales industries a été estimé à plus de 2000 m3 jour"1 dans le seul District de Bamako (Tableau 1). Ces rejets contiennent une forte concentration de matières organiques dissoutes et en suspension, des métaux (chrome, mercure, manganèse, zinc, etc.) et des produits chimiques, des colorants et des substances organiques toxiques. L'activité minière est fortement dominée par l'exploitation artisanale de sites aurifères surtout en Guinée. Les unités d'exploitation minière sont pour la plupart en arrêt ou en voie de reconstitution. L'artisanat est dominé par les teintureries dont les eaux usées sont fortement alcalines et contiennent des matières toxiques et des colorants. Une grande partie de ces rejets est déversée dans les caniveaux d'évacuation des eaux pluviales, sur le sol aux abords des maisons d'habitation ou directement dans le fleuve. Actuellement, le nombre exact des teintureries n'est pas connu mais il est estimé à environ 300 dans le seul District de Bamako. Le débit d'eau usée ainsi générée représente environ 75 m3 jour"1. Tableau 1 Rejets d'eau usée dans le fleuve (m3 jour"1). Source Localité Rejets (m3 j"1) Contenu Industries Bamako 2 000 Chlorures, nitrates, acides Abattoir Bamako 270 Arsenic, azote, graisses Mine d'or Gbenko/Guinée 20 000 Boues rouges Mine d'or Siguiri/Guinée 2 430 Boues rouges Artisanat Bamako 75 Colorants Briqueterie Kankan 100 Boues Industries Koulikoro Mousse Industries Ségou Colorants Centres urbains Guinée-Mali 5 000 Déchets solides Irrigation Macina/Mali 500 000 Intrants agricoles QUALITE DES EAUX Deux campagnes de mesures (de décembre 1995 à janvier 1996 et d'avril à mai 1996) ont permis de prélever environ 200 échantillons d'eau dont 78 en Guinée. Pour
Evaluation hydro-écologique du bassin du Niger supérieur 31 les paramètres les plus variables aux conditions de milieu, (pH, température, conductivité et oxygène dissous), des analyses in situ ont été effectuées. Les autres paramètres physico-chimiques, minéralogiques et bactériologiques ont été mesurés aux Laboratoires des services de l'Hydraulique de la Guinée et du Mali. Certains paramètres (pesticides, engrais, etc.) ne pouvant être analysés sur place, faute d'équipement, les échantillons ont été expédiés aux Pays-Bas. Les principaux résultats des analyses sont: Le pH varie de 7.06 sur le Sankarani à Sélingué à 8.75 sur le Niger à Ségou. Au niveau des effluents industriels et domestiques, le pH varie entre 7.16 et 10.44. La conductivité qui constitue un bon indicateur de la teneur de l'eau en matières dissoutes varie de 33.5 uS cm"1 sur le Sankarani à Gouala à 84.8 uS cm"1 à Bamako (Kibara). Au niveau des effluents, ces valeurs varient entre 101 et 685 uS cm"1. La teneur en oxygène dissous oscille entre 6.5 mg l"1 à Bamako et 13.0 mg l"1 à Markala. Dans les effluents industriels et domestiques, ces valeurs varient entre 1.85 et 9.9 mg l"1. Les phosphates constituent un bon indicateur de la présence dans l'eau de résidus d'engrais ou d'industries chimiques. La teneur des eaux varie entre 0.2 mg l"1 P0 4 à Kéniéroba et 0.98 mg l"1 P0 4 à Sansanding sur le Niger. Les nitrates constituent le stade final de l'oxydation de l'azote. Leur présence stimule la prolifération de la flore aquatique. La teneur des eaux varie entre 1.0 mg l"1 (N) sur le Sankarani et le Niger au Mali à 15.0 mg l"1 (N) sur le Niandan à Baro en Guinée. La dureté représentant la concentration totale de calcium et magnésium exprimés en équivalent de carbonate de calcium varie de 12 à 20 mg l"1 CaC03. Les métaux lourds ont été identifiés dans les eaux du fleuve avec les teneurs suivantes: Arsenic: de 2.4 ug l"1 à Ségou (COMATEX) à 3.7 ug l"1 à Bamako (TAO) Chrome: de 1100.0 ug l"1 à Bamako (TAO) à 1.5 ug l"1 à Ségou (COMATEX) Cuivre: de 3.3 ug l'a Koulikoro (Huilerie) à 41.0 ug l"1 à Bamako (ITEMA) Mercure: de
32 Navon Cisse On observe aujourd'hui un développement rapide des villes riveraines du fleuve Niger et ses principaux affluents provoquant une dégradation rapide de la qualité de l'eau du fleuve qui se traduit par la prolifération de jacinthes d'eau. Toutefois, en se basant sur les résultats d'analyse de certains paramètres (pH, conductivité et oxygène dissous), on peut affirmer que le fleuve Niger dans sa partie supérieure, se situe globalement dans les limites d'une eau de surface naturelle. Cependant, la présence de certains signes apparents de la détérioration de la qualité de l'eau du fleuve aux points de rejet des eaux usées industrielles, domestiques, agricoles et artisanales(teinture, tannin, forte conductivité, etc.) nous interpelle à la vigilance bien que ces signes disparaissent en règle générale, à quelques mètres en aval, grâce au pouvoir autoépurateur du fleuve. Aussi, les résultats des analyses révèlent très peu de produits de type engrais ou pesticide dans l'eau du Niger à l'exception des échantillons de juillet 1993 (Tableau 2). Mais, il convient de préciser que l'ensemble de ces échantillons ont été prélevés après la saison d'activités agricoles. Tableau 2 Résultats d'analyse de la qualité de l'eau. Localité Date Paramètre Valeur Bamako 08/07/93 Lindane 0.93 ugl" 1 Bamako 08/07/93 Diazinone 1.1 Hgl"1 Koulikoro 14/07/93 Lindane 0.035 P-g T1 Koulikoro 14/07/93 Diazinone 0.30 Hgl"1 Bamako/usine TAO 01/11/95 Arsenic 3.7 Mgl"1 Bamako/usine TAO 01/11/95 Chrome 1100 Mgl"1 Koulikoro/HUICOMA 01/11/95 Plomb 5.2 ugl" 1 Ségou/COMATEX 01/05/96 pH 10.45 Bamako/Effluents 01/05/96 Conductivité 685 \xS cm"1 Industriels Kissidougou 05/04/96 Fer 4200 Hgl"1 Les principaux acquis de cette phase pilote peuvent se résumer comme suit: - la constitution de deux (2) équipes pluridisciplinaires (en Guinée et au Mali) et la tenue de séances de concertation entre ces équipes sur la qualité de l'eau et les sources de pollution; - la réalisation de rapports nationaux de synthèse présentant la description hydro- écologique, l'inventaire des sources de pollution et les développements futurs attendus dans le bassin du fleuve au cours des prochaines années; - la réalisation d'un modèle simplifié de simulation de la propagation d'une onde de pollution le long du fleuve; - la réalisation d'une carte de synthèse des zones à risque de pollution dans le bassin; - la mise en place d'un réseau intégré de suivi hydro-écologique du bassin du fleuve. Il ressort de l'examen des rapports de synthèse que dans la zone du projet, il y a un déséquilibre écologique manifeste dû à la destruction des écosystèmes de base provoquée elle-même par les activités de l'homme. Il ne fait donc aucun doute aujourd'hui que la préservation de la qualité des eaux et des conditions écologiques
Evaluation hydro-écologique du bassin du Niger supérieur 33 du fleuve Niger passe par un aménagement harmonieux et équilibré du bassin. La pertinence des résultats de cette phase pilote justifie à plus d'un titre, la reconduite d'une nouvelle phase du projet pour consolider les acquis de la première phase. Les données de terrain et les résultats du calage du modèle devront permettre à terme, la mise en oeuvre d'un système d'alerte précoce des populations et décideurs des deux pays sur les risques de pollution du fleuve et une harmonisation des législations en matière de protection de l'environnement. REFERENCE Equipes Nationales de Guinée et du Mali, IWACO BV, Delft Hydraulics (1996) Projet Pilote Guinée-Mali de création d'un Système Intégré de Suivi Hydro-écologique du Bassin du Niger Supérieur. Rapport Final, vols 1-2.
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