Expositions Vie des arts - Érudit
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Document généré le 15 déc. 2021 09:45 Vie des arts Expositions Volume 30, numéro 119, juin–été 1985 URI : https://id.erudit.org/iderudit/54150ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (imprimé) 1923-3183 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (1985). Compte rendu de [Expositions]. Vie des arts, 30(119), 72–79. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
chrysalide et cocon, nid ou ca- EXPOSITIONS veau... S'en extraire pour danser, à la manière des grands oiseaux, dans MONTREAL une prodigalité de plumes («Pro- gressivement, j'ai orienté mon ac- tion vers une célébration»2), avec le LES STRATAGÈMES bruit vif, impatient et sec des ailes D'ANDRÉ BLOUIN frappant la terre brûlée, mais non Coiffes Indiennes froissées, sans un doute rétrospectif, habi- nids, larges coups d'ailes, gerbes tuellement repoussé; le plus sou- d'herbes dures, humides; plumes vent surmonté, on l'a dit. robustes, danses tribales, rien de Mais n'insistons pas outre me- strictement figuratif pourtant, si- sure sur les symboles. André non quelque silhouette de chien au Blouin a pleine confiance au pou- repos... André Blouin exposait1, en voir salvateur de la peinture et février dernier, une dizaine de toiles d'elle seulement; il sait traquer la exécutées depuis l'automne. Les couleur, jalouse de ses puissances crises et les transes de son pin- encore inexprimées, et la sortir de ceau nuptial et belliqueux cher- ses retranchements pour la pro- chent à nous persuader que, si l'art duire au jour. Couleur de daim est un leurre, il n'en reste pas moins mouillé; oranges et rouges d'au- recommandable absolument. tomne intenses, où la blancheur soudain, crée des effrois de lu- Un stratagème, dirait Blouin. Il mière. On sent qu'il y a eu, sur la est ici question de prédateurs et de table rituelle, des luttes, des be- proies - d'appâts aussi - , et les uns soins irrépressibles de culbuter les comme les autres tentent de structures rigoureuses, et l'artiste confondre leurs antagonistes. Non ment où l'art procure de telles sa- 1. André BLOUIN Mutation et envol, 1985. Acrylique sur toile; s'est interrompu avant que ne à proprement parler une théma- tisfactions, est à l'origine de tels flanche l'équilibre. Il y a là fran- tique, mais plutôt des phéno- affranchissements, qu'il faut re- 101,6 cmx121. chise, offrande et feu. Il y a là tem- m è n e s , des m é t h o d e s de connaître qu'on s'est peut-être mé- surface, et c'est d'après, avec ou pérament. camouflage, sans duperie toute- pris naguère sur l'utilité de la mort. contre lui que se cambre le phéno- fois: «D'une certaine façon, l'exé- Souvent un rectangle (ou seule- mène, cette touffe de traits et de 1. A la Galerie Alliance, de Montréal, du 6 fé- cution de cette série de toiles est ment une trace de rectangle) à couleurs expansifs. Règle géné- vrier au 1er mars 1985. elle-même un stratagème». Jamais l'horizontale ou à la verticale, oc- rale, l'écheveau bondit hors de ce 2. In Cahiers 19. vain, cependant: il arrive un mo- cupe le quart, parfois le tiers de la rectangle, à la fois incubateur, François TÉTREAU UNE PEINTURE D'INTUITION AUX COULEURS D'AMÉRIQUE nudé une piste meurtrière de clair- sente une femme teintée de blanc, obscur. C'est dans la subtilité de la aux contours charnels agrandis de Ma nouvelle vie québécoise est fantastique et le bonheur de peindre, mutation extériorisée que disparaît pourpre et de rosé. Elle pose et mi- présent dans mon quotidien. (Yvone Duruz) à tout jamais la magie de l'amour. roite devant le regardeur par l'in- Duruz d é m y t i f i e le classique termédiaire d'une énorme coupe Love Story d'Amérique et peint de crème glacée à cinq boules, gé- D'origine Suisse, Duruz habite La mutation sujet-objet cache le l'impossible contact de ces per- néreuse et dégoulinante de cara- le Québec depuis quatre ans. Ar- thème d'inspiration et dévoile dans sonnages d'Harlem glaciaux, au mel. C'est une œuvre à lecture tiste renommée, sa peinture trans- l'imaginaire de l'interprète des af- regard dur, un soir de crépuscule. multiple. Se complètent: le silence, pire une liberté nourrie au contact finités multiples par rapport à l'his- L'apparition des étoiles, des cor- l'expression d'un réalisme senti, un de la jeunesse. Peintre graveur et toire de l'être. La non-couleur nets de crème glacée, des micros, code d'esthétique intelligible et une écrivaine, Yvone Duruz exprime sépare des espaces bidimension- laissent une note humoristique qui grande créativité. «La dualité dans d'une façon consciente les mille et nels aux formes érodées, blan- équilibre les tensions. Le réel ne la lutte de cette série de toiles, une facettes cachées de la vie mo- chies et sans artifice. Seuls, les serait-il pas dans l'illusion éphé- prend sa source grâce à l'impor- d e r n e dans son é v o l u t i o n couleurs métalliques et les rouges mère de la vie? Elle manifeste les tance des médias. Ces informa- précipitée1. indiquent le drame. plaisirs: America, une chaleur de tions dé p e r s o n n i f i e n t les La nature violente des rouges L'architecture d'environnement volupté féminine. Cette toile repré- individus», explique Yvone Duruz. agresse des personnages et les est dégrossie grâce à de fortes métamorphose. Cette manière de teintes bleutées qui contournent représenter les affections sociales ces personnages lunaires. Un si- se qualifie d'archétype. La roboti- lence nocturne cache le drame sation de l'être humain est, ici, éla- d'où surgit une agitation froide ou borée par la danse fantomatique. chaude suivant le chromatisme de Se manifeste et s'articule à parts la toile. égales l'anonymat de ces corps à Dans le triptyque Spotlight, de l'état primitif dans leurs ombres grands mouvements obliques, renversées. rouges et blancs, s'acharnent à Que ce soit dans Spotlight, dans voiler la lecture. Ils ondulent et Love Story ou dans America, l'exu- marquent le temps d'une transfor- bérance, l'individualisme et le ca- mation. Tant de jour que de nuit, ractère revendicateur de ces êtres des personnages s'entrelacent, dénudés, soulignent le geste spon- pataugent sur des fonds dégarnis tané du peintre. La juxtaposition de et luttent d'une façon féroce. Leurs zones de peinture brute s'oppose, visages se définissent dans dans ces toiles, au traitement des l'ombre où seuls des yeux aux couleurs en aplat, d'apparence contours souples et discrets sont crues et nettes. L'espace exploité évidents. Les mains, prolonge- des corps tordus par l'émotion dont ment de bras ouverts, visibles seu- le cycle extérieur-intérieur nous lement par la mutation de l'ombre, 2. Yvone DURUZ ramène à la consommation sen- servent d'appui afin de mettre en Love Story, N° 8, s o r i e l l e , n ' e s t - e l l e pas une évidence cette lutte acharnée. 1984. manifestation de notre société au Dans Love Story, les six mains Acrylique sur toile; cadre social presque inexistant? rouges tracent sur le rivage dé- 121 cmx 92. 72
Les dernières œuvres, Ritual 1 et riques avec une adresse surpre- ses réflexions sur la photographie grille; ou encore celui-ci debout de- 2, trouvent un compromis par rap- nante. Ils soulèvent leurs jupes et sur le métier d'artiste (de l'ar- vant une clôture, le nez humant port à cette réalité sociale. Les fan- étoilées au rythme d'une musique tiste?). Quant aux œuvres de Ru- l'air. Dans les dessins, nous repé- tômes revêtent un habit de inconnue de Broadway. wedel, il nous est difficile de croire, rons aisément des éléments appa- protection argenté, symbole d'une L'omission de certains thèmes en 1985, au regard moderne, clair raissant en sculpture: le chien lumière réfléchie. Plus verticaux, qui ont référence à l'histoire pré- et objectif qu'il pose sur les jardins dessiné devant une fenêtre où l'on les personnages se dédoublent en sente ici une caractéristique évi- et sur les salles de cinéma, alors voit un soleil couchant est égale- mutants. Les jaunes prennent dente. Le renouveau de la palette que notre environnement social ment exécuté en terre et des élé- place et l'expression des blancs d'Yvone Duruz ne fait qu'augmen- nous confronte quotidiennement à ments de l'environnement dans annule le temps de la revendica- ter la tentation de la suivre dans sa plus de subjectivité et de confu- lequel il est représenté serviront de tion. Leur danse est splendide, démarche artistique. sion. piédestal à une autre sculpture. froide et méditative. Le corporel Bien que séparées par un es- L'utilisation du dessin par l'ar- abdique, le combat est autre. 1 A la Galerie Art 45. du 13 mars au 10 avril pace idéologique, ces deux propo- tiste rend caduque la traditionnelle 1985. Ces mirages armés contre tout sitions ont néanmoins un point aliénation de celui-ci par la pein- assaut extérieur prônent les Amé- Stella SASSEVILLE commun, qui est celui de leur lieu ture et la sculpture. Ayant long- de diffusion: Vespace de la galerie temps été perçu comme étude où elles sont exposées. préparatoire, il est ici juxtaposé aux MARK RUWEDEL ET Il est quelque peu ironique de autres moyens d'expression dans tographiques en noir et blanc d'amis une partielle autonomie. Par le re- CHARLIE MURPHY et d'amies de l'artiste, d'objets constater que les photographes de diverses tendances doivent s'ins- cours à la couleur et au grand for- L'exposition récente des tra- trouvés, de bas-reliefs en plâtre et mat, Suzanne Gauthier confère à crire, pour assurer leur crédibilité vaux photographiques de Mark de matériaux pauvres: agrafes, po- son dessin le statut de tableau en lui artistique, dans ce lieu maintes fois Ruwedel et de Charlie Murphy 1 , lyester, bois pressé. décrié, tant par les uns que par les conservant la trace du travail de la met en relief d'une façon particu- autres, qu'est la galerie d'art, là où main de l'artiste et les couleurs at- lièrement saisissante, Vespace qui la photographie reprend ce que ténuées qui lui sont propres. Avec sépare ces deux pratiques photo- Walter Benjamin croyait qu'elle les pièces de terre, le travail au graphiques, exemplaires par cer- avait définitivement perdu: son crayon sur papier établit un dia- tains de leurs aspects, de la aura. logue constant où il importe peu de photographie actuelle. savoir lequel est en conformité Mark Ruwedel, qui est originaire 1 A la Galerie Dazibao, du 9 janvier au 3 fé- avec l'autre. Chacun des moyens des États-Unis, nous présentait, à vrier 1985. fait voir une interprétation diffé- cette occasion, des images de jar- Michel GABOURY rente du motif mais aucun n'a la dins et de façades de salles de ci- prétention d'en atteindre la vérité. néma. Ses photographies en Les dessins-peintures créent en couleur, réalisées avec une ca- SUZANNE GAUTHIER couleur une certaine illusion d'es- méra de grand format (qui permet pace; la sculpture s'affirme davan- Suzanne Gauthier, une artiste tage en coincidence avec notre d'obtenir des images de haute dé- originaire de Winnipeg, est connue espace réel. L'œuvre ouverte finition) soulignent certaines ca- depuis peu sur la scène artistique laisse chacun des différents types ractéristiques modernes que l'on a 3. Mark RUWEDEL montréalaise. L'année dernière, de représentation juxtaposés attribuées à la technique photogra- Coliseum, Seattle, 1984. elle exposait à la Galerie Interac- comme fragments autonomes. Ils phique. Par exemple, sa capacité tion des assemblages de terre s'exhibent tour à tour comme lieu de reproduire tous les détails d'une 4. Charlie MURPHY Aunt Wawi In My Mother's Kitchen, combinant des formes biomor- convoquant le spectateur comme scène, ou encore, pour reprendre 1984. phiques de toute sorte. Cette spectateur, chacun à sa manière une expression de Jean Baudril- Photographies, plâtre et peinture; a n n é e , dans le c a d r e d ' u n e propre. lard, de rendre «plus que visible, le 71 cm 1 x68,6. installation de dessins et de sculp- visible». 5. Suzanne GAUTHIER (Phot. R.S. Diamond) Ce type d'images nous propose Ces diverses manipulations pic- tures intitulée Black and White to Dans les œuvres sur papier, là par ailleurs, une reproduction de la turales permettent à l'artiste de re- Full Colour1, l'artiste expérimente où d'autres réutilisent des motifs réalité exempte d'aspérités ou de prendre, d'agrandir et de réfléchir les possibilités d'expression de ces abandonnés par l'histoire de l'art, poussières, aussi bien sur la sur- ces portraits, dans un contexte deux formes d'art en faisant inter- Suzanne Gauthier choisit de repré- face de l'image que sur Voptique photographique élargi, où l'on re- venir un répertoire d'images tirées senter encore des scènes fami- qui la met en scène. trouve des concepts théoriques des menus gestes des chiens en lières de la vie urbaine impliquant Rien ne vient donc troubler la ra- comme ceux de la chambre (noire), milieu urbain. Elle dépose huit des chiens. Ce motif très anthro- tionalité de ce processus photogra- de la fenêtre (qui encadre), du mi- sculptures d'argile cuite sur le pomorphique est retiré de son phique, ni la tranquillité de son roir (qui reproduit), ou encore de la plancher, au centre de la galerie, et contexte initial, puis l'artiste le ré- thème préféré, le paysage naturel perspective. Ces œuvres inti- accroche sur les murs, de chaque pète pour conserver sa puissance ou urbain, figé par l'obturateur de mistes sont aussi un rappel trou- côté, neuf grands dessins colorés. d'évocation. Sa récurrence dans l'appareil photographique. blant (par les matériaux, par les Une pièce de céramique abstraite toute la nouvelle peinture figura- Les grands collages sur bois de intérieurs, par la façon) de la pau- à une extrémité et un tas d'ordures tive ne fait qu'ajouter à son expres- Charlie Murphy ne prétendent vreté économique des provinces de très stylisées à l'autre encadrent sivité potentielle. La figuration n'est guère, quant à eux, à une précision l'Atlantique, d'où Murphy est origi- une série de six chiens sommaire- donc pas le but premier de ces visuelle ou encore à une surface naire. ment mis en situation par leur base œuvres; elle sert plutôt comme lisse, exempte d'aspérités, puis- De ces deux attitudes esthé- respective: un chien, la patte haute, motif qui canalise l'énergie et qu'ils sont réalisés à partir d'un tiques, celle de Charlie Murphy est urinant au pied d'un escalier, un anime la toile d'un dynamisme ex- amalgame bricolé de portraits pho- sans doute la plus intéressante par autre menaçant, placé devant une pressif. Nous pourrions en dire de 73
même de la gestualité, du travail de primer complètement ou encore façon spontanée sur une toile non la couleur: ces éléments picturaux problème à trouver un mode d'ex- montée, qui se juxtapose sur une agissent comme carrefour dans pression original. L'ensemble du autre aux symboles différents. une image construite de motifs. Ils travail fait penser à une période L'effet s'accorde bien au thème aménagent et complexifient le ré- naive, comme un enfant qui décou- proposé. Le néo-expressionnisme seau des renvois et des appels, di- vrirait la culture, les couleurs et le a ses adeptes ainsi que le hard rigent la visibilité et simultanément reste, et qui veut jouer avec tout à edge et l'abstrait lyrique. la lisibilité pour solliciter le specta- la fois. Mais cette façon d'utiliser L'exposition démontre surtout teur d'une façon obligatoirement toutes sortes de références produit l'ouverture d'esprit du directeur sur active et dynamique. La surface, une œuvre sensible et poétique et, le plan esthétique et permet d'au- liant de ce tout fragmenté, est ani- finalement, intensément person- gurer une carrière intéressante mée d'une énergie toujours cou- nelle. pour cette nouvelle galerie. lante et changeante qui entraîne le 1. Son exposition a été présentée au Centre 1. Présentée à la Galerie John A. Schweitzer, regard du spectateur â la re- Saidye Bronfman, du 10 janvier au 14 fé- qui occupe le local de l'ancienne Galerie cherche d'une réponse impossible vrier 1985. France Morin, du 13 janvier au 8 février 2. Catalogue Paris-Couleur-Montréal, p. 21. 1985. et sans importance... Hedwidge ASSELIN Hedwidge ASSELIN 1. A la Galerie Articule, du 30 janvier au 17 février 1985. 8. S i m o n PANTIN I 7. Vue partielle de l'exposition Impulsion totémique. Sucrier, 1715-1716. Marie PERRAULT Argent. Don de M m e Henry P. Markey. BERTHA SHENKER lignes bien simples répondant au Jeune artiste montréalaise, di- penchant naturel des Anglais pour plômée de l'Université Concordia, le dépouillement, et qui sut s'im- Bertha Shenker1 participe à cet in- poser tout au long du dix-huitième térêt nouveau des peintres pour le siècle. tableau anecdotique. Il s'agit du re- Aidés par la prospérité grandis- jet du formalisme au profit d'un art sante de la nouvelle aristocratie, à figuratif au contenu dramatique. La l'affût des nouveautés, les artisans toile devient un constat ou un huguenots connurent un grand commentaire sur les problèmes so- succès - malgré un boycottage des ciaux ou politiques actuels. orfèvres anglais - , dû également au style qu'ils préconisaient ainsi qu'à leur habilité technique remar- quable. Leur esthétique reposait L'IMPULSION TOTÉMIQUE sur un agencement de formes de L'Impulsion totémique: la tradi- L'ARGENTERIE HUGUENOTE base: le balustre, forme ronde, oc- tion continue est une exposition qui Il est assez rare d'avoir le plaisir togonale ou hexagonale, forme tente de réunir sous ce thème les de voir une exposition d'art déco- agencée, moulée, coulée et déli- travaux récents de dix-huit artistes ratif au Musée des Beaux-Arts de catement ciselée avec de fines de Montréal, Toronto et New-York1 Montréal. Car les arts dits mineurs moulures en courbes de cymes ou et qui veut illustrer une récapitula- ont proportionnellement droit aux de grecques. Comme la plupart tion de l'énergie primordiale à l'ori- cimaises. Quel dommage! Puisque des surfaces étaient plates et dé- gine du picturalisme. Selon le le secteur des arts décoratifs, au pouillées, elles permettaient de ci- directeur de la Galerie, les artistes sens large, est peut-être l'une des seler les chiffres et les armes des s'inspirent de sources aussi di- formes d'art, avec l'architecture, familles qui acquéraient ces 6. Bertha SHENKER verses que l'anthropologie, la my- qui fait le plus partie intégrante de pièces. Les inscriptions pouvaient thologie, le surréalisme. Les styles notre quotidien. être faites par d'autres corps de Les paysages urbains sont des vont de l'interprétation littérale du Pour cet intermède, le conser- métier comme les graveurs, ce qui masses de couleur lumineuse, cer- motif du totem jusqu'aux défini- vateur des arts décoratifs, Robert eut pour effet de faciliter l'indus- nées de contours sombres qui for- tions sublimées ou transcendées Little, nous propose, au chapitre trialisation et d'amener, par une ment une structure uniquement de cet instinct primitif. des petites expositions didac- plus grande communication entre composée de surfaces, parfois de Les artistes sont Pierre Belle- tiques Au fil des collections, Argen- les artisans, de nouveaux registres surfaces qui se heurtent violem- mare, Liliana Berezowsky, John terie huguenote: le style dépouillé'1, de formes. ment. La représentation de l'es- Heward, R. Schuyler Lake, David et ce, afin de mieux mettre en va- Parmi les objets présentés, fi- pace fait défaut, les motifs sont in- Moore, Daniel Oxley, Kenneth M. leur et de faire connaître une mince gurent des pièces utilitaires alors terchangeables à volonté. Leur Peters, Richard Roblin, Michael partie de la magnifique collection en pleine vogue, comme de belles forme résulte d'une synthèse entre Smith, Françoise Sullivan, de Mon- d'argenterie ancienne que pos- boîtes à thé aux lignes sobres, des les impressions que suscite le tréal, Paterson Ewen, Victoria sède le Musée, malheureusement plateaux sur pied, de magnifiques monde extérieur de l'artiste. LeBlanc, Ted Rettig et Judith présentée dans un espace trop c a f e t i è r e s , chocolatières et «L'architecture joue un rôle im- Schwarz, de Toronto, et Nene exigu. théières, dont une par William portant comme élément histo- Humphrey, Nancy Smith, Joseph Les objets présentés regroupent Spacman. L'exposition regroupe rique; c'est un symbole du temps Szilva et Brian Wood de New-York. de fins exemples d'un style dé- quelques vingtaines de pièces des qui ne bouge pas, c'est là la ratio- Les sculptures, en général, qui pouillé faisant opposition à la sur- artistes les plus représentatifs de nalité parmi les émotions qui sont respirent bien dans cet espace, tra- charge décorative qui avait alors ce style dépouillé, qui connut sa toujours changeables»2. Une tour duisent de façon plus heureuse le cours en Angleterre. Après la ré- plus grande vogue entre 1700 et revient dans plusieurs images. thème invoqué. A noter particuliè- vocation de l'Édit de Nantes, plus 1730. Pour l'artiste, elle symbolise la rement VAIthear de Berezowsky, de 400,000 huguenots 2 durent Malgré une présentation sobre pensée prisonnière de la boîte crâ- qui représente un lieu habitable re- trouver exil en Hollande et en An- et de bon goût allant dans le sens nienne, ouverte ou présente au posant sur trois minces pattes trai- gleterre, et, parmi eux, plusieurs des nouvelles tendances de la mu- monde extérieur par ses fenêtres tées différemment. Le lieu a des maîtres de métiers rapportèrent de séologie, il est cependant regret- que sont les sens de l'odorat, la réminiscences de structures an- France cette tendance au dépouil- table que les présentoirs nous lais- vue, l'ouïe et le goût. ciennes. Le Palmyra de Joseph lement. Revalorisant cette esthé- sent voir tous les fils électriques, Le monde extérieur qu'elle dé- Szilva est compose de deux écus tique de la sobriété, où la forme chose qui aurait pu être corrigée crit est peuplé de somnambules, patines bronze qui ont une réson- parle par la ligne et non plus par par des vitrines plus hautes d'une ponctué d'oiseaux sombres, sous nance africaine. une accumulation d'ornements et dizaine de pouces seulement. un ciel orageux. Un monde de so- Côté peinture, l'œuvre de John de bosselages qui font oublier la litude et de références. Références nature première de l'objet. Pour les 1. Du 28 février au 2 juin. Heward Untitled (Maskpiece) est la 2. Les estimations vont de cent cinquante à huguenots, la forme doit être utili- à un corpus pictural historique plus intéressante. Un cercle, un tri- quatre cent mille. taire et son exécution s'allie à des comme si il y avait timidité à s'ex- angle et un carré sont disposés de Martin-Philippe CÔTÉ 74
il place des objets miniatures une multitude de branchettes im- commémorant la mort de Louis Riel mobilisées dans un socle de béton. (The Sting of the Wasp: Requiem for Sauf en ce qui concerne Ross, Louis Riel): une croix à laquelle il tous les artistes ont remarquable- ajoute un gibet, un cercueil rempli ment soigné l'exécution et la fini- de grains, un coffret renfermant tion de chacune de leurs pièces, ce une médaille de saint Christophe, qui nous ramène à la tradition his- deux hampes au bout desquelles torique de la sculpture et nous flottent les drapeaux britannique et éloigne des ready-made de Du- québécois. Deux de ces œuvres champ, soit de la remise en ques- sont déjà très représentatives des tion de l'artiste comme artisan et du convictions sociales de l'artiste: questionnement du statut de l'ob- son engagement envers les dému- jet d'art. Le déplacement en de- nis, les travailleurs manuels et hors du champ de l'art s'effectue 9. Céline B A R I L autres victimes du système. aussi chez Sawchuk, alors que L HISTOIRE DE LA CRÉA TION Une histoire de la création, 1984. Installation. DE CÉLINE BARIL Une Histoire de la création, ra- Fiction de la réalité ou réalité de contée par Céline Baril, est certai- la fiction? L'exposition de Céline nement une drôle d'histoire1. C'est Baril me semble poser un pro- une installation qui interroge sous blème tout à fait actuel: la tension plusieurs aspects le moyen d'ex- entre le politique et le poétique. pression photographique comme Dans cette Histoire, les deux ins- véhicule idéologique. L'artiste a tances cohabitent et entrent par- installé cinq photographies à l'ex- fois en conflit mais suscitent le térieur de la Galerie. Quatre d'entre questionnement. Entre l'intérieur et elles sont placées à l'extérieur des l'extérieur, entre l'objectif et le sub- fenêtres tout autour de la Galerie et jectif, pas de juste milieu mais une sont visibles de l'intérieur. La cin- friction d'où surgit le sens de quième fait face à la rue, sur le l'œuvre. b a l c o n . L ' a c c r o c h a g e est 1. A la Galerie Appart', du 7 novembre au 1er particulièrement signifiant: les décembre 1984. Cette installation s'inspire 10. Direction Est chez Optica: En haut: Tommie GALLIE Sans titre, 1985. photos sont accrochées à la base d'Une histoire de la création de l'auteur de au mur et au sol: Marcel GOSSELIN Passage, 1983. et l'article. de la fenêtre, et ce que l'on voit 2. L'exposition Le Musée des sciences par Mirador, 1983-1984. (Phot. D. Farley) alors est une portion du paysage Lyne Lapointe, Martha Fleming et Monique Jean, février 1984, en a démontré plusieurs Rick Ross et Tommie Gallie of- Johnson et Gallie s'intègrent aux urbain encadré. Cette série cein- aspects. Voir aussi l'article de Pierre ture en quelque sorte l'installation, Boogaerts, Perspectives, photographie frent un message plus léger et, courants de l'art contemporain. et encadrement, dans Parachute, N° 30, dans le cas de Gallie, la métaphore Quant à Iveson et Gosselin, l'un est elle instaure des intervalles, bri- p. 33-41. sant ainsi la narration qui risque de est architecturale. Deux petites peut-être trop littéral et l'autre trop devenir prédominante. Chistiane GAUTHIER sculptures sont placées dans des méthodique pour avoir une grande Cette Histoire de la création est endroits stratégiques (un coin de portée, du moins dans les œuvres organisée sous la forme de sta- fenêtre et entre deux avancées du présentées. VENT D'OUEST plafond), comme si elles étaient tions où se côtoient les person- des supports structuraux: ce sont 1. Présentée à la Galerie Optica, du 29 janvier nages de Dieu et de Napoléon. Comme on pouvait s'y attendre, au 23 février 1985. Dieu est représenté par une pho- le bois est à la fois le thème et le des tiges de bois flexibles, cour- tographie de la tête d'une statue: matériau principal, le concept et le bées sous la pression des blocs de Pascale BEAUDET un patriarche au regard fou- contenu de l'exposition Wood of bois qui les enserrent. Rick Ross droyant. Accrochée très près du the West/Direction Est, dont les ar- combine un dessin et sa réalisation tistes viennent de la Plaine et de la concrète, soit une patère (une SIMONIN plafond, elle domine le spectateur. Napoléon figure sous l'aspect d'un Colombie-Britannique1. branche peinte en blanc) à laquelle LES FILMS INTÉRIEURS jouet miniature photographié avec Robert Iveson présente deux est accrochée un chapeau rouge... D'UN DESTIN une lentille «macro». De l'agrandis- objets dont l'un est de facture plus en bois. Ce jeune garçon pauvre qui sement, résulte un flou, une sorte artisanale qu'abstraite (A Step Clo- Terence Johnson expose aussi tient un jeune chien à peine né d'inflation de l'image faisant écho ser/Un pas ensemble), et composé un dessin et sa matérialisation, ce dans ses mains et penche sa joue peut-être à la fascination exercée de planches vernies fixées sous un qui semble être la carène d'un na- vers lui (Kertész, 1928), regarde par le personnage historique. La panneau central par des boulons, vire. Toutefois, les sculptures et les l'objectif de ses yeux tristes, place occupée par la représenta- eux aussi en bois. Son autre dessins, très épurés, sont proches jaloux, peureux... En fait, il ne tion de Napoléon mérite qu'on s'y œuvre, Harrows, exclusivement en de l'art conceptuel (ce n'est pas regarde rien; il retient vers attarde. Manifestement, Céline Ba- bois elle aussi, est formée de tant de la navigation marine que de le dedans son amour et sa peur; ril a choisi deux représentants qui quatre sections faites de plan- la céleste dont il est question). Un c'est cela, le Regard. incarnent fortement l'image du chettes entrecroisées, posées sur lien physique est créé entre le des- (Roland Barthes, père. Je dois dire que j'ai été frap- le sol, s'apparentant soit à une sin et l'objet (contrairement à Rick La Chambre claire) pée par l'ampleur donnée à la re- herse, comme son nom l'indique, Ross): le support des bateaux est présentation de l'homme au sein soit aux rideaux de fer qu'utilisent placé entre les deux dessins et des Par bonheur, pourtant, qu'est- de l'exposition. Dans la majorité certains magasins. La démarche traits de craie indiquent l'axe où les ce l'être? - Il est que des façons des œuvres, il y a une prédilection d'Iveson (s'inspirer plus ou moins poser. d'être, successives. Il en est au- pour le motif de la tête et elle est, exactement d'un objet utilitaire, le Enfin, Marcel Gosselin se sert de tant que d'objets. Autant que de dans la plupart des cas, détachée recréer en changeant de matériau matériaux fragiles pour signifier la battements de paupières. du corps. Au delà de la dichotomie et le rendre inutilisable, c'est-à-dire fuite du temps, la vie et le déclin des (Francis Ponge, corps/esprit, il faudrait peut-être le transformer en objet d'art) s'in- choses. Sa manière nous renvoie L'Atelier contemporain) voir la coupure effectuée par le rec- verse chez George Sawchuk, qui aux gestes physiques de la cueil- Vouloir dire l'œuvre de Francine tangle photographique: mutilation incorpore des objets usuels à l'in- lette puis de la mise en forme, de la Simonin, c'est accepter de lever les du corps. Les similitudes entre térieur de ses sculptures. Ces ob- mise en ordre. Dans Passage, barrières de toutes les nomencla- l'appareil photographique et les jets témoignent de la présence Gosselin assemble branchettes, tures formelles qui veulent décrire armes sont connues. La guerre est d'un monde extérieur à l'art: celui papier de riz, peaux très fines, al- une démarche. Si, dans un premier une e n t r e p r i s e d ' h o m m e et de la vie quotidienne. Sawchuk lumettes, aiguilles, ampoules mi- moment, nous aurions pu être Napoléon2, un militaire dont la re- équarrit partiellement des troncs niatures, sur un panneau troué. amenés à nommer sa trajectoire nommée n'est plus à faire. Par des d'arbre et introduit dedans un livre L'accrochage sur le mur est plus un par les vocables de l'abstraction ly- subterfuges, il devient ici la cible de Lénine (dans New, New Testa- rappel pictural que sculptural, ce rique, rapidement nous avons d'une caméra, même si l'avène- ment), ou, dans Granary, une cais- qui n'est pas le cas pour Aile et abandonné ces terres de la restric- ment de la photographie lui est sette remplie de grains. Autre Flèche, branches dont le recouvre- tion pour n'écouter que les appels postérieur. manière: il bâtit un autel sur lequel ment s'écaille, ou pour Mirador, de sa création. 75
Dès les débuts de son aventure, Dressés sur un tabouret ou courbés nous avons été tentés de la com- vers le limon, ils errent à la re- parer à la force d'un Mishima dont cherche d'un lieu juste où, semble- le nom signifie littéralement en t-il, pourraient s'inscrire les bon- japonais «Trois îles» que nous heurs de la totalité. n'hésitons pas à nommer Beauté, La vie apparaissant comme un Érotisme et Mort. Car sa quête in- jeu de colin-maillard où l'on tâ- terroge l'absolu et répond à un cri tonne dans les sentiers obsédants essentiel. Que ce soit à travers le d'un questionnement infini, l'on Primordial Final, les Circuits inté- n'est point étonné que l'artiste ait rieurs, Aires de femmes ou Topolo- eu besoin de créer par pulsations gies, Simonin obéit à une pulsion séquentielles des corps tourbillon- lointaine des commencements. Si nants jusqu'au vertige. Pareilles à l'on songe aux premiers créateurs un film dont on aurait arrêté chaque dont l'histoire a conservé une trace plan, ces images décomposées, - on pense ici aux grottes de Las- cette quête anxieuse conduisent là 11. Francine SIMONIN Films d'intérieurs, 1984. Dessin, craie et encre de chine caux - , l'artiste ici semble avoir re- où subsiste, au delà des affleure- sur papier; 80 cm x 120. (Phot. David Steiner) tenu, de ces élans originels, la ments du dehors et du dedans, l'in- puissance du geste. tolérable et douloureuse tentation crets, l'artiste les a décomposés toiles, à une fête rituelle qu'en- Semblable à une mer (mère) de de s'approcher, de prendre pos- jusqu'à en faire un présent agrandi. chantent des couleurs vives. Elle fertilité1 qui se déploie sur les ri- session d'autrui. D'un coup d'œil, Leur déploiement en impressions ensorcelle les bleus pour faire bra- vages de l'interrogation, Simonin a Simonin fait tomber les cloisons de fugitives presque indéfinissables mer des corps couchés, enserrés, écrit à travers son œuvre les signes l'inconscient; le mouvement le plus devient un long trait fragmenté qui créés par son geste vigoureux de d'une profonde intégrité. Ses Films fugitif la révèle plus que les para- rappelle la mémoire littéraire d'un peintre. A la surface de ces lacs en- d'intérieurs qu'elle vient récem- vents de la vraisemblance. Si le Proust qui essayait «d'aller jusqu'à diablés, se dessinent des voûtes ment de nous présenter 2 , crai- temps ici devient un courant rapide ce fond extrême où gît la vérité, splendides portant l'immensité des gnent moins les bonheurs de la qui pousse les intrigues de nos l'univers réel, notre impression horizons. Et cet univers nous séduction. Ces corps qui chantent, films intérieurs, au regardeur de se authentique.» Hélas! Ce fond total, amène à ce mot de Rilke qui pour- sautent et gambillent, appellent les servir de ses propres miroirs et des s'il existait, aurait permis, depuis rait bien résumer les dernières regards de l'intériorité. Si, dans un reflets qu'il y aperçoit pour tenter quelques millénaires déjà, que les œuvres de Simonin: «En une seule premier élan, l'on peut y recon- d'arracher au dessin son mystère. frémissements angoissés de pensée créatrice revivent mille naître la fête du mouvement, ces Au niveau technique, le regard l'homme s'apaisent dans un si- nuits d'amour oubliées qui en font larges traits campent à la fois ces de Simonin s'empare à son gré de lence serein. C'est pourquoi en- la grandeur et le sublime.» divinités de chair et de sang dans ses modèles, les étire, les aban- core, l'artiste retourne la terre des 1. Avant de se donner la mort, Mishima écrivit une aire de grande solitude. Ces donne, les pulvérise, les aplatit, les passés et des présents, fragmente un grand cycle romanesque, de la nais- sance à la mort, sous un seul titre La Mer êtres esseulés jusqu'à la nudité se grossit, les comprime pour les obli- les traits de sa pensée pour y cher- de la fertilité qui se morcelle en quatre vo- prostrent dans des joncs de lignes ger à lui faire entendre une voix es- cher quelques instants d'éternité. lumes: Neige de printemps, Chevaux échappés, Le Temple de l'aube, L'Ange en noires, voire se cambrent pour dé- sentielle qu'elle s'efforce de Au delà de ces moments sé- décomposition. fier la mort. Ces personnages don- percevoir et qui pourrait bien être quentiels et fragiles, Simonin a 2. A la Galerie 13, du 7 au 31 mars 1985, ainsi qu'aux Services Culturels de la Délégation quichottesques oscillent souvent la sienne propre. Pour mieux dépassé les ombres pour du Québec à Paris, en avril 1985. entre le sublime et le dérisoire. comprendre ces mouvements se- s'abandonner, à travers quelques Normand BIRON QUÉBEC quées et parfois rehaussées au po- choir, les œuvres d'Irénée Lemieux VERS L'ART ACTUEL démontrent ostensiblement que Quelques-unes des galeries ré- l'art existe en toute chose et que, centes orientent leurs regards en souvent, il suffit de se pencher pour fonction de l'art qui se fait, s'ana- le trouver. lyse ou, tout simplement, existe. En constante référence avec lui- Chez René Bertrand, l'art actuel 12. Paul LACROIX même, Richard Mill4 retrouve son accapare toute la nouveauté, sur- Sans titre, 1984. public, ses pinceaux et ses idées prenante en un lieu triste et morne Pigment, décalque et crayon sur formalistes. L'expérience doulou- (presque atone) où, dans l'espace papier de Rives; reuse renvoie constamment à l'ar- rude et gris, rien n'existe que les 75 cmx 106. tiste en quête du sens mystique de œuvres. Un peu d'air pourtant ne (Phot. Guy Couture) l'art, du geste, de la couleur et de saurait nuire aux excellents des- leur présence ou, mieux, de leur sins de Paul Lacroix1. sportif, une marche vers l'immobile proche du courant impression- absence aiguë, significative en elle- Misérablement épingles, ces alors que tout semble vibrer. Peut- n i s t e . M a l g r é une p a l e t t e même. grands papiers blancs, vus de loin, être, y décèle-t-on une théorie du transparente, les textures demeu- Cette fois, l'artiste (séduit par les semblent flotter au vent et ne rien montage qui essaye la coexistence rent fermes et, en son apparente discours américains) découvre la supporter d'autre que leur propre de l'image, précise et objective, et légèreté, Mercedes Malo exécute transparence. Et le chemin tracé poids. A tel point qu'on est surpris de l'impression, fugace et subjec- des toiles-céramiques dont les sa- sur le support (toile ou bois), ra- d'y découvrir, tracées avec habi- tive. Subrepticement, la double as- vants glacis durcissent la neige conte une aventure indiscible, mul- leté, les formes équivoques et na- sociation de cette vision simultanée omniprésente des tableaux. A la li- tiple, existentielle, potentielle et, turelles de l'anatomie humaine. rappelle aussi le microcosme en mite, la forme disparaît et le pay- malgré tout, incomprise. Sauf de Équivoques, parce que justement macrocosme: le détail anatomique sage déroule son mystère infini. quelques rares initiés. Car, juste- ce que l'on croit deviner s'estompe - ce fameux ralenti - renvoie à Irénée Lemieux 3 s'amuse à ment, voici un art fièrement her- et se dissout en une autre forme. La l'image complète - ce calque bel- créer des sculptures étonnantes. métique: à rejeter ou à accepter, fluidité des traits rappelle la mou- lâtre - d'où émerge le sens du des- Ramassés au hasard, pierres, ga- sans demi-mesure. Voilà l'essen- vance des dunes sous l'action du sin comme un jeu adulte entre lets et roches de toutes tailles sont tiel de sa qualité. La déroute est vent. l'échelle des plans et les valeurs assemblés pour la joie de l'artiste heureuse: six grands tableaux Énigmatiques, les dessins de sensorielles. et le plaisir de l'œil. Créations mor- laissés en pâture aux interpré- Paul Lacroix sont conçus comme Une humble sagesse caracté- phologiques pour la plupart, ces tations les plus vastes, les moins une suite aux subtiles variations en rise la Galerie La Minerve. Forte montages de cailloux deviennent restrictives. gris, aux allers et retours de l'œil d'un métier acquis chèrement pen- des sculptures minérales pleines Textures, graffiti, gestes amples entre la forme et le fond (Gestalt), dant vingt-cinq ans, Mercedes d'humour et de candeur. Animaux, ou saccadés traduisent l'abandon entre les lignes floues et les images Malo2 expose des toiles rafraîchis- groupes sociaux, stylisations, figu- de la linéarité au profit de la multi- claires (transfert d'image). Alors, se santes, poétiques et sensibles. Le rations, rien n'échappe au regard plicité. Au tournant de son art, dégage une sensualité à fleur de pays de Charlevoix tombe aisé- inventif d'un artiste complet. Le ayant foi au discours pictural, Ri- peau, évanescente même. Existe ment sous sa dictée et le discours traitement formel inclut toujours chard Mill renvoie le regardeur au et se ressent un indubitalbe ralenti pictural qu'elle prononce la rap- une présentation soignée. La- regardé. La vibration, à peine rete- 76
nue, remplace allègrement le sta- Francine Dubois (Véhicule VII), Par delà le connu transformé, tisme antérieur. La juxtaposition Mobilier d'artistes Maxime Rioux (Chaise accordéon) l'originalité de Bradley Struble (Pa- des plans bannit le dessin, et le jeu Une bonne douzaine d'artistes et Pierre Larochelle (Tables de nier à linge) force à reconnaître la des masses souligne la recherche ont succombé à cette manifesta- chevet). banalité des objets usuels pour dé- plus ou moins contrôlée de l'effet. tion hors zone. La décoration ou passer les canons mêmes du de- Pour Monique Voyer5, la joie du même la création d'un objet s'ap- sign actuel. Sagement mais avec papier transgresse les lois de parente davantage au design 13. Richard MILL distinction, Michel Parent réalise Sans titre, 1985. une structure environnementale l'ordre, dépasse l'équilibre et ap- qu'aux beaux-arts. En confiant Acrylique sur toile; porte la mouvance dans les teintes, cette pratique à l'esprit d'inven- complète et autonome conçue 181 c m 4 x 1 6 7 , 6 . les bruns, les orangés, les bleus, tion, la Chambre Blanche interroge comme une méditation esthétique les rouges, couleurs sourdes et ter- habilement la manière et la mé- sur l'objet. reuses, mouillées et vibrantes. Il lui thode. A la fois sérieuse et fantai- Cette fois, le mobilier s'efface au faut briser la douceur, la casser, siste, l'exposition thématique profit de l'Art dont il n'est, en défi- pour ouvrir une brèche sur l'inédit. Mobilier d'artistes6 proposait avec nitive, q u ' u n e des variations Des échelles se tissent, des lignes bonheur une expérience singu- possibles. échafaudent en silence (Les Pierres lière. 1. Galerie René Bertrand, Janvier 1985. Des- silencieuses) un réseau de souve- Aux aspects décoratifs exploités sins en format unique (75 cm x 106); papier nirs habités du dedans (Ceci est la par Suzanne Joubert (cabinet à de Rives, graphite, décalque. 2. et 3. Galerie La Minerve du 10 au 19 mars couleur de mes songes) pour tra- musique rehaussé d'une figuration 1985 et du 10 au 24 février 1985. duire des m o m e n t s i m a g é s minutieuse et romantique), Pierre 4. Galerie des Arts Visuels de l'Université La- val, Février 1985. proches de la légende (La Bête du Train (Table) et Gaétan Cantin 5. Galerie du Grand-Théâtre de Québec, Jan- Memphrémagog), comme en- (Carré bleu de nuit) s'ajoute la di- vier 1985. 6. Du 15 février au 24 mars 1985 foncés dans la magie des lieux et mension artisanale et débridée des du temps abolis. constructions allégoriques de Daniel Morency DUTIL OTTAWA tiques, quoique anonymes, em- preintes d'une silencieuse dignité et d'une humanité bien à elles. LA MAISON Du vestibule, le visiteur passe Habituellement, ies galeries dans un lieu qui se révèle certai- d'art parallèles, telle la Galerie nement un atrium des plus origi- Saw1, d'Ottawa, n'attirent pas un naux; en fait, une aire centrale très grand nombre de visiteurs. Ce parée d'un panachage d'objets ne fut toutefois pas le cas de ce pe- symbolisant la procréation, la vie, tit espace d'exposition sans pré- la mort, la renaissance et la magie. tentions, sis dans le quartier du Ces sculptures suggestives et sai- marché Byward de la capitale, qui, sissantes sont l'œuvre de Carol en décembre dernier, vit défiler un Bretzloff, qui peint et sculpte en se flot régulier de curieux, tous venus servant à la fois de fibres synthé- découvrir une exposition intitulée tiques et de matières organiques La Maison. pour évoquer les divers cycles et Pièce majeure d'art environne- rites existentiels. mental, La Maison est un ouvrage S'ouvrant sur l'atrium, appelé Le en bois grandeur nature, peint de Jardin, la Chambre utérine de Su- rose et de bleu, et comportant cinq san Géraldine Taylor, une réplique espaces intérieurs décorés par Ca- très réelle de l'utérus d'une femme rol Bretzloff, Suzanne Joubert, adulte, où l'on ne peut s'introduire 14. La Maison. Dans cet esprit, Suzanne Jou- Jane Martin, Merijean Morrissey- qu'en se glissant dans un tunnel (Phot. David Knowles) bert convoqua les quatre artistes Clayton et Susan Géraldine Taylor, étroit et douillet. Une fois à l'inté- qui participeraient ultérieurement artistes bien connues de la vallée rieur, le visiteur découvre une en- à La Maison. Il naquit de cette pe- outaouaise. Cette élégante ceinte de nylon rose, tout emplie On ne s'étonnera pas de ce que les tite réunion initiale l'idée d'un cadre construction au toit pointu et aux d'un bruit qui rappelle les batte- meubles principaux soient un lit qui abriterait leur art et qui se corniches bleues sert en quelque ments de cœur du foetus. conjugal et un berceau. concrétiserait sous la forme d'une sorte de vitrine à leur art. Néan- Au sortir de l'espace confiné de Critique d'art pour Le Droit, Su- maison ou d'un intérieur. moins, dans une perspective diffé- la Chambre utérine, il n'y a que zanne Joubert faisait, en 1981, un La construction effective de La rente, elle apparaît comme un quelques pas pour atteindre la compte rendu sur une installation Maison débuta à l'automne de fascinant répertoire de souvenirs et Chambre des tapis magiques de d'art environnemental - une 1984, dans le sous-sol d'un im- de visions. C'est peut-être pour Merijean Morrissey-Clayton: des chambre de femme - exposée à la meuble du centre d'Ottawa. Alec cette raison qu'elle a touché à ce sculptures peintes, figurant des ta- Galerie 101, d'Ottawa, lorsque Anderson, sculpteur originaire de point tant de regardeurs et qu'elle pis volants, sont montées sur fibre l'idée de La Maison lui vint pour la Montréal, établit les plans de la est devenue l'un des sujets d'ex- de verre de façon à flotter et à on- première fois. Composée par Su- structure et conçut les pièces position artistique dont on parle le doyer, produisant ainsi une impres- san Géraldine Taylor, l'œuvre re- d'emboîtement permettant de plus à Ottawa. sion de mouvement. A l'instar du créait un univers féminin en monter et de démonter la maison On entre dans La Maison comme tapis magique mythique, ils sym- miniature qui sut si bien émouvoir aisément. Trois charpentiers lui on pénètre dans un sanctuaire: bolisent l'évasion vers un monde et enthousiasmer Mme Joubert prêtèrent leur concours: Colleen avec vénération. Cependant, plu- imaginaire où n'existe aucune li- que celle-ci résolut aussitôt de McMackon, Dana Wardrop et Jo- tôt que d'emprunter une porte, le mite à la libre expression. «réaliser quelque chose de très nathan Deachman. visiteur franchit un portique ouvert De l'autre côté du vestibule, mais féminin» elle-même. Les vitraux Précisons, enfin, que La Maison qui le mène à un vestibule austère, donnant également sur l'atrium, se qu'elle avait conçus pour le Palais a bénéficié d'une aide financière aux murs duquel sont accrochés trouve une zone qui fleure la nos- des Congrès de Hull étant sur le du Conseil des Arts du Canada, du dix portraits à l'huile exécutés par talgie, la Chambre des souvenirs. point d'être achevés, c'était le mo- Ministère des Affaires Culturelles Jane Martin. Brossés avec minu- Le décor de cet espace faiblement ment de commencer à explorer du Québec, de la Commission des tie, dans des couleurs sourdes, ils éclairé revient à l'artiste, auteure et quelques idées pouvant mener à Échanges Culturels Ontario-Qué- représentent des femmes posant professeure Suzanne Joubert, ins- de nouvelles réalisations. Cette pe- bec, ainsi que de donateurs privés. devant un papier peint à motifs de tigatrice du projet. Elle y a disposé tite personne débordante d'éner- boutons de roses. Comme dans diverses pièces du mobilier d'une gie se mit donc à songer à un 1. L'exposition La Maison a été présentée à la Galerie SAW, du 4 au 29 décembre 1984, tous les portraits de Martin, les chambre à coucher, qu'elle a ouvrage d'art environnemental, qui et à Montréal, à la Galerie VQAM, du 13 au personnages, stylisés, présentent peintes et couvertes de sérigra- se fonderait sur une thématique fé- 24 février 1985. un caractère grotesque. On y re- phies et de photographies, souve- minine et témoignerait du talent Valerie KNOWLES connaît malgré tout, dans l'instant, nance de son passé et évocation de d'un groupe de femmes artistes des figures féminines authen- la mémoire collective des femmes. ayant une affinité de conceptions. (Traduction de Laure Muszynski) 77
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