Exercer le droit au logement. Le cas d'un épisode de squattage à Montréal en 2001 Exercising the Right to Housing: The Case of a Squat in Montreal ...
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Document généré le 10 fév. 2022 13:03 Lien social et Politiques Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 2001 Exercising the Right to Housing: The Case of a Squat in Montreal in 2001 Michel Parazelli, Maria Nengeh Mensah et Annamaria Colombo Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux Résumé de l'article Numéro 63, printemps 2010 L’étude des repères normatifs des acteurs impliqués dans un épisode de crise sociale tel que le squat Overdale-Préfontaine en 2001 à Montréal, peuvent aider URI : https://id.erudit.org/iderudit/044157ar à mieux comprendre le sens d’un événement présentant une certaine opacité DOI : https://doi.org/10.7202/044157ar au moment de sa manifestation du fait de son illégalité. Par cette analyse des repères normatifs auprès des acteurs, il est possible de dégager des logiques spécifiques quant aux stratégies employées par les groupes d’acteurs impliqués Aller au sommaire du numéro dans l’épisode de squat, tant au sein du groupe d’appartenance que sur le plan des relations entre les groupes. Le contenu de cet article présente une synthèse des résultats d’analyse relatifs aux positions tenues par les occupants du squat, Éditeur(s) les acteurs communautaires, institutionnels et médiatiques. Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (imprimé) 1703-9665 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Parazelli, M., Mensah, M. N. & Colombo, A. (2010). Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 2001. Lien social et Politiques, (63), 155–168. https://doi.org/10.7202/044157ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 155 Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 20011 Michel Parazelli, Maria Nengeh Mensah et Annamaria Colombo Si la définition du verbe squat- se définit justement par cette ment lui-même et de la finalité de ter est l’action d’occuper illégale- contradiction sociale qui, selon ces pratiques. ment un local vide ou un nous, brouille la pensée sur le sens immeuble inoccupé2, elle n’in- Ainsi, dans le cadre de cet article, social de cette pratique : comment nous présentons les résultats d’une † forme pas pour autant sur la por- comprendre le sens de cette pra- tée de l’action, sa finalité, ses recherche qualitative dont l’objectif tique où l’illégalité de l’action principal fut d’analyser les repères enjeux ou sa pertinence sociale. (occupation non réglementaire) De par son caractère inusité, mar- normatifs des groupes d’acteurs est fondée sur la légitimité poli- impliqués dans l’épisode de squat- ginal ou radical, le squattage tique du projet (ex. : droit au loge- † tage de Montréal de l’été 2001, devient vite l’objet de regards ment, habitat alternatif, abri de appelé pour l’occasion le squat figés sur la transgression norma- fortune) ? « Overdale-Préfontaine »3, et de tive que ses auteurs commettent † † † bruyamment, jusqu’à rendre la montrer en quoi ces repères gui- Par exemple, la couverture pratique elle-même vide de sens dent les stratégies d’action et médiatique du squat de l’été 2001 social ou politique. Pourtant, à y structurent les positions respec- à Montréal a largement exposé regarder de plus près (à l’intérieur tives. En nous inspirant de la cette contradiction par l’intermé- d’un squat) et de plus loin méthode de l’analyse stratégique diaire des positions divergentes (Crozier et Friedberg, 1981 ; (ailleurs dans le monde), on † des deux principaux aspirants à la Friedberg, 1994 ; Mendel et constate que les pratiques de † squattage sont non seulement mairie de Montréal (Lévesque, Prades, 2002) et des repères nor- hétérogènes quant aux contextes 2001 ; Vigneault, 2001) dont l’in- † matifs permettant d’analyser les et à leur finalité, mais elles sont terprétation du phénomène variait pratiques d’intervention sociale aussi investies de significations entre un acte de désobéissance (Karsz, 2004), nous avons docu- sociales légitimes sur les plans civile et la revendication d’un pro- menté et qualifié les différences éthique, politique et subjectif. jet autogéré. Ce qui ne va pas sans de points de vue, selon les L’un des problèmes de recherche créer de confusion ou d’ambiva- acteurs impliqués, sur les enjeux sur lesquels nous avons travaillé lence autour du sens de l’événe- associés aux stratégies d’occupa- Lien social et Politiques, 63, Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux. Printemps 2010, pages 155 à 168.
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 156 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 181), un autre en 1975 visant à nelles associées au fonctionne- protester contre la destruction de ment interne et aux problèmes de Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 2001 logements et, en 1987-1989, le sécurité constituent autant d’élé- squat de l’îlot Overdale, qui fit la ments qui ont contribué à rompre manchette, et voulait bloquer la les négociations avec les respon- construction de condos à la suite sables de la Ville. L’escouade anti- de la démolition des logements émeute de la Ville de Montréal a abordables jugés insalubres par le finalement expulsé les occupants maire de Montréal (Favreau, le 3 octobre 2001 pour des raisons 1988). sanitaires et de sécurité. Affectant toutes les grandes Pendant l’été 2002, on assiste à villes du Québec, la crise du loge- trois autres épisodes de squat, l’un 156 ment qui sévissait en 2000 exacer- à Québec (Drapeau, 2007), l’autre bait à nouveau les difficultés à Ottawa (Gaudreault, 2002) et un tion du squat. Avant d’aborder d’appropriation de l’habitat rési- dernier à Montréal, mais dans un ces résultats de recherche, dentiel à cause du faible taux d’in- contexte différent réunissant des voyons dans quel contexte géné- occupation de logement locatif et sans-abris dans une place publi- ral s’inscrit le squat de 2001. de la hausse des prix qui s’ensuivit que (abris de fortune). L’issue (Cloutier, 2002)5. C’est pourquoi répressive de ces épisodes de Crise du logement et épisodes l’épisode du squat Overdale- squat nous a conduits à étudier de squat au début des années Préfontaine à Montréal ayant davantage l’un de ces épisodes, 2000 débuté le 27 juillet 2001, avait celui d’Overdale-Préfontaine, afin d’abord été amorcé dans un de mieux comprendre les enjeux Le contexte de « la crise du † immeuble désaffecté de l’îlot de ce type de pratique ainsi que logement » en 2001 (Québec, † Overdale (maison Louis-H. La les diverses façons de les envisa- 2002)4 a incité des groupes d’ac- Fontaine classée bâtiment patri- ger selon les groupes d’acteurs teurs à développer des stratégies monial) en continuité avec l’occu- impliqués, dont les autorités publi- illégales d’appropriation de l’es- pation de 1987-1989. L’attitude du ques. Avant d’aborder l’étude de pace résidentiel dont les enjeux maire Bourque fut alors d’inviter cet épisode, un bref tour d’horizon varient selon les contextes. Un le groupe, composé d’une cin- de la littérature s’avère nécessaire suivi des épisodes de squattage à quantaine de personnes apparte- pour le situer parmi les façons de Montréal, Québec, Ottawa et nant à des groupes sociaux pratiquer le squattage ailleurs Guindonville (Val-David) révèle diversifiés, à déménager au centre dans le monde. une problématique de gestion Préfontaine aussi en désaffection municipale de la marge sociale (ancien édifice public de la Ville). Diversité des pratiques associée à l’habitat résidentiel. Outre la dénonciation de la pénu- de squattage Dans un article d’un quotidien rie de logements et la revendica- montréalais (Béasse, 2001), on tion de logements sociaux, l’objet Si les recherches sur les pra- apprend que l’expérience du de la négociation entre les squat- tiques de squattage sont peu fré- squat de l’été 2001 (de juillet à ters et le représentant de la Ville quentes au Québec, ce n’est octobre) amorcé par le Comité était un projet de coopérative pourtant pas le cas dans les villes des sans-emplois de Montréal d’habitation autonome appelé en développement (les bidonvilles) (CSE) s’inscrirait dans une tradi- « Collectif Préfontaine » doté d’un † † et les villes européennes (Londres, tion d’un mouvement urbain de complexe de diffusion culturelle Amsterdam, Bruxelles, Genève, revendication qui daterait des alternative. Le contexte électoral, Milan, Barcelone, Paris, etc.) où le années quarante. On peut citer les plaintes de résidents, des squat devient souvent une réponse par exemple un squat durant l’hi- images médiatiques compromet- au manque criant de logements. ver 1946-47 dénonçant la pénurie tantes sur l’aménagement du Toutefois, nous n’avons retenu que de logements (Choko, 1980 : 165- † squat, des difficultés organisation- la littérature relative aux pays
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 157 occidentaux et non celle traitant pective d’émancipation face aux mondialisation des marchés (Mar- des pays en développement compte valeurs d’affaires et de privatisa- tinez, 2007). Au sein des squatters tenu de l’hétérogénéité des con- tion de l’espace. Soulignons que le se retrouvent des militants asso- textes sociopolitiques6. À titre site Web d’origine berlinoise ciés à de multiples causes, et le d’exemple, mentionnons la dizaine squat.net rassemble beaucoup squat constitue leur moyen com- de milliers de maisons qui sont d’informations mises à jour sur les mun d’expression (ex. : Katz et † squattées dans les Pays-Bas qua- squats répartis dans une vingtaine Mayer, 1983). Notons que ces lifiés de « petits laboratoires alter- † de pays. Dans une perspective deux dernières formes (refuge- natifs » (Chouinard, 2001). Dans † militante, ce site tente de docu- autogestion et politique) vont certains pays tels que l’Angle- menter les épisodes de squats souvent de pair et ne sont pas tou- terre et la Suisse, il était possible dans leur tentative de « ré-appro- † jours clairement séparées dans la de conclure une entente avec les priation de l’espace » pour repren- † littérature. Toutes deux sont por- autorités ou les propriétaires dre les termes du manifeste de teuses d’une remise en question 157 pour occuper les lieux soit sous Grenoble consultable sur le site. du système, mais la première se la forme d’un bail précaire, de manifeste plutôt de manière pas- À partir de notre recension convention d’occupation ou de sive tandis que la deuxième est d’écrits, nous pouvons distinguer contrat de confiance comme à porteuse d’une revendication plus trois types de squats : 1. le squat active. Par exemple, l’épisode de † Genève7. Béasse (2001 : 10) iden- † comme mode de vie marginal. Les tifie la tendance actuelle des squattage de Montréal Overdale- acteurs de ce type de squat sont autorités municipales des pays Préfontaine, en 2001 qui fait l’ob- essentiellement des artistes et des industrialisés de la façon suivante : jet de notre recherche, s’apparente † étudiants qui s’installent dans cer- « D’abord tolérés pour leurs ini- au croisement de ces deux formes † tains immeubles inoccupés des tiatives communautaires origi- de squattage. Examinons briève- beaux quartiers de Paris ou de nales, les squats sont ainsi évacués ment quelques aspects méthodo- Genève par exemple, pour y sous des prétextes de sécurité, au logiques. mener une vie marginale tempo- nom d’une nouvelle vision poli- raire (ex. : Sanchez, 2000). 2. le tique ». D’ailleurs la loi pour la † Aspects méthodologiques † squat comme refuge et mode sécurité intérieure en France d’autogestion. Cette forme corres- Rappelons que l’objectif de adoptée en 2003 permet de sanc- pond aux squats de sans-abris qui notre recherche était d’analyser tionner plus sévèrement les pra- s’auto-organisent à l’image de les repères normatifs qui guident tiques des squatters parmi celui qui fit la manchette pendant les stratégies d’actions des grou- d’autres pratiques marginalisées : † l’été 2002 au square Viger à pes d’acteurs et structurent leur « Par la création d’un délit à part † Montréal (Allard, 2002). Il est position respective. Pour ce faire, entière, le nouveau texte pénalise question d’habitudes de vie, d’ac- nous avons mené une enquête le squat et le réprime par six mois tivités culturelles organisées, etc., qualitative, de 2003 à 2004, en réa- d’emprisonnement et 3 000 euros qui structurent des modes de lisant 18 entretiens individuels d’amende » (Chambon, Krémer et † sociabilité ainsi que des stratégies semi-dirigés auprès des divers Zappi, 2002). Pourtant, jusqu’à de survie mises en place par les groupes d’acteurs impliqués de maintenant, la France tolérait les squatters (ex. : Coutant, 2000). 3. le † près dans l’épisode de squattage squatters entre le 1er novembre et squat comme mouvement social Overdale-Préfontaine de 2001 : 8† le 15 mars (Gingras, 1993 : 18). † urbain (squat politique)8. Ici, le squatters (occupants représentant Dans un article traitant de squats squat permet aux acteurs de les différences de points de vue à en Angleterre, Chatterton (2002 : † remettre en question un certain l’intérieur du groupe), 4 répon- 2) constate que certaines pra- nombre de discriminations sociales dants d’organismes communau- tiques de squattage visent une et économiques dont celles asso- taires (FRAPRU, RAPSIM, CSN- réappropriation de l’espace urbain ciées à la crise du logement où ce Montréal, L’Autre Montréal), 6 dans les quartiers centraux afin de dernier est réduit à une simple répondants institutionnels (2 fonc- créer une vie culturelle et artis- marchandise privée (Champod et tionnaires rattachés au comité du tique plus créative dans une pers- al., 1986 : 509) dans un contexte de † maire : le coordonnateur et son †
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 158 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 tiale (le logement, l’habitat) et gies, les convictions, etc.) ; 3. Les † sociale (le statut, le pouvoir). Ce repères politiques : Ce que chacun † Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 2001 que nous entendons plus précisé- des groupes d’acteurs a établi ment par « position » est le résultat † † comme rapport de pouvoir autant dynamique d’une situation sociale à l’intérieur de son propre groupe chargée de repères normatifs met- qu’avec les autres groupes d’ac- tant en valeur l’inscription d’un teurs (autogestion, cogestion, individu ou d’un groupe dans l’es- conflit, affrontement, confronta- pace de sa société selon un double tion, consensus, médiation, etc.). processus de différenciation et Afin de reconstituer la position d’appropriation. Les relations de des répondants inscrite dans celle position permettent aux individus de leur groupe d’acteurs, nous 158 et aux groupes d’individus de dif- avons mis en relation les repères férencier leur existence sociale normatifs présents dans le dis- adjoint, 1 chef de la sécurité incen- face à celle des autres. Et ce sont cours des répondants interviewés die, 1 commandant du poste de les pratiques sociales qui dynami- avec les stratégies en présence, les quartier de Rosemont, 1 conseillère sent ces relations de position en enjeux, les zones d’incertitude et municipale du Vieux-Rosemont, 1 spatialisant par l’action, non seule- les contextes d’interactions entre chef de l’opposition de l’époque). ment l’imaginaire associé à une les groupes d’acteurs. Ces entretiens ont permis d’explo- position, mais le sens des règles qui Par ailleurs, nous avons recensé rer les rapports intra-organisa- donne forme à cette position et qui la couverture de presse de l’épi- tionnels et inter-organisationnels permet de la reconnaître parmi sode de squattage au moyen de des groupes d’acteurs impliqués. d’autres (Parazelli, 2002 ; Hubert, † quatre quotidiens francophones. En ce qui concerne le corpus 1993). Pour connaître ces relations Des articles parus dans le Journal médiatique, nous avons relevé la de position, nous avons qualifié les de Montréal (39) et le Journal de position des médias à partir d’une points de repères normatifs au Québec (8), Le Devoir (28) et La analyse de contenu des points de fondement de la position des Presse (36), à l’été et à l’automne vue de chaque journal à propos de groupes d’acteurs afin de com- 2001, constituent le corpus spéci- l’événement du squat Overdale- prendre les logiques différentes fique au traitement médiatique. Préfontaine. de leurs pratiques. Nous nous Celui-ci a été étudié stratégique- sommes inspirés des registres nor- ment selon la perspective critique C’est en adaptant la méthode matifs traversant le travail social de la construction sociale des évé- de l’analyse stratégique (Crozier formulés par Karsz (2004) pour nements par le discours journalis- et Friedberg, 1981) à notre objet l’analyse critique des pratiques, en tique qui considère les médias d’étude que nous avons pu recueil- les adaptant à notre démarche. Il comme des acteurs sociaux guidés lir des informations sur les rela- s’agit des trois registres suivants : † par des repères normatifs propres tions de position entre les groupes théorique, éthique et politique9. aux contraintes organisationnelles d’acteurs impliqués dans l’épisode Concrètement, à partir des ana- et professionnelles des métiers de squattage de Montréal en 2001. lyses comparatives, nous avons d’information (Ericson, Baranek La connaissance des relations de distingué : 1. Les repères théo- † et Chan 1987). position est essentielle pour bien riques : Ce que les membres des † saisir les enjeux, les conflits et les groupes d’acteurs ont compris de Les résultats accords qui ont structuré les pra- l’épisode de squattage (le sens tiques sociales des divers groupes qu’ils lui ont donné, la conception Bien que reconstituées par les d’acteurs impliqués. À ce sujet, qu’ils s’en sont faite) ; 2. Les † répondants interviewés après Désy (1993 : 145) souligne avec † repères éthiques : Ce qu’ils ont le † avoir vécu l’expérience, des logi- justesse que les pratiques de plus ou le moins apprécié, jugé ques de sens se sont présentées squattage renvoient de près à la comme étant bon ou mauvais, mal comme autant de logiques d’ac- constitution d’une position spa- ou bien (les croyances, les idéolo- tions articulées selon une certaine
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 159 cohérence interne. Rappelons que regroupement à l’origine du tion de l’espace. En effet, selon c’est à l’aide des questions sui- mouvement. Les leaders du eux, la question du manque ou de vantes que nous avons dégagé des squat, rejoints par quelques la précarité du logement pour un points de vue que les différents autres squatters militants, nombre grandissant de personnes acteurs ont adoptés pour com- voyaient dans celui-ci un outil est intimement liée à la recherche prendre l’épisode de squattage : † politique de lutte contre les de façons de vivre ensemble inno- Comment ont-ils compris le sens inégalités et de mobilisation de vatrices, qui redonneraient du de l’action des squatters et/ou des la population autour de cette pouvoir aux personnes laissées autres acteurs ? Comment ont-ils † cause. Leur action ne visait pas pour compte par la gentrification interprété ce qui s’est passé pen- à améliorer leurs propres con- de plusieurs quartiers à Montréal. dant l’épisode ? Comment ont-ils † ditions de vie, mais plutôt celles Selon eux, le système capitaliste traduit leurs intérêts propres dans des autres, comme l’explique n’est pas à même de résoudre ce leurs actions ? Résumons la posi- † cette représentante du Comité problème en raison des inégalités 159 tion de chaque groupe d’acteurs des sans-emplois : † qu’il crée. Tout en s’inscrivant en séparément. continuité avec des actions anté- Pour les jeunes de la rue, que ce soit pour les itinérants, que ça soit rieures de sensibilisation de la Position des occupants du squat pour les familles qui n’ont pas assez population à la question du loge- d’argent pour se loger… […] On ment, le squat constitue selon eux Selon les huit squatters inter- pensait qu’il y avait des gens plus une action à même de dénoncer viewés, le squat constituait un dans le besoin. Quoique, même s’ils ces inégalités par son caractère moyen d’affirmer leur volonté de avaient déjà un appartement, ils radical. Soulignons que les squat- vivre différemment, tout en défen- espéraient éventuellement y vivre ters s’inscrivant dans cette pers- dant le droit au logement pour là, parce que ça représente un pective ont tendance à se distinguer tout le monde. Il s’agissait, d’une squat pour l’autogestion, ce qu’il y des autres squatters et de distin- part, d’attirer l’attention par le a alentour de ça. Pis le fait que tu ne paies pas un loyer à un proprié- guer ceux-ci entre eux en fonction biais d’un événement spectacu- de leurs ressources pour mobili- taire à tous les mois là. Mais moi, laire et, d’autre part, de mettre en personnellement, j’avais pas en tête ser, être mobilisés ou encore pratique un mode de vie alterna- de vivre là. (Karine10) entraver la mobilisation. tif. Les repères théoriques qui se dégagent de leurs discours per- Mus par un sentiment de res- En ce qui concerne les repères mettent de définir trois positions ponsabilité face aux populations éthiques mobilisés par ces répon- face au squat, qui se combinent plus déshéritées, le squat représen- dants, ils se réfèrent à la justice en parfois dans les logiques d’action tait pour eux une façon de prendre tant qu’amélioration des condi- des squatters : la mobilisation, la † leur défense en dénonçant les dif- tions des personnes déshéritées. résistance et l’habitation.Au niveau ficultés d’accès au logement pour Ils estiment que cette améliora- éthique, tous les squatters inter- ces populations.Toutefois, ils regret- tion peut être atteinte si ceux qui viewés se réfèrent à la notion de tent que le squat ait été principa- ont une « conscience politique », † † justice/injustice pour juger la lement interprété comme une pour reprendre leurs termes, de façon dont l’épisode s’est déroulé, revendication de logement social, cette injustice se mobilisent pour les positions des autres acteurs et notamment par les acteurs muni- la dénoncer. Dans ce contexte, la les stratégies qu’ils ont eux- cipaux et les médias, mais aussi notion de solidarité réfère pour mêmes privilégiées, mais cette par certains organismes commu- eux à la responsabilité sociale de notion revêt un sens différent nautaires. Pour eux, la thématique ceux qui en ont les moyens de lut- pour chacun, en lien avec le sens du logement, qui était d’actualité ter pour ceux qui n’en ont pas (ou attribué au squat. durant la période du squat carac- moins). Par ailleurs, ils estiment térisée par une crise du logement, que l’autogestion et la démocratie – Mobiliser : L’objectif de mobili- † servait de prétexte pour sensibili- sont des moyens qui permettent sation semble être celui qui a ser la population autour de la thé- une meilleure conscientisation à motivé l’organisation du squat matique plus large des inégalités travers l’expérience d’un mode de par le Comité des sans-emplois, sociales par un geste d’appropria- vie plus juste.
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 160 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 cela reste toujours au niveau sym- droit d’avoir un toit et une cer- bolique. Les références éthiques taine sécurité pour eux et leur Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 2001 de ces squatters en appellent à la famille. C’est grâce à des initia- justice entendue comme la liberté tives solidaires, comme le squat, donnée à chacun de vivre et de se qui tiennent compte de leurs réaliser comme il l’entend. La soli- besoins, qu’ils peuvent y accéder. darité, la démocratie et l’autoges- tion sont des valeurs qu’ils Position des acteurs institutionnels désirent pouvoir appliquer afin de vivre de façon plus satisfaisante. À partir des repères théoriques des acteurs institutionnels, nous – Habiter : Au contraire des † avons relevé trois conceptions dif- squatters dont nous avons parlé férentes de l’épisode de squat- 160 jusqu’à maintenant, certains tage : une occasion d’intervention † répondants avaient le projet de sociale, l’accueil de nouveaux – Résister : Si ces squatters sont † vivre dans le squat et ils y ont locataires résidants et la dérive sensibles à une mobilisation en d’ailleurs vécu durant la durée d’un épisode de squattage. Ces faveur des personnes déshéri- de l’épisode de squattage, cer- trois différentes représentations tées, cette visée était pour eux tains même avec leurs enfants. de l’épisode de squattage consti- tout aussi importante, sinon L’occupation d’un bâtiment les tueraient la position collective du moins, que leurs propres aspira- concernait directement et ils y groupe des acteurs institutionnels ; † tions au niveau professionnel voyaient une solution à leur des conceptions qui n’ont pas été qui s’inscrivaient dans une propre précarité. Un squatter, sans contradictions. forme de résistance personnelle qui vivait auparavant dans la au mode de vie prédominant. rue avec sa famille, raconte que – Une occasion d’intervention En effet, s’ils ne voyaient pas pour la première fois il dispo- sociale : Pour ceux qui voyaient † dans le squat un lieu de vie sait d’un espace privé où il pou- l’épisode de squattage comme pour eux, ils semblaient y voir vait enfin avoir un peu une occasion d’intervention un lieu où ils pourraient donner d’intimité, tout en participant sociale, le déplacement au bâti- un sens au travail sans être sou- avec ses enfants à la vie com- ment Préfontaine représentait mis aux contraintes du marché munautaire du squat, ce qui la possibilité de sortir les occu- libéral. leur a apporté beaucoup de pants d’une situation de squat- plaisir et de satisfaction. Le tage et de les mettre dans une Les enjeux ? Bien, c’est de con- situation de transition dont les squat lui a procuré une stabi- † tinuer à faire de l’art, moi juste perspectives d’action résulte- lité, une sécurité et une recon- dans mon métier… je vais donner raient d’une intervention sociale. naissance qu’il n’avait pas l’exemple avec mon métier en La première perspective qui connues depuis longtemps. pâtisserie : réussir, avoir la chance † relevait de de deux répondants de pouvoir développer son métier C’est pour ça que je suis entré dans est la construction d’un projet et de l’exprimer sans que ça soit le squat, parce que j’y avais une vie d’habitation (selon le coordon- toujours une question d’argent de un peu plus stable. Eh wouah !, 69 nateur du Comité du maire), rentabilité, d’efficacité. […] [Et] jours dans la même place, c’est trois mois là, j’étais ben content ! Très plus précisément un projet de l’agriculture biologique. Oui, en commune servant à la fois de très content ! Pis pas besoin de me gros c’est ça. (Jérémie) coopérative d’habitation et de casser la tête, personne se met à Ces squatters insistent sur l’im- chialer, personne est là pour faire transit aux jeunes de la rue d’ici portance de mettre en pratique les du mal, à moi ni à ma famille. Pis et d’ailleurs (selon son adjoint) :† aujourd’hui, je vis beaucoup la principes politiques d’émancipa- On leur a soumis un projet depuis misère. (John) tion, en s’appropriant un lieu et en deux ans, puis on y croyait beau- y développant concrètement un Ces répondants expriment l’idée coup. On voulait que les jeunes qui mode de vie différent, sans que de justice à travers leur propre sont en transit à travers le Canada,
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 161 qui arrêtent à Montréal pour x rai- de la sécurité incendie qui une dérive. Pour ce répondant, sons, les jeunes de la rue aient une voyaient l’épisode de squattage les occupants du squat d’Over- place où ils peuvent planter leur comme l’accueil de nouveaux dale ne poursuivaient que des tente, où ils pouvaient avoir des résidants. Pour eux, il s’agissait buts de diffusion médiatique de ressources, avoir de la bouffe gra- de reconnaître l’esprit de l’offre leurs revendications politiques. tuite, à boire… Puis on a vu le squat, les gens du squat comme une du maire aux occupants d’habi- Le squat de Préfontaine n’était opportunité pour réaliser ça. ter le centre Préfontaine en res- donc pour lui qu’une extension (Adjoint à la coordination du pectant les règles municipales de leurs actions menées à Over- Comité du maire). et les normes de sécurité inhé- dale, mais dont le projet initial a rentes à l’installation de n’im- été détourné par le maire vers Pour une autre répondante, cette porte quel résidant du quartier : † un projet d’habitation. Toujours situation de transition au squat selon ce répondant, le sens de Préfontaine représentait un con- Pour certains, moi, ce n’était pas un squattage. Du moment que l’auto- l’action au squat de Préfontaine 161 texte de crise et devait servir, à rité avait permis cette occupation-là, n’était donc pas très différent défaut d’autres lieux, à prendre le dans le fond ça devenait un bâtiment du projet d’Overdale. C’est temps de bien connaître les pro- résidentiel avec des chambres auto- pourquoi, il considère le squat blèmes des occupants, que cette risées par le municipal. […] C’était comme un incident à minimiser. répondante désignait parfois de l’utilisation d’un bâtiment de la ville S’il se dit sympathique à l’ac- « clientèle », afin de les référer au à des fins résidentielles pour un tion des squatters dans un pre- † † bon endroit dans le système des groupe de gens. (Chef du service de mier temps, il estime que leurs services sociaux. Il s’agissait d’offrir sécurité incendie) revendications et leurs moyens à ces personnes une prise en charge Sur le plan éthique, ces répon- d’action ont dépassé les bornes adéquate au niveau social et non dants référaient à des notions à partir du moment où ils ont uniquement de leur accorder gra- telles que le respect des règle- obtenu le bâtiment Préfontaine. tuitement un logement ou de les ments, la cohérence avec la déci- En faisant une action radicale laisser entre les mains de la police. sion prise par la ville, ainsi que et illégale, les squatters visaient Sur le plan éthique, trouver une leur crédibilité dans le cadre de une réaction spectaculaire de la solution qui évite la violence par leurs fonctions. Il semble que leurs police, ce qui attirerait les médias la répression, en dialoguant et actions aient été guidées par le et par conséquent, concentre- négociant avec les occupants, était souci d’assumer leurs responsabi- rait l’attention sur eux. À son la voie privilégiée pour favoriser lités et de ne pas avoir à se faire avis, les autorités publiques la coopération. Il s’agissait aussi reprocher leur éthique profession- devaient éviter de jouer ce jeu. de trouver une façon d’assumer nelle dans ce dossier, ni par la C’est dans cette optique qu’il leurs responsabilités institution- Ville, ni par la population. Selon privilégierait d’autres solutions nelles auprès des populations cette position, les squatters sont que la répression policière, afin marginalisées. Par contre, si au considérés par les répondants de ne pas accorder trop d’am- début les enjeux électoraux ont comme des citoyens ayant les pleur à l’événement. favorisé cette position non répres- mêmes droits que les autres, dont sive, ils ont aussi contribué à celui de bénéficier des services de Position des acteurs l’abandonner compte tenu de sécurité. En ce sens, le dialogue, la communautaires l’importante médiatisation de coopération et l’établissement de En ce qui regarde les acteurs l’événement défavorable au maire règles du jeu claires constituaient communautaires, nous avons relevé sortant (période électorale), et qui autant de repères politiques de deux conceptions différentes de ajoutait de la pression sur les res- leurs rapports de pouvoir avec les l’épisode de squattage : une conti- ponsables municipaux. occupants. † nuité de l’action militante face à la – L’accueil de nouveaux loca- – La dérive d’un épisode de crise du logement par de jeunes taires résidants : Ce sont essen- † squattage : C’est le chef de l’op- † militants anarchistes, et des pro- tiellement les répondants du position de l’époque qui voyait testataires et autogestionnaires service de police de quartier et l’épisode de squattage comme luttant pour un autre mode d’ha-
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 162 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 peu en prolongement de certaines lui, l’action des squatters était idées qu’on avait nous autres, la principalement une action de Exercer le droit au logement. Le cas d’un génération plus des années 80-90, épisode de squattage à Montréal en 2001 « protestation », les squatters † † pour moi c’était comme tout à n’ayant pas l’intention d’occu- fait naturel de les appuyer […]. (RAPSIM) per Overdale, étant donné la vétusté de l’immeuble. Manifes- Pour eux, dénoncer la crise du tant son scepticisme face au logement, lutter pour la défense projet du groupe qui a accepté du droit au logement et trouver l’offre du maire et qu’il qualifie des solutions face à la pénurie qui « d’autogestionnaire », il consi- † † sévissait à Montréal, étaient dère celui-ci comme secondaire autant d’objectifs justifiés par la par rapport au geste de dénon- 162 conjoncture et leurs propres con- ciation initial. victions. C’est pourquoi ils ont tenté d’appuyer les occupants de Position des acteurs médiatiques bitat. Ces deux représentations de diverses manières. Cet appui n’al- l’épisode de squattage constitue- À partir de l’analyse de lait pas de soi étant donné que ce raient la position de ce groupe contenu des articles de presse, type d’actions ne faisait pas d’acteurs, mais dont la différence nous avons relevé trois concep- consensus au sein de leur organi- est moins marquée que les deux tions différentes de l’épisode de sation respective. On a aussi groupes précédents. Résumons squat relatées par les journaux. avancé que la légitimité de ce type les logiques respectives de ces Ces représentations constitue- d’actions résulte du refus des conceptions. raient la position collective du autorités publiques à entendre, par la voie démocratique tradi- groupe des acteurs médiatiques ; – Une continuité de l’action mili- † tionnelle, les revendications du des conceptions qui ont été parta- tante face à la crise du logement : † droit au logement. Le recours au gées par les médias, mais selon des Pour trois des répondants inter- squat devenait alors un moyen prépondérances différentes. viewés issus de l’action commu- nautaire, l’épisode de squattage ultime pour faire reconnaître ce – Identifier la marginalité sociale : † s’inscrivait dans le champ de droit démocratique. Il importait La première conception nous leurs propres intérêts militants et aussi de reconnaître qu’une action convie à la seule éventualité associatifs, donc dans la conti- radicale comme le squat s’impo- possible de l’épisode de squat : † nuité. Un répondant évoque sait, mais qu’elle ne pouvait être l’affrontement. « Pourquoi le † même l’idée d’une rencontre engagée par les organismes com- maire n’a-t-il pas choisi d’appli- entre deux générations de mili- munautaires. Le sens de l’action quer la loi, soit de faire interve- tants qui tentent d’assurer la des squatters est vu comme une nir la police, faire arrêter ces continuité d’une lutte : pratique de « responsabilité civi- gens et les faire comparaître † † que » luttant pour un changement † J’ai participé effectivement à plu- pour violation à la propriété social dans le domaine du loge- sieurs de ces actions [en 1988], ce privée ? » (Beauvais 2001 : 4). Le † † † ment, même si cette action est fut très drôle quand lors d’une soi- respect des lois et procédures contrainte à l’illégalité. rée au squat il y avait la projection judiciaires préoccupe le Journal du film, notamment la projection – Des protestataires et autoges- de Montréal et le Journal de d’un vidéo sur l’événement d’Over- tionnaires luttant pour l’habitat Québec, mais ce qui les inter- dale [en 1988], où là on voyait les alternatif : Le répondant de la † pelle davantage, ce sont les jeunes squatters qui reconnais- CSN ne partageait pas la même moyens mis en œuvre pour venir saient les plus vieux […]. Donc, ça a expérience militante que les à bout de la « meute » (Fugère † † été un événement intéressant effec- tivement la rencontre des deux trois autres en ce qui regarde 2001 : 5) ou des « rebelles » (PC † † † générations. […] Mais quand on les les squats ; il référait aussi à la † 2001 : 5) qui, « cheveux longs et † † a vus cette gang-là du Comité des continuité historique de luttes blonds attachés à l’arrière, sans-emplois qui travaillaient un pour le droit au logement. Pour petite barbe de révolution-
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 163 naire », sont prêts « à tenir long- † † ception se construit suivant les de vie, ainsi qu’à dégager les temps dans le squat du centre- principaux axes suivants : mise † enjeux légitimes (l’accès à du ville » (Fortier 2001 : 6). † † en évidence de l’imminence logement social, par exemple) et d’une intervention policière ; † les moyens d’intervenir pour L’affrontement annoncé est le intervention de la Ville de répondre aux difficultés d’inser- fruit d’une représentation qui se Montréal (Pierre Bourque) tion sociale que soulèvent les construit en mettant en valeur les jugée inadéquate, d’où l’im- squatters. Le repère éthique pré- contradictions des revendications pression qu’elle soutient des pondérant ici est de préserver la des squatters ; en mettant en doute modes d’action illégaux ; évic- † † paix et l’ordre social. la motivation des squatters, plus tion tardive compte tenu de enclins aux seuls loisirs et aux L’identification des problèmes l’illégalité du squattage ; privi- † vices ; en relevant l’étrangeté et le sociaux irrésolus : Troisièmement, lège accordé à un groupe res- † † manque de transparence du mode la couverture que le journal La treint de gens qui ne répond pas 163 de vie et d’organisation des squat- Presse effectue nous convie à des intérêts collectifs ; inconsé- † ters ; d’où le fait qu’ils suscitent de d’abord et avant tout à com- quence des squatters qui se pri- † la méfiance et la difficulté à prendre que les enjeux qui traver- vent d’une occasion favorable décrypter les intentions des squat- sent l’épisode de squattage (y pour réaliser un projet de loge- ters : « Des gens rompus aux rela- compris son dénouement) n’ont ment social ; dépréciation des † † † tions publiques et habitués aux toujours pas été réglés. Cette actions telles que le squattage et coups d’éclat. Ils savaient fort bien conception se construit suivant les mise en valeur d’actions dirigées qu’au beau milieu des vacances de principaux axes de représenta- vers des questions de logement la construction, ils seraient la tions suivants : établissement d’une susceptibles de répondre aux † seule nouvelle en ville et qu’ils continuité des luttes entre l’épi- besoins des citoyens les plus auraient donc toute l’attention sode d’Overdale de 1988 et l’épi- pauvres. Le Devoir en décriant des médias » (Auger 2001 : 16). † † sode Overdale/Préfontaine en que « Le cadeau du maire res- † Les journaux font ainsi appel semble à une invitation à la 2001 ; orientation de l’attention † au critère normatif de la sécurité. désobéissance civile : on attend † sur les enjeux et non sur le squat Insistant tantôt sur le danger que autre chose du premier magis- lui-même ; squat comme espace † représentent les squatters « mili- † trat de la Ville de Montréal ! » † † dynamique et multiforme, comme tants liés à différents groupes poli- (Des Rivières 2001 : A6), con- † lieu de rencontre constructif ; † tiques radicaux » (Perreault 2001a : † † voque des critères normatifs le Comité des sans-emplois de E2), tantôt sur l’importance qu’un tels que la légalité (et la légiti- Montréal-Centre désigné comme ensemble de dispositifs de sécu- mité) des actions ainsi que la groupe initiateur du squat, comme rité soient mis en place. Garantir reconnaissance des instances et noyau auquel se greffent celles et la sécurité publique devient le structures de pouvoir : « Ceux † † ceux qui ont véritablement besoin repère éthique prépondérant de qui seraient tentés de les imiter d’une aide et d’un toit : les sans- † ces médias. auraient-ils droit au même trai- abris ; le déménagement provoque † tement ? « Il n’y a pas de précé- † † une rupture parmi les squatters : † – Distinguer l’action illégale des dent et il n’y aura plus d’autres des intérêts individuels ont pré- enjeux légitimes : La couver- † squats à Montréal. La police est séance sur des valeurs collectives. ture du journal Le Devoir sug- avisée que dès qu’il y aura inter- gère une lecture en deux Combien manque-t-il donc de vention, ce sera tout de suite logements sociaux à Montréal ? mouvements : premièrement, † l’évacuation », a ajouté le maire une intervention immédiate est † Plusieurs données sont révélatrices. […] » (Corriveau 2001 : A2). † † Plus de 8 500 noms figurent sur la nécessaire pour mettre fin à liste d’attente des HLM, alors qu’il l’occupation illégale ; deuxiè- † Dans la continuité du traite- y a trois ans, il n’y en avait que mement, le squattage a mis en ment médiatique, ce journal 7 000. […] L’équation simple évidence des enjeux légitimes cherche à illustrer l’illégalité du démontre que 35 000 logements auxquels il est tout aussi impé- squattage lui-même comme mode sociaux sont nécessaires, dont la ratif de s’attaquer. Cette con- d’action et du squat comme mode majeure partie à Montréal. En
LSP 63-17 25/06/10 14:06 Page 164 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 quels ils orientent leurs recher- squat Overdale/Préfontaine ches. La documentation est un furent contraints d’adopter plu- Exercer le droit au logement. Le cas d’un épisode de squattage à Montréal en 2001 effort de focalisation, un travail sieurs types de stratégies selon visant à attirer l’attention ou à les circonstances changeantes de orienter le regard sur ce qui, en l’épisode. Ces stratégies s’appa- définitive, soutient les représenta- rentent d’ailleurs à celles que tions que chacun des quotidiens a Désy (1993 : 147-151) a pu identi- † de l’épisode de squattage. Les fier dans différents contextes de quotidiens retenus cherchaient squattage (villes américaines, tous, d’une façon ou d’une autre, à canadiennes et européennes) : † mettre en évidence que les don- les stratégies classiques d’affron- nées qu’ils dénichent, les faits tement (secouer l’indifférence), 164 qu’ils documentent et, plus géné- les stratégies de négociation ralement, l’information qu’ils met- (demande de reconnaissance tent en circulation, avaient une officielle), les stratégies de visibi- attendant que les différents paliers de gouvernement passent à l’action certaine valeur de vérité11. Aussi, lité médiatique (publiciser leur […]. (Perreault 2001b : B1) représenter les intérêts du plus cause) et les stratégies de convi- grand nombre et non seulement vialité et d’alliance avec le La Presse, dépassant le ques- des intérêts spécifiques ressort milieu (gagner la sympathie des tionnement sur la légalité de l’ac- particulièrement pour le Journal voisins). tion de squatteur, fait appel de de Montréal et le Journal de façon prépondérante à des repères Mais si les visées des stratégies Québec. Mettre en valeur l’enjeu d’action au sein de chacun des éthiques qui se conforment à la électoral constituait un autre valeur de promouvoir une plus groupes d’acteurs et entre les repère politique. De plus, nous groupes d’acteurs eux-mêmes se grande justice sociale. Parmi ceux- avons observé que certains médias ci, nous retrouvons la lutte contre sont rencontrées dans l’action et créaient un rapport familialiste en ont connu quelques intersections, la pauvreté en général et le droit véhiculant une image dévaluée au logement en particulier. Les elles n’ont jamais été pour autant des squatters (jeunes), une repré- contiguës. Par exemple, les visées deux sont le plus souvent conju- sentation péjorative de leurs gués par la référence à l’accès à des squatters associant l’épisode revendications, d’autres fois et aux stratégies de mobilisation et plus de logements sociaux. dans une perspective éducative, le de résistance ne correspondaient Finalement, nous avons identi- besoin de confronter leurs illu- pas tout à fait aux visées du projet fié des repères politiques com- sions à la dure réalité. Et enfin, de commune pour jeunes de la rue muns traduisant la position des l’idée d’offrir un canal de commu- des fonctionnaires du Comité du médias face à la médiatisation de nication aux acteurs afin de favo- maire. Même si de prime abord, ce l’épisode. Tout d’abord, par leur riser des échanges entre les projet semblait correspondre aux participation à la formation d’une acteurs par le média. désirs des squatters de prolonger opinion publique, tous les médias leurs actions de mobilisation, cette ont orienté le débat d’une cer- Conclusion idée rejoignit davantage les occu- taine manière en induisant une En guise de conclusion nous pants investissant la visée d’habi- certaine conception de la margi- soumettons quelques points d’in- tat collectif, et certains autres nalité, de la légalité, de la légiti- terprétation constituant autant voyant là une occasion d’incarner mité et des problèmes sociaux d’hypothèses qui visent à mieux la résistance par la mise en pra- soulevés par l’épisode de squat comprendre le sens de nos résul- tique d’un mode de vie alternatif. Overdale/Préfontaine. Face aux tats de recherche. À ce titre, Bouillon (2002 : 58-59) † événements eux-mêmes, les quoti- avance que le fait de s’insérer diens retenus mettent l’accent sur – Des stratégies associées aux dans un processus de squattage en des enjeux auxquels ils accordent positions différenciées Signalons acquérant le discours de légitima- de la valeur et en fonction des- d’abord que les occupants du tion du squat, ses revendications,
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